Aux amis du carrefour

Dans le café du village, les clients sont préoccupés par le projet d’autoroute qui devrait couper le village en deux. Ils s’invectivent et s’inquiètent beaucoup, mais pas forcément pour les mêmes raisons.

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Scène 1 / Jo / Annie / Antoine

Antoine entre dans le bar

Antoine / Y'a quelqu'un ? .. Y'a quelqu'un ? (Il va devant la porte des toilettes) Y'a quelqu'un ? (Il parle tout seul) C'est pas croyable ! .. On vient dès l'ouverture, et y'a personne à l'accueil. (Il crie) Y'a un client ! .. Si vous voulez pas bosser, faut l'dire !

On entend alors un bruit de monte-charge (ou escalier). Jo et son épouse apparaissent derrière le bar (Mimer le système de l'ascenseur, ou l'escalier ) Ils sont censés remonter de la cave. Ils sont en pleine scène de ménage.

Note : On peut aussi utiliser l'entrée privée. Dans ce cas les personnes allant à la cave, ou en venant, se cacheront derrière le bar pour entrer et sortir sans se faire voir.

Jo / Je t'avais dit qu'il fallait en commander plus !


Annie / C'est pas marqué Bonniche !

Jo / Au cas où madame ne serait pas au courant, je signale à madame, que les clients, faut les servir.


Antoine / Bonjour messieurs dames !

Jo / C'est ça, salut.

Annie / Et faut leur faire quoi, aux clients ?

Jo / Les clients, faut leur parler.

Annie / Toi, quand tu leur parles, tu dis que des conneries.

Jo / Je dis ce qui intéresse la clientèle. Parce que s'il fallait compter sur la conversation de madame, y'a longtemps qu'on aurait fait faillite.

Antoine / Fait pas chaud, aujourd'hui..

Annie / Je suis pas payée pour causer.

Jo / Le client, il veut avoir des nouvelles.

Annie / Tu parles, c'est toujours les mêmes trucs : Y va t-y pleuvoir ou y va t-y pas pleuvoir, la dernière pauvre fille qu'a eu un mioche, la dernière connerie du maire, et la "maxymatose" chez les sangliers !

Jo / On dit myxomatose. Et la myxomatose, c'est pour les lapins.


Annie / En tout cas, vu ta tête, ça m'étonnerait pas que tu l'aies attrapée.

Jo / Et toi, quant les clients te voient, c'est un encouragement à se mettre à boire !

Antoine / A la radio, ils ont dit qu'il allait peut-être pleuvoir.


Annie / Je t'emmerde !

Jo / Moi aussi.


Annie / Fausse couche !

Antoine / Euh... Je peux avoir à boire ?

Jo / Tu vois pas qu'on discute ?

Annie / Oh, le roi de l'accueil ! T'as vu comment tu parles aux clients ? (A Antoine, pas aimable) Qu'est-ce tu veux ?

Antoine / Ben.. Comme d'habitude.

Annie / D'accord ! Monsieur Antoine veut la même chose qu'hier. Comme mon mari ! Lui, c'est toujours la même chose qu'hier, la même chose qu'avant hier, et demain, ce sera la même chose que la semaine prochaine !

Jo / Tu peux lui parler gentiment ! Monsieur Antoine veut un petit remontant.

Antoine / Ah ça oui. Un petit remontant le matin, en forme jusqu'à demain !

Jo / Antoine, c'est un un client fidèle.


Annie / Pour être fidèle, il est fidèle. C'est pas comme certains..


Jo / Tout ça, parce que lorsque une cliente rentre, je lui parle. Je signale à madame que les vrais professionnels causent à tout l'monde.

Antoine / Ah ça c'est vrai. Et en plus, dans ton bar, j'ai toujours été bien servi.


Annie / Ça, ça se voit ! T'as a été bien servi.


Antoine / Je suis comme un coq en plâtre.

Annie / On dit un coq en pâte. Un coq en plâtre.. Pourquoi pas une poule en béton.

Jo / C'est pas parce qu'on sait pas causer qu'on n'a pas le droit de parler !

Annie / La ferme !

Antoine / Faut pas parler comme ça. Moi, quand vous vous disputez, ça me rend triste.

Annie / (A Antoine) Y'a quelqu'un qui t'a sonné ?

Jo / T'as aucune raison d'être jalouse.


Annie / Jalouse moi ? T'as vu ta tronche ?

Jo / (A Antoine) Elle dit pas ce qu'elle pense.


Antoine / Ma femme, moi, elle disait tout ; alors je vois pas pourquoi elle est partie.

Annie / On peut la comprendre..

Jo / Mais ici, tu peux parler. Y'en a qu'écoutent !

Antoine / Ben.. Il paraît qu'il va pleuvoir dans la journée, mais en Corse, ils disent qu'il va faire beau.


Annie / T'as qu'à aller en Corse !

Jo / (A Antoine) Excuse là, c'est une femme.

Annie / Comment ?

Jo / Euh.. T'es juste un peu énervée.

Annie / Énervée ? Je cause à monsieur Antoine, puisque monsieur Antoine est venu pour faire la causette.


Antoine / Ah non. Je viens là pour oublier.


Annie / Pour oublier quoi ?

Antoine / Ma femme.


Annie / Mais ta femme, elle s'est barrée ! Ta femme, elle t'a déjà oubliée.


Antoine / Tu crois ?


Jo / Les femmes, ça oublie vite.

Annie / Surtout les mauvais souvenirs..

Antoine / Alors, je viens boire un p'tit coup. Mais des fois, j'oublie vraiment.


Annie / Et qu'est-ce tu fais après ?


Antoine / Je bois pour me rappeler ce que j'ai oublié.


Annie / Ok. Bon ! T'as l'permis ?

Antoine / Le permis de chasse, mais ça marche pas pour les bagnoles.


Annie / Très bien. Alors, deux bières pour monsieur ; comme ça, on va gagner du temps.

Elle met les bières sur un plateau qu'Antoine emporte. Antoine va s'installer à une table et trinque

Antoine / A la santé des amoureux !

Annie / De quoi j'me mêle ?

Jo / T'as vu comment tu parles aux clients ?


Annie / Je leur parle pas, je les éduque.


Jo / Et la réputation du bar ? Ça fait presque quatre cens ans que le bar est dans la famille.

Antoine / Ça c'est vrai, ça remonte aux calendriers grecs !

Jo / Tu vois, et tu peux faire confiance à Antoine ? Parce qu'il s'y connaît en bars ! Même que Louis 14 est venu boire un coup ici !

Antoine / Avec sa sœur !

Annie / Et la reine d'Angleterre, elle est venue ?

Jo / Elle pourrait. Alors, madame est priée de se la mettre en veilleuse.


Antoine / Ma femme, quand elle mettait la veilleuse, elle m'empêchait de dormir.

Annie / En plus, tu pouvais pas trouver un autre nom ! «Aux amis du Carrefour !» C'est un nom de bar, ça ? Y'a jamais personne dans l'carrefour !

Jo / Comment que t'aurais voulu qu'on l'appelle ? «Aux amis du cimetière !» On est juste à côté.

Annie / On aurait pu choisir un prénom. Ça se fait dans les bars de donner un prénom par exemple : Chez Josette. Ou chez Lucie, on aurait pu mettre mon prénom.

Jo / C'est ça. Et quand on s'appelle Annie, ça fait quoi ?

Antoine / Annie bar !

Annie / (A Antoine) Le verre dans ta tronche, tu l'veux plein ou tu l'veux vide ?

Jo / Aux amis du Carrefour, ça en jette !

Annie / On aurait du l'appeler Jo. Comme toi. Jo Bar !

Antoine / Moi, j'ai une idée pour un nom.

Annie / Toi, tu bois tes trois bières et tu la fermes !

Antoine / (Au public, se parlant à lui-même) On peut rien dire..

Scène 2 / Jo / Annie / Antoine / Boucher

Le boucher entre. Il est du genre allumé. Il parle juste après avoir franchi le seuil.

Boucher / Repentez-vous pêcheurs ! Soûlards ! Assoiffés ! Épongés ! Ivrognes ! Bientôt la colère du Seigneur s’abattra sur vos têtes ! Bientôt, les vapeurs volatiles des boissons démoniaques vous brûleront le foie, l'intestin et le reste de la cervelle ! Réagissez avant qu'il ne soit trop tard ! Sinon, même vos enfants ne vous reconnaîtront plus. .. (Il va au bar) Tu me mets une bière !

Le boucher, Jo et Annie rient de façon assez bruyante. Jo lui sert une bière

Annie / Celui-là, il est impayable.


Boucher / C'est ce qu'on m'dit tout l'temps à la boucherie. (Il rit de ses blagues)

Annie / Tes biftecks, ils devraient être remboursés par la Sécurité Sociale.


Boucher / Dans la boucherie, les clients, faut les faire rêver. Parce que ce qui compte le plus dans la viande, c'est le vendeur.

Jo / Et en c'moment, ça marche comment, les affaires ?


Boucher / C'est moyen.

Jo / Comme nous. Les gens boivent moins. Ce qu'il nous faudrait, c'est une bonne sécheresse. Les sécheresses, ça donne soif.

Boucher / Aujourd'hui, les gens veulent bouffer des plantes. Si ça continue, va falloir que je devienne boucher végétarien. Tous les jours, ça veut des fruit et légumes. Non tout ça c'est politique, y'a les chinois derrière.

Annie / Heureusement, tu n'es pas que boucher.

Boucher / Et correspondant de presse à temps partiel ! Je suis intermittent de la boucherie. Heureusement ! Sinon, je serais mort de faim. Je vais quand même pas bouffer tous mes biftecks.

Antoine / Faut jamais mettre tous ses bœufs dans le même panier !

Boucher / Antoine ! Déjà là !

Antoine / Tous les jours, je viens me ressourcer.

Annie / C'est ça, il vient à la source


Jo / Nous. Depuis que y'a plus d'curé, on fait moins d'monde.

Boucher / Y'a plus d'curé.


Annie / Il s'est tiré avec sa bonne.


Boucher / Ah bon ?


Annie / C'était pas dans l'journal.

Jo / Le dimanche, après la messe on faisait l'plein. Et le curé n'était pas le dernier. Mais maintenant, les gens ne croient plus en rien. Résultat, y'a des des cafés qui meurent. Ah elle est belle, la religion !

Boucher / On n'est pas soutenus.

Jo / Y'a que les enterrements qui marchent. Là, quand y'a un mort, on refuse du monde. Seulement, y'en a pas assez ; on n'est pas assez nombreux dans l'village.

Boucher / Tu veux que j'te dise : on est des survivants.

Jo / Si chaque français moyen buvait, ne serait-ce qu'une bière par jour, ça ferait au moins l'équivalent de deux baignoires par an.

Antoine / S'il vous plaît ?

Annie / S'ils disaient la vérité dans les journaux, on lirait moins de conneries !

Boucher / Moi, tout qu'y s'passe, je l'raconte. Tenez la semaine dernière, le type qu'est mort dans l'journal, c'était moi.

Jo / T'étais mort ?

Boucher / Non. C'est moi qu'a écrit l'article

Jo / Hé ! C'est de l'humour noir !

Boucher / De l'humour noir. Ah oui ! Jo, t''aurais pu faire comique.

Annie / C’est sûr, tout l'monde se serait foutu d'sa gueule.

Jo / Toi, t'aurais pas fait mannequin.

Boucher / Alors là, Jo, je m'excuse, mais ta femme vaut le déplacement.


Jo / Et bien, si elle vaut l'déplacement, t'as qu'à partir avec (Il rit) ..

Boucher / Elle aurait pu faire dauphine au concours de Miss agriculture !

Antoine / C'est sur, y'a d'beaux restes..

Boucher / En plus Jo ! Tu te rends compte de la chance que t'as ?

Annie / Moi j'm'en rends compte.

Boucher / Ta femme n'est pas une femme légère.


Jo / J'espère ! Parce que les femmes légères, elle prennent vite l'air. Oh t'as vu, je fais des vers.


Boucher / Des vers pour un patron de café, c'est normal, non ? (Il rit bruyamment)


Antoine / Moi la mienne, c'était pas une femme légère, au moins cent kilos, et elle s'est quand même envolée.

.
Boucher / (A Antoine) C'est sûr, t'as perdu gros.

Annie / Et si ça t'arrivait à toi ?

Jo / Toi ! Me quitter ! Tu m'as regardé !

Annie / J'te regarde pas, j'te vois assez comme ça.

Jo / Ah les femmes.. Faut toujours qu'elles nous taquinent.

Boucher / (Un peu gêné) Euh.. Oui.. .

Jo / Au fait, y'a quoi dans l'journal cette semaine ?


Boucher / Tu lis pas l'journal ? Mais un de ces jours, les martiens vont débarquer. Ils te piqueront ta télé, ta femme, ton chien, ton essoreuse à salade, et toi, t'auras rien vu.

Jo / Qu'est-ce qu'ils feraient les martiens avec mon essoreuse à salade ?

Antoine / Si les martiens mangent de la salade, ce s’ra la mort des boucheries.


Annie / Comment il a fait pour être mort, le type, dans l'journal ?

Boucher / C'était un grand buveur ?


Jo / Les grands buveurs. Plus ça va, moins y'en a.

Annie / ll en reste... (Elle désigne discrètement Antoine)

Boucher / Un vieux qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.

Jo / C'est pas faux.

Boucher / Et bien là, un ivrogne qui meurt, c'est un café qui ferme.

Jo / Alors, il est mort comment ?


Boucher / Le type, tellement il buvait il était devenu liquide. Il avait de l'alcool partout. Dans l'estomac, la tête, les poumons, jusque dans les pieds. Il s'est noyé de l'intérieur.


Annie / C'est affreux !

Antoine / Je l'ai toujours dit : Faudrait un maître-nageur dans les bars !

Boucher / Et ! Antoine ! Tu sais nager ?

Antoine / Ah non ! La flotte, c'est pas mon truc.

Boucher / Mais pourquoi  tu viens si tôt ?

Antoine / Pour garder le rythme. Sinon, après on devient fainéant.

Boucher / (A Antoine) T'as trouvé du boulot ?


Annie / Mais il y'a pas touché.

Antoine / Pardon ! Je suis en maladie professionnelle.


Boucher / Et qu'est-ce que t'as comme maladie ?

Annie / La flemme.

Scène 3 : Antoine / Boucher / Annie / Jo / Madame Rosé

Madame Rosé entre

Mme Rosé / Pardon messieurs dames ! Dîtes, vous auriez pas vu mon mari ?

Jo / Il est comment votre mari ?

Mme Rosé / Un peu comme vous.

Annie / Vous l'avez perdu où ?

Mme Rosé / J'en sais rien.

Antoine / C'est pas moi, des fois, votre mari ?


Mme Rosé / Ah non. Il était quand même mieux.

Boucher / Il doit être chez sa maîtresse.


Mme Rosé / Mon mari. Avec une maîtresse. Avec la tête qu'il a..

Boucher / C'est pas toujours la tête.

Mme Rosé / Ca m’étonnerait ! Personne n'en voudrait. Y'a que moi qu'en ait voulu.


Jo / Trouver une maîtresse ici, c'est pas possible. Nos femmes sont sérieuses

Annie / Elles sont pas sérieuses, elle s'emmerdent.

Jo / Excuse-moi, mais là, on est dans la science-fiction. Des cocus ? Chez nous ?

Annie / Qu'est-ce t'en sais ?


Jo / Je vois pas pourquoi elles iraient voir ailleurs. Ici, elles ont tout.

Antoine / Chaudière dans les cœurs ! C'est la rose ou l'choux fleur !

Mme Rosé / Qui qu'y dit ?


Antoine / A force de goûter au biscuit, on attrape la brioche !

Annie / (A Antoine) On t'a d'mandé quelque chose ?

Antoine / Moi, je m'suis jamais trompé d'femme.

Annie / Ta femme, elle s'est tirée !

Antoine / Qui trop embrase mal éteint !

Mme Rosé / Il en a beaucoup comme ça ?

Boucher / Quand il est à jeun, il n'a rien à dire.

Mme Rosé / (A Antoine) Votre femme est peut-être partie avec mon mari ?


Antoine / C'est possible, si votre mari est parti l'année dernière.


Mme Rosé / Ah ben non, ça s'peut pas.

Boucher / A mon avis, il doit être dans un bar.


Mme Rosé / Dans un bar, mais y'a qu'un bar dans l'village.


Boucher / Erreur ! Y'a des bars clandestins. Dans chaque maison du village, y'a au moins un bar.


Jo / Et ça nous fait de la concurrence déloyale. En plus, dans ces bars, c'est gratuit.

Antoine / C'est pas parce que c'est gratuit qu'on vous laisse entrer !

Annie / Forcément ! La moitié du temps, t'es complètement noir.

Antoine / Ça s'appelle de la "discramination" négative. Et en plus, je suis même pas noir.


Boucher / Moi je dirais que ça tirerait plutôt vers le rouge.

Antoine / Bon d'accord, j'ai peut-être le nez un peu rouge clair.


Boucher / T'es l'plus rouge de la commune !


Antoine / Et pourquoi on me r'fuse ? Alors que nous, les consommateurs, on fait marcher l'économie ! Toute la région !

Annie / Les hôpitaux et les garagistes.

Mme Rosé / Mon mari, vous croyez qu'il est dans un bar clandestin ?

Boucher / Je vois pas où il pourrait être autrement.


Mme Rosé / Bien, je vais aller vérifier.

Jo / Sinon, vous buvez quelque chose ?

Mme Rosé / C'est gratuit ?


Jo / Non.

Mme Rosé / Alors j'ai pas soif.

Elle part

Scène 4 : Jo / Annie / Boucher

Boucher / Si c'est pas malheureux

Jo / Quand on est marié, on reste.


Annie / (Elle soupire et marmonne) Pour le meilleur et pour le pire..

Jo / Et au fait ? Les nouvelles du jour ?


Boucher / C'est pas dans l'journal.

Annie / Non ?

Boucher / Ils vont faire un "périsphérique".

Annie / Un "périsphérique" ?

Boucher / Dans les routes t’as le périsphérique, la bretelle, et la ceinture. La ceinture c'est autour du village, et la bretelle c'est pour y entrer, ou pour en sortir.

Annie / Pourquoi c'est pas dans l'journal ?

Boucher / A cause du choc. Les habitants, faut les préparer. C'est comme quand t'as une maladie définitive, faut laisser la surprise.

Annie / Un périsphérique ! C'est pour nous éviter, c'est ça ?


Boucher / Y'a peut-être du vrai.


Jo / Qu'est-ce qu'on a de moins que les autres, pour qu'on nous évite ?

Annie / Ça, ça peut s'comprendre..


Antoine se lève et va au bar

Antoine / Les toilettes, c'est où ?

Annie / (A Antoine, très mécontente) Ça fait quinze ans que tu nous demandes où sont les toilettes ! T'as pas encore retenu le parcours ? Les toilettes, t'y vas tous les jours !


Antoine / Ah bon ?

Annie / Les toilettes, c'est comme sur les paquets d'nouilles, c'est marqué dessus !


Antoine / J'ai pas faim.


Antoine va aux toilettes

Scène 5 : Jo / Annie / Boucher

Jo / Ça fait mal de voir ça.. C'est notre meilleur client.

Annie / C'est pas un client, c'est un pilier de bar. Et si t'enlèves le pilier, le bar s'écroule.

Jo / Il boit à cause de sa femme. Si madame n'était pas partie, il ne serait pas là.

Boucher / Les femmes, c'est ce qui fait le plus boire.

Annie / Si sa femme voulait partir, elle a bien fait.


Jo / Si on était pas là, qu'est-ce que vous feriez sans nous ?

Annie / Tout c'qu'on voudrait ! On ferait tout.

Scène 6 / Jo / Annie / Boucher / Antoine

Antoine revient.

Antoine / J’ai pas d'papiers ? (Il repart dans les toilettes)

Boucher / Encore un immigré !

Annie / (Elle regarde sèchement Jo) Papiers !

Jo / T'as pas mis de papier ?

Annie / Et bien non. . Je suis qu'une femme.. Alors tu sais, moi, la paperasse.

Jo / Ok. J'ai compris.

Jo ne dit rien puis descend à la cave

Scène 7 / Annie / Boucher

Boucher / Dis donc, tu m'as un peu chargé.


Annie / Je suis obligée, sinon il va se douter de quelque chose.

Boucher / T'as entendu c'que t'as dit ? Des cocus chez nous.

Annie / J'en peux plus.


Boucher / Je sais, c'est pas facile pour toi.

Annie / C'est pas toi qui couche avec !

Boucher / (Il lui prend la main) C'est pas facile pour moi non plus. On est dans une petite ville, tout l'monde se connaît.


Annie / Justement, je veux déménager.

Boucher / Mais pourquoi ? C'est joli ici.


Annie / C'est pas joli, c'est chiant.

Boucher / Tu trouves ?


Annie / Tu vends ta boîte à biftecks, et on s'tire !

Boucher / Et ma femme..


Annie / Ta femme.. Ta femme.. Et mon mari ? Tu vas pas me gonfler avec des détails.


Boucher / On irait où ?

Annie / N'importe où ! En Chine, sur Mars, je m'en fous, mais faut qu'on s'barre !

Boucher / Ton mari, c'est quand même un ami d'enfance.

Annie / A moi aussi, c'est un ami d'enfance. Alors les amis d'enfance, j'en ai ras l'bol !

Boucher / Faut être patiente.


Annie / Ça fait quinze ans que j'patiente ! Alors c'est simple, si c'est pas toi, je me tire avec le premier abruti qui passe et à moi la nouvelle vie.

Boucher / Mais si tu pars, qu'est-ce que je ferai sans toi ?


Annie / Ce que tu voudras, mais tout seul.

Annie part

Boucher / Mais où tu vas ?


Annie / Chez moi ! Tu vois, c'est marqué «Privé ». Et quand c'est privé, ça veut dire qu'on y entre que si on y est autorisé.

Boucher / Mais attends ! On peut discuter. (Elle ouvre la porte et rentre dans son logement. Il ouvre ensuite la porte et la suit) Nini !

Scène 8 / Jo / Antoine

Pendant quelques instants, la scène est vide, on entend rien puis on entend le monte-charge, puis Jo réapparaît.

Jo / Et bien, où qu'ils sont ? .. On pourrait être cambriolé, il sauraient qu’à se servir ! Et la sécurité ? (Il regarde le public) Y'a tellement de voleurs dans la région.. (Il va vers les toilettes et frappe à la porte)

Voix d’Antoine / Occupé !

Jo / Tu l'veux, ton papier ?

Antoine ouvre la porte et sort

Antoine / Non merci. J'ai plus envie.

Antoine retourne s'installer à la table.

Jo / Tu sais que tu commences à m'faire..

Antoine / Garçon ! Une bière !

Jo / Comment tu m'as appelé ?


Antoine / Je sais pas si on te l'a déjà dit, mais t'es pas une fille.

Jo / Je m'appelle Jo. T'es au courant ?

Antoine / Excuse moi, mais je trouve que si on t'appelle garçon, ça fait plus bar. Alors, si monsieur Jo veut bien servir un client, le client Antoine l'en remercie à l'avance.

Jo / Faut toujours servir des abrutis.

Antoine / Abruti ? Moi ? Plus je bois, plus je deviens lucide. Et d'ailleurs je ferais remarquer à monsieur Jo que tous les grands génies buvaient : «Wiston» Churchill ! Van d'Gogues ! Serge «Gaingsbourre»..

Jo / D'abord, faut que tu payes tes bières.

Antoine / Mais je vais payer. (Il lui donne deux centimes)

Jo / C'est quoi ça ?

Antoine / C'est le pourboire. Je paye toujours le pourboire à part.


Jo / Deux centimes ! T'appelles ça un pourboire ?


Antoine / C'est le geste qui compte.

Jo / Et le reste, c'est pour quand ?

Antoine / Tu envoies la facture en recommandé à mon domicile.

Jo / Tu payes maintenant !

Antoine / J'ai pas de liquide.

Jo / Je t'en ficherai, du liquide.


Antoine / Je te ferais bien un chèque, mais mon carnet de chèques est chez moi. En lieu sûr.

Jo / Je veux pas de chèque ! Je veux du pognon !


Antoine / Quand j'aurais la facture.


Jo / (Il va derrière le bar et le menace avec une carabine) Alors, tu les payes tes bières ou tu les payes pas ?


Antoine / Monsieur Jo le sait peut-être pas, mais dans les cafés, c'est interdit de tuer des clients avec une carabine.

Jo / Tu vas bientôt avoir une bière, offerte par la maison !

Antoine / Si c'est comme ça qu'on accueille un client.. Bonjour l'accueil..

Jo / Ma parole, je vais l'suicider.

Scène 9 : Jo / Boucher / Antoine / Annie

Annie / (Elle revien et arrange sa coiffure et son tablier un peu défait) T'es malade !

Jo / Non, mais lui, je vais l'soigner.


Annie / Qu'est-ce qui s'passe ?


Antoine / On refuse de servir un client.


Annie / Qu'est-ce qu'il a fait ?


Jo / Monsieur ne veut pas payer.

Annie / Tu sais bien qu'il paie à la fin du mois.


Antoine / Quand je touche mes indemnités.

Le boucher entre

Boucher / Mais ? Qu'est-ce ? (Il réajuste aussi sa tenue)

Antoine / Le garçon, il est méchant !


Jo / Chez moi, on paye comptant ! Parce que moi j'oublie jamais quelqu'un qui paye pas ses dettes. T'es d'accord ? (Il pointe son fusil vers le boucher)

Boucher / Tiens, moi j'vais les payer, ses bières

Jo / Ah mais si c'est de l'humanitaire, je me désarme. Tu veux que j'te dise, t'es trop bon. Allez, Envoyez la monnaie. (Il braque gentiment le fusil sur le boucher)

Annie / Range ton machin !

Jo / (Jo abaisse le fusil et encaisse la monnaie du boucher) Au fait, qu'est-ce tu faisais dans la partie privée ?

Annie / Il me donnait un coup d'main.

Jo / Un coup d'main ?

Annie / C'est de ta faute, ça fait deux mois que je te dis de changer l'ampoule de la chambre !

Jo / Dans la chambre, ça sert à rien. T’éteins toujours la lumière.

Annie / La nuit, ça évite de se casser la figure quand on se lève pour aller où tu sais..

Jo / (Au boucher) Alors come ça, t'as changé l'ampoule ?


Boucher / C'est ta femme qui m'a demandé.

Jo / Elle est pas culottée ! (A sa femme) Alors on profite d'un client.

Boucher / Oh ben moi, quand je peux rendre service..


Jo / T'es sûr que t'as fait que changer l'ampoule ?

Boucher / Ben oui.

Jo / T'es vraiment sûr.. ?


Boucher / Ben...

Jo / Et la fuite dans la salle de bains ! T'aurais pu aussi réparer la fuite dans la salle de bains !

Annie / Quelle fuite ?

Jo / Mais non ! Je rigole ! Ah je vous vois bien tous les deux, dans la chambre, en train de changer une ampoule. (Au boucher) Ah méfies toi. Ça commence par une ampoule. Et après, c'est dans les mains que t'as des ampoules. Ah ah ah ah ! Allez, c'est ma tournée !

Annie / Qu'est-ce que t'es lourd.

Il sert deux petits verres.

Antoine / Ah ça c'est sympa.


Jo / Toi, t'es pas dans la tournée.

Antoine / (Au public) On est mal vu...

Jo va aux toilettes

Jo / Je reviens. Surtout, faîtes pas de bêtises.

Annie / Prends ton temps.

Scène 10 : Antoine / Annie / Boucher / Maire

Le Maire entre (Il ou elle est très bien habillé(e)

Maire / Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonjour !

Annie / Tiens, vlà l'idiot (Ou l'idiote) du village.

Antoine / C'est pas l'idiot du village, c'est l'maire.

Maire / Sacrée Annie, tu nous f'ras toujours rire.

Annie / Un p'tit blanc ?

Maire / Le blanc, le rouge, manque plus que l'bleu, et vive la France !

Antoine / Vive le Maire !

Boucher / Alors ? Quoi d'neuf ?

Maire / Comment ? Un journaliste qui m'interroge ? Ne serait-ce pas plutôt à moi de lui demander des informations.

Boucher / Non, mais dans le village, paraîtrait que..


Maire / Je vois que des rumeurs circulent. Ok j'ai compris. Conférence de presse ! (Il s'assoit à une table, le boucher s'assoit en face de lui,au moins à un mètre de distance)

Boucher / Attends ! Je vais prendre une photo.

Maire / On me prend toujours en photo. C'est ça les stars.. Si j'avais su, je me serais habillé en pauvre. Je peux pas faire riche, je suis d'gauche.

Boucher / Attention ! Le petit oiseau va sortir..


Antoine / Pan !

Annie apporte le petit verre de blanc et le pose devant le maire

Maire / Du blanc sur la photo, ça risque de faire mauvaise impression.


Boucher / Tu rigoles ! Tu n'inaugures jamais rien sans alcool. Rappelle toi des pissotières, l'année dernière, on a fini à la gendarmerie.

Antoine / En plus, ils donnent pas à boire, à la gendarmerie. Et pourtant, y'a un comptoir.


Maire / Ok. On va régler le problème tout d'suite. (Il avale d'un trait le verre et le donne à Annie) Voilà. Comme ça, l'opposition pourra pas dire que je picole. (Annie repart avec le verre vide) Alors. Maintenant, vas-y. (Le Maire sourit)

Boucher / Pour une photo officielle, faut mieux faire la gueule.

Maire / T'as raison. Dans le village, y'en a pas mal qui font la gueule, faudrait pas casser l'ambiance. Allez ! (Le boucher prend la photo) Maintenant, envoies tes questions.

Boucher / D'après des informations de source sûre, il semblerait que dans le village, un projet de route serait à l'ordre du jour.

Maire / Ah je vois ! Ils ont à rien fout' dans l'village, alors ça cause.. Pour l'instant, c'est qu'un projet.

Boucher / Mais ça n'a pas été discuté au Conseil Municipal.


Maire/ Ils comprennent rien au conseil municipal ! Ils me méritent pas au conseil municipal ! Donc, en tant que premier homme (Ou première dame) de la commune, j'ai décidé.. De demander.. Une étude.. Pour qu'une route de dégagement soit envisagée afin de débloquer le centre du bourg.

Boucher / Débloquer le centre du village? Y'a pas plus de cent voitures par jour.


Maire / Cent voitures oui. Mais si elles arrivent toutes ensemble dans le carrefour.. Tu y'as pensé ? Alors là ça bouche tout, et on est foutus.

Boucher / Y'a que trois cents personnes dans le village.


Maire / Je suis au courant. Pour m'endormir, je les compte tous les soirs.

Boucher / Quand même.. Un périsphérique chez nous.

Maire / C'est pas un périsphérique, c'est une voie express.

Boucher / C'est quoi une voie express ?


Maire / C'est deux fois plus rapide.

Boucher / Les gens ici, ils sont pas pressés.

Maire / Et alors ! Pourquoi qu'on n'aurait pas une voie express ? C'est parce qu'on nous prend pour des ploucs ?


Boucher / C'est pas indispensable.

Maire / Tout de suite les critiques. On essaie de faire évoluer un patelin paumé vers le progrès, et on vous met des bâtons dans les routes. Ah mais si c'est comme ça, moi c'est simple, aux prochaines élections..


Boucher / Tu démissionnes ?

Maire / Je me r'présente !

Boucher / Ah.


Maire / On m'vire pas comme ça, moi.


Boucher./ Mais je fais mon métier.


Maire / Eh ! T'es boucher.

Antoine / Boucher journaliste !

Maire / Si encore t'étais poissonnier, ton journal il aurait une utilité. Mais malheureusement, l'papier journal, c'est pas conseillé pour emballer la viande.

Boucher / Là, t'es conscient que t'es en train d'attaquer la liberté d'la presse.

Maire / Mais t'en fais pas, le progrès passera. Comme la deux voies express ! Le progrès, c'est moi.

Antoine / C’est pas faux !

Maire / Ce qu'il faut à la commune, c'est une ambition, un programme, un visionnaire ! Et moi, j'ai une grande idée pour le village. Parce que (Il s'adresse à tout le bar).. Voyez-vous, Lorsque j'étais enfant, déjà, je songeais à l'avenir. Déjà j'entrevoyais des choses, des changements. Car, lorsque l'on vient chez nous..


Boucher / Y'a jamais personne qui vient

Annie / Tu peux le laisser finir

Maire / Laissez ! Laissez passer le Mérinos. Les visionnaires ont toujours été persécutés. Car, lorsque l'on vient chez nous, tout de suite, on sait qu'on est chez nous. Et donc, nous devons donc garder notre indépendance, et tout faire pour que l'on soit préservé.

Boucher / Et c'est quoi que tu comptes faire exactement avec tes visions ?

Maire / Fais gaffe, l'anarchiste.. On sait où t'habites..


Boucher / Des menaces ?

Maire / Non. Les impôts. .. On peut toujours faire du sur mesure..

Boucher / Bien. Monsieur le maire, à part la route, y'a pas aut' chose ?


Maire / A part, la route, faut toucher à rien, ou alors, en faire le moins possible.

Boucher / Mais le village ?


Maire / Justement, une route express, ça va désencombrer le village. Il faut aérer l'air. Faut qu'on respire !

Scène 11 : Antoine / Jo / Annie / Boucher / Maire

Jo sort des toilettes

Jo / Ça c'est vrai, ici on respire.

Maire / Ici, la nuit, on voit les étoiles. Le jour, des petits lapins, des grenouilles..

Annie / Elle va passer où, la route ?


Boucher / Dans l'bar.

Annie / Dans l'bar ?

Maire / Y'a rien de sûr..

Boucher / Ben voyons..

Jo / Et le bar ?

Maire / La municipalité fera tout ce qui est en son pouvoir pour soutenir le bar ! Quand y'a pas d'bar, tout l'monde se barre !

Antoine / (Il applaudit) Bravo ! Vive le Maire !

Maire / La voix du peuple messieurs dames ! Tiens, je vais faire un sondage. Antoine, qu'est-ce que tu bois ?

Antoine / Pas d'express !

Maire / Comment ça ?

Antoine / Une bière !

Maire / Antoine. Maintenant, une question, t'es pour ou contre la voie express ?


Antoine / Ça dépend..

Maire / Deux bières pour Antoine ! Alors ?

Antoine / Pour !

Maire / Les sondages sont formels, le peuple a parlé.

Jo / Je peux en faire autant. Antoine. Qu'est-ce tu bois ?


Antoine / Deux bières !

Annie / Depuis quand on paye à boire aux clients. On n'est pas élus, nous.

Antoine / Oh ben moi,  pour monsieur le Maire ? J'ai une question, c'est rapport à ma femme.

Maire / Ta femme ! Mais t'as pas plus d'femme.


Antoine / Si. J'en ai une, mais je l'ai perdue de vue.

Boucher / Elle s'est barrée, ta femme !

Annie / Et elle a bien fait !

Antoine / Mais j'en avais qu'une.

Maire / Une, c'est déjà beaucoup.


Antoine / Mais comme elle est pas là, comment je fais pour manger ?


Annie / T'arrêtes de boire !

Maire / Antoine, si t'as une question, tu prends rendez-vous à la mairie.

Jo / Il a du mal à se déplacer..

Annie / Quand il est bourré, c'est sûr..


Maire / Chacun ses problèmes ! Et puis, je vais te dire : les chiens qui gueulent et les femmes qui traînent, j'en ai marre !

Boucher / Des fois c'est l'contraire. C'est les femmes qui gueulent et les …

Maire / Alors l'intellectuel, il se calme, sinon, je lui envoie le contrôle vétérinaire dans sa boucherie, et ça va être un carnage.

Annie / Il dit pas ce qu'il pense, c'est un journaliste.

Maire / Admettons. Donc, monsieur Antoine, il prend rendez-vous à la mairie.

Jo / Elle est ouverte de dix neuf heures à vingt heures tous les quinze jours.

Boucher / Quand elle est ouverte..

Maire / Et l'argent public ! Tu veux peut-être que j'ouvre tous les jours pour gaspiller l'argent public. Si vous voulez qu'on augmente les impôts, alors là, faut l'dire !

Antoine / A cette heure là, je suis occupé.

Maire / Si monsieur croit qu'on va adapter les horaires de la mairie aux horaires de monsieur, il se goure. Les horaires, c'est les horaires !


Jo / Mais il peut pas y'aller ! Le café ferme à huit heures

Maire / T'as qu'à fermer plus tôt.

Antoine / Ah ben non !

Le Maire sort

Scène 12 / Annie / Jo / Boucher / Antoine

Jo / Les prochaines élections, je m'présente !


Antoine / Je voterai pour toi !

Annie / Pas moi.

Jo / Attend. Là c'est la politique, ça n'a rien à voir avec la vie de couple

Annie / La politique c'est comme le mariage, c'est toujours des promesses..

Boucher / Bon. Et bien, je vais peut-être y'aller. Parce que faudrait pas qu'il y ait une queue devant la boucherie.

Annie / Justement, faut que j'aille acheter le bifteck de monsieur. Je peux pas être ici et ailleurs. J'ai pas le don de.. De quoi déjà ?


Antoine / «D'ubucuité».

Elle part avec le boucher

Jo / Et pour le bifteck, surtout, t'hésites pas !

Boucher / Hé ! Tu m'as déjà vu refiler du mauvais bifteck ? La viande, avec moi, elle est toujours tendre.

Scène 13 : Jo / Antoine / Institutrice

L'institutrice entre dans le bar, elle est très remontée.

Institutrice / Qu'est-ce que j’apprends ? Ils vont faire un périphérique pour éviter le village !

Jo / C'est officiel. Le Maire vient de sortir. Il est pour. Et y'a des gens qui risquent d'être d'accord.

Institutrice / Forcément, mettre un plouc à la tête d'une bande de ploucs, faut pas s'étonner.

Jo / Il veut conserver l'identité du village.


Institutrice / Mais s'il veut faire dans la conserve, y'a qu'à mettre le Maire dans l'formol ! On fera des expositions, comme ça, il servira à quelque chose.

Jo / En plus, son machin, il y tient.


Institutrice / Évidemment qu'il y tient. Il veut sa petite enveloppe. On a que des types dans ce genre là depuis Charlemagne ! C'est ce que j'dis aux gamins à l'école. Regardez l'histoire de France, c'est toujours les mêmes qui profitent !

Jo / Vous leur dîtes ça ?

Institutrice / Je dis c'que j'veux ! On m'a mutée dans ce bled paumé. Sanction disciplinaire, tu parles. Résultat, j'enseigne à des mioches qui s'en foutent. Autant pisser dans un violon. Et tout ça, c'est la faute aux parents ! On devrait retirer les parents à la naissance. Quand on voit la tronche de certains, faut pas s'étonner que leurs gamins aient des mauvaises notes !

Jo / Et sinon, qu'est-ce qu'elle boit, la p'tite dame ?

Institutrice / La p'tite dame ! Qu'est-ce que c'est que ce langage de phallocrate de supermarché. Mais moi, les phallocrates, je te les mettrai contre un mur, et vlan, on passe à autre chose. La petite dame.. Je note.. Je l'savais que dans un bar, y'avait autant de machos que de bouteilles. Mais je vais prévenir à l'école ! Vous laissez pas faire, les filles ! Les mecs, c'est d'la gnognotte ! … Un verre d'eau !


Jo / Un verre d'eau ?

Institutrice / J'demande pas une baignoire !

Jo / Ben.

Institutrice / Il connaît pas le code de la consommation. Mais je l'dis tous les jours aux gamins à l'école. On peut pas vous refuser de boire de la flotte dans un café ! Je le répète tous les jours aux élèves. (Elle parle comme si elle lisait une dictée) «Si on vous sert, virgule de la flotte, vous ne payez que si la consommation est affichée, virgule, avec le prix à l'entrée». .. Et là, je vois rien d'marqué pour la flotte, alors vous m'donnez mon verre de flotte vite fait, sinon je vous fous un procès dans la tronche et je vous envoie à la soupe populaire.

Jo / Bien madame.

Institutrice / Parce que moi monsieur, j'ai eu quelqu'un dans ma vie. Pas longtemps mais assez pour comprendre à qui j'avais à faire. Seulement, les hommes, ça a peur des vraies femmes. Et il a eu du bol, il est parti avant que je l'mette dehors !

Jo / Peut-être qu'il s'estimait pas à la hauteur ?


Institutrice / Je le dis tous jours à l'école : «Vous mariez pas les filles ! C'est un piège. Le prince charmant, ça existe pas. Les crapauds qui s'transforment, on est dans la neuvième dimension. Un conseil, les filles, bouffez les grenouilles !»

Jo / Oui. (Il lui sert le verre d'eau). Ça vient du robinet, ça va aller ?

Institutrice / Qu'est-ce qu'y croit ? Que j'suis pas capable d'avaler d'la flotte ! (Elle le boit d'un trait) .. Bon.. Alors, pour l'autoroute dans l'village, il est contre ou il est pour ?

Jo / Ben..

Institutrice / Parce que avec moi, c'est simple. Les «ceuses» qui sont pas pour, ils sont avec moi parce que moi, je suis contre, et si par contre, ils sont contre le fait que je sois pas pour, boycotte du troquet ! Grève générale des buveurs de pinard ! Et licenciements secs !

Antoine / C'est dégueulasse.

Jo / Je suis contre ! On va quand même pas nous enlever l'vin d'la bouche !

Institutrice / Mais on va s'battre ! Les trouillards, les m'as-tu-vu, les collabos, les faux-culs..; Va falloir qu'ils choisissent. Déjà, on va créer une association. Je serai la présidente ! Le siège social, au café ! La cotisation, gratuite ! Ca va saigner !

Elle part

Antoine / Elle est pas facile, la dame.


ACTE 2

Le lendemain. Une grande banderole «Quinzaine du blanc» est suspendue derrière le bar. Antoine est déjà installé. Il a au moins trois bouteilles devant lui. Il attend. Annie et Jo entrent et s'engueulent.

Scène 1 : Antoine / Annie / Jo

Annie / (Crié) Je m'en fous, des clients !

Jo / Je m'en doutais, t'es pour la voie express.

Annie / Ils indemnisent. C'est moi ou l'bar.

Antoine / (Marmonné) C'est dur comme choix.

Jo / Et si je veux pas ?


Annie / Il serait temps que tu te fasses décongeler la cervelle ! Si tu veux pas, je divorce, on vend tout. Et tu pourras te mettre à boire.

Jo / Mais Nini ?

Antoine se lève et se dirige en silence vers les toilettes. Il tient un rouleau de PQ dans la main. Jo se tait. Puis quand il est près d'elle, Annie lui parle.


Annie / C'est tout droit, c'est marqué d'ssus.

Antoine entre dans les toilettes

Scène 2 / Annie / Jo / Boucher

Le boucher entre

Boucher / C'est bien ici les amis du jus d’fruit ?

Annie / Tiens, vlà la presse.

Boucher / J'ai l'impression que je tombe mal. C'est le projet qui vous met dans cet état ?


Jo / C'est pas le projet, c'est ma femme.


Boucher / Qu'est-ce qu'y s'passe ?

Annie / Il se passe que j'en ai marre !

Elle part dans la partie privée

Scène 3 / Jo / Boucher

Boucher / Y'a quelque chose qui passe pas ?


Jo / Madame veut vendre

Boucher / Elle veut vendre ?

Jo / Oui monsieur. Et si je vends pas, elle se barre.


Boucher / Mais elle peut pas partir ! Qu'est-ce qu'on va devenir sans ta femme ?

Jo / Elle dit qu'il faut profiter de la nouvelle route pour se tirer d'ici. Paraît qu'ils vont verser des indemnités..

Boucher / Mais elle peut pas faire ça ! Nous laiss.. Te laisser tomber comme ça, comme une.. comme une..

Jo / Comme une merde. En pleine quinzaine du blanc ! Elle me met la pression.

Boucher / Non merci. Un p'tit blanc.


Jo / Non. Elle me met la pression !

Boucher / Pourtant, ta femme, par moments, elle est pas méchante.

Jo / Si t'arrives à la convaincre, vas-y ! Parce que moi, j'ai beau causer. A croire qu'elle est sourde.

Boucher / Bouges pas d'là. J'vais m'en occuper moi, d'ta femme


Jo / Ah merci. (il se sert à boire) Heureusement qu'on peut compter sur ses amis.

Le boucher part dans la partie privée.

Scène 4 : Jo / Antoine

Antoine sort des WC

Antoine / T'aurais pas un cachet pour la tête ?

Jo / C'est pas une pharmacie.

Antoine / Et le service après-vente ! Quand on vend de l'alcool, on doit prévenir le client qu'il risque un mal de tête. Et hier, j'ai pas été prévenu.

Jo / La cirrhose ? Tu connais ?

Antoine / Je fais remarquer à monsieur qu'une limonade est bien plus dangereuse qu'un verre de pinard. Dans l'pinard, y'a pas d'bulles. Et quand y'a des bulles, tu risques le cancer.

Jo / Tu veux que j'te dise, tu devrais aller aux alcooliques anonymes


Antoine / Et pourquoi j'irai aux alcooliques anonymes ? Là-bas, je connais tout l'monde.

Scène 5 / Jo / Antoine / Ingénieur

Une femme, très élégante, charmeuse, et sexy, entre

Ingénieur / Bonjour messieurs.


Jo / (Troublé) Euh.. Bonjour..

Antoine / Bonjour madame.

Ingénieur / Monsieur Jo ?

Jo /Jo ? .. Ah ben oui, c'est moi.

Ingénieur / Je viens pour la voie express.

Jo / La voie express ? C'est vous qui allez faire la route ?


Ingénieur / Je sais, une femme sur le bitume, c'est aussi rare qu'un homme dans une cuisine, non ?


Jo / Qu'est-ce que j'vous sers ?

Ingénieur / Un doigt de porto, un doigt de limonade, deux glaçons, la moitié d'un citron pressé Et une paille si vous voulez bien..

Jo / J'ai que la paille !

Ingénieur / Ce n'est pas grave, donnez moi un cognac.

Jo / Un cognac ! (Il crie) Et un cognac pour la dame !

Antoine / (Se parlant à lui-même) C'est dangereux, le cognac..

Ingénieur / Vous avez un beau café. J'adore la décoration.

Jo / Je l'ai fait tout seul !

Ingénieur / Intéressant..

Jo / Ça fait dix ans qu'on a l'bar.

Ingénieur / Dix ans, c'est long non ?

Jo / Ça dépend des jours..

Ingénieur / Et un petit bar, dans un petit village, vous arrivez à subsister ?


Jo / Pas tous les jours. Parce que, les taxes, les impôts, les gendarmes qui attendent les clients dehors ; dans ce pays, tout est fait pour vous empêcher de boire !

Ingénieur / Parfois, c'est dur pour les hommes entreprenants..

Jo / Je vais quand même pas vendre du lait d'vache !

Ingénieur / Le village est moche, mais y’a pire. Vous avez des touristes ?


Jo / Des touristes ?

Ingénieur / Oui. Des étrangers. Qu'est-ce qu'il y a à voir par ici ?


Jo / A part nous, y'a pas grand chose..

Antoine / Moi des fois, les gens, ils me prennent en photo

Jo / Forcément, ils te prennent pour l'idiot du village.

Ingénieur / Vous n'avez jamais songé à faire autre chose.. (Elle se fait insistante)

Jo / (Très troublé) Faire quoi ?

Ingénieur / Une nouvelle vie, un nouvel horizon. Vous pourriez aussi être bien ailleurs, vous êtes dans la force de l'âge

Jo / Où est-ce que vous voulez m'envoyer ?


Ingénieur / C'est vous qui décidez. Parce que,... Je n'ai pas le droit de vous le dire, mais quand je vous ai vu, je me suis tout de suite dit : faut qu'il saute sur l'occasion.


Antoine / Vas-y Jo ! Saute dessus !

Ingénieur / L’occasion de changer beaucoup de choses.. On peut changer beaucoup de choses quand on le désire..

Jo / Et c'est quoi qu'il faut faire ?


Ingénieur / Me faire confiance ? (Minaudant) Vous ne me faîtes pas confiance.. ?

Jo / Ben..

Ingénieur / (Allumeuse) Vous refuseriez le progrès.. ?

Jo / Ben..

Ingénieur / Je vous ai apporté un petit document. (Elle sort un document de son sac) Tout est dedans.

Jo / Qu'est-ce qu'il y'a là dedans ?


Ingénieur / Un contrat. Entre vous et la société que je représente. On m'a envoyé exprès. Le directeur m'a dit. Allez-y, y'a que vous qui saurez causer aux plou... Aux habitants. .. Votre bar, vous le vendez combien ?


Jo / Il est pas à vendre

Ingénieur / Je sais bien qu'il n'est pas à vendre. Mais si vous vouliez le vendre, vous le vendriez combien ?


Jo / Je sais pas. Moi Deux cent mille.

Ingénieur / Trois cent mille, vous diriez quoi ?

Jo / Ben...

Antoine / C'est trop cher, je pourrais jamais l'ach'ter.

Jo / Mais pourquoi vous voulez acheter mon bar ?

Ingénieur / Mais parce que la voie express va passez chez vous.


Jo / Mais pourquoi moi ?

Ingénieur / Pourquoi pas ? Et c'est pour ça que le mieux, c'est que vous nous vendiez votre bar.


Antoine / Ah ben non !

Ingénieur / Je sais, un bar, on s'y attache.

Jo / Je pourrais jamais le quitter.

Ingénieur / Mais si. (Elle lui montre le papier) Vous voyez. J'ai déjà mis ma signature.

Jo / Mais si je signe pas ?

Ingénieur / La route passera quand même. On passe toujours. Une route express, votre bar, à la fin, on l'aura au rabais. Il est fichu ! Alors je vous raconte pas, la faillite, la ruine, la cata quoi.

Antoine / Et après, il se mettra à boire.


Ingénieur / Suffit de signer.. (Elle se penche de plus en plus. Jo est très troublé)

Scène 6 / Jo / Antoine / Ingénieur / Boucher / Annie

Annie et le boucher surgissent

Annie / Je peux vous aider ?

Ingénieur / C’est gentil, merci !

Boucher / Alors là Jo, tu me déçois.


Jo / Mais c'est pas ça du tout, c'est madame ! C'est elle qui fait la route.


Annie / Ce s'rait pas plutôt le trottoir ?

Ingénieur / Il a raison ! Je fais la route.

Annie / Mon mari a déjà une femme. Elle est peut-être pas terrible mais c'est mieux que rien du tout.

Antoine / Ça c'est sûr !

Ingénieur / Vous vous méprenez. C'est professionnel.


Annie / On n'a pas besoin d'entraîneuse au bar. Chez nous, les client ont besoin de personne pour se mettre à boire.

Antoine / Et vlan ! Ramasse !

Ingénieur / Ma proposition est tout à fait honnête


Annie / Les propositions honnêtes, je peux les faire moi-même ! (A l'ingénieur) Dehors !

Ingénieur / Réfléchissez ! Je ne vous le proposerai pas deux fois.


Annie / Mais je vais lui en coller une..

L'ingénieur sort

Antoine / Et bien moi, si j'avais une souris comme ça dans l'grenier, j'y serais grimpé plus souvent que l'chat !

Scène 7 / Jo / Annie / Boucher / Antoine

Annie / (A Jo) Tu peux m'expliquer ?

Boucher / Oui. Tu peux nous expliquer !

Annie / (Au boucher) T'es marié avec ?


Boucher / Je dis ça pour aider.

Annie / Ok. Tu veux aider. Alors, tu la fermes !


Jo / Je t'assure, c'est pas moi, c'était l'envoyée pour la route. Tiens, c'est marqué là dessus.


Annie (Elle lit le papier) Qu'est-ce que c'est que.. Non ?


Boucher / Je peux lire ?


Annie lui donne le papier, le boucher le lit

Boucher / Ils veulent acheter le bar !

Antoine / Et elle a insisté.


Boucher / Forcément, quand on a du pognon, on veut tout acheter.

Annie / Combien ?


Jo / Le bar, c'est pas une question d'argent.

Annie / (Très énervée) Combien ?

Jo / Trois cent mille.


Annie / Et tu l'as laissée partir ?

Jo / Mais notre bar, c'est comme notre enfant.

Annie / L'abruti ! On lui propose trois cent mille balles pour son bar pourri, et il signe pas.


Boucher / Tout de même Annie. Jo, son bar, c'est sa vie.


Annie / C'est la tienne ?

Jo / Tu vas pas vendre le bar ?


Annie / Ah mais si.

Jo / Et si j'veux pas ?


Annie / T'en gardes la moitié.

Boucher / Mais Annie ! Tu peux pas faire ça à Jo, à nous, au village !

Annie / Je m'en fous, du village. Passe-moi les clefs d'la bagnole !

Jo / Les clefs. Pour quoi faire ?


Annie / Un barbecue !

Jo lui donne les clefs de la voiture

Jo / Où tu vas ?


Boucher / C'est vrai ça. Où tu vas ?

Annie / (Elle sort) Où j'veux

Jo / (Il la suit) Mais Nini ?

Antoine / Ben dis donc.. En c'moment les femmes, elle sont pas faciles.

ACTE 3

Scène 1 : Antoine / Madame Rosé

On entend un bruit de chasse d'eau puis Antoine sort des toilettes et va s’asseoir. Le temps passe, on entend le tic tac d'une horloge

Madame Rosé / (Elle entre) C'est moi !

Antoine / Moi aussi c'est moi.

Mme Rosé / Il fait un froid à congeler un canard.

Antoine / Moi, j'aime bien les canards.


Mme Rosé / Au fait, mon mari, vous l'auriez pas vu ?

Antoine / Je sais pas, je l'connais pas, votre mari.

Mme Rosé / Moi non plus. J'croyais bien l'connaître.


Antoine / C'est comme ma femme, vous l'auriez pas vue non plus ?

Madame Rosé / Elle est comment, votre femme ?


Antoine / Moche.

Madame Rosé / Une de perdue, dix de r'trouvées !

Antoine / Mais celle-là, j'y suis habituée.

Mme Rosé / On s'habitue à tout.

Antoine / Au fait, c'est comment qu'elle s'appelle la p'tite dame ?


Mme Rosé / Rosé, mais mes amis m’appellent madame.


Antoine / Moi c'est monsieur Antoine, mais c'est rare qu'on m'appelle.

Mme Rosé / Et vous faîtes quoi dans la vie ?

Antoine / Rien.

Mme Rosé / On peut pas tout faire.

Antoine / Qu'est-ce qu'elle boit, la p'tite dame ?

Mme Rosé / Je ne voudrais pas vous abuser.

Antoine / A deux on boit mieux.

Mme Rosé / Je ne bois que dans les petites occasions.


Antoine / Moi aussi.

Mme Rosé / Un whisky !

Antoine / Mince ! J'ai oublié mon porte-monnaie !

Mme Rosé / C'est pas grave, moi aussi. (Elle crie) Un whisky !

Antoine / Une bière !

Ils attendent

Antoine / (Il crie) Y'a quelqu'un ?

Mme Rosé / Oui.

Antoine / Ah ben oui.

Mme Rosé / C'est calme ici.

Antoine / Ça dépend des jours.

Mme Rosé / Et au milieu du village, c'est bien situé comme bar.

Antoine / Le service est un peu long, non ?

Mme Rosé / Qu'est-ce qu'ils foutent ! Oh les fainéants ! Y'a des clients !

Antoine / Ça doit être l'heure de pointe.

Mme Rosé / Et sinon, pour votre femme, vous n'avez jamais songé..

Antoine / (Il regarde madame Rosé qui est brune / Inverser selon les couleurs selon les cheveux de la comédienne) Je préfère les blondes.


Madame Rosé / Les blondes ?

Antoine / C'est ça, mais les brunes, quand y'a que ça, je crache pas d'ssus.

Scène 2 / Madame Rosé  Antoine / Boucher

Le boucher entre

Boucher / Police des mœurs ! Pas un geste ! Les mains en l'air !

Antoine / Tiens vlà l'comique.

Madame Rosé / C'est celui qui vend de la viande avariée.


Boucher / Euh... Y'a personne ?


Antoine / Y'a nous.


Boucher / Mais.. Le patron.. La patronne ?

Scène 3 / Madame Rosé / Boucher / Jo / Antoine

Jo entre

Jo / Qu'est-ce qu'il lui veut, à la patronne ?


Boucher / Ben.. Je m'inquiétais. Parce qu'hier..


Jo / Elle est pas visible, la patronne.

Boucher / Elle est là ?


Jo / Elle est là, et elle est pas là. Elle est indisponible, la patronne.


Boucher / Indisponible ?


Jo
/ Indisponible. Pas disposée. Interdite. La patronne, elle fait la gueule !


Boucher / Et pourquoi ?


Jo / Il demande pourquoi. Mais si toi tu l'sais pas, qui c'est qui va l'savoir ?


Boucher / Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?


Jo / Elle veut vendre ! La patronne !

Boucher / Ah ! Tu m'as fait peur.


Jo / Comment ?

Boucher / Je croyais que c'était plus grave

Jo / Mon père, mon grand-père, mon arrière grand père, mon arrière arrière arrière grand père, tenaient ce bar !

Boucher / Mon pauvre vieux..

Mme Rosé / Et mon whisky ?

Jo / Y'a pas d'whisky.

Mme Rosé / Ben.. Alors, une petite vodka.


Antoine / Et une bière ?

Mme Rosé / On refuse de nous servir ?

Antoine / S'il vous plaît ?

Jo / Y'a pas d'whisky ! Ya pas d'vodka ! Y’a pas d'bière ! Et l'pinard, terminé ! Que dalle ! Négatif ! Je sers plus.

Boucher / Tu veux plus servir ?


Jo / C'est ça. Comme ma femme, elle ne sert plus non plus. Je fais grève !

Boucher / Mais pourquoi t'as ouvert ?


Jo / Obligé ! Sinon, on va croire que je suis en vacances. Je fais grève sur le tas ! Grève générale !

Boucher / Mais pourquoi t'es là ?

Jo / J'occupe les locaux.


Boucher / En même temps, c'est chez toi.

Jo / La route passera pas par moi ! No pasaran !

Antoine / Et la quinzaine du blanc ?


Jo / Elle va pas passer la s'maine, la quinzaine du blanc !

Boucher  / D'habitude, y'a du monde qui vient.

Jo / Les clients, je m'en fous ! Et je préviens, j'ai suffisamment de gnôle dans la cave pour tout faire sauter !

Antoine / Y'a d'la gnôle ?

Mme Rosé / (Madame Rosé part) Bon et bien, meilleure santé hein !

Jo / C'est ça, tirez vous.

Boucher / Tu t'rends compte de ce que tu dis ?

Jo / Oui monsieur.

Mme Rosé / Oh ben mince, il pleut.

Antoine / Un vrai temps de cocu !


Mme Rosé / Et mon pauvre mari qu'est dehors.

Scène 4 / Jo / Boucher / Antoine

Jo / Qu'est-ce qu'elle veut veut dire par là ?


Boucher / Quoi ?


Jo / Un temps de cocu ? Toi le journaliste, t'aurais pas une petite idée ? .. Hein ? Parce que, si jamais, j'apprenais.. J'te dis pas le carnage. Le gars, il finirait en première page dans l'journal !


Boucher / Bien. Oh ! Dis donc. Le temps passe. On est là, on papote, et la bidoche, elle va pas se vendre toute seule. Allez, à bientôt. Et surtout, gardes la pêche.

Jo / Au fait ? Tu veux pas lui causer, à ma femme ? Elle t'aime bien, toi.


Boucher / Euh.. Une autre fois. Je suis déjà en retard. Oh la la ! Et t'as vu l'temps ? Un vrai temps de.. De chien. Bon. Au r'voir.

Le boucher sort

Antoine / Tu veux que j'lui cause, moi, à ta femme ?


Jo / J'te cause ?

Antoine / On peut rien dire..

Scène 5 : Jo / Antoine / Contrôleur services de l'hygiène

La (ou le) contrôleur des services de l'hygiène entre

Contrôleur / Bonjour Monsieur. C'est bien ici le bar ?

Jo / Non. C'est une pharmacie.

Contrôleur / Je vois que je tombe mal.

Jo / Si c'est pour emmerder le monde, vous pouvez repartir.

Contrôleur / Je vois que j'ai à faire à un dur à cuire. Alors, il s’calmer tout d’suite ; c’est pour un contrôle.

Jo / Si c'est pour la visite médicale, je l'ai passé y'a dix ans

Contrôleur / Je ne m'occupe pas des malades.

Jo / Vous voyez pas que je bosse ?

Contrôleur / Je vois que j'arrive en plein coup d'feu.

Jo / C'est ça.

Contrôleur / Ah ! Je me présente : Aimé Lamalle.

Jo / Aimé Lamalle.. Comme le Maire ?

Contrôleur / C'est ça. Comme le Maire. Nous sommes de la même mère. Et je crois bien, du même père aussi.

Jo / Il veut quoi ? Me faire chanter ? J'vous préviens, je chante faux.

Contrôleur / Je viens contrôler le bar.


Jo / Le fumier..


Contrôleur / Pardon ?

Jo / Le maire ! Le fumier ! L'enflure ! La pourriture ! C'est clair ?

Antoine / Ah ben c'est ça, c'est l'maire.


Contrôleur / Bien... Euh.. Alors je veux tout voir !


Jo / Qu'est-ce qu'il veut voir ? Mon.. ?

Contrôleur / D'accord.. On veut jouer.. Je me représente. Aimé Lamalle. Services de l'hygiène. Contrôle général ! Alors, on va faire simple : Les bouteilles ! Les factures ! Les étiquettes ! Les bons de commande ! Les bons de livraison !

Jo / C'est tout ?

Contrôleur / (Il regarde une étiquette de bouteille) Tiens tiens.. Cette étiquette a plus de dix ans. Vous pouvez m'expliquer ?


Jo / D'habitude, les bouteilles font pas la s'maine..

Contrôleur / Noms ! Prénoms ! Adresses ! Dates de naissance des fournisseurs ! Numéro de sécurité sociale ! Fiche d'état civil ! Certificats de mariage ! Comptabilité et carte grise du véhicule !

Jo / Il (Ou elle) veut pas mes vieux carnets d'notes à l'école ?

Contrôleur / Et si jamais je trouve le moindre pet de travers, votre bar, je le coule.

Jo / Oh mais c'est qu'il en a, des idées, l'emmerdeur ! (Ou emmerdeuse)

Contrôleur / Vous avez dit ?


Jo / Emmerdeuse. A N M E R D E U R ! C'est français.

Contrôleur / Alors ça va être très simple ! Votre boui-boui, je peux le fermer rien qu'en claquant des doigts.


Jo / (Il sort le fusil) Et moi, avec un seul doigt, je peux lui fermer son clapet.

Contrôleur / Des menaces ?


Jo / Non. Des promesses !


Contrôleur / Euh.. On peut discuter..

Antoine / (Au contrôleur) Quand il a l'fusil, il est pas très causant.

Contrôleur / Vous allez vous attirer des ennuis.


Antoine / Le Jojo, faut jamais l’énerver.

Contrôleur / Euh.. Peut-être que je peux remettre le contrôle..

Jo / Pas question ! Vous allez commencer par la cave.

Contrôleur / La cave ?

Jo / C'est une cave très ancienne.

Contrôleur / C'est pas indispensable.


Jo / Mais si. C'est juste en dessous. Venez par là, que je vous montre.

Contrôleur / Je préférerais commencer par le haut.

Jo / Commencez par le bas. En plus, ma cave date au moins de Louis Quatorze. Vous avez de la chance, c'est rare qu'on la visite.

Antoine / Je peux visiter ?


Jo / Toi tu bouges pas.

Antoine / (Murmuré) J'aime bien les caves..

Le contrôleur va derrière le bar. On entend le monte-charge, le contrôleur descend

Contrôleur / Y'a pas d'lumière.

Jo / Mais si. A droite, le petit interrupteur.

Contrôleur / Et si je veux remonter ?

Jo / Faut d'abord que vous examiniez toutes les bouteilles.


Contrôleur / Yen a partout !


Jo / Justement. Prenez votre temps.

Le contrôleur va dans la cave

Scène 6 / Jo / Antoine

Antoine / T'a pas peur qu'il se mette à boire. Parce que, enfermé dans une cave, ça peut inciter.

Jo / J'm'en fous. Tiens, j'te paye un coup ?


Antoine / C'est vrai ? C'est rare que tu m'offres à boire. C'était quand déjà ?

Jo / Quand j'ai appris le décès de ma belle-mère.


Antoine / Y'en a pas assez, des belles mères.

Jo lui apporte directement une bouteille.

Antoine / Ça c'est gentil.


Jo / C'est normal. Toi, je sais que t'es sincère.


Antoine / Ça c'est vrai. Quand je bois, je suis toujours sincère.

Ils vident le verre d'un trait

Jo / Allez, on va lui mettre sa petite sœur

Antoine / J'espère que t'as une grande famille.

Jo sert à nouveau.

Scène 7 / Jo / Antoine / Institutrice

L'institutrice entre avec une pancarte «Non à la voie express».

Institutrice / Bravo ! Ça c'est bien. Ça s'appelle de la contestation. Je l'dis tous les jours à l'école. La lutte de classes, c'est l'avenir.

Jo / Vous buvez quoi ?

Institutrice / Ah non ! Je ne veux pas casser le mouvement de grève. Vous faites grève, je fais grève, nous faisons grève, ils ou elles font grève.

Jo / Oui, mais nous, on est les meneurs.


Institutrice / Alors dans ce cas là, on peut, parce que là, on est dans le domaine privé.

Jo / Donc on peut boire. (Jo lui sert à boire)

Institutrice / J'ai distribué des tracts à l'école, j'ai appelé partout, la télé, la radio, les journaux. .. (Elle regarde le verre et l'avale) C'était quoi ?

Jo / C'était pas d'la flotte !

Institutrice / Tant mieux ! Parce pour garder les bars, les gens, faut les encourager à boire. Un café rempli, c'est un village qui vit !

Jo lui sert à nouveau à boire

Scène 8 / Jo / Antoine / Institutrice / Boucher

Le boucher entre

Boucher / Ah vous êtes là. Je vous cherchais.


Institutrice  / Quand on m'cherche, on m'trouve !

Boucher / C'est parce que dans l'village, ça commence à réagir.

Institutrice / C'est pas trop tôt.


Boucher / A la boulangerie, ça gueule.

Antoine / A la boulangerie, ça gueule enfariné !

Jo, le boucher et l'institutrice le regardent sans dire un mot

Antoine / (Murmuré) D'habitude, ça fait rigoler..

Boucher / Les gens ne sont pas contents

Institutrice / Excellent !

Boucher / Ils veulent manifester

Institutrice / Tant mieux !

Boucher / Évidemment, y'en a qui ne veulent pas s'mouiller.

Antoine se lève et va aux toilettes. Il emporte sa bouteille, les autres le regardent

Institutrice / (Elle regarde le public) Y'en a toujours qui ne veulent pas se mouiller..

Antoine / Messieurs dames... (Il entre dans les toilettes)

Scène 9 / Jo / Institutrice / Boucher

Institutrice / Bon. Maintenant, on va défiler.

Jo / On va où ?

Institutrice / Dans le village, on fait vingt kilomètres.


Boucher / A pied ?


Institutrice / Faut qu'on soit vus.


Boucher / Le village fait deux kilomètres de long.


Institutrice / Vingt, divisé par deux, égal … ? (Elle s'adresse aussi au public) … Égal ?

Public ou boucher / Dix !

Institutrice / Dix aller et retour ! C'est rien du tout. Allez, un p'tit coup pour la route. (Elle s'envoie un autre verre) Comme disait Henri IV, ralliez vous à..à quoi déjà ?

Boucher / Mon p'tit blanc ?


Institutrice / Mon panaché ! Ralliez vous à mon panaché !

Jo disparaît derrière le bar.

Scène 10 / Jo / Institutrice / Boucher / Boulangère

La boulangère entre

Boulangère / Alors, on complote..

Boucher / Madame la boulangère. C'est si rare de vous voir ici ?

Boulangère / Et vous, c'est rare de vous voir dans votre boucherie.

Boucher / (Hypocrite) La santé ? Les enfants ? Ça va ?

Institutrice / Vous ne seriez pas de la famille, à madame Rosé ?


Boulangère / Forcément que je suis de la famille, c'est ma sœur.


Boucher / Dans le village, ils sont tous un peu de la même famille.

Institutrice / Ça explique..

Boulangère / Qu'est-ce qu’elle dit, la frigide ?

Institutrice / Tu veux t'battre ?


Boulangère / Tu veux un pain ?

Boucher / Voyons, mesdames, un peu de tenue.


Boulangère / Alors comme ça, on veut pas aider le p'tit commerce ?

Institutrice / Le p'tit commerce. C'est ça ; chez vous, c’est sûr, c'est du p'tit commerce.

Boulangère / Je lui parle, à l’ intellectuelle ?

Institutrice / Tu sais ce qu'elle te dit, l’intellectuelle ?

Boulangère / Toujours monter le bourrichon aux gamins de l'école ! En taule que j'te la mettrais, la révolutionnaire !

Institutrice / Qu'est-ce qu'il a, le petit commerce ?

Boucher / Au fait ? Comment vont les affaires ?


Boulangère / (Elle le singe) Comment vont les affaires ? Mais il se fout d'ma tronche.


Boucher / C'est dur pour tout l'monde.

Boulangère / Et l'pain dur ! Vous voulez en bouffer du pain dur ?

Institutrice / Il sera pas pire que votre pain à la flotte.

Boulangère / Mon pain à la flotte ? Occupe toi d'tes miches !

Boucher / Peut-être pourrions nous trouver un terrain d'entente..

Boulangère / Quand je parle au charcutier, j'aime pas que ce soit l'andouille qui réponde

Jo réapparaît brusquement. Il a son fusil.

Jo / Bon. C'est quoi votre petit problème ?

Boulangère / Un petit problème ! J'apprends, … Tout à fait par hasard, qu'une voie express va passer dans le village, juste à côté de la boulangerie.

Boucher / Et en plein dans l'café.

Boulangère / Justement..

Institutrice / Et alors ?

Boulangère / Comme par hasard, la route passerait dans le café.

Boucher / Comme ça, on touche pas à votre boulangerie.


Boulangère / Et pourquoi qu'elle passerait pas dans la boulangerie, la voie express ?

Boucher / Comment ça ?

Boulangère / J'ai entendu dire qu'ils donnaient du pognon.

Jo / Ils donnent pas beaucoup..

Boulangère / C'est ça, je vais t'croire.

Institutrice / Mais on s'en fout ! La route, on veut qu'elle passe ailleurs que chez nous.


Boulangère / Et si je veux qu'elle passe chez moi, la route ?

Institutrice / Vous êtes malade

Boulangère / Merci, ça va très bien, docteur.

Boucher / Elle pourrait aussi passer dans ma boucherie.

Boulangère / Depuis l'temps que j'veux vendre ! Forcément, dans les cafés, y'a des pots d'vin. Mais moi, j'donne pas à boire, je donne à manger, moi. Je pourrais refiler gratuitement des centaines de baguettes, j'aurais que mes doigts pour pleurer.


Institutrice / Mais je vais la trucider !

Jo / Ah mais si c'est qu'ça, la voie express, elle peut passer directement dans votre chambre à coucher, ça m'arrange !

Institutrice / Mais qu'est-ce qu'y dit ? C'est dans l'village qu'on en veut pas, d'la voie ?


Jo / Ah mais s'y touchent plus au café, alors là, je suis plus dans l'action.


Institutrice / Mais je vais aussi le massacrer ! Vendu !

Jo / Et alors !

Boucher / Si vous permettez, j'ai des côtelettes qui m'attendent.

Jo / Tu fais pas grève ?


Boucher / Ah ben non. Mais j'te soutiens. Tu peux compter sur moi. Je te soutiens ! A fond !

Institutrice / Dégonflé.

Boulangère / Et la boulangerie, vous la soutenez aussi ?

Boucher / Ben.. oui.

Institutrice / Pourriture

Scène 11 / Jo / Institutrice / Ingénieur / Boulangère / Annie

L'ingénieur entre accompagnée d'Annie.

Ingénieur / Alors, est-ce qu'on a réfléchi ?

Annie / C'est oui.


Jo / C'est non.

Boulangère / Pas d'accord ! Vous passerez dans mon magasin !

Ingénieur / Je ne peux pas passer partout.


Boulangère / Mais si. Je vais vous montrer.

Institutrice / Collabos !

Boulangère / Socialiste !

La boulangère va dans le public avec l'ingénieur, et trace une route imaginaire en dérangeant les spectateurs.

Boulangère / Rangez-vous ! Vous voyez pas que vous gênez !

Ingénieur / Messieurs dames, excusez du dérangement.


Boulangère / Là, vous passez là, puis par là. Quand y'a un obstacle, on passe quand même. (Au besoin, improviser)

Ingénieur / Peut-être pourrions nous passer en dessous ?


Boulangère / C'est ça, on va faire un tunnel. (Elle s'adresse de manière pas très aimable à un spectateur) Il va s’pousser ?

Jo / Pourquoi vous faîtes pas un pont ?

Boulangère / Un pont ? Non, les obstacles, on va les faire sauter.

Ingénieur / Vous voulez absolument faire une ligne droite ?

Boulangère / Une ligne droite, y'a pas plus court. (A un spectateur) On s'bouge !

Ingénieur / Et donc, vous voulez qu'on passe chez vous.

Boulangère / C'est la seule solution

Jo / Elle n'a qu'à passer par la boulangerie. De toutes façons on peut s'en passer de la boulangerie. Déjà que son pain est dégueulasse.


Boulangère / Qu'est-ce qu'il a dit ? (Elle interroge un spectateur ou une spectatrice) Vous avez entendu ce qu'il a dit ; l'autre abruti ? …. Lui et son boui-boui, je vais le rassir en moins d'deux.

Jo part dans la partie privée)

Boulangère / Je vais lui ratatiner la gueule avec sa tête de baguette trop cuite.


Jo / C'est privé !

Boulangère / Rien à secouer !

Ingénieur / Voyons ! Soyez sérieux


Boulangère / La ferme !

La boulangère part à la poursuite de Jo dans la partie privée du bar. Annie les suit.

Annie / Attendez ! Je vais vous aider !

Scène 12 / Institutrice / Maire / Ingénieur

Le Maire entre.

Maire / Vous auriez pas vu mon frère ? (Ou ma sœur)

Institutrice / Vous avez un frère ?

Maire / Il travaille aux services de l'hygiène

Institutrice / Et alors ?


Maire / Il devait venir contrôler ici..

Institutrice / Contrôler quoi ?


Maire / Euh..

Institutrice / L'ordure.

Maire / C'est pour éviter qu'on s'empoisonne.

Institutrice / Tout est bon pour son projet à la mord moi l'nœud.

Ingénieur / Voyons madame. Vous avez des expressions un peu..


Institutrice / Et toi, t'as une expression qui m'revient pas, alors t'écrases !

Maire / C'était pour rendre service.


Institutrice / Je sens que je vais rendre service au village, moi.

Ingénieur / Si je puis me permettre..

Institutrice / La routière, elle va finir dans le décor !

Maire / Il doit y avoir une solution.

Institutrice / Il a qu'à appeler les casques bleus.

Maire / Attention ! Je suis pas n'importe qui !

Institutrice / Moi non plus.

Ingénieur / Il faut être raisonnable.

Institutrice / On vous a sonnée ?

Maire / Vous refusez le progrès.

Institutrice / Je le dis tous les jours à l'école. Méfiez-vous du maire !

Maire / Mais c'est mon frère. J'y tiens.

Institutrice / Puisqu'on vous dit qu'il n’est pas là.

Maire / Vous êtes sûre ?

Institutrice / Je sens que je vais m'énerver.

Maire / Je vais peut-être y'aller,.

Institutrice / C'est ça. Cassez-vous !

Maire / (Il s'en va) On essaie de se rendre utile et voilà les remerciements..

Ingénieur / Attendez moi monsieur le Maire, nous devons faire le point.

L'ingénieur et le maire partent

Scène 13 / Institutrice / Antoine / Mme Rosé

Institutrice / Les rats quittent le navire (Elle boit un verre)

On entend Antoine à travers la porte des toilettes

Antoine / Y'a quelqu'un ?

Institutrice / Y'a personne !

Antoine / Mais si. C'est moi, c'est Antoine !

Institutrice / J'm'en fous !

Antoine / C'est toi chérie ? T'es revenue ?

Institutrice / C'est pas ta femme, patate !

Antoine / C'est la femme à qui ?


Institutrice / C'est la femme à personne !


Antoine / Je suis enfermé dans les WC.

Institutrice / Démerdez-vous !

Antoine / Au s'cours !

Scène 14 / Institutrice / Antoine / Mme Rosé

Madame Rosé entre

Mme Rosé / Qu'est-ce qu'y s'passe ?

Institutrice / Y'a un malade enfermé dans les toilettes.

Mme Rosé va devant la porte des toilettes

Mme Rosé / Y'a quelqu'un ?

Antoine / C'est Antoine

Mme Rosé / Monsieur Antoine ! Faut le sortir de là. Il risque l’asphyxie. Antoine, dîtes quelque chose !


Antoine / Bonjour.

Institutrice / Vous n’avez qu'à appeler les pompiers.

Mme Rosé / Faut faire quelque chose. Rester enfermé dans les toilettes, c'est affreux.


Institutrice / C'est pas affreux, c'est la nature.

Mme Rosé / Antoine, vous m'entendez ? …. J'entends plus rien.

Institutrice / C'est qu'il a rien à dire.


Mme Rosé / Antoine ? Ah mais je vais défoncer la porte. (au public) Y'a pas une hache dans l'coin ? Ah ! (Elle va derrière le bar et revient avec une hachette) Je vais l'ouvrir, cette connasse de porte.

Scène 15 / Institutrice / Antoine / Mme Rosé / Contrôleur / Antoine

Le contrôleur sort des toilettes

Contrôleur / Enfin un peu d'air.

Mme Rosé / Mais c'est pas monsieur Antoine ?

Contrôleur / Non moi, je suis Aimé. (e)

Mme Rosé / Tant mieux pour vous.

Contrôleur / Aimé(e) Lamalle. Contrôleur, et je préviens, ça va chier.

Mme Rosé / Et l'autre ? Monsieur Antoine ?

Contrôleur / Ah oui ! Celui que j'ai croisé..

Mme Rosé / Vous avez croisé.. ? Et vous venez d'où ?

Contrôleur / Je viens de la cave.

Mme Rosé / De la cave ?

Contrôleur / Le proprio a cru pouvoir se débarrasser de moi, mais attention, contrôleur !

Mme Rosé / Et vous êtes passé par les waters ?


Contrôleur / Je passe partout.

Institutrice / Qu'est-ce que vous cherchiez dans la cave ? Du pétrole ?

Contrôleur / Je contrôle ! Alors je fouille, je déplace une cinquantaine de casiers et hop ! Dans le mille, Émile ! Je tombe sur une porte, puis un couloir, puis un autre couloir, puis encore une porte, et me voilà.


Institutrice / C'est magique

Contrôleur / Et je peux vous dire que ça va pas s'passer comme ça. Je vais faire tout de suite mon rapport.


Institutrice / Un rapport ? Et à qui ?

Contrôleur / Au maire ! Et après le café, terminé !


Institutrice / Mais on va vous fusiller à la libération ! Mais retenez moi ! (Elle s'accroche au bar)

Contrôleur / La cinglée, elle me fait pas peur ! Allez, salut les paumés !

Le contrôleur part

Scène 16 / Institutrice / Antoine / Mme Rosé

Mme Rosé / Monsieur Antoine ? Il est où ?


Institutrice / Les hommes, ça disparaît vite..

On entend le bruit du monte-charge, puis Antoine apparaît derrière le bar, brandissant une bouteille.

Antoine / Tournée générale !

Mme Rosé / Oh monsieur Antoine ! J'ai tellement «t'eu» peur. (Elle le rejoint derrière le bar)


Antoine / Je demande le droit d'asile !

Institutrice / C'est pas une cave, c'est un gruyère.

Antoine / La cave, c'est sympa !

Mme Rosé / Je vous croyais dans les toilettes.

Antoine / Je savais pas qu'il y avait une ouverture pour aller dans la cave. C'est dingue !

Institutrice / Et vous avez entendu, pour le bar ?


Antoine / J'ai tout entendu. Et attention, bourré, je me rappelle tout en double !

Antoine prend un torchon et s'en sert comme d'une marionnette. On ne voit que les marionnettes qu'ils agitent, cachés, derrière le bar.

Antoine (Marionnette Ingénieur) / Hé monsieur Jo ! Votre boui-boui, je vais vous l'fermer en moins d'deux !

Mme Rosé en fait autant

Mme Rosé (Marionnette Jo) / Oh non ! Vous n'allez pas me fermer.

Antoine (Marionnette Ingénieur) / Le progrès, faut qu'y passe !


Mme Rosé (Marionnette Jo) / Faudra que vous me passiez sur le corps avant

Antoine (Marionnette Ingénieur) / Calmez vous ou je vous envoie au bagne, à Toulon, avec Jean Valjean !

Mme Rosé (Marionnette Jo) / Oh non. J'aime pas la mer !

Scène 17 / Institutrice / Antoine / Mme Rosé / Annie

Annie entre de la partie privée, elle a les cheveux défaits et se recoiffe

Annie / C'est quoi, ce cirque ?

Antoine / (Marionnette Jo) C'est rien, euh.. chérie..

Mme Rosé (Marionnette Ingénieur) / On allait partir !

Annie / C'est ça, tirez-vous.

Puis Antoine et Mme Rosé disparaissent en faisant faire au revoir par les marionnettes.

Antoine, Mme Rosé / Au revoir les enfants !

Scène 17 / Institutrice / Annie / Jo

Jo entre de la partie privée. Comme Annie, il remet aussi de l'ordre dans sa tenue.

Jo / Qu'est-ce qui s'passe ?

Annie / C'est rien, mon chéri.

Institutrice / Mon chéri ?

Annie / Et alors ? Ça dérange ?

Institutrice / C'est madame Rosé et monsieur Antoine. Ça va être le couple de l'année !

Jo / Et l'autre, le (ou la) contrôleur ?


Institutrice / La Gestapo ! Elle est partie.

Jo / Elle est partie où ?

Institutrice / Chez l'Maire. Mais moi, je suis là, et tant que je serais là, on touchera pas au bar !

Scène 19 / Institutrice / Annie / Jo / Boucher / Boulangère

Le boucher entre

Boucher / Ah mes amis ! C'est le bordel ! Tout le village s’y est mis !


Institutrice / C'est la guerre ! Yes !

Boucher / Ils veulent tous que la route passe chez eux. Dans leur cuisine, dans leur chambre à coucher. A cause des indemnités.

Institutrice / Les vendus.

Boucher / A la maison de retraite, y'a un p'tit vieux qu'est venu avec un bulldozer. Il veut raser la maison de retraite.

Annie / Et papa qui est dedans.


Jo / En même temps, ton père..

Annie / Tu vas pas recommencer !


Jo / Mais non, mon cœur.

Boucher / Vous vous..

Annie / Oui.. Nous nous..

Jo / On ira.. Où tu voudras, quand tu voudras.

Annie / Institutrice / (Elles chantent) Et on s'aimera encore.

Annie, Jo / Lorsque l'amour sera mort.

Institutrice / Vous allez vendre votre boui-boui ?


Annie et Jo / On ne vend plus !

La boulangère entre en sortant des WC.

Boulangère / Alors, on parlait d'moi, hein !

Boucher / Mais pas du tout

Jo / Comment vous êtes entrée ?

Boulangère / Là dessous, c'est pire que le métro. J'ai même croisé le garagiste.

Boucher / Y'en a sûrement d'autres ! La pharmacienne veut aussi la route chez elle. Y'a eu une bagarre générale à la pharmacie. La pharmacienne est à l'hôpital !

Institutrice / Et la police ? Que fait la police ?

Boucher / Les gendarmes ont refusé d'intervenir.


Jo / Et pourquoi ?

Boucher / Parce que si la route passe dans la gendarmerie, ce sera plus facile pour les PV.

Annie / Et les habitants ? Ils font quoi ?


Boucher / Ils veulent entrer dans la mairie. Le maire a pris la fuite.

Boulanger / Les gendarmes veulent la route chez eux. Mais je vais aller la voir, la poulaille. Qui c'est qui commande ici ?

Elle part 

Scène 19 / Institutrice / Annie / Jo / Boucher / Ingénieur

L'ingénieur entre (par la porte)

Ingénieur / Je suis désolée de déranger, mais..


Institutrice / Tiens, vlà l'génie civil.

Jo / Vous cherchez quoi ?

Ingénieur / Le Maire a disparu !

Institutrice / Le Maire, dès qu'il y'a un problème, il est introuvable.

Ingénieur / Nous devions signer aujourd'hui.

Institutrice / A mon avis, il va être massacré par la population.

Ingénieur / Ce serait affreux.


Institutrice / Déjà qu'il n'est pas beau à voir.

Scène 20 / Institutrice / Annie / Jo / Boucher / Ingénieur


On entend la chasse d'eau. Tout le monde se tait, puis le maire entre.

Maire / Ah mes amis ! Heureusement vous êtes là.

Ingénieur / Mais d'où il sort ?


Institutrice / C'est rien, c'est magique.


Maire / (Comme lisant un discours) Concitoyennes, concitoyens ! En ces heures si troublées, en ces heures si agitées, en ces heures si..


Institutrice / Abrège !

Maire / Alors c'est simple, tout l'monde veut tout ; c'est l'bazar, mais heureusement ! J'ai sauvé ma vie.

Ingénieur / Mais monsieur (ou madame) le Maire ?

Maire / Évitez de prononcer ce mot. Je suis là, mais c'est comme si j'étais pas là.

Ingénieur / Mais comment êtes vous arrivé ici ?


Maire / Grâce à monsieur Antoine. Il est arrivé dans la mairie par un souterrain. .. Y'a des souterrains partout. On s'rend pas compte, mais en dessous, ça circule. Alors je suis parti par en d’ssous, parce qu'au dessus, y'a trop d'risques.

Scène 21 / Institutrice / Annie / Jo / Boucher / Ingénieur / Maire / Antoine

Antoine entre, affolé.

Antoine / Vous avez pas vu madame Rosé ?

Maire / Antoine ! Mon sauveur ! (Il le serre dans ses bras)

Antoine / (Il a du mal à respirer) Je suis passé par la cave de madame Rosé. Avec les souterrains, on va partout.


Institutrice / Y'en a pas un qu'arrive à la banque ?

Antoine / Et alors, je suis tombé sur un os.

Annie / Qui ça ?

Antoine / Un os ! Un vrai ! (Il montre un os)

Annie / Quelle horreur !

Institutrice / (Elle l'examine) Je suis formelle. C'est un tibia. Individu de taille moyenne. Yeux blancs, brun frisé. Quarante cinq de tour de taille, quatre vingt huit kilos, et qui est mort en bonne santé.

Maire / Dans la cave de madame Rosé ? Un tibia ?

Ingénieur / Vous êtes sûre qu'il s'agit d'un tibia humain.

Institutrice / Aussi sûre que vous en tenez une couche ?

Antoine / C'est comme le mien quand on m'a vu à la radio.

Ingénieur / Ouf ! J'ai cru qu'il s'agissait d'un os de tyrannosaure ou d'un diplodocus, et alors, là je vous dis pas bonjour les complications !


Maire / Ça c'est vrai. Parce qu'alors là, blocage des travaux. Et avant que ça r'prenne, y'aura de l'eau sous les ponts.

Annie / Qu'est-ce que vous allez faire ?


Maire / Il est mort, on va enterrer l'affaire.


Ingénieur / Génial ! Comme ça, on pourra faire notre petite route.. Naturellement, si faut aider, pour les frais..

Scène 22 / Institutrice / Annie / Jo / Boucher / Ingénieur / Maire / Antoine / Mme Rosé

Madame Rosé entre

Mme Rosé / Vous auriez pas vu monsieur Antoine ?


Maire / Ah madame Rosé vous tombez bien. Figurez-vous que monsieur Antoine a trouvé un os dans votre cave


Mme Rosé / J'ai pas l'temps.

Boucher / Mais qu'est-ce qu'y s'passe ?

Institutrice / Ah ! La presse se réveille !

Mme Rosé / Y'a des gens dehors ! Ils me suivent. Ils disent que vous vous êtes tous entendus pour la route. Que vous êtes tous pourris ?


Maire / Tous ?

Institutrice / Presque.

Mme Rosé / Ben oui.

On entend le bruit d'un bulldozer

Annie / Qu'est-ce qu'ils ce qu'ils veulent ?


Mme Rosé / Ils veulent raser le village.

Ingénieur / Mais pourquoi ?

Mme Rosé / Chacun veut que la route passe chez lui pour toucher le pognon.

Jo / Jamais ! (Il se place devant la porte, en écartant les bras)

Annie / Ferme la porte, abruti !

Maire / Peut-être que je devrais aller leur parler


Annie / Surtout pas ! Mois vous en dîtes, moins on risque.


Ingénieur / Mais alors, qu'est-ce qu'on fait ?


Maire / Attendez que je réfléchisse..On s'tire !

Ingénieur / Mais par où ?

Maire / Chacun pour soi !

Boucher / Et pour la route ? Qu'est-ce que vous allez faire ?

Maire / C'est fini la route.

Institutrice / Tant mieux !

Jo / Vous allez passer où ?

Ingénieur / La voie express, on la fera passer ailleurs.

Maire / Ailleurs ? Mais le pognon ?

Ingénieur / C'est pas les villages qui manquent.

Annie / D'accord, mais où ?

Ingénieur / Attendez que je réfléchisse. Ah oui... (Il ou elle s'adresse au public) Messieurs dames ?

Tous / Vous habitez où ?

Ingénieur / Si dans l’autre village, ils ont la même tête que ceux-là, on n'aura pas de mal à leur faire avaler le projet.

Ensuite les comédiens sont tous derrière le bar et disent au revoir au public en disparaissent en descendant sur le monte-charge.

Pendant les saluts, à l'appel de leur nom, les comédiens peuvent surgir de toutes les portes ou du monte-charge.


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