Combustion Spontanée

Marianne, fille de petits commerçants de province, arrive dans la grande ville et se fait embaucher comme vendeuse dans une boutique… L’écho parodique de plusieurs époques va accompagner son voyage dans le temps : l’Europe d’après guerre, mai 68, jusqu’à notre ère, remplie de technologie triomphante et de crises renouvelées.
Marianne a beau déjouer tous les pièges, ils vont inéluctablement la guetter par une déshumanisation aussi féroce qu’insaisissable.

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                      COMBUSTION SPONTANEE

 

fable sarcastique

 

d’Alan ROSSETT

 

 

 

Sélection ECLATS de Scène 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

Marianne

Clotilde

Philippe

Didier

Mon Patron

Opgood

 

 

 

 

 

 

 

Une boutique

 

Scène 1

 

(Marianne, 26 ans : elle s’adresse aux spectateurs comme à des passants dans la rue... )

 

MARIANNE  Laissez-moi vous parler... Je vous en supplie... Je sais, vous ne me connaissez pas mais... Je m’appelle Marianne. Je viens d’un petit village, oh pas très loin d’ici... Le jour où tout a commencé, je dirais hier, moi, mais non, c’était il y a des années… des années….j’ai cherché un hôtel. Je marchais dans les rues de votre ville... grouillantes de monde...

(elle a une valise à la main)  En passant devant une boutique... j’y ai jeté un coup d’oeil...

 

(Lumière sur une boutique désuète de matériaux pour cheminées. Comptoir, table de travail, étalage de grilles, de tisonniers etc. Une vraie cheminée.

Une sortie vers la réserve. Une sortie vers un bureau marquée   LE PATRON.  M. DODOU

Une autre sortie marquée : HOMMES

 

En haut, une pendule coucou.

 

Clotilde, la trentaine largement entamée, habillée sévèrement, très maquillée, figée dans le geste de montrer à Philippe, un jeune homme de 20 ans, comment tenir correctement son balai.)

 

MARIANNE  (est entrée dans la boutique, s’adresse à Philippe)  Excusez-moi...

(Philippe la regarde, l’air idiot.)   J’ai vu l’annonce dans la vitrine. Vous cherchez toujours quelqu’un pour travailler ici ?

 

CLOTILDE   Nous cherchons une jeune demoiselle,  mademoiselle. (remarque sa valise)   Vous n’êtes pas d’ici?

 

MARIANNE  Embauchez-moi et  je serai d’ici !

 

CLOTILDE   Mmmm je n’en doute pas. Mais vous croyez-vous capable de rencontrer des clients... de faire un peu de comptabilité... de nettoyage... d’époussetage…  de faire de la manutention, hein… ?

 

MARIANNE  Quand j’avais 5 ans, Papa disait que sa meilleure assistante, c’était moi ! Il n’a jamais changé d’avis ! Mon père avait un petit magasin,...

 

CLOTILDE   Alors pourquoi, n’y êtes-vous pas hmmm ?

 

MARIANNE  Le magasin a fait faillite.

 

CLOTILDE   Ce n’est guère en votre faveur !

 

MARIANNE  Mais les temps sont durs pour les petits commerces. Tellement durs que mon père... il a eu le cœur brisé... il est mort.

 

CLOTILDE   Je suis désolée. Vraiment désolée…

 

MARIANNE            Je ne savais plus quoi faire. Ce matin, un rayon de soleil m’a réveillé ... il semblait susurrer « Prends ta vie en main, Marianne ! Tu es courageuse ! Pars pour la grande ville ! »

 

CLOTILDE   Vous avez abandonné votre mère... ?

 

MARIANNE            Au ciel il y a très longtemps.

 

CLOTILDE     Mais vous êtes orpheline ! ma pauvre enfant ! Vous n’avez personne au monde qui pourrait nous reprocher les longs horaires qui seront les vôtres ! Si nous lui donnons une chance… ?!

 

MARIANNE  Je suis embauchée !?

 

CLOTILDE     Ah non, on considère votre candidature, je voudrais dire.  Je ne suis pas, moi, en position d’engager qui que ce soit !

 

MARIANNE            Vous n’êtes pas la patronne ?

 

CLOTILDE  Quelle idée ! Cela se voit que je suis une jeune demoiselle, exactement comme vous !

 

(On entend le son d’une chasse d’eau des toilettes HOMMES)

 

MARIANNE            Et le patron... ?

 

(Didier ressort, voit Marianne.)

 

DIDIER         (excité)   Une cliente ?

 

CLOTILDE  Mieux ! une candidate pour ma petite annonce !

 

DIDIER         Mamzelle Clotilde, je vous ai déjà dit, notre chiffre d’affaire ne justifie pas une augmentation du personnel.

 

CLOTILDE   Monsieur Dodou... je croyais que tout le monde était affecté en me voyant si surmené que…que…

 

DIDIER         Mamzelle Clotilde, nous sommes tous surmené, sans pour autant avoir assez de travail pour nous occuper plus de quinze minutes par jour.

 

CLOTILDE   Mais... Mais... le Patron m’avait promis... non non ça va ça va... Je ne veux pas être cause de... (pleurnicharde)   Bon. J’enlève... ma petite annonce !

 

MARIANNE  Qui est le patron enfin ?

 

DIDIER         On pourrait dire que c’est moi.

(Il voit un homme très âgé qui est sorti du bureau pour se diriger vers les toilettes :)

Mais vous auriez tort !!  Evidemment, je ne possède pas l’autorité étincelante de...

 

PATRON      (il remarque Marianne)   Ah !... (essaie de ne pas éternuer)  Ah... Ah...

 

CLOTILDE et  DIDIER   (un rite)   Choum, Mon Patron, nous espérons que ce n’est pas grave ?

 

PATRON      (larmoyant)  Votre patron ne rajeunît pas.   (à Marianne)   Elle, en revanche, est aussi fraîche que la rose du matin !

 

CLOTILDE   Et elle cherche une position chez nous.

 

PATRON      Ah ha !  (à Marianne) Quel âge as-tu, petite ?

 

MARIANNE  J’ai 26 ans.

 

PATRON      As-tu fait des études, es-tu diplômée ?

 

MARIANNE  J’ai arrêté mes études à 17 ans. Je me suis inscrite, une fois, à un cours… par correspondance !

 

PATRON      Par correspondance, ce n’est pas grave,  la démangeaison estudiantine n’est pas contagieuse! Es-tu mariée, petite ?

 

MARIANNE  Non.

 

PATRON      Eh ben il faudra cueillir la petite rose avant que son Prince Charmant nous devance : vous commencerez demain matin.

(il disparaît dans les toilettes.)

 

DIDIER         A 7 heures pile. Je crains que vous ne soyez engagée.

 

CLOTILDE   (joyeuse, danse à la vitrine)   J’enlève ma petite annonce !

 

(Les cloches de la ville sonnent.)

 

CLOTILDE et DIDIER    (chantent)  C’est l’heure !

De la fermeture !

De rentrer chez vous !

Chez nous !

 

(Le coucou sonne l’heure)

 

CLOTILDE et DIDIER    De la fermeture !

 

(La chasse d’eau sonne)

 

CLOTILDE et DIDIER     La fermeture !

 

PATRON      (ressort des toilettes, chantant)

De la fermeture !

Tout le monde peut partir !

 

PATRON et DIDIER   (chantant)   Nous allons mettre notre chapeau !

 

(Dansant, ils vont dans le bureau)

 

CLOTILDE   (embrassant Marianne )  Nous avons gagné !

 

PATRON      (ressort)       Le Patron part !

 

CLOTILDE   (au garde à vous)   Pour aller où, Mon Patron !?

 

PATRON      Oh, juste pour faire un discours devant un tas d’autres patrons. Après on va grignoter et échanger des recettes.

 

CLOTILDE   Délicieux !, Mon Patron ! Régalez vous !

 

PATRON      (d’un coup maussade)   Comme si votre Patron avait l’habitude de se régaler ! jamais ! Nom de Dieu !  Y a t-il quelque chose qui bouge dans ce grand espace vide derrière votre front ?

 

CLOTILDE   (se recroqueville, apeurée)   ... Mais, ça c’est une question intrigante ! Si j’ose dire...-

 

DIDIER          (le Patron part tandis que Didier sort du bureau)  Je vous accompagne au coin de la rue, Mamzelle Clotilde.

 

CLOTILDE   Oh Ooooh !   (tremblotante)  Oooh très bien… si vous avez vraiment envie... Monsieur Dodou ! C’est à dire...

 

DIDIER         Philippe, ferme à clé quand t’auras terminé ce que tu fais semblant de faire. Et pas de familiarités avec la nouvelle petite mamzelle. (raide)  Ha. Ha. J’ai été jeune aussi. Ha. Ha.

(il part)

 

CLOTILDE   (ne se rend pas compte qu’il est déjà parti)  ... Jeune ?... Mais vous êtes toujours....Cher monsieur... Monsieur... ?  (court après lui)  Dodou ?...   (elle a disparu)

 

MARIANNE  (à elle-même)  Est-ce que je veux vraiment travailler ici ?

 

PHILIPPE     Comme si t’avais le choix.  (Marianne est surprise)  Toi aussi, tu m’as

pris pour un débile, hein?

 

MARIANNE Beuh oui.

 

PHILIPPE     C’est pour cela qu’ils m’ont engagé. Je joue le type né pour balayer le plancher.

 

MARIANNE  Mais pourquoi ?

 

PHILIPPE     J’avais besoin d’un boulot. Les temps sont durs. Peu probable que tu trouveras autre chose. Accepte ce boulot. Je t’en prie. Tiens-moi compagnie. Dés que t’es entrée, je me suis dit, si elle reste avec nous, cette foutue boutique deviendra plus supportable.

Qu’est-ce que t’as étudié par correspondance ?

 

MARIANNE  Comment devenir un peintre célèbre comme celui du catalogue.

 

PHILIPPE       Et ?

 

MARIANNE            Un jour, cela m’a frappée : les tableaux du catalogue sont moches ! Et personne n’a jamais entendu parler du célèbre peintre. Alors j’ai jeté le catalogue. Marianne, je me suis dit, tu sais comment regarder les gens et leur parler. Ne perds pas ça et tu ne seras pas idiote. C’est cela qui est important, non, ne pas être idiote ?

 

PHILIPPE    C’est une des choses. Je vais à l’école pour apprendre des autres. Chut : une école secrète.

 

MARIANNE  Tu étudies quoi ?

 

PHILIPPE     Comment se débarrasser du patron. L’Alternatif au Boutique-isme.

 

MARIANNE  Ce veut dire... ?

 

PHILIPPE     Juste entre nous, on continue à se braquer sur des trucs qui ne marchent pas tout à fait.

 

MARIANNE   J’en suis désolée.

 

PHILIPPE     Eh ben, les patrons sont enchantés !  (il imite Mon Patron)   « Regardez ces petits galopins. Que feraient-ils si on leur permettait de gérer une boutique ? Ils ont 18 ans déjà et n’ont pas encore trouvé la formule magique qui érige les murs, à l’intérieur desquels vous, les autres, vous vous vautrez, indolents, sur une pelouse ensoleillée et en même temps protégés par des arbres ombragés nourris d’un système d’irrigation central qui gicle en fontaines colorisées ! Vous voyez ! Ces jeunes galopins n’ont rien à vous offrir. Tandis que nous, les patrons, nous n’avons jamais prétendu être parfaits. Mais au moins nous avons un système. Nous avons Une. Boutique.  (il lui prend par la main)  Bah, sortons de leur foutue boutique.

 

MARIANNE  En fait, il faut que je cherche un hôtel...

 

PHILIPPE     J’en connais un pas trop cher, près d’ici. Je t’emmène et puis je pars pour mon cours secret.

 

MARIANNE   Et moi je vais aller au grand parc !

 

PHILIPPE     Pas possible. Pourquoi aller à leur parc à la con ?

 

MARIANNE  Un jour, mes parents ont fait une excursion ici. J’ai été émerveillée par

le parc ! Jamais je n’avais vu autant de jolies fleurs... ou de gens.... Leurs épaules se balançaient comme au rythme d’une valse entamée par le petit orchestre dans le kiosque.  Ils ont toujours ces valses ?

 

PHILIPPE     Ce brouhaha insipide ?... OK, je t’emmènerai. Mais seulement parce que c’est toi... Marianne.

 

MARIANNE Tu connais mon nom... Philippe !

 

(Ils éteignent et ils vont vers la sortie...

 

Lumière verdâtre d’un parc. Son d’un petit orchestre qui joue une marche.  Lentement, pudiquement, Marianne et Philippe se baladent à travers le « parc ».)

 

MARIANNE   Quelle lune ce soir... et les étoiles, les étoiles ! Regarde toutes les fenêtres...Tous ces gens à leurs fenêtres...

 

(Maintenant la musique devient celle d’une valse : Philippe offre son bras à Marianne et, en valsant, ils disparaissent tandis que Clotilde se soulève de derrière un comptoir et regarde de loin, comme si elle était à sa fenêtre :)

 

CLOTILDE  Quelle lune ce soir !... et les étoiles, les étoiles ! En bas dans le parc les fleurs embaument l’air frais de leurs parfums... ! J’aimerais bien y faire une petite promenade. Mais je ne devrais pas ! Les gens me reconnaissent en jeune fille qui ne se promène pas seule au parc la nuit ! Si je le fais... les gens risquent d’être très confus !... Et à quoi bon ? J’accepterais la promenade....si c’est Monsieur Dodou qui me la demande. Il est... gentil. Mon Patron est gentil aussi. Je vais les mettre dans mes prières... avant de m’endormir... et essayer de m’arrêter de penser à... ces hommes...

 

NOIR

 

 

 

Scène 2

 

(Marianne tient une grille devant elle ; Clotilde  supervise sa « présentation  à un client». Philippe époussette.)

 

CLOTILDE   Oui... Oui... encore une petite chose ...  chère enfant... Nous trouvons plus gracieux que la jeune fille place une jambe devant l’autre, plutôt que d’affronter nos clients, les deux jambes écartées. C’est comme cela que Mademoiselle Clotilde a appris à mettre ses jambes il y a très longtemps !... Une autre petite chose... votre présentation a été un peu bruyante. Dans notre boutique, nous parlons très bas pour ne pas réveiller Mon Patron. Nous attendons que nos clients aient la politesse de chuchoter à leur tour. S’ils refusent, nous leur demandons de partir... Ne vous tracassez pas, le problème des clients ne se présente pas très souvent...

 

MARIANNE            Mademoiselle Clotilde...  (elle chuchote à l’oreille de Clotilde)

 

CLOTILDE  Marianne, nous trouvons plus délicat  que la jeune fille se débarrasse de cette petite nécessité avant d’arriver le matin.

 

MARIANNE Ca se trouve où ?

 

CLOTILDE   (gentiment)   Malchanceuse ! Les nôtres sont tombées en panne il y a très longtemps, elles sont parties à la réparation et on ne les a jamais revues.

 

MARIANNE  (va vers HOMMES)  Je me sers de leurs..-

 

CLOTILDE  (lui barre la route)   Vous ne pouvez pas... chère enfant...

 

MARIANNE Il faut que je...-

 

CLOTILDE   J’insiste. Cela ne se fait pas..-

 

MARIANNE Avant aujourd’hui..-

 

CLOTILDE    (hystérique, lui repoussant de force)   Monsieur Dodou ! Monsieur Dodou !

 

DIDIER         (sort du bureau)  C’est quoi, ce boucan ?

 

CLOTILDE    Elle veut... là-bas !

 

DIDIER         Pas question.

 

MARIANNE Mais..-

 

DIDIER         Un peu de discipline : La fermeture n’est  que dans deux heures.

 

MARIANNE   HEURES - Ah non -

 

DIDIER          Nous refusons de mélanger les filles avec les garçons. Nous ne voulons pas d’un précédent. Notre réponse,  « non », n’est  pas dénuée de compassion, mais c’est « non » quand même.

 

PHILIPPE     (brandit un tisonnier)  Va, Marianne... Va aux HOMMES !

 

MARIANNE (cours dans HOMMES)  Dieu merci un gentleman !

 

DIDIER         Jeune homme ! Vous avez ôtez votre masque !

 

PHILIPPE    Le vôtre dérape ! Vous n’êtes qu’un sous-fifre des Boutique-istes  Mon prof avait raison !

(Tandis que Clotilde – qui a pris un tisonnier – se glisse derrière Philippe, hésitante, puis recule dans une indécision extrême... )

Peu à peu vous êtes en train d’escamoter nos droits les plus élémentaires !

Notre seul recours est la violence !

 

(Clotilde donne à Philippe un coup sur la tête ; il tombe dans les bras de Didier, en même temps que la chasse d’eau résonne.)

 

DIDIER         Enlève-moi ça ! Là-bas...

 

(Didier et Clotilde traînent Philippe vers la cheminée ; Marianne entre)

 

MARIANNE  Qu’est-ce que vous êtes... non arrêtez...

 

CLOTILDE  Ce n’est rien, chère enfant On va simplement le faire griller.

 

MARIANNE  NOOON..-

 

(Marianne saute sur eux... Elle et Clotilde luttent tandis que Didier carrément fourre Philippe dans la cheminée ; il l’enferme en fixant un écran.)

 

CLOTILDE   Mais les ouvriers désobéissants doivent être grillés ! chère enfant ! Cela depuis toujours !

 

DIDIER         Dans la plupart des autres boutiques, il serait plus que grillé !  Demandez-le à n’importe qui.

 

CLOTILDE   (a remarqué un homme dans la rue, serviette à la main, en train de les épier) Monsieur Dodou, on nous observe.

 

(Didier couvre la bouche de Marianne avec sa main et la tire dans la réserve :)

 

CLOTILDE   (mal à l’aise)   ... Monsieur Dodou...

 

(Entre Opgood)

 

OPGOOD     Zic zac blic blac I say ach quest-questa blimey ?

 

CLOTILDE   ... Un étranger ?

 

OPGOOD     Ah je vous ai compris. Je parle un peu votre langue. Yes ? Qu’est-ce que vous vendez dans cette boutique ? Je peux farfouiller un peu ?

 

CLOTILDE  (s’évanouit presque) ...Un client... (Elle tient un écran devant elle)

Nous sommes typiques ! Nous sommes faites à la main !

 

OPGOOD     Je n’en doute pas. Mais vous êtes un peu lourde pour être trimballer de pays en pays par un touriste. Et chez moi, nous nous chauffons au gaz.

 

CLOTILDE  Mais nous aussi.

 

OPGOOD     Ca sert à quoi alors, cette antiquité ? S’il y une chose que j’ai apprise chez les Yanks...

 

CLOTILDE  (impressionnée)  Vous avez été reçu par les Yanks ?

 

OPGOOD      Mais oui...

 

CLOTILDE    Oooh aller chez eux, c’est mon rêve !

 

OPGOOD      Exposez un truc plus vendable et votre rêve se réalisera !

 

CLOTILDE   Je ne comprends pas.

 

OPGOOD     Dans le stage que j’ai effectué chez les Yanks..-

 

CLOTILDE   Ooooh...

 

OPGOOD  .  .. sur la Boutique-isme Moderne... il est une chose que j’ai bien retenu : quand un produit ne se vend plus, on le balance. C’est ce qu’on appelle le « Je vends donc je suis. »

 

DIDIER         (sa tête sort juste de la réserve)   Théorie stupide. Et qui ne marchera jamais chez nous !

 

(il est tiré de force dans la réserve, on y entend un bruit de lutte.)

 

OPGOOD     Excusez-moi, je ne m’étais pas aperçu que vous et moi, nous étions engagé dans une..-

 

DIDIER         (sa tête réapparaît)  Si vous n’aimez pas notre pays rentrez chez vous !

(il disparaît)

 

OPGOOD     Ecoutez, mon pote, si on ne m’y avait pas envoyé pour affaires, je ne resterais pas plus de cinq minutes dans votre triste bourgade. Personne ne swingue.  Rien ne se passe.  (Philippe grogne.) I say, c’est quoi à l’intérieur ?

 

CLOTILDE   Un méchant petit ouvrier ! On était sur le point de le faire griller.

 

OPGOOD     (horrifié) Grillé ? Vous grillez toujours les gens ?

 

CLOTILDE   Bien sûr.

 

OPGOOD     Nous avons arrêté cette pratique au Moyen Age. Mes amis, vous êtes des barbares.

 

MARIANNE            (saute sur scène, poursuivie par Didier)   C’est exactement mes propos ! ils ne sont pas d’accord..-

 

OPGOOD    Eh bien, d’accord ou pas, s’ils ne libèrent pas ce garçon immédiatement, je porterai l’incident à l’attention des autorités internationales !

 

DIDIER         (saisit une pelle)  Je ne vous le conseille pas.

 

OPGOOD     (recule en direction de la sortie) Il n’y a pas de raison d’être si bloody mal poli.

 

DIDIER         (à Clotilde)  Ne le laissez pas s’échapper..-

 

CLOTILDE  (gaiement, tirant sur Opgood) Vous n’allez pas partir ? Avant que Clotilde ne vous expose sa marchandise !

 

OPGOOD     (la repoussant, sort de la boutique en criant)  Help ! Police !

 

(Didier court vers la sortie mais il est stoppé par Clotilde qui s’évanouit dans ses bras... En même temps Marianne se précipite vers la cheminée et arrive à enlever l’écran... Philippe, inconscient, en sort, roulé en boule.)

 

MARIANNE Philippe !  (elle l’embrasse.)

 

PHILIPPE     (il se réveille !) Marianne ! (Il l’embrasse)

 

MARIANNE et  PHILIPPE    (retournent, furieux, à Didier)   Didier !

 

DIDIER         L’étranger a raison ! Help ! Police !

(il laisse tomber Clotilde et sort de la boutique en courant.

 

A l’extérieur lumière clignotante, on entend une explosion, un bruit de foule, Didier se précipite dans la boutique à nouveau, la tête entre les mains :)

 

DIDIER         Aaaaaah...

 

CLOTILDE   Que se passe-t-il ?

 

DIDIER         Les gens sortent en trombe de toutes les boutiques. Ils cassent tout sur leur passage, ils arrachent des arbres, ils appellent « help police » ?

 

CLOTILDE   Et la police ?

 

DIDIER         Trop occupée à tabasser les gens qui appellent « help police » pour leur prêter une quelconque assistance.

 

CLOTILDE   Mais pourquoi cela arrive-t-il, pourquoi?

 

DIDIER         Vous me demandez ça à moi ? Comme si la réponse..-.

 

OPGOOD     (se précipite dans la boutique, cabossé, paniqué)  BLAAAAAH !

 

DIDIER         La réponse est évidente (saisit Opgood au collet)   Cet étranger est le symbole  même de l’odieuse agitation des milliers de terroristes anti-Boutique-ists.

 

CLOTILDE  Ah. On le grille ?

 

DIDIER         On le grille.

 

MARIANNE Stop ! Monsieur Dodou ! Il y a quelque chose que vous devez savoir !

(elle chuchote à l’oreille de Didier tandis que Philippe conduit Opgood en sécurité derrière un écran :)

 

DIDIER         (confus)  Tout que vous m’avez dit c’a été zzzzzzzzz.

 

MARIANNE   Puisque c’était une ruse !

 

PHILIPPE     (se précipite sur Didier)  Monsieur-Dodou-il-y-a-quelque-chose-que-vous-devez-savoir !  (se penche vers Didier et lui mord l’oreille. Didier hurle tandis que Marianne et Philippe se sauvent derrière l’écran.)

 

PHILIPPE     Camarades ! Notre heure a sonné.  (il attache un deuxième écran à celui qui les protège.)

 

DIDIER          Mais que fais-tu, bon sang ?

 

PHILIPPE     (ravi)  J’érige une barricade !

 

DIDIER         Mais pourquoi ?

 

PHILIPPE     Parce que c’est ça que mon prof  m’a appris à faire ! Marianne ! : Occupation de la réserve ! d’où tu sors des écrans et encore plus d’écrans pour de plus et plus de barricades !

 

MARIANNE (confuse)  Si cela te dit...      (elle court dans la réserve)

 

DIDIER         Clotilde, ma seule amie… Ecoute-moi bien, chérie...

 

CLOTILDE  Chérie !! On se tutoie ?! Ooh ouiiii !!?

 

DIDIER         Appuie-toi contre moi.

 

CLOTILDE  (susurrant, sensuelle)  Monsieur Dodou ! Que vas-tu me faire !!

 

DIDIER         La victoire nous attend ! Recule, chérie, appuie-toi, fort...

 

CLOTILDE  (est tombée sur lui, toute excitée)   Oooohhhh !

 

DIDIER         (tandis qu’ils disparaissent au bureau, collés l’un contre l’autre)  Maintenant, soulève tes pieds...

 

MARIANNE            (revient avec des écrans)   Un pour toi... et un pour toi ?

 

PHILIPPE     (à Marianne)  Et tous pour un !

 

OPGOOD  (à Marianne)   Hello, miss. Je ne crois pas qu’on a été officiellement présentés.. Je m’appelle Opgood… Clive.

 

MARIANNE Je suis Marianne.

 

OPGOOD     (flirt)   Quel nom charmant.

 

PHILIPPE     Le mien est Philippe. Ne te tracasse pas trop, Opgood Clive.

 

OPGOOD     Non, Clive Opgood.

 

PHILIPPE     De toute manière une fois qu’on aura renversé la boutique... et tout le monde avec... je te conduirai moi-même chez toi, sain et sauf.

 

OPGOOD     Mais je ne veux plus partir ! Ta boutique commence à swinguer !

Que fais-tu après la fermeture ce soir, Marianne ?

 

MARIANNE   (soudainement)  ... Qu’est-ce que je suis en train de faire maintenant ?

 

PHILIPPE     Comment ?

 

MARIANNE Aujourd’hui n’est que mon premier jour ! Mon Dieu, que pourrait-il arriver demain ?

 

(Irruption de Didier ;  brutalement il pousse Clotilde - qui porte maintenant des patins à roulettes – vers la barricade.)

 

CLOTILDE   (hystérique)   Au secours !! Au secours !!

 

DIDIER         « Secours », non. « secoue » plutôt la barricade, jusqu’à ce qu’elle s’écroule ! Ma bonne vieille Clotilde !

 

PATRON      (entre, complètement inconscient de ce qui se passe)   Bonjour mes amîîîîîs Votre Patron vient de faire un stimulant discours aux autres Boutique-ists,  en leur conseillant de suivre notre exemple, vu que, dans notre boutique,  nous nous entendons si bien. (Clotilde, virevoltant, tangue sur lui.)  Mamzelle Clotilde est toute rouge !  Ma petite rose est écarlate !?: Y a t-il quelque chose qui ne va pas ? Racontez !

 

DIDIER         Je vous explique..-

 

PATRON      (bas à Didier, un ton cynique, tout différent de celui d’avant) Pas la peine, j’ai pigé. Pourquoi tu n’as pas encore fait activer un Q.C.T.N.A. ?

 

DIDIER         Un quoi ?

 

PATRON      Tu ne te souviens jamais de rien ? Un « Quelque Chose de Terrifiant Nous Arrive. » Cela les ramène toujours à l’ordre.    (indiquant Opgood) Celui-là, qui est-ce ?

 

DIDIER         Un étranger.

 

PATRON      Hmmm.

 

DIDIER         C’est lui ; hmm hmm ?

 

PATRON      Mmm hmmm.

 

DIDIER         On va le tuer comment ?

 

CLOTILDE   (horrifiée)  Tuer ?

 

PATRON      (sévèrement)   Dodou, mon petit garçon, n’as-tu jamais lu la Bible ? Le  commandement : « Tu ne tueras point un étranger. »

 

DIDIER         Pourquoi pas ?

 

PATRON      Cela fait mauvaise presse à l’étranger.

 

DIDIER         (pétulant)   Mais comment prétendre que c’est lui et pas nous ? Si on ne le tue pas, on va tuer qui alors ?

 

(Tous deux fixent Clotilde qui les a écouté.)

 

CLOTILDE   Quoi... quoi... pourquoi...

 

PATRON      (enfantin)  Nous n’allons pas zigouiller la petite Clotilde elle est trop mignonne !

 

CLOTILDE  Oh ! Mon Patron !

 

PATRON      Nous allons simplement la bousiller un peu... après, elle va hurler aux passants dans la rue que c’était eux qui l’ont fait et non pas nous !! OK d’accord !?

 

CLOTILDE   (elle patine vers la sortie)   Au secours !! Au secours !!

 

DIDIER         Attends d’abord ...   (il la frappe en pleine figure. Elle virevolte vers Mon Patron qui la frappe à son tour.)

 

CLOTILDE  Oooh je vous ai adulé – tous les deux - toutes ces années...

 

DIDIER et  PATRON   Mamzelle Clotilde, nous sommes un homme marié !

 

CLOTILDE   Je m’en rends compte pour la première fois ! (elle patine vers la barricade)  Laissez-moi entrer !

 

PHILIPPE     (l’attrape) Bienvenue : Camarade.

 

CLOTILDE   Est-ce que vous pouvez me pardonner ?

 

MARIANNE Bien sûr. Faites comme chez vous.

 

CLOTILDE   Eh ben... c’est plutôt sympathique de votre côté... N’est-ce pas ? Moi je vais m’asseoir par terre aussi ! (elle réussit à se mettre en boule)  Je me sens... bien ! Je suis plutôt courageuse, non ? C’est étonnant ...soudainement ma vie entière se défait devant moi... aussi facilement que quand j’enlève ma lingerie pour la nuit ! Je vais enlever ces patins ! Cela ne gêne personne ?...Dis-donc dis-donc donc donc... Quelle est la prochaine étape de notre ...aventure ?! ... ... mes... potes ?!

 

MARIANNE   Une bonne question. Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

 

DIDIER         (chuchotant à Mon Patron)    Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

 

PATRON      Ton cerveau est la passoire du siècle, ou quoi ? Je t’ai déjà dit : Q.C.T.N.A.

(Il prend un tisonnier, Didier s’en approprie un autre. Comme des gamins, ils esquissent quelques pas d’escrime, approchent de la barricade... D’un coup, ils donnent l’assaut et la renversent avec les tisonniers :

 

PATRON et  DIDIER   Oui !!

 

PHILIPPE et OPGOOD  (saisissant deux autres tisonniers)  Non !! En garde !

 

(Philippe fait de l’escrime avec Mon Patron, Opgood avec Didier tandis que Clotilde et Marianne refont la barricade :)

 

OPGOOD  (en escrimant)  Je ne me suis pas autant amusé depuis l’âge de 10 ans ! Je devrais vous en remercier ! Si seulement Esmée pouvait me voir ! C’est ma femme... Regardez Opgood, les filles ! Prends ça ça et ça. You rascals you ! Bon, ça va les potes, je suis un peu essoufflé.  Vous êtes plutôt mal elevés... Vous ne relâchez pas. ..Ca suffit !...

J’aimerais bien retrouver mon chez moi... (il tombe derrière le comptoir. Tandis que Didier méthodiquement lui assène des coups de tisonnier, on entend la voix de Opgood: )

On m’a exporté ici que pour les affaires. Je suis un touriste.  Envoyez-moi une ambassade ! La mienne ! N’importe laquelle !

 

(Clotilde et Marianne réussissent à écarter Didier de Opgood tandis que le Patron donne un coup qui fait tomber le tisonnier de Philippe. Marianne le saisit et Clotilde s’empare du tisonnier de Opgood.)

 

MARIANNE et  CLOTILDE   Non ! En garde !

 

(Marianne parie avec le Patron, Clotilde avec Didier : )

 

PATRON       (à  part à Didier tandis qu’ils font exprès de reculer vers le bureau)

Une fois dans le bureau, on saute par la fenêtre et on entre par la fenêtre de la boutique d’à côté !

 

DIDIER         On va nous coffrer !

 

PATRON      Mais non, j’imagine qu’ils seront trop occupés par leurs propres petits soucis pour même nous remarquer.

 

(Au bureau, ils arrivent à s’enfuir.)

 

MARIANNE et  CLOTILDE  LACHES !

 

PHILIPPE      Ils ont abandonné la boutique ! (un élan de chant juvénile :)    La victoire ! Le triomphe !

 

OPGOOD     (faiblement)   Aaaaaaa ouille... ouch....

 

CLOTILDE  Oh... pauvre Monsieur...

 

OPGOOD     On m’appelait Opgood, Clive. Je veux rentrêêêêêr....

 

VOIX DEHORS SUR UN HAUT PARLEUR

Oyez oyez ! Toutes les frontières sont fermées !

 

OPGOOD     Noooon !

 

VOIX            Deux cent étrangers – symbole de dangereuse agitation - ont été extirpés de force de leurs hôtels où on les avait trouvés tremblant de peur. Ces petits saligauds ont été tabassés à fond et fourrés dans diverses cheminées en attendant d’être grillé. Oyez ?

 

OPGOOD     Nom de Dieu je n’ai rien à foutre avec tout cela !

 

VOIX Chaque homme femme et enfant y a quelque chose à foutre.

 

OPGOOD     Je vous assure, dans mon pays cela ne pouvait pas arriver !

 

VOIX            Cela arrive dans tous les pays.

 

OPGOOD     C’est la fin du monde !

 

VOIX            Mais non : ce n’est qu’une Combustion Spontanée.

 

OPGOOD     J’ai dit la fin du monde, oui ou merde !

 

CLOTILDE  Nôôôôn, calmez-vous, pauvre Monsieur Opgood.

 

OPGOOD     Vous ne vous rendez pas compte !  Je n’ai accepté ce boulot que pour m’éloigner d’Esmée !

 

CLOTILDE  (séduisante)  Eh ben... Esmée est loin, non ?

 

OPGOOD     (faiblement)  Je voulais surtout goûter aux spécialités locales…

 

CLOTILDE  Viens avec moi. Clotilde va te combler ! Nous avons toujours en réserve un exquis sac de pommes de terre en boîtes...Juste au cas où ...

(elle le traîne dans la réserve.)

 

PHILIPPE     Marianne, tu as été merveilleuse...

 

MARIANNE   Toi tu as été merveilleux !

 

PHILIPPE    Assez merveilleux pour m’aimer ?

 

MARIANNE            (elle regarde son visage tout près) Oui... Philippe... Je t’aime. Tu m’aimes aussi ?

 

PHILIPPE    Affirmatif.      (Ils s’embrassent. tendrement)   Suis-je ton premier amant ?

 

MARIANNE   Non mais tu seras le dernier. Je n’ai besoin de personne d’autre.

Je crois en toi. Avec moi, c’est pour la vie.

 

PHILIPPE     Oh chérie, quand nous aurons des enfants…

 

MARIANNE Déjà ?

 

PHILIPPE     ...Eux aussi auront des enfants qui auront des enfants qui auront des enfants... et tous ces enfants auront entendu raconter la fable prodige  de comment  - il y avait une fois  - toi et moi, nous avons renversé une boutique,, .  (en disparaissant derrière la barricade...) ...nous avons changé le monde pour un monde meilleur...

 

(En même temps, dehors, en contre-jour deux jeunes voyous à cheveux longs apparaissent ; ils regardent à l’intérieur. On voit bien qu’il s’agit de Mon Patron et Didier, maladroitement déguisés. Ils portent d’impressionnantes barres en acier.)

 

VOIX            De nombreuses boutiques ont été endommagés par des jeunes voyous aux cheveux longs et mal peignés !

 

 

NOIR

 

(Son de verre qui se casse, foules en délire, des sirènes)

 

 

 

 

 

 

Scène 3

 

(Lumière du jour sur la boutique délabrée.... Des boîtes de conserve vides par terre... Des débris. ... Derrière la barricade, par terre, Clotilde pelotonnée contre Opgood, Marianne avec Philippe.

Devant le bureau, Didier par terre...Tous ont l’air un peu hébétés. Près de Didier, Mon Patron, qui dort.)

 

VOIX     Ces voyous, sous l’influence de leurs cheveux longs, ont mis le feu à toutes les banques.

 

OPGOOD     Bof, j’ai pas un rond dans vos banques...

 

CLOTILDE  Moi si.

 

VOIX            Mais vos courageux pompiers – tuyau à la main - ont éteint les feux !

 

TOUS           Ah.

 

VOIX            Mais vos courageux policiers -   matraques à la main - ont éteint les pompiers.

 

TOUS           Oh.

 

PHILIPPE     (avec mépris, indiquant le Patron)   Et lui s’endort.

 

PATRON      (se remue)  Hm hm arf arf. (il se retourne sur l’autre côté.)

 

MARIANNE Les ordures n’ont pas été ramassées depuis trois semaines...

(Aucune réaction.)    Je vais les vider.

 

PHILIPPE    Absolument pas ! I Si nous donnons une seconde de concentration à autre chose que « Ne fais rien que la grève sur le tas jusqu’à ce qu’ils partent», ils vont rester, c’est sûr.

 

MARIANNE   Chéri, ça commence à sentir mauvais ici...-

PHILIPPE     De la Jeunesse et de la Liberté !

 

CLOTILDE  Ne serait-ce pas plus agréable de retrouver l’odeur de l’Avant-Grève...

 

OPGOOD    « Avant ». ! .. Ah ! j’habitais une maison... avec pelouse et arbustes bien taillés… Au fond, un jardin et ses beaux arbres menaient à une petite porte au delà de laquelle m’attendait, proprette, une poubelle, ornée de menthe.

 

CLOTILDE   (le câlinant)  Ah que c’est charmant ! L’essence même de Opgood ! Peut-être. un jour...  tu inviteras ta petite Clotilde… à  renifler ta poubelle !.

 

OPGOOD     (mal à l’aise)  Ce serait sympa... Tu t’entendras à merveille avec ma femme...

 

DIDIER         (malin)  Je crois qu’Opgood voudrait voir Clotilde reprendre le travail.

 

MARIANNE (décisivement)  Et si on le reprenait, tous.!

 

PHILIPPE     Mais non ! Mon prof a dit..-

 

MARIANNE            Lui, évidemment, n’a pas passé sa vie entière dans une boutique : moi si.

Il y a un moment où, trop négligée, la boutique proteste, et puis, pour se venger, se dégrade.  Je crois que nous avons gagné des points, l’heure est venue de négocier. Uni-sexons alors les toilettes, augmentons nos salaires, donnons un coup de peinture au tout... et retournons au travail !

 

PHILIPPE     Non, non écoute-moi bien..-

 

DIDIER         Et lui obéir... car c’est un garçon, toi, tu n’es qu’une fille ! Combien de temps encore est-ce que tu vas permettre à ce Néron en jeans de dicter notre conduite ? Travailleurs ! Retrouvez votre indépendance ! Travailleurs ! Révoltez-vous ! Retournez au travail !

 

PHILIPPE     Ouais ouais mais à quoi bon? Personne en pleine possession de ses facultés n’achèterait un seul truc que nous vendons. D’abord, débarrassons-nous de toutes ces vieilleries..-

 

CLOTILDE   (essaie d’empêcher Philippe de jeter un écran dehors)  Que fais-tu... ! Il ne faut pas..-

 

PHILIPPE     T’as vendu combien de ces machins cette année..-

 

CLOTILDE   Aucun !  Mais... Mais, j’ai donné ma jeunesse, ma féminine jeune maturité, vingt ans de ma vie à apprendre comment vendre ce, ce..

 

PHILIPPE     Vieux machin.

 

CLOTILDE  Oui et maintenant  tu veux que j’apprenne comment vendre un autre vieux machin ? C’est moi qui serai jetée à la rue !

 

OPGOOD     Chérie, on chauffe au gaz ici !  Mets-y quelque chose de moderne.

 

CLOTILDE  Oui mais alors, quoi, hein ?

 

OPGOOD     Egads ! C’est moi qui pourrais vous sortir de l’impasse ! !

 

LES AUTRES   Toi ?

 

OPGOOD     J’ai quand même été envoyé ici en « Lieu Hunter »...  dénicheur de nouvelles  locations de commerce ! Et comme j’adore faire des affaires avec des gens que j’adore… Hé Philippe, si je convaincs mes patrons de signer un arrangement exclusif avec cette boutique ... une fois que lui aurait retrouver son calme… Hé, mon pote, pourquoi pas ?

(Opgood a pris la main de Philippe pour la serrer.)

 

DIDIER         VOTRE LEADER SERRE LA  POIGNE D’UN ETRANGER !

 

(Clotilde s’accroche à l’écran :)

 

OPGOOD     Clotilde, toi et moi, on en a serré beaucoup plus...

 

DIDIER         Et cela a été insidieux, n’est-ce pas ?

 

CLOTILDE  Beuh, cela ne m’a pas trop déplu....

 

DIDIER         Quand est-ce que la pagaille a commencé ? Quand la défiance de Philippe a été suivie par l’entrée d’Opgood dans cette boutique. Maintenant que ces deux conspirateurs ont presque atteint leur but -  nous paralyser -  ses compatriotes vont nous envahir, nous incendier,  assassiner et violer hommes femmes enfants et l’ensemble de nos actifs financiers.  Ensuite, il va retourner à Esmée.

 

CLOTILDE   Qu’il  revienne, Mon Patron !

 

PATRON      (se lève, marmottant). ... Bon d’accord, votre Patron te protégera... Il n’a pas peur, lui, des jeunes voyous aux horrifiés cheveux longs.... (maladroitement cherche quelque chose)   les cheveux qui… où est-ce que je les ai  fourr... (il trouve et remets sa perruque mais à l’envers)

 

PHILIPPE     (ricanant)  C’est du spaghetti ?

 

MARIANNE   (riante)  Ca le vieillit !

 

PATRON      … Attends, je trouverai le côté horrifique...  (à Didier, vexé)

Mais qu’attends-tu pour mettre tes cheveux horrifiques ?

 

DIDIER         Mon Dieu !

 

CLOTILDE  Oh, espèce de… de … déception ! Tout est fini entre nous !

 

PHILIPPE     (arrache la perruque)  Va, pépé, refait dodo.

 

PATRON      (cramponné à la perruque)   Je refuse d’être détrôné ! Sans moi, ce sera le chaos !!  (Les bras en croix, devant une grille :)   Votre Patron veille, vigilant, sur mon… euh, votre patrimoine !

 

(Calmement Philippe écarte Mon Patron de la grille. Ensuite, Philippe saute sur la grille.)

 

PATRON      Voilà, la jeunesse actuelle saute sur la grille.

 

PHILIPPE     Et alors.

 

PATRON      La jeunesse montre ainsi un intérêt malsain pour cette grille

(comme s’il se réveillait pour la première fois)   Qu’est-ce que c’est tous ces vieux machins ?

 

LES AUTRES    (ensemble)   Comment ? Qu’est-ce qu’il dit ?

 

PATRON      (à Philippe) Quand votre Patron avait ton âge, il s’intéressait aux gens... Et non pas à ce qu’ils vendaient. Je m’intéresse toujours aux gens ! Mais... Mais... le Patron est du côté de Philippe... de Clotilde... de Marianne ! Amis... ! Potes... !  Votre Patron reçoit une vision ! Elle me conseille de faire appel à la Jeunesse !

 

PHILIPPE     Mince,  la Jeunesse reçoit une vision ! Qui énonce clairement « Ton cul, patron. »

 

PATRON      Non écoute ! A bas les Boutique-istes !

 

TOUS           Quoi ?

 

PATRON      On s’en rend compte à la longue qu’ils sont berks sales pouah !

 

TOUS           Mais toi ! tu n’es-tu pas le Boutique-iste  type?

 

PATRON      Ma non ! Votre Patron est un Etre-humain-a-liste !

 

TOUS           Un quoi-de-quoi ?

 

PATRON      Jeune, votre Patron, n’était-il pas engagé dans le commerce pour soutenir les gens qui s’y trouvaient ? Pour les aider ? N’a-t-il pas vendu ces machins parce qu’ils rapportaient de l’argent à ces gens ? Tant d’argent que finalement votre Patron, bercé par cet argent, a fermé ses yeux. Je les rouvre. Ces vieux machins ne font plus gagner d’argent ? Jetons-les à la rue ! Votre Patron a toujours été pour le changement ! Qui a été le premier à donner aux femmes le droit d’avoir leurs propres toilettes !? Votre Patron !  Elles ne marchent plus ?  Quelle joie pour Votre Patron de réparer les toilettes des dames ! De ses propres mains.  Ainsi triomphe la Jeunesse d’aujourd’hui sur la Boutique-iste à l’Ancienne. Quant à cet honnête jeune homme, il ne balayera plus jamais le plancher. Il est viré.

 

MARIANNE, CLOLTILDE, OPGOOD    Viré ?!

 

PATRON         Et réengagé ! Il est mon assistant (à Marianne) Et cette enfant, aussi sensible que ravissante ! : elle est  mon Assistante ! Et mon adorable Clotilde, tendre, émotive ! Elle est mon Assistante! Vous êtes tous dignes d’assister Votre Patron en haut et Votre Patron d’ici-bas. Il y a de la place pour vous tous dans cette boutique.... Excepté, bien entendu pour les agitateurs !

(il avance sur Opgood qui recule, apeuré)

Les agitateurs destructeurs comme… comme... Didier Dodou ! (saisit Didier au collet)

Tout est de sa faute !

 

DIDIER         Moi?

 

PATRON      Oui ! Il m ‘a gavé de bonbons au chocolat ....jusqu’à ce que, assoupi, j’ai été si content de moi-même... Il m’a susurré à l’oreille que tout allait bien tandis qu’il empochait les dividendes... Dodou le Démagogue ! C’est terminé pour toi. Fini.

 

PHILIPPE     Et pour toi aussi !

 

PATRON      Je suis bien d’accord. Dans la boutique démocrat-iste, les travailleurs votent pour qui va être le prochain patron…

 

TOUS           Ils font quoi ?

 

PATRON      Vous ne connaissez pas le mot « voter » ?... Peut-être bien que vous êtes trop jeunes pour l’avoir entendu prononcer… C’est le moyen par lequel votre Patron est devenu votre Patron

 

DIDIER         Un des moyens !

 

PATRON      (il couvre la bouche de Didier avec une main)  Oui ! On va voter !

 

PHILIPPE     Non ! On contrôle déjà cette boîte, son idée de vote n’est qu’une ruse pour la récupérer !

 

DIDIER         Philippe a raison ! Philippe est brillant ! Je vote pour Philippe !

 

CLOTILDE   (hurlant) Philippe et Didier sont de mèche !

 

OPGOOD     Bien sûr que non, crois-moi…

 

DIDIER         Tu vas croire à une agitateur étranger ?!

 

CLOTILDE  Je ne voterai pas pour Philippe !, jamais !

 

PHILIPPE     Je ne suis pas candidat ! Je vote contre le vote !

 

DIDIER         Enregistré. Marianne est donc la prochaine à voter… Tu es prête,

ma petite ?

 

MARIANNE Oui. Force est de constater qu’il n’y a qu’une seule personne dans cette pièce assez raisonnable pour gérer. Je vote pour moi-même.

 

PHILIPPE     Je t’ai ordonné de ne pas voter !  Femme Arriviste ! Tout est terminé entre nous.

 

CLOTILDE  Pour elle-même !? Mon Dieu, en qui peut-on avoir confiance  ?

 

OPGOOD     Prends pas de risque, vote pour toi-même.

 

CLOTILDE  Ah non, si je devrais perdre confiance en moi, je deviendrai folle !

 

DIDIER         En fait tu n’as pas encore voté… Plus vite que ça !

 

PATRON      Prenez votre temps. Votez, chère Mademoiselle Clotilde. … paisiblement, démocratiquement…  (se met devant elle, «protecteur ») Le Patron veille à ce que les tentatives sur votre vie soient  contrecarrées.

(Il pivote gracieusement pour baiser sa main.)

 

CLOTILDE   Ooh rien ne vaut un galant vieux gentleman, je vote pour Mon Patron.

 

PATRON      MOI AUSSI CE QUI ME DONNE DEUX VOTES – VOILA  UNE MAJORITE ECRASANTE - GNAN GNAN GNAN JE GAGNE !!

(se reprend)  ...Je voudrais dire que votre Patron gagne. Travailleurs, je vous ai compris. Je deviens votre humble serviteur. Pour vous, je prévois des changements radicaux ! Sublimes seront les évènements qui vont éclore d’ici peu.

(montre la sortie à Didier) Dés que vous serez parti, scélérat !

 

DIDIER         Vieux bavard.

(Sur le seuil ; Didier fait un geste menaçant )

Je me vengerai.

(Il disparaît.)

 

 

(L’automne.

 

Un éclairage qui projette des couleurs changeantes sur la boutique…

Pendant que Marianne, Philipe, Clotilde et Opgood ajustent le décor :)

 

 

CHANSON

Convolution ! Carnaval !

On a bousillé la révolution,

Ca fait mal !

Pour renaître

Il faut être.

Au Bazar bizarre

A Pop solde

Cool cool

On y scotche le ratage total

Avec des rayons bariolés

Qui aident les embrumés,

nous, à oublier.

Par le rock rock rock

Au Pop solde du quartier

Jusqu’à ce qu’on tombe dans les vapes

Vapes vapes

En laissant tomber du blé

 

 

 

 

Scène 4

 

(Le coucou n’a pas bougé. Mais le bric-à-brac « cheminée » a disparu. A sa place, sur trois jolis comptoirs, un étalage de babioles « branchées ». Chacun porte une enseigne : «On Sort Ce Soir » ! »  « On Reste Ce Soir ! » « Coin Compagne ». Là, on retrouve Philippe, maussade. Marianne tout près.

 

Sur les toilettes, le Patron fixe la pancarte

GARCONS FILLES ! ENSEMBLE !)

 

PATRON  (chantant)

Dans les vapes vapes vapes

du pop pop pop

(En faisant des claquettes-rock, il va dans les toilettes :)

En laissant tomber du blé.

 

(Brusquement Marianne arrête la musique.)

 

MARIANNE   Philippe, bon sang, reviens à nous !

 

PHILIPPE     Oui ! Quand tu admettras l’erreur de ton choix. Quand tu me rejoindras dans un complot nouveau ! Que pour nous deux !, on renversera les autres.

 

MARIANNE   Chéri, nous vendons des petits objets mignons, Mon Patron nous encourage à  l’insulter, et en même temps il nous augmente sans arrêt. Un complot ? oui d’accord, pour nous réconcilier ! Embrasse-moi, Philippe... L’élection n’avait rien à voir avec qui nous sommes... avec ce qu’on a ressenti et qu’on ressent toujours, l’un pour l’autre...

 

PHILIPPE     Hélas, ce que nous sommes vient de ce que nous avons traversé.

 

MARIANNE   Décampons alors. Aie le culot de quitter cet établissement. Viens, vite ! Partons ensemble !

 

PHILIPPE     Pour aller où ? On trouve du boulot nulle part. Les temps ont changé : empiré ! Pour moi, c’était foutu d’avance.

 

MARIANNE (cherchant)  Philippe... tu as discuté de ça avec ton prof ?

 

PHILIPPE     Prof ?

 

MARIANNE   De l’école secrète ?

 

PHILIPPE     Bof, lui. Comme rien n’est plus secret, pourquoi perdre encore du temps avec ses trucs : ils ne marchent que dans sa salle de cours.

 

MARIANNE  On est vivant… On est jeune ! Il faut se passionner pour quelque chose !

 

PHILIPPE     Mais fichtre, je me passionne pour mes corvées d’ici. C’est ça qui me permet de manger trois fois par jour. C’est important, non.

(il a disparu derrière le comptoir tandis que Opgood entre avec deux grandes boîtes ; il est suivi de Clotilde. Elle porte une des bricoles exposées sur un des comptoir…)

 

OPGOOD     ... Mais je ne vous ai rien promis? Non ?

 

CLOTILDE  Pas exactement.

 

OPGOOD     (parle bas en voyant Marianne)   Je suis marié. Et vous le saviez  bien ! Non ?

 

(Tandis que Marianne, mal à l’aise, va derrière le comptoir  « On Sort Ce Soir » qu’elle se met à arranger…)

 

CLOTILDE  Oui mais... Cela ne t’a pas arrêté avant !

 

OPGOOD     Ma chère Miss... euh ?...

 

CLOTILDE  Miss ? Quoi ? Tu ne te souviens même pas de mon nom ? De ta petite Clotilde ? Que tu as trouvé aussi savoureuse que la tarte aux rognons de l’île de Wickenwick.... Tu m’as promis de me la faire goûter... un de ces jours...?

 

OPGOOD     (en jetant une partie de l’étalage dans une boîte)   Franchement,  je suis tellement débordé que parfois j’oublie mon propre nom. Quand on monte dans le commerce moderne, il faut le faire en courant. Est-ce que vous nous imaginez, vautrés en train de refaire ce que nous avons fait en courant ?

 

CLOTILDE  Laisse mon comptoir tranquille.

 

OPGOOD     Il faut se débarrasser des vieux trucs.

 

CLOTILDE   Mais ceux-ci ne sont pas vieux !

 

OPGOOD     Ce qui n’est pas vendu à la fin de la journée est vieux,

 

CLOTILDE  (s’effondre)  Comme moi... ?

 

OPGOOD     (puise dans  sa deuxième boîte et dispose un étalage de jolis mouchoirs)

Miss Clotilde... Je suis certain que vous voudrez simplement nous revoir comme nous étions dans le temps... jeunes.... enfin « plutôt » jeune...  héroïques derrière les barricades... Et contempler quelque chose de beau ?

 

CLOTILDE   Oui !

 

OPGOOD     (lui donne un mouchoir)  Essuyez vos yeux avec cela.

 

CLOTILDE  Merci.

 

OPGOOD     Voilà, maintenant vous voyez quelque chose de beau.

 

CLOTILDE  (renifle dedans)   Que je serais obligée d’acheter, je suppose ?!

 

PATRON      (entre des toilettes) Oui ! Et c’est très bon marché ! (Opgood réussit à s’éclipser dans la réserve :)   Enfin pas trop cher ! Achètes-en plusieurs avant que le prix augmente encore. Et qu’on les enlève du marché. Tu auras tes 10 pour cent !

 

MARIANNE Foutez-lui la paix ! (va à Clotilde)   Clotilde, si on déjeunait ensemble ...  pour parler, y voir clair, juste nous deux...

 

CLOTILDE  Tu es gentille, Marianne, mais depuis la dernière augmentation je n’ai jamais un rond pour les restaurants.

 

PHILIPPE     (portant un toque de cuisinier branché, il se lève de derrière son comptoir qu’il décore joliment des sandwichs en paquet : )  Quelle chance ! Les nouveaux snacks pop solde sont arrivés ! (donne un sandwich à Clotilde :)

 

PATRON      Miam. Pas trop cher.

 

CLOTILDE  (grignotant) Ce sandwich n’a aucun goût.

 

PATRON      Justement ; c’est pour cela qu’on les apprécie ! : ils ne rappellent pas les sandwichs d’antan.

 

PHILIPPE     (versant du ketchup sur le sandwich de Clotilde)  Re-goûte.

 

CLOTILDE  (elle obéit)   Toujours aucun goût et maintenant ça ressemble à un accident de voiture.

 

MARIANNE  On ne mange pas comme avant.

 

CLOTILDE  Et les prix doublent !

 

PATRON      A l’étranger, les prix triplent !

 

CLOTILDE   Un sandwich de carton-pâte... quelques babioles sans valeurs... Ah, « Combustion Spontanée »… nous l’avons tant aimée... Au fond, cela a servi à quoi?

 

PHILIPPE     Qui a jeté notre chance de changer le monde par la fenêtre? Vous deux !

 

PATRON      Chacun de vous est libre ! d’acheter un deuxième sandwich de carton pâte.

 

CLOTILDE   On veut plus !

 

MARIANNE La vie vaut plus !

 

PHILIPPE     Plus ! Plus !

 

CLOTILDE   On veut gagner plus d’argent !

 

CLOTILDE et  PHILIPPE Augmen-ta-tion ! Aug-men-t-ation !

 

PATRON      Je ne vous augmenterai pas pour la troisième fois cette semaine. Dans votre propre intérêt. Le problème du jour n’est pas financier mais personnel. Quelle tristesse quand c’est le patron qui doit rappeler à ses travailleurs que leur seule force reste dans leur opposition unie contre le patron.

 

MARIANNE (méfiante)  Pourquoi tu nous donnes ce tuyau ?

 

PATRON      Parce que votre Patron a besoin de votre antagonisme pour garder ses propres méninges en alerte. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point votre Patron se tracasse pour vous. La nuit, chaque nuit, il marche de long en large... au sous sol.... en espérant y trouver quelque chose, n’importe quoi, pour vous aider. Soudainement ! ... Eurêka ! Dans la pénombre Votre Patron trébuche contre... La Solution ! Ooui !! Devant moi se trouve le moyen de vous remettre ensemble définitivement. Regardez ce que j’ai déniché !

(Il tend un bras vers le bureau... pour ressortir le bout d’une chaîne de prisonnier, rouillée, avec des sinistres entraves. Rayonnant, il fait tinter la chaîne...)

N’est-ce pas beau ? !

 

CLOTILDE   (pointe à une entrave)  Ce sert à quoi, ça ?

 

PATRON      C’est une « breloque pop». Pour tenir en place votre « pop cheville ». Ne vous inquiétez pas. Chacun de vous aura sa propre «breloque ».

(Il avance, ainsi la chaîne continue à se dérouler du bureau...Clotilde, Marianne, Philippe reculent :)

Le Patron ne vous laisse pas tomber, hein ? Dés que vos chevilles seront encastrées, vous ne pourrez plus jamais vous détacher l’un de l’autre ! (allant à Clotilde)   Qui va être le premier à coincer sa petite patte là-dedans?

 

CLOTILDE  Ne m’approchez pas !! Je voudrais dire que… Je suis désolée... Mon Patron... Mais votre euh « truc » ne me dit pas grand-chose.

 

PATRON      (offensé)   Cela me dit plein de choses à moi.

 

PHILIPPE     Alors encastre-toi, toi-même, vieux fou !

 

MARIANNE On ne le veut pas ! On ne l’acceptera pas !

 

PHILIPPE     (avec espoir)  Marianne ?  Tu te réveilles…

 

MARIANNE   Et toi ... ?

 

PATRON      Comment est-ce possible.... de ne pas sauter là-dedans ? Est-ce une blague ? Oui ! Le Patron vous trouve drôle. (rire mécanique)   ... Assez drôle pour vous donner une dernière chance. Haut les chœurs !, tous ensemble ! Qu’on entende résonner un franc « Oui ! » à ma breloque ! Qui veut être le premier à forcer sa cheville là-dedans  -

 

PHILIPPE, MARIANNE, CLOTILDE  (d’une seule voix)  NON !

 

(Pause)

 

PATRON       Ingrats ! Je retire mon offre. Tant pis pour vous !

(Pétulant et sénile, il rejette la chaîne dans le bureau.)

Et votre vieux Patron va simplement disparaître. Il va trouver un cosy coin avec un cousin cousu.... Cela fait si longtemps que ses méchants enfants ne lui ont pas donné un moment de repos. Il est fatigué... tellement qu’il va s’asseoir et cultiver son jardin. Travailleurs !... Adieu !

(Il s’assoit au comptoir “coin campagne”. Il regarde ailleurs, immobile.)

 

CLOTILDE  (abasourdie) Il a pris sa  retraite ?

 

MARIANNE Youpi oui! Ce lieu qui bouffe notre vie, nous appartient ! Enfin !

 

CLOTILDE  Comme ça ?

 

PHILIPPE     Pourquoi ?

 

MARIANNE Ne nous posons pas de questions : il est à nous, point à la ligne.

 

PHILIPPE     Il doit y avoir un truc.

 

MARIANNE            Je ne le vois pas. Nous pouvons enfin tout refaire comme bon nous semble !

 

PHILIPPE     Mais... justement. Qu’est-ce qu’on va faire avec... ?

 

(pause)

 

CLOTILDE   Et si on descend le coucou ?

 

PHILIPPE     Comment ça ?

 

CLOTILDE   Il faut se mettre debout sur une chaise pour le remonter. Chaque fois on risque de tomber ! Ca je l’ai remarqué le premier jour où j’ai commencé ici.

 

PHILIPPE     (avec mépris) Je crois rêver ! On peut tout chambouler et elle veut baisser le coucou !

 

MARIANNE Mais elle a raison ! Cette fois, ne nous laissons pas trop emballer par des sentiments nobles. Commençons avec les petites choses, une par une... Ton tout premier jour… Clotilde... ?

 

CLOTILDE  Non mais... j’ai pensé… j’avais plein d’idées, vous savez, j’étais jeune, j’avais de l’énergie…

(Opgood déambule de la réserve au bureau)

Je me suis dit «  Si je pouvais les convaincre de descendre le coucou… tout est possible…  J’ai marché » droit vers le bureau, (y allant) vers..-

 

(Du bureau, Opgood  fait entrer Didier, qui évidemment était en train de les écouter. Il est bronzé et habillé à la mode.)

 

CLOTILDE, MARIANNE, PHILIPPE   Didier Dodou !

 

DIDIER         Zut. Mes excuses... les potes. Je me suis retrouvé dans ce quartier, par hasard ... où j’ai croisé mon très bon ami Opgood !... Je lui ai confié que je prendrai un sacré plaisir à vous revoir… Il m’a aidé à entrer discrètement, je ne voudrais pas que ma présence vous gêne...

 

CLOTILDE  Comme c’est curieux,  Monsieur Dodou. Votre nom était au bout de ma langue !

 

MARIANNE            Oui, Clotilde nous racontait pourquoi le coucou n’a jamais été baissée.

 

DIDIER         (souriant)  Vous avez survécu à ce petit «inconvénient», à ce que je vois. Quel bel étalage de « nouveaux-pop » !  Je vous imagine en plein essor... grâce au Patron, bien entendu !

 

CLOTILDE  Hum, lui, il  a démissionné.

 

DIDIER         Démission… ? Il ne vous a sûrement pas laissé en plan... ?

 

CLOTILDE  Nous ne savons plus comment payer notre prochain repas.

 

DIDIER         Qui vous a prévenu contre ce vieux bavard ?! Non, non, Didier, ne ricane pas de leur sort, ce ne serait pas bien … surtout que mes propres affaires !...

 

OPGOOD     Didier est en plein boom ! Il a fait des merveilles dans une de nos succursales.

 

DIDIER         Enfin, stop ! j’ai assez pris de votre temps. C’était touchant de vous revoir... Bye… (commence à sortir)

 

CLOTILDE  (le suit)  Mais ne partez pas si vite... Monsieur Dodou, nous, au moins, on comptait pour vous...

 

OPGOOD     Didi, tu ne pourrait pas leur donner un coup de main... juste pour quelque temps....

 

DIDIER         Ecoute, Op non, tu connais bien mon emploi du temps...

 

MARIANNE            Et on n’a pas oublié vos emplois dans le temps ! Dehors ! S’il y a une chose qu’on ne veut pas, c’est lui !

 

OPGOOD  Marianne, vraiment, comment peux-tu en vouloir à Didi... victime lui aussi des affres d’une autre époque...

 

DIDIER  Je ne faisais qu’obéir aux ordres qu’on ne donne plus.

(Marianne essaie de pousser Didier vers la sortie mais il reste aussi figé qu’un bloc de glace. Clin d’œil aux autres) N’aime-t-elle plus ma tronche ?  (Il lui fait une grimace »drolatique »,)

 

MARIANNE Regardons cette tronche... et ce qu’il y a derrière. ll faut être cinglé pour inviter cette tronche à revenir chez nous !

 

OPGOOD   Tu changeras d’avis si tu jettes un oeil sur la comptabilité. My God. Le Patron a laissé un sac de nœuds invraisemblables. Cela me peine de le dire mais bientôt je serai obligé d’arrêter les livraisons... A moins que les comptes ne soient pris en charge par quelqu’un de compétent.

 

CLOTILDE  (serviable)  La comptabilité est la spécialité de Didier Dodou !

 

MARIANNE (pousse toujours sur Didier, statufié. A Philippe)   Aide-moi, ne le laisse pas s’installer, agrippe-le..-

 

PHILIPPE Chérie ! T’es prête à me rejoindre dans la violence !?

 

MARIANNE Oui – quoi – « Violence »  NON !

 

PHILIPPE  (surexcité)   Camarades ! Occupation de local !...

 

MARIANNE Attends...

 

PHILIPPE     Retrouvons les anciennes grilles, des écrans, vite ! Haut les barricades !

 

MARIANNE   ARRETE !  (elle saute vers Philipe pour l’empêcher de détruire le bric à brac sur son comptoir :) Philippe ! Souviens-toi ! Comment la violence nous a plaqué à la case départ, complètement épuisés ! Cette fois, organisons-nous dans le calme, la légalité..-

 

PHILIPPE (la rejette) Toi ! Traîtresse ! Entre toi et Didier il n’y a qu’un pas !

 

MARIANNE   Non non, tu n’as rien appris !

 

PHILIPPE   Pourris, les deux ! Ras le bol ! Alors moi, je serai encore plus pourri ! Je vote pour Didier !

 

CLOTILDE

(chevauchants)   Moi aussi !

DIDIER

 

DIDIER   C’est la majorité, je gagne. On prend une bière pour fêter ça ?

(Il jette une poignée de confetti en l’air ; Opgood va dans la réserve ; Marianne donne à Philippe une claque sonore.).

 

DIDIER         En voilà de la violence.

 

(OPGOOD ressort avec une caisse de bière. Avec compassion, il tend une canette à Philippe :)

 

OPGOOD Bois. Mon pote.

 

DIDIER  Trinque à nous. Mon pote.

 

PHILIPPE     (méfiant, prend la canette) Oui ! Triquons au… relâchement merveilleux… de se laisser déglinguer, devenir aussi dégueux que vous, les autres ! Mince, c’est tellement facile! Je trinque au Patron, c’est lui qui nous a légué ce lieu. Tu trinqueras avec nous, Mon Patron ? Hé, Mon Patron, je t’offre une bière.

 

DIDIER         (glacial)  Lui n’est plus le Patron et on ne doit plus jamais s’adresser à lui de cette façon.

(Le Patron lui tourne à peine la tête pour lancer à Didier un regard haineux.)

Si vous ne pouvez pas éviter de faire référence à lui dans la conversation, appelle-le « L’Ancien » Patron.

(sinistre) Le Patron maintenant c’est moi !

(Sous son regard torve, un silence d’inquiétude s’installe. Nonchalant :) Mais ne croyez pas que je veux être appelé « Mon Patron ». Ha ha ha. On ne va pas rester figé dans sa politesse guindée. Mon règne est celui du pop solde nouveau !

(Désinvolte, de sa veste il sort un joli objet « pop »... qui a bien la forme arrondie d’un pistolet.)

C’est pour cela, d’ailleurs, que vous m’avez demandé de revenir : Pour protéger vos droits contre les menaces récentes de violence ! Et pour clarifier vos comptes. Dorénavant toi, toi et toi allez m’appeler « Didi  »... comme le font mes nombreux amis.

 

PHILIPPE     (commence à être éméché) Bon vieux misérable Didi... encore une bière ?

 

DIDIER         J’ai terminé, mon pote  Mais bordel de merde qu’est-ce que l’Ancien Patron a fait de cette boîte ?  Ces mouche-morves ont été retirés du marché depuis belle lurette... Pas étonnant que vous soyez sur les nerfs. Débarrassons-nous de vieux trucs. Vous m’avez m’a entendu, oui ou merde ?

(Nonchalant, avec son pistolet, il pousse par terre l’étalage que Philippe aurait détruit.)

Petits trucs, petites gens.

(Opgood met cette marchandise dans la réserve -.en route, il  éteint l’éclairage de couleurs changeantes.  Une lumière d’hiver enveloppe la boutique.)

Vous vous obstinez à ne pas accepter la réalité de notre temps.

(Opgood revient avec un objet grandeur nature. Il a des contours vaguement humains et une suggestion de deux yeux et un sourire...)

Voilà, enfin quelque chose à jour.   (à Clotilde)   Vends-moi-ça.

 

CLOTILDE   (inquiète, s’éloigne plutôt de l’objet)  ... Mais c’est quoi ?

 

OPGOOD     Le nouveau nouveau truc !

 

DIDIER         Le seul nouveau truc qui nous reste.

 

OPGOOD     C’est un Symp-Pou.

 

CLOTILDE  Ouiiii... ? Que fait-il, ce...

 

OPGOOD     «Symp-Pou »...

 

DIDIER         Il se vend à l’étranger. C’est tout ce qu’on sait de lui. C’est tout ce qu’on veut le savoir. Arrange-toi pour que ça se vende ici.

 

(Elle s’approche de l’objet... puis elle semble involontairement attirée vers lui, tout près... Elle le renifle...)

 

CLOTILDE  Ce... ... Symp-Pou… a un drôle d’odeur. Renifle-le, Marianne.

(elle penche le Symp-Pou dans la direction de Marianne qui, elle aussi, est attirée vers l’objet. Elle le renfile. Elle commence a tousser... Confuse, elle recule... s’approche de nouveau... Clotilde renifle, éternue, recule, s’approche... )

Il n’est pas livré avec un mode d’emploi ?

(Elle l’effleure... le taquine d’un petit doigt...)

Guili-guili… ?

(Elle n’arrive pas à détacher son doigt de l’objet :)

Je suis collée !

(Opgood la tire.)

Non !! Assez ! Tu as eu ta chance !!   (Opgood arrive à détacher le doigt.)

Je ne peux plus remuer mon petit doigt !

 

MARIANNE            Tu ne ressens rien ?

 

CLOTILDE   Ah si, je ressens quelque chose ! Ooh là... ! Mais c’est une chose qui ne se remue pas !  Je demande si Symp-Pou ferait pareil à mon bras…à mes jambes ... . à ma...

(Comme à un client :)

Croyez-moi sur parole, Madame. Monsieur. Essayez-le, il va vous faire sentir… euh. non, pas bien, non, vous sentirez ...  comme moi. Des orteils jusqu’à la pointe des cheveux… Pas trop chaud ! Pas trop froid!  Tiède ! (vocalise)  Aa-aa-aa-aaa-aa Symp-Pou !

(Elle l’embrasse passionnément.)

 

DIDIER         (la rejette de force)  Un peu de tenue, Miss Clotilde. Laisse Sym-Pou tranquille. On ne te paie pas pour dégrader la marchandise mais pour la vendre.

 

CLOTILDE   Mais mais... j’achèterai Symp-Pou moi-même !

 

DIDIER         Tu n’as pas les moyens.

 

CLOTILDE   Je vous en supplie – à genoux – (elle tombe à genoux) Déduisez-le de mon salaire. Un an d’avance, s’il le faut, ce n’est pas assez ? Je vous donnerai plus, plus, je trouverai des moyens... (elle saisit Didier par les jambes) Dites que c’est assez... dites-moi « assez » ... « assez »...

 

DIDIER         (se détache d’elle) C’est assez...pour un début. Symp-Pou t’appartient.

 

CLOTILDE  (en délire)   Symp-Pou est à moi !!

 

DIDIER         Tu me sembles un peu « exubérante ». Tu ne veux pas sortir pendant une heure... ?

 

CLOTILDE  (féroce, agrippant Sympa-Pou)  Non ! Pas une seconde séparée de mon Symp-Pou !

 

DIDIER         Tu pourrais en profiter pour emmener Symp-Pou chez toi... ?.

 

CLOTILDE  Oh oh ! Merc-Symp, merc-Symp, merc-Symp. (Elle se précipite dehors en emportant le Symp-Pou ; Opgood a sorti en douce un autre Symp-Pou de la réserve...  )

 

PHILIPPE     Ce n’est même pas joli. C’est... neutre.   (Méprisant, il hoche la tête, il approche le Symp-pou, le regarde dans tous les sens.)

Strictement rien d’intéressant. D’ailleurs, c’est pour ça qu’elle l’aime.

Les femmes. Jamais elles ne pourraient faire face à la pagaille qu’elles ont laissé derrière elles… Et trop apeurées pour regarder en avant, vers l’avenir.

(à Marianne directement)  Vous préférerez, toutes, ne rien regarder... Je veux un Symp-Pou.

 

MARIANNE ... Ce n’est pas vrai ?

 

PHILIPPE    Si.

 

MARIANNE   Philippe...

 

PHILIPPE     Oui ?

 

MARIANNE   Souviens-toi de La Jeunesse. La Liberté. La Vérité. L’Intégrité ?

 

PHILIPPE     Oui. Je veux un Symp-Pou..

 

MARIANNE  Philippe, j’étais chère à ton coeur... Quelque part en toi, je compte toujours...

 

PHILIPPE     Du bavardage.... De la jeunesse. Nous sommes dans le même bateau que les autres... depuis toujours, Qu’est ce qu’on leur reproche au juste ? C’est nous qui avions tort.... forcément, si on est devenus exactement comme eux à notre âge. C’est terminé. Je refuse de continuer à être un jeune perdant toute ma vie. ! Non pas que je sois encore tellement jeune. Si je n’ai pas bientôt mon Symp-Pou, je n’aurais jamais mon Sympa-Pou.

 

MARIANNE   (elle le touche)  C’est une main, Philippe. Une main humaine. C’est de la chair, des os, du sang. Une main qui vit. Mieux, Philippe : Une main qui va mourir. La mort,

n’est-elle pas le plus précieux cadeau de Dieu... ? L’idée de la mort nous sert de moteur… pour qu’on s’accroche à la vie avec toute la passion qu’elle mérite. Prends ma main, Philippe. Je t’aime toujours. Tu es tout pour moi. Pour la vie, Philippe.

 

PHILIPPE     D’accord, Marianne, on va se marier.

 

MARIANNE Marier ?

 

PHILIPPE     Oui, oui... C’est vrai, je nous imagine presque... Ensemble, on gagnera assez pour mettre du pognon de côté, comme ça éventuellement tu pourras arrêter de travailler... Tu passeras tes journées à la maison en nettoyant Symp-Pou. Je rentrerai le soir. Te voilà, sur la terrasse, avec à tes côtes: Symp-Pou !  Les voisins seront verts d’envie.

 

MARIANNE Même si je les laisse regarder nos factures ?

 

PHILIPPE     (malin)   Aucun risque ! Tu seras maligne avec tes dépenses ménagères – j’ai confiance en toi. Ainsi…

 

MARIANNE   Ainsi… ?

 

PHILIPPE     Chaque six mois, on aura assez de liquide pour s’acheter un Symp-Pou de plus. En l’espace de trois ans, sept Sym-Pou sont envisageables. Sans parier sur d’éventuelles augmentations ! (il tire Mariane vers Symp-Pou ) Dans la salle de bains - celle du première - nous aurons Symp-Pou. Dans les toilettes au sous sol... Symp-Pou... Au rez-de-chaussée...

(elle commence à tousser violemment)

La chambre à coucher... Marianne... Symp-Pou... Symp-Pou, au lit Symp-Pou..-

 

MARIANNE  Je suis en pleine crise et tu t’en fous...

 

OPGOOD     Elle portera un masque Symp-Pou.

 

DIDIER         En permanence.

 

PHILIPPE     Oui !

 

OPGOOD et  DIDIER   Sur chaque mur : un ventilateur Symp-Pou.

 

PHILIPPE     Oui !

 

MARIANNE Et les enfants, Philippe ?

 

PHILIPPE, DIDIER, OPGOOD   Quels enfants ?

 

MARIANNE Les enfants ! Ou n’auront-ils pas leur place dans ce paradis ?

 

PHILIPPE     Je n’ai jamais dit ça. J’admets que tu dois satisfaire à ce machin maternel.  Nous pourrions avoir un garçon... Ca ne me gênera pas... Oui... Je pourrais lui apprendre à être comme son père. « Regarde, Fiston, ça c’est un Symp-Pou !! Comment ? j’ai trimé toute ma vie pour l‘acheter ! Et toi tu ne l’aimes pas ? Marianne, emmène-le au lit immédiatement ! Sans son souper. Une fois dans sa chambre, donne-lui un bon coup sur la tête... avec un Symp-Pou. Bah, la jeunesse actuelle ! Tiens, je lis dans ce journal qu’au parc la jeunesse actuelle a allumé un grand feu et immolé quinze Symp-Pous ! (La toux de Marianne reprend)

Hm, je suppose que t’as enlevé ton masque aujourd’hui... parfois je me demande pourquoi je me tue au travail… Attends ! j’entends un bruit dans la chambre de Philippe Deux ?Je devine ! il se bagarre avec Symp-Pou ! Vas-y, Symp-Pou, casse-lui la figure ! Ah, je vais apprendre à ce galopin, où est mon fusil..-

 

MARIANNE   NOON ARRETE !

 

PHILIPPE     (la serrant dans ses bras) Oh Marianne, je suis si ému ! Notre vraie vie commence ! Oui ! c’est décidé !: J’accepte de t’épouser !

 

(Didier et Opgood s’avancent vers eux en procession nuptiale !)

 

LES DEUX  (comme un seul prêtre :)  Voulez-vous prendre ici présent…

 

PHILIPPE     Oui..-

 

MARIANNE NON !!

 

PHILIPPE     Mais...

 

MARIANNE            Non non, pas question !! Pas avant que tu ne redeviennes toi-même. C’est tout ce que je veux ! Tiens-moi fort ! Vite ! Tiens moi un peu ? Tu es toi, non pas un de leurs trucs ! Je n’aurai pas leurs trucs chez moi ! Jamais ! Ce sont eux ou moi !

 

DIDIER         Ne sois pas absurde, Marianne. On n’échappe pas à son Symp-Pou,

 

OPGOOD     On retrouve Symp-Pou dans toutes les boutiques,  les maisons, les villes.

 

DIDIER         Sur terre, en l’air, sur les bateaux en pleine mer.

 

OPGOOD     Tu es comme tout  le monde... Tu dois...

 

DIDIER         ... apprendre à vivre avec Symp-Pou.

 

MARIANNE Peut-être mais je ne suis pas obligée de l’épouser ! !

 

PHILIPPE     (pétulant)  Je ne comprends pas ! Qu’elle m’épouse enfin ! De force s’il le faut ! Si elle ne m’épouse pas, comment mettre assez de côté pour en acheter un deuxième ? Si elle ne m’épouse pas, j’épouserai qui à la fin ?

 

(Entre Clotilde, folle :)

 

CLOTILDE   Je l’ai mis sous les verrous, maintenant je suis à l’affût d’un autre !

 

PHILIPPE     Est-ce que vous m’épouseriez ?

 

CLOTILDE  (vaguement)   Oui ? Si on est ensemble, nous en achèterons un deuxième...

 

PHILIPPE     C’est oui ?

 

CLOTILDE  D’accord.

 

DIDIER  et OPGOOD  (en prêtre) Voulez-vous prendre ici présent…

 

CLOTILDE et PHILIPPE   Pourquoi pas.

 

DIDIER         Au nom de la loi, je vous déclare Mari Meuf et Monstre.

 

OPGOOD     Vous pouvez embrasser le Monstre..-

 

(Frénétiques, Philippe et Clotilde sautent sur le Symp-Pou, l‘embrassent bestialement.)

 

OPGOOD     L’économie monte !

 

(Marianne recule, horrifiée. Puis elle saute sur Philippe et Clotilde, essayant de les détacher)

 

MARIANNE    NON...

 

(Brutalement Philippe la repousse ; elle tombe à terre tandis que le coucou sonne l’heure.

 

Marianne voit – aussi raide que les figurines d’une pendule - Opgood qui pousse le Symp-Pou vers Philippe qui le pousse vers Clotilde qui le pousse vers Opgood. Le bras rigide de Didier monte et descend, tel un chef d’orchestre. La pendule s’arrête.

Didier et Opgood «cacardent » la marche nuptiale. En procession, Clotilde et Philippe quittent la boutique, portant sur leurs épaules le Symp-Pou,  suivis de Didier et d’Opgood :)

 

OPGOOD     En pleine érection, l’économie.

 

DIDIER         Qu’elle reste bandante, sinon moi je démissionne !

 

OPGOOD     Tu parles !  L’Ancien Patron a signé un contrat que L’Actuel Patron doit honorer. Vous êtes condamné à vendre.

 

DIDIER         Je suis un être humain !

 

OPGOOD     Tu m’en apprends des choses.

 

(Ils sont partis.

De la réserve, en silence, une autre Symp-Pou apparaît tout seul, sinistre, face à Marianne.)

Elle s’effondre.

Le Patron se tourne vers elle.)

 

PATRON      Pauvre Marianne. (Surprise elle le regarde. Généreux)   Oui. L’Ancien Patron a décidé de vous réconforter. (Il lui ouvre ses bras... Lentement Marianne s’approche de lui.)

 

MARIANNE (reprenant son souffle)   Dans votre coin... l’air est différent.

 

PATRON      L’air est différent près de l’Ancien Patron !

 

MARIANNE   Loin de ces.... trucs.  (pause)  Vous… Toi…

 

PATRON      Tutoies-moi enfin.

 

MARIANNE  Tu restes là, immobile sur ta chaise. Pourtant tu as tout vu. Tu connais des choses que nous n’arrivons pas à dénouer. Pas tout à fait. Tu pourrais nous aider... Je t’en supplie, Aide-nous..

 

PATRON      L’Ancien Patron serait ravi ! Cela fait si longtemps que personne ne lui a rien demandé. Vas-y ! Demande quelque chose à l’Ancien Patron ! Une minuscule petite chose. Ou une grandiose. N’importe quoi !

 

(Elle s’assoit près de lui.)

 

MARIANNE Ce que je comprends presque... mais que je ne démêle jamais entièrement... Philippe... nous...moi… Clotilde....si différents les uns des autres... pourtant une fois embauchés, nous étions fondus en un seul bloc dans cette boutique... Rien d’autre n’existait...

 

PATRON      Franchement je n’ai jamais eu une autre vie. Ma famille a toujours eu une boutique.

 

MARIANNE J’en suis désolée.

 

PATRON      Moi non, j’adore ces lieux. Et j’ai assez vu ceux du monde extérieur pour apprécier la mienne. Ici la misère ne règne pas. Quand les gens restent ensemble dans un gentil commerce bien géré, ils ne s’avilissent pas. Ils se fondent, oui c’est ça, dans un sentiment commun. J’ai donné ma vie pour garder intact ce sentiment. Je ne te mens pas.

 

MARIANNE    Non je le sais. Peut-être...si tu n’avais pas pris la retraite... ?

 

PATRON      J’aurais aimé rien d’autre... Mais comment ? Personne ne reste toujours.

(Tandis que, à l’insu de Marianne, Didier entre et écoute :)

Je suis fatigué, vieux... je vais mourir !

 

MARIANNE  Quand...

 

PATRON      Bientôt ! Alors qu’il est jeune, Didier, enfin plus jeune que moi. Tendrement, comme un père, je lui ai inculqué toute ma connaissance, mes méthodes. Il va continuer à gérer la boutique à ma façon, qui est la meilleure, la seule. Je ne te mens pas. (Il s’arrête.)

 

MARIANNE Je vois. Tu n’es pas fâché avec Didi. Votre brouille a été de la comédie.

 

PATRON      Bien sûr. Je me suis servi de votre petite chamaillerie pour lui passer la boutique quand j’étais encore là pour être sûr qu’il l’a prenne. J’ai fait semblant d’abord de le jeter dehors. Puis, pour préparer son retour, je me suis arrangé pour que vous me jetiez dehors. Et voilà Didier de nouveau, non pas l’héritier du roi fou…mais en rival-contestataire. Vous l’avez gobé, vous êtes tous si stupides. Chacun a joué le rôle que j’ai écrit.

 

DIDIER         (exaspéré)  Bavard ! Pourquoi tu lui dis la vérité !!

 

PATRON      Parce que je veux qu’elle sache. Un enfant de 5 ans aurait deviné notre petite ruse. Marianne, la plus avisée d’entre eux, n’a rien deviné. Donc vous êtes sans exception moins avisés qu’un enfant de 5 ans. Vous avez besoin de mon genre de patron. Je ne te mens pas.

 

MARIANNE (geste vers le Symp-Pou)  Eux aussi sont tes idées ?

 

PATRON      Je n’ai pas inventé Symp-Pou. Non, je l’ai accepté. Un patron doit suivre la direction du vent. Toutes les autres boutiques en vendaient ? il nous a fallu en vendre. La boutique marche bien à présent.

 

DIDIER         ... avant que tu n’aies déblatéré !! Vieux con !!

 

PATRON      Didier c’est trop tard, elle ne peut rien faire. Nous avons gagné : t’es maître à bord, moi je m’apprête à disparaître, nous sommes exactement pareils... et avant que tu le saches, fiston, tu seras en train de passer les rênes à un rival très différent qui sera exactement pareil. Si Marianne montait sur les toits pour crier ses quatre vérités, aujourd’hui les autres ne feraient que marmonner « Et alors quoi. » Le temps est venu pour Marianne, d’accepter Symp-Pou.  D’accepter Didier ...Et à travers eux d’accepter sa propre stupidité. Quel soulagement pour elle. Je l’envie. Oui, Marianne. Dis oui.

 

DIDIER         Oui, Marianne.

 

PATRON et DIDIER    Dis oui.

 

(Pause, elle va vers la sortie. Elle hésite... )

 

MARIANNE (plus à elle-même)  Si je quitte cet endroit... si j’arrête la première personne que je croise dans la rue... Si nous nous mettons  à parler...

 

PATRON      Comme si cela faisait la moindre différence !

 

MARIANNE   Peut-être pas beaucoup... mais si on essaie de... recommencer... quelque chose... très simple ... Si je quittais cette boutique... Si je disais « Je m’appelle Marianne... »

 

PATRON et DIDIER   Personne ne t’écoutera.

 

MARIANNE Je..-

 

DIDIER         On dira que tu es folle.

 

MARIANNE « Je m’appelle Marianne... »

 

PATRON      On t’évitera.

 

DIDIER         Comme la peste.

 

MARIANNE Je m’appelle...

 

DIDIER         On t’enfermera.

 

MARIANNE Marianne...

 

PATRON      Nous possédons les autres.

 

DIDIER         Tous les autres.

 

MARIANNE   Je m’appelle..-

 

PATRON et DIDIER   Philippe

 

MARIANNE Philippe…

 

PATRON      Définitivement.

 

DIDIER         La jeunesse

 

PATRON      Est à nous.

 

(Elle leur jette un regard percutant.)

 

MARIANNE Energumènes.

 

(Elle quitte la boutique et appelle)

 

MARIANNE : Je m’appelle Marianne. Marianne !

 

FIN


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