SCENE 1
Chez Mireille.
Nous sommes en 1990.
Un pavillon pas très bien entretenu, ça sent la pauvreté.
Il y a du linge sur une table à repasser, des affaires de gamins, des jouets, des paquets de couches.
Mireille sillonne la pièce comme une folle, elle pleure, crie, répète sans arrêt la même phrase.
MIREILLE
Mon dieu, mon dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Je suis folle. Mon dieu, bordel, c’est pas possible.
Elle prend un téléphone, appelle sa copine Magali.
MIREILLE
Allô ? Allô, Magali, j’ai fait une connerie. Tu m’entends ? J’ai fait une connerie, viens vite. Je sais pas quoi faire. Je deviens folle. Viens.
On entend un bébé qui commence à pleurer.
MIREILLE
Arrête ta télé ! Arrête-là, bordel ! Je te dis que c’est grave. Viens. Je suis folle, j’en peux plus. J’ai fait une connerie, je te dis. Mais non, ah j’en ai marre de cette vie de merde. Viens. J’ai fait du mal à Kévin. J’ai perdu la tête. Je suis à bout. Ce môme n’arrête pas de pleurer alors j’ai craqué. J’ai fait une connerie. Je sais pas, je sais plus, je l’ai frappé, ou je l’ai jeté, non, attend, il était dans son bain alors je l’ai, non, c’était après, je sais plus Magali je sais plus mais je lui ai fait mal. Quoi ? Mais non je regarde pas la télé. Quoi ? Mais c’est chez moi. Oui c’est chez moi les pleurs. Hein ? Ben un bébé. (réalisant soudain) Oh c’est Kévin ! C’est Kévin ! Alors il est pas…Je suis folle !
Elle se précipite vers la chambre d’où proviennent les pleurs.
SCENE 2
Magali et Mireille sont sur un canapé.
Mireille est encore effondrée.
Une bouteille de vin est débouchée.
MIREILLE
Je te jure que j’y ai cru. Ça tournait dans ma tête, j’avais toutes les idées qui s’emmêlaient, Kévin n’arrêtait pas de brailler, j’ai cru que j’allais devenir folle. Je te jure que j’ai cru que je l’avais balancé, je me vois, j’ai encore l’image…
MAGALI
Calme-toi. Tiens, bois un godet, c’est du bon, je l’ai piqué chez l’arabe du coin.
MIREILLE
T’as bien fait. Il m’arnaque sur les paquets de couches. Mais je peux pas les prendre chez Mammouth ça fait trop loin pour ramener. Ah, ça fait du bien de te voir. Merci Magali.
MAGALI
Arrête, ça sert à ça les copines.
MIREILLE
Il s’est calmé tout de suite avec toi. Moi, j’avais l’impression qu’il m’engueulait, il était tout rouge, il s’est presque fait vomir, ce petit con.
MAGALI
Il te sent stressée, c’est pour ça. Il ressent que tu vas pas bien alors il gueule, c’est sa façon de réagir.
MIREILLE
Ah le petit braillard ! J’ai eu peur. T’es sûr qu’il a rien ? T’as pas vu de bleus ?
MAGALI
Rien. T’as rêvé. T’as cru que tu le frappais mais c’est tout. Il a rien, il va bien.
MIREILLE
J’ai trop les boules. Ça me rend dingue. Je suis dans la mouise jusqu’au cou, plus un kopeck, son père m’envoie plus rien. Je ne sais même pas où il est. Je te jure ! Je tombe toujours sur ce genre de sale type.
MAGALI
Ils doivent te repérer. Ces connards ils ont du flair. Ils se disent « avec elle ça va être facile ». Et puis quand ils t’ont piqué tout ton fric, qu’ils ont fait le tour de la question au plumard et qu’ils t’ont mis un petit jésus dans le tiroir, ils taillent la route.
MIREILLE
C’est pour mes mômes que j’ai peur. Je veux pas qu’on me les retire.
MAGALI
On te les retirera pas.
MIREILLE
Mais si je me mets à les frapper ?
MAGALI
Tu les frappes pas, c’est dans ta tête, c’est tout. Et Mickael, il est où ?
MIREILLE
Chez sa grand-mère. Au moins, pendant ce temps-là il mange bien. Mais elle ne le garde que trois jours, elle fatigue vite.
Arrivée de Françoise, les bras chargés de sacs de légumes.
FRANCOISE
Eh ben, tu fermes plus ta porte ?
MAGALI
C’est moi, je suis arrivée en catastrophe.
FRANCOISE
Regardez ce que je vous apporte, les filles. Des beaux légumes bien fanés. Bon, il y a quelques feuilles à enlever, c’est les invendus du marché, mais il y a de quoi faire une bonne soupe.
MIREILLE
Super Françoise, c’est drôlement gentil.
FRANCOISE
Vous en faites des têtes ? Quelque chose qui va pas ?
MIREILLE
Tu rigoles, rien ne va. On est le quinze j’ai déjà plus rien. Deux mois de retard. L’arabe me fait plus crédit. Et en plus j’ai frappé Kevin.
MAGALI
Dans sa tête. Elle a cru qu’elle le frappait mais il a rien.
MIREILLE
Mais tu te rends compte. En arriver à penser que je peux frapper mes gosses c’est que je deviens dingue. J’ai même pas de quoi acheter des clopes pour me calmer.
FRANCOISE
Tiens, je te donne le reste de mon paquet.
Françoise donne un paquet entamé, Mireille se précipite dessus et allume une cigarette.
MAGALI
Moi j’ai ramassé des mégots, hier. Je vous jure. Devant la boulangerie t’en as qui jettent des trucs longs comme le doigt pour pas fumer à l’intérieur. Moi je ramasse.
MIREILLE (riant)
Elle ramasse des mégots ! Ah ah ! L’autre qui ramasse des légumes pourris et moi qui perd la boule ! Ah ah, les filles, on forme une fameuse triplette de loqueteuses !
Mireille va chercher un verre et le remplit.
MIREILLE
Tiens, ma Françoise, on trinque à cette belle vie de princesse et à nos princes qui se sont tirés.
MAGALI
Ça, pour ce qui est des princes, c’est sûr qu’il n’y en a pas une d’entre nous qui est mieux lotie que les autres.
FRANCOISE
Oui, enfin vous, vous n’avez jamais eu droit à un petit séjour aux urgences tous frais payés par la sécu.
MIREILLE
Allez, on trinque !
Elles frappent leurs verres.
MAGALI
On n’a pas dit à quoi on trinquait !
FRANCOISE
À l’amour !
MIREILLE
Au fric !
MAGALI
Au bonheur !
Elles re-trinquent. Et rigolent.
MIREILLE
C’est con, la vie, tout de même. Parce que si on n’était pas malheureuses on serait vachement heureuses.
Eclat de rires.
FRANCOISE
Ça, comme grosse connerie, difficile de faire mieux !
MAGALI
Miss Pléonasme.
MIREILLE
Non mais vous m’avez comprise. Je veux dire qu’on est des bonnes natures, on rigole bien, on fait de mal à personne et même mieux, moi j’ai pas un radis eh ben j’ai donné dix francs à un clodo. Mais cette foutue vie s’acharne sur nous. L’égalité des chances à la naissance, mon œil ! Mon père est mort juste avant de prendre sa retraite et ma mère ne va même pas chez le toubib quand elle est malade. Pas les moyens.
MAGALI
Les gens disent que quand on a le soleil on n’a pas besoin de sécu.
FRANCOISE
Moi, quand je dis que j’habite L’Isle sur la Sorgue, on me traite de bourgeoise. Le Luberon ça fait pas tout, j’habite quand même dans une HLM. Et pas terrible en plus.
MAGALI
Mais si, tu es une bourgeoise ! Tu es celle qui gagne le plus en vendant sur les marchés.
FRANCOISE
Parce que toi, à la boulangerie…
MAGALI
Mi-temps, ma vieille, tout juste de quoi pas crever de faim. Heureusement que je fais des ménages.
MIREILLE
Et moi, championne tous terrains, le bon petit RMI, qu’on appelait avant l’aide aux femmes. Merci monsieur Rocard.
FRANCOISE
À nous trois ça fait même pas ce que Renaud gagne chaque matin en se levant.
Rires.
MAGALI
Pas le matin ! Toi tu te lèves le matin, lui c’est à l’heure du goûter des mioches.
MIREILLE
N’empêche, tu as vu sa baraque ?
MAGALI
Non, je sais pas dans quel quartier elle est.
MIREILLE
Mille mètres carrés au moins.
MAGALI
Et Dave, Michel Leeb, Ines de la Fressange, Guy Marchand, Jack Lang, ils habitent tous dans la région mais ça me remplit pas les poches pour autant.
FRANCOISE
J’ai vu Dave, l’autre jour, sur le marché, il avait une bagouse qui devait peser plus lourd que mon kilo de bananes.
MAGALI
Putain, pourquoi je gagne pas des lingots ? Moi aussi je sais chanter.
Elle commence à chanter quelques paroles de la chanson « Vanina » mais les autres la font taire.
MIREILLE
Chut, tu vas réveiller Kévin.
MAGALI
Voilà, voilà pourquoi on ne roule pas sur l’or, parce que le talent est toujours entravé.
Rires.
MAGALI
Oh, merde. J’ai oublié Thomas à la maternelle. Je vais encore me faire engueuler.
SCENE 3
Dans le coin cuisine, Mireille fait sauter une crêpe.
Magali installe des couverts sur une table, Françoise ouvre une bouteille de cidre.
MAGALI
Oh dites donc, les filles, c’est la fête aujourd’hui.
MIREILLE
La chandeleur c’est la chandeleur, c’est les crêpes et le cidre ! Enfin, le cidre, c’est Magali.
FRANCOISE
Et les crêpes « vous avez de la pâte…
MAGALI MIREILLE FRANCOISE
…vous avez du suc’ alors avec la pâte vous faites une crêpe et vous mettez du suc’ dessus ».
Rires.
MIREILLE
Allez, on mange pendant que c’est chaud.
Elles s’attablent et commencent à manger.
FRANCOISE
Je reverrais bien Les bronzés, qu’est-ce que j’ai rigolé la première fois.
MIREILLE
Y’a des trucs un peu lourds quand même. « Je me suis niqué 3827 kilos de gonzesses » c’est vulgaire, non, vous trouvez pas ?
MAGALI
Un peu mais se faire niquer par Thierry Lhermitte moi je dis pas non.
MIREILLE
Moi par n’importe qui en ce moment.
FRANCOISE
Ah non Mireille, pas toi, t’as pas la main verte avec les mecs.
MIREILLE
C’est pas verte que je veux l’avoir c’est dans le slip d’un beau gosse.
MAGALI
Les beaux gosses c’est pas pour nous. T’as vu nos tronches.
FRANCOISE
C’est sûr qu’on a besoin d’un bon brushing.
MIREILLE
Et d’un peu de trompe-couillon sur les cernes. Quand je me regarde dans la glace je m’fais peur.
MAGALI
Trop cher. L’autre jour j’ai voulu piquer un rouge à lèvres chez Marionnaud, je me suis fait gauler. J’ai tordu le bras du vigile et j’ai couru comme une folle. Vous auriez vu le sprint. Je passe plus dans le coin, j’ai peur qu’on me reconnaisse.
MIREILLE
Tu lui as tordu le bras ?
MAGALI
Oui. Il me chope comme ça (elle mime) « Hé ma cocotte, viens me montrer ton sac » en me tenant par le coude. J’ai pas hésité, j’ai fait un demi-tour sur moi-même, je me retrouve dans son dos et hop, je lui fais une clé de douze.
Eclat de rire. Applaudissements.
FRANCOISE
Dis-donc Magali, championne, tu te laisses pas faire.
MAGALI
Jamais. Comme Thelma et Louise. Les mecs, cachez-vous ou je vous flingue.
MIREILLE
C’est quoi ça, Thelma ?
MAGALI
Un film que je suis allé voir avec mon cousin Fred, c’est lui qui payait. Deux nanas qui traversent les Etats-Unis et qui flinguent tous les lourdauds qui veulent se les faire.
FRANCOISE
Un peu comme Bonnie and Clyde ?
MAGALI
Pas vraiment. Thelma et Louise c’est plus des filles qui se vengent des machos.
MIREILLE
Et Bonnie and Clyde c’est plutôt pour le fric.
MAGALI
Oui. Aboule ton fric et plus vite que ça.
MIREILLE
Ou l’autre film « Prends l’oseille et tire-toi ». Drôle celui-là.
FRANCOISE
Voler une banque c’est pas du vol. Parce que les plus grands voleurs c’est les banquiers.
MAGALI
Ils se font du fric sur le dos des particuliers. Et quand tu demandes un prêt bancaire ils trouvent toujours un moyen pour te le refuser.
MIREILLE
T’as drôlement raison, ma Fanfan. C’est des chiens. Mon père, il voulait agrandir la maison pour que mon frère et moi on ait chacun notre chambre. Eh bien ils ont refusé de lui avancer l’argent. Trop petit revenu, vous pourrez pas rembourser. Mais notre argent il est dans votre banque, connards !
FRANCOISE
T’inquiètes que le Bernard Tapie, tout voleur qu’il est, il n’a eu aucune difficulté pour acheter son yacht. T’as vu la longueur ?
MAGALI
Tout juste s’ils n’ont pas agrandi le port de Marseille pour faire entrer le Phocéa.
FRANCOISE
Ah le roublard ! Moi je dis chapeau Bernard. Parti de rien et maintenant milliardaire.
MIREILLE
Moi je dis qu’on devrait les attaquer, les banques. Comme la Bande à Bonnot.
MAGALI
Pas bête. Pourquoi on le ferait pas ?
FRANCOISE
C’est vrai, on n’est pas plus bêtes que les mecs.
MIREILLE
Et puis je dis qu’on a rien à perdre. On touche le fond. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre pour s’en sortir ?
FRANCOISE
La pute.
Tollé général.
MAGALI
T’es folle ? Tu vas pas vendre ton cul pour toucher trois radis ?
MIREILLE
Et te choper une maladie.
FRANCOISE
Je l’ai déjà fait et j’en suis pas morte.
MAGALI
Quoi ? T’as fait la pute ?
MIREILLE
T’as fait la pute ?
FRANCOISE
Ben oui. Mais pas sur le trottoir.
MAGALI
Mais où ça ?
FRANCOISE
Chez moi, la semaine dernière, après le cinéma.
MIREILLE
Tu veux dire quoi ?
FRANCOISE
Après le cinéma j’ai couché avec mon cousin. Il avait payé le cinéma.
Soupirs de soulagement.
MAGALI
Ah mais c’est pas faire la pute, ça.
MIREILLE
Coucher avec son cousin, tout le monde l’a fait.
MAGALI
Tu devrais même le faire plus souvent.
FRANCOISE
Oui mais il m’a filé de la thune. C’est bien faire la pute de coucher pour de l’argent.
MIREILLE
Non, faire la pute c’est coucher avec des gens que tu connais pas, des vieux, des moches, des malades, des tubards, des qui puent, des qui se lavent pas, des chinetoques, des turques qui sentent l’ail…
Elles poussent toutes des cris d’indignation.
MIREILLE
Quoi ? Mais quand t’es pute, t’as pas le droit de choisir. Tu prends ce qui veut bien de toi sinon tu te fais dérouiller par ton proxo.
MAGALI
C’est sûr qu’attaquer une banque c’est plus propre comme boulot.
FRANCOISE
Oui mais c’est pas facile. On l’a jamais fait. Vous savez comment vous y prendre, vous ?
MAGALI
Et puis faut des armes parce que si on se pointe avec un sac à main en disant « donnez-nous la caisse s’il-vous-plait », on touchera même pas un pourboire pour la rigolade.
MIREILLE
Attendez, je reviens. Finissez les crêpes.
Mireille sort côté chambre.
MAGALI
On se loue deux trois cassettes vidéo de films de gangster et on note comment ils font. Il y en a qui sont drôlement réalistes.
FRANCOISE
C’est vrai, moi parfois je ferme les yeux tellement y’a trop de suspense. Et en même temps ça m’excite méchamment.
MAGALI
Moi c’est quand ils fourrent les grosses liasses de billet dans les sacs que ça m’excite. Punaise, palper l’oseille. Je me vois déjà aller dans les magasins et rembourser mes dettes.
FRANCOISE
Faut pas rembourser Magali, regarde le gouvernement, tu crois qu’il rembourse sa dette ?
Mireille revient en courant. Elle a une petite cagoule et elle braque ses copines avec un revolver.
MIREILLE
Haut les mains, les filles. Sortez les billets et pas un geste sinon je tire.
Après avoir eu peur les filles éclatent de rire.
MAGALI
C’est pas vrai ! Mais j’y ai cru.
FRANCOISE
Tu m’as fait peur sur le coup.
MIREILLE
Mais pourquoi on vous braquerait les filles, vous avez rien.
MAGALI
C’est l’effet de surprise qui fout la trouille. Quand t’es tranquille, peinarde, que tu fais ton petit taf et que quelqu’un surgit devant toi avec un flingue, t’as le cœur qui cogne à cent vingt.
MIREILLE
Et puis faut gueuler ! Ça aussi ça fout la trouille. Après ils deviennent gentils comme des agneaux.
MAGALI
Avec nos voix de gonzesse, ça le fait moins.
MIREILLE
Moi quand je fume un paquet clope sur clope j’ai vachement la voix plus grave.
FRANCOISE
Hé, le pétard ça le fait vachement.
MIREILLE
C’est un jouet à Michaël. La cagoule aussi. Bon elle est trop petite mais c’était pour l’exemple.
MAGALI
Moi je dis on s’achète des cagoules à la bonne taille, deux ou trois flingues bien imités, des grands sacs de sport et on se fait la BNP de Cavaillon.
FRANCOISE
Faut des survêts aussi parce que en jupe et tee-shirt, ça le fait pas.
FRANCOISE
Et des baskets.
MIREILLE
Eh oh, les filles, on parle de piquer de l’argent pas de le dépenser.
MAGALI
Faut toujours investir dans du matos pour commencer, dans tous les films c’est comme ça.
MIREILLE
Oui mais dans les films c’est de la fiction tandis que là, faut trouver du vrai fric.
MAGALI
On va en trouver. J’aime pas beaucoup faire ça parce que, si je me fais prendre, je me fais virer mais à la boulangerie je peux tirer un billet ou deux dans la caisse.
FRANCOISE
Moi aussi, je peux au marché mais…
MAGALI
Mais quoi ?
FRANCOISE
Vous voulez vraiment le faire, les filles ?
MIREILLE
Un peu mon n’veu !
MAGALI
Pourquoi ? T’en es pas ?
FRANCOISE
C’est-à-dire que, moi, j’ai un casier. Si je me fais attraper c’est la zonzon direct.
MIREILLE
Ah c’est vrai, t’as eu du sursis.
FRANCOISE
Oui sursis ça veut dire que j’ai eu six mois, je suis pas allé en prison mais à la moindre récidive c’est le double.
MAGALI
Quelle idée d’aller visiter une villa sans se renseigner si elle est occupée ou pas !
FRANCOISE
J’ai rien fait, je suis resté dans la voiture. Mais ce connard de Djibril a réveillé tout le quartier avec l’alarme.
MIREILLE
Pas grave, Magali et moi on fera le coup et toi tu garderas les gosses. Parce que faut pas oublier qu’on a des gosses, les filles !
FRANCOISE
Ok comme ça.
MAGALI
Et la bagnole ? On va pas revenir de Cavaillon en vélo, ça fait pas très Taxi Driver.
FRANCOISE
Mais pourquoi Cavaillon ? On a qu’à faire le Crédit Lyonnais du Thor.
MIREILLE
On est connues au Thor. Pareil pour L’Isle-sur-la-Sorgue, Saumane, Velleron. Faut aller plus loin.
MAGALI
Ça change pas le problème de la bagnole. Moi je sais pas voler les bagnoles.
FRANCOISE
Moi non plus.
MIREILLE
Moi non plus. C’est là qu’on voit qu’on n’est pas des mecs.
FRANCOISE
On peut peut-être demander à Fred ?
MAGALI
C’est qui Fred ?
FRANCOISE
Mon cousin.
SCENE 4
Les filles sont rassemblées face à Fred. La scène fait penser à un interrogatoire de police. Fred est un type un peu falot, voyou mais pas de grande envergure.
Mireille tient son bébé dans les bras, elle lui donne la tétée.
MIREILLE
Ecoute, on te propose un plan. On va faire un coup mais on a besoin d’une bagnole…Eh oh, je te parle !
FRED
Vas-y, je t’écoute.
MIREILLE
Donc, on va faire un coup. On a besoin d’une bagnole et d’un chauffeur. Tu serais partant ?
FRED
Avec vous ?
MIREILLE
Qu’est-ce que je viens de te dire ?
FRED
Quel genre de coup ?
MIREILLE
Si je te le dis, tu répètes pas, okay ?... Eh, tu peux regarder ailleurs ? T’as jamais vu un bébé qui tète ?
FRED
Si et je trouve ça drôlement joli.
MAGALI
Je suis pas certaine que ce soit le bébé qui l’intéresse.
FRED
Vas-y, accouche.
MAGALI
On veut attaquer une banque.
Fred éclate de rire.
FRED
Vous ?
FRANCOISE
Oui, nous. Pourquoi tu te marres ?
FRED
Mais vous êtes des filles ! J’ai jamais entendu dire que des filles faisaient des braquages.
MIREILLE
Eh ben ce sera une première !
MAGALI
Et on est super motivées !
FRANCOISE
Elles ont répété, elles sont super flippantes.
FRED
Pourquoi tu dis « elles », t’en es pas, ma cousine ?
FRANCOISE
J’en suis. T’occupes pas de l’organisation, nous on gère.
FRED
Un peu que je m’en occupe. C’est ma bagnole et c’est moi au volant. Je tiens pas à me faire serrer.
MIREILLE
Tu crois que nous on tient à se faire serrer ?
MAGALI
Fred c’est sérieux. On sera les premières à faire ça mais on veut que ça se passe bien. C’est pour nos gosses, tu comprends ? On veut qu’ils aient à manger tous les jours, qu’ils aient les fesses bien au chaud dans habits pas troués.
FRANCOISE
On en a marre du RMI, des patates six jours par semaine et l’eau de cuisson pour le septième. On en a marre de faire les voleuses dans les grandes surfaces.
MAGALI
Ou de prendre un produit et le remettre en place parce que trop cher quand on fait les courses.
MIREILLE
Et de regarder Mitterrand nous promettre la redistribution des revenus. On veut du beurre dans nos épinards.
FRED
Et payer sa place de cinéma, hein Françoise ?
FRANCOISE
Oh ça va !
FRED
Pour la thune on fait comment ?
MIREILLE
Je sais pas, on n’a pas réfléchi.
FRED
Oh putain, les filles, vous me faites flipper.
MIREILLE
On n’a pas réfléchi parce qu’on sait même pas combien ça peut faire.
FRED
Moi je dis : on est quatre on divise par quatre. Et dix pour cent pour la bagnole.
FRANCOISE
Tu vas les chercher où tes dix pour cent une fois qu’on a divisé par quatre, nigaud !
Les filles rigolent.
FRED
Vous foutez pas de moi. Je veux cent balles d’essence.
FRANCOISE
Mais tu les auras tes cent balles !
MAGALI
Heureusement que tu fais pas taxi parce que cent balles pour faire vingt bornes, tu aurais pas souvent de clients.
Le ton est monté.
Mireille fait taire tout le monde.
MIREILLE
Chut ! Parlez plus doucement, Kévin s’est endormi.
FRED
Kévin comme le gosse de « Maman j’ai raté l’avion » ?
MIREILLE
Te moque pas, c’est un vieux prénom gaëlique. Je vais le coucher.
Mireille sort.
MAGALI
Bon, écoute Fred, on a pensé le faire jeudi prochain, juste avant la fermeture, parce que le matin c’est le jour du marché et donc l’après-midi il y aura le blé que les marchands auront déposé.
SCENE 5
Un espace délimité par la lumière.
YASMINE
Je m’appelle Yasmine, je fais partie des gens du voyage. Ce qui me fait rire parce que mes parents vivent au même endroit depuis vingt ans. Pour les uns on est des manouches, pour les autres des Roms. Moi je m’en fous, je dis que je suis française et celui qui me cherche il me trouve. C’est les autres qui nous donnent un nom, d’ailleurs ils mélangent tout, gitans, manouches, romanichels, tziganes, on nous fourre tous dans le même panier et ce panier c’est le même que celui des juifs. Pendant la guerre on avait droit à notre étoile nous aussi. Je suis pas une voleuse de poule, comme ils disent, je mange pas de hérisson non plus, ce sont de grosses conneries. Mais par contre, avec ma tête et mon nom – Rodriguez – c’est pas facile de trouver du boulot. « Yasmine Rodriguez ? Vous êtes sûre que vous êtes française ? ». Chez nous y’a pas de caravane, pas de grosse Mercedes, pas de grand-père à moustache qui joue de la guitare, on est comme tout le monde. On essaie de vivre et même de survivre. C’est juste un tout petit peu plus compliqué.
SCENE 6
On retrouve le trio de filles qui exulte. Elles sont habillées en survêtement et basket, deux gros sacs de sport sont posés au sol.
Mireille jette des billets en l’air.
MIREILLE
Le fric ! le fric ! le fric ! On est riches !
MAGALI
Je savais pas que ça pouvait exister autant de pognon.
Magali prend un sac et le renverse sur elle, elle est inondée de billets.
MIREILLE
Putain, on l’a fait, Françoise, on l’a fait !
FRANCOISE
Bravo les filles ! Vous êtes des géantes !
MIREILLE
T’aurais vu Magali pointer le guichetier et lui dire « tu cherches à déclencher l’alarme et tu te prends un pruneau dans les burnes ». Dans les burnes ! Le gars il se les tenait à deux mains.
MAGALI
Et Mireille qui dit « tu peux te garder les billets de cinq francs, c’est notre pourboire » !
MIREILLE
Attends ! La meilleure. Je vais au comptoir avec mon flingue, je dis à l’employée « C’est un braquage, donne l’argent » et elle se met à rire, cette folle. Elle croyait qu’on blaguait.
MAGALI
Mais vous êtes des femmes, qu’elle dit. Je savais plus quoi faire.
MIREILLE
Heureusement que sa collègue a commencé à sortir les billets du coffre. Elle, elle avait les pétoches.
FRANCOISE
J’en pouvais plus d’attendre, je croyais faire un arrête cardiaque. Vous en avez mis du temps à revenir.
MIREILLE
La faute à qui ? La faute à ton cousin qui s’est tiré dès que l’alarme s’est mise à sonner. On avait fini, les deux sacs étaient remplis et le type déclenche l’alarme. Alors on sort en courant et on voit la voiture qui se tire sans nous attendre. Je te jure ! Ce salaud nous a laissé tomber. Alors on a continué à courir en zigzagant par les petites rues.
MAGALI
Les gens nous disaient « bravo les filles, vous allez gagner le marathon ».
MIREILLE
L’autre « hé les filles, faut laisser le sac aux vestiaires ». Cause toujours !
MAGALI
On passe devant la maison des jeunes, y’avait plein de vélos en vrac. On en a pris un chacune.
MIREILLE
Tu vois le truc ? Finir un hold-up en vélo. C’est pas la classe ?
MAGALI
Y’a eu le gang des tractions avant, maintenant y’a le gang des deux roues !
MIREILLE
Et nous voilà !
FRANCOISE
Le fumier ! Se tirer comme un malpropre. Si je le revois je lui casse un genou.
MAGALI
À mon avis tu lui as pas suffisamment tiré sur l’élastique l’autre soir.
Elles rigolent.
MAGALI
Allez on fait les comptes !
Elles se mettent à fait des tas de billets.
MIREILLE
Je vais chercher ma calculette.
MAGALI
Moi demain je vide les rayons chez Géant Casino.
FRANCOISE
Mollo, mollo, les filles, faut pas tout dépenser d’un coup, ça va paraitre louche.
MAGALI
T’as raison mais je vais au moins remplir le frigo.
MIREILLE
Et moi celui de ma mère en plus.
MAGALI
Le connard ! Il a quand même mis des billets de 5.
MIREILLE
Pendant que j’y pense, faut laver les cagoules. J’avais des fils de laine qui me chatouillaient les narines, j’ai éternué au moins dix fois, ça fait pas sérieux.
Elles comptent en silence pendant un moment.
MAGALI
C’est dingue, j’ai l’impression d’être dans un film.
MIREILLE
C’est vrai, autant pendant le braquage je ne pensais qu’à pas faire de connerie autant là j’ai l’impression de rêver.
FRANCOISE
Vous me faites vachement envie, les filles. Moi je berçais les mômes et j’avais une frousse du tonnerre. Je vous jure ! Dès qu’une voiture freinait je croyais que c’était les flics.
MAGALI
Oui mais les mômes c’est du taf aussi. On pouvait pas prendre une baby-sitter. Tu nous vois « merci de vous occuper des minots pendant qu’on va à la banque, on revient et on vous paye avec ce qu’on aura pris ».
Tranche de rigolade.
MIREILLE
Et puis avec ton sursis valait mieux pas.
FRANCOISE
Ce matin j’ai reçu un courrier de la caisse d’allocation familiale. Trop perçu, 9000 balles à rembourser.
MAGALI
Oh les chiens !
FRANCOISE (embrassant des billets)
Tiens les voilà tes 9000 balles !
MAGALI (se frottant la poitrine avec des billets)
Tiens, les voilà les loyers impayés !
MIREILLE (se mettant des billets dans le pantalon)
Et les notes chez l’épicier, les voilà !
Grosse rigolade.
Elles se remettent à compter un moment.
FRANCOISE
N’empêche que Mickaël réclamait son revolver. Je lui ai dit « maman s’en sert pour son travail », ça l’a calmé.
MIREILLE
Attention les filles, j’appuie sur la touche total…. Wah !
MAGALI
Combien ?
FRANCOISE
Allez, dis-le !
MIREILLE
Tralala la lère !
MAGALI
Arrête de faire ton emmerdeuse.
FRANCOISE
Dis-le ou je te colle un pruneau.
MIREILLE
116 000 francs !!!
Scène de folie, les billets volent, cris des filles. Elles peuvent chanter aussi un truc comme « A la queue leu leu ».
Puis on entend des pleurs d’enfant.
MIREILLE , MAGALI et FRANCOISE
Les gosses !
Elles se ruent vers la chambre des gosses.
SCENE 7
Un petit espace genre bureau.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Dès le premier braquage j’ai été saisi de l’affaire. Pour moi, un braquage de banque c’était une affaire d’hommes. Ça avait toujours été des gangs d’hommes. Toujours. Alors bien sûr il y avait des témoignages qui parlaient de petits gabarits, d’attitudes un peu féminines, la voix aussi pour dire « c’est un braquage, donnez le fric » elle semblait un peu féminine mais comme les autres ne parlaient pas, j’ai pensé que dans le groupe il pouvait y avoir une femme. Après Cavaillon, pendant un an on n’a plus entendu parler de ce gang et puis ça a repris, il y a eu d’autres braquages de banques, Saumane, Le Pontet, Caumont sur Durance, Saint Saturnin les Avignon. Bon, je me suis dit ce sont des gars du coin. Ils ne prenaient pas des grosses sommes, le hold-up durait deux à trois minutes et puis ils se tiraient, ça sentait les petits malfrats qui prenaient de quoi tenir un moment et puis qui recommençaient. La police était furieusement agacée de ne pas leur mettre la main dessus. On avait des informateurs mais eux non plus ne savaient rien. Ça aurait pu durer longtemps comme ça s’ils n’avaient pas décidé de s’en prendre à une plus grosse agence à Carpentras.
SCENE 8
Quatre ans plus tard. Le décor n’a pas beaucoup changé. Il y a moins de linge sale, moins de couches. Un peu d’électro-ménager a été acheté. Les filles sont un peu mieux habillées. Il y a Yasmine avec elles.
Françoise fait un brushing à Mireille.
Yasmine joue à la Game Boy.
MAGALI
Comment ça, t’as plus rien ? T’as déjà tout dépensé ?
MIREILLE
C’est Mickaël, je veux lui faire plaisir mais lui c’est Game Boy et Super Mario et tous les autres, il est tellement content.
YASMINE
Moi aussi j’y joue.
MAGALI
Ouais mais ça coûte un bras et du coup vous n’avez plus rien.
FRANCOISE
Reconnais que c’est vachement agréable de faire les courses et de pas regarder les étiquettes.
MAGALI
Moi, Thomas, il prend et il demande encore « ça je peux, c’est pas trop cher pour toi, maman » ?
YASMINE et FRANCOISE
Oh, c’est trop chou.
MIREILLE
Bon, on en refait un ?
MAGALI
Mireille ! On va finir par se faire pincer. Plus ça va plus on prend de risques. T’as failli te faire avoir l’autre fois, à Saumane, avec les billets piégés.
MIREILLE
C’est vrai que j’ai eu chaud. J’ai eu les doigts rouges pendant deux semaines.
MAGALI
Moi je lui criais « lâche-les, lâche-les ! » mais elle, elle tirait la liasse et je voyais la fumée sortir du sac.
YASMINE
Et moi j’attendais le long du trottoir, dans la vieille bagnole pourrie avec la peur qu’elle démarre pas ou qu’elle cale. Et je vois Mireille sortir couverte de rouge, je croyais que c’était du sang.
FRANCOISE
Au fait, tu te l’es achetée ta nouvelle bagnole ?
YASMINE
Oui, une Mercedes, c’est un cousin qui me l’a lâchée pour pas cher.
FRANCOISE
Ah, une Mercedes ! Trop cliché la Gitane avec une Mercedes.
YASMINE
Tu sais ce qu’elle te dit, la Gitane ?
FRANCOISE
Doucement Yasmine, je blaguais.
YASMINE
N’empêche, avec ma Mercedes, moteur V8, 326 chevaux, j’arrache vite fait et je nous mets à l’abri.
FRANCOISE
Et moi j’attends.
MAGALI
Si tu veux je te laisse la place. Je veux bien garder les mômes, moi.
FRANCOISE
Non, vous avez l’habitude maintenant. Mais c’est chiant de rester ici alors que vous, vous vous faites des poussées d’arédalie…
MAGALI et MIREILLE (en riant)
D’adrénaline, Françoise !
FRANCOISE
Ouais, ouais, c’est pareil.
MAGALI
On s’en fait encore un et je t’offre un dictionnaire.
FRANCOISE
Je m’en fous de ton dictionnaire ! Moi je voudrais partir une semaine à la plage avec mon minot.
MIREILLE
Moi je voudrais un mec gentil, travailleur et qui ne fait pas que dormir dans un lit.
FRANCOISE
Dans tes rêves, ça, Mireille.
MAGALI
Le pognon ça permet d’acheter beaucoup de choses mais pas un bon mari.
MIREILLE
Aïe, tu m’arraches les cheveux !
FRANCOISE
Je fais ce que je peux avec tes vilains cheveux.
MAGALI
Loupe pas le brushing, Françoise, parce que -tiens-toi bien – madame se recoiffe avant d’entrer dans la banque. Je te jure !
MIREILLE
Et alors ? On peut être braqueuse et bien coiffée en même temps.
YASMINE et MAGALI (riant)
Avec une cagoule !!!
MIREILLE
Mais Yasmine, ta Mercedes, faudra la garer loin parce que la dernière fois on a failli se faire prendre à cause de la R5 de Magali.
YASMINE
Je mettrai des fausses plaques.
MIREILLE
La trouille quand on s’est retrouvées bloquées par le camion.
MAGALI
Et les gens qui sortaient de la banque ! Le directeur, ce fou, qui voulait nous rattraper.
MIREILLE
Evidemment, tu étais gentille avec lui, il nous a pas prises au sérieux.
MAGALI
J’étais pas gentille, j’avais peur. Ce type c’était un mélange de David Douillet et de Camberabero.
YASMINE
Oh, tu t’y connais en foot ?
MAGALI
C’est pas du foot, patate, Camberabero c’est du rugby.
MIREILLE
Au voleur ! Au voleur ! il criait en nous poursuivant.
YASMINE
Heureusement j’ai réussi à me faufiler par une ruelle et on s’est tirées.
FRANCOISE
Ouais mais il avait relevé le numéro.
MIREILLE
Aïe ! Parle pas Françoise, quand tu parles tu me tires les cheveux.
FRANCOISE
Je vais te mettre la boule à zéro, tu n’auras pas un cheveu qui dépasse comme ça !
MAGALI
Ma pauvre mère, quand elle a vu les gendarmes se pointer à la maison. On avait des sacs de bouffe partout, on venait de faire les courses.
MIREILLE
T’en menais pas large.
MAGALI
Evidemment, j’avais peur que maman dise une bêtise. Mais la pauvre, elle n’était au courant de rien. Alors moi j’ai joué les innocentes. « On n’a rien a cacher, messieurs les gendarmes. Vous pouvez fouiller »
MIREILLE
Ils ont fouillé chez moi aussi et ils ont rien trouvé, évidemment on avait tout transformé en bouffe. J’avais le congélateur rempli.
YASMINE
Quand même, on était méchamment imprudentes de pas mieux planquer la voiture de Magali. Moi j’avais peur qu’on me repère au volant.
MAGALI
La plus tranquille c’était Françoise, hein ? Pas le temps d’avoir le trac entre les couches, les petits pots et les histoires de Winny l’Ourson.
FRANCOISE
Ben tiens, tranquille Françoise ! A part que ton fils avait une gastro et qu’il en foutait partout.
SCENE 9
LE JUGE D’INSTRUCTION
Il est certain que les gendarmes ont été perturbés sur le coup. On leur donne un numéro d’immatriculation, une marque de voiture, on leur parle d’un hold-up, d’une grosse somme d’argent dérobée et quand ils arrivent à l’adresse qu’on leur a fourni ils trouvent tout d’abord une maison modeste, très modeste même, pas de luxe, rien qui pourrait ressembler à un butin. La jeune femme, propriétaire du véhicule, soupçonnée d’être une délinquante, est une jeune femme très fragile, polie, qui vit avec sa mère et son enfant qu’elle élève seule. Ils pensent tout de suite que le renseignement est faux et ils repartent bredouilles. On suppose que les gangsters ont dû être soulagées et rassurées. L’argent qu’on gagne aussi facilement donne un sentiment d’invincibilité, on se croit les plus forts. C’est euphorisant. Heureusement pour la justice, il se passe toujours un petit quelque chose qui vient gripper l’engrenage de la délinquance.
Yasmine entre dans le bureau et s’assoit en face du juge.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Madame Yasmine Rodriguez, c’est bien cela ?
YASMINE
Oui.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Nous avons été amenés à travailler sur un cambriolage commis à Fontaine de Vaucluse, une villa visitée, des objets dérobés dont un revolver Colt Cobra 2ʺ.
Êtes-vous en possession de cette arme ?
YASMINE
Non monsieur le Juge.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Vous avez bien participé à ce cambriolage à Fontaine-de-Vaucluse ?
YASMINE
Non monsieur le Juge.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Pourtant votre voiture a été aperçue dans cette ville le même jour.
YASMINE
Peut-être. Je suis allée me promener, faire du tourisme.
LE JUGE D’INSTRUCTION
A sept heures du matin ? C’est tôt pour faire du tourisme. Vous avez pris des boissons dans un café et vous êtes revenue trois heures plus tard dans ce même café pour consommer. Vous étiez accompagnée d’une autre jeune femme. C’est exact ?
YASMINE
Ah non. Ce n’est pas moi.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Vous avez été formellement reconnue par le serveur et par plusieurs habitants qui vous ont vue arpenter la ville et tourner autour de la villa. Vous feriez mieux de reconnaitre les faits madame Rodriguez.
YASMINE
Mais non, je suis resté une demi-heure, le temps de monter à la source.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Qui est la personne qui vous accompagnait ?
YASMINE
Je ne sais pas. J’étais toute seule.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Madame Rodriguez, je peux demander une perquisition chez vous et comme vous habitez chez vos parents, qui sont des gens du voyage, toute la communauté sera informée. Je ne tiens pas à provoquer d’émeute chez des gens qui cherchent à s’intégrer honorablement dans notre société. Pour que le calme et la paix règne dans notre cité, je vous demande de me dire la vérité. Est-ce vous qui avez cambriolé cette villa ?
YASMINE (en larmes)
Oui monsieur le Juge.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Très bien. Avez-vous l’arme volée ?
YASMINE
Non c’est pas moi.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Qui est l’autre personne ?
YASMINE
Faut vraiment que je le dise ?
LE JUGE D’INSTRUCTION
Ce serait préférable.
Magali remplace Yasmine sur la chaise.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Madame Magali Fournier, reconnaissez-vous être la propriétaire d’un véhicule R5 immatriculé dans le Vaucluse ?
Mireille remplace Magali sur la chaise.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Madame Mireille Ridoux, reconnaissez-vous avoir participé au Hold-Up du Crédit Lyonnais de Saumane ?
Françoise remplace Mireille sur la chaise.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Madame Françoise Pelletier reconnaissez-vous être en association de malfaiteurs avec mesdames Rodriguez, Fournier et Ridoux ?
FRANCOISE
Pas du tout. Je les connais pas.
SCENE 10
Quatre ans plus tard.
On retrouve Mireille, Magali et Yasmine.
La maison a changé, les femmes sont bien habillées, maquillées.
Elles boivent un café.
Yasmine baisse la tête. Les autres la regardent un moment.
MIREILLE
Bon, Yasmine, le temps a passé, j’ai digéré la colère c’est pourquoi je t’ai dit de venir prendre un café. Magali était pas d’accord mais j’ai pris sur moi.
MAGALI
Ah non j’étais pas d’accord parce que si t’avais pas parlé on n’aurait pas été arrêtées.
MIREILLE
T’énerve pas Magali, Yasmine avait certainement une bonne raison, elle va nous dire.
MAGALI
Je l’avais même plus la R5 alors si t’avais pas parlé de moi…
MIREILLE
Laisse-là parler, Magali.
Un temps.
YASMINE
Pardon les filles. C’est vrai que j’ai donné vos noms mais ils savaient déjà tout. J’ai vu le Juge, il m’a montré les rapports des gendarmes, à partir de Fontaine-de-Vaucluse ils ont remonté toute l’histoire, tous les braquos et puis c’est le revolver qui les a énervés, ils avaient peur qu’on s’en serve et que ça dégénère.
MIREILLE
C’est de ma faute alors ?
YASMINE
Je dis pas ça, je dis que j’ai rien balancé puisqu’ils savaient déjà tout. Et puis…
MAGALI
Et puis quoi ? Vas-y. T’as des circonstances atténuantes ? Trop tard, le procès a déjà été jugé.
MIREILLE
Arrête. On a dit qu’on s’énerverait pas.
Un temps.
YASMINE
Ils m’ont mis la pression. Ils m’ont dit que si je confirmais pas ils fouilleraient chez mon père et autour des gens du voyage et qu’ils trouveraient sûrement des choses pas très licites.
MIREILLE
Ah les vaches ! Moi, il y a un grand blond qui m’a dit « tu veux qu’on dise à tes gosses que leur mère est une voleuse » ?
MAGALI
C’est vrai qu’ils abusent parfois. C’est sûr, on a fait des conneries, mais c’est pas la peine de nous parler comme à des bandits.
YASMINE
Je vous demande pardon, les filles.
MIREILLE
On te pardonne, Yasmine, allez, on s’en est pas trop mal sorties.
MAGALI
C’est vrai que ça aurait pu être pire.
MIREILLE
Allez, le bisou.
Elles se prennent dans les bras et s’embrassent.
MIREILLE
On a eu du pot de tomber sur ce juge d’instruction sinon on serait encore en prison.
MAGALI
Comme Françoise. Non seulement elle avait un casier mais elle nie, cette andouille, alors que de nous quatre c’était elle la moins impliquée.
YASMINE
Les jurés ont pas apprécié. Franchement, dire qu’elle gardait les gosses pour rendre service sans savoir ce qu’on faisait c’était gros.
MIREILLE
Le juge lui a dit de ne pas s’entêter mais non, elle croyait s’en sortir mieux uniquement parce qu’elle entrait pas dans les banques.
Changement d’ambiance.
Les chaises sont en arc de cercle.
Les filles assises.
Le juge d’instruction entre et vient s’asseoir parmi les femmes.
LE JUGE D’INSTRUCTION
Le juge d’instruction a un rôle important dans l’engrenage de la justice. C’est lui qui instruit le dossier qui sera remis au tribunal. Bien sûr, il ne doit pas prendre parti mais se contenter de rapporter les faits et de retranscrire les interrogatoires qu’il mène dans son bureau. Mais évidemment, suivant son sentiment, il peut influencer dans un sens ou dans l’autre, à charge ou à décharge. Quand j’ai reçu les prévenues, j’ai tout de suite compris que ces jeunes femmes n’étaient pas des délinquantes ordinaires, des voyous irrécupérables mais plutôt des femmes paumées que la vie avait malmenées et qui avaient pris la route de la délinquance pour s’en sortir. Des enfants très jeunes, des maris absents, des milieux défavorisés étaient leur quotidien et, le chômage aidant, elles tiraient méchamment le diable par la queue, si vous me permettez cette expression. J’ai donc cherché plutôt à les aider qu’à les punir.
MAGALI
Je suis vendeuse dans une parfumerie, enfin moi je dis démonstratrice en produits de beauté, ça fait mieux. Je suis mariée, j’ai un petit pavillon dans la région, je dis pas où parce que ça a été difficile à L’Isle-sur-la-Sorgue, tout le monde me connaissait alors je voyais les regards des gens qui me suivaient, pas méchants mais, comment dire, méfiants. Quand j’achetais quelque chose ils vérifiaient toujours si le billet était pas faux ou s’il y avait bien le compte. Quand je sortais des magasins on me fouillait. Mon Thomas va bientôt entrer en sixième, c’est fou ce que ça pousse les gosses. Mon mari est gentil, il est charpentier, il m’a acheté un labrador que j’ai appelé Forrest, comme le film Forrest Gump. On est vraiment heureux.
MIREILLE
Moi j’ai failli prendre plus que les autres à cause du flingue volé mais le juge a vraiment été chouette, il a arrangé le coup. Je sais même pas pourquoi je l’ai volé, je voulais pas m’en servir mais il était dans un tiroir avec les bijoux alors je l’ai pris. Maintenant je suis mariée aussi. Je suis vraiment bien tombée, un chouette gars. Avec mes deux mômes c’était pas évident, surtout que lui il en a deux aussi, du coup la maison est bien remplie, ça cavale partout, ça crie, c’est plein de vie, c’est chouette. Moi j’adore. Je regrette qu’un truc c’est de pas les avoir vus grandir pendant la détention provisoire.
YASMINE
Je travaille sur les marchés, on vend des olives avec Mathieu, on sort ensemble depuis deux ans, on va se marier à la mairie au printemps prochain. On est déjà mariés mais le mariage gitan n’est pas reconnu par l’état civil. Chez nous c’est plus simple, on avertit quelqu’un de la famille qu’on s’aime, on part trois jours et quand on revient tout le monde nous considère mariés. La communauté a été chouette avec moi. J’avais peur qu’on me rejette, qu’on me dise que je nuisais à la famille, que ça allait confirmer la réputation qu’on nous fait de voleurs. Mais non, on m’a aidée. Quand je suis sorti de préventive on m’a entourée, on m’a aidé à trouver du travail, on surveillait mes fréquentations pour pas que je replonge. Je vais avoir une petite fille dans trois mois, ma mère est folle de joie. Mon père, lui, il aurait préféré un garçon.
LE JUGE D’INSTRUCTION
La prison n’a pas de vertu éducative, elle ne répare rien, n’aide pas à la réinsertion. Moi j’ai senti que ces femmes pouvaient s’en sortir à condition de leur faire comprendre qu’elles avaient un avenir. Que si elles avaient compris où est le bon chemin, que l’argent facile ne dure qu’un temps et qu’il y a toujours la punition au bout, que si elles relèvent leurs manches et décident vraiment de s’en sortir elles pouvaient le faire. Je leur ai dit que j’avais confiance en elles et que je savais qu’elles ne me décevraient pas. Alors quand elles ont fini leur détention provisoire je leur ai dit que je repousserai la date du procès le plus loin possible pour leur donner le temps de se réinsérer.
Françoise entre et vient s’assoir avec le groupe.
FRANCOISE
Moi, j’ai été bête. J’ai eu la trouille. J’avais un casier et je savais que je prendrais plus que les autres alors j’ai nié. J’ai dit que j’avais rien fait. Que je les connaissais pas. C’était idiot, tout le monde savait qu’on était potes. Les témoins m’ont pas épargnée. Ils ont dit que je sortais des liasses de billets de mes poches pour m’acheter des fringues. C’était pas vrai mais je reconnais que j’étais pas prudente, je dépensais trop. Quand on a eu notre procès, les jurés m’ont fait payer mes mensonges, j’ai pris un an de plus. Les filles sont sorties libres. J’étais contente pour elles. La préventive couvrait leur peine et le soir même elles faisaient la fête. Moi je retournais en cellule et le pire c’est d’avoir vu mon gamin qui pleurait dans la salle et qui criait « maman ! maman ! ». J’avais vraiment la honte. Entre nous, ça valait pas le coup. L’argent volé il a pas la bonne saveur. Maintenant je suis gérante d’une brocante et quand je fais une belle vente et qu’on me paye en liquide, je me demande toujours d’où il vient ce fric. Je vous jure, j’ai un frisson et j’ai peur que ça me retombe dessus.
Tout le monde se lève, Mireille va déboucher une bouteille de champagne, Magali distribue les coupes.
MIREILLE
Aujourd’hui on fait la fête parce qu’on vient de nous proposer de tourner un film sur nous.
MAGALI
Au début on a cru que c’était une blague.
YASMINE
Et puis ils ont sorti des contrats, on a signé…
FRANCOISE
Et ils nous ont versé une avance sur les droits. Et ce fric…
MIREILLE
On s’est demandé si on devait vraiment le prendre.
MAGALI
C’était fou comme situation. On avait braqué des banques et on était allé en prison pour ça.
YASMINE
Et là, des filles qui joueraient nos rôles, allaient braquer les mêmes banques mais en toute légalité.
FRANCOISE
Et peut-être même qu’à la fin on nous applaudirait.
MAGALI
Les amazones du Vaucluse on nous appelait.
YASMINE
On étaient fières à l’époque.
MIREILLE
Maintenant on essaie de ne plus trop y penser. On veut être des femmes toutes simples et c’est tout.
YASMINE
Mais on ira quand même voir le film.
Les coupes sont levées. On trinque et on s’embrasse.
F I N