La femme et son mari discutent devant la porte du neveu chez qui ils sont invités. Il a une bouteille à la main et elle, un bouquet de fleurs.
LE MARI - Quelle idée j’ai eu d’accepter de t’accompagner chez ton neveu !
LA FEMME - Pourquoi ? Il est très gentil Franck, tu verras !
LE MARI - Oui, oui sans doute... Mais il ne sera pas seul !
LA FEMME - Forcément, c’est une fête d’anniversaire : il y a tous ses copains !
LE MARI - C’est bien ce que je craignais ! Quelle idée de nous avoir invités, aussi !
LA FEMME - Pour une fois que ce n’est pas chez tante Yvette, tu devrais être content ! Et puis, on est sa seule famille à Franck. Tout le monde lui a tourné le dos depuis son coming-out...
LE MARI - Je ne risque pas de lui tourner le dos moi, crois-moi !
LA FEMME - Cela faisait longtemps que tu ne t’étais pas pris pour un objet de plaisir ! Arrête d’être primaire à la fin ! C’est décevant de la part d’un enseignant ce manque d’ouverture d’esprit ! C’est vrai quoi, personne ne va te violer, non plus !
LE MARI - Ce n’est pas la question. Je sais bien que les homos existent, mais de là à participer à la gay-pride !
LA FEMME - La gay-pride ! Tout de suite les grands mots ! Les homos sont des hommes comme les autres, je te signale. Ils sont même souvent plus intéressants que les hétéros purs et durs.
LE MARI - Oui, c’est ça ! Un homme inverti en vaut deux, tant que tu y est ! Oh et puis zut ! Je rentre à la maison ! (Il part.)
LA FEMME, à sa poursuite. - Ce que tu peux être pénible ! (Le ramenant.) Allez, quoi ! Tu peux faire un effort une fois de temps en temps !
LE MARI - Je n’arrête pas de faire des efforts, je te signale : avec les voisins, avec ta tante Yvette, et maintenant avec ton neveu ! En plus, je n’ai rien à leur dire à tous ces gens-là !
LA FEMME - Mais ce sont des gens comme tout le monde ! Ils ont une vie sociale ! Ils ont des situations... Par exemple, Franck est avocat et son copain Jérôme... comptable je crois.
LE MARI - T’as raison, on va parler boulot ! Elle va être passionnante la soirée !
LA FEMME - Evidemment, avec tes a priori et ton air coincé, ça ne risque pas d’être très gai ! (Amusée.) Heureusement que les autres le sont, gays, eux !
LE MARI, exaspéré - Oui, alors là, très drôle ! Les jeux de mots à deux balles, vraiment ! Merci ! Merci surtout de m’avoir entraîné dans un “guet-apens” ! Tu vois ? Moi aussi je sais faire de l’humour !
LA FEMME - Oh, là, là ! Quel caractère !
LE MARI - Forcément, dès qu’on exprime une opinion différente de la tienne, on a mauvais caractère !
LA FEMME - Bon, tu te calmes ? Je sonne. (Elle s’apprête à appuyer sur la sonnette.)
LE MARI, paniqué et arrêtant le geste de sa femme. - Non, non ! Ne sonne pas ! Tu as vu le paillasson ? (Il fait demi-tour.)
LA FEMME, le rattrapant. - Quoi encore ?
LE MARI - Le paillasson ! Regarde le paillasson !
LA FEMME - Oui, bon, il est rose ! D’accord, ce n’est pas du meilleur goût. Ce n’est pas une raison pour te mettre dans tous tes états ! (Elle sonne. On entend en off : «oui, on arrive !»)
LE MARI - Non, mais regarde ! Regarde !
LA FEMME - C’est marqué : welcome. Oui, merci, j’avais remarqué !
LE MARI - Tu le fais exprès ou quoi ? Le paillasson rose avec welcome dessus, tu as vu sa forme ? Il est hors de question que je m’essuie les pieds sur les poils de ce truc là !
LA FEMME, surprise et amusé. - Oh ! C’est drôle ! Une paire de fesses dis-donc ! (La porte s’ouvre.) Ah, bonsoir Franck ! Justement, François et moi, nous admirions ton paillasson, n’est-ce pas chéri ? (Mine atterrée du mari.)
NOIR
LUMIERE
La femme et le mari sortent de la soirée gay du neveu Franck. Ils sont sur le pas de la porte et s’éloignent progressivement.
LA FEMME - Au revoir ! Merci pour tout ! Bisous ! Au revoir !
LE MARI - Au revoir, au revoir ! (Il fait demi-tour.) au revoir Cynthia !.. (Il réapparaît avec du rouge à lèvres sur une des joues.)
LA FEMME - Bon alors, tu viens ? Je croyais que tu ne voulais pas t’éterniser à cette soirée ?
LE MARI - Tu permets ? Je disais au revoir à Cynthia...
LA FEMME - Forcément, dès qu’il y a un jupon dans le secteur... (Elle lui essuie le visage avec un mouchoir.)
LE MARI - Tu aurais préféré que je vire ma cuti, sans doute ? C’est sûr que je démarrais plutôt mal avec tes bourdes !
LA FEMME - Quoi ? Quelles bourdes ?
LE MARI - Déjà, le coup du paillasson ! «François et moi admirions votre paillasson !» Je ne savais plus ou me mettre !
LA FEMME - C’était bien innocent !
LE MARI - Ensuite, tu m’orientes vers le canapé et tu ne trouves rien de mieux à dire à haute et intelligible voix que : «tu devrais aller t’asseoir dans le coin détente, mon chéri.»
LA FEMME - Personne n’a relevé !
LE MARI - Tu rigoles ? Le canapé était d’un seul coup noir de monde ! Evidemment, toi tu étais en train de boire des “soft drinks” avec Franck et sa clique ! Le temps que je leur explique que détente s’écrivait dans mon cas en un seul mot, j’avais déjà deux ou trois paluches sur les cuisses !
LA FEMME - Arrête ! Je n’ai pas envie de me chamailler. Je suis crevée... (Un temps.) Bon, tu conduis ? (Elle lui tend les clefs.) Tu n’as pas trop bu, au moins ?
LE MARI - Mais non ! Et puis, comme tu l’as dit tout à l’heure aux copains de Franck : avec les vitesses au volant, on n’a plus à s’occuper des pédales ! Tu parles s’ils se marraient ! Tu ne pouvais pas dire boîte séquentielle, non ?
LA FEMME - Oh ! Mais je n’y connais rien en technique ! Ils ont compris, c’est l’essentiel !
LE MARI - ...Surtout que tu en as rajouté une couche ! «C’est drôlement agréable de ne pas avoir à toucher les pédales pour les rapports !»
LA FEMME - Oh, là, là ! Ce n’est pas un drame non plus ! D’ailleurs, ils étaient écroulés de rire !
LE MARI - Évidemment ! Ils étaient tous en train de glousser et de faire des allusions douteuses ! «C’est pas comme nous ! Dans les rapports, on préfère toucher !»
LA FEMME - C’était plutôt marrant...
LE MARI - Tu parles ! Toute la soirée, on a eu droit aux plaisanteries graveleuses, tu n’avais pas besoin d’en rajouter ! Ce qu’ils peuvent être obsédés ! Ils ne pensent vraiment qu’à ça !
LA FEMME - Arrête de faire ta sainte-nitouche ! Tu n’es pas si différent !
LE MARI - Tout de même ! Je ne m’extasie pas sur le joli p’tit cul de Jean- Pierre, ou sur le gros paquet de Jérôme, moi !
LA FEMME - Oui, c’est entendu : tu es un vrai bonhomme avec une virilité au dessus de tout soupçon !
LE MARI - Parfaitement ! (Un temps.) Heureusement qu’il y avait Cynthia !
LA FEMME, énigmatique. - Oui... Cynthia... bien sûr... D’ailleurs...
LE MARI - D’ailleurs quoi ?
LA FEMME - C’était limite grossier de vous tenir à l’écart, comme vous l’avez fait, pendant toute la soirée.
LE MARI - Ca y est ! Comme ton neveu Franck, tu vas faire des sous-entendus et dire que nous faisions “bande à part” !
LA FEMME - Il avait un petit peu raison Franck...
LE MARI - Tu ne vas pas me faire une crise de jalousie quand même ! Je te rappelle que c’est toi qui m’a traîné dans cette soirée.
LA FEMME - Jalouse, moi ? Alors là, pas du tout !
LE MARI, déçu - Ah ?
LA FEMME - Bon, allez on y va ! Je suis vraiment fatiguée !
LE MARI - Non, tu éludes la question là ! Tu n’es pas jalouse, toi ?
LA FEMME - Non. On y va ?
LE MARI - Tu veux dire que j’aurais pu aller plus loin avec Cynthia, tu t’en foutais ?
LA FEMME, évasive - Ce n’est pas vraiment le mot, mais bon...
LE MARI - Moi qui me retenais par égard pour toi ! Tu me donnes des regrets !
LA FEMME - C’est toi qui en aurait eu, si tu étais allé plus loin !
LE MARI, triomphant - Ah, je savais bien que tu étais un peu jalouse !
LA FEMME - Tu n’y es pas du tout, mon pauvre chéri ! Cynthia... à qui tu a fait ton numéro de charme, en fait...
LE MARI, inquiet - En fait ?.. Quoi ?..
LA FEMME, en sortant - Rien... L’essentiel, c’est que tu aies passé une bonne soirée, non ?
LE MARI - Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? (Comprenant.) Tu savais et tu m’as laissé faire ? (Sortant outré.) Caroline ! Caroline ! Je te préviens, tu vas rentrer à pieds !
FIN