Du Bouleau Par-dessus La Tete !

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Ce week-end, la somptueuse villa des Duperray devait être vide… Devait…
Thomas Duperray, metteur en scène à l’esprit sarcastique, a profité de l’absence de son épouse, Louise, censée être à un récital, pour convier chez lui Lilly, une jeune actrice très nature, qui rêve de décrocher un rôle.
De son côté, Louise, qui pense que son mari est à un festival, emmène chez elle Simon, plutôt du genre dandy, pour passer du bon temps avec lui…
La situation, aussi cocasse qu’elle soit, va se complexifier au possible et devenir vite incontrôlable, avec l’arrivée de Madeleine, la bonne de service, curieuse et bavarde, suivie par Thomas, un jardinier bon vivant aux jeux de mots souvent lourds, et de Benjamin, brute épaisse et accessoirement… petit ami de Lilly !
Tous les ingrédients sont réunis pour une comédie pétillante, dans la plus pure tradition des vaudevilles !

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ACTE 1

SCENE 1

MADELEINE

La scène est vide. Bruits de clés. Arrivée de Madeleine par la porte d’entrée. Elle enlève sa veste et la range dans la penderie. Elle sort un balai du placard, qu’elle finit par enlacer langoureusement.

MADELEINE (chantonnant) – « Emmène-moi danser ce soir, joue contre joue et serrés dans l’armoire… »

Le téléphone sonne. Madeleine va décrocher en traînant les pieds.

MADELEINE – Et voilà ! Au moment où j’allais conclure !... (Elle décroche.) Oui… Ah ! C’est vous… Bonjour… C’est Madeleine… Non, personne à part moi… Oui, c’est mieux que rien… Ils vous l’ont pas dit ?... Les petits cachotiers ! Ils sont en sortie jusqu’à demain… Non, pas ensemble… Dites-donc, ça vous regarde ?... Oui, quand même un peu, vous avez raison… Alors, votre fille est à un récital et votre genre à un festival… Ca me rappelle une leçon de primaire, ça… Pas vous ? Ouais, ça doit remonter à loin en ce qui vous concerne… Entre nous, ils ont raison d’en profiter… Ils ont les moyens et ils sont encore jeunes… Pas comme nous… Enfin, moi, c’est les moyens qui me manquent et vous, c’est la jeunesse… On ne peut pas tout avoir, hein ?... Allez, je vous laisse : j’ai le boulot qui m’attend, moi… J’aimerais autant que ce soit un beau mec mais bon, on se contente de ce qu’on a… Vous êtes bien placée pour le savoir !... A la prochaine… (Elle enlace à nouveau son balai et se met à nouveau à chantonner.) « Et si ce soir, on dansait le dernier slow, un peu de tendresse au milieu du bistrot »

Madeleine gagne la cuisine. A peine a-t-elle disparu qu’on entend des pas dans l’escalier.

 

SCENE 2

THOMAS puis FRANCOIS

Arrivée de Thomas, très élégant, en bras de chemise. Il se regarde dans le miroir et sifflote, l’air visiblement réjoui.

On sonne. Thomas consulte sa montre, réajuste son col de chemise, se donne un coup de peigne et va ouvrir.

Un homme est sur le perron. Il porte une salopette verte.

FRANCOIS (enjoué) – Bonjour monsieur

THOMAS (sec) – Oui, bonjour

FRANCOIS – Oh là ! Si je suis bon, c’est pas moi que vous attendiez

THOMAS – Pas vraiment non

FRANCOIS – Désolé

THOMAS – Si c’est pour me vendre quelque chose, vous pouvez repasser !

FRANCOIS (rigolant) – Ca, c’est ce que je dis quand je pose ma salopette au pressing

THOMAS – Vous n’êtes pas le livreur de sushis je suppose ?

FRANCOIS – Ah non ! (Rigolant à nouveau.) Avec moi, pas de sushis !

THOMAS (agacé) – Je ne sais pas ce que vous voulez mais…

FRANCOIS – Moi, je le sais

THOMAS (cherchant à refermer la porte) – Je n’ai pas le temps !

FRANCOIS (parvenant à entrer malgré tout) – Moi, j’en ai

THOMAS – Tant mieux pour vous

FRANCOIS – Vous êtes monsieur Duperray ?

THOMAS – Oui

FRANCOIS – Thomas Duperray ?

THOMAS – Oui, aussi

FRANCOIS – Je l’aurais parié… (Lui serrant vigoureusement la main.) Je suis vraiment content de vous rencontrer

THOMAS – La réciprocité n’est pas forcément vraie

FRANCOIS – Je me présente

THOMAS – Si ça peut vous faire plaisir

FRANCOIS – François Claude… François, c’est mon prénom… Je dis ça parce que ça pourrait être l’inverse… Et ça ferait… Claude François ! Vous savez, le chanteur… (Chantonnant.) « Le lundi au soleil, c’est une chose qu’on n’aura jamais… »

THOMAS (le coupant) – Oui oui

FRANCOIS – Donc, mon prénom, c’est François ; c’est pas Claude

THOMAS – Si vous en veniez au fait ?

FRANCOIS (enthousiaste) – Les fêtes, j’adore !  Je vous avoue que j’ai une préférence pour Noël… Pâques, j’aime pas trop

THOMAS (sarcastique) – A cause des cloches, non ?

FRANCOIS (qui n’a pas relevé l’ironie de Thomas) – Non, je ne sais pas trop pourquoi…  Bon, vous causez là, et je ne vous ai même pas dit ce qui m’amène ici… Alors voilà … Je travaille à la ville

THOMAS (moqueur) – Je ne savais pas que c’était compatible

FRANCOIS – Aux espaces verts… Je ne vous parle pas des bars, hein ? Verts, comme la couleur

THOMAS – J’avais compris

FRANCOIS (épelant) – V e r s quoi

THOMAS – Amis poètes, bonjour

FRANCOIS – Alors figurez-vous qu’hier, EDF a contacté la mairie

THOMAS – Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

FRANCOIS – Comme ça, rien, mais c’est la suite qui va vous intéresser. En travaillant sur les lignes qui passent le long de votre propriété, très belle par ailleurs, enfin à ce que j’en ai vu, les électriciens ont remarqué que des branches d’un de vos bouleaux risquaient de tomber et de les écraser… Je vous parle des lignes, hein, pas des électriciens

THOMAS (toujours agacé) – Ce n’est pas pour tout de suite

FRANCOIS – Tout de suite, non, mais avec l’avis de tempête qu’ils annoncent pour cette nuit, il faudrait les couper de toute urgence sinon…

THOMAS – Ca ne peut pas attendre ?

FRANCOIS – Je crains que non. Dans votre secteur, on attend des rafales à 100 kilomètres heure. Comme dirait mon collègue Paulo, si tu veux pas être trempé, t’as pas intérêt à pisser dehors à ce moment-là… C’est pas recherché, je le reconnais… Mais c’est du Paulo

THOMAS (ironique) – Vous devez bien vous entendre ?

FRANCOIS – Ah ça oui pourquoi ?

THOMAS – Pour rien, pour rien

FRANCOIS – Pour revenir à votre bouleau, s’il n’y a que quelques branches à couper, je veux bien m’en occuper. Ca vous évitera de faire appel à une entreprise, que vous aurez d’ailleurs bien du mal à trouver le week-end. Mais c’est bien parce que c’est vous

THOMAS – Je dois vous remercier ?

FRANCOIS – Moi, le sens du service public, je l’ai dans la peau… Qu’est-ce que vous voulez, on ne se refait pas

THOMAS (regardant François avec condescendance) – Pour certains, il y aurait trop de boulot

FRANCOIS – Ca, c’est le bon mot ! Et puis, je vais vous faire une confidence

THOMAS – Gardez-la pour votre femme

FRANCOIS – J’en ai pas

THOMAS – Tiens donc !

FRANCOIS – Alors voilà : quand j’ai su pour vos branches, je me suis aussitôt porté volontaire… Depuis le temps que je voulais voir cette propriété… Je passe souvent devant mais je n’ai jamais osé m’arrêter… Là, j’ai une bonne raison, pas vrai ?

THOMAS – Si vous le dites

FRANCOIS – Eh ben vous voulez mon avis ?

THOMAS – Non

FRANCOIS – Je vous le donne quand même : c’est vraiment chouette ! On sent l’esthète ! (D’un air satisfait.) Alors ce mot-là, depuis le temps que je voulais le caser ! C’est fait !

THOMAS – Et le mot importun, vous l’avez déjà placé ?

FRANCOIS – Pas encore, mais j’essaierai…  Entre nous, y’a autre chose qui m’a motivé pour venir ici… Avec un peu de chance, je me suis dis que j’allais vous rencontrer… Bingo ! Dans le mille, Emile ! Un metteur en scène comme vous, c’est pas tous les jours qu’on peut en croiser… Et je vais vous avouer quelque chose

THOMAS – Ne vous sentez pas obligé

FRANCOIS – Si si ! Voilà : j’adore le théâtre !

THOMAS – Si je vous disais que ça me fait une belle jambe

FRANCOIS – Je vous répondrais que c’est ce que répète ma belle-sœur Simone quand elle met ses bas de contention

THOMAS – Quelle finesse !

FRANCOIS – Faut dire qu’elle a des problèmes de circulation… Avouez que c’est le comble avec un mari gendarme !

THOMAS (bas, à lui-même) – Là, on touche le fond

FRANCOIS – En toute modestie, je joue dans la troupe de Chignon sur Pousauges

THOMAS – Désolé, je ne connais pas

FRANCOIS – C’est pas grave. Pour nos prochaines représentations, je mettrai une invitation dans votre boîte aux lettres

THOMAS – Ne vous donnez pas cette peine

FRANCOIS – J’y tiens ! Ca nous fera rudement plaisir d’avoir votre avis. Oh ! On n’est pas des pros, mais vous verrez : on se défend pas mal, surtout moi

THOMAS – Sûrement

FRANCOIS – Notre dernière pièce, c’était « Arrête ta charrue Charles » ; ça ne vous dit rien ?

THOMAS – Non

FRANCOIS – Eh bien je dois reconnaître, si vous me pardonnez l’expression, qu’on s’est fendu la gueule… A coup de hache comme dirait le bûcheron

THOMAS – Tout un programme !

FRANCOIS – Je jouais le rôle d’un commis de ferme

THOMAS – Un vrai rôle de composition

FRANCOIS – Oui, j’ai bien aimé. L’année dernière, on avait joué « Y’en a marre Marcel ! ». Ca ne vous dit rien non plus ?... Bon, c’était pas la meilleure d’après moi…On peut pas toujours être au top, hein ?

THOMAS (bas, à lui-même) – On atteint vraiment des sommets

FRANCOIS – Mais je suis sûr que je pourrais changer de registre… Je me verrais bien dans des tragédies. (Déclamant.) « C’est un pic, c’est un cap, que dis-je… »

THOMAS (le coupant) – Oui oui, je connais la suite

FRANCOIS – Pas mal, hein ? Et celle-là : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ? » (théâtral à l’excès)

THOMAS – Le Schpountz, vous connaissez ?

FRANCOIS – Le… ? Non… Je connais le punch et le Schpritz, mais pas le Schpountz

THOMAS – Tous les trois ont vite fait de vous souler

FRANCOIS – Ah ?... Et vous, sans indiscrétion, c’est quoi vos projets théâtraux ?

THOMAS – Bajazet de Racine et la lecture d’extraits de La Bruyère

FRANCOIS (admiratif) – Oh là ! N’en jetez plus !

THOMAS – Votre curiosité est satisfaite ?

FRANCOIS – Racine, bruyère : c’est parlant pour un jardinier

THOMAS – Je n’ai pas fait exprès

FRANCOIS – Dites : je ne vous barbe pas trop avec tout ce que je raconte ?

THOMAS (direct) – Si

FRANCOIS – Je m’en doutais. On dit parfois de moi que je suis un mec sciant… (Rigolant.) Rapport à l’élagage, hein ?

THOMAS – Vous en avez encore beaucoup comme ça ?

FRANCOIS – Ca, je peux vous en débiter toute une scierie

THOMAS – Sans façon

FRANCOIS – Avouez qu’on n’a pas souvent l’occasion de fréquenter l’humour d’aussi près… Cyprès, comme l’arbre… Pas mal non plus, hein ?

THOMAS (le poussant en direction du parc) – Le parc, c’est par là

FRANCOIS – Je pourrais y rentrer ma camionnette ? J’ai tous mes outils dedans

Thomas va chercher une clé dans un tiroir du petit meuble et la donne à François.

THOMAS – C’est la clé du portail qui donne sur le parc, côté sud

FRANCOIS – Je peux vous en sortir une petite dernière ? Ca fera un lien avec les sushis

THOMAS (soupirant) – Au point où nous en sommes

FRANCOIS – Voilà : quand on a le sudoku, on a le nord au ventre. Elle est pas de moi, hein, même si j’aurais bien aimé

THOMAS – Je m’en doute

FRANCOIS – Bon, cette fois-ci, va vraiment falloir que j’y aille

THOMAS – Ce serait bien

FRANCOIS (déclamant) – « Va, je ne te hais point ! » Bien déclamé, hein ?

On sonne.

FRANCOIS – On a sonné

THOMAS – J’avais entendu, merci

FRANCOIS – Vous attendez une visite ?

THOMAS – Oui

FRANCOIS – Ah ?... Fallait me le dire, j’aurais écourté… Dites, si un jour il vous manque un comédien…

THOMAS – J’y songerai

FRANCOIS – Je vous répète que je peux tout jouer

THOMAS – Même les casse-pieds ?

FRANCOIS – Oui, aussi

François gagne le parc.

THOMAS – C’est pas vrai ! C’est bien ma veine d’être tombé sur un imbécile pareil !

Thomas se regarde dans le miroir et va ouvrir.

 

SCENE 3

THOMAS, LILLY

Une jeune fille court-vêtue se tient devant la porte. Elle a une chemise cartonnée en main.

THOMAS (sous le charme) – Ah, Lilly ! Vous voilà ! Enfin !

LILLY (enjouée) – Je ne suis pas trop en retard ?

THOMAS – Si peu. (Reluquant la mini robe de Lilly.) Oui, si peu

LILLY – J’avais peur de ne pas être à l’heure

THOMAS – Mais non ! Je viens à l’instant de finir de me farcir un gros dindonneau

LILLY – Vous cuisinez ?

THOMAS (amusé) – Ca m’arrive… Rarement heureusement

LILLY – Si vous saviez comme j’avais hâte d’arriver

THOMAS – Et moi donc !... Mais déshabillez-vous… (Se reprenant.) Enfin, donnez-moi votre veste

LILLY – Vous avez raison : on est toujours trop habillé en cette saison

Lilly donne sa veste à Thomas, qui va la ranger dans la penderie.

THOMAS – Entièrement d’accord, et pas qu’en cette saison d’ailleurs… Remarquez : vous, ça va

LILLY (tournant sur elle-même) – Ca vous plaît ?

THOMAS – Ravissant !

LILLY – J’ai acheté cette robe la semaine dernière… Elle m’a coûté cher au centimètre carré

THOMAS – Mini robe pour maxi prix

LILLY – Ce qui m’a plu, c’est qu’elle a juste ce qu’il faut, là où il faut

THOMAS – Effectivement

LILLY – Il y avait plus court vous savez

THOMAS – Ca existe ?

LILLY – Oui, mais je n’ai pas osé

THOMAS (à lui-même) – Dommage. (Se dirigeant vers le bar.) Je vous sers un verre ?

LILLY – Pourquoi pas ?

THOMAS – Un porto ?

LILLY – Oui, mais pas trop… Avec l’alcool, j’ai vite fait de partir

Thomas a rempli les verres ; il en tend un à Lilly.

THOMAS – J’espère au contraire que vous allez rester

LILLY – Comme on dit, avec le porto, on part tôt !

THOMAS (toujours sous le charme) – Ah, Lilly ! Votre esprit m’enchante ! (Bas, à lui-même.) Pas que l’esprit d’ailleurs

LILLY – Vous dites ?

THOMAS – Rien : je soliloquais

LILLY – A vos souhaits !

THOMAS – Que diriez-vous d’aller boire nos verres sur la terrasse ?

LILLY – Avec joie

Lilly s’est approchée de la terrasse ; Thomas est resté en arrière.

LILLY (éblouie) – Vous avez une vue magnifique !

THOMAS (reluquant toujours Lilly) – Ah ça : splendide !

LILLY – Chez moi, c’est plutôt plat

THOMAS (bas, à lui-même) – Je ne trouve pas

LILLY – Alors que là, il y a du relief

THOMAS (toujours les yeux rivés sur Lilly) – Effectivement

LILLY – Ces collines ont beaucoup de charme, vous ne trouvez pas ?

THOMAS – Oh oui !

LILLY – Elles ne demandent qu’à être parcourues

THOMAS – Dans tous les sens

LILLY – Et ce petit bois touffu au milieu, comme il est mignon !

THOMAS – Ah, le petit bois touffu !

LILLY – On rêverait de l’explorer !

THOMAS – Ah ça !

LILLY – Franchement, on en prend plein les yeux !

THOMAS – Pour se rincer l’œil, il n’y a pas mieux

LILLY – Et je suis sûre que de derrière la maison, ce doit être pas mal non plus !

THOMAS – Oui : de derrière, c’est tout à fait attirant

LILLY (revenant vers le centre de la pièce, qu’elle balaie du regard) – L’intérieur vaut aussi le détour

THOMAS (toujours sous le charme) – J’en suis convaincu

LILLY – Quelle luminosité !

THOMAS – Eblouissant !

LILLY – J’adore la transparence

THOMAS – Et moi donc !

LILLY – Tout est vraiment bien proportionné chez vous

THOMAS (naturellement pas sur la même longueur d’onde) – Ah…

LILLY – Vous avez de la chance d’en avoir une aussi grande

THOMAS – Je reconnais que je suis bien loti

LILLY – Elle n’est pourtant plus toute jeune, non ?

THOMAS – Mais elle a encore de belles années devant elle

LILLY – Comme on dit, tant qu’elle tient encore debout

THOMAS – De ce côté-là, pas d’inquiétude !

LILLY – Elle doit nécessiter pas mal d’entretien, non ?

THOMAS – Je… (Sortant enfin de ses pensées.) Quoi donc ?

LILLY – Bah, votre maison

THOMAS – Ah ?... Euh oui, mais il y a une femme de ménage pour ça

LILLY – Vu les dimensions, je me doute bien

THOMAS – Elle passerait ses journées à l’astiquer

LILLY – Et vous avez dû faire des travaux importants ?

THOMAS (théâtral) – Colossaux ! Titanesques ! C’est simple : c’était presque une ruine quand je l’ai prise

LILLY (rigolant) – C’est ce que dit mon oncle en parlant de sa femme

THOMAS – Je ne vous explique pas l’ampleur des ravalements

LILLY – Comme pour ma tante

THOMAS (avec un brin de fierté) – Mais le résultat est là

LILLY – Pas comme ma tante alors

THOMAS – Cette demeure, je ne m’en séparerais pour rien au monde

LILLY – Un peu comme une épouse quoi

THOMAS (qu’on sent gêné) – Euh… Oui

LILLY – En tous les cas, vous avez de bons goûts

THOMAS – Sinon, je ne vous aurais pas invitée

LILLY – Merci… (Après un temps.) Vous savez à quel point j’aimerais décrocher ce rôle

THOMAS – Je sais… Sinon, vous n’auriez pas accepté mon invitation

LILLY (fine mouche) – Qui sait ? (Enthousiaste.) Vous savez que je connais déjà par cœur les cent premières répliques

THOMAS – Bravo !

LILLY – Vous voulez que je vous les récite ?

THOMAS – Plus tard

LILLY – Je peux le faire d’une traite

THOMAS – Plus tard, plus tard

LILLY – J’ai tout le texte dans ma chemise. Je ne la quitte plus

THOMAS (bas, à lui-même) – J’espère bien que si… Mais nous avons tout le temps pour en reparler. Un autre verre ?

LILLY – C’est que… J’ai peur de ne plus répondre de moi

THOMAS – Allons allons !

LILLY – Et de m’emmêler les pinceaux dans mes répliques. Et une réplique, ça n’aime pas être sautée

THOMAS – Ce n’est pas comme…

LILLY (coupant court) – Comme une crêpe

THOMAS – Oui, aussi. A propos de nourriture, je ne vous ai pas demandé : vous aimez les sushis ?

LILLY – J’en raffole

THOMAS – Parfait

LILLY – Ca ne va pas trop faire avec votre dindonneau farci ?

THOMAS – Hum…

LILLY – Dites : je peux vous demander une faveur ?

THOMAS – Naturellement

LILLY – J’aimerais bien piquer une tête dans la piscine. Elle est tellement tentante !

THOMAS – Pour être tentante…

LILLY – Avec cette chaleur, un peu d’eau fraîche ne fera pas de mal

THOMAS – Certainement

LILLY – Elle doit être très bonne, non ?

THOMAS (toujours songeur) – Ca, pour être bonne…

LILLY – Il y a un endroit pour que je mette mon maillot ?

THOMAS – Je… Oui : il y a une cabine au bord de la piscine

LILLY – Remarquez, c’est pas la peine : j’en ai pas besoin

THOMAS (ravi) – C’est vous qui voyez : si vous voulez vous baigner sans maillot, ça ne me gêne absolument pas

LILLY – Je m’en doute, mais ce que je voulais dire, c’est que je n’ai pas besoin de me changer, vu que j’ai mon maillot sous ma robe

THOMAS (comme déçu) – Ah ?

LILLY – J’avais prévu

THOMAS (bas, à lui-même) – Dommage

Lilly a enlevé sa robe.

LILLY (tournant à nouveau sur elle-même) – Et voilà !...  J’ai l’impression que mon maillot vous plaît autant que ma robe

THOMAS – Il est aussi mimi

LILLY – Et aussi mini

THOMAS (songeur) – Je me demande ce que ça donnera s’il rétrécit au lavage

LILLY – Vous venez vous baigner ?

THOMAS – Je…

LILLY – Allez !

THOMAS (cédant) – Si vous insistez… Le temps de passer un coup de fil et un maillot et je vous rejoins

LILLY – Super !

Thomas grimpe l’escalier. Lilly sort son portable.

LILLY – Allô, Lucie ?... Oui, c’est moi… Oui, bien arrivée… Tu verrais la baraque ! On se croirait à Hollywood…  Avec piscine et tout… Le rêve !... Non, sa femme n’est pas là, tu penses bien ! Ouais, il a la drague un peu lourde… Comme tous les mecs quoi… Remarque, je suis rentrée dans son jeu… Oui, dans son jeu, pas dans son lit… J’ai même failli lui demander s’il n’avait pas prévu pour le dîner une caille sur canapé !... Ecoute : je ne sais pas si ça ira plus loin… On verra bien… Après tout, s’il faut en passer par là pour avoir le rôle. Je ne serai pas la première à coucher… Je dois tout faire pour le décrocher ! Dis, c’est toujours d’accord ? Tu me couvres, hein ?... Ouais, il est tellement jaloux… Je me demande pourquoi je suis encore avec lui… Tu te le demandes toi aussi ? Par charité peut-être… Et sûrement parce qu’il assure au pieu… C’est bien sa seule qualité… T’inquiète : ça ne durera pas… Après tout, ça ne fait que deux semaines qu’on est ensemble… Oui, je sais : pour moi, c’est déjà beaucoup… Allez : à plus ! Et je te revaudrai ça !

Lilly gagne la piscine, sa robe sous le bras. Par inadvertance, elle a laissé son portable sur le canapé.

 

SCENE 4

LOUISE, SIMON

Bruits de clés. Arrivée de Louise et de Simon par la porte d’entrée. Ils sont en tenues d’été. Simon porte quelques bagages.

SIMON – Je ne m’imaginais pas que ce serait aussi long

LOUISE (allusive) – Ca ne me dérange pas quand c’est long…

SIMON – Hum… Non, des ralentissements comme ça, j’en ai rarement vus… J’en connais une qui a dû souffrir

LOUISE – Ca va, j’ai connu pire

SIMON – Je pensais à ta voiture

LOUISE (aguicheuse) – Pense plutôt à moi…

SIMON – Elle ne doit pas apprécier les baisses de régime

LOUISE (allusive) – Moi pareil !

SIMON – Ni les coups d’accélérateur

LOUISE – Alors là, ça ne me déplaît pas

SIMON – Les surchauffes, c’est pas très bon

LOUISE (lascive) – Ca dépend pour qui…

SIMON – Enfin, oublions tout ça

LOUISE (se collant à Simon) – Oui, oublions-nous

SIMON – Ce qui compte, c’est qu’on s’en soit sortis

LOUISE – Et qu’on en voie le bout !

SIMON – Décidément, tu ne penses qu’à ça !

LOUISE – J’avoue que ça occupe souvent mes pensées

SIMON – Souvent, c’est un euphémisme

LOUISE – Et tu as aimé ?

SIMON – Quoi donc ?

LOUISE – Conduire la Jaguar

SIMON – Faudrait être difficile

LOUISE – Je le suis

SIMON – Elle a tout pour plaire

LOUISE – J’en connais une autre…

SIMON – Aucun retard à l’allumage

LOUISE – Comme toi…

SIMON – Et je ne parle pas de sa ligne

LOUISE – Oui : parle-moi plutôt de la mienne

SIMON (sans euphorie) – Elle me va aussi

LOUISE (un brin déçue) – J’aurais aimé plus d’enthousiasme

SIMON – Désolé, je suis un peu amorphe

LOUISE – Faudra que tu te ressaisisses… (Se collant à nouveau à lui.) Avant que tu ne me saisisses !

SIMON – C’est sûrement la chaleur qui me rend comme ça

LOUISE – Je connais quelque chose qui peut te remettre d’aplomb…

SIMON – Dans la voiture, j’avais tellement chaud que j’ai failli enlever ma ceinture

LOUISE – Regarde : j’enlève la mienne… Et hop ! (Louise a enlevé sa ceinture et elle la passe autour du cou de Simon.) Et ce n’est qu’un début !

Louise commence à déboutonner son chemisier.

SIMON – Avant de passer aux choses sérieuses, j’aimerais bien prendre une bonne douche fraîche

LOUISE – Ah ?

SIMON – Il n’y a rien de tel pour me requinquer

LOUISE – Si c’est pour la bonne cause… (Lui désignant la porte de la salle de bain.) Il y a une salle de bain, là

SIMON – Parfait

LOUISE – Avec une douche à l’italienne

SIMON – Ah ! Les Italiennes... Va bene !

LOUISE – Les Françaises ont plein d’atouts aussi…

SIMON – Mais je ne demande qu’à voir

LOUISE – Alors fais vite : sinon, je ne réponds plus de mon corps !

SIMON – Capito senora !

LOUISE – Et ne me déçois pas, grand fou !

Simon est entré dans la salle de bain.

LOUISE (à travers la porte de la salle de bain) – Je l’aurais bien prise finalement, mais tu te vas vite te rendre compte qu’elle est un peu petite

SIMON (off) – Tu parles de la douche ?

LOUISE – Evidemment ! Décidément, tu as l’esprit bien mal tourné !

SIMON (off) – Je m’adapte

Louise entre subrepticement dans la salle de bains, prend les vêtements de Simon et va les cacher sous le canapé.

SIMON (off) – A quoi tu joues ?

LOUISE – Ca m’amuse ! Et c’est du temps de gagné pour tout à l’heure ! Quand ce sera à mon tour de tenir le levier de vitesse ! Après la Jaguar, place à la cougar !

 

SCENE 5

LOUISE, FRANCOIS

Arrivée discrète de François depuis le parc ; il surprend Louise en train de faire claquer sa ceinture et de rugir en direction de la porte de la salle de bain.

FRANCOIS (toussotant) – Hem…

LOUISE (se retournant, désarçonnée) – Qui… Qui êtes-vous ?

FRANCOIS – François Claude. L’inverse de Claude François, le chanteur… (Réfléchissant.) C’est drôle, il me semble l’avoir déjà sorti il y a peu

Louise raboutonne son chemisier.

LOUISE – Vous pouvez m’en dire plus ?

FRANCOIS – Sur Claude François ? Bah, il était pas métallurgiste, mais il a fait plein de tubes quand même. (Chantonnant.) « Alexandrie, Alexandra »… « Je vais à Rio… »

LOUISE (le coupant sèchement) – Merci. Ce que je voudrais savoir, c’est ce que vous faites chez moi

FRANCOIS – Forcément, vous vous le demandez

LOUISE – Oui

FRANCOIS – Et c’est bien normal… Je ferais pareil à votre place. En fait, c’est votre bouleau qui m’amène, enfin pas votre travail, ça ne me regarde pas

LOUISE – Encore heureux !

FRANCOIS – Je vous cause du bouleau, celui qui est en bordure de votre propriété… Vous voyez, le très grand arbre

LOUISE – Peut-être… Je ne suis pas sylvicultrice

FRANCOIS – C’est ce que répète souvent une collègue des espaces verts. Elle s’appelle Sylvie, c’est pour ça. Sylvie Brizard, pas Sylvie Cultrice, qu’elle dit

LOUISE (se rapprochant du téléphone) – Vous m’en dites plus ou j’appelle la police !

FRANCOIS – Vous en dire plus sur Sylvie ? Ca, y’aurait de quoi raconter !

LOUISE (énervée) – Ca suffit !

FRANCOIS – Rentrez vos griffes !

LOUISE (un peu gênée) – Hum…

FRANCOIS – Tout s’explique

LOUISE – Je l’espère pour vous

FRANCOIS – Je suis là pour couper les branches de votre bouleau avant qu’elles s’écrasent sur les fils électriques

LOUISE – Admettons

FRANCOIS – Vrai de vrai ! Je bosse à la ville

LOUISE (le dévisageant) – Vous voyant, c’est effectivement plausible

FRANCOIS – Ah ?... Pour vous rassurer, votre mari est au courant

LOUISE – Il ne m’en a pas parlé

FRANCOIS – On ne se dit pas tout dans un couple, pas vrai ? Enfin, pour ce que j’en sais

LOUISE – Et vous êtes entré comment ?

FRANCOIS – J’ai la clé du portail. Ca m’a permis d’amener ma camionnette. Il y a tout ce qu’il faut dedans. Sans me vanter, je suis bien outillé

LOUISE – Ca vous regarde

FRANCOIS – Au niveau bouleau, j’ai bien avancé

LOUISE – Tant mieux pour vous

FRANCOIS – Il me reste juste une ou deux branches à scier

LOUISE – C’est votre problème

FRANCOIS – Oui, mais un peu le vôtre aussi

LOUISE – Comment ça ?

FRANCOIS – Bah voilà : j’ai un petit souci avec mon échelle

LOUISE – Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

FRANCOIS – Rien, je sais bien. Quoique…

LOUISE – Quoique quoi ?

FRANCOIS – Je pourrais vous demander un petit coup de main ?

LOUISE – Lequel ?

FRANCOIS – Vous pourriez me la tenir ?

LOUISE – Pardon ?

FRANCOIS – Je vous parle de mon échelle, hein ?

LOUISE – Je n’ai pas l’esprit mal tourné, merci… (Réfléchissant.) Enfin, ça dépend avec qui

FRANCOIS – Comme on dit entre potes jardiniers, il n’y a pas de mauvaises pensées mais des belles tulipes

LOUISE – C’est plutôt joli

FRANCOIS – Celle-là, j’aime bien la sortir… Ma citation, hein ? Pas de méprise. Bon, vous pouvez me prêter la main ? Vous inquiétez pas : je vous la rendrai !

LOUISE – J’ai le choix ?

FRANCOIS – Bah, je ne voudrais pas que vous ayez une chute mortelle sur la conscience

LOUISE – Vite alors !

FRANCOIS – Il n’y en aura pas pour longtemps. Vous avez sûrement mieux à faire, c’est ça ?

LOUISE – Je confirme

FRANCOIS – En tous les cas, ne craignez rien. Vous n’aurez pas à monter à l’échelle. Je vous rassure : je ne vous ferai pas grimper aux barreaux

LOUISE – Ca ne risque pas !

FRANCOIS – Il faudra juste la tenir fermement et surtout ne pas la secouer

LOUISE – Allez, pressons !

FRANCOIS – Dites : je peux vous faire un compliment ?

LOUISE – Si ça vous chante

FRANCOIS – C’est vrai que j’adore pousser la chansonnette… Eh ben chez vous, y’a pas que du bouleau, y’a aussi du charme ! Si si ! Beaucoup de charme !

François et Louise gagnent le parc.

 

SCENE 6

MADELEINE

Retour de Madeleine, un plumeau à la main.

MADELEINE (chantonnant) – « Mon truc en plumes… C’est très malin. Rien dans les mains. Tout dans l’coup de reins. » (Elle aperçoit un bout du pantalon de Simon qui dépasse de sous le canapé.) Et allez donc ! Ils ont beau être gentils les patrons, faut toujours qu’ils laissent traîner leurs vêtements n’importe où ! Et qui c’est qui les ramasse : bibi ! (Elle ramasse les vêtements de Simon.) Ca, c’est ce qu’on appelle débarrasser le plancher… Je me demande bien ce qu’ils ont encore fait la nuit dernière… Enfin, j’ai ma petite idée… (Au public.) Vous aussi je suppose ? On n’est vraiment dans un monde de pervers, vous ne trouvez pas ?

Madeleine gagne la cuisine, les vêtements de Simon sous le bras.

 

ACTE 2

SCENE 1

THOMAS, LOUISE

Retour de Thomas, en peignoir. Il tombe nez-à-nez avec Louise, elle-aussi de retour ; elle porte un déshabillé.

Un dialogue un peu surréaliste va s’engager entre eux.

Pendant la scène, sans que Louise s’en aperçoive, Thomas trouvera le temps de dissimuler sous un coussin le portable que Lilly a laissé sur le canapé.

LOUISE (déboussolée) – Ah bah ça !

THOMAS (décontenancé lui-aussi) – Je…

LOUISE – Tu n’es pas à… ?

THOMAS – Toi non plus ?

LOUISE – Bah… Non… En fait, c’est tout simple

THOMAS – Moi aussi, c’est tout bête

LOUISE – Quand on y pense…

THOMAS – Oui, il suffit d’y penser…

LOUISE – Mon train n’est pas parti

THOMAS – Ca arrive

LOUISE – Pas plus tard que la semaine dernière aux Berthier

THOMAS – Ah ?

LOUISE – Tout ça à cause d’un type qui s’est jeté sur la voie juste avant le départ. C’est fâcheux, non ?

THOMAS – Surtout pour lui

LOUISE – Ce n’est pas le premier

THOMAS – Oh non !

LOUISE – Le souci, c’est que ce ne sont jamais les mêmes !

THOMAS – Et ton récital ?

LOUISE – Tant pis… C’est ainsi

THOMAS – On ne fait pas toujours comme on veut

LOUISE – Heureusement que j’avais laissé la voiture au parking de la gare… Ca m’a permis de rentrer facilement

THOMAS – Très bien

LOUISE – Très bien très bien… Et toi ?

THOMAS – Moi ?

LOUISE – Oui : tu n’es pas au festival ?

THOMAS – Figure-toi que j’étais sur la route quand j’ai reçu un coup de fil de Paul. Tu sais, Paul Girard… La représentation de ce soir a dû être annulée. Un des acteurs est tombé malade à ce que j’ai compris

LOUISE – Ca arrive aussi

THOMAS – Comme je n’étais pas trop loin, j’ai rebroussé chemin

LOUISE – Voilà

THOMAS – Voilà voilà

Silence. On entend Simon siffler.

THOMAS – Tu as entendu ?

LOUISE (fuyante) – Vaguement

THOMAS – C’est quelqu’un qui siffle, non ?

LOUISE – Oui

THOMAS – Dans la salle de bains

LOUISE – Exact… (Après un temps.) Mais oui ! Je n’y pensais même plus… C’est le jardinier

THOMAS – Le… ?

LOUISE – Oui : tu es au courant qu’il y a un jardinier ?

THOMAS – Oui, mais qu’est-ce qu’il fait dans la salle de bains ?

LOUISE – Il siffle

THOMAS – J’avais entendu

LOUISE – Il siffle en prenant une douche

THOMAS – Il n’est pas gêné !

LOUISE – Bah, ça ne t’arrive jamais de siffler quand tu es sous la douche ?

THOMAS – Si, très souvent

LOUISE – Tu vois

THOMAS – Oui, mais ce qui est ennuyeux, c’est qu’il siffle en prenant sa douche chez nous

LOUISE – Il m’a gentiment demandé s’il pouvait.  Pendre sa douche, pas siffler. Faut le comprendre, vu la chaleur qu’il fait

THOMAS – Avoue quand même que c’est limite

LOUISE – Je n’ai pas osé lui dire non à ce pauvre garçon

On entend un plongeon et un grand cri « Waouh ! » venant de la piscine.

LOUISE – Tu as entendu ?

THOMAS (fuyant à son tour) – Oh, de loin

LOUISE – C’était quoi ?

THOMAS – Un cri de joie me semble-t-il

LOUISE – D’une femme, non ?

THOMAS – C’est vraisemblable

LOUISE – A mon avis, elle sautait dans la piscine

THOMAS (après un temps) – Ca m’en a tout l’air… (Après un temps.) Mais oui, maintenant que j’y pense : c’est la copine de ton jardinier

LOUISE – Il n’est pas plus le mien que le tien

THOMAS – Alors le nôtre

LOUISE – Pour un jardinier, le nôtre, ça dit effectivement quelque chose

THOMAS – Ce n’était pas voulu

LOUISE – En revanche, ça ne me dit pas ce qu’elle fait chez nous

THOMAS – Pas faux… Bah elle l’a tout simplement accompagné. J’ai cru comprendre qu’elle le faisait souvent

LOUISE – Ce qui est rarement ton cas avec moi

THOMAS – Ce doit être un couple très fusionnel

LOUISE – Tu les connais si bien que ça ?

THOMAS – Non, mais j’imagine. Et en attendant qu’il ait fini son travail, elle a dû profiter de la piscine

LOUISE – Ah bah ça !

THOMAS – Je sais, de prime abord, ça peut dérouter

LOUISE – Je dirais même qu’on est borderline

THOMAS – Ceci dit, ça va avec son copain qui utilise la douche

LOUISE – Un couple fusionnel…

THOMAS – Voilà

LOUISE – On vit vraiment une drôle d’époque

THOMAS – A qui le dis-tu !

LOUISE – A toi

THOMAS (faussement outré) – Mais tu as raison : c’est du grand n’importe quoi !

LOUISE – Je vais lui dire d’aller se rhabiller

THOMAS – Au jardinier ?

LOUISE – A sa copine surtout !

THOMAS – Ce sera vite fait… (Se reprenant.) Non : laisse, je m’en occupe !

LOUISE (après un temps) – Vas-y !... Après tout, ça m’arrange

THOMAS – Ah ?

LOUISE – Oui… J’ai du rangement à terminer et j’ai un encombrant à mettre dehors au plus vite

THOMAS – Dans cette tenue ?

LOUISE – Oui… Elle te plaît ? (A Thomas, le regard ailleurs.) Tu m’entends ?

THOMAS – Euh… Oui, mais c’est d’abord elle qui va m’entendre ! Non mais ! On est quand même chez nous, non ?

Thomas se dirige vers la piscine. A peine a-t-il disparu que Louise frappe à la porte de la salle de bain.

 

SCENE 2

LOUISE, SIMON

LOUISE – Vite ! Sors !

SIMON (off) – Tout nu ?

LOUISE – J’en ai vu d’autres

SIMON (off) – Je m’en doute

Simon sort. Il a passé une serviette autour de la taille.

SIMON – Voilà voilà ! L’honneur est sauf

Simon dénoue sa serviette et s’amuse avec, en s’en servant comme d’un paravent

SIMON – Le service est prêt !

LOUISE – Pas cette fois

SIMON (sur sa lancée) – Madame va être servie !

LOUISE – Ce n’est pas le moment

SIMON – Je croyais au contraire que c’était toujours le moment

LOUISE – Sauf que là, tout part de travers

SIMON (allusif) – Non : pas tout !

LOUISE – C’est trop tendu

SIMON – Faut savoir ce que tu veux…

LOUISE – Tu n’as pas entendu que mon mari était là ?

SIMON – Ah ?... Bah non : sous la douche, je n’entendais absolument rien

LOUISE – Allons donc

SIMON – D’ailleurs, j’y serais bien encore resté

LOUISE – Peut-être, mais ce n’est plus possible

SIMON – Ah, ces douches à l’italienne, cosa e bueno ! Arrivée d’air chaud, arrivederchi !

LOUISE – C’est bon… On croirait entendre le jardinier… Si au moins tu n’avais pas sifflé

SIMON – Ca, c’est une manie. J’en connais qui ronflent quand elles dorment, moi, je siffle quand je suis sous la douche… Chacun son truc

LOUISE – Le souci, c’est que Thomas t’a entendu

SIMON – Et il a apprécié ?

LOUISE – Là, tu n’es pas drôle

SIMON – Je fais pourtant ce que je peux

LOUISE – J’ai été prise de court et je n’ai pas eu d’autre solution que de te faire passer pour le jardinier

SIMON – Encore lui ! Décidément : il t’obsède celui-là !

LOUISE – Aucun risque, vu sa tronche

SIMON – Il ressemble à quoi ?

LOUISE – A absolument rien, mais peu importe

SIMON – Si, quand même ! On a sa fierté !

LOUISE – Ce qui compte, c’est que mon mari m’ait crue

SIMON – Et c’est le cas ?

LOUISE – Je pense… enfin je crois… du moins j’espère…Tu sais, j’ai un grand talent pour simuler

SIMON – Ah ?... Si je comprends bien, la soirée est compromise

LOUISE – Ratée. Complètement fichue… La débandade

SIMON (allusif) – Pas encore…

LOUISE – Rassure-toi : nous remettrons ça un autre jour

SIMON – Reculer pour mieux sauter

LOUISE – Si on peut dire

SIMON – Dommage quand même

LOUISE – Toujours est-il que tu vas devoir décamper au plus vite, avant qu’il ne revienne

SIMON – Alors là, pas possible !

LOUISE – Pourquoi ?

SIMON – Je suis pour le naturisme, mais pas en pleine rue… J’ai mon amour-propre

LOUISE – Et ta fierté, je sais

SIMON – Il ne me manque qu’une chose : mes fringues

LOUISE – Elles sont sous le canapé

SIMON – Pas terrible comme cachette… Tu pouvais trouver nettement mieux… Là, c’est toi qui me déçois…

On entend Madeleine chantonner. Louise repousse Simon dans la salle de bain.

LOUISE – Rentre-là !

SIMON – Faudrait savoir ce que tu veux !

LOUISE – Que tu disparaisses dès que la voie sera libre !

 

SCENE 3

LOUISE, MADELEINE puis SIMON

Retour de Madeleine, des serviettes sous le bras.

LOUISE – Bah Madeleine, qu’est-ce que vous faites là ?

MADELEINE – Je chante, madame, ne vous déplaise, nuit et jour je chante… Plutôt bien d’ailleurs, non ? On m’a souvent dit que j’avais un bel organe… (Allusive.) Je ne suis sûrement pas la seule, pas vrai ?

LOUISE – Heu… Oui. Dites : vous n’étiez pas censée être là ?

MADELEINE – Non… Mais on n’est pas toujours censé, hein ?

LOUISE – Je sais

MADELEINE – Mieux vaut être fofolle que cucu, non ?

LOUISE – Ca dépend pour qui

MADELEINE – Puisque vous voulez tout savoir, je suis là pour bosser

LOUISE – Aujourd’hui ?

MADELEINE – Bah oui ! Plutôt que de ne rien faire chez soi, mieux vaut faire quelque chose chez les autres, non ?

LOUISE – Ca peut se défendre

MADELEINE – Comme dirait mon cousin Bébert… Je vous en ai déjà parlé, non ? Remarquez, il en vaut pas la peine l’animal… Eh ben lui, il dirait : autant faire tourner les serviettes que les pouces… (Chantonnant.) « Et on fait tourner les serviettes. Comme des petites girouettes »

LOUISE – Hum…

MADELEINE – Désolée, je m’égare… Tout ça pour vous dire que je suis venue ici parce que j’avais du taf à boucler. Vous savez ce que c’est… Non, pas trop. Et je pensais ne pas être dérangée pour bien avancer mon boulot

LOUISE – Mille excuses

MADELEINE – Parce que vous ne deviez pas être là, non ?

LOUISE – Oui, comme vous. En fait, c’est une longue histoire

MADELEINE – J’ai tout mon temps

LOUISE – Moi pas. En résumé, je devais prendre un train qui a été annulé au dernier moment à cause d’un type qui s’est jeté sur la voie

MADELEINE – Y’a des gens, je vous jure ! Aucun savoir-vivre !

LOUISE – Vu les circonstances, ce n’est peut-être pas le terme le plus approprié

MADELEINE – Et vous allez dormir là, je suppose ? Enfin, pas sur le canapé…

LOUISE – Oui

MADELEINE – Bon. Ca vous regarde… Où en étais-je moi ? Vous m’avez fait perdre le fil… Ah oui, le lavabo

LOUISE – Le lavabo ?

MADELEINE – Faut que je me tape le grand de la salle de bain

LOUISE – Pardon ?

MADELEINE – Je vous parle du lavabo

Madeleine se dirige vers la salle de bain. Louise la rattrape.

LOUISE – Pas la salle de bain, malheureuse !

MADELEINE – Là, le terme est un peu fort… Je ne suis certes pas très bien payée chez vous, mais j’y suis pas si mal

LOUISE – Tant mieux

MADELEINE – Et pourquoi vous ne voulez-pas que je fasse la salle de bain ?

LOUISE (un brin confuse) – C’est pas ça, mais… il y a plus urgent

MADELEINE – Ah bon ?

LOUISE – Oui. (Bas, à elle-même.) Je ne sais pas encore quoi mais je vais trouver… Suivez-moi, je vais vous montrer autre chose d’autrement passionnant

MADELEINE – Oh là !… Alors je vous emboîte le pas

LOUISE – C’est ça : emboitez !

Louise entraîne Madeleine vers l’escalier. Simon sort de la salle de bain et cherche ses vêtements sous le canapé. En vain évidemment.

SIMON – C’est pas vrai ! Où ils sont passés ?

On entend des pas et des murmures venant de la terrasse. Simon n’a d’autre choix que de se cacher dans la pièce la plus proche : le placard à balais.

 

SCENE 4

THOMAS, LILLY

Thomas arrive d’abord seul, constate que la pièce est vide et fait signe à Lilly de le rejoindre.

THOMAS – Ca va : la voie est libre

LILLY – Que d’aventures !

THOMAS – De celle-là, je me serais volontiers passé

LILLY – Si je vous ai bien saisi…

THOMAS (bas, à lui-même) – Moi aussi j’aimerais bien vous saisir… (Se reprenant.) Vous disiez ?

LILLY – Que si j’ai tout compris, je serais la copine du jardinier, c’est ça ?

THOMAS – Oui

LILLY (toujours nature) – Il est mignon j’espère

THOMAS – Je vous laisserai juge. J’ai fait avec ce que j’ai trouvé sous la main

LILLY – Et si je vous suis bien…

THOMAS – Je ne demanderais que ça

LILLY – Je l’aurais accompagné chez vous et j’aurais profité de votre piscine pendant qu’il coupait les branches

THOMAS – Voilà. Vous êtes parfaite !

LILLLY – Je sais, mais j’aime bien qu’on me le dise

THOMAS – J’admets que c’est un peu tiré par les cheveux

LILLY – Moi, ça me plaît bien comme scénario

THOMAS – Ca pourrait être le sujet d’une pièce

LILLY – Et je fais totalement confiance au metteur en scène

THOMAS – Sauf que la fin n’est pas écrite

LILLY – On se croirait vraiment au théâtre

THOMAS (au public) – On y est un peu, non ?

LILLY – Pas faux

THOMAS – Bon, j’ai encore un détail à régler dans mon plan

LILLY – Ah ?

THOMAS – Oui, pour qu’il soit totalement crédible, je dois faire entrer le jardinier dans ma combine, mais je ne devrais pas avoir trop de mal

LILLY – Moi, cet hiver, au ski, j’ai eu du mal à entrer dans ma combi

THOMAS (plongé dans ses pensées) – Non, ça devrait être facile

LILLY – Avec quelques billets ?

THOMAS – Avec une pièce, ce serait logique… Non : j’ai bien mieux que ça. Pas d’argent, mais un rôle en or !

LILLY – Comme celui que j’aimerais décrocher

THOMAS (évasif) – Euh… Oui… Bon : en attendant que tout soit calé, mieux vaut que vous restiez dans l’ombre

LILLY – Dans les coulisses quoi

THOMAS – Vous pourrez sortir dès qu’on y verra plus clair. (Thomas se dirige vers le placard et s’apprête à l’ouvrir.) Je vous propose le placard, comme au théâtre

LILLY – Bof… Les mises au placard, c’est jamais terrible

THOMAS – La penderie vous irait mieux ?

LILLY – Ca devrait aller ! Les fringues et moi, on est faits pour s’entendre

Lilly entre dans la penderie. Thomas va se servir un verre au bar, puis un deuxième.

 

SCENE 5

THOMAS, FRANCOIS

Retour de François.

THOMAS – Ah ! Vous tombez vraiment à pic

FRANCOIS – Pour un verre, toujours

THOMAS (avec exagération) – Mon cher Francis

FRANCOIS (rectifiant) – François

THOMAS – Oui, si vous voulez

FRANCOIS – Tout petit, c’était déjà François… Je ne vais pas changer maintenant… Sauf pour jouer un personnage, naturellement

THOMAS – Naturellement. Tout bien réfléchi, c’est vrai que vous n’avez pas une tête à vous appeler Francis

FRANCOIS – Ca, je sais pas trop. Remarquez, j’ai un cousin, il s’appelle Marc

THOMAS (faussement intéressé) – Tiens donc

FRANCOIS – Eh ben je ne sais pas pourquoi, on le surnomme Franck

THOMAS – C’est étonnant en effet

FRANCOIS – Lui, ça l’amuse. Il dit que Franck, ça donne une bonne image de marque

THOMAS (se forçant à rire) – Celle-là, il faut que je la note

FRANCOIS – Oh ! Mais j’en ai plein d’autres en réserve

THOMAS – Comme c’est intéressant !

FRANCOIS – J’ai un calepin où je les écris… Il doit être dans ma camionnette. Je vais aller le chercher

THOMAS – Après, après

FRANCOIS – Ah ? Il y en a des gratinées, je vous dis pas

THOMAS – Pour ça, je vous fais entièrement confiance

FRANCOIS – Vous pouvez

THOMAS (mielleux) – François, je voulais vous faire une proposition

FRANCOIS – Subordonnée ou conjonctive ?

THOMAS – Alors vous !

FRANCOIS – Quand je suis lancé, on m’arrête plus… Même mon beau-frère… Vous savez, celui qui est gendarme ?

THOMAS – Un vrai feu d’artifice !

FRANCOIS – Et avec un jardinier, attention au bouquet final !

THOMAS – Décidément, vous êtes incorrigible. Mais ça me plait ! Si si !

FRANCOIS – Ah…

THOMAS – Alors voilà. J’ai un rôle à vous proposer

FRANCOIS – Je suis tout ouï comme dirait la carpe… Enfin non pas la carpe, puisqu’elle est muette

THOMAS – Hum…

FRANCOIS – Je pars en tournée dès demain si vous voulez. Et les tournées, à la ville, ça nous connaît !

THOMAS – Ce ne sera pas la peine

FRANCOIS – Non ?

THOMAS – Le rôle, c’est pour tout de suite

FRANCOIS – De l’impro quoi

THOMAS – C’est ça

FRANCOIS – Allez-y !

THOMAS – Voilà. De votre bouleau, vous aviez vue sur la piscine, n’est-ce pas ?

FRANCOIS (chantonnant) – Du haut de mon arbre, je vivais heureux, j’aurais jamais dû le quitter des yeux…

THOMAS – C’est cela oui

FRANCOIS – C’est vrai que j’avais une vue plongeante

THOMAS – Et vous avez sans doute aperçu une jeune femme qui se baignait

FRANCOIS – Ah pour ça, oui ! J’étais loin, mais elle m’avait l’air pas mal… La piscine comme la dame… A trop regarder, j’ai failli me casser la figure

THOMAS – Bien

FRANCOIS – Elle avait un de ses maillots de bain ! Riquiqui comme ça, j’en ai jamais vus… Enfin, pour les voir, faut être fortiche !

THOMAS – Et si je vous disais que c’est votre copine

FRANCOIS – Ma… Ca, c’est de la science-fiction. Déjà qu’une fille moche, j’en fréquente pas toutes les années… Bon, à la mairie, y’a bien Esther qui me tourne autour, ce qui est plus vite fait que de tourner autour d’elle. On l’a surnommée la stère. Esther la stère… Vous voyez le personnage ?

THOMAS – En gros, oui

FRANCOIS – C’est ça, en gros

THOMAS – Ce que je vous demande, c’est de vous faire passer pour le copain de cette jeune femme

FRANCOIS – Moi je veux bien mais…

THOMAS – Elle est d’accord elle aussi

FRANCOIS – Parce qu’elle ne m’a pas vu

THOMAS – François, je ne vais pas y aller par quatre chemins

FRANCOIS (embrayant) – Comme disent les cantonniers

THOMAS – Il s’agit de sauver les apparences aux yeux de ma femme

FRANCOIS – Ah ! J’y suis

THOMAS – Tâchez d’y rester

FRANCOIS – Je me doutais qu’il y avait aiguille sous cloche… Au fait, je l’ai vue votre dame

THOMAS – Je sais

FRANCOIS – Elle est pas institutrice ?

THOMAS – Non pourquoi ?

FRANCOIS – Parce qu’elle a de la classe ! Ah ça oui !

THOMAS – Hum… L’important, c’est qu’on croit que vous êtes son ami

FRANCOIS – A votre femme ?

THOMAS – Mais non ! A Lilly !

FRANCOIS – Lilly ?

THOMAS – C’est le prénom de la jeune femme de la piscine

FRANCOIS – C’est joli. C’est entraînant. Ca s’écrit comment ?

THOMAS (épelant) – L i l l y. Est-ce que vous me suivez ?

FRANCOIS – Où donc ?

THOMAS – Je veux dire : vous avez compris ?

FRANCOIS – 3,5 sur 5

THOMAS – Récapitulons

FRANCOIS – C’est pas de refus

THOMAS – Vous êtes venu avec votre amie Lilly. Pendant que vous coupiez les branches, elle s’est baignée dans la piscine

FRANCOIS – Elle est gonflée dites-donc !

THOMAS – Mieux vaut être gonflé que gonflant

FRANCOIS – Vous dites pas ça pour moi ?

THOMAS – Absolument pas. Alors : tout est clair ?

FRANCOIS – J’ai le scénario dans la tête. Monsieur Duperray…

THOMAS – Thomas, voyons

FRANCOIS – Eh bien Thomas, je suis votre homme ! Enfin, celui de Lilou

THOMAS (rectifiant) – Lilly

FRANCOIS – C’est croquignolet aussi. Allez, tranquillisez-vous : je vais vous épater

THOMAS – N’en faites pas trop quand même

FRANCOIS (avec un accent franchouillard) – The right man at the right place ! Bien placé, hein ?

On entend des pas dans l’escalier.

THOMAS – Je crois que vous allez devoir vite faire vos preuves

FRANCOIS – Comptez sur moi !

 

SCENE 6

Les mêmes, LOUISE

Retour de Louise.

THOMAS – Ah ! Louise, tu tombes bien

FRANCOIS – C’est contagieux dites donc

THOMAS – L’art de la chute…

FRANCOIS – Une vraie école de cascadeurs !

THOMAS – Vous vous connaissez je crois ?

LOUISE – C’est beaucoup dire

FRANCOIS (à Louise) – Moi, ça m’a bien plu notre rencontre, pas vous ?

LOUISE – Hum…

THOMAS – François me disait qu’il avait presque fini son travail

LOUISE – Tu l’appelles par son prénom maintenant ?

THOMAS – Oui… Pourquoi pas ?

FRANCOIS – Ca ne me dérange pas, au contraire

THOMAS – J’avoue qu’on a familiarisé

FRANCOIS – De là à me dire salut vieille branche parce que je suis jardinier, on n’est en pas encore là !

THOMAS – En fait, nous avons beaucoup discuté

FRANCOIS – Surtout moi

THOMAS – Et on s’est aperçu qu’on avait des amis communs

LOUISE – Tiens donc !

FRANCOIS (surpris) – Ah ? (Il donne un coup de coude à Thomas.) Et surtout une passion commune, hein ?

THOMAS – Euh… Bah oui : le théâtre

FRANCOIS – Aussi. François m’a d’ailleurs proposé un rôle

THOMAS (rattrapant le coup) – Oui oui, dans une de mes futures pièces

FRANCOIS – Bah voilà !

Louise s’est mise à quatre pattes et regarde sous le canapé.

THOMAS – Qu’est-ce que tu cherches ?

LOUISE – Des… Des pendentifs

FRANCOIS – Moi, ça m’a fait pareil pas plus tard qu’hier… Pas pour des pendentifs, hein, mais pour des clés de 12

LOUISE – Parfait : ils n’y sont plus… (Se rattrapant.) Enfin, je veux dire qu’ils ne sont pas là

THOMAS – François est un peu confus pour la piscine, n’est-ce pas ?

FRANCOIS – Ah ?... Oui oui… Confus, en un mot

THOMAS – Evidemment

FRANCOIS – Je sais : Lilas n’aurait pas dû l’utiliser

THOMAS (corrigeant) – Lilly

FRANCOIS – Oui, aussa… euh aussi. Mais faut pas lui en vouloir : ça a été plus fort qu’elle… La jeunesse, vous savez ce que c’est ? Enfin, peut-être plus trop en ce qui vous concerne

LOUISE – Sans indiscrétion, vous avez beaucoup d’écart d’âge ?

FRANCOIS – Toujours le même !

LOUISE (un sourire aux lèvres) – C’est étonnant

FRANCOIS (rigolant) – Entre nous, elle me dit souvent que je suis son pote âgé !

THOMAS – Je te préviens : François est un joyeux luron

LOUISE – J’avais déjà pu le constater

FRANCOIS – L’écart d’âge n’a pas d’importance dans un couple

THOMAS (à Louise) – Tu vois !

FRANCOIS – Comme on dit, on peut faire des bonnes soupes dans les jeunes gamelles même avec des vieilles carottes

THOMAS – Un phénomène je te dis !

FRANCOIS – Quoique dans le cinéma, c’est plutôt les navets, non ?

THOMAS – Il est impayable !

LOUISE – Et elle vous accompagne dans toutes vos sorties ?

FRANCOIS – Je… Presque… C’est qu’elle est très jalouse

LOUISE – On se demande bien pourquoi

FRANCOIS – Ah ?

LOUISE – Et là, elle est toujours dans la piscine ?

THOMAS – Non

FRANCOIS (renchérissant) – Non non : elle est rentrée préparer le dîner

THOMAS – Ah ?

LOUISE – Il y a longtemps ?

FRANCOIS – Oh, il y a déjà un bon quart d’heure. Elle doit être arrivée à l’heure qu’il est

LOUISE – Dommage ! J’aurais bien aimé faire sa connaissance

FRANCOIS – Moi aussi… (Se rattrapant.) Je voulais dire que j’aurais bien aimé qu’elle vous rencontre. Tant pis : ce sera pour une autre fois.

THOMAS – Bon, je crois qu’on va laisser François achever son travail

FRANCOIS – Ouais, j’aimerais bien… Oh ! Ca va être vite fait : j’ai plus qu’à nettoyer et à ramasser mes outils

LOUISE – J’en connais une qui va être contente

FRANCOIS – Qui donc ?

LOUISE (avec évidence) – Bah Lilly… Vous n’allez pas tarder à la retrouver

FRANCOIS – Ah ça oui ! Un bon repas et au lit, Lilly ! Vous avez vu la rime ?

LOUISE – Je vous laisse entre artistes. J’ai moi aussi des bricoles à terminer

Louise grimpe l’escalier.

FRANCOIS – Ouf ! J’ai cru qu’on n’arriverait pas à s’en débarrasser !

THOMAS – Dites donc !

FRANCOIS – J’ai été bon, hein ? Avec moi, c’est du tac au tac… Je suis comme ça ! Vous avez vu les jeux de mots ? Ca fusait dans tous les sens… Des éclairs de fulgurance ! Et toc ! Un deuxième mot placé… Ca fait beaucoup dans la même journée

THOMAS (énervé) – Oui, ça commence à faire beaucoup

FRANCOIS – En tous les cas, je suis sûr que votre dame n’y a vu que du feu

THOMAS – Ca reste à prouver. (Sur un ton de reproche.) Ce qui est certain, c’est qu’à cause de vous, Lilly va devoir partir

FRANCOIS – Ah ? Pourquoi ?

THOMAS – Pourquoi ? Parce que vous avez raconté à ma femme qu’elle était rentrée chez elle

FRANCOIS – Votre femme ?

THOMAS – Mais non : Lilly ! Vous le faites exprès ?

FRANCOIS – Non, pas toujours

THOMAS – C’est heureux

FRANCOIS – Si j’ai tout bon, Lilly est encore là ?

THOMAS – Bah oui

FRANCOIS – Tant mieux !

THOMAS – Mais bien sûr ! Et qu’est-ce que ma femme va penser si elle se retrouve nez-à-nez avec elle alors que vous lui avez dit qu’elle était à la maison ?

FRANCOIS – Vu sous cet angle, ce serait en effet fâcheux

THOMAS (énervé) – Si seulement vous l’aviez bouclé

FRANCOIS – Là, j’ai peut-être fait une bourde

THOMAS – Je ne vous le fais pas dire

FRANCOIS – Pas trop grosse mais une bourde quand même. Remarquez, je peux me rattraper

THOMAS – Comment ?

FRANCOIS – Tout simplement en expliquant à votre dame que je croyais qu’elle avait quitté les lieux… Pas votre dame, Lilly… Mais que je m’étais trompé

THOMAS – N’en rajoutez pas ! La situation est suffisamment compliquée comme ça

FRANCOIS – C’est vrai qu’il faut suivre ! Même moi j’ai du mal : c’est dire ! Et pourtant je m’accroche ! Et pas qu’aux branches !

THOMAS – Finalement, c’est peut-être mieux comme ça

FRANCOIS – Vous voyez

THOMAS – Oui, j’aime le risque mais très modérément ! (Il frappe doucement à la porte de la penderie.) Lilly ?

LILLY (off) – Oui c’est moi

THOMAS (ouvrant la porte de la penderie) – Venez

Lilly sort de la penderie, sous le regard admiratif de François.

LILLY – Merci. Quelle chaleur là-dedans ! Dix minutes de plus et je tombais le maillot !

FRANCOIS – Ouh là là !

LILLY – Heureusement, je peux sortir

THOMAS – Et malheureusement, vous devez partir

LILLY – Pourquoi ?

THOMAS (désignant François) – Demandez à monsieur

FRANCOIS – François… Dites-donc, vous êtes encore mieux de près que de loin !

LILLY – C’est qui ce gugusse ?

THOMAS – Le jardinier

LILLY – Celui qui est supposé être mon copain ?

THOMAS – Voilà

FRANCOIS – Moi, ça me va parfaitement

LILLY – Non mais vous m’avez bien regardée ?

FRANCOIS – Oh pour ça oui !

THOMAS (bas) – Je vous l’ai dit : je n’avais rien d’autre sous la main

LILLY (bas également) – Pour prendre son pied, merci !

THOMAS (toujours bas) – Je n’avais que ça en stock

LILLY (toujours bas elle aussi) – Les invendus, très peu pour moi !

THOMAS – Il a dit à ma femme que vous étiez rentrée chez vous

FRANCOIS – Je sais, c’est une boulette. (Avec un accent franchouillard.) Nobody’s perfect !

THOMAS – Mieux vaut donc pour tout le monde qu’elle ne vous rencontre pas

LILLY – Oui, c’est préférable. J’ai compris. Je récupère mes affaires et je file, ni vu ni connu

THOMAS – On se reverra sous peu

FRANCOIS – J’espère bien… On n’a pas vraiment eu le temps de faire connaissance

THOMAS – Ce n’est pas grave

FRANCOIS – Quand même

LILLY – Je me serais bien fait une traversée avant de partir

FRANCOIS – Moi aussi ! Je ne suis pas un champion de natation mais bon… De toutes manières, je ne m’aventure jamais trop au milieu. Comme on dit, on est moins con sur les bords

THOMAS – Il y a des exceptions

FRANCOIS – L’ennui, c’est que j’ai pas de maillot

Lilly a gagné la terrasse sous les yeux admiratifs de François.

THOMAS – Si vous alliez vous aussi récupérer vos affaires avant de déguerpir ?

FRANCOIS – Ca, c’est ce qu’on appelle envoyer un jardinier sur les roses ! Mais je ne vous en veux pas : après tout, je suis un peu responsable du départ de Lilly. Allez, faut pas vous en faire : vous la reverrez

THOMAS – J’y compte bien

FRANCOIS – Moi, c’est moins sûr

THOMAS – Ne soyez pas fataliste

FRANCOIS – Non, réaliste

François regagne le parc. Le portable de Thomas sonne.

THOMAS – Ah bonjour… Oui oui… Le script est sur mon bureau, à l’étage. Ne quitte pas. T’inquiète : j’ai maintenant du temps devant moi

Thomas grimpe l’escalier. Retour de Lilly, sa robe sous le bras. Bruits de pas. Lilly n’a d’autre chois que de se cacher à nouveau dans la penderie.

 

SCENE 7

MADELEINE, SIMON, LILLY

Retour de Madeleine.

MADELEINE (chantonnant) – « Ce soir ce sera la poubelle qu’il faudra vider, vider… »

Elle ouvre la porte du placard à balais et tombe nez-à-nez avec Simon.

MADELEINE – Oh !...  Excusez-moi : je peux prendre l’aspirateur ?

SIMON (off) – Faites

MADELEINE – Merci. Il ne fait pas trop chaud là-dedans ?

SIMON – Bien assez. C’est pour ça que je me suis mis à l’aise

MADELEINE – Je vois ça… Mais ça ne me dérange pas !

Madeleine referme la porte du placard et ouvre celle de la penderie, pour tomber nez-à-nez avec Lilly.

MADELEINE – Oh pardon ! Je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un

LILLY – C’est provisoire

MADELEINE – Je vous le souhaite. Je peux ?

Madeleine sort une blouse et referme la porte de la penderie.

MADELEINE – Un monde de cinglés je vous dis !

 

ACTE 3

SCENE 1

MADELEINE, BENJAMIN

On retrouve Madeleine sur scène. On sonne.

MADELEINE – C’est pas vrai ! Un vrai quai de métro aux heures de pointe cette barraque !

Madeleine va ouvrir en traînant une nouvelle fois les pieds. Un homme costaud est devant la porte.

MADELEINE – Monsieur

BENJAMIN (sec) – Tournier, Benjamin Tournier, Benji pour les amis, Ben pour les intimes

MADELEINE – Je ne pense pas faire partie ni des uns ni des autres

BENJAMIN – Affirmatif

MADELEINE – Et ça ne me dérange pas plus que ça

BENJAMIN – Je travaille pour la société de gardiennage

MADELEINE – On a donc un point commun

BENJAMIN – Ah ouais ? Je serais curieux de savoir lequel

MADELEINE – Dans une ancienne vie, j’ai été gardienne d’immeuble

BENJAMIN (tranchant) – Rien à voir. Moi, c’est du sérieux. Pas le temps de papoter

MADELEINE – Mais je ne faisais pas que papoter. J’écoutais aussi

BENJAMIN – Moi, le seul avec qui je cause dans la journée, c’est Hans, et comme il parle pas, ça me va

MADELEINE – Un collègue ?

BENJAMIN – Plus que ça : mon chien

MADELEINE – Moi, j’ai un caniche

BENJAMIN – Rien à voir. Moi, c’est un berger allemand

MADELEINE – Naturlich

BENJAMIN – Les chiens, c’est ma grande passion

MADELEINE (amusée) – Vous êtes mordu, quoi

BENJAMIN – Ca m’est jamais arrivé. Question de dressage

MADELEINE – Moi, le dressage, je le garde pour la table

BENJAMIN – Une vocation. Dans l’armée, j’étais dans la brigade cinéphile

MADELEINE – Tout ça est bien joli, mais vous venez faire quoi ici ?

BENJAMIN – Rocki

MADELEINE – Quésaco ?

BENJAMIN – Repérer. Observer. Contrôler. Identifier. Rocki

MADELEINE – Ca fait roci, pas rocky

BENJAMIN – Quoi ?

MADELEINE – Oui, roci, comme Tino. (Chantonnant.) « Marinella, reste encore dans mes bras… »

BENJAMIN – Oh là, doucement la Castafiore ! Hans va hurler à la mort s’il vous entend

MADELEINE – Charmant

BENJAMIN – Faudra d’ailleurs que je pense à lui apporter à manger

MADELEINE – Il a les crocs ?

BENJAMIN – C’est ça !... Pour répondre à votre question

MADELEINE – Laquelle ? J’en pose tellement qu’à force, je m’y perds

BENJAMIN – Ce que je fais ici

MADELEINE – Ah oui

BENJAMIN – C’est simple. Net. Carré. Les proprios nous ont signalé il y a une dizaine de jours que leur maison serait vide pour ce week-end

MADELEINE – Serait, parce que je suis là

BENJAMIN – Je vois. Et vous êtes qui au juste ?

MADELEINE – La majordome ou la gouvernante, au choix

BENJAMIN – La bonne quoi

MADELEINE – Euh… Oui, en plus simple

BENJAMIN – Comme il ne devait y avoir personne, on nous a demandé d’être vigilants. Très vigilants. Mais pas des vigiles lents, hein ? Alors on a doublé les rondes

MADELEINE – Pour quelqu’un de carré

BENJAMIN – Eh bien ?

MADELEINE – Non, rien

BENJAMIN – Remarquez, je comprends que vos patrons aient peur d’être cambriolés, vu les objets de valeur qu’il y a dans leur maison. Je ne parle pas de vous, évidemment

MADELEINE – Sympa

BENJAMIN (jetant un œil aux tableaux) – Sacrées toiles !

MADELEINE – Bof

BENJAMIN – Je ne sais pas ce qu’il vous faut

MADELEINE (allusive) – Moi je le sais

BENJAMIN – Vous êtes plutôt vieilles croûtes ?

MADELEINE – Merci du compliment ! Disons que je suis plus toiles d’araignées que toiles de maîtres, alors…

BENJAMIN – Au fait : vous êtes seule ?

MADELEINE – Dites-donc !

BENJAMIN – Vous emballez pas ! Je veux dire qu’il n’y a personne d’autre ici ?

MADELEINE – Oh là si !

BENJAMIN – Qui donc ?

MADELEINE – Je vous en pose des questions ?

BENJAMIN – Ouais : vous m’avez demandé qui j’étais

MADELEINE – Ah oui… Alors… Il y a déjà madame Duperray

BENJAMIN – La proprio ?

MADELEINE – C’est ça ; finalement, elle n’est pas partie à cause d’un gars… (Allusive.) Ou de plusieurs…

BENJAMIN – Et personne d’autre à votre connaissance ?

MADELEINE – Bah… En tous les cas personne dans mes connaissances

BENJMAIN – En faisant mon inspection autour du parc avec Hans, j’ai cru entendre du bruit, mais le mur était trop haut et j’ai pas pu voir

MADELEINE – C’est ballot

BENJAMIN – Une bestiole sans doute

MADELEINE – Un gros blaireau peut-être… C’est fou ce qu’on en rencontre ces temps-ci

BENJAMIN – Si vous remarquez quelque chose d’anormal, voici mon numéro de portable. (Il lui tend un papier.) Mais vous faites pas d’illusions : c’est mon numéro professionnel

MADELEINE – Ca me suffira amplement

BENJAMIN (se dirigeant vers la sortie) – Au revoir madame

MADELEINE – Mademoiselle… Pour le moment

BENJAMIN – Faut pas perdre espoir, même si a priori votre cas semble critique

MADELEINE – C’est toujours agréable à entendre

BENJAMIN – Pour vous consoler, même moi, j’ai eu du mal à trouver chaussure à mon pied. Faut dire que je chausse du 48

MADELEINE – Un vrai clown, sauf que vous n’avez pas dû faire l’école du rire

BENJAMIN – Mais là, c’est bon… (Réfléchissant.) Au fait, faut que je l’appelle

MADELEINE – Qui donc ?

BENJAMIN – Ma copine… Ouais : toutes les heures

MADELEINE – La confiance règne

BENJAMIN (désignant le téléphone fixe) – Permettez. Ca économisera les batteries de mon portable

MADELEINE – Si vous voulez. C’est pas moi qui paie les factures

Benjamin compose un numéro et on entend le portable de Lilly sonner.

BENJAMIN – C’est bizarre ça…

Il ressaie. Même résultat.

BENJAMIN – Ah bah ça !

Troisième tentative. Benjamin finit par localiser le portable de Lilly, sous un coussin du canapé.

BENJAMIN (à Madeleine, lui montrant le portable de Lilly) – C’est quoi ça ?

MADELEINE – Un portable

BENJAMIN – Non : son portable !

MADELEINE – Derrick, accroche-toi !

BENJAMIN – Plaisantez pas avec ça. Derrick, c’est mon idole !

MADELEINE – Tiens donc

BENJAMIN – Ce portable, c’est moi qui le lui ai offert la semaine dernière

MADELEINE – Ca vous regarde

Benjamin met le portable de Lilly dans sa poche.

BENJAMIN – Mais j’y suis : la mini garée un peu plus loin, dans le virage, c’est la sienne ! Sur le coup, ça m’a pas fait tilt mais maintenant que j’y pense

MADELEINE – C’est bien de penser. Moi aussi ça m’arrive

BENJAMIN – Ah ! Le week-end chez sa copine Lucie, mon œil ! Elle s’est bien foutue de moi !

MADELEINE – Elle n’est sûrement pas la seule

BENJAMIN (sur sa lancée) – Vous savez ce que je vais faire ?

MADELEINE – Non, et je m’en fiche

BENJAMIN – Je vais sortir Hans de mon fourgon et l’attacher à la portière de sa mini !  Comme ça, elle pourra pas repartir avec !

MADELEINE – Avec Hans ?

BENJAMIN – Avec sa mini ! Oh ! Mais ça cogite là-dedans, faut pas croire

MADELEINE – Je crois ce que je vois, alors…

BENJAMIN – Y’en a souvent qui ont cherché à me faire passer pour un imbécile, eh ben ils m’ont vite trouvé… Bougez pas !

MADELEINE – Pas trop de risques

BENJAMIN – J’en ai pour deux minutes. Va y avoir du sport !

MADELEINE – Le sport, c’est pas mon truc, même en chambre

Benjamin sort précipitamment.

MADELEINE – Qu’est-ce que c’est encore que cet énergumène !... Et puis après tout, à chacun ses ennuis. (Chantonnant.) « Mes amis, mes amours, mes emmerdes… »

Madeleine se dirige vers la salle de bain.

 

SCENE 2

LILLY, LOUISE, MADELEINE

Lilly est sortie de la penderie mais le retour de Louise, en peignoir, l’oblige à regagner sa cachette.

MADELEINE (se retournant vers Louise) – Dites : je peux faire la salle de bain cette fois-ci ?

LOUISE – C’est que je voulais prendre une douche

MADELEINE – Décidément

LOUISE – Vous devez avoir d’autres choses à faire, non ?

MADELEINE – Oh ! Sûrement… Faut juste que je trouve lesquelles

Madeleine gagne la cuisine et Louise entre dans la salle de bain.

Lilly sort à nouveau de la penderie et cherche son portable sur le canapé.

LILLY – J’étais pourtant sûre qu’il était là !

On frappe violemment à la porte. Lilly a juste le temps de regagner sa cachette.

 

SCENE 3

BENJAMIN, FRANCOIS

Retour de Benjamin.

BENJAMIN – Entrez sans frapper qu’on dit. Moi, je frappe et j’entre ! (Donnant un coup de poing contre le mur.) Et j’ai pas fini de frapper ! Bon : y’a plus qu’à tout retourner cette bicoque !

Retour de François.

BENJAMIN – Eh ben voilà ! J’ai pas eu à chercher longtemps

FRANCOIS – Monsieur

BENJAMIN – Benjamin… Ca ne vous dit rien ?

FRANCOIS – Ma foi… J’ai connu un Benjamin… Benjamin Dupuis… Un type rudement sympa, mais ce n’était pas vous

BENJAMIN – Non, et en plus j’suis pas sympa. Ben ou Benji, ça ne vous dit rien non plus ?

FRANCOIS – Pas davantage

BENJAMIN – Evidemment.  Lilly ne vous aurait donc pas parlé de moi ?

FRANCOIS – Vous avez dit Lilly ?

BENJAMIN – Ouais. Inconnue au bataillon elle aussi ?

FRANCOIS – Ah là, si ! (Toujours sous le charme.) Ah, Lilly ! Lilly !

BENJAMIN – Bah voilà : j’ai tapé juste… Et je ne vais pas faire que juste taper !

FRANCOIS – Lilly, avec trois l, de quoi s’envoler en l’air

BENJAMIN – S’envoyer en l’air plutôt ! Et ça dure depuis longtemps votre manège ?

FRANCOIS – Je… Ca, je ne sais pas trop quoi vous répondre… On m’a pas précisé… Disons quelques mois… Ouais, ça me paraît bien, ni trop long, ni trop court

BENJAMIN – Bravo !

FRANCOIS – Oh, j’ai pas trop de mérite ! Elle est tellement…

BENJAMIN – Tellement quoi ?

FRANCOIS – C’est une fille qui a du chien, voilà !

BENJAMIN – Très drôle !

FRANCOIS – Vous trouvez ?

BENJAMIN – Je me demande vraiment ce qu’elle fait avec un mec comme toi !

FRANCOIS – On se tutoie ? Remarquez : cette camaraderie soudaine ne me dérange pas

BENJAMIN – J’ai un principe

FRANCOIS – C’est bien d’avoir des principes

BENJAMIN – Je dis « tu » à tous ceux à qui je vais casser la figure

FRANCOIS – J’ai comme l’intuition que je suis nominé

BENJAMIN – Affirmatif

FRANCOIS – Avant d’en arriver là, je pourrais savoir qui vous êtes ?

BENJAMIN– Benjamin ! T’es bouché ou quoi ?

FRANCOIS (spontané) – Non, jardinier

BENJAMIN (dont l’énervement va crescendo) – Tu vas moins rigoler sous peu !

FRANCOIS – C’est dommage. Et sans indiscrétion, vous êtes qui par rapport à Lilly ?

BENJAMIN – T’en as pas la moindre idée ?

FRANCOIS – Quand même pas son père ?

BENJAMIN – Alors l’autre ! Son père !

FRANCOIS – Son grand frère alors… Quoique la ressemblance n’est pas frappante

BENJAMIN – Je connais autre chose de frappant

FRANCOIS – Non : je ne vois pas…

BENJAMIN – Tu veux un dessin ?

FRANCOIS – Ca ira, merci

BENJAMIN – Tu préfères sans doute ses deux seins à mes dessins ?

FRANCOIS – Pas mal du tout celle-là !

BENJAMIN – Ty vas moins faire le mariole dans deux minutes

FRANCOIS – Si j’ai encore deux minutes. Donc, si je vous ai bien suivi, vous seriez le… le petit ami de Lilly… enfin, petit, façon de parler

BENJAMIN – Bah voilà coco ! Tu vois quand tu veux

FRANCOIS – Mais je suis plein de bonne volonté

BENJAMIN – Ca a mis du temps, mais t’as capté

FRANCOIS – C’est la réplique préférée de mon collègue Marcel. Quand on lui dit qu’on est constipé, constipé en un seul mot hein, eh ben il répond toujours : t’as capté, ça ira mieux

BENJAMIN – Moi c’est la gueule que je vais te péter… Et ça risque pas d’aller mieux… Même ton père il te reconnaîtra pas

FRANCOIS – Il ne m’a déjà pas reconnu à la naissance

BENJAMIN – Très drôle !

FRANCOIS – Pour ma mère, pas trop… Mais je suppose que ce petit point sur moi ne vous intéresse pas, ou alors de très loin

BENJAMIN – T’inquiète pas, je connais un autre poing qui va t’intéresser, et de très près celui-là !

FRANCOIS – Entre nous, je ne savais pas que Lilly était aussi… partageuse

BENJAMIN – Alors que moi, pas du tout !

FRANCOIS – J’en ai l’impression

BENJAMIN – La seule chose dont je veux bien faire profiter les autres, c’est de mes coups !

FRANCOIS – Franchement, votre humour me plaît ! Si si. Direct et percutant

BENJAMIN – Mon direct aussi est percutant

Benjamin assène un coup de poing à François, qui s’effondre sur le canapé.

 

SCENE 4

FRANCOIS, MADELEINE

Retour de Madeleine. Elle assomme Benjamin avec un rouleau à pâtisserie ; il s’effondre derrière le canapé.

MADELEINE (à François) – Ouh ouh ! Ca va ?

FRANCOIS – Mouais…

MADELEINE – Rien de cassé ?

FRANCOIS – Non, je ne crois pas

MADELEINE – Vous avez un bel œil au beurre noir

FRANCOIS – Moi qui ne cuisine qu’à l’huile

MADELEINE (amusée) – Je vois que vous avez recouvré vos esprits

FRANCOIS – J’essaie

MADELEINE – Je pourrais savoir qui vous êtes ?

FRANCOIS – François. Je suis jardinier à la ville

MADELEINE – Et vous faites quoi ici ?

FRANCOIS – Je récupère

MADELEINE – Et plus sérieusement ?

FRANCOIS – J’étais venu couper des branches dans le parc et je me suis retrouvé mêlé à une histoire dont j’ai pas compris tout le scénario

MADELEINE – Des fois, sans qu’on le veuille, les choses s’enchaînent

FRANCOIS – De tronçonneuse !

MADELEINE (amusée) – Oh !

FRANCOIS – Dites : vous connaissez cette brute ?

MADELEINE – On a fait brièvement connaissance. Ca m’a largement suffi

FRANCOIS – Moi aussi

MADELEINE – Ce n’est pas mon type d’homme

FRANCOIS – Et c’est quoi votre type d’homme ?

MADELEINE – Oh, je ne suis pas difficile… Mais lui ne m’a pas plu… Il ne m’a pas marquée

FRANCOIS (montrant son œil au beurre noir) – Moi si

MADELEINE – Je sais juste qu’il est vigile et qu’il surveillait la propriété avec son chien… Je me demande pourquoi il s’en est pris à vous

FRANCOIS – Faudrait le lui demander

MADELEINE – Il n’est pas encore en état de répondre

FRANCOIS – Pas étonnant, après ce que vous lui avez mis

MADELEINE – Il a eu ce qu’il méritait… Ces jours-ci, j’avoue que je suis sur les nerfs

FRANCOIS (lui montrant le rouleau à pâtisserie) – Au bout du rouleau quoi

MADELEINE – Voilà. Pour revenir à ce triste sire, il vous a peut-être pris pour un voleur

FRANCOIS – A ce que j’ai compris, il cherchait sa copine

MADELEINE – Ca, il me l’avait effectivement dit… Faut dire qu’il a trouvé son portable dans la maison et il voulait la retourner pour en être sûr… Quand je dis retourner, je pense à la maison, pas à sa copine… Quoique…

FRANCOIS – Moi, j’y pense encore à sa copine… Ouh là là : un sacré brin de fille Lilly !

MADELEINE – Ca ne m’explique pas pourquoi il vous a frappé

FRANCOIS – En fait, il a cru que je sortais avec elle… Pas au sens de sortir dehors, hein ?

MADELEINE – Et c’est vrai ?

FRANCOIS – Bah oui… Enfin non, pas vraiment

MADELEINE – Faudrait savoir !

FRANCOIS – Quand il m’a demandé depuis quand on était ensemble, j’ai pas nié…

MADELEINE – Pourquoi, si ce n’était pas la réalité ?

FRANCOIS – C’était de la réalité virtuelle, vous comprenez

MADELEINE – Pas trop, non

FRANCOIS – J’étais à fond dans mon rôle… Je voulais le jouer jusqu’au bout… Et c’est là que les choses se sont emballées et qu’il est devenu incontrôlable

MADELEINE – Là, il est sous contrôle

FRANCOIS – Pour le moment

MADELEINE – Il va bien finir par se relever

FRANCOIS – Je vous le souhaite

MADELEINE – En attendant, vous allez venir avec moi en cuisine

FRANCOIS – Si vous voulez

MADELEINE – Un peu mon neveu ! Du froid sur votre œil vous fera le plus grand bien

FRANCOIS – On a déjà brisé la glace entre nous

MADELEINE – C’est un bon début

FRANCOIS – Et lui ?

MADELEINE – C’est le cadet de mes soucis

FRANCOIS – Pas le cadet, le benjamin

MADELEINE – Alors vous !

FRANCOIS – Je me rends compte que je ne vous ai même pas demandé votre prénom

MADELEINE – Madeleine

FRANCOIS – C’est… croquant !

MADELEINE – Allez… Vous pouvez vous appuyer sur moi… Sans en abuser !... Quoique…

Madeleine et François gagnent la cuisine.

 

SCENE 5

BENJAMIN, LILLY, SIMON

Lilly quitte la penderie mais la sortie de Louise de la salle de bain pour grimper l’escalier l’oblige à y retourner.

Simon quitte le placard et cherche à nouveau ses vêtements. Il découvre Benjamin en train de se relever péniblement. Il n’a d’autre choix que de se cacher au plus près… dans la penderie.

BENJAMIN – Ouille ouille ouille, ma tête !... Ah ! Les salauds ! Ils ne perdent rien pour attendre !

Il ouvre la porte de la salle de bains puis celle du placard et enfin celle de la penderie.

BENJAMIN – Ah bah ça !

SIMON – Bonjour

BENJAMIN – Ah bah ça !

SIMON – Vous venez de le dire

LILLY – Ecoute…

BENJAMIN – Rien du tout !

SIMON – Elle a sûrement des choses intéressantes à vous raconter

BENJAMIN – Ben voyons

LILLY – Avant de t’énerver

BENJAMIN – C’est fait !

SIMON – Ce n’est jamais bon

LILLY – Sache qu’il n’y a rien entre ce monsieur et moi

SIMON – Si : vingt centimètres ! Je vous parle de l’espace, pas de…

BENJAMIN – La ferme !

LILLY – Je te jure ! On ne se connaît même pas !

SIMON – Je ne demande qu’à

BENJAMIN – Y’a pas écrit crétin sur mon front

SIMON – Ou alors ça a provisoirement disparu

BENJAMIN – Tu veux jouer les rigolos comme ton pote ?

SIMON – Lequel ? J’en ai beaucoup…

BENJAMIN – Celui à qui j’ai arrangé le portrait

SIMON – Vous aimez peindre ?

LILLY (à Simon) – Je ne suis pas sûre qu’il apprécie trop

BENJAMIN – Non, pas du tout

LILLY (à Simon) – Je vous l’avais dit

SIMON – Ecoutez : madame a raison

LILLY (rectifiant) – Mademoiselle

SIMON – Elle est certes ravissante mais nous n’avons rien fait

BENJAMIN – A d’autres !

SIMON – A d’autres, je ne dis pas mais là, niet, nada ! Pas eu le temps !

BENJAMIN – Moi je vais prendre le temps de sculpter ton visage

SIMON – Vous faites aussi de la sculpture ?

LILLY – Aïe aïe aïe !

SIMON – Un vrai touche-à-tout !

LILLY (à Simon) – N’en rajoutez pas

SIMON – Je ne sais pas comment vous vous appelez

BENJAMIN – Benjamin

SIMON – Eh bien Benjamin, les apparences peuvent parfois vous tromper

BENJAMIN – Les femmes aussi à ce que je vois ! Quand il y en a pour un, il y en a pour deux ou trois ! (A Lilly.) T’inquiète ! Quand j’en aurai fini avec monsieur, je m’occupe de toi ! Là aussi, y’en aura pour tous !

SIMON – Alors vous, vous avez vraiment la rage !

BENJAMIN – Aucun risque : Hans est vacciné

SIMON – Si vous me permettez, il faut savoir prendre du recul

BENJAMIN – Mais je vais en prendre pour te dégommer

SIMON – Vous trouvez votre amie, enfin je suppose que c’est elle, en compagnie d’un homme à moitié nu dans une penderie… Evidemment, vous êtes en droit de vous interroger

BENJAMIN – Assez causé ! Comme l’autre, tu essaies de m’embobiner, mais ça ne marche pas avec moi

SIMON – Je ne vois vraiment pas de qui vous voulez parler

BENJAMIN – La partie est finie je te dis ! Ou la partouze si vous préférez !

SIMON – Ah ! Non, j’aime pas les travaux de groupe

BENJAMIN – Tu vas la boucler oui !

Benjamin s’apprête à donner un coup de poing à Simon mais Lilly intervient et l’assomme avec le vase qu’elle a trouvé sur le petit meuble. Une nouvelle fois, Benjamin s’écroule.

SIMON – Non mais en voilà des manières ! Quel rustre !

LILLY – Vous n’êtes pas blessé ?

SIMON – Non. Heureusement que vous êtes intervenue

LILLY – Normal. J’aime pas qu’on s’en prenne aux plus faibles

SIMON – Tout est relatif. Si vous ne l’aviez pas assommé, il allait passer un sale quart d’heure

LILLY – Oh ! Sûrement

SIMON – Dommage pour le vase… Il me semble que c’était un Ming

LILLY – Mince, un Ming !

SIMON – Après tout, il n’avait qu’à pas nous faire des chinoiseries

LILLY – Vous avez raison

Lilly a poussé les débris du vase sous le canapé.

SIMON – Il est toujours comme ça ?

LILLY – Faut pas chercher

SIMON – Faut pas le chercher non plus il me semble

LILLY – Il est d’une jalousie maladive

SIMON – Entre nous, je ne sais pas si vous avez bien choisi vos fréquentations

LILLY – C’est un minable

SIMON – Vous n’êtes pas tendre avec lui

LILLY – C’est un lourdaud qui se prend pour Rambo

SIMON – Ca, il est plus Rambo que Rimbaud

LILLY – De toutes façons, j’allais le quitter. J’attendais le bon moment pour le lui dire

SIMON – Trop tard

LILLY – Ca ne fait que précipiter les choses… C’est quand même pas de chance d’être tombé sur lui

SIMON – Et qu’il soit tombé sur moi

LILLY – Aussi. Je ne voudrais pas être trop indiscrète, mais je pourrais savoir qui vous êtes ?

SIMON – Simon… On va dire que je suis jardinier

LILLY – Il y a un élevage !... Moi, c’est Lilly. Je suis comédienne

SIMON – J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on joue tous la comédie

LILLY – Plus ou moins

SIMON – Ceci étant, si vous avez besoin de moi pour vous donner la réplique, je suis partant

LILLY – Pour l’instant, j’aimerais bien partir

SIMON – Moi aussi

LILLY – Rien ne vous en empêche

SIMON – Si : ma tenue

LILLY (charmée) – Elle vous va bien

SIMON – Mais je pense avoir trouvé la solution

LILLY – Vous pouvez rester comme ça

SIMON – Toutes les bonnes choses ont une fin, non ?

LILLY – Oui : on finit toujours par en voir le bout

SIMON – Je peux vous demander un coup de main ?

LILLY (rigolant) – C’est déjà fait, non ?

SIMON – Vous pourriez m’aider à le porter sur la terrasse ?

LILLY – C’est bien parce que c’est vous

Simon et Lilly traînent tant bien que mal Benjamin sur la terrasse.

SIMON – Ouh là là, il pèse un quintal le bovin !

 

SCENE 6

THOMAS, LOUISE, puis les autres

Retour de Thomas puis de Louise. Tous deux ont remis des tenues « normales ».

LOUISE – J’ai une petite faim. Pas toi ?

THOMAS – Si ! Ca te dirait des sushis ?

LOUISE – Bonne idée. Je vais en commander

THOMAS – C’est fait

LOUISE – Ah ? Bonne décision

THOMAS – Je savais que ça allait te plaire

LOUISE – Ca fait longtemps qu’on n’a pas dîné ensemble

THOMAS – Trop longtemps, bien trop longtemps

LOUISE – Oui, bien trop longtemps. Et si je demandais à Madeleine de nous préparer une entrée ?

THOMAS – Parfait. (Réalisant.) Parce qu’elle est là ?

LOUISE – Et oui !

THOMAS – Décidément. La maison devait être vide et on y croise tout le monde

LOUISE – Plus qu’on ne croit… Elle aussi pensait se retrouver seule et c’est pour ça qu’elle est venue travailler, pour être tranquille comme elle dit

THOMAS – Aujourd’hui, question tranquillité, on est servi !

LOUISE (appelant en direction de la cuisine) – Madeleine, vous êtes là ? Madeleine ?

Madeleine sort de la cuisine, les cheveux ébouriffés.

MADELEINE – Vous m’avez sonnée ?

LOUISE – Peut-être pas sonnée, mais tout comme. (Apercevant Thomas.) Ah ! Bonsoir Monsieur

THOMAS – Bonsoir Madeleine

MADELEINE – On s’est tous passé le mot dites donc !

THOMAS – C’est un peu ça

LOUISE – Madeleine, est-ce que vous pourriez nous préparer une entrée ?

MADELEINE – Maintenant ?

LOUISE – Oui

MADELEINE – C’est que… Ca ne va pas trop être possible…

LOUISE – Ah ?

MADELEINE – C’est plutôt ma sortie que j’ai prévue

THOMAS – Ah ?

MADELEINE – Oui… Si ce n’était que de moi

THOMAS – Oh oh !

MADELEINE – Allez, autant vous le dire : j’ai rencontré quelqu’un

LOUISE – Tout vient à point à qui sait attendre

MADELEINE – Sauf que l’attente a été longue, si vous saviez !… A se demander si on n’avait pas dépassé la date de péremption !

LOUISE – N’exagérez pas

MADELEINE – Mais là, j’ai enfin trouvé. Une fin de série soit, mais faut se contenter de ce qu’on a. (Appelant en direction de la cuisine.) Fanfan, tu viens ?

LOUISE – Fanfan ?

MADELEINE – C’est le diminutif de François.

Retour de François, les cheveux ébouriffés lui-aussi.

MADELEINE – Je crois que vous vous connaissez… Un jardinier comme lui, il n’y en a pas deux !

LOUISE – Quoique…

MADELEINE – On s’est tout de suite trouvés, hein Fanfan ?

FRANCOIS – Affirmatif, comme dirait l’autre, hein Mado ?

LOUISE – Mado ?

MADELEINE – Ouais : c’est trognon, non ?

FRANCOIS – Trognon de pomme

MADELEINE – Fanfan et moi, on a le même humour !

FRANCOIS – C’est dingue !

MADELEINE – Et on partage le même plaisir de pousser la chansonnette

FRANCOIS – Madeleine a été aux petits soins pour moi

MADELEINE – Aux petits oignons pour le jardinier

FRANCOIS – Elle est vraiment chou !

MADELEINE – De Bruxelles

THOMAS – Là, on a fait le tour du potager

FRANCOIS – On va devoir vous laisser

MADELEINE – Fanfan m’emmène voir les hortillonnages de Damien, c’est pour ça que je ne peux pas rester

THOMAS – Vous voulez dire les hortillonnages d’Amiens

FRANCOIS – Non non, de Damien. C’est un collègue. Il habite à Grougnon sous Bazouche

LOUISE (à Madeleine) – Vous en avez de la chance

THOMAS – Mais avant, on va faire un petit détour par la maison ! Je vais montrer à Mado comment on plante un poireau

MADELEINE – Il m’a dit qu’il y arrivait même quand la terre est en friche depuis des années. Fortiche mon Fanfan !

THOMAS – Bah dites donc

MADELEINE – Alors pour votre dîner…

LOUISE – Ca ne fait rien

THOMAS – On se débrouillera

LOUISE – Et puis là, on sera vraiment tout seuls

FRANCOIS – Allez : on file. On ne voudrait pas être importuns. Bah voilà : je l’ai casé

MADELEINE – Damien nous attend de pied ferme

FRANCOIS – Et demain nous tend les bras

MADELEINE (chantonnant) – « On s’est aimé comme on vous quitte »

FRANCOIS – Tout simplement en attendant demain… »

Madeleine et François quittent la pièce.

LOUISE – Salut les amoureux !

THOMAS – Tout compte fait, je suis content pour elle

LOUISE – Moi aussi. Qui l’aurait cru ?

THOMAS – Même pas elle

Retour de Lilly et de Simon, qui a revêtu la tenue de Benjamin.

LILLY – Pardon : on ne fait que passer !

SIMON – C’est ça ! Ciao !

Lilly et Simon quittent la pièce.

THOMAS – C’était qui ce type ?

LOUISE – Aucune idée. Et cette fille ?

THOMAS – Je ne sais pas

LOUISE – Ils avaient l’air de bien s’entendre

THOMAS – Plutôt

LOUISE – Il se passe quand même de drôles de choses dans cette maison

THOMAS – C’est vrai que toutes ces allées et venues ont de quoi dérouter

LOUISE – Il faudra qu’on éclaircisse tout ça

THOMAS – Entièrement d’accord

Benjamin a fini par se relever.

BENJAMIN – Là, c’était elle !

THOMAS – Qui donc ?

BENJAMIN – Lilly

LOUISE – Lilly ?

THOMAS – Première fois que j’entends ce prénom

BENJAMIN – Ah les salopards ! Ils vont voir qui je suis !

LOUISE – Moi non plus je ne sais pas qui vous êtes

THOMAS – Moi pareil

BENJAMIN – J’m’en balance !

THOMAS – Vous devriez faire vite si vous voulez les rattraper

BENJAMIN – Ils ne vont pas aller loin ! Hans les attend au tournant

Benjamin quitte tant bien que mal la scène.

LOUISE – Et un inconnu de plus !

THOMAS – On n’est plus à un près

LOUISE – Je me pose quand même une question

THOMAS – C’est drôle, moi aussi

LOUISE – Tu es sûr qu’il avait une copine le jardinier ?

THOMAS – Et tu es certaine qu’il a pris une douche ?

 

RIDEAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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