Débordement

Une jeune femme cherche une rencontre, espère une rencontre digne des histoires épiques, digne des grandes batailles dans lesquelles parfois les liens les plus forts sont ceux que l’on partage avec son meilleur ennemi. Elle est prête à tous les sacrifices pour faire exister un face à face superbe, un rendez-vous unique. Au long de son monologue fiévreux, la jeune femme erre dans les rues qu’elle espère dangereuses à la recherche d’un prochain ou d’une prochaine pour assouvir ses désirs de rencontre et de promesses. Plongée dans une ville trop éclairée, convoquant au fil de sa déroute les figures amies de Don Quichotte, du Caravage, de Max Guevara ou d’Asja Lacis, elle cherche dans le clair-obscur les premiers signes d’une nuit enfin pleine.

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DÉBORDEMENT

 

 

0 — prologue

Une traque est un long chemin qui mène d'un point A à un point B : le point B étant en constante transition, il pousse le point A dans une évolution analogue. 

Un personnage est une stratégie ancienne et approuvée qui attribue à un point A ou B une justification.

Une histoire est un procédé, fait de métaphores et de comparaisons, permettant de rendre concret une loi géométrique.

À cette heure, l’histoire est la traque d'un personnage. Et si le personnage ne sait pas exactement qui il cherche, il sait que lorsqu’il va croiser la route de cet autre, il le reconnaîtra : comme on reconnaît très précisément son camarade dans l’urgence de la situation. 

Depuis combien d’années le personnage est-il sur la route? Il ne le sait pas; car ici, le temps importe peu. Dans quels territoires le personnage a-t-il erré? Il ne peut le dire avec précision; car le monde est vaste et reste inconnu. 

Si le personnage ne cherche pas tant une personne (les rues sont peuplées de personne), il poursuit l’image qu’il a longtemps forgée, l’idée qu’il s’est depuis longtemps faite de la personne qui peut et qui doit l’attendre dans le dédale des rues de cette ville ou d’une autre — quelque chose que nous pouvons appeler rencontre ou affrontement, ou bataille, ou déclaration, ou amour ou collision, ou promesse.

Dans le clair-obscur encore possible de certaines zones, chose certaine le destin se dessine à force d’obstination, de persévérance : un vieux théorème, une maxime gravée au fronton d’un temple abîmé, un bateau, un drapeau, un symbole, la ligne de fuite qui coupe en transversal.

Il en est du destin comme des coups de feu ou des coups de foudre : toujours quand on s’y attend le moins qu’il frappe le plus fort.

 

1 — éclipse en plein jour 

Quand je te regarde, je ne peux pas m’empêcher de voir une cible, et de me voir moi qui te vise, et qui attends ce petit éclat, flèche en diagonale dans ta face de cible, moi, à bander un arc dans le seul espoir d’allumer des brasiers surgis de l’obscurité comme on en voit dans les films épiques : au crépuscule, tôt le matin avant l’aube, ou tard le soir après les débats, un archer, sur la colline, fondu dans la nuit qui attend les combats brillants au zénith, ou caché dans cette lueur bleutée des game over belliqueux, l’archer décoche une flèche enflammée et c’est un météore qu’on voit traverser le ciel champ de bataille, certains se disent « Une étoile qui s’éteint… » et en une seconde, une demie seconde, la flèche touche sa cible et embrase tout — je veux être cette archère qui illumine ta face avec ce feu qui en même temps qu’il embrase tout te terrifie, un, embrase, deux, terrifie, mais dans le court laps de temps entre le premier mouvement et le second, tu aurais vécu de quoi, on pourrait dire une révélation, une espèce d’éclipse à l’envers, et pendant le laps de temps, tu aurais eu la chance de voir le soleil en pleine nuit et avant que la peur gagne les ventres, tu aurais eu au coeur cette lumière incroyable parce que sortie de nulle part et ce n’est pas encore la mort qui te vient mais quelque chose de la joie,

 

2 — crépuscule médiéval

j’aimerais être comme ces assassins du Seizième Siècle dans l’Italie du Caravage qui ne commettent des délits que dans l’obscurité des ruelles sombres sans risque de croiser le regard, même à la pleine lune, d'une ruelle suffisamment sombre pour ne pas voir autre chose que l’arme brillante dans ma main assurée et non contaminée par les empathies dégoulinantes : siècle trop éclairé qu’est notre siècle, plus possible d’assassiner calmement, sereinement, gentiment, normalement, aveuglément, aveuglément impossible quand toute la lumière on la veut partout, impossible aveuglément, même dans les ruelles toujours un lampadaire, a minima un néon oblique pour jeter la lumière, alors que je ne veux pas voir, bénis soient les aveugles, bénis et idolâtrés soient les aveugles, la dernière race encore capable d’assassiner sans souffrir le miroir et le tranchant des regards en retour, nous sommes des chiots à peine sortis du ventre maternel et nous nous apitoyons les uns les autres avec nos regards tendres et ronds, nous sommes incapables du moindre acte un peu solide, incapables de la moindre conséquence un peu sérieuse, je regrette de ne pas être née plus tôt au temps du Caravage, pour zoner dans les ruelles mal famés de Milan, ville coupe-gorge, j’imagine, je sais pas, mais certainement plus coupe-gorge que nos ruelles à nous de nos jours, de nos jours où tout est tout de suite éclairé par ces lampadaires à basse consommation mais consommation pareil et lumière pareil et pas d’impunité possible, je regrette tellement ces époques bénies où le meurtre n’était pas tout de suite jugé, suspecté, soupçonné de mauvaise intention : il y des meurtres de ruelles qui sont autrement plus délicats que certaines déclarations d’amour faites au grand jour et à la vue de tous, il y a des meurtres qui ont la délicatesse des mains tendues et la beauté des promesses tenues, je suis sûre qu’un règlement de compte au crépuscule médiéval d’une Rome en clair-obscur serait un duel plus fort que tous nos affrontements stagés et fakes,

 

3 — catastrophe pour recommencer 

et dans ma course, je ne suis pas encore désespérée de ne pas t’avoir trouvée, moi qui ai pourtant couru plus de territoires que certaines personnes ne pourront jamais parcourir en trois ou quatre vies, moi qui me rends compte à peine de tout le chemin qui m’a mené jusqu’ici, moi qui prends conscience de l’obstination dont est capable un humain qui cherche un autre humain, et, c’est vrai, ce soir, je ne dis pas ce soir pour dire quelque chose, je dis ce soir parce qu’on sent ces moments importants, ils sonnent différemment, j’ai appris de vieilles musiciennes grecques l’écoute des variations, et le discernement précis d’un soir qui ne résonne pas comme un autre soir, comme ce soir, où je sens comme une amplification, et je me rappelle que parfois l’extrême de la situation donne une solution simple au problème posé, comme ces gestes de survie en légitime défense qu’on exécute sans même s’en apercevoir dans des cas très précis de mort imminente, je crois que l’urgence, la catastrophe nous précipite dans des zones étranges où toutes les lois s’abolissent : je t’aurai peut-être haï, cherché des années et des années, mais ce soir tu seras en face de moi, et tu n’auras pas eu le temps ni la politesse de choisir ton masque ni ta couverture, et ce face à face relancera un peu les dés, ce face à face enfin rejouera un peu le jeu éprouvant des caches-caches séculaires, et ce soir résonnera plus crucialement encore parce notre rencontre sera le dénouement de tant de temps à se fouiller, et le temps, je l’ai appris d’anciens luthiers iraquiens, le temps seul compose la bonne note,

 

4 — la protection d’Aboû Nouwâs

mais trop de rencontres ont tourné court parce que je n’ai pas su calmer mes ardeurs de jeune fille exaltée à l’idée de retrouver une véritable camarade dans le détroit de ces ruelles mal famées, pas faute d’avoir cherché, j’ai fait toutes les ruelles interdites et tous les ports, jusque dans le fond des docks abandonnées aux rats et aux chiens à ces heures non commerciales, mais il faut admettre que tu te caches dans des planques moins clichées et je dois rivaliser d’imagination pour te trouver — tu n’es pas de celles qui tombent dans le stéréotype des places connues — et je regrette tellement de vivre à une époque où tous ces lieux troubles sont réinvestis par la police et les métiers de la construction, tu vois, si nous avions vécu à Vérone, en 1775, on se serait dit les mots de Lesbia Cidonia (« Quelle heure fatale je vois sur ton visage? / Jusqu’où une noirceur désespérée te traque? »), si nous avions vécu à Bagdad en 795, on se serait répété les paroles d’Aboû Nouwâs (« Ce n’est qu’à jeun que je sens que j’ai tort. / Je n’ai gagné qu’en étant ivre-mort. »); nous aurions eu la protection d’Aboû Nouwâs qui, de ses vers ivres, nous aurait imbibé, on aurait bu à la barbe des conquérants d’un monde qui vient et je t’aurais laissée au petit matin, parce que tu allais me trahir, au moins m’abandonner, et tu ne m’en aurais pas voulu, ou si bien voulu qu’on aurait pu vivre trois ou quatre vies comme cela,

 

5 — jardin impossible

imagine, Montsegur, 1244, Occitanie cathare, avec la poésie de Bernart de Ventadorn (« Je ne vois pas luire le soleil maintenant, tant ses rayons se sont obscurcis pour moi »), nous aurions été fidèles d’une religion soeur et ennemie malgré tout, moi la cathare qui pisse sur les idoles, et toi, offensée par mes libertés prises, et nous aurions bu ce vin aujourd’hui appelé Malbec, cépage autochtone des coteaux occitans, et à la fin, on se serait provoqué en duel, parce que la cathare que je crois au Mal autant qu’au Bien et que tu n’aurais pu supporter ma foi païenne, et j’aurais compris que dans l’impossibilité de la rencontre il y a un amour profond : quelque chose qui dépasse les raisons logiques de la rencontre sur les places de marché, quelque chose de l’affrontement ancestral et non négociable, si tu es ici et maintenant et que moi aussi je suis là, c’est qu’il y a quelque chose comme le destin, je veux dire la mort ou la vie, mais que ce quelque chose nous tient comme ces promesses que se font les amants d’un amour interdit sous les hauts remparts d’un château fort qui protège de quoi au juste (on construit pour se protéger mais une fois protégée, on s’ennuie), et sous le haut rempart ouest, celui qui protège le plus longtemps du soleil, celui qui laisse un court temps supplémentaire après le chant du coq, je t’aurais montré mon amour et mon masque en même temps et tu aurais compris en même temps l’impossibilité de cet amour et sa beauté; et je serais repartie, à l’aube, soleil traitre, dans la rosée douce amère, avec une tache rouge au côté gauche, à cour, et le jardin impossible, mais quoi de plus beau que l’impossible, mon amie,

 

6 — un effort d’imagination

je voulais te demander un effort d’imagination, j’étais venue dans l’idée de te demander un effort d’imagination, mais je me suis ravisée, je me suis rappelée qu’il n’était pas logique, juste, qu’il n’était pas juste que je commence par te demander un effort alors je me suis dit que j’allais jouer la carte de la transparence et te livrer l’image comme cela, comme si c’était une carte postale; et je me souviens trop de ces premiers cours à l’école où à peine commencé il fallait commencer à imaginer alors que nous n’étions pas venus pour imaginer mais pour apprendre et il n’y avait rien de plus insultant, injuste, rien de plus injuste que d’être venue pour apprendre et de se faire dire « imagine », je me souviens de ces longues après-midi tièdes perdue dans l’attente d’une révélation (c’est vrai j’ai toujours attendu de mon prochain un miracle, surtout de la part de ces grands professeurs qui avaient tout le savoir à portée de main), je me souviens de ces longues après-midi où il fallait que j’imagine, je me rappelle, encore aujourd’hui, le vertige dans lequel je tombais, petite fille sage en quête de sagesse, quand on me posait des questions alors que j’étais là pour les réponses, et je ne veux pas reproduire la frustration tant de fois répétée, pas reproduire ce jeu pervers qui consiste à fouiller en soi ce que l’autre est censé vous donner, non, je voulais te parler de l’Espagne, plus précisément de ses moulins, je veux dire des Moulins de Consuegra, ces vieux moulins à vent de La Mancha contre lesquels se serait battu l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha, ces magnifiques moulins à vent sur cette terre de la Mancha, nommé à partir de l’arabe Al-Ansha, qui signifie « terre sans eau », je voulais te parler de Don Quichotte pour te dire que toute histoire est une histoire qui court à sa perte, dire une histoire, et si ce n'est pas vrai ce n'est pas plus grave : Don Quichotte’s style, aller de l'avant parce qu'il n'y a pas trente-six solutions, pas trente-six destinations, pas trente-six directions pour se projeter, c’est avant, en avant, en tant pis pour les précautions d'usage, tant pis pour les risques inconsidérés et les chemins pas prévus sur la mappemonde dans la poche, dire « une histoire » pour ne pas dire autre chose, dire une histoire parce qu'il faut absolument avancer quelque chose sur l'échiquier de la vie, et tuer les rois, matar a los reyes, comme on dit dans la langue de Quichotte, matar a los reyes et tant pis si certains voulaient discuter, c’est une histoire, nous sommes là pour écouter et pour parcourir le monde à des vitesses incroyables, dire une histoire, une quête, n'importe laquelle — pas n'importe laquelle : une quête oubliée, parce que jugée trop peu importante, alors qu'elle l'est importante, certains n'ont simplement pas su la voir, la considérer, la prendre en considération, et dire une histoire, c'est revoir les quêtes paumées par manque d'ambition et se les cheviller au corps, se les chevalière au corps : se faire une armure de son histoire, et un cheval et un royaume et une guerre qui ne dit pas son nom et une épopée et une grande table pour se la raconter dans les sombres nuits d’hiver, dire une histoire, pas pour ne plus avoir froid mais, mais, mais pour mettre en perspectives le froid, enfin, le dire, le raconter, se dire que si j'ai froid, ou la chienne, c'est que quelque part je vis, dire une histoire, se rappeler que je vis, et matar a los reyes, parce que dans l'épopée je suis la seule à pouvoir dire où ça commence et où ça finit, où ça commence et où ça finit,

 

7 — périple Détroit-Beyrouth

le jour où je suis partie à ta recherche, même si je ne savais pas encore ce que je cherchais dans les nuits de toutes les grandes villes du monde, et les plus petites aussi, en suivant un itinéraire maritime parce qu’il fallait bien dessiner un périple et je t’imaginais déjà épique à l’époque (Détroit, Toronto, Montréal, Gaspé, Cork, Dublin, Liverpool, Southampton, Brest, Porto, Gibraltar, Tanger, Alger, Barcelone, Marseille, Ostie, Palerme, Athènes, Izmir, Beyrouth), je suis partie pleine de colère, des larmes de rage au bord des yeux, avec l’envie de tomber sur quelqu’un et de lui casser la gueule parce qu’il le mérite, parce que tout le monde mérite de se faire casser la gueule un jour ou l’autre, parce que tout le monde a un jour ou l’autre trahi ou menti, mais j’ai rapidement appris, pour avoir furtivement discuté avec les itinérants sur mon itinéraire, que la colère comme cela, brillante au coin des yeux, ne faisait pas bonne quêteuse, j’ai appris l’art du masque, le masque d’une face souriante et aimable, et si la colère si souvent, la colère c’est vrai, mais le sourire toujours devant avec le masque, toujours la rage mais le sourire devant très important, le masque très important et le masque qui ouvre sur la colère et la rage comme on ouvre un bouclier, comme on ouvre un bouclier dans la phalange spartiate pour que son camarade à sa gauche plante sa lance dans le foie de notre tendre ennemie commune, la colère, une fois, la violence pour appuyer la colère, deux, la détermination, trois fois, pour ne pas faiblir au premier regard, je sais trop ce qu’un regard nu peut provoquer d’empathie, et s’il y a des situations où la compassion est légitime, il y a des jours où sous le soleil brûlant, il faut se protéger de ses réflexes humains très humain, et accepter que tout ne peut pas être dans l’abnégation, ou que tout ne peut pas être gentil et qu'il y a certains jours sous le soleil accablant (je pense à Don Quichotte sous la canicule de la Mancha) certains jours où il faut accepter d'ouvrir sa garde, planter sa lance dans le foie ennemi, la rage une fois, la colère deux fois, la détermination trois fois, le casque masque sous le soleil de plomb d'une terre aride et fertile pour mener un combat légitime même, même surtout, surtout s'il s'annonce perdu d’avance —

 

8 — défaite victorieuse

parce que tu apprendras au cours de cette vie que je te souhaite longue et paisible (longue, du moins) que les combats perdus sont les plus beaux et les plus victorieux en fin de compte, parce que tout se joue dans l'aventure, j'étais venue te parler de Don Quichotte et du soleil brûlant, mais je ne parle que de batailles perdues, je sais, c'est fatiguant, tu aurais préféré que je te parle de la Mancha et de ses beaux moulins carte postale, tu aurais préféré que je te caresse dans le sens du poil et que je t’amadoue avec des images douces mais nous ne sommes pas ces personnes-là, je ne suis pas le maître et toi le chien qui s’exécute par peur ou par gentillesse, nous ne sommes pas ces rapports-là, et je préfère te décevoir dès le début comme ça, c’est réglé les présentations d’usage, après on peut commencer à parler : nous avons toutes une attente, quand ce n'est pas mille, et, je sais, ce sont autant d'attentes que je vais défoncer, faire exploser sous tes yeux frustrés, je sais, c’est un peu triste de te savoir comme ce petit enfant à qui on a promis un tour de manège, mais le manège n'est pas le monde qu'il pensait, pas du tout la ronde à laquelle il s'était préparé, et en même temps, si tu avais exactement le tour de manège attendu, tu serais heureuse, dans une certaine mesure, heureuse c'est sûr, heureuse de cette joie simple et sincère du cadeau voulu et reçu, comme ces cadeaux qu'on se fait quand on devient grand, mais je te connais, un peu, je commence à te connaître, et je sais qu'au fond de toi sans que peut-être jamais que tu te l’avoues, tu donnerais tout pour un coup de théâtre, c’est vrai :

 

9 — coup de théâtre

on veut se faire raconter la légende mais on espère secrètement que quelque chose cloche, que le héros se casse la gueule ou que le combat connu et attendu connaisse un dénouement nouveau, tu es semblable à ses jeunes couples qui répètent les mêmes schémas traditionnels mais comptent secrètement sur un mage en costume dans une clairière magique avec des rites inventés — je risque donc de te décevoir d'une main, mais de l'autre t’inviter dans la clairière magique et je sais que si je suis bonne en magie, tu ne m'en voudras que par convention (la convention que tu as avec les tiens à la terrasse d'un bar) mais que secrètement tu me remercieras (même si tu ne l'osais pas distinctement, je le vois ce clin d’œil), me remercieras d'avoir un peu trahi de cette main parce que tu vis pour les coups de théâtre, et personne ne pourra ultimement te reprocher cet amour des coups de théâtre, parce que je crois qu'il n'y a rien de plus beau que les coups de théâtre :

 

10 — courir le monde

je voulais te parler de Don Quichotte sous le soleil de plomb parce que je pense que nous sommes toutes cette enfant qui s'ennuie et qui se cherche des occasions de se mettre dans le trouble : je me souviens j'avais six ou sept ans (il faut toujours avoir six ou sept ans), seule dans la petite maison, j’agonisais d'ennui, l'ennui avait la densité de ces bâtiments dans lesquels on enferme les grandes personnes (simplement elles n'appellent pas ça ennuie mais métier ou profession), et moi, ce que je voulais, c’était courir le monde, et je venais d'apprendre à lire, et d’ailleurs j'aurais préféré ne jamais avoir appris à lire parce que lire, c'est reste dans le bloc d'ennui avec des fausses portes de sortie, et moi aussi comme Quichotte je me crissais des aventures si les aventures c’était juste dans les livres, on s’en crisse des livres si ça reste des livres, l’aventure, ça se sent : voyage air iodé, sable collé aux vêtements et aux cheveux, vent plus sable sensation pénible, mais la vie, c’est salissant, et l’aventure, c’est le soleil sur la tête avec migraine et nuit d’ivresse parce que passé trop de temps à chercher la boussole; on devrait obliger les enfants de sept ans à courir le monde, comme une épreuve initiatique, comme on obligeait les jeunes spartiates, qui devaient se débrouiller une année durant dans la campagne du Péloponnèse, armés d'un couteau et couverts d'une peau de loup (quand tu auras tué le loup, s’il ne le tue pas avant, car si tu ne le tues pas, c’est le froid sur tes épaules et la traque surtout parce que le loup est encore quelque part), un an dans la campagne seule et armée de ta mission a dévorer le monde, et seulement après tu pourras retourner dans la société des humains quand tu auras couru le risque du monde et du loup et du froid et de la traque (quand tu cherches le loup, c’est d’abord toi que tu chasses), un an à te fondre dans la campagne et seulement là tu pourras te présenter devant tes concitoyens, en héroïne fière et glorieuse parce que tu n’as plus peur, plus peur du loup ni de toi surtout,

11 — héros malheureux et pays

souvent, à Montréal, quand j’en ai assez des ruelles vides, je grimpe sur le plus haut building de la ville, rooftop avec vue sur la cité en trois-cent soixante degrés, et là, assise sur le bord du toit, j’essaie de vous imaginer, tous ceux que je ne connais pas mais que j’aurais pu croiser au détour, avec cette idée que ceux que j'ai vus ne m'ont peut-être pas rencontrés, et je prends comme ça de la hauteur, c’est une technique qu’on devrait enseigner dans les cliniques psychiatriques pour les cas graves (se mettre à distance d’étoile, attitude de cynique perché sur son rocher, point de vue de comète pour faire le point sur les conditions humaines), je m’assois sur le toit du monde de cette ville neuve, je fais comme Dark Angel, le personnage de la série télé des années Deux mille, Dark Angel elle s'appelle, on la surnomme Max, Max Guevara, et dans le générique de la série télé, à la fin du générique, la dernière image, c'est elle au bord du précipice sur la plus haute tour de la ville de Seattle, et je pense à ces trois secondes du générique, trois secondes où on la voit perchée au dessus de la ville qu'elle doit sauver, ou de laquelle elle doit se sauver, c’est pas clair, les trois secondes passent trop vite, souvent je grimpe moi aussi et je contemple moi aussi la ville et je me demande : est-ce que la ville a besoin d'être sauvée, avant même de me demander si je serai celle qui la sauverait, je contemple la cité et je me demande si elle a besoin d’un héros ou d'une héroïne et tout de suite après je pense à la phrase qu’à dite un jour un poète, donc un résistant, donc un révolutionnaire, que malheureux le pays qui n’a pas de héros, et presque aussitôt le poète donc résistant donc révolutionnaire a dit que non : malheureux le pays qui a besoin de héros, nous laissant pour les siècles et les siècles dans l’ambiguïté de ces propositions, et dans l’ambiguïté plus grande encore de juxtaposer poète, résistant et révolutionnaire : des milliers d’années à nous questionner sur notre place et nos attentes face à un pays, je veux dire un territoire avec des plaines brulantes sous le soleil de plomb et des moulins passés de modes, et ces contours dessinés par des enfants — est-ce qu’on ne s’est pas faites fourrées, sur la route héroïque où les moulins désaffectés ne brassent plus que le vent d’autrefois (ces images d’Épinal bonnes à cartes postales qu’on n’envoie plus d’ailleurs par peur d’être un peu connes avec nos messages ringards), je voulais te demander si tu croyais encore aux héros et si moi je dois y croire aussi et si je n’y crois pas, est-ce que je suis dans la merde, et si je n’y crois plus, est-ce que c’est de ma faute :

 

12 — infatigable désir

quelle héroïne suis-je si aucun pays, aucune ville, n’a besoin de moi, est-ce que je encore une héroïne, et dans cette époque où on confond facilement violence et violence, et où l’attentat est tout de suite accusé d'acte terroriste on n’ose plus bouger de peur que le poing levé soit une tentative d'attentat, on confond violence et violence et la confusion mène à des conclusions tragiques pour tout Don Quichotte qui se respecte, pour tout Dark Angel sur les toits de n'importe quel bâtiment suffisamment haut pour voir en panorama, et comment on pourra se reconnaître si tout mouvement est suspecté de dangereux parce que la colère est dangereuse, parce que la détermination est dangereuse, parce que toute tentative est dangereuse, et comment faire si l’on ne peut à la fois lever le poing et tendre la main, ou que l’un est forcément opposé à l’autre, parce que s'il y a bien une réciprocité, s'il existe une petite logique, c'est bien celle qui veut qu'on lève le poing pour ensuite tendre la main, ou qu’on tend la main parce qu'on peut aussi lever le poing, et que le bras peut à la fois articuler l’un puis l'autre, l'autre puis l’un, et que c’est la condition même de la liberté parce que jamais, nulle part résister n'a pas été synonyme d’amour — et penser l’un sans l'autre c'est se plaire dans des jeux pervers, autant mettre dos à dos le feu et l’air, non, le poing levé est autant une promesse d'amour (toute la violence avec laquelle je te cherche répond au désir infatigable que j’aie de te trouver), la promesse d’une enfant triste qui a trop traîné seule à l’automne peut-être, mais cette tristesse orange a la douce lumière des exploits inespérés — et je sais tout le ridicule auquel je me risque mais le ridicule n’est que la persévérance pour celui ou celle qui ne voit pas que le saut dans le vide mais pas surtout le vol dans le ciel immense, et le jeune Icare (ce jeune héros qui s’est envolé avec des ailes placées à la cire) a-t-il douté avant de s’élancer, non, parce qu’en certaines circonstances le doute, c’est la mort, la certitude aussi en certaines circonstances, c’est la mort, c’est vrai, mais dans le premier geste il y a la découverte qui vaut au moins trois ou quatre vies,

 

13 — es-tu Icare

et toi, es-tu le jeune Icare ou bien es-tu une certitude qui a eu peur du saut et de la rencontre qui en dépend, vas-tu encore une fois me laisser, et prendre la tangente et refuser notre rendez-vous parce que tu crains la mort plus que le doute et tu vas aller te réfugier dans le premier appartement un peu confortable parce que tu as peur de ce que je peux transporter avec moi, déjà tu sens sur mes vêtements trop longtemps portés le sable humide et chaud de Tanger, cette ville que j’ai traversée presque à la course, et tu te demandes ce qu’une jeune fille comme moi peut avoir vécu pour sentir cette odeur de sable chaud et mouillé — et je ne vais pas te mentir, ou simplement sur des détails, c’est pas important, des petits bouts de vie, on s’en crisse, une histoire, ça passe sur les détails, je ne vais pas te mentir, il y a le risque : le risque que je me trompe et donc te trompe et donc nous trompe, le risque est là, mais n’avons-nous pas intérêt et avantage à l’optimisme, l’optimisme de ces situations extrêmes (parce que si l’optimisme c’est juste pour prévoir une fin de semaine ensoleillée, c’est pas la peine), ces situations de véritable danger où le risque peut faire tomber les masques, et tomber souvent est la meilleure chance pour tomber sur son destin parce que le destin est un animal malin qui ne se cache pas mais qui se glisse au milieu des espaces étranges et qu’on ne trouve que si on lui tombe dessus par inadvertance, par écart, par égarement comme ce soir, une nuit encore trop luisante, le destin s’éclipse dans des renfoncements à l’abris de ce qui luit, et, c’est vrai, avec toute cette lumière tout le temps, il devient de plus en plus difficile de le discerner, c’est pour cela que j’appelle à l’obscurité, j’invoque l’extinction des feux, et c’est pour cela que je crois que la chute est encore la stratégie la plus juste pour se tomber dessus — sinon, on continuerait nos routes comme si nous n’avions pas à nous rencontrer; on a fini par se faire à l’idée que se rapprocher est le résultat d’un long processus civilisationnel au cours duquel on apprend à se connaître avec des techniques de politesses savamment apprises,  et de l’hypocrisie, l’hypocrisie surtout qui guide nos gestes d’apprivoisement, mais tout cela ne mène et ne mènera jamais à aucune rencontre digne d’être appelée rencontre, rencontre est réservée à ces traques éprouvantes où je te suis sans savoir qui tu es mais je sais que nous sommes liées parce que le destin est un délinquant qui s’amuse des calculs impossibles et qui ne donne gloire et justice qu’à celles et ceux qui se battent contre les évidences et courtoisie de première apparence,

 

14 — dans ces lieux abandonnés

comme cette nuit qui n’est plus une nuit tant on s’obstine à la vouloir éclairée, comme ces visages qui ne sont plus des visages tant on s’acharne à les voir masqués : alors se positionner contre la lumière crue, rassembler les ombres et les regards qui s’y dissimulent, une position difficilement supportable (comme le sont les veilles de combat, ou les heures avant l’assaut quand l’assaut est subi, et que nous sommes dans l’ombre de l’ennemi, sachant très bien quels sont ses dessins et très bien quels sont les nôtres dans cette résistance nocturne à patienter l’affrontement) mais si l’attente et l’obscurité nous éprouvent, elles sont des amies précieuses en ces instants cruels, et si nous aimons le soleil, vieil ami à qui on fait des clins d’oeil les fins d’après-midi de victoire, les soirs de bataille nous appelons la nuit : se cacher ne veut pas dire mentir, se dérober ne veut pas dire trahir, je te le dis, ma soeur en puissance, il y a eu des actes de vérité, de sincérité et de courage immenses dans ces lieux abandonnés, il nous faudrait plus de lieu abandonnés, tout au moins des lieux moins fréquentés, des lieux déguisés, des lieux qu’on prend pour un autre, des lieux qui ne disent pas tout de suite leur nature ni leur fonction, des lieux comme ces terriers où l’on se terre avant l’assaut, dans ces lieux il y a toute la vie résumée à un poing serré, toute la vie qui tient, comme ces coulisses de théâtre dans lesquelles on croit attendre des heures alors que ce sont des minutes, parfois à peine des secondes, mais qui ont le poids de vies entières tellement on pourrait y demeurer paisibles, paisibles dans l’urgence, c’est drôle cet amour de l’urgence de la situation, c’est juste pour cela qu’on vit, en fait, juste pour ces moments de vérité (mots, armes, masques, visages, lumière et verbe, ombre et silence — et dans le silence un nouveau verbe avec de nouvelles armes et de nouveaux visages), toute une vie pour l’intensité de ces rencontres au sommet :

 

15 — deux points quelconques

provoque-moi en duel, ou accepte de ramasser le gant que j’ai nonchalamment fait tomber en espérant que tu le voies, accepte les ruelles dans lesquelles plus personne ne va, accepte les églises désacralisées (peut-être là le plus de sacré), accepte une arme et accepte l’issue funeste, je ne vais pas me faire désirer (ni toi ni moi n’allons nous abaisser à ces jeux pervers et démodés), je ne vais pas non plus attendre de toi un refus feint pour proposer à nouveau et faire monter la petite excitation bête des êtres qui se repoussent pour mieux se retrouver (nous sommes trop épiques pour ces deals de boulevard), accepte que je t’ai trouvée parce qu’il y a des points dans l’univers et des lignes qui immanquablement les rejoignent, c’est un principe de base, un théorème géométrique fondamental : un segment de droite peut être tracé en joignant deux points quelconques, et si nous sommes quelconques, nous sommes aussi un segment et n’importe quel anthropologue un peu empathique sait qu’un segment ne se refuse pas, et je me demande, depuis longtemps maintenant, ce qui empêche ou accélère la formation de ces segments puisque deux points quelconques sont foule, et pourquoi il y a autant de points quelconques et si peu de segments qui se forment; et j’ai trouvé la réponse, inventé, trouvé, parce que les théories mathématiques sont une chose et les applications dans les rues en sont une autre, et toute la difficulté se trouve dans cet écart — tu es un point quelconque si on prend les choses depuis les mathématiques et les lois géométriques, mais tu n’es pas seulement un point quelconque, tu n’es pas une théorie, tu n’es pas théorisée mais tu es attendue et espérée, et je ne suis pas une théorie mais une porte de sortie, et tu n’auras pas de compte, ni à rendre ni à compléter, et moi non plus je n’ai de compte ni à rendre ni à compléter : je nous propose l’égalité, l’égalité des animaux sauvages qui se retrouvent au crépuscule au bord d’un lac après la journée des humains, le soir et la nuit leur procure une douceur qu’aucune heure ouvrable ne peut leur offrir, je nous propose l’égalité des bêtes, le terrain neutre des grandes places des grandes villes, ou des petites places des villages, je te propose une rencontre à égalité pour que ni toi ni moi n’ayons à nous préparer à la rencontre, pas de déguisement, pas de menterie : la vulnérabilité de deux bêtes sauvages au crépuscule — j’ai trop traversé de villes (Détroit, Toronto, Montréal, Gaspé, Cork, Dublin, Liverpool, Southampton, Brest, Porto, Gibraltar, Tanger, Alger, Barcelone, Marseille, Ostie, Palerme, Athènes, Izmir, Beyrouth) et pas de camarades nulle part, simplement des gens qui passent,

 

16 — poètes maudits

et parmi tous ces gens qui passent comme s’il savaient où ils vont, comme s’ils avaient une idée précise de la destination où se rendre, parmi ces passants, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour nos poètes maudits, nos peintres chassés, pour nos prostituées cachées sur les trottoirs tordus d’une veille Europe un peu après la moitié du deuxième millénaire, la vieille Europe marchande qui venait de découvrir ses vocations commerciales de dealeuse de potions magique, je pense aux prostituées cachées sur les trottoirs dépeintes par les peintres, je pense aux poétesses qu’on appelait prostituées, je pense à mes ancêtres qui ont dû longtemps traîner en plein boulevard médiéval avant que l’allée ne soit dégagée pour les grandes affaires boutiquières, je pense à ces poètes qu’on chassait et qui devaient traîner, marcher pour ne pas mourir de froid parce que toutes les nuits connaissent cette heure particulière où le froid envahi les rues, même au coeur de la canicule, et c’est à cette heure que je pense quand je pense aux prostitués et aux peintres qui essayent de tenir leur pinceaux serrés, sur le trottoir, et qui jamais ne rentreront, jamais les poétesses et les prostituées, jamais parce que rentrer impliquerait de frapper à un porte et personne n’ouvre à ces gens-là, et même si par miracle une porte venait à s’ouvrir (il existe toujours un sur mille capable de ce mouvement), les poètes ne feront jamais ce mouvement de passer sous le porche avec la tête qui se baisse et le corps qui s’affaisse, même au péril du froid glacial de la nuit, un mouvement qui ne se pourra pas, nous préférerons mourir de froid les pinceaux à la main que derrière une porte à laquelle il faudrait s’abaisser à frapper, le Caravage ne se serait jamais laissé allé à ces positions contraires à ses pinceaux, il aurait préféré, mille fois, mille fois préféré se terrer dans quelque coin sombre et peut-être sale, recroquevillé, plutôt que de s’embarquer dans certains salons lumineux et chaleureux, parce que la peinture a un coût, le monde a un coût, et la posture n’est jamais autre chose que la réalisation concrète et cohérente d’un refus en temps et lieu, je veux dire : on ne dit pas à Don Quichotte de la Mancha que sauver le monde ne se peut pas parce que les moulins ne sont pas les monstres qu’il croit, on sait que les monstres prennent toutes sortes de formes et il n’est pas exclut qu’un moulin, ou une porte, ou un boulevard ne soient pas des géants monstrueux, je veux dire : c’est un principe mathématiques, ce n’est pas une erreur de jugement qui donne le faux résultat (eussé-je mille fois le mauvais résultat que cela ne voudrait pas dire que je me suis trompée, mais que j’ai mille fois essayé), le faux résultat est une fatigue (bien compréhensible parce qu’il est épuisant de comprendre), une fatigue qui fait lâcher la bride, une fatigue qui fait baisser la garde et se jeter sous la porte du premier venu alors même que nous n’avons pas accompli notre mission sur les toits des buildings (combien de fois Max Guevara, guérillère Dark Angel, n’a-t-elle pas été fatiguée — je crois que ce corps assis au sommet pendant les trois dernières secondes du générique est cette fatigue radicale, mais les hauteurs lui donnent foi et force pour plonger une fois encore), et une erreur de jugement ne fera jamais un échec comme une épreuve n’abolira jamais une épopée mais l’enflammera au contraire d’un poison qui décuple la puissance et l’acuité,


17 — remède mortel

et ne dis pas que toi aussi tu n’as pas besoin de ce poison qui est ce remède, il y a dans ces fioles mortelles un souffle de vie impossible ailleurs ou autrement, c’est le jeu, le jeu des adultes qui ont achevé la période de la douce enfance dans les champs et les jupons de la douce famille nucléaire à n’espérer rien d’autre que les courses au soleil une belle après-midi de juin — nous ne sommes plus en enfance et définitivement plus en juin, la saison du soleil pour continuer à croire que courir à l’horizon nous suffit, c’est pour cela que je viens te chercher dans ces lieux hideux tout de béton, au coeur de cette ville qui ne vit plus, qui est, pour ainsi dire, en état de mort clinique, tu le vois, plus personne ne se tombe dessus, plus personne ne se rentre dedans, on a évacué la plus belle métaphore de notre langue, tomber en amour, qui dit bien ce qu’il y a à dire, on ne dit plus tomber en amour parce qu’on sait qu’il n’est plus possible de se tomber dessus, et c’est pour ça que je t’adresse la parole la première, parce que j’ai brassé les dés et j’ai jeté les dés, et si aucun coup n’abolira le hasard, je veux croire à cette provocation qui presse un peu les choses, appelons destin ou rendez-vous, ou n’importe quoi qui te tente, mais ne faisons pas semblant de ne pas nous tomber dessus parce que ce n’est plus à la mode, ne faisons pas semblant comme ils font tous semblant, semblant de se connaître alors qu’après les « salut » conditionnés et automatisés, ils se laissent sans rancune peut-être mais sans amour véritable, ils se laissent parce qu’ils rentrent chez eux, ces gens-là se laissent mais moi, je ne veux pas te laisser, pas rentrer non plus, je veux rester là, dans le coeur de la ville, à te tendre la main, là, dans le ventre du monde, à te sourire et à te montrer toutes les possibilités qu’il y a,

 

18 — ne pas frapper le mur

il faut crever l’abcès de nos mondes mondains dans lesquels il n’est plus possible de prendre un temps pour se considérer : c’est tout de suite à la fuite lâche et vulgaire sous couvert de beaux mots rapidement échangés mais pas de vraies paroles pourtant, non, des stratégies lâches de déviations : « Tu m’excuses, ton nom déjà? » / « Tu m’excuses, je reviens. » / « Tu m’excuses, tu fais quoi ici? » / « On se reparle bientôt. » / « On se connait, non? / « Je suis en retard. » / « Tu m’excuses, comment tu vas? » / « Tu fais quoi dans la vie? » — et tout de suite après, le regard qui s’en va, et le corps ailleurs pour aller saluer qui d’autre et se faire laisser seule dans le milieu, cela fait des années que j’ai déserté les lieux de rencontre parce qu’au bout de cinq minutes je devais m’enfermer dans les toilettes et qu’il fallait que me concentre très fort pour ne pas frapper le mur, et qu’il fallait que je me raisonne très fort pour ne pas sortir une arme et débarquer dans l’assemblée pour régler un compte laissé trop longtemps en souffrance, et je sais que tirer dans le tas est une technique obscène qui n’a jamais donné lieu à aucune justice et que des jugements rapides auraient empêché une véritable explication, aussitôt l’arme sortie, je n’aurais pu m’exprimer calmement, elle est étrange cette crispation devant les armes sorties, alors même que nous voyons des cibles partout, je ne peux m’empêcher de voir des cibles sur chaque visage et je suis sûre que c’est la même chose pour les autres, et dans la confusion des cibles, nous ne parvenons pas à voir clair; c’est pour cela qu’il est important de choisir son adversaire comme on choisit son amant : en ayant confiance que c’est pour la vie, avec vue sur l’avenir comme dans les contes anciens, comme ces amants étrusques qu’on a retrouvé sculptés sur leur tombeau à égalité,

 

19 — dans le coeur visé

à égalité, au bout de la course, égale distance entre toi, moi et la gloire qui fera que nous n’avons pas vécu pour rien, la gloire, je veux dire la légende, je veux dire le récit épique d’un combat qu’on racontera longtemps après avoir oublié les Roméo et les Juliette, les Tristan et les Iseult (quand on se souviendra longtemps des Hector et des Achille, des Arthur et des Lancelot), et je ne vais pas te lâcher, parce que je suis une criss de guérillère qui ne lâche pas sa cible avant de l’avoir touchée, parce qu’on imagine d’abord sa cible, longtemps fantasme poétique de la cible, avant de la visualiser, et alors, dans la foule sans nom, la cible se dessine d’elle-même, se devine, cible parmi les cibles, comme le personnage se devine sur la toile vide entre les ombres et les lumières vives, le peintre ne peint pas, il arrache, il ne dessine rien mais débarrasse les lumières blanches sur la toile, et moi, je fais la même chose : je distingue les cibles dans la foule sans nom, je démêle le monde, comme une flèche se trace un chemin, une flèche qui traverse la foule sans nom en évitant tous les dommages collatéraux, frappe chirurgicale à travers la foule sans nom pour venir se planter dans le coeur visé et espéré — mais il devient si difficile d’utiliser ces armes dans la société des humains, si difficile de ne pas passer pour folle ou ridicule, et si le ridicule ne tue pas comme on dit si souvent, je crois qu’il fait bien pire encore : il fait douter, il fait douter et là, au milieu de la foule avec mes armes et mes stratégies, là, te cherchant comme si rien autour, il serait faux de dire que je n’ai pas senti un peu mes muscles faiblir, l’arc tendu commence par vaciller un peu, à peine, mais on sait que dans ces situations, le moindre tremblement à la base a des conséquences immenses sur la trajectoire de la flèche et la cible devient trouble, et ce tremblement peut me faire te perdre de vue, et il peut m’arriver, à moi aussi, d’être peut-être fatiguée, peut-être même épuisée, de traîner dans ces rues et de ne trouver personne qui me tombe dessus, je peux être épuisée d’entrer dans les hall de gare ou de théâtre et de jamais voir un regard qui veuille dire autre chose qu’une sympathique salutation, je suis peut-être épuisée de ces salutations qui sont comme ces boucliers en plastique qui ne protègent rien, qui ne rivalisent rien, qui ne provoquent rien sinon le mépris des combats factices, des combats règlementés, des adversités qui ne sont qu’une petite détestation moche et puérile,

 

20 — douter de la légende

et peut-être j’ai cru t’avoir perdue, c’est vrai, je ne devrais pas dire ça (je suis une héroïne, une fucking héroïne, et une héroïne ne doit jamais baisser les bras, jamais baisser les bras, ou la garde, une héroïne jamais baisser la garde ou les bras  ou les yeux ou baisser l’intransigeance), je ne devrais pas dire ça, mais j’ai cru t’avoir perdue, pour de bon je veux dire (la vie est faite de victoires et de défaites, de défaites plus nombreuses, les défaites en meutes quand les victoires se comptent en loups solitaires, errant sur des territoires immenses à marcher des centaines de kilomètres), j’ai cru t’avoir perdue pour de bon, je l’avoue, un dimanche matin particulièrement ensoleillé, un dimanche merveilleux pour se balader au centre-ville, un beau et doux dimanche matin propice aux activités familiales simples et sympathiques, ces matins qui me jettent à terre, qui me poussent à douter de tout, des détails comme des narrations capitales, ces matins, ces matins agréables pour les petites balades en famille, ces matins me pétrifient et peuvent même me faire désespérer, un matin j’ai cru te perdre, ce matin-là j’ai douté te chercher, je me suis vue ne plus vouloir te voir au loin, et je me suis vue ne plus voir les chemins (les traces parcourues et les voies traçables), et je t’avoue avoir pensé à renoncer (le mot sonne comme enterrement sans sépulture ou fosse commune), mais c’est la vérité, et est-ce que je n’ai pas juré de te dire la vérité, juré à voix basse et peut-être même juré sans jamais te regarder ou te voir, mais juré et promis pareil, est-ce que je ne t’ai pas promis une sincérité crue sans ce découpage qui plait aux beaux parleurs de ce monde, je ne suis pas un beau parleur, je suis une grande faiseuse, une bâtisseuse de cathédrales qui accumule les lourdes pierres de nuit pour que le château soit fort, et si je t’avoue avoir imaginé renoncer, je t’avoue aussi, pire, avoir douté de toi, de vous, de toi, tous ceux que j’ai vus et que je n’ai pas rencontrés, et j’ai douté de ta légende, douté comme un enfant vient à douter de la bête qu’il a si longuement cherché, la bête qui l’a souvent hanté, croisé au détour d’un grimoire ou d’un conte populaire qu’on se chuchote, et qui, en grandissant, commence à émettre de sérieux doutes sur son existence (il y avait une bête dans le Gévaudan qui rôdait de nuit dans la campagne…) — j’ai douté, c’est vrai, non de ton existence, mais de ta légende, et ce dimanche matin de merde, dimanche matin qui pue la mort domestique, matin qui donne le goût de sortir une arme et de se cibler la face et pour de bon,

 

21 — secours chant triste

j’ai imaginé ne plus te chercher, comme un prêtre refermerait lourdement la grosse couverture en cuir de la Bible en pensant « il n’y a plus rien là-dedans, tout sonne faux, les paraboles sont des fables pour les enfants et les imbéciles », comme ce prêtre, j’ai perdu la foi, et perdre la foi ce n’est pas simplement perdre une fois, c’est en même temps faire tout s’effondrer (le désert de sable, les oasis possibles même si mirages, les places de marché sur lesquelles s’arrêtent les marchands du temple sur lesquels ne pas compter, les rivages méditerranéens pour accoster, le pain, l’huile d’olive, le vin, le vin qui n’est pas que le vin mais aussi le sang et la vie aussi), en perdant foi une fois, c’est tout le monde que tu perds, et en te perdant, ce dimanche matin commun parmi les communs, j’ai vu les moulins de Consuegra s’arrêter, j’ai vu les moulins n’être plus que des moulins, et j’ai vu les toits des hauts buildings des villes s’affaisser, j’ai vu les autels s’effondrer et plus rien sur quoi se dresser (plus d’autel, plus de château fort, plus de rocher surmonté), et j’ai vu les grandes toiles des peintres maudits se faire inonder de lumière comme on lave à la Javel, et on aurait dit un enterrement sans sépulture, une fosse commune, mais les dimanches matin de petit soleil tiède, de promenades molles le long de tel boulevard occupé par les marchands du temple ou par les touristes qui ne cherchent rien d’autre qu’eux-mêmes dans le petit délire exotique des virées dominicales, mais les dimanches matins passent et tu attends le soir comme tu attends les renforts, les renforts arrivent toujours là où on ne les attend pas et jamais par la forme prévue : la cavalerie te laissera toujours tomber quand tu verras, dès le crépuscule, débarquer la petite troupe que tu pensais morte, la petite troupe vient à ton secours au rythme d’un chant triste mais assuré (« Notre vie est un voyage / Dans l’hiver et dans la Nuit, / Nous cherchons notre passage / Dans le Ciel où rien ne luit. », la petite troupe te rejoint, toujours comme cela que je me suis représenté le soir qui tombe : une troupe en renfort au son triste d’un chant positif,

 

22 — pas passer le hasard

et alors que le crépuscule s’étend comme on recouvre une plaie d’un onguent magique, alors que la nuit tombe (camarade fidèle et bienveillante, temple radical), je me lève comme si pas de douleurs musculaires, aucunes, comme si fatigue était une vieille histoire pour faire peur aux enfants, et je remets le voyage, je remets les vêtements et les armes pour sortir dans la nuit comme si aventure et risque total et armes nécessairement à la main ou a la ceinture, à la ceinture, au moins, pour dégainer à n’importe quel moment et dans n’importe quelle position, même les plus délicates, les plus périlleuses, comme c’est le cas des soirées comme celle-là, où rien ne dispose au combat, encore moins à la rencontre (parce qu’une devant les autres, et qu’on ne tend pas la main ou l’arme à qui se trouve devant), mais on sait jamais, comme le dit une amie poète du siècle dernier (« Les hasards de nos vies nous ressemblent. »), et je ne laisserai jamais passer un hasard, dussé-je me fatiguer à me préparer pour rien (la fatigue est une menterie, et rien est l’origine de tout), je remets le voyage en route et je laisse la nuit m’éclairer (animale nocturne qui a besoin du manque pour avancer), la nuit comme trêve entre deux guerres infinies, guerres épuisantes comme courses sous le soleil brûlant, toute la journée à s’épuiser, finir brillante de sueur pour avoir couru et cherché la percée brillante dans le rempart, toute histoire est une histoire de remparts qu’on cherche à percer, non, toute l’histoire de l’humanité est le récit des hostilités et de leur aboutissement en affrontement au bout de deux fois dix ans de traque, de rendez-vous manqués, et de retrouvailles, finalement, dans le camp ennemi, à l’heure superbe des trêves :

23 — la plus belle histoire

la plus belle histoire de notre histoire, toutes guerres confondues, toutes paix confondues, est l’histoire du roi Priam; non : la plus belle histoire de notre histoire, toutes guerres confondues, toutes paix confondues, est l’histoire d’Achille rendant le corps d’Hector au roi Priam, l’histoire d’un père qui traverse le camp ennemi, transgressant toutes les règles de guerre et de paix, bravant la folie des hommes pour se retrouver face à son pire ennemi, et demander à son pire ennemi la plus grande de toutes les faveurs; fallait-il être au sommet du désespoir pour tenter cet espoir insensé et espérer de la nuit qui assomme pour oser, et Achille, le plus grand de tous les guerriers, Achille, qui avait il y a quelques jours trainé le corps d’Hector à sept reprises autour des remparts troyens, Achille, chien assoiffé et ensanglanté, chien fou de gloire, ivre de colère depuis le début, Achille, dans le coeur de la nuit bravée, accepte, accepte le duel avec le roi Priam, accepte la confrontation, accepte de rendre le corps et de laisser repartir le roi Priam, accepte le sommet insurmontable; c’est de cette rencontre dont je ne cesse de parler dans l’immensité de cette nuit dont je ne trouve plus la porte d’entrée (les nuits, comme les cités, ont des portes d’entrée qu’on ne découvre qu’après s’y être perdu et avoir risqué la mort plusieurs fois), c’est une rencontre de cette trempe que j’appelle en t’appelant, et c’est toujours pareil, à l’amour comme à la guerre, il faut être deux, à l’amour comme à la guerre, il faut se dévisager et s’envisager, et je crois que tout se tient, non dans la réconciliation forcée (on n’exige pas une trêve, on ne force pas un cessez-le-feu), mais dans ces rapprochements vertigineux entre deux ennemis qui se découvrent un terrain commun, un territoire connu :

 

24 — j’ai dit des choses

je t’ai parlé du monde, j’ai dit des choses, j’ai dit beaucoup de choses, certains diraient trop, mais ce sont de tristes comptables qui ne savent pas que pour parvenir à la bonne somme il faut très longtemps échanger les devises, souvent même pendant des années, collectionner les pièces précieuses, rassembler ses forces et tout son petit change, pour enfin donner un chiffre et enfin ouvrir un compte — et je sais que nous avons un compte en commun, je ne sais pas combien d’années il nous faudra pour tomber juste ou se tomber dessus, mais je sais que ce n’est qu’une question de temps et d’espace et j’ai tout mon temps et le monde est vaste et la vie ample, l’horizon ouvert en trois cent soixante degrés, et je n’ai pas peur des voyagements, pas peur des routes à prendre ni des détours bien naturels sur cette carte où il faut rivaliser d’imagination et de combinaisons poétiques pour se frayer un chemin, et se frayer un chemin (à travers les siècles ou les ruines) est la seule raison qui puisse se justifier (pour te trouver ou te perdre), et je me souviens très bien (comme on se souvient très bien du son de l’eau d’un ruisseau au-dessus duquel on s’est longtemps penché) de ce que m’a dit un jour Asja Lacis, cette jeune théâtrale, dans une Europe dernière, ce qu’elle m’a dit un jour, un jour semblable à ces dimanches matins tièdes : « On évite le définitif, le défini. Il n’y a aucune situation qui semble conçue telle quelle pour toujours – aucune forme affirmant être "ainsi et pas autrement. " » — et je conserve les échanges et les souvenirs comme une veste arrachée au moment exact où il fallait l’arracher alors que rien ne prédisait que j’allais porter un costume pour m’avancer, un costume que je porte toute ma vie, été comme hiver, soleil plein, nuit absolue, et j’ai confiance en toi (de ne pas avoir su refuser jusqu’à cette heure la main tendue et le gant jeté) et j’ai confiance en ma terre (que je crois sincèrement peuplée de bonnes intentions pour les étrangers qui se respectent) et j’ai confiance au destin (qu’on appelle fortune, événement, aventure, utopie ou déesses primordiales selon les zones et les époques), et j’ai surtout confiance toujours un camp ennemi à traverser de nuit, toujours une nuit à se risquer et à se commettre et jamais de vérité assez forte pour me faire douter de toi parce que je sais le théâtre de nouvelles constellations imprévues, et je sais l’espoir des débordements, et la possibilité des bifurcations,

 

épilogue — 

je devrais rentrer chez moi, j’aurais dû rentrer chez moi, mais j’ai trop erré pour que chez moi ou rentrer veuille dire quelque chose, on ne rentre pas chez soi après avoir bataillé le monde et même si les batailles n’étaient pas vraiment les batailles attendues, espérées, on ne rentre pas; as-tu imaginé que tout cela soit une histoire inventée, je veux dire que je n’ai jamais eu d’arme à la main et pas plus de cible devant les yeux, as-tu pensé au fait que je pourrais avoir menti sur toute la ligne : c’est comment un guerrier qui raconte du faux, est-ce qu’il est toujours autant un guerrier si ses guerres ne sont que des guerres racontées, je veux dire est-ce que ce qui fait le guerrier, c’est la guerre, ou l’histoire qu’il en tire; il y a des gens qui disent que le voyage d’Ulysse est une invention, une histoire qu’il invente pour les Phéaciens, et qu’il n’a rien vécu de son Odyssée précisément : seulement, un jour, une jeune femme, la princesse Nausicaa, le découvre sur le rivage (homme plus tout jeune échoué sur la plage, longue barbe hirsute, corps abimé balloté par les flots), et elle lui demande d’où il vient, et comme il ne peut pas décemment répondre « je viens de la mer de laquelle j’ai été rejetée », il réfléchit, et sa réflexion prend une vitesse astronomique, et en un atome de seconde il se refait le plan dans sa tête (Troie, la guerre, oui, bien sûr, les Moulins à vent de la Mancha, le toit des buildings de Seattle, les rues mal famées de Milan, le sable chaud de Tanger, les capuches, les vestes arrachées, le marbre abimé, les cibles sur les faces des gens, les foules sans nom, les hauts remparts cathares, les flèches lancées, les boucliers portées, les places de marché, Bagdad, les temples, les ruelles sombres, les boulevards allumés, les portes, les grandes toiles peintes et les chants) et il se dit : « je suis Ulysse, je suis le voyage, et le guerrier, et je cherche mes ennemis et mes enfants, et dans mon odyssée j'ai connu des combats qui avaient la douceur d'une caresse sur la joue d'un enfant quand on lui dit en partant à la guerre "je reviendrai et sous ce soleil nous vivrons à nouveau" » — je reviendrai, parce que je ne pars jamais vraiment (des traversées, des échappées) et dans cette nuit, dans les coins d’ombres qu’on se garde juste pour nous, à l’abris du bruit et des tentatives d’évidence, nous combattrons, et peut-être que je t’ouvrirai le bouclier quitte a risquer moi-même les coups, et peut-être que j’allumerai les flèches pour nos éclipses à l’envers : rien de plus beau que de risquer.


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