Des gens ordinaires
Monologue d’une jeune femme qui présente son univers, et ceux qu’elle côtoit au quotidien. On découvre peu à peu le monde de l’hôpital psychiatrique, à travers une voix un peu naïve, écorchée, mais joyeuse.
Monologue d’une jeune femme qui présente son univers, et ceux qu’elle côtoit au quotidien. On découvre peu à peu le monde de l’hôpital psychiatrique, à travers une voix un peu naïve, écorchée, mais joyeuse.
Solitudes
J’aurais voulu être extraordinaire. C’est idiot. Il y a de plus en plus de gens extraordinaires. Au point que cela va devenir extraordinaire d’être une personne ordinaire. Le fait est que j’ai toujours eu l’intime conviction d’être différente. Élue. J’aurais donné n’importe quoi pour devenir enfin moi-même, être à la hauteur de mon destin. Mais bon. Parfois, il faut être patient. Je crois qu’il est encore trop tôt. En général, les gens ne me comprennent pas. Pourtant, là, au coeur de moi, je sens, je sens physiquement ma différence, ma supériorité.
Les plus gentils, ceux qui ne veulent pas trop me contredire, ils sourient quand j’explique ça. Il y en a qui me donnent des conseils pour être ordinaire, je veux dire normale. Vous savez quoi ? Je vous dis ça, mais je sais bien que vous avez envie de rire. Maintenant j’en parle plus, je garde pour moi. Et j’attends que ça vienne. Parce que ça viendra, vous verrez, ça viendra. Ce jour-là, je n’en voudrai à personne de pas m’avoir crue. Je serai pas bégueule, je regarderai droit devant et je penserai même pas à me venger. Ce jour-là, je pourrai arroser le monde entier de mon charisme. Mon sourire fera des étincelles et mes paroles seront des étoiles. Je n’en dis pas plus, vous verrez bien. En attendant, j’ai compris, je fais semblant. Je fais semblant d’être comme tout le monde comme ça je passe inaperçue.
C’est pas tous les jours facile d’attendre et faire semblant.
Peut-être si ça se trouve, il y en a qui voient ce que je veux dire. Je sens qu’on pourrait se comprendre. Ça viendra.
D’ailleurs, regardez, c’est pas rien de vivre ici. C’est pas ordinaire ça. C’est l’un des meilleurs quartiers ici. Après, c’est la forêt. Du coup, personne ne passe vous voyez. Si on vient jusqu’ici, c’est pas par hasard, c’est vraiment pour venir ici et pas repartir vous voyez. Ici, il n’y a que les vrais résidents. On est sur les hauteurs, la vue est ouverte, moi j’aime bien. Il y en a qui trouvent ça oppressant, moi pas du tout. Non, pas vraiment oppressant ; comment dire ? Comment ils disent déjà ? Pas oppressant, justement le contraire. Je retrouve plus le mot. C’est quoi le contraire d’oppressant ? Large. Voilà, ils disent que c’est trop large, trop grand. Tout ce vide, tu vois, ça les inquiète. L’horizon. Par exemple, il y a une fille, là-bas, elle dit qu’elle pourra jamais rester longtemps face à la mer. Ça la met dans un état pas possible.
T’imagines, elle me dit, t’imagines la ligne d’horizon et c’est tout. Bleue ou grise la mer, et pareil le ciel. Juste une ligne droite en travers de toi, avec de l’eau en dessous et de l’air identique au-dessus. L’horizontal absolu avec du vide. Ben tu vois, moi, elle me dit, moi ça me panique. Rien de palpable, horizontalement infini, tu comprends ? Avec le bruit des vagues qui tourne, moi ça me rend complètement folle, ça m’aspire. Je sais pas t’expliquer autrement qu’elle me dit au bout d’un moment. L’océan ça l’aspire dans l’infini horizontal : je vois ce qu’elle veut dire, vous je sais pas mais moi je vois.
Bon, ici c’est pas l’océan. Il est loin l’océan. Pas de panique. Mais cette vue si...euh...dégagée, et bien ça en aspire aussi quelques uns d’ici. Ils se trouvent pas assez...enfin trop...ça les angoisse quoi. Ils ont besoin, vous comprenez, ils se blottissent sous leurs couvertures, depuis qu’ils sont tout petits ils font ça alors maintenant ils ont pris l’habitude de se blottir, pour se rassurer. Et c’est pour ça qu’ils préfèrent avoir une vue sur un autre bâtiment. Sur une autre façade. Parce que ça renvoie. C’est pas vide. Mais parlons d’autre chose.
Tristesse
Chez moi, c’est la porte au milieu du couloir. J’aime bien. C’est bien décoré aussi, je suis plutôt fière vous savez. Ça tombe bien que vous soyez là, j’adore faire visiter. Ne vous inquiétez pas c’est pas bien grand non plus, il n’y en pas pour longtemps. Mais regardez donc comme...