Charges

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Charges est une pièce courte qui brosse un fragment de vie de deux jeunes femmes chargées de rêves à Budapest. Szilvia Deák, hongroise, aborde le sujet de la précarité et celui de la difficulté de se loger dans une capitale européenne.

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Liste des personnages (6)

EmmaFemme • Adulte
AnnaFemme • Jeune adulte
Anna est la sœur d' Emma.
Le propriétaire Homme • Senior
La femme du propriétaire Femme • Adulte
Le boulanger Homme • Adulte
Jeune homme français Homme • Jeune adulte

Décor (1)

Acte 1 dans le centre ville de BudapestIntérieur d'une chambre modeste. Des vêtements et affaires sur les lits. Deux jeunes femmes arrivent avec des valises. Elles sont épuisées. Un bruit de télévision filtre de la chambre voisine. Dehors, des bruits de la capitale (ambulance, cri, musique, etc.).

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Acte I

 Scène 1

 

 Emma : Tu vois, on a dû faire six allers-retours, pourtant on a jeté  un tas de choses.

 Anna :  On n'aurait pas pu tout apporter, il est 11 heures du soir et d'ailleurs qui a besoin de tout ce fourbi ?

Emma : Chut, tu vas les réveiller !

 Anna : La dame regarde encore la télévision et son mari est à l'hôpital, m'a-t-elle dit au téléphone. (déçue, désenchantée)

Cette chambre est horrible et tout l'appartement sent mauvais.

 Emma : On le supporte un mois et après on cherche un autre logement. Se retrouver à la rue, ce serait mieux ?

Anna : Arrête !

 Emma : Ou bien retourner dans un trou de province, après 5 ans?

Anna : Chut, quelqu'un vient. (On frappe à la porte.)

Emma : Entrez ! (Une grosse dondon entre.)

 Femme : Salut ! Les filles ! Vous avez réussi à tout  apporter?

(Elle regarde autour d'elle, étonnée.)

Mon Dieu ! Vous avez des vêtements, dites donc!

Anna : Ce n'est  pas beaucoup.

 Emma : Oui, on a tout apporté.

 Femme : Alors, soyez les bienvenues !

 Emma : Merci, est-ce que l'on pourrait avoir une clé pour notre chambre ?

 Femme : (gênée) Je ne sais pas où elle est, demain je demanderai à papa.

Emma : Mais vous avez quand même une clé à la porte d'entrée. Hier quand j'ai versé des arrhes, on a convenu de payer le reste en prenant la chambre et évidemment je prends les clés aussi.

 Femme : J'ai la clé de la porte d'entrée seulement, je vais la chercher. (Elle revient avec les clés.)

Les voilà, je les ai fait faire hier après-midi pour 1 200 forints.

(Emma prend les clés et son portefeuille.)

 Emma : Voilà le reste. En tout  50 000 forints. Et les charges sont comprises.

(La femme prend l'argent.)

Femme : C'est ça, avec l'usage de la cuisine  et de la  salle de bains. Allez, bonne nuit !

 

Emma et Anna : Bonne nuit ! (Elles se regardent en chuchotant.)

 

Emma : Elle est bête ! Si je ne lui avais pas demandé, elle ne nous aurait pas donné de clé. Hier, elle a dit que des étudiants étrangers avaient habité ici. Où sont les clés? C'est bizarre!

 

Anna : Cela commence bien. Dormons plutôt. Je suis crevée. Nous déferons les bagages demain.

 

Noir.

 

 

 

 

 

Scène 2

 

 

Le lendemain matin. La femme est dans la cuisine. Emma entre pour préparer son café.

 Emma : Bonjour!

 Femme : Bonjour! Tu as bien dormi?

 Emma : Il faut s'y habituer.

( Elle prépare son café et aperçoit une porte qui s'ouvre sur la cuisine.)

Sur quoi ouvre cette porte?

 

Femme : Là il y a encore une chambre. En ce moment, un cousin y habite, mais il va déménager. Il n’est pas là toute la journée, part à l'aube, rentre la nuit. Il est boulanger. C'est un brave homme. Je vous le présenterai ce soir.

Emma (nerveuse) : Vous auriez dû dire quand même que quelqu'un habite ici encore. J'aimerais avoir une clé pour notre chambre, Madame.

Femme : Personne n'entre dans votre chambre. Il ne faut pas avoir peur de lui, il ne ferait pas de mal à une mouche. Et maintenant je dois partir, parce que papa m'attend à  l'hôpital.

 

Elle sort de la cuisine. Quelques secondes plus tard, Anna entre dans la cuisine.

 Anne : Elle est  partie ?

 Emma : Oui. Tu ne vas pas me croire, dans la chambre d'à côté un type habite encore.

 Anna : Quel type?

 Emma : (furieuse) Je ne sais pas, moi. Un boulanger, quoi. La dame m'a dit qu'il allait déménager.

 Anna : Le plus tôt possible, j'espère .

(Elle fouille sur les étagères.)

En tout cas, le propriétaire doit être un drôle de type.

(Il y a partout des boîtes et flacons vides.)

Pourquoi est-ce qu'il garde toutes ces boîtes vides ? Quel bordel ! Il est cinglé, ce type. Et pourquoi est-il à l'hôpital ?

 Emma : Elle m'a dit  hier, qu'il était tombé de l'échelle et s'était cassé une côte.

(Elles sont en train de prendre le petit déjeuner.)

 

Anna : Qu'est -ce que tu fais aujourd'hui ?

 

Emma : Je donne des cours, c'est moi qui vais chez les élèves, je ne veux recevoir personne ici. Tu comprends !

Anna :  Tu vois quelque part un fer à repasser ?

 

Emma : Non, mais ce soir je vais le lui  demander.

Anna : Tu veux que j'aille au travail dans une chemise non repassée.

Emma : C'est ton plus grand problème ? On  ne peut pas bouger dans notre chambre, il n'y a pas de place pour nos vêtements, on n'a  vu ni le propriétaire ni le boulanger, on ne peut pas fermer la chambre et toi tu réclames le fer à repasser. Génial !

 Anne : C'est toi qui as trouvé cette merde.

Emma : C'est ça ! Toujours moi !

 

Anna s'en va. Emma  reste seule, assise, les mains sur  le front.

 

Noir.

 

Scène  3

 

Budapest, sur une terrasse d’un café. Emma bavarde avec un jeune homme.

 

Emma : Budapest est un amour, Paris est un rêve, Madagascar est une vie précédente.

Homme : Tu parles maintenant comme Baudelaire !

Emma : Ah bon… Chacun son inspiration. Alcool, drogue, sexe…  La mienne est l’amour. Pour que je puisse écrire, il faut que je sois toujours amoureuse. J’ai lu que c’est une maladie.

Homme : Oui, ça existe.

Emma : Figure-toi, que je suis amoureuse de Budapest. Elle est rouge cette ville. À ton avis, elle est comment ?

Homme : Devine-le !

Emma : Noire.

Homme : Oui, noire. Et Paris ?

Emma : Blanc.

 

(Un temps.)

 

Homme : Quand je suis arrivé ici, ce n’était pas comme ça. Maintenant c’est comme chez nous, en France.

Emma : Et alors, c’est normal.

Homme : Si je parlais le russe, j’irais à Saint-Pétersbourg. Là-bas il y a encore quelque chose.

Emma : Quoi ?

Homme: Le développement.

Emma : Le développement ? J’en ai assez. Je veux en profiter. Je parle le russe, mais je n’ai aucune envie d’y aller. J’irais plutôt à Paris.

Homme : Le centre n’est plus là. C’était pendant le symbolisme. Maintenant c’est en Russie, enfin c'est ce qu'on dit.

 

Emma : On, c’est qui exactement ? Moi, je vois autrement. Paris restera le centre pour toujours, et si tu vas toujours dans un pays moins développé, tu arrives où ? Tu changes de pays parce que tu es incapable de vivre où tu es. Tu choisis une autre vie en espérant toujours que ça va marcher.

 

Homme : Il y a quelque chose de vrai dans ton discours, mais, chez toi c’est pareil.  (Il sourit.)

 

On les voit discuter vivement, après un certain temps ils quittent le café ensemble.

 

Noir.

 

Scène 4

 

 

Le surlendemain matin. Emma vient d'arriver et entre dans leur chambre. Anna est encore au lit.

 

Anna : Tu étais où? Tu ne téléphones pas, tu as disparu comme ça, sans rien dire. Je pensais qu'il t'était arrivé quelque chose.

Emma : Il n'y a rien. Hier après-midi, j'ai rencontré à la bibliothèque l' étudiant français dont je t'ai déjà parlé.

Anna : Tu as dormi chez lui ? Tu ne connais même pas son nom.

Emma : Maintenant je le connais : Christian. J'ai couché avec lui.

Anna : Tu es folle. Et c'était comment ?

Emma : Drôle. J'ai  eu besoin d'un peu de tendresse.

J'étais confondue, dans cette situation incertaine, qu'est-ce que tu veux ? Je suis très inquiète pour mon  livre aussi, tu sais que j'attends la réponse de l'éditeur.

Anna : Et vous, vous allez vous revoir ?

 

 

Emma : Je ne sais pas. Il m'a donné son numéro comme je n'ai pas de portable, mais j'hésite à l'appeler.  Il n'est pas comme je l'imaginais et je crois qu'il pense la même chose de moi . C'est un  pessimiste, cynique. On est trop différents. Il vaut mieux l'oublier. Pourtant c'est vrai qu'il est très beau et j'aime le regarder quand il parle.

Anna : Tu es tombée amoureuse de ce garçon.

Emma : Non, pas du tout. Je ne vais pas l'appeler.

Anna : On verra. Vous avez parlé en  français ou en hongrois ?

Emma : En hongrois. Il le parle très bien, ça fait quatre ans qu'il habite à Budapest. Il loue un appartement dans le centre-ville.

Anna : Alors, il connaît la vie.

Emma : Il me semble. Mais il est trop jeune pour moi. Dans cette situation, il ne me manque qu'un étudiant.

Anna : Je n'arrive pas à comprendre, comment tu pouvais coucher avec lui.

 Emma : Moi non plus. Tu as déjà pris ton petit-déjeuner ?

Anna : Non, pas encore.

Emma : J'ai très faim, mangeons !

 

Elles vont dans la cuisine. Anne prépare  le café, Emma met la table. La porte s'ouvre, le boulanger sort de sa chambre (grand, timide).

 

Le boulanger : Bonjour !

 Emma et Anna : (étonnées) Bonjour !

 Le  boulanger : Vous êtes les nouvelles sous-locataires ? Moi, c'est Gabor.

Emma : Je suis Emma et voici Anna ma petite sœur. Vous êtes de la famille ?

 Le boulanger : Non, pas du tout. C'est la dame qui vous a dit ça ?

 Emma : Oui

 Le boulanger : C'est une menteuse et son compagnon est encore pire.

 Emma : Alors, vous n'allez pas déménager non plus, je suppose.

Le boulanger : Je n'en ai pas l'intention, je viens de  payer le loyer pour le mois prochain.

 Emma : Je vois. (sirotant son café, curieuse)

 

 

Le boulanger : Écoutez, si je peux vous donner un conseil, méfiez-vous de ce couple. Ils louent leur chambre, prennent l'argent puis embêtent les sous-locataires pour qu'ils partent le plus tôt possible. Comme ça ils en prennent un nouveau. C'est leur truc. Bonne journée! Courage !

(Il s'en va.)

 Emma : On est dans la merde !

 Anna : Nous ne pouvons pas partir, tu sais qu'on ne peut pas payer un autre logement, on a eu juste assez d'argent pour ça.

 

Noir.

 

 

 

Scène 5

 

 

Emma et Anna viennent de rentrer.

 

Emma : Quelqu'un a passé  l'aspirateur et a  mis de l'ordre.

 Anna : Comment est-ce qu'ils osent entrer dans notre chambre ?  (On frappe à la porte.)

 Emma : Entrez ! (Le propriétaire entre. Mince, les cheveux blancs. Un air sérieux.)

Le propriétaire : Bonjour, mesdemoiselles !

Anna et Emma : Bonjour Monsieur !

 

Le  propriétaire : Ma femme a dit que nous avions de nouvelles sous-locataires très charmantes.

J'ai passé l'aspirateur dans votre chambre parce que ma femme a oublié, elle a eu tant de choses à faire.

Emma : C'est gentil, mais nous pouvons le faire nous-mêmes.

Le propriétaire : Vous avez tout ce qu'il faut ?

 

Emma : Pas vraiment.

Le propriétaire : Comment ça ?

Emma : On n'a pas de clé pour notre chambre.

 

Le  propriétaire : Ah, demain je vais la chercher. Ne craignez rien, j'ai quatre grandes filles, vous savez ! Personne n'entre dans votre chambre. Dormez bien ! Je vous laisse. Bonne nuit ! Ah, j'allais oublier, demain on va préparer le contrat, maintenant il est trop tard.

(Le propriétaire ferme la porte et il va dans sa chambre.)

 

Emma : Nous ne recevrons jamais cette putain de clé.

 

Anna : Ils veulent fouiller dans nos affaires.

 

Emma : Il faut trouver une solution. C'est insupportable. Je ne vais rien signer avec ce type, c'est sûr.

 

Noir.

 

Scène 6

 

 

Matin. Dans la cuisine.  Emma et Anna sont en train de manger.

 

Emma : Il faut parler avec Nora. Peut-être qu'elle pourrait nous loger pendant quelques jours.

 

Anna : Je vais l'appeler ce soir. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. J'ai eu peur qu'il revienne.

 

Emma : Moi, j'ai dormi. J'ai même fait un beau rêve. J'ai trouvé un éditeur à Paris.

Anna : On peut toujours rêver. Mais il faut aussi voir la réalité.

 

Emma : La réalité en elle-même n'est rien, il faut la remplir.

 

Anna : Tu  crois vraiment trouver un éditeur pour ton livre ?

 

Emma : Oui, j'y crois. Tu sais, hier après-midi en allant chez une élève, je me suis assise sur un banc et j'ai écrit cela. Je peux te lire.

 

Anna : Vas-y !

(Emma prend une feuille de papier de son sac. Elle commence à lire à haute voix.)

 

Menée en bateau

Camomille et domestos mélangés

Parquet craque ici un peu relent

Oui, j’ai éteint la lumière, ça va

Le café du matin refermé

Assez piquant il faut l’écharpe

Eternity utilisé, c’est sûr

Vapeur d’essence en traversant

À pas rapides, rouge, je sais, pas

La peine de klaxonner

Rue piétonne, Universel

Du tabac associé

Pâtisserie ou gaufre

Londres ou Paris

Beaux produits aujourd’hui

Paprika, betterave, broccoli

Doux, aigre, acerbe

Feuille jaune tombe sur mes cheveux

Le quai du Danube est toujours frais

S’embarquer sur un bateau

Que je ne sache pas où  il me mène

Physique, biologie, chimie

Quelque chose pourtant me retient

Emma : Alors? (incertaine)

Anna : Ce n'est pas mal. Tu l'appelles quand?

 Emma : (riant) Jamais. Je l'ai déjà dit. Je voudrais encore ajouter ce poème à mon recueil.

 Anna : J'ai l'impression que tu cherchais seulement de l'inspiration chez ce garçon.

 Emma : Peut-être. Je prends  la vie comme je l’entends.

 Anna : Tu as raison, autrement on ne peut pas survivre.

Noir.

 

Scène 7

 

 

Le boulanger est devant  la porte d'entrée.  Il frappe à la porte. On entend seulement sa voix.

 

Le boulanger : Ouvrez cette porte ! Je veux mes chaussures. Vous m'avez  volé ma nouvelle paire de chaussures.

 

La femme : Personne  n'a volé tes chaussures. On les  a mises dans ta valise. Tout est dedans et maintenant, va-t'en, sinon j'appelle la police.

 

Le boulanger : C'est ça ! Appelez-la, comme ça je pourrai leur raconter ce que vous faites avec les sous-locataires. Voleurs !

 

La femme : Tu n'as pas le droit de raconter, mon vieux, tu n'es qu'un sans-papiers. On ne peut pas te faire confiance, tu es malade, ce n'est pas par hasard que ta femme t'avait quitté.

 

 

 

Le boulanger : Vous êtes folle, Madame et ma femme est une pute ! Vous êtes là, les filles ? Vous m'entendez ?

(Il crie très fort.)

Ils vont vous voler, vous aussi et après vous mettre à la porte.

(Il s'en va, on entend ses pas s'éloigner.)

 

Pendant ce dialogue, on voit dans l'autre chambre qu'Anna met ses mains sur les oreilles et Emma marche en écoutant de la musique : une nocturne de Chopin. Le son et la lumière s'éteignent doucement.

 

 

Noir.

 

Scène 8

 

 

L'après-midi du jour suivant. Les filles préparent les valises. Elles sont pressées.

 

Emma : Dépêche-toi un peu, ils peuvent rentrer n'importe quand.

 

Anna : Je suis prête.

 

Emma : Qu'est-ce qu'elle a dit Nora, jusqu'à quand peut-on rester chez elle ?

 

Anna : Elle a dit 15 jours, pas plus, parce qu'après  ses parents reviennent d'Allemagne.

 

Emma : Sans elle on se retrouverait à la rue ! On y va ? Tu n'as rien oublié ? Tu as pris nos assiettes ?

 

Anna : Oui et les tasses aussi.

 

Emma : Allez, on y va! Ferme la porte et on va jeter la clé dans la boîte aux lettres.

 

Anna : D'accord.

 

On ne voit que leurs ombres. Elles sortent de la chambre avec les valises quand le propriétaire arrive. Il arrache la valise d'Emma, il y a une bousculade, Emma pousse l'homme et il tombe par terre. Emma et Anna quittent l'appartement.

Noir.

Fin

 

 

 


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