1- Lamentations
Un groupe. Assis. Comme un groupe de potes peut être assis au pied d’un immeuble. Désœuvré et sans entrain.
Le chœur
Alors voilà. C’est l’heure.
Que dire de plus ?
C’est l’heure.
Oui. C’est maintenant. Ici. Maintenant.
Et c’est pour nous.
Depuis le temps qu’on en parle.
Oui, depuis le temps.
Et bien voilà. C’est là. On a tiré le gros lot.
C’est le jackpot. Le ticket d’or. Le pactole.
Oui. C’est pour nous.
C’est nous qui allons en profiter.
Et ça va être quelque chose. Pour sûr.
Alors, ouvrez grand les yeux.
Écarquillez bien les mirettes. Surtout, n’en perdez pas une miette.
Parce qu’on va en prendre plein la gueule. Vraiment plein la gueule.
Au cœur de l’action : c’est là qu’on va être.
Spectateurs et acteurs : c’est ça qu’on va être.
Une expérience comme on dit. Ultime. Totale.
Une putain d’expérience.
Le pire, c’est que personne ne sait comment un truc pareil peut bien être sur le point de se produire. Personne.
C’est juste là. C’est tout.
C’est tout mais ça suffira.
Oui, ça suffira.
Ils disent qu’ils ne savent pas d’où ça vient.
Ni même pourquoi ça vient.
Pourtant, il y aurait pu y en avoir tout un tas de bonnes raisons.
Une atmosphère en surchauffe, des calottes glaciaires en marmelade, des océans dégueulant du plastique et des forêts débitées en cure-dents.
Oui. Tout un tas.
Mais non. Même pas.
Non. C’est juste là.
Et personne ne sait pourquoi.
Mais vous voulez que je vous dise : moi je pense qu’elle en a marre.
Qu’elle n’en peut plus.
De nous. De devoir nous porter.
De devoir nous supporter.
Après tout ce qu’on lui en a fait baver à cette bonne vieille planète…
Oui. Après tout ce temps
Et bien voilà. C’est l’heure.
Le globe terrestre, demain, va s’arrêter.
Comme un vieux manège fatigué, il va bientôt en finir de tourner.
Et le soleil, alors, cessera de se lever.
Une nuit perpétuelle pour les uns, un jour sans fin pour les autres.
C’est ça qu’elle nous réserve.
Son pot de départ.
Nos indemnités de licenciements.
Des ténèbres glaciales ou une fournaise de tous les diables.
Au choix.
Ou pas.
Oh, ce n’est pas grand-chose en vérité.
Juste une petite mise sur pause de la grande horlogerie céleste.
Presque rien. Mais ça suffira.
Ce sera même bien assez.
Mes chers amis, je vous le dis : demain est un jour historique.
Demain est un jour qui restera gravé dans les mémoires. A tout jamais.
A tout jamais, mais pas pour longtemps.
Non. Pas pour longtemps.
L’éternité n’est pas pour nous.
Alors voilà. C’est l’heure.
Demain, mes amis, demain le monde s’arrête.
Hurlez sirènes.
C’est le grand jour.
Sonnez trompettes.
Car demain - oui demain - vous proclamerez le jour de la fin.
Noir.
Musique.
2- Far West
Tableau visuel.
Chorégraphie exprimant la stupéfaction, l’angoisse et l’affolement.
Ex : Foule affairée, un individu s’arrête, face public, comme s’il découvrait l’annonce de l’apocalypse sur un écran. Les autres le rejoignent et créent un groupe compact qui exprime tout un tas d’émotions avant de se disperser.
3- Au pays de la peur
Deux amis en terrasse d’un café.
L’un des deux se roule une cigarette, l’autre est sur son portable.
Celui à la cigarette
Sans déconner, quoi …
Celui au portable
Mouais…
Celui à la cigarette
C’est dingue quand même…
Celui au portable
C’est fou.
Complètement fou.
Celui à la cigarette
La fin du monde, quoi…
Non mais t’y crois toi ?
Celui au portable
Ben…
Celui à la cigarette
Non mais, quand t’y penses…
Celui au portable
Mais grave. Grave.
Celui à la cigarette
Et quand tu le dis…
Non mais quand tu le dis !
Celui au portable
Ah mais, ouais !
Ouais, ouais, ouais !
Celui à la cigarette
Même pas t’y crois !
Celui au portable
Tu m’étonnes…
Celui à la cigarette
Putain…
Celui au portable
Grave…
Un temps.
Celui à la cigarette
Dis-le, pour voir.
Celui au portable
Hein ?
Celui à la cigarette
Dis-le.
Celui au portable
Quoi donc ?
Celui à la cigarette
Ben, que c’est la fin du monde.
Celui au portable
Ah ouais ! ouais !
Un temps.
Celui à la cigarette
Ben, vas-y ! Je veux l’entendre, pour voir ce que ça fait…
Celui au portable
C’est la fin du monde…
Un temps.
Celui à la cigarette
Putain, quand même…
Celui au portable
Ouais, c’est fou.
Celui à la cigarette
Dans vingt-quatre heures quoi !
Celui au portable
Vingt-quatre-heures…
Celui à la cigarette
C’est dingue...
Celui au portable
De ouf…
Silence.
Noir.
4- Tears
Noir plateau.
Sons distants et difficilement audibles.
Voix off.
Voix
Y a quelqu’un ?
Vous m’entendez ?
Vous m’entendez ?
J’entends des sanglots monter depuis les profondeurs.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Qu’est-ce qu’il se passe ?
Pourquoi le vent soulève-t-il la poussière en gémissant ?
Pourquoi les pôles murmurent-ils en se lamentant ?
Pourquoi disent-t-ils qu’il ne reste que vingt-quatre heures ?
Vingt-quatre heures avant quoi ?
Vous m’entendez ?
S’il vous plaît.
S’il vous plaît.
Répondez-moi.
Qu’est-ce qu’il va se passer ?
Qu’est-ce qu’on va devenir ?
Est-ce que quelqu’un sait ?
Un temps.
Vous m’entendez ?
Musique.
5- Le bon, la brute et le truand
Dans le bureau ovale.
Le président des États-Unis et son directeur de la communication.
Un conseiller entre précipitamment.
Le conseiller
(Dès les coulisses)
Monsieur le président !
Monsieur le président !
Le président
Ah ! Ryan.
Alors ?
Le conseiller
Le rapport de la NASA monsieur le président.
Le président
Oui. Je m’en doute que c’est le rapport de la NASA, Ryan.
Je vous ai justement envoyé le chercher, ce putain de rapport de la NASA, Ryan.
Le directeur de la communication
Mickey ?
Le président
Quoi ?!
Le directeur de la communication
Du calme…
Le président
Du calme ? C’est tout ce que tu trouves à dire ?
J’ai dû m’arrêter en pleine partie de golf pour une histoire de fin du monde sans queue ni tête… et toi, mon directeur de la communication, tu me demandes de me calmer ?
Le directeur de la communication
Oui. Ça sert à rien de t’énerver…
Tu vas être tout rouge. Tout rouge et en sueur.
C’est ça que tu veux ? Avoir l’air d’un plouc de sudiste devant les caméras ?
Le président
Oui, ben… la maquilleuse fera une retouche !
Au moins ça lui fera du boulot à la petite…
Comment elle s’appelle déjà ? Ah oui ! Ariana…
Elle est bien cette petite Ariana. Elle a un sacré…
Le directeur de la communication
Mickey !
Le président
Quoi ?!
Le directeur de la communication
Le rapport…
Le président
Ah oui.
Et bien Ryan ! Ça vient ce rapport ?!
Le conseiller
Euh… oui. Pardon monsieur le président.
Il prend le rapport, le regarde et s’emporte de plus belle.
Le président
Rah ! On y comprend jamais rien à leur foutu charabia.
Faut toujours qu’ils se croient obligés de faire les malins dans cette agence à la con.
A quoi ça sert tous leurs trucs et leurs machins ?
C’est imbitable !
Le directeur de la communication
C’est normal, Mickey, ce sont des scientifiques à la NASA.
Le président
Oui ben, tu sais quoi Bill ?
Ils m’emmerdent à la NASA.
Je m’en branle moi, de leurs trucs et de leurs machins, à la NASA.
Ils peuvent pas faire simple, non ?
C’est la fin du monde, oui ou merde ?
Le conseiller
Oui, monsieur le président.
Le président
Et merde !!!
Le directeur de la communication
Du calme Mickey, du calme…
Le président
J’en étais sûr !
Faut faire un truc Bill. Faut trouver une solution.
Sinon… de quoi je vais avoir l’air ? Hein ? De quoi ?
Le conseiller
Monsieur le président, si je peux me permettre…
Le président
Non, Ryan. Non, vous ne pouvez pas !
Le directeur de la communication
Mickey…
Le président
C’est pas possible, nom de Dieu !
Doit bien y avoir un truc à faire.
Hein ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Qu’est-ce qu’ils en disent à la NASA ?
Le conseiller
Rien, monsieur le président.
Le président
La ferme, Ryan !
(Il feuillette le rapport frénétiquement et le balance)
Ah ça, des machins, des trucs, des bidules… y en a !
Mais des solutions : niet !!!
Le directeur de la communication
Mickey !!!
Le président
Quoi !!!
Le directeur de la communication
Par pitié, ne parle pas Russe !
C’est déjà assez compliqué comme ça dans les sondages.
Alors je t’en prie, ne parle pas Russe.
Le président
J’ai parlé Russe, moi ?
Quand ça ?
Quand est-ce que j’ai parlé Russe ?
Le conseiller
Quand vous avez dit « niet », monsieur le président.
Le président
Niet ? C’est du Russe ça : Niet ?
Le directeur de la communication
Oui.
Le président
N’importe quoi !
C’est de l’Allemand.
Le directeur de la communication
Non, c’est du Russe.
Le président
Non. C’est de l’Allemand.
N’est-ce pas Ryan que c’est de l’Allemand ?
Le conseiller
Non, monsieur le président. C’est du Russe.
Le président
Mais fermez-la, Ryan !
Qu’est-ce que vous y connaissez de toute façon ?
Le conseiller
J’ai un doctorat en littérature Slave, monsieur le…
Le président
On s’en fout, Ryan !
C’est pas ça le problème, de toute façon !
Non. Le problème c’est que je vais passer pour un con avec ce rapport plein de trucs et de machins !
Le conseiller
En effet, monsieur le président.
Un temps.
Pardon, monsieur le président…
Le président
Pourquoi vous ne m’aimez pas Ryan ? Hein ? Pourquoi ?
Le conseiller
Monsieur le président, je…
Le président
Mais vous savez quoi Ryan ?
Je ne vous aime pas non plus…
Le directeur de la communication
Mickey…
Le président
A vrai dire, j’ai même jamais pu vous blairer !
Le directeur de la communication
Mickey…
Le président
Pire : je vous déteste !
Le directeur de la communication
Mickey !
Le président
Quoi, encore ?!
Le directeur de la communication
Il faut que tu prennes la parole.
Le président
Pardon ?
Le directeur de la communication
Il faut que tu parles à la nation.
Au monde, même.
Le président
Non.
Pas ça Bill !
Ne me demande pas ça !
Le directeur de la communication
Si.
Le président
Je veux pas !
Le directeur de la communication
Il le faut, Mickey…
Tu es le président des États Unis !
Le président
Mais Bill !
Ils vont encore tous se foutre de ma gueule !
Le directeur de la communication
Mickey…
Le président
Bill !
Le directeur de la communication
Allons, Mickey… réfléchis.
C’est la fin du monde, Mickey. Une occasion en or massif.
Ça se présente qu’une fois, un truc pareil. Crois-moi : c’est la chance de ton mandat. Tu peux marquer l’histoire avec un discours d’anthologie !
Le président
Et qu’est-ce que tu veux que je leur dise ?
Mes chers concitoyens : je n’ai aucune solution, vous allez tous crever ?
Le directeur de la communication
Mais non ! Du moins, pas comme ça…
Non, faut leur vendre du rêve. Toucher la corde sensible.
Tu vois ce que je veux dire ?
Un truc à la Churchill !
Le président
Qui ça ?
Le conseiller
Le premier ministre britannique pendant la seconde…
Le président
Faites-pas chier, Ryan !!!
Le conseiller
Pardon, monsieur le président.
Le directeur de la communication
Oui ! C’est ça !
Tu vas faire le plus grand discours de tous les temps !
Le président
Ah bon ?
Le directeur de la communication
Mais oui !
Aux chiottes Lincoln, Roosevelt et Kennedy.
Le président
Ah ce point ? Ah ouais…
J’aime bien ça. J’aime beaucoup même.
Le directeur de la communication
On va faire de toi le plus grand, mon p’tit Mickey.
On va faire de toi… une légende !
Le président
Ho !
Mieux que Mickael Jordan ?
Le directeur de la communication
Bien mieux !
Le président
Ah ouais !
Le directeur de la communication
Ouais, Mickey ! Ta côte de popularité va remonter en flèche !
Le président
Ah ouais !!!
Le directeur de la communication
Tu crois que tu peux le faire, Mickey ?
Dis, tu crois que tu peux ?
Le président
Ouais !
Le directeur de la communication
Dis-le que tu peux le faire !
Le président
Je peux le faire !
Le directeur de la communication
Tu le sais que tu peux ! Hein, Mickey ?!
Le président
(Gonflé à bloc)
Oui… je peux !
Le directeur de la communication
Parfait, je m’occupe de faire écrire ça.
Il prend son téléphone.
Le président
Alors Ryan ?
On la ramène moins maintenant que je suis une légende, hein ?
Le conseiller
Je… Oui, monsieur le président.
Le président
Et ouais Ryan !
Et après ça, qui c’est qui va monter dans son vaisseau spatial pour dégager de cette planète de merde ? Hein, c’est qui ?
Le directeur de la communication
De quoi tu parles, Mickey ?
C’est quoi cette histoire de vaisseau spatial ?
Le président
Ben le vaisseau pour aller sur une autre planète…
Tout ça…
Un temps.
On n’a pas de vaisseau ?
Le directeur de la communication
Non…
Le président
Ah bon ?
Mais, avec le réchauffement climatique, toutes ces conneries, je croyais que…
Le directeur de la communication
On n’a pas la technologie, Mickey. C’est que dans les films ça.
Le président
Mais… et la Nasa ?
Le directeur de la communication
Non.
Le président
Merde… même pas Space X ?
Le directeur de la communication
Non plus.
Le président
Y a pas de plan B ?!
Le directeur de la communication
Non, Mickey.
Aucun.
Un temps.
Le président
Ryan ! Dites, quelque chose, bordel !
Le conseiller
On va tous crever, monsieur le président.
Noir.
Musique.
6- La ruée vers l’or
Deux amis en terrasse d’un café.
Celui à la cigarette et celui au portable.
Celui à la cigarette
Non mais, vraiment quoi !
J’en reviens pas de vivre un truc pareil…
Celui au portable
Tu m’étonnes.
Entre un serveur.
Serveur
Messieurs ?
Celui à la cigarette
Bonjour.
Un café, s’il vous plaît.
Serveur
Expresso ? Allongé ?
Celui à la cigarette
Un expresso. Bien serré.
Serveur
Un café serré.
Et pour vous ?
Celui au portable
Hein ?
Celui à la cigarette
Qu’est-ce que tu prends ?
Celui au portable
Ah. Euh… un demi.
Celui à la cigarette
Un demi ?
A cette heure-ci ?
Celui au portable
Ben…
Celui à la cigarette
Oh, et puis merde, t’as raison après tout.
Je prendrai aussi un demi, finalement.
Serveur
Tout de suite.
(Fort) Et deux demis pour la 12 !
Il sort.
Un temps.
Celui à la cigarette
Faut que je me calme sur le café de toute façon.
C’est pas bon pour le cœur.
D’ailleurs faudrait que je prenne rendez-vous chez le médecin.
Mon père avait des problèmes cardiaques. Si je peux éviter, franchement…
(Il finit de rouler sa cigarette et cherche du feu dans ses poches). Merde.
Qu’est-ce que j’ai foutu de mon briquet ?
T’as du feu ?
Celui au portable
Hein ?
Celui à la cigarette
T’as du feu ?
Celui au portable
Ah.
Non.
Celui à la cigarette
Merde…
Entre serveur.
Serveur
Et voilà deux demis.
7 euros 20, s’il vous plaît.
Celui à la cigarette
(Il tend un billet) Vous auriez du feu ?
Serveur
Je vous ramène ça.
Celui à la cigarette
Merci…
Un temps.
Le plus fou, c’est qu’on sait même pas où est-ce qu’il va faire jour et où est-ce qu’il va faire nuit. Tu te rends compte ?
Je sais pas ce que je préfèrerai, tiens…
Tu préfèrerais quoi toi ?
Celui au portable
Ben…
Celui à la cigarette
Remarque… Entre finir grillé comme une merguez et congelé comme un poisson pané…
J’hésite !
Il se marre.
Celui au portable
(Ricanant lui aussi) Ah ben tu m’étonnes !
Celui à la cigarette
D’ailleurs…
(Il regarde autour de lui et se fait discret) En fait, quand tu grattes un peu sur le net, et ben…
Tu te rends compte qu’ils nous racontent bien ce qui veulent…
Celui au portable
Qui ?
Celui à la cigarette
La NASA. La CIA. Les gouvernements. Tout ça.
Celui au portable
Ah bon ?
Celui à la cigarette
Mais oui !
Ils disent que la Terre va devenir inhabitable, mais c’est pas vrai, en fait.
Celui au portable
Oh !
Celui à la cigarette
Mais bien sûr !
Y a une zone qui va rester vivable : la limite jour-nuit.
Celui au portable
Non !
Celui à la cigarette
Si !
Mais ça, personne te le dit…
Celui au portable
Les bâtards…
Celui à la cigarette
Heureusement y a un collectif coréen – ils sont trop forts pour ce genre de trucs les coréens – qui a organisé une opération de sauvetage.
Celui au portable
Jure !
Celui à la cigarette
Je te promets !
En fait, grâce à un cabinet d’avocat qui bosse avec l’ONU, ils ont obtenu - in extrémis - les droits pour des terrains situés dans la bande habitable.
Bon, côté crépuscule : la zone soleil levant était déjà complètement accaparée par les ultra riches…
Celui au portable
Les bâtards !
Celui à la cigarette
Tu m’étonnes !
Elon Musk en aurait récupéré près d’un quart rien que pour lui et ses potes à ce qui parait. Bref ! Grace à ces types tu peux acheter une place dans l’Arche comme ils l’ont appelée.
Celui au portable
Trop bien.
Celui à la cigarette
C’est des génies les mecs !
Du coup, chacun peut réserver une parcelle de 20 m2…
Celui au portable
20 m2 !
Celui à la cigarette
Ben ouais !
Faut qu’y en ait pour le plus de monde possible.
Celui au portable
Mortel…
Celui à la cigarette
Des génies, je te dis !
Celui au portable
Mais ça coûte combien ?
Celui à la cigarette
Une blinde ! Mais quand t’y regardes de plus près, c’est une affaire.
Et tu peux payer en bitcoins.
Celui au portable
Ah ouais…
Celui à la cigarette
Franchement, y a aucun risque !
Et tu sais quoi ?
Celui au portable
Quoi ?
Celui à la cigarette
J’en ai pris deux…
Celui au portable
Deux ?
Celui à la cigarette
Ouais, deux !
Avec la demande qu’il va y avoir d’ici demain, je vais revendre ça une fortune !
C’est le casse du siècle, mon pote !
Un temps.
Celui au portable
Mais…
Celui à la cigarette
Mais quoi ? Qu’est-ce que tu veux que ça risque ?
Celui au portable
Elle sera où la zone ?
Enfin l’Arche quoi ?
Celui à la cigarette
On sait pas encore, mais les avocats ont tout bétonné : les titres de propriétés sont garantis par l’ONU, je te dis !
Dès que la planète s’arrête, bingo !
Les casques bleus sécurisent la zone, établissent un cadastre et tu te pointes avec ton ticket d’or.
Celui au portable
Mais…
Celui à la cigarette
D’ailleurs, ça risque d’être chaud.
Perso, je me suis équipé pour me défendre. Je préfère.
Pas question qu’un crève la faim vienne me piquer ma place.
Celui au portable
Mais, et si…
Celui à la cigarette
Et si quoi ?
Celui au portable
Et si la limite jour-nuit…
Celui à la cigarette
Oui ?
Celui au portable
Je veux dire…
Quand la planète va s’arrêter de tourner…
Celui à la cigarette
Et ben ?
Celui au portable
Et si la zone habitable - et ton arche - elle se retrouvait en plein milieu de l’océan ?
Celui à la cigarette
Euh…
Celui au portable
Non parce que… vu que 70 pour cent de la surface du globe c’est de la flotte…
Tu vois ce que je veux dire ?
Entre le serveur.
Il pose la monnaie.
Serveur
Et 50 qui font dix.
Et voilà du feu.
Il allume un briquet en direction de celui à la cigarette qui reste bouche bée et laisse tomber sa clope.
Celui à la cigarette
Les bâtards…
Noir.
Musique.
7- Far West 2
Tableau visuel.
Chorégraphie exprimant une sorte de « sauve qui peut » ou de comportements absurdes, de chaos.
Ex : Des gens font leurs valises, d’autres courent, prient, etc… dans une sorte de manège répétitif.
Prises de parole successives.
Quidam 1
Vingt-quatre heures ?
Mais enfin, qu’est-ce que vous voulez que ça me foute qu’il reste vingt-quatre heures ?
Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse moi de cette dernière journée ? Hein ?!
C’est dégueulasse de faire ça. C’est pas juste.
Juste au moment où j’allais enfin l’avoir ce poste de directeur commercial.
Un bureau de malade avec une vue panoramique sur la Défense.
Fais chier !
Dix ans que je bosse pour ça.
Planète de merde !
Je comprends pas.
On est capable d’envoyer tout un tas de conneries dans l’espace et on n’est pas foutu de l’obliger à redémarrer, ce putain de caillou ?
Je sais pas moi : une série d’ogive nucléaires bien placées et bam !
Ça devrait bien lui faire bouger son cul à cette planète, non ?
Sans déconner. Ils font quoi au gouvernement ?
Quidam 2
Ce que je vais faire de mon dernier jour ?
Ben, je vais prendre mon vélo. Je vais tailler la route.
Rien de tel que de rouler la caisse pour éviter de trop réfléchir.
Ouais, je vais pas me mettre la ratte au court-bouillon.
Ça servirait à quoi de toute façon ?
Non. Je vais tirer tout droit et je verrai bien où ça me mène.
Si ça se trouve j’arriverais à taper une étape du Tour de France.
Ce serait pas mal ça, une étape du Tour.
Non ?
Quidam 3
Je vais rester avec mes enfants.
Je veux qu’on parte tous ensemble. En famille.
Oui. Mes enfants c’est toute ma vie.
(Sanglot) Pardon.
J’ai deux fils. Le plus grand devait attaquer médecine.
On est tellement fier avec mon mari. Si vous saviez.
Le deuxième, il nous donne bien un peu du souci. Mais c’est l’âge.
Il se cherche encore comme disait ma tante Suzanne.
Vous voulez les voir ?
Je dois avoir une photo.
Noir.
8- Cantique
Groupe.
Le chœur
D’abord ce sera le silence.
Un silence de cathédrale. Immense. Infini.
Le monde entier deviendra église et se taira.
La totalité de ce qui respire, ingère, chie, vit, lèvera les yeux au ciel.
Les hommes comme les bêtes.
Toutes les créatures qui s’agrippent à ce minuscule caillou lancé à travers l’espace.
Celles du jour comme celles de la nuit.
Celles qui rampent comme celles qui volent.
Celles qui tendent leurs branches colossales vers la pluie d’or descendue du ciel, comme les plus minuscules, qui restent enfouies dans la fange obscure des marécages.
Tout se figera.
Retiendra son souffle.
En suspension.
En oraison.
Tous les fidèles enfin rassemblés autour de l'autel.
Dans une prière mondiale.
Totale.
Une supplique nerveuse portée par des centaines de milliards de regards tournés vers le ciel.
Un cantique silencieux, jeté à l’empyrée par une constellation de bouches stupéfaites.
En vain.
Trop tard.
Bien trop tard.
Rien, au firmament ne se déplacera plus.
Jamais.
L’œil monstrueux et enflammé de l’astre des jours restera de marbre.
Tel un cyclope furieux, il fixera ce monde en attente de miséricorde.
Et lui refusant son absolution, il nous condamnera à la combustion, pendant qu’à l’opposé du ciel, sa compagne nocturne, sa maîtresse des antipodes, jouera avec les perles de rosée, les gelant les unes après les autres, pour s’en faire un rosaire de glace.
Alors le silence se brisera.
Et ça commencera.
Noir.
Musique.
9- Il était une fois dans l’ouest
Un supermarché.
Entre une femme avec un caddie chargé de papier hygiénique.
Entre une deuxième femme, un panier de supermarché à la main et un paquet de papier hygiénique sous le bras, qui cherche à la rattraper.
Celle au panier
Madame ! Madame, s’il vous plaît !
Celle au caddie
Qui ça ? Moi ?
Celle au panier
Oui, oui… vous !
C’est bien à vous que je parle.
Celle au caddie
Un problème ?
Celle au panier
On peut dire ça, oui…
Celle au caddie
Ah bon ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
Celle au panier
Et bien… Faut pas vous gêner surtout !
Celle au caddie
Hein ?
Celle au panier
Ah ça, on peut dire que vous ne manquez pas d’air !
Celle au caddie
Je vous demande pardon ?
Celle au panier
Vous ne trouvez pas que c’est quand même un peu exagéré ?
Hein ?
Non mais, je vous jure !
Celle au caddie
Qu’est-ce que…
Mais enfin madame, de quoi parlez-vous ?
Celle au panier
Allons, je vous en prie : ne jouez pas à ça avec moi.
Vous savez pertinemment que je vous parle de ça !
Celle au caddie
De quoi ?
Elle montre le papier hygiénique dans le caddie.
Celle au panier
De ça !
Celle au caddie
Ça ?
Celle au panier
Oui ça !
Celle au caddie
Le PQ ?
Celle au panier
Oui ! Le PQ comme vous dites.
Un temps.
Celle au caddie
Et bien quoi le PQ ?
Celle au panier
Et bien quoi ?!
Et bien quoi ?!
Celle au caddie
Oui… Quoi ?
Celle au panier
Non mais je rêve…
Celle au caddie
Écoutez madame, je ne sais pas à quoi vous jouez, mais j’ai encore tout un tas de courses à faire, alors…
Celle au panier
Mais bien sûr !
C’est si facile…. Ah ça ! Je sais bien que la planète s’arrête de tourner demain et que, du coup, tout un tas de gens se croit tout permis, mais laissez-moi vous dire, madame, laissez-moi vous dire que ce sont des choses qui ne se font pas !
Celle au caddie
Mais enfin… c’est quoi votre problème ?!
Celle au panier
Mon problème ?
Oh mais c’est très simple madame.
Mon problème, c’est que ce… PQ, est à moi.
Celle au caddie
Pardon ?
Celle au panier
Vous avez très bien entendu : à moi.
Celle au caddie
A vous ?!
Celle au panier
Tout à fait !
Celle au caddie
Non mais, ça va pas la tête ?!
Celle au panier
Oh, mais je vous rassure, ma tête va parfaitement bien.
Rendez-moi mon PQ !
Celle au caddie
Votre… mais… non !
Je veux dire… non !
Celle au panier
Si ! Et tout de suite ou j’appelle la sécurité !
Celle au caddie
Mais, c’est n’importe quoi !
Comment pouvez-vous dire qu’il est à vous ?!
Vous voyez bien qu’il est dans mon chariot.
Celle au panier
Peut-être…
Mais je l’ai vu la première.
Celle au caddie
La première ?!
Celle au panier
La première !
Celle au caddie
Vous plaisantez j’espère ?
Celle au panier
Parce que j’ai l’air de plaisanter, peut-être ?
Celle au caddie
Non, c’est vrai, pardon, j’avoue que vous avez plutôt l’air d’avoir un sérieux pet au casque.
Celle au panier
Oooh !
Mais je ne vous permets pas !
Celle au caddie
Ah ben c’est bien dommage, parce que, voyez-vous, il se trouve que je m’en tape complètement d’avoir votre permission.
Sur ce… une bonne fin journée !
Elle commence à s’éloigner.
Celle au panier
Écoute-moi bien espèce de morue, donne-moi ce PQ tout de suite ou tu vas le regretter…
La femme au caddie s’arrête net.
Celle au caddie
Euh… c’est moi que tu traites de morue ?
Celle au panier
Parfaitement !
Ça te pose un problème, greluche ?
Un temps.
Celle au caddie
Personne, je dis bien, personne, ne me traite de morue…
Celle au panier
Ah oui…
Et tu vas faire quoi ?
Hein ? Morue…
Celle au caddie
Encore…
Vas-y, répète un peu pour voir ?
Celle au panier
Morue.
Un temps.
Celle au caddie
Je vais être obligée de t’éclater la gueule, t’es au courant ?
Celle au panier
Et ben viens, qu’est-ce que t’attends ?
Morue.
Celle au caddie
Je t’aurais prévenue, poufiasse…
Celle au panier
Morue ! Morue ! Morue !!!
Celle au caddie
Raaaaaah ! Je vais la buter cette grognasse !
Elles hurlent, se jettent l’une sur l’autre et se tapent dessus avec les rouleaux de papier hygiénique.
La scène tourne au règlement de compte.
Entre un employé du supermarché, il essaye de les raisonner.
Employé
Mesdames ! Mesdames voyons, je vous en prie !
Calmez-vous !
La violence n’est pas une solution…
Les deux femmes
Ta gueule trou de balle !
Employé
Qui c’est qui a dit ça ?!
Hein ? Qui c’est qui a dit ça ?!
Les deux femmes se montrent du doigt mutuellement.
Employé
Je vais vous éclater la tronche, bande de pétasses !!!
Cris et hurlements.
Ils en viennent aux mains.
Noir.
10- Far West 3
Tableau visuel.
Chorégraphie exprimant la colère, le rejet et toutes sortes de réaction excessives.
Ex : Des gens crient, hurlent, projettent des objets à travers la scène, embrassent des inconnus…
Prises de parole successives.
Quidam 1
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
Ça vous étonne vous ?
Ça vous étonne ce qu’il se passe ?
Moi pas. C’est normal.
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
C’est normal. Nous sommes décadents.
Quidam 2
Je veux pas crever comme ça.
Pas tout seul. Non, pas ça.
C’est pas possible tout seul.
Je veux être pris par des bras.
Des bras fermes. Ou bien flasques. Puissants ou bien tendres.
Je m’en fous.
Tout ce que je veux, c’est sentir des mains farfouiller ma peau.
Qu’elles soient rugueuses ou soyeuses. Je m’en tape.
Je veux juste goûter le sel d’une peau en sueur après l’effort.
Peu importe de qui.
Tant que je sens un corps respirer avec moi.
Tant qu’on m’aime.
Tant que je suis pas tout seul.
Quidam 1
Mais oui. Les signes sont clairs.
Regardez. Le péché est partout. Il règne sur le monde.
Nous laissons faire des choses contre nature.
N’importe qui peut se marier avec n’importe qui.
Bientôt, n’importe qui aura le droit de voter.
C’est contre nature, je vous dis. Il y a un ordre des choses.
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
C’est la décadence.
Nous avons attiré une condamnation. Mais oui. Une condamnation.
Quidam 3
On va faire la teuf !
Une bamboche de malade.
Ouais. C’est ça qu’on a décidé avec les potes.
Ho ! Il reste que vingt-quatre heures, quoi !
Plus la peine de se poser de question.
A quoi ça servirait ? Tu m’expliques ?
Alors moi je te le dis : on va se retrouver en plein centre-ville.
Inviter tout ce qui bouge.
On va balancer ça sur les réseaux. Que tout le monde diffuse à tout le monde.
Ouais ! Venez comme vous êtes. Amenez de quoi faire la fête.
Une rave party apocalyptique !
Ça en jette, non ?
C’est le moment ou jamais. Ça va être dingue.
No limit !
Je vais tout essayer. Tout prendre. Sans réfléchir.
Dire oui à tout. Et à tous.
Plus rien à foutre.
Non. Crois-moi : quitte à crever, autant finir carbonisés !
Quidam 1
C’est la colère divine qui s’abat sur nous !
Mais, il n’est pas trop tard. Non.
Il nous faut nous repentir.
Nous repentir et nous emparer de tous ces mécréants, ces métèques.
Pour les offrir en sacrifice. Tous. Sur un bucher.
C’est ça. Ils bruleront avec nos fautes. Et nos péchés.
Alors, seulement Il nous accordera sa miséricorde.
Quidam 4
Non mais, c’est des conneries !
Il va rien se passer du tout. Arrêtez d’écouter tout ce qu’on vous raconte.
C’est des conneries je vous dis.
D’ailleurs, c’est impossible que la Terre s’arrête de tourner.
Pourquoi ?
Ben… parce que, justement : elle tourne pas.
Vu qu’elle est plate.
Quidam 1
(En braillant frénétiquement) Seigneur ! Oui Seigneur !
Vers toi j’élève ma voix, car tu es mon Dieu !
Touche-moi encore, Seigneur. Oh oui. Touche-moi !
Noir.
11- Butch Cassidy et le Kid
En cellule. Deux prisonniers.
L’un lit un livre, l’autre fait rebondir une balle.
Celui qui lit
Tu peux arrêter ?
Celui à la balle
Quoi ?
Celui qui lit
J’ai dit : tu peux arrêter ?
Avec ta balle.
C’est chiant…
Un temps.
Celui à la balle
Ok.
Il continue.
Celui qui lit soupire et reprend sa lecture.
Tu lis quoi ?
Celui qui lit
Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
Celui à la balle
Je m’intéresse.
C’est important d’entretenir de bonnes relations dans une colloc longue durée.
Celui qui lit ne réagit pas.
Alors ?
Celui qui lit
Alors quoi ?
Celui à la balle
Alors : tu lis quoi ?
Un temps.
Celui qui lit
File ta balle.
Celui à la balle
Hein ?
Celui qui lit
Tu veux savoir ce que je lis ?
Celui à la balle
Ouais.
Celui qui lit
Alors file-moi ta balle…
Il se regardent. Après un temps de réflexion, l’autre lui envoie sa balle.
Celui qui lit reprend sa lecture.
Marx…
Celui à la balle
Marx ?
Celui qui lit
Marx.
Celui à la balle
Karl, c’est ça ?
Celui qui lit
Non, Groucho…
Celui à la balle
Hein ?
Celui qui lit
Laisse tomber.
Karl Marx, ouais.
Celui à la balle
Karl Marx…
C’est pas un communiste ça ?
Un de ces types qui veulent que tout soit à tout le monde ?
Celui qui lit
Si tu veux, ouais...
Celui à la balle
Quelle bande de connards ces mecs.
Celui qui lit
Qui ça ?
Celui à la balle
Les cocos… Quelle bande de connards.
Celui qui lit
Ah ouais… et pourquoi tu dis ça ?
Celui à la balle
Pourquoi ?
Parce-que si je me suis fait chier à choper ce qui est à moi, je vois pas pourquoi je partagerai avec des trous du cul sortis de nulle part.
Ils ont qu’à se bouger la couenne cette bande de branleurs au lieu de vouloir taper ce qui est aux autres !
Celui qui lit
Tu me rappelle pourquoi t’es là, toi ?
En collocation longue durée.
Celui à la balle
Braquage. Un fourgon, pourquoi ?
Celui qui lit
Non. Pour rien…
Celui à la balle
Pourquoi tu demandes ça ?
Hein ?! Pourquoi ?
Qu’est-ce que t’essayes de m’embrouiller là ?! C’est mon fric, ok !
Je me suis peut-être fait gauler, d’accord, mais c’est le jeu.
Je l’ai gagné ce blé, ok ! Il est au chaud et à l’abri.
Et peut-être même qu’il est en train de faire des petits. Qu’est-ce que t’imagines ?
J’ai rien dit aux condés et y a personne qui saura rien.
Alors à moins que tu connaisses un moyen de me faire sortir d’ici…
Pas question de partager.
Avec personne, ok ! Je les emmerde les cocos moi.
T’as besoin d’un truc : tu payes ou tu le gagnes ! Point barre.
Celui qui lit
Laisse tomber.
Un temps.
Celui à la balle
Bon, allez… rends-moi ma balle.
Celui qui lit
T’es à côté de la plaque, mon pote.
Complet.
C’est pas ça le délire.
Marx, il dit juste que l’histoire se répète et que, depuis toujours, y a une minorité qui opprime le reste du monde en contrôlant l’économie !
Celui à la balle
Peut-être, mais moi je veux ma balle.
Celui qui lit
Il dit que cette classe dominante accapare les outils qui servent à produire de la richesse. Et qu’elle oblige les autres à travailler dessus.
Comme les maîtres le faisaient avec leurs esclaves ou les seigneurs avec leurs paysans ! Avant on te filait une chaîne, une paillasse ou quelques grains de blé, maintenant on t’octroie un salaire pour bosser sur des machines !
Celui à la balle
Si tu le dis.
Vas-y, rends-moi ma balle !
Celui qui lit
Il dit que cette caste d’opulents se fait des couilles en or, en privant la masse laborieuse d’une partie de la valeur de son travail, pour en faire ce qu’elle appelle des bénéfices !
Celui à la balle
Mec, tu commences à être relou là…
Celui qui lit
Et que cette domination est assurée par la raréfaction du travail et la diminution permanente de la part laissée à ceux qui en chient sur les outils de production.
En gros : tu marnes comme un chien parce que t’as pas le choix et on te file juste assez de temps et de fric pour reprendre des forces avant de retourner au turbin !
Celui à la balle
Vas-y, là !!!
Ma balle !
Celui qui lit
Il dit aussi que ce système est une machine infernale et vorace, programmée pour s’autodétruire.
Celui à la balle
Raaah !!!
Celui qui lit
Il dit surtout qu’il n’y a qu’une seule issue à tout ce bordel : une société égalitaire ou chacun a assez, sans classes, ni États.
Et que c’est à la masse des opprimés de mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, en s’unissant et en s’emparant des terres et des outils de production !
C’EST ÇA LE DELIRE BORDEL DE MERDE !!!
Celui à la balle
FILE-MOI MA BALLE, PUTAIN !
Un temps. Il lui jette sa balle.
Celui qui lit
Tiens !
Continue de jouer à la baballe…
Et continue de courir après l’oseille en faisant le malin devant des dindes écervelées, si ça t’amuse.
Mais ne me dérange plus pendant que je lis, c’est clair ?!
Celui à la balle
(Il récupère sa balle en marmonnant)
Pauvre malade…
Celui qui lit
La ferme…
Silence.
Il se remet à lire.
Un temps.
Noir.
12- O me ! O life !
Noir plateau.
Sons distants et difficilement audibles.
Projection vidéo : par ex, images de famille style film super 8.
Voix off.
Voix
Je me souviens d’un jardin.
D’une allée qui menait à un petit escalier et d’un potager en contrebas.
Et sur le côté, une cabane à lapins et un poulailler fait de bric et de broc.
Je me rappelle.
Du bruit de la porte de la cabane.
Comme c’était dur de l’ouvrir.
Je me rappelle de ça.
De ça et de l’odeur piquante du fumier quand on entrait pour aller donner aux bêtes.
Pourquoi est-ce que je me souviens de ça ?
C’était il y a tellement longtemps.
J’avais dix ans, à peine.
Est-ce que quelqu’un peut me dire ce qu’il se passe ?
Il y a tellement de sanglots dans l’obscurité autour, que je voudrais pouvoir ne plus rien entendre.
Rien à part le bruit strident de la porte. Et les râles jaloux des poules qui s’agglutinaient au grillage quand on tardait à les faire sortir.
Un temps
Vous m’entendez ?
Y a quelqu’un ?
Noir.
13- La horde sauvage
Celle au caddie, celle au panier et l’employé en train de se battre.
Un attroupement de clients et badauds.
Certains filment.
Client 1
Y se passe quoi ?
Client 2
(En train de filmer)
Une dispute.
Pour du PQ visiblement.
Client 1
Du PQ ?
Client 2
Oui. Du coup, c’est parti en vrille.
Client 1
Non !
Client 2
Si…
Client 1
Mais…
C’est n’importe quoi !
Client 2
Carrément.
Cris.
Client 1
Les gens sont vraiment à la masse.
Il règne une tension en ce moment, vous ne trouvez pas ?
Client 2
M’en parlez pas !
J’ai failli me faire renverser sur le parking par un malade.
Comme si s’exciter dans sa voiture allait changer quoi que ce soit à la situation.
Client 1
Mais où on va ?
Je vous le demande : où on va ?
Client 2
Ah ça… on est mal.
Employé
Lâche-moi sale morue !!!
Cris.
Client 1
Oulaaa !
Client 2
De vrais sauvages, je vous dis.
Cris.
Client 1
Et aussi… les gens n’ont plus aucunes valeurs.
Client 2
Absolument : plus personne ne croit en rien.
Cris et coups.
Client 1
Ah ouais, quand même…
Client 2
Ah, ça rigole pas.
Un temps.
Client 1
Dix Euros, sur la pouf au panier.
Client 2
Tenu !
Noir.
Musique.
14- Impitoyable
Salle de presse. Entre le conseiller.
Le conseiller
Mesdames et messieurs.
Le président des États Unis d’Amérique.
Musique : Star spangled banner.
Entre le président, fier, martial, le menton levé.
Le président
Mes chers concitoyens. Habitants du monde entier.
Aujourd’hui, c’est le cœur lourd que je viens devant vous.
C’est les yeux pleins de larmes que je viens vous porter une terrible nouvelle.
Nous, humains, avons devant nous une menace sans précédent.
Nous, humains, avons devant nous une guerre des plus infâmes.
Une guerre contre nature. La pire qui soit.
Celle d’une mère contre sa progéniture.
Celle d’une mère qui cherche à dévorer ses enfants.
La planète Terre - elle que nous chérissons depuis la nuit des temps, elle que nous parcourons sans relâche, labourons avec peine, cultivons à la sueur de nos fronts - notre planète, nous attaque. Nous trahit. Avec ingratitude. Et sans vergogne.
Demain, celle qui nous nourrit arrêtera de tourner. Nous livrant à une mort certaine.
Vous demandez : pourquoi ?
Je répondrai : par pure cruauté.
Vous demandez : qu’allons-nous faire ?
Je répondrai : combattre !
Vous demandez : dans quel but ?
Je répondrai : la Gloire.
Parce que ce n’est pas un caillou, aussi gigantesque soit-il, qui va dicter sa loi !
Parce que nous naissons libres. Et que les hommes libres résistent toujours, à toutes forces, quand ils font face à la barbarie !
Alors oui, sans doute, nous mourrons.
Mais pas sans lutter. Non. Pas sans riposte.
Allons, mes frères. Allons mes sœurs. Debout !
Éventrez les montagnes. Empoisonnez les rivières. Arrachez les forêts. Décapitez les bêtes sauvages.
Que cette garce sache ce qu’il en coûte de s’en prendre à ceux qui ont été faits à l’image de Dieu.
Noir.
15- Far West 4
Tableau visuel.
Discours du président en voix off, distante et déformée ?
Chorégraphie exprimant l’affrontement, le tumulte.
Quidam 1
Qu’est-ce que je vais faire ?
Ma foi : je vais manger.
Je vais bâfrer.
Bouffer tout ce que je peux.
Me remplir jusqu’à en crever.
Je veux mourir le ventre plein. Avec une bedaine d’otarie.
Les boyaux tendus jusqu’à l’insupportable. La déchirure. L’éclatement.
Oui. C’est ça !
Je veux boustifailler, grailler, absorber, me gaver un jour entier.
Engloutir des pigeons farcis, des rillettes d’anguilles fumées et des côtes de porc en caillette. Enfourner des saucisses de couenne grillées aux morilles et des plâtrées d’échalotes en tartine sur de la bavette.
Quidam 2
Rien.
Je vais rien faire.
J’ai rien à faire de toute façon.
Alors ça va rien changer.
Je me lèverai à 7h30 comme d’habitude.
Je prendrai mon café. Sans sucre, à cause de mon diabète.
Et puis je sortirai Fifi. Elle préfère sortir le matin.
Hein, ma fille que tu préfères sortir le matin ?
Et puis je me mettrai dans mon fauteuil. Et j’attendrai les 12 coups de midi.
C’est formidable les 12 coups de midi.
Quidam 1
Oui. Je veux tout goûter, tout engouffrer.
Becqueter du dauphin, du pâté de panda et des ailerons de requin.
Des tacos à la baleine, des hamburgers d’orang-outan et du kébab au pangolin.
Dévorer des cuisses d’ours polaire.
Boulotter des queues d’hippocampe.
Me caler les amygdales à grands coups d’œufs de tortue luth et me colmater le cornet avec des rognons d’aigle flambés au calva.
Quidam 2
Non. Voilà.
Je vais rien faire de plus.
J’ai rien à faire de toute façon.
Alors ça va rien changer.
Quidam 1
Et puis picoler nom de dieu !
Entonner, siroter, biberonner, me graisser le toboggan !
Siffler des litres de Bordeaux, éventrer des barriques de Pinot et écluser des citernes de Porto.
Je veux m’évanouir dans un râle.
M’asphyxier dans un reflux.
Vomir mon dernier souffle.
Expulser mon âme dans un pet.
Casser ma pipe dans une explosion de bile glaireuse.
Mais surtout, surtout, je ne veux me rendre compte de rien.
C’est ça !
Finir tellement plein et saoul que j’oublierai qu’on est condamnés et que tout va bientôt s’arrêter.
Quidam 2
Voilà.
C’est tout.
Qu’est-ce qu’y faut faire.
Y a rien à faire de toute façon.
Et puis, c’est peut-être pas plus mal, après tout.
Ça fera de l’animation.
Hein, ma fille ?
Noir.
16- Il était une fois la révolution
En cellule. Deux prisonniers.
Cri et tumulte en coulisses.
Celui qui lit
(En soupirant) C’est quoi ce bordel ?
Celui à la balle
Ça vient de la promenade, on dirait.
Celui qui lit
C’est quoi ? Une émeute ?
Celui à la balle
M’étonnerait pas.
C’est tellement dégueu ce qu’on bouffe.
Bruit de destruction.
Alarme.
Cris de joie.
Celui qui lit
La vache !
Ils sont où les gardiens ?
Celui à la balle
Qu’est-ce que j’en sais moi !
Bruit de porte qui s’ouvre.
Entre un détenu. Suivi d’un autre hilare.
Celui qui est entré
Venez les mecs !
Celui qui se marre
Ouais, venez !
Celui à la balle
Hein ? Mais où ?
Celui qui est entré
Où tu veux. On se casse !
Celui qui se marre
Ouais, on se casse !
Celui qui lit
Hein ?
C’est quoi ce délire ?
Celui qui est entré
Venez, je vous dis !
On est libres.
Celui qui lit et celui à la balle
Libres ?
Celui qui se marre
Ouais, libres !
Celui à la balle
Mais… Et les matons ?
On va se faire tirer comme des lapins !
Celui qui est entré
Ça risque pas…
Y a plus personne !
Celui à la balle
Hein ?
Celui qui se marre
Ouais, y a plus personne !
Celui qui lit
Comment ça, y a plus personne ?
Celui qui est entré
Ils se sont barrés !
Tous !
Celui qui se marre
Ouais, ils ont foutu le camp !
Tous !
Celui à la balle
T’es sûr ?
Celui qui est entré
Puisque je te le dis !
Les types, ils en ont plus rien à foutre !
Ils ont tout laissé en vrac et sont rentrés au bercail passer leur dernier jour avec bobonne et les gamins !
Celui qui se marre
Ouais, bobonne !!!
Celui qui lit
Leur dernier jour ?
Comment ça leur dernier jour ?
Leur dernier jour avant quoi ?
Celui qui se marre arrête de rire.
Un temps.
Celui qui ne se marre plus
Putain mec, faut sortir de ton trou un peu…
Celui qui est entré
Mais ouais, grave.
Celui qui ne se marre plus
Non mais allo, quoi !
Celui qui est entré
Ouais, t’étais où pour pas être au courant ? Sans déc...
Celui qui lit
Au courant de quoi ?
Celui qui ne se marre plus
Ben… c’est la fin du monde, mec !
Celui qui lit
Quoi ?
Celui qui est entré
Ben, ouais !
Celui qui ne se marre plus
La planète a posé un piquet de grève !
Demain, y a un truc qui va se mettre de travers dans le grand machin cosmique et tout va s’arrêter de tourner.
Du coup, ça part en couilles.
Celui qui est entré
Et nous, ben… on est libres.
Celui qui se remet à se marrer
(Riant à nouveau donc) Et ouais !
C’est le grand soir les copains !!!
Le grand soir !
Celui à la balle
Mortel !
Celui qui est entré
Grave !
Allez venez, on va en profiter un max !
Celui qui se marre de nouveau
Ouais ! Grave !
On va tout faire péter !
(Il se met à chanter) « O partigiano portami via »…
Celui qui est entré et Celui à la balle
« O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao »…
Celui qui chante en se marrant
« O partigiano portami via,
Che mi sento di morire. »
Celui qui chante en se marrant, celui qui est - du coup - sur le point de sortir et celui à la balle partent en poussant des cris de joie et reprenant en chœur « O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao ».
Celui qui lit s’assoit et replonge dans son livre.
Celui à la balle revient.
Celui à la balle
Ben… Kestufou ?
Celui qui lit
Quoi ?
Celui à la balle
Kestufou ?!
Viens ! Qu’est-ce que t’attends ?!
Celui qui lit
Pas maintenant…
Celui à la balle
Quoi ? Ben pourquoi ?
Celui qui lit
Parce que… je lis.
Celui à la balle
Tu lis ? Mais… t’es con ou quoi ?
On est libres, mec !
Libres !
Qu’est-ce que t’attends ?
C’est le moment ou jamais !
Celui qui lit
Chais pas…
J’ai la flemme.
Celui à la balle
La flemme ?!!!
Celui qui lit
Ouais…
Fais froid, chuis naze…
Pourquoi j’irai me geler les miches à courir dehors, à péter des trucs, pendre des mecs par les tripes, alors que je peux rester ici peinard, au chaud, avec un bon bouquin, de la bouffe… même dégueulasse… franchement.
Non, je verrai demain plutôt...
Celui à la balle le regarde incrédule, soupire, a un geste de dépit et sort.
Celui qui lit se replonge dans son livre.
Celui qui lit
(Lisant) « C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité. »
Ah… Marx…
Noir.
Musique.
17- Requiem
Groupe.
Le chœur
Ça viendra des profondeurs.
Des tréfonds de la croute terrestre.
Comme un râle remontant des entrailles de Léviathan.
Un grognement monstrueux.
Un brame titanesque déchirant le silence dévot qui régnait auparavant sur le globe.
Vrillant les cœurs terriens d’une terreur mordante.
Injectant un désespoir épais et visqueux chez tous les vivants.
Même les plus endurcis.
Même les plus béats.
Même les plus indolents.
Chacun prenant la mesure de ce qui se joue.
De la vérité féroce qui éclate enfin sous ce ciel pris de paralysie.
De la réalité lugubre qui dévale les consciences avec la sauvagerie d’une avalanche.
Il n’y a nulle part où aller.
Aucune fuite envisageable.
Aucun moyen de s’échapper.
Non.
Cette planète va devenir un corbillard.
Une souricière. Un piège funèbre.
Où la faucheuse va pouvoir s’en donner à cœur joie.
Moissonner à tour de bras.
En lâchant ses coups de faux dans l’allégresse et l’exultation.
Sans s’emmerder à faire le tri.
Sans contrainte. Ni retenue.
Mieux qu’à la grande époque de la peste et de ses danses macabres aux murs des églises.
Mieux qu’au temps des guerres voraces et leurs cohortes de spectres hurlants.
Mieux que lors de ces famines abominables où elle ne récoltait que des corps décharnés. Faméliques. Où la vie était déjà consumée.
Non.
Là ce sera une orgie de chair grasse et fraîche, de sève gourmande, de sang écarlate.
Un festin qu’elle attendait, insatiable, depuis que le monde est monde.
L’heure de l’apothéose.
De son chef d’œuvre.
Oui.
Quand l’invraisemblable grondement jaillira du ventre de la Terre, elle se lèvera, glorieuse, et se jettera à l’assaut de ses proies, toutes prisonnières du globe terrestre.
Noir.
18- Song of myself
Noir plateau.
Sons distants et difficilement audibles.
Projection vidéo : ex. images de famille style film super 8.
Voix off.
Voix
C’était il y a longtemps.
Si longtemps.
Je n’étais encore qu’un enfant qui courrait après les poules.
Donnait aux lapins en cachette.
Jouait aux explorateurs et aux aventuriers.
J’étais un guerrier. Sitting Bull chassant le gibier.
Ou bien un chaman. Dansant pour appeler la pluie.
Chevauchant des rêves jusqu’à la frontière du monde pour parler aux esprits.
Je me souviens.
Je m’allongeais dans l’herbe, scrutais le ciel jusqu’au vertige en écoutant le vent.
C’était bien.
C’était comme vivre au milieu d’un Eldorado. Une cité d’or.
Un jardin merveilleux.
Je pensais, alors, que tout serait éternel.
Un temps.
J’entends encore gémir derrière l’écorce des grands arbres.
Pourquoi personne n’écoute ?
Où donc tout le monde est-il allé ?
Noir.
19- Far West 5
Tableau visuel.
Chorégraphie exprimant l’effondrement.
Quidams
(Dans une sorte de « brouhaha »)
- Moi ? Je vais braquer une banque ! J’ai toujours rêvé de braquer une banque. Comme Jesse James.
- Dormir !
- Je préfère pas y penser. Ça me casse le moral toutes ces histoires.
- Roupiller !
- C’est des conneries.
- Prier. Oui. Prier pour que ça existe l’autre monde et tous ces trucs sur l’au-delà.
- Je vais monter dans un manège. Un immense manège.
- Dire à mes proches que je les aime.
- Pioncer !
- Le plus flippant de tous les manèges.
- Faire l’amour.
- Envoyer chier mon patron.
- Courir à poil.
- Jouer à Candy Crush.
- Hurler !
- Je vous aime.
- M’enfermer dans ma piaule.
- Rouler dans ma caisse ! Putain, je viens juste de l’acheter. Les boules !
- Piquer un somme !
- Ecouter de la musique. Et la mettre à donf ! Rien que pour faire chier les voisins.
- C’est à quelle heure que ça se passe ? Non parce que ça serait con de rater ça.
- Je vous aime, bordel de merde !
- Mater l’intégral de Star Wars avec mes potes !
- Chialer.
- Non mais c’est des conneries je vous dis.
- Dire à tous les gamins que le père Noël n’existe pas.
- Me déguiser en Dark Vador.
- Fuir !
- Sauter en parachute.
- Faire un putain de gros dodo !
- « Je suis ton père… »
- Dormir… Rêver peut-être.
Noir.
20- Et pour quelques dollars de plus
Musique.
Lumière sur la femme au caddie. L’air maussade, elle porte des bandages et des bleus au visage.
Lumière sur la femme au panier. Même chose.
Elle se regarde et se défient du regard avant de s’ignorer dans des attitudes « grandilotesques ».
Lumière sur un pot de pâte à tartiner.
Les deux femmes le voient. Un temps. Grimaces et provocations.
Cris. Elle se jettent sur le pot de chocolat.
Noir.
21- Little Big Man
Lumière sur un homme ou une femme au milieu d’un champ de ruines.
Celui ou celle qui danse sur la frontière du monde
Je pars.
Je me tire.
Je me casse.
Vous le voulez ce monde ?
Je vous le laisse.
Ciao !
Qu’est-ce que ça peut bien foutre après tout ?
Combien de temps ils ont dit déjà ? Un jour ?
Vingt-quatre heures ?
Vingt-quatre putains d’heures, c’est ça ?
C’est ça qu’il nous reste ?
Même pas 1500 saloperies de minutes.
Merde les mecs !
C’est quoi une minute ?
Le soixantième d’un manège infernal.
Un foutu chiffre lumineux qui égrène son mépris dans les ténèbres.
Une fraction d’espace qui nous enchaîne à un rêve fumeux.
A un fantasme.
Une hallucination.
Une crise maniaque.
Un délire.
Obsessionnel.
Compulsif.
Celui de notre domination.
De notre règne cauchemardesque tissé de néant et d’obscurité.
Un empire décharné, cadavre ambulant, dont la dépouille est inflammable.
Un monde à la mesure de l’homme.
De ce que nous sommes.
De ce qu’il reste de nous.
Une illusion de nous-même.
Comme le décompte de ce temps qui passe.
De ce temps qu’il reste.
Du temps perdu.
Vous le voulez ce monde ?
Je vous le laisse.
Même s’il nous restait vingt ans, d’ailleurs je vous le laisse.
Vingt ans, vingt mois, vingt-quatre heures... qu’est-ce que ça change ?
Rien. C’est du pareil au même.
Vingt ans, vingt mois, vingt-quatre heures.
C’est trop peu. C’est trop court.
Juste le temps d’un sanglot.
D'une inspiration, tout au mieux.
Ouvrez les yeux.
Nous n’existons pas.
Nous n’avons pas le temps d’exister.
Mais ouvrez les yeux bordel !
Vous le voyez bien que nous n’existons pas.
Que nous ne sommes que des apparitions fugaces dans l’éclat du soleil.
Que c’est même pour ça que nous dévorons tout ce que nous trouvons :
Broderie, pépites, bibelots, 4 x 4 gras comme des paquebots…
Que nous gesticulons suspendus à des chimères :
Honneur, médailles, patrie, bondieuseries, selfies…
Qu’on se bastonne pour du pétrole, du PQ, ou des pots de chocolat fondu.
A peine nés, nous sommes déjà morts.
Nous cachons notre puanteur sous des litres de parfum, mais c’est l’odeur de nos chairs putréfiées qui nous remplit les narines.
Mais qu’importe. Tant qu’on peut continuer à se pavaner. A parader, les yeux bandés.
Qu’importe. Tant qu’on peut se jeter dans la bousculade furieuse, tout le temps de ce foutu sanglot, agrippés à une illusion.
Cette parodie de nous.
Voilà, je pars.
C’est ça que je vais faire des minutes qu’il nous reste.
Me retirer.
M’extirper.
Aller quelque part où le vacarme et les lamentations seront écrasés par le silence.
Chercher refuge au-dessus du tumulte.
Dans un autre part, un jardin suspendu où résonne encore l’écho d’antiques cavalcades.
Là où d’ancestrales joutes ont buriné avec obstination le cuir épais des montagnes.
Là où des dieux disparus susurrent encore leurs récits prodigieux à l’oreille du vent.
Et alors, le cul posé sur le sol, je m’immobiliserai jusqu’à en devenir écorce ou pierre.
Jusqu’à percevoir le moindre souffle d’air, le moindre bruissement d’ailes, le moindre minuscule mouvement dans l’herbe rase.
Jusqu’à sentir chaque pulsation du globe terrestre.
Jusqu’à me dissoudre dans l’étreinte d’un instant qui se fige.
Qui devient bouclier d’éternité, et contre lequel la flèche du temps viendra se briser.
Assis face au ciel immense, j’attendrai l’apothéose céleste, le bouquet final cosmique, la tragédie sidérale, le dernier acte brutal, moment fatidique où l’astre du jour figera sa course.
Et là, quand le soleil sera cloué au firmament, quand la déesse des profondeurs viendra à ma rencontre, je me lèverai et lui arracherai un baiser.
Une étreinte farouche.
Alors, je l’entrainerai dans une farandole effrénée en m’esclaffant de rire.
Oui, je rirai.
Je rirai sans cesse.
Je rirai à m’en briser les côtes.
Je rirai et danserai en virevolte.
Le temps d’un envol.
Juste le temps nécessaire pour m’éclipser du monde.
Noir.
Musique.
22- Le vol du grand rapide
Deux amis en terrasse d’un café.
Celui à la cigarette et celui au portable.
Celui à la cigarette
Ça va pas se passer comme ça !
Il se lève et prend ses affaires.
Celui au portable
Ben, où tu vas ?
Celui à la cigarette
Prendre un avocat !
Celui au portable
Quoi ?
Celui à la cigarette
Ouais !
Je vais le récupérer mon fric !
Celui au portable
Hein ? Mais…
Celui à la cigarette
Crois-moi, c’est pas une bande de coréens qui va me la faire à l’envers.
Il part précipitamment.
Celui au portable
Hé ! Attends !
Ton demi…
Un temps.
C’est con. Il y a même pas touché.
Bon, ben…
On va pas gâcher, comme on dit, hein.
Allez… à ton Arche mon pote !
Un temps.
Il glousse.
Des coréens…
Et aussi… quel gland !
Entrent celle au caddie, le pot de pâte à tartiner à la main et celle au panier en train de la poursuivre en hurlant.
Celui au portable les regarde passer, stupéfait.
C’était quoi ça ?
Entrent ceux qui se sont enfuis de prison.
Ils chantent à tue-tête.
Ceux qui se sont enfuis de prison
« O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao » !!!
Celui à la balle prend le demi des mains de celui au portable.
Ils sortent en charivari.
Celui au portable
Hé ! Mais… mon demi !
Non mais, quelle bande de bâtards !
Noir.
23- O captain ! My captain !
Noir plateau.
Sons distants et difficilement audibles.
Projection vidéo : ex. images de famille style film super 8.
Voix off.
J’avais dix ans, à peine.
Les journées étaient immenses. L’été interminable.
Une année pouvait durer un siècle.
C’était bien.
Pourquoi faut-il que le temps accélère ?
J’avais peur aussi, parfois. Souvent même.
Je fuyais l’obscurité de la cave quand on m’envoyait chercher des patates. Mes nuits se peuplaient de fantômes et de paires d’yeux monstrueux.
Mais mon grand-père, toujours, venait à la rescousse.
Avec son ventre immense, ses yeux rieurs, sa gentillesse sans limites.
Je me rappelle.
Il sifflait depuis son lit quand il émergeait de la sieste.
C’était le signal. Je me précipitais et me blottissais contre lui.
Jusqu’à ce qu’il se lève. Qu’il prenne son café. S’allume une cigarette. La fume.
Toussant et crachant chaque jour un peu plus.
Jusqu’à n’être plus qu’un souvenir. Une photo dans un album.
Comme notre Eldorado.
Pourquoi faut-il toujours que les rêves s’évanouissent ?
Noir sur l’écran.
Vous m’entendez ?
Y a quelqu’un ?
Répondez-moi, s’il vous plaît.
Pourquoi la réalité est-elle aussi méchante qu’un cauchemar ?
Un temps.
Un cauchemar…
Ce n’est qu’un cauchemar.
C’est ça ?
Un temps.
C’est bien un cauchemar, n’est-ce pas ?
24- Leçon de ténèbres
Groupe.
Avec le grondement viendront les secousses.
Le sol, sous nos pieds, sera parcouru de spasmes.
Une houle épaisse le traversera et le distordra jusqu’à l’absurde.
Privée de sa force centrifuge, la toupie céleste amorcera une mue terrifiante, se déformant, dans le bruit et la fureur, pour devenir la sphère parfaite qu’elle n’a jamais été.
C’est tout le corps de la Terre qui convulsera.
Ébranlant les montagnes, soulevant les océans, culbutant le ciel lui-même.
Tout ce que la fourmilière humaine a si patiemment érigé depuis des siècles sera anéanti. Pulvérisé.
Des rifts gigantesques s’ouvriront en déchirant les continents.
Gueules béantes. Mâchoires terrifiantes.
Gosiers prodigieux qui vomiront une bile incandescente.
Entrailles démesurées qui avaleront les océans en déluge de flots enragés.
A bout de force, le champ magnétique - cœur battant du globe terrestre – s’éteindra.
Son agonie laissera notre planète dénudée. Dépouillée. Écorchée vive.
Les chairs à nu.
Abandonnée à la férocité du vent solaire qui fera d’elle un caillou stérile, flottant dans le néant.
A tout jamais.
Alors voilà.
C’est l’heure.
Demain, mes amis, demain le monde s’arrête.
Il ne nous reste qu’une journée.
Une seule minuscule journée.
Vingt-quatre petites heures.
Mille cinq cents ridicules minutes.
Une insignifiante fraction d’éternité.
A peine le temps de faire face à notre destinée.
Noir.
FIN