Du flouze, du blé, de l’oseille et des thunes.

Imaginez : une paisible agence bancaire… Tiens, près de chez vous !
– “Monsieur Albert“, un riche et vieux client courtisé par les deux employées. D’autant plus courtisé qu’il apporte dans son caddy une fortune qu’il vient de gagner (dit-il) en jouant au PMU.
– Ginette, une vieille, peu fortunée mais très futée, qui entre à son tour et surveille avec attention le comptage des liasses qui sortent du caddy.
– Johnny, Laura et Gabriel qui font irruption, armés et masqués dans la banque.
(Libre choix : masques de Johnny, Halloween ou simples cagoules)
– Laetitia, jeune femme de banlieue convoquée au sujet de son découvert, qui entre à son tour.
– La directrice d’agence, peu aimée de son personnel, que l’on va extirper de son bureau.
Et bien voilà ! Reste plus qu’à piquer le flouze, le blé, l’oseille et les thunes et à se tirer et en moins d’un acte, la comédie est bouclée ! Ouais… Sauf que…
– Sauf que Johnny déclenche l’alarme par erreur,
– Sauf qu’un nouveau commissariat vient d’être inauguré à 200m et que les flics débarquent illico,
– Sauf que Ginette a été la “nounou“ de Laura, l’un des trois gangsters,
– Sauf que Laetitia et Johnny se plaisent bien,
– Sauf que Johnny, fan inconditionnel du vrai Johnny, trimballe sur lui l’original d’une photo inestimable et volée de son idole,
– Sauf que “monsieur Albert“ dévoile un passé douteux et que, fort de son expérience, il prend en mains la suite des opérations,
– Sauf que la directrice, les temps sont durs, a déjà opéré quelques “emprunts“ dans les coffres,
– Sauf que Le policier qui vient négocier reconnaît en “monsieur Albert“ le fameux “Bébert l’arnaqueur“, gangster présumé rangé des voitures,
– Sauf que la recette du champ de courses voisin vient d’être dérobée selon la méthode “Bébert“,
– Sauf que les deux employées profitent de la situation pour se venger de leur supérieure tyrannique,
– Sauf que la directrice refuse, malgré sa hiérarchie, de partir comme otage avec Johnny,
– Sauf que Laetitia, elle, elle demande que ça,
– Sauf que le caddy d’Albert et celui de Ginette ont le même fabricant,
– Sauf que la retraite de la police, eh ben… C’est pas le nirvana,
– Sauf que quand tu croques dans la pomme, et que tu te prénommes Adam, t’as beau être flic…
Bref, trois actes ne seront pas de trop !

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Liste des personnages (1)

INFO TOUS PERSONNAGESIndifferent • Age indifferent
TOUS PERSONNAGES : pour découvrir un peu les personnages, lire le synopsis. Il existe des versions avec 8, 9, 10 ou 11 rôles. Certains personnages ne sont présents que dans les versions avec les plus nombreux rôles.

Décor (1)

Décor uniqueUne agence bancaire : guichets, chaises, pub marrantes sur les murs (contactez l'auteur...) portes (ou une porte et une ouverture sur le sas d'entrée)

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ACTE 1

 

SCENE 1

Germaine, Martine, Albert

 

Germaine et Martine sont derrière leurs guichets. Germaine tricote. Martine lit.

 

GERMAINE – Va pas y-avoir grand monde ce matin… Avec c’qu’y tombe !

MARTINE (ton peu aimable) -  Et ben comme ça, tu vas pouvoir avancer ton tricot.

GERMAINE – C’est une écharpe pour mon Emile.

MARTINE -  Pour Emile ? De cette couleur ? Tu fais une écharpe rose fluo pour ton mari ?

GERMAINE – C’est de la laine qui me reste de la brassière… Tu sais celle que j’avais faite pour la naissance de notre petite Julie.

MARTINE – Ouais, bon… Quand même, du rose pour Emile… Tu crois qu’il va la mettre ?

GERMAINE – Bien sûr. Tu sais, il n’y voit plus bien clair, alors...

MARTINE -  D’accord, mais les gens qui vont le croiser, eux ils voient clair !

GERMAINE – J’allais quand même pas racheter de la laine alors qu’il m’en restait 3 pelotes même pas entamées.

MARTINE – Ben tu m’étonnes !

Entrée de “monsieur Albert“. Distingué, élégant, vêtu d’un imperméable, portant un parapluie et tirant un caddy  contenant au fond une multitude de liasses de billets et sur le dessus des journaux.

  1. ALBERT – Bonjour mes beautés !

GERMAINE – Oh monsieur Albert ! Bonjour.

MARTINE -  Et bien par ce temps, dites-moi !

  1. ALBERT (secouant son parapluie mouillé) – Ne m’en parlez pas mesdames.

Il s’approche des guichets.

GERMAINE – Alors, monsieur Albert, c’est vendredi ! On vient retirer de quoi faire sa  petite virée pour le week-end ?

ALBERT – Ah, ah ! Et bien non. Figurez-vous mes princesses, que cette semaine pas de retrait… (Sur un ton confidentiel.) Je viens déposer mes gains.

MARTINE -  Vos gains ? ça y est ? Ces foutus chevaux se sont enfin décidés à regarder vos tickets de PMU avant de savoir dans quel ordre passer la ligne d’arrivée ?

ALBERT – Exact mes chéries ! J’ai joué dans l’ordre un bourrin, un tocard, un mulet, une chèvre et un poney. Résultat : le quinté du siècle dans l’ordre ! Le super jackpot ! Regardez ! (Il sort des liasses de billets de son caddy et les pose sur le guichet devant Martine.)

GERMAINE – Houla la ! Tout ça ?

ALBERT – Et ce n’est qu’un échantillon, le caddy est plein à ras bord !

MARTINE – Ouahhhhhh ! Des billets de 50, de 100 et .. de 200 et 500 !

ALBERT – Et oui mes chéries ! La chance a fini par sourire à votre cher “monsieur Albert“ !

MARTINE – Tout cet argent dans un simple caddy grand ouvert ?

ALBERT – J’ai quand même posé dessus quelques journaux. Eh oui, mon petit ! Quel individu mal intentionné irait soupçonner que l’on puisse promenez une fortune d’une façon aussi ordinaire ?

GERMAINE – Et bien… Vous étiez déjà le meilleur client de notre agence… Mais là !

MARTINE (se penchant sur le caddy) -  Mais y-a combien là-dedans ?

ALBERT (Inspectant les alentours avant de parler) – Il y a de quoi séduire une jolie femme et l’emmener passer un week-end de folie dans un pays où il ne pleut pas. Et qui sait… Beaucoup plus si affinités.

GERMAINE (reposant avec dépit son tricot) – Mais pourquoi je suis déjà mariée moi ?

MARTINE (aguicheuse) – Mais moi… Je suis veuve, monsieur Albert.

ALBERT (Il lui prend la main et y dépose un baiser) – Je sais, ma chère, veuve et redoutable !

GERMAINE – Bon… On se calme hein !

MARTINE – Allez ! (S’accaparant les liasses posées sur le comptoir.) On va vérifier ce jackpot avant de le mettre sur votre compte ! Vous annoncez combien, monsieur Albert ?

ALBERT – Et bien… 2 virgule 450.

GERMAINE – 2 virgule 450 ? … 2 mille 450 Euros ?

MARTINE – Tu rigoles ! Non mais t’as vu le volume du magot ?

GERMAINE – Vous voulez pas dire…

ALBERT – Si : 2 millions et 450 mille euros.

Sous le coup de l’émotion, Germaine tombe derrière son guichet.

ALBERT (Il se penche sur le guichet) – Elle s’est fait mal ?

MARTINE – Enfin seuls ! (Elle a attrapé la main d’Albert et l’attire vers elle.)

ALBERT – Voyons, voyons… Soyons raisonnables !

MARTINE (avec passion) – Oh Albert ! Albert !... (Le voyant sur  la défensive.) Je ne vous plais pas ? Pourtant je croyais…

ALBERT – Mais si, mais si, mais enfin là…. Maintenant !

MARTINE – Mais justement maintenant, là sur ce guichet, vos mains, vos bras, votre bouche, votre corps, votre caddy !

ALBERT – Mais… Votre collègue pourrait se réveiller…

Martine  saisit un gros bottin. On la voit se pencher et frapper un seul coup derrière le guichet (bruit de gong). Albert regarde interloqué.

MARTINE – Voilà, nous avons au moins un bon quart d’heure devant nous !

ALBERT – Alors là !... Non mais ça alors…

MARTINE (Saisissant Albert par le revers du col) – Où en étions-nous ? Ah oui : Reprenons !

ALBERT – Et… Et si quelqu’un entrait ?

MARTINE – Par ce temps ? Qui voulez-vous ?

ALBERT – Je sais pas… Un client, une cliente…

MARTINE – Sous ce déluge ? … A part la mère casse bonbon… Je vois pas !

 

 

SCENE 2

Martine, Albert, Mme Lecomte,

 

Entrée de madame Lecomte cliente âgée (canne), portant un ciré mouillé avec capuchon. Elle tire le même caddy qu’Albert (contenu : toutes sortes de produits d’épicerie avec sur le dessus pommes, pain, légumes,  revues et un flacon d’alcool.

MARTINE – Oh non !

Martine a juste le temps de lâcher Albert. Celui-ci à moitié vautré sur le guichet tente de récupérer la situation équivoque devant la vieille dame étonnée.

ALBERT – Ah, Et bien… Oui… Alors ce reçu, où est-il tombé ?

MARTINE – Euh… Le reçu ? Ah oui le reçu ! ça y est, je le vois… Bonjour madame Lecomte !... Oui, je le vois !... Incroyable qu’il ait pu se glisser là.

Mme LECOMTE – Eh oui, c’est toujours comme ça ! Vous faites tomber une pièce de cent sous et bien elle va rouler jusque sous le buffet, bien au fond contre la plinthe.

MARTINE – Et cent sous, ben c’est sens sous hein madame Ginette ?

Mme LECOMTE – Comme vous dites. Et sous le buffet avec mes rhumatismes… Surtout par ce temps là. Enfin, faut point dev’nir vieux ! (Enlevant son ciré.)

Bon y-a qu’un guichet d’ouvert aujourd’hui ? Madame Germaine est point là ?

MARTINE – Germaine ?... Si, si, elle va revenir à elle, enfin je veux dire elle va revenir… Dans un instant. Asseyez-vous en l’attendant.

ALBERT – Bon… Alors on en est où ?

MARTINE – Ben… Le reçu que voici et puis ce versement à vérifier.

Mme LECOMTE (assise) – Ah bon ! Vous faites le reçu d’abord et vous vérifiez les billets après ?

MARTINE – Euh… Oui : une innovation. Aujourd’hui a été décrétée “journée internationale de la confiance.“

Mme LECOMTE – Mon dieu donc ! C’est déjà point commode envers son voisin alors la confiance internationale…

MARTINE – Madame Ginette ! J’aimerais pouvoir compter.

Mme LECOMTE – Je me tais. Vous pouvez compter ma fille ! (Au public.) Et même vous laisser conter fleurette… Mes rhumatismes, tiens ! C’est point dans mes yeux.

MARTINE (elle empoigne plusieurs liasses et se met à compter à haute voix, toute excitée au toucher des billets) – Alors ça fait… 500, 1000, 1500, 2000, 2500, 3000, 3500, 4000…

Mme LECOMTE (au public) – Ben dis donc ! Vous entendez ? ça rigole point, c’est des biftons de 500 !

             Monsieur Albert sort de nouvelles liasses du  caddy et les pose sur le guichet.

MARTINE – 6500, 7000, 7500, 8000, 8500, 9000, 9500 et voilà une liasse de 10 000… (Elle reprend une nouvelle liasse.) 10 500, 11 000, 11 500…

Mme LECOMTE (au public) –  Oh merde ! La v’là qui vérifie une nouvelle liasse… Mais où qu’y vont donc s’arrêter ?

MARTINE – 14 000, 14 500…

ALBERT (à Martine) – Je vous en prie, chère amie, comptez plus bas.

Martine se met à genoux derrière son guichet..

ALBERT – Mais non, voyons ! Je voulais dire : comptez à voix basse.

MARTINE (se relevant) – Oh pardon ! 

             A partir de cet instant on voit ses lèvres bouger, mais elle compte à voix basse.

Mme LECOMTE – Ben la v’là t-y pas qui compte à voix basse ! (Elle retrousse sa manche pour regarder sa montre.) Bon, on va dire deux billets de 500 chaque nouvelle seconde, disons une perte de temps de 3 secondes entre chaque liasse de 20 billets. On part à environ 16 000€. Voilà, je déclenche mon chronomètre

Mme LECOMTE (les yeux alternativement vers Martine puis sur sa montre chronomètre) - 16 500, 17 000, 17 500, 18 000…

ALBERT (il  vient s’interposer entre madame Lecomte et le guichet) – Dites-moi chère madame, n’est-ce pas vous qui habitez cette charmante petite maison au coin de la rue des pâquerettes ?

Mme LECOMTE – Et voilà 20 000. (Penchant la tête pour garder Martine en vue.) Hein ? Si, si… le 35 pâquerettes, c’est moi… Ah, ah, ah… Nouvelle liasse en vue !… 20 500, 21 000

ALBERT – Alors nous sommes presque voisin, j’habite au 39.

Mme LECOMTE – Je sais, je sais… 23 000, 23 500, 24 000…

ALBERT – Vous comptez quoi ?

Mme LECOMTE – Chut ! Vous me faites perdre le fil !

ALBERT – Ah ? Veuillez me pardonner.

Martine continue à compter, sous le regard de M. Albert et, à distance, de madame Lecomte.

 

Irruption soudaine de 3 individus, armés, masqués, portant chacun un sac de sport (dans chaque sac il y a seulement un autre sac vide et dans celui de Laura il y a en plus une pancarte - Voir plus loin).

 

 

SCENE 3

Johnny, Mme Lecomte,  Laura, Gabriel, Laetitia, Martine, Albert, Germaine

 

LE CHEF DES GANGSTERS / JOHNNY (il hurle)  – Ah que c’est un hold-up ! On lève tous les mains ! (A Martine.) Toi derrière le guichet, tu touches à rien et tu rappliques ici avec les deux autres… Vite !

Albert et Martine lèvent les mains. Martine passe devant le guichet, oubliant les liasses apparentes.

Mme LECOMTE (pas impressionnée) – Mais en v’là des façons ! Dites-donc vous…

LE CHEF – Toi la vieille, tu restes assises mais tu mets les pattes en l’air.

Mme LECOMTE – La vieille ? Non mais comment qu’y’m’cause celui-là !

Elle s’est levée et menace avec sa canne. Le chef, Johnny, s’approche de madame Lecomte.

L’un des autres gangsters, Laura, s’interpose.

LE 2ème GANGSTER / LAURA – Non ! ça va Johnny… Laisse tomber !

Mme Lecomte se rassoit.

JOHNNY – Je vais pas me laisser traiter !

LE 3ème GANGSTER / GABRIEL – Laura a raison, on n’a mieux à faire, dans le calme… Et le plus vite possible sera le mieux.

JOHNNY – Bon… (A Albert et Martine.) Vous deux ! Assis là devant le guichet ! Allez vite !

Ils obéissent.

La porte de la banque s’ouvre à nouveau. Une femme (âge voisin de celui de Johnny.) entre. Elle tient à la main une lettre. Elle est mouillée et n’a pas de tenue de pluie. Sa tenue et son attitude témoignent d’un état de détresse.

Johnny se précipite sur elle et l’entraîne brutalement vers l’intérieur.

LA NOUVELLE ARRIVANTE (Laetitia, terrorisée) – Lâchez-moi ! Lâchez-moi, j’ai rien fait…

JOHNNY - Allez, assis avec les autres ! (A ses complices.) Putain, mais vous me faites quoi là ?  (Il sort une feuille de sa poche et lit.). On avait dit quoi ?

1 : on entre. 2 : je crie : ah que c’est un hold-up, mains en l’air. 3 : Laura verrouille la porte…  La porte : verrouillée on avait dit ! On n’en est qu’au “3“ et déjà que ça merde !

LAURA – ça va ! Gueule pas ! J’vais la verrouiller ta porte !… (Elle verrouille l’entrée de la banque.)

JOHNNY – Mais on avait tout répété… Faut être pro, c’est tout ! Et n’oublie pas la pancarte.

LAURA – Oui bon… ça va !  (Elle sort un écriteau de son sac et va le poser sur la porte.)

Mme LECOMTE – C’est quoi vot’ pancarte ?

JOHNNY – Si on te demande, tu diras ah que tu sais pas !

LAURA – Fermé ce jour pour cause d’inventaire.

MARTINE (toujours à terre à côté d’Albert) – Un inventaire ?... Dans une banque !

LAURA – Et ben oui, on va tout inventorier, les caisses derrière le guichet, la salle des coffres et peut-être même vos poches !

LAETITIA – Nos poches ? Alors là, les miennes vous pouvez y allez hein ! Y-a juste la lettre de la banque pour mon découvert de 456€,78. C’est pour ça que je suis là…

Johnny l’entraîne par le bras vers l’avant scène te la fait s’allonger avec les autres.

JOHNNY -  Oh ! On n’est pas là pour faire la causette… On en est où ? Ah oui… (Il lit à nouveau sa feuille.) 3… Laura : verrouiller la porte… 4 : Gabriel : chercher la directrice dans son bureau.

GABRIEL – Ok, Johnny, j’y vais.

LAURA – Et en douceur , s’il te plaît.

Gabriel sort par la porte donnant vers l’intérieur de la banque.

A cet instant et tandis que le dialogue continue,  on voit le visage de Germaine, encore sonnée,  apparaître derrière le guichet. Les autres ne la voient pas. Elle réalise la situation, s’empare des liasses restées sur le guichet, les mets ostensiblement dans son sac à main et disparaît à nouveau derrière sa position de travail.

Mme LECOMTE – Si c’est pas honteux de voir ça ! Un hold-up (Prononcer le “up“ à la française. Puis, désignant le public.) Et tous les autres là qui regardent… Vous croyez qu’y en aurait un pour avoir l’idée de rallumer son portable et pour prévenir la police ? Même pas !

JOHNNY – La ferme !

Mme LECOMTE – Quelle époque !

LAETITIA – Laissez-moi partir, je dirai rien…

LAURA – C’est ça.

LAETITIA – Rien je vous dis, je rentre chez moi calmos et je reviens plus tard quand vous serez partis après avoir fini votre inventaire.

JOHNNY – Mais c’est pas vrai ! Elle va pas se taire ?

LAETITIA – J’suis pas une balance, j’vous dit. Mon frère est en train de tirer 3 ans à Fleury, alors…

  1. ALBERT – Quand on a un frère assez con pour s’être fait serrer, on s’en vante pas !

JOHNNY – Tiens donc, on l’avait pas encore entendu celui-là.

  1. ALBERT – S’il vous plaît, cessez de gesticuler comme ça avec votre arme… Vous allez provoquer un accident.

JOHNNY – Un accident ! Mais ça va pas être un accident, si vous continuer tous à papoter comme autour d’un tilleul-menthe au salon de thé du coin. Merde alors ! (Il hurle à nouveau.) C’est un hold-up !

Mme LECOMTE (inquiète de la prononciation) – On dit hold-up (prononcé anglais) ou hold-up (prononcer français.) ?… Quand je pense qu’hier soir au 20h, Pujadas (Ou le nom du ministre de l’intérieur.) nous donnait les statistiques du ministère de l’intérieur en matière de criminalité : baisse de 17% qu’il disait… Il a dû s’emmêler avec not’ pouvoir d’achat !

JOHNNY – J’vais m’la faire la vieille, j’vais m’la faire !

Mme LECOMTE ( un poing tendu, sa canne dressée dans l’autre main) – Viens-y donc, p’tit insolent ! Tu veux goûter d’la canne à Ginette ?

Laura s’interpose à nouveau.

LAURA – Allons, allons… Gin… Euh… Madame. Soyez sage.

Elle fait se rassoir la vieille dame, tend un sac à Johnny et s’adresse à lui, autoritaire.

Prends ça et va ramasser l’oseille derrière le guichet.

JOHNNY (il lit sa “feuille de route“) – Et mais attends… C’est pas prévu comme ça… Voilà point n° 5 : Laura ramasse le fric des guichets.

LAURA – Et ben on change le programme ! T’es trop nerveux.

JOHNNY – Eh ! Mais c’est qui le chef ?

LAURA – Provisoirement, c’est  celui ou celle qui contrôle ses nerfs !

Contrarié, Johnny saisit le sac et passe derrière le comptoir.

Mme LECOMTE – Bien joué ma p’tite !

JOHNNY (découvrant Germaine planquée derrière le comptoir) – Et mais… Ah que c’est quoi ça ? Allez debout. Regarde Laura !

GERMAINE – Ne me touchez pas !

JOHNNY - Allez avec les autres…

LAURA – Encore heureux qu’elle n’ait pas déclenché l’alarme.

Germaine apeurée rejoint les otages, en serrant contre elle son large sac à main, dans lequel elle a entassé les liasses de billets, récupérées derrière le guichet.

Assis avec les autres !… Voilà.

JOHNNY – Les tiroirs sont fermés et y-a pas de serrure.

LAURA (à Martine et Germaine) – Répondez vous deux. Comment on ouvre les caisses ?

MARTINE – C’est une fermeture électrique. Il ya deux boutons sur la côté à gauche.

JOHNNY – Deux boutons… Ah oui là… Et je fais quoi pour ouvrir ?

GERMAINE – Vous appuyez sur le rouge.

MARTINE – Le rouge ? Mais…

Johnny a déjà appuyé, une alarme assourdissante retentit.

 

 

SCENE 4

Tous (le commandant seulement en “off“)

 

JOHNNY – Putain ! Ah que c’est quoi ?

LAURA – Mais qu’est-ce que t’as fait ?

JOHNNY – Ben j’ai appuyé sur le rouge !... La salope elle nous a menti !

LAURA (menaçant Germaine de son arme) – Vous avez osé faire ça ?

GERMAINE (terrorisée) – Ne tirez pas… Je vous ai dit la vérité ! Tous les matins j’appuie sur le rouge pour ouvrir ma caisse.

JOHNNY – C’est ça, et tous les matins tu déclenches l’alarme !

MARTINE – Elle a pas menti, seulement voilà : elle est dalmatienne !

LAURA – Dalmatienne ? Expliquez-vous parce que moi je vais lui faire Cruella !

GERMAINE – Daltonienne ! Daltonienne ! C’est vrai je suis daltonienne. Le rouge, le vert, pour moi c’est pareil !

JOHNNY (à nouveau menaçant) – Et les bleus tu veux voir si c’est pareil ?

Retour de Gabriel, arme au poing, poussant devant lui la directrice de la banque.

GABRIEL – C’est quoi ce bordel ?

LAURA – Johnny a déclenché l’alarme !

GABRIEL – Johnny ? L’alarme ?

JOHNNY – Ouais pas exprès bien sûr. On t’expliquera.

LAURA – Faut qu’on se déchire et vite.

Johnny et Laura se ruent vers la sortie. Gabriel tient les otages en respect en reculant  vers la porte.

GABRIEL – Le premier qui essaie de nous suivre, je l’allume !

ALBERT (narquois) – Avec ce joujou ? Je me marre !

LAURA – Ta gueule !

Gabriel sort à son tour. Les otages se relèvent.

GERMAINE - Ouf !

MARTINE – On l’a échappé belle, hein !

Ils réajustent leur tenue, se remettent de leurs émotions. Ginette sort un flacon d’alcool fort de son caddy, avale une rasade et s’essuie les lèvres avec sa manche.

GINETTE – Comme dirait l’autre : ah que ça fait du bien par où qu’ça passe !

On entend une sirène de police. Les 3 gangsters ressurgissent et ferment la porte.

GABRIEL – Eh merde, comment ils ont fait pour arriver si vite ?

JOHNNY (à la directrice, agressif, lui mettant le canon de son arme sur la tempe.) Et toi arrête-moi cette saloperie d’alarme et vite !

LA DIRECTRICE (paniquée) – Ne tirez pas ! Je vais l’arrêter, j’vais l’arrêter !

Elle ouvre la porte de son bureau et sort, suivi par Johnny. Les autres hurlent pour se faire entendre.

LAURA – Mais comment ils peuvent déjà être là ? La gendarmerie est à l’autre bout de la ville ! A plus d’un quart d’heure…

Mme LECOMTE - La gendarmerie oui… Mais le commissariat de Police est à peine à 500m.

LAURA – Le commissariat ? Quel commissariat ?

Mme LECOMTE – Celui qui vient d’être inauguré pas plus tard qu’hier matin par le préfet.

La sirène s’arrête.

GABRIEL – Ah que merde ! On avait repéré les lieux en fonction de la gendarmerie située à perpette, nous !

Mme LECOMTE – « A perpette », « à perpette »… Si j’étais vous et dans votre situation, j’éviterais cette expression !

Retour de Johnny et de la directrice.

GABRIEL – Mais qu’est-ce qu’ils viennent nous emmerder avec un nouveau commissariat ?

LA DIRECTRICE (narquoise) -  “Redéploiement des forces de sécurité“ qu’ils appellent ça.

JOHNNY - Toi, tu devrais peut-être pas te réjouir, parce que cette situation, c’est pas bon pour toi… Ni pour vous tous d’ailleurs ! Allez, regroupez vous tous dans ce coin là-bas. Et à la moindre connerie… (Il pointe son pistolet sur eux.)

LAETITIA (faisant un pas vers la sortie) – Bon et bien puisque l’inventaire est reporté, je vais vous laisser entre vous.

GABRIEL – Tu restes là !

LA DIRECTRICE – L’inventaire ? Mais de quoi parlez-vous madame Benmalekoum ?

On entend alors une voix dans un mégaphone à l’extérieur.

LA POLICE – Ici la police nationale. Les portes de l’agence sont fermées. S’il s’agit d’un déclenchement accidentel de l’alarme, je demande au responsable d’agence de nous ouvrir et de sortir dans la rue.

LA DIRECTRICE (faisant quelques pas vers la sortie) -  Euh… Je crois qu’on m’appelle…

GABRIEL – Te te te… Le flic, il a dit : “La responsable d’agence sort si c’est une fausse alerte“, t’as vraiment l’impression que c’est une fausse alerte, toi ?

LAURA – Bon et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

Mme LECOMTE – Eh oui qu’est-ce qu’on fait ! Mademoiselle… Euh Laura ? C’est ça hein : Laura ? Et ben, fallait réfléchir avant ! Gangster ça ne s’improvise pas : c’est un métier !

ALBERT – Ah ça, vous avez bien raison !

Mme LECOMTE – Gangster, ça ne s’apprend pas à l’école d’infirmière.

GABRIEL – L’école d’infirmière ?... (A Laura.) Mais, mais… Comment elle sait ça ?

Laura vient chuchoter à l’oreille de Gabriel.

JOHNNY – On peut savoir ce qui se passe ?

Laura chuchote cette fois à l’’oreille de Johnny.

Ah que on n’est encore plus dans la merde !

Mme LECOMTE – Comme tu dis mon Johnny ! Enfin… Si tu t’appelles Johnny. Parce que Johnny, Laura et Gabriel… (On peut imiter le chanteur en prononçant ces prénoms.) C’est plus un hold-up c’est un best-off.

GABRIEL (à Johnny) – Je te l’avais dit que c’était une idée à la con ces faux prénoms là.

LAURA – Ouais mais quand Johnny à l’idée…

JOHNNY – Ben quoi ? C’était facile à se rappeler pour pas prononcer vos vrais prénoms.

LA DIRECTRICE - Vous auriez pu prendre autre chose… Tiens ! Athos, Portos et Aramis.

JOHNNY – C’est des chanteurs grecs ?

Mme LECOMTE – Un peu plus à la portée de Johnny, il y aurait bien eu aussi Fifi, Riri et Loulou !

JOHNNY – Elle insinue quoi là, la vieille, au juste ?

MARTINE – Et que diriez-vous de Karl, Fidèle et Ernesto.

GABRIEL – Qui ?

LA DIRECTRICE – Karl comme Marx, Fidèle comme Castro et Ernesto comme Guevara… Madame Martine Buffet est la déléguée CGT.

MARTINE – A ce propos, je vous signale madame la directrice que la situation actuelle présente un grave danger pour les personnels (Elle se lève.) qui sont par conséquent en droit légitime de mettre en œuvre leur droit de retrait.

LA DIRECTRICE – Hein ? Quoi ?... Le droit de retrait, là, maintenant ?… Bof et puis si ça vous chante après tout…

MARTINE (se dirigeant d’un pas décidé vers la sortie) – Alors, Germaine… Tu viens ?

Germaine,  agrippant son sac à main, se lève et accompagne  Martine  vers la sortie.

JOHNNY (s’interposant arme au poing) – Mais c’est pas vrai ! ça suffit comme ça ! Personne ne va nulle part. Et que le droit de faire des retraits dans cette banque, c’est que nous qu’on l’a, parce qu’on est armé ! Vu ?... Assises toutes les deux !

Les deux employées obéissent.

 

 

SCENE 5

Tous (dont le commandant en “off“)

 

             Nouvel appel de la police au dehors.

LE CDT LEBREZE – Ici le commandant Lebreze de la police nationale. Ohé dans la banque ! Vous m’entendez ?

ALBERT – Lebreze ? Il est plus à Marseille ? Merde, fallait que je tombe encore sur ce flic de malheur !

LAURA – Vous connaissez ce flic ?

ALBERT – C’est sans importance.

LE CDT LEBREZE - Je m’adresse au directeur de l’agence. Veuillez nous ouvrir vos portes s’il s’agit d’une fausse alerte.

Johnny va entrouvrir la porte et tire un coup de feu en l’air vers l’extérieur.

JOHNNY – Comme ça au moins, ils savent que c’est pas une fausse alerte.

LE CDT LEBREZE – Restons calme, voulez-vous ! La banque et tout le quartier sont bouclés. Je vous invite à vous rendre.

LAURA – Bon alors qu’est-ce qu’on fait ?

LA DIRECTRICE – Il vient de le dire dans son mégaphone… Vous n’avez plus le choix.

GABRIEL – Ta gueule toi ! Il faut trouver un moyen de s’en sortir.

LAURA – Johnny… C’est toi le chef…

JOHNNY – Le chef, le chef… C’est quand même toi qu’est venue me chercher non ?

Mme LECOMTE – Comment ? C’est Fanny qui a eu cette idée de braquage ?

GERMAINE – Fanny ? C’est qui Fanny ?

LE CDT LEBREZE – Rendez-vous ! Vous êtes cernés !

JOHNNY (à Laura) – Putain ! On est mal ! Et tout ça pour prélever tes 123 456€, et pas un de plus !

Mme LECOMTE – 123 456€ ? C’est étrange ça 123 456€ !

MARTINE – Etrange, ça c’est sûr car il y a bien plus que ça dans cette agence… Surtout avec les coffres.

GERMAINE – Oh que oui ! (Fixant le caddy d’Albert sur le guichet.) Et pas que les coffres, hein monsieur Albert ?

ALBERT– Oh oui ! (Se ravisant et faisant signe à Germaine de se taire.) Enfin, je veux dire : peut-être… Euh non : je sais pas…

LAETITIA – Quand je pense à toute cette thune, alors que l’on me persécute pour un découvert de 456€,78 ! C’est une honte ! Et vous savez pourquoi on me persécute ?

JOHNNY – Ah que non, mais on va savoir !

LAETITIA – Et bien parce que je viens de la cité des alouettes et que je m’appelle Laetitia Benmalekoum. Voilà ! Avec un tel pedigree, on est considéré comme une merde.

JOHNNY – Benmalekoum ? T’es d’la famille à Mouloud Benmalekoum ?

LAETITIA – J’suis sa cousine et aussi sa voisine de palier.

LE CDT LEBREZE – Je répète : tout le quartier est bouclé. Vous n’avez aucune chance. Sortez les mains en l’air.

             Johnny retourne à la porte l’entrouvre et tire une nouvelle fois vers la rue.

JOHNNY (de retour, s’adressant à Laetitia) – Alors comme ça, t’es la cousine à Mouloud !

LAETITIA – Ben oui : comme ça, je suis !

JOHNNY – Un sacré marrant ton cousin ! On a passé 18 mois ensemble dans la même piaule.

GABRIEL – Tu crois pas que tu parles un peu trop là ?

LAURA – C’est vrai quoi ! Tu veux pas aussi donner ta carte de visite ?

JOHNNY – Ben quoi ? ça reste anonyme, j’ai même pas dit que Mouloud et moi on s’est connu en taule à Fleury.

GABRIEL – Et ben maintenant, tu l’as dit !

JOHNNY – Je l’ai dit ?

LAURA – Oui, tu l’as dit !

JOHNNY – Ah que le con !

LAURA – On te le fait pas dire.

GABRIEL – Tu fais chier Johnny, dès que tu vois une meuf un peu roulée, tu contrôles plus.

LAURA – C’est bien la peine de se donner de faux prénoms, si tu déballes ton pedigree à la première occase !

GERMAINE – Alors vos prénoms c’est des faux ! C’est comme à la télé ?

JOHNNY – Eux deux oui. Mais pas moi c’est vraiment Johnny que je suis. Je changerais de prénom pour rien au monde… (Il se met à chanter.) Les gens m’appellent l’idole des jeunes, il en est même qui m‘envient, mais ils ne savent pas dans la vie, que…

Mme LECOMTE (Interrompant le récital) – Oh, oh oh ! Résumons, donc lui c’est Johnny, la petite demoiselle qui se fait appeler Laura, c’est Fanny et le petit jeune homme là… C’est Renaud.

GERMAINE – Renaud ? Décidemment on reste dans la chanson !

JOHNNY (à Mme Lecomte) – Dis-donc toi la mémé, comment tu sais tout ça ?

Mme LECOMTE (elle s’est levée et menace) – La mémé ? Tu vas voir la mémé comment elle traite les malotrus dans ton genre !

LAURA – Alors tu nous as reconnus, Ginette ?

Mme LECOMTE / GINETTE – Pas difficile ! Ma petite Fanny, je reconnaîtrais ta voix entre mille et puis ta cicatrice sur la main…Tu te rappelles ? La bouilloire renversée le jour de tes 4 ans !

JOHNNY  - Ah que… On m’explique ?

Fanny enlève son masque.

GERMAINE – La p’tite Fanny !

MARTINE - La fille du cordonnier !

JOHNNY (à Fanny) – Eh ! Mais t’es dingue ?

FANNY – ça sert plus à rien ces masques !... Ginette a été ma nounou pendant… 8 ans.

GINETTE – Ta nounou pendant… 10 ans ! Mais tu as bien grandi depuis. Quand je t’ai reconnue, je me suis vite douté que c’était ton Renaud qui jouait au cow-boy avec toi. Enfin… En tout cas, tout ça n’est pas très raisonnable.

GABRIEL / RENAUD (il enlève son masque lui aussi) – Et merde ! Fait chaud là-dessous.

JOHNNY – Bon et ben si c’est comme ça… (Il enlève lui aussi son masque.)

GINETTE – Tiens ! On la connaît pas sa gueule à celui là !

JOHNNY – Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?

FANNY – Il est pas d’ici…. Je l’ai recruté sur internet… J’avais besoin d’un pro !

GINETTE – On peut recruter sur internet pour ce genre de service ?

JOHNNY – On peut ! www.pole-emploi-services-chelou . fr

GINETTE  (à Fanny) – T’aurais dû m’en parler… Avant.

FANNY – Tu aurais fait quoi ? La morale ?

GINETTE – Non, mais je t‘aurais au moins conseillé d’aller faire ton hold-up très loin d’ici…

MARTINE – C’est pas une nounou… C’est Ma Dalton !

GINETTE – Et puis cette idée de ne rafler que 123 456€ !

LA DIRECTRICE – Mais c’est déjà bien suffisant !

GINETTE – J’ai tout de suite fait le rapprochement !

GERMAINE – C’est quoi cette somme ?

GINETTE – Tout juste le montant qu’il faut à la grand-mère de Fanny pour éviter d’être expulsée de sa petite maison. Pas un sous de plus !

FANNY – Frais n’huissier inclus !

LAETITIA – Salauds d’huissiers !

LE CDT LEBREZE – Qui que vous soyez sortez les mains en l’air ou nous allons donner l’assaut.

JOHNNY (il sort vers la rue et chante “Requiem pour un fou“) – Je vous préviens n'approchez pas, que vous soyez flic ou badaud, ah que si vous essayez d’entrer, il y aura des morts.

Il revient.

GERMAINE - Des morts ? Mon dieu ! (Elle se met à hurler.)

FANNY – Oh ! Stop : c’est juste une menace. Pas question de violence, c’était convenu non ?

JOHNNY – Si on peut éviter… J’aimerais aussi.

 

 

SCENE 6

Tous (sauf le commandant)

 

  1. ALBERT (il lève le doigt) – Si je peux me permettre…

JOHNNY – Quoi ? T’as envie de pisser papy ?

  1. ALBERT – Pas pour l’instant. Mais je peux vous être utile.

RENAUD – Ah oui ?

ALBERT – J’ai déjà eu à gérer de telles situations…

JOHNNY – Un keuf à la retraite ! Manquait plus qu’ça.

  1. ALBERT – Keuf, keuf…. Pas vraiment… Disons… Enfin voilà : j’ai déjà vécu certains événements… Du même côté que toi mon gars.

GERMAINE – Quoi ?… Vous monsieur Albert !

MARTINE -  Et ben ça alors ! (Emoustillée, elle envoie un baiser à Albert.) Mon héros !

JOHNNY – Ben nous v’là bien… On a papy Mesrine pour nous sortir de cette merde !

  1. ALBERT – Dis-moi p’tit gars… Tes 2 ans de taule, c’était quoi  et pour quel bénéf ?

JOHNNY – Complicité dans un trafic de bagnoles de luxe volées… Hé… 90 000€ hein !

ALBERT – Donc si je compte bien  90 000€ pour 2 ans… Tu as pris un risque de 1 an de tôle par tranche de 45 000€… Minable !

JOHNNY – Minable ? Comment ça minable ?

ALBERT – Oui minable ! Et en plus tu t’es fait pincer. Pfff… Moi, je ne travaille pas… Enfin, je ne travaillais pas à moins de 2 millions d’euros par prestation.

GINETTE – Vous voulez dire qu’avant de décider de faire un coup vous calculiez la durée de tôle encourue en fonction de la recette ?

ALBERT – Vous avez-tout compris madame Ginette ! Il faut donc chercher la grosse recette en utilisant les moyens les moins pénalisants au cas où ça tourne mal.

GINETTE – ça c’est un homme !

MARTINE – Oh oui ! Un vrai.

ALBERT – Donc jamais d’arme, de violence…

GERMAINE – Arsène Lupin !

ALBERT – Non… Bébert l’arnaqueur, ça vous dit quelque chose ?

FANNY – C’est qui ?

GINETTE – Un gentleman cambrioleur qui a défié la police dans les années 80.

LA DIRECTRICE – Oh merde ! Vous monsieur Albert.

ALBERT – Eh ! Mais attention hein : je suis à la retraite.

GERMAINE – Y-a une caisse de retraite dans cette branche d’activités !

RENAUD – Vous avez jamais été pris ?

ALBERT – Les flics ont fini par m’identifier, mais aucune preuve… Que de la garde à vue et un peu de préventive. Jamais aucune condamnation !

GINETTE – Du grand art !

FANNY – Bon et ben, il nous conseille quoi « Bébert l’arnaqueur » ?

ALBERT – Et bien c’est délicat, mais j’ai une idée qui peut vous surprendre…

RENAUD – On écoute.

ALBERT – Et bien voilà : d’après ce que j’ai compris, tout le monde dans cette aventure semble se connaître une fois les masques tombés.

JOHNNY – Sauf moi !

ALBERT – Sauf vous en effet, mais bon… Je continue. L’intérêt de chacun maintenant est de s’en sortir d’abord libre, sain et sauf…

LA DIRECTRICE – D’abord libre, sain et sauf… Et ensuite ?

ALBERT – Ben… Libre, sain et sauf et aussi bien plus riche qu’avant.

GERMAINE – Comment ça “ bien plus riche qu’avant“ ?

ALBERT – Réfléchissez : il y a sans doute pas mal d’argent dans cette banque…

LA DIRECTRICE – Mais, mais, mais…

JOHNNY – Ta gueule !

  1. ALBERT – Alors soit on reste dans la situation actuelle, gangsters d’un côté et otages de l’autre… Soit…

LAETITIA – Vous nous donnez vos flingues et on inverse les rôles !

FANNY – Ah ! Ah ! Ah : Tu sais qu’t’es drôle toi ?

JOHNNY – Eh ! Sois gentille hein, c’est la cousine à mon pote Mouloud !

ALBERT – Donc : soit on reste dans la situation actuelle, soit on s’arrange gentiment entre nous tous… Tous complices.

GINETTE – Nique ta banque ! ça me plaît bien ça !

LAETITIA (toute émoustillée) – Oh moi aussi !

RENAUD – Ouais… Bonne idée mais concrètement : les flics sont dehors, ils ont bouclé le quartier et ils savent que nous sommes là armés avec des otages…

ALBERT – Ils ne savent pas qui est armé, ni même combien vous êtes…

RENAUD – Et ça change quoi ?

ALBERT – ça change que l’on peut  présenter les choses à notre façon, tous sortir de la banque et s’en mettre plein les poches.

JOHNNY – Ah que tu m’intéresses le Bébert.

LA DIRECTRICE – Mais, c’est l’argent du Crédit Régional des Vosges ! Vous n’avez pas le droit !

ALBERT – Attention, si un seul n’est pas d’accord c’est foutu… A moins de…

MARTINE – A moins de quoi ?

             Albert se lève et fait le geste de trancher la gorge de la  directrice.

JOHNNY (menaçant la directrice) – Ah que oui ! Y-a qu’à la flinguer !

LA DIRECTRICE – Me flinguer… Mais vous n’y pensez pas ! Me flinguer ! Mais, mais… Bon… Après tout… Ce n’est que l’argent de la banque.

ALBERT – Donc… (Interrogeant tout le monde du regard.) Tous d’accord ? (Ils acquiescent tous de la tête). Bon, voici mon plan

MARTINE (admirative) – Oh monsieur Albert !

ALBERT – Ecoutez-moi bien, tous ! Voilà la nouvelle donne : il y a un seul gangster qui est entré armé dans cette banque : vous Johnny !

JOHNNY – Moi ? Et pourquoi moi ?

ALBERT – Parce que vous êtes étranger à cette ville

RENAUD – Et Fanny et moi, on est quoi ?

ALBERT – Vous êtes deux otages. Votre présence dans une agence bancaire de votre ville de résidence n’étonnera personne, pas même les flics.

RENAUD – Mais je n’ai pas de compte dans cette banque moi. S’il me demande pourquoi je suis là ?

ALBERT – Tu réponds que tu venais te renseigner pour ouvrir un compte.

FANNY – Et moi aussi ?

GINETTE – Mais non chérie ! Tu leur dis que je t’ai demandé de m’accompagner ce matin… (Simulant) J’ai tant de mal à me déplacer seule !

ALBERT – Donc, Johnny est seul preneur d’otages.

GINETTE – C’est la réalité d’ailleurs, il est le seul à être armé !

GERMAINE – Comment ça ?

ALBERT – Ah ? Vous avez remarqué vous aussi ?

GINETTE – Ouais, le Johnny c’est un Beretta 9mm. Les deux autres c’est des Fisher Price catalogue noël 2012 (Adapter l’année.)

RENAUD – Bon, d’accord, d’accord… Et la suite du programme, monsieur Albert ?

ALBERT – Johnny négocie masqué avec les flics : il sort avec le magot et un otage pour couvrir sa fuite. Tous les autres : tous des victimes…

MARTINE – Des victimes… riches !

LAETITIA – Et mon découvert de 456,78€ ?

JOHNNY (lui caressant la joue) – N’y pense même plus chérie !

ALBERT - Faudra tous ensuite témoigner en sorte que Johnny ne soit jamais reconnu et retrouvé.

JOHNNY - Et si ça foire ton plan Bébert ?

GINETTE – Et bien Johnny, si ça foire… Les portes du pénitencier…

JOHNNY (il  chante) – … Bientôt vont se refermer, et c’est là que je finirai ma vie…

FANNY – Oui bon et bien tu la finiras tout seul hein !

LE CDT LEBREZE – Ecoutez-moi vous autres à l’intérieur ! Nous allons négocier : je vais entrer dans la banque, seul et sans arme.

JOHNNY (il sort de scène vers la rue) – D’accord mais à la moindre connerie, je descends un otage… Vous avez bien compris ?

LE CDT LEBREZE – OK, c’est bon. Je viens.

Johnny revient.

ALBERT – Merde, on n’a pas le temps de se préparer ! Bon Johnny, va falloir être ferme hein !

JOHNNY – T’en fais pas Albert, j’ai déjà vu à la télé !

ALBERT – A la télé ? Ouais bon… Eh Johnny !

JOHNNY – Quoi ?

ALBERT – Ton masque !

JOHNNY – Oh oui, merde ! (Il remet son masque.)

FANNY – ça craint !

ALBERT – Nous autres, pour faire plus vrai, couchons-nous tous par terre, les mains sur la nuque.

Fanny et Renaud balancent leurs armes par derrière le guichet. Tous sauf Ginette, assise, se couchent.

GINETTE – Vivre des émotions pareilles… A mon âge ! Allons… Ayons l’air terrorisée. (Elle tente plusieurs mimiques.)

 

 

 

ACTE 2

 

SCENE 1

Tous

 

Entrée du commandant Lebreze, il porte un imperméable (avec de nombreuses et larges poches pour le final). Johnny pointe son révolver sur le policier lui met les mains en l’air et palpe pour voir s’il cache une arme.

JOHNNY – C’est bon !

LE CDT – Je vois que vous êtes seul. Vous n’avez aucune chance !

JOHNNY – Vous savez bien que si. Et je ne suis pas seul, j’ai un ami précieux (Il montre son révolver.) et puis tous ces gens…

LE CDT – Que voulez-vous ?

JOHNNY – Sortir d’ici avec mon butin et un otage pour protéger ma fuite. Vous me fournissez un véhicule rapide et vous vous engagez à ne pas me suivre.

LE CDT – D’abord il faut me garantir que toutes ces personnes se portent bien et qu’il ne leur sera fait aucun mal.

JOHNNY – Constatez vous-mêmes : tout le monde est apte à réaliser les minima pour les jeux olympiques (Ginette se lève et trottine sur place en se tenant les reins.). La suite ne dépend que de vous commandant : parce que si vous faites traîner les choses jusqu’à la saint-glinglin… Je pourrais perdre patience.

LE CDT – Et si on accepte de vous laisser partir, on a quoi en échange ?

JOHNNY – Rien : je passe quelques frontières en gardant l’otage. Si tout se passe comme prévu je le libère ensuite sans violence. Vous avez la parole de Johnny.

LE CDT – C’est noté ? Je vous recontacte après en avoir référé à ma hiérarchie.

JOHNNY (au public) – Référé à qui ?

Le commandant sort tenu en joue par Johnny.

MARTINE (se relevant) – Putain ! ça marche ! Il a gobé le coup du gangster isolé.

ALBERT (se relevant tranquillement) – Bravo Johnny : bien négocié !

LAETITIA (debout d’un bon, admirative) – Oh Johnny, t’as été formidable !

Tous les autres se relèvent aussi.

JOHNNY (flatté, il enlève son masque) – Qu’est-ce tu crois ma poule !

RENAUD – Johnny ! Comment tu l’as bluffé le keuf !

GERMAINE (toute émoustillée) – Ah monsieur Johnny, monsieur Renaud, si j’avais 20 ans de moins !

RENAUD - Ah Germaine, si vous aviez 20 ans de moins (Il l’examine du regard.)… Enfin… 20 ans de moins ou même 30 !

Il saisit la main et la taille de Germaine – toujours accrochée à son sac -  et la fait danser en chantant sur la chanson de Renaud.

Germaine, Germaine, une java ou bien un tango, c’est du pareil au même, même pour te dire que je t’aime qu’importe le tempo. Germaine, Germaine, un rock and roll ou un slow, c’est du pareil au même, pour te dire que je  t’aime, et que j’ t’ai dans la peau, oh  oh !

ALBERT – Mais vous avez quel âge ? Attention, va falloir jouer serré, ce flic là, c’est pas un tendre. A la moindre erreur…

RENAUD – Vous le connaissez ?

ALBERT – Un peu mon n’veu… Mais bon… C’est du passé.

LA DIRECTRICE – Si je peux me permettre… En tant que directrice de cette agence, je suis un peu gênée de ce que vous proposez, parce que quand même…

RENAUD – Ah ? Elle est « un peu gênée »…

FANNY – Bah !…« Un peu gênée » ça doit pouvoir s’arranger ça non ?

GERMAINE – Ben mettez-vous à sa place… C’est délicat… Nous encore, les employées, ça passe, mais elle, la directrice en personne ! Cambrioler sa propre agence !

MARTINE – Si elle ouvre les coffres…  Comme ça… ça va paraître douteux.

JOHNNY – Comme ça ?... “Comme ça“… Comment ?

GERMAINE – Et ben spontanément … sans résister.

MARTINE – Ouais c’est vrai : pour pas que la directrice soit soupçonnée d’être complice, il suffit de la torturer un peu.

GERMAINE – Ouais, ça serait plus crédible !

LA DIRECTRICE – Plus crédible ? Comment ça plus crédible ?

GERMAINE – Avec des plaies, des bleus, du sang…

MARTINE – Ah oui… Là ce serait très vraisemblable.

LA DIRECTRICE – Mais de quoi je me mêle ?

GERMAINE – On pourrait lui brûler les orteils ?

MARTINE – Les orteils… Pour commencer.

GERMAINE – Arrangée comme çà, les flics n’y verront que du feu.

LA DIRECTRICE – Mais vous êtes folles ! Je ferai comme vous me direz : la caisse, le coffre dans mon bureau et la salle des coffres…

ALBERT – Très bien.

LA DIRECTRICE – Enfin, pour la salle des coffres… Enfin… Euh…

ALBERT – Quoi la salle des coffres ?

LA DIRECTRICE – Ben c’est à dire que les coffres… Les coffres… J’ai… Enfin… J’ose pas !

JOHNNY – Quoi les coffres ?… Parle ! Sinon… Tes orteils : pfuit !

LA DIRECTRICE – Ben… Il y a des coffres vides, enfin pas tous, hein ! Et puis d’autres seulement un peu vidés…

ALBERT – Quoi ?

JOHNNY – C’est quoi cette embrouille ?

LA DIRECTRICE – Vous savez… La crise ! Même pour un chef d’agence les temps sont durs ! Très très durs même… Vous pouvez pas imaginer !

LAETITIA – Oh que si que j’imagine moi ! Si tu veux on échange et tu te démerdes (Elle sort la lettre qu’elle a en poche.) avec les relevés de compte et les lettres de rappel que tu m’envoies régulièrement !

MARTINE (à la directrice) – Quoi ? Si j’ai bien compris : vous piquez le pognon des clients dans les coffres ?

LA DIRECTRICE – Ah non ! Je pique pas : j’emprunte : nuance !

GERMAINE (tutoyant la directrice) – Nuance ? Mon cul ! Quand je pense comment qu’tu nous fais chier les soirs où on a 3 centimes d’erreur dans nos caisses !

LAETITIA – Et moi pour mon découvert ! Ah l’enfoirée !

GERMAINE – Jamais elle veut nous compter la moindre heure sup.

MARTINE  (à la directrice) - Eh ben la ma vieille, désormais tu vas plus y échapper. ! Déjà là ce soir, otages ou pas otages, Germaine et moi, ça fait déjà … (Elle regarde sa montre.) 18 minutes et 47 secondes qu’on devrait être partie.

GERMAINE – Et tout ça payé double ! Triple si c’est compensé en RTT.

MARTINE – Travaillez plus pour gagnez plus, ça c’est un slogan qui pourrait marcher !

FANNY (à la directrice) – Mais au fait, vous… Pourquoi vous nous avouez cette histoire de fric piqué dans les coffres ? Après tout, on ne sait ni ce qu’il y a dans les coffres, ni ce qu’il y manque…

On n’y aurait vu que du feu nous à vos… vos  “emprunts“ !

GINETTE – Que du feu, que du feu… A moins qu’il y ait ici quelqu’un qui ait un coffre au sous-sol et qui puisse s’apercevoir qu’il y a eu un vol…

LA DIRECTRICE – Mais non pas un vol, voyons ! De petits emprunts ! Juste de petits emprunts !

GINETTE – Des emprunts dont certains dans le coffre de quelqu’un qui est ici ! Monsieur Albert par exemple ?

ALBERT – Mon coffre ! Ah la salope !

             Albert se précipite sur la directrice.

LA DIRECTRICE (fuyant devant Albert) – Des emprunts ! Ce ne sont que de tout petits emprunts !

GINETTE – Eh oui ! Dans le coffre de monsieur Albert ! (Triomphante.) Je m’en doutais : emprunt dans le mille !

La situation libère  les rancoeurs internes à la banque.

MARTINE – Vas-y Albert ! Attrape- la !

GERMAINE – Ouais, Pète lui la gueule : 30 ans de boulot, on en a vu défiler des chefs d’agence !

Mais une pareille tortionnaire : jamais !

RENAUD (il peut chanter)  – Jamais vu pareille tortionnaire, à part peut-être madame Thatcher !

LA DIRECTRICE  – Au secours ! Je vais rembourser, je vous promets, je vais rembourser !...

MARTINE – L’écoute-pas Albert, saigne la !

JOHNNY (il s’interpose avec son révolver) – Oh oh oh ! On se calme !

GINETTE – Voyons… Monsieur Albert. Vous ! Bébert l’arnaqueur, 15 ans d’exploits et de cavale, sans jamais la moindre menace, jamais la moindre violence… Et là…

ALBERT (reprenant son calme) – Pardonnez-moi ! Sans doute le fait de me trouver cette fois dans le rôle du pigeon… Insupportable !... (A la directrice.)  Tu m’as piqué combien ?

LA DIRECTRICE (prostrée dans un coin) – Ben… Faut que je regarde mon carnet … (Elle sort un carnet de sa poche devant les autres éberlués.)… Voyons, voyons… (Ragaillardi.) Voilà, voila ! Alors : Mazzoli Alberto, coffre D42… 300 000€ !

ALBERT– 300 000€ ?… Bon ça va encore ! Ouf !

JOHNNY – Quoi ? Cette malhonnête te plombe de 300 000€ et toi tu dis “ça va.“, “Que 300 000€“ ?

MARTINE – Mais vous avez combien dans votre coffre, monsieur Albert ?

GERMAINE (désignant le caddy d’Albert) – Et pas que dans le coffre, il y a aussi là d’autres…

ALBERT (coupant brutalement Germaine) – Je ne sais pas… J’aime l’argent, vous savez… Et comme on dit : “ Quand on aime, on ne compte pas. “

Pendant que le dialogue continue, Albert déplace  négligemment son caddy vers l’avant scène, symétriquement à l’opposé de celui , identique, de Ginette. Il se positionne devant pour le dissimuler. Germaine et Martine suivent l’opération avec attention.

LA DIRECTRICE (fière et guillerette) – C’est pas comme moi ! Je compte tout dans mon carnet…  Enfin, je veux dire…

JOHNNY – Ta gueule !

Johnny  attrape le carnet et le balance par terre. Discrètement,  Martine le ramasse.

 

 

SCENE 2

tous sauf le commandant

 

MARTINE – Ouais tout ça, c’est bien joli, mais il y a une faille dans ce plan. Réfléchissez : si Johnny se tire avec tout le magot, et s’il disparaît à jamais au Paraguay ou à en Terre Adélie ?

GERMAINE – On n’a qu’à partager le butin avant, ici.

FANNY – Mais c’est complètement con !

ALBERT (à Germaine et Martine) – Vous nous voyez sortir, les poches pleines de billets, de bijoux,  emmenés au commissariat et interrogés un par un…

LAETITIA – Interrogés ? Mais on n’a rien fait !

  1. ALBERT – Interrogés comme témoins, vous devrez faire une déposition et on vous demandera des détails pour aider à identifier et retrouver Johnny.

LAETITIA – Mais je veux pas moi, qu’on le retrouve… (Rêveuse.) Enfin, si… J’aimerais bien, mais pas pour le mettre en prison quoi !

JOHNNY – Enfin ça dépend ma poule… En prison avec toi : ah que ça j’veux bien.

GERMAINE – Eh ben manquait plus que ça. Johny et Laetitia… Fallait s’y attendre. (Au public.) Eh… On vous avait prévenus vous qu’c’était une comédie “people“ ?

ALBERT – Bref ! Si on sort tous avec les poches pleines, sûr qu’il y en aura au moins un ou une qui se fera piquer avec le flic par les frics… Euh…

MARTINE – Avec le fric par les flics.

ALBERT – Merci. Et ensuite ils fouilleront tous les autres. Je vous dis pas !

GERMAINE (son sac à main serré sur son cœur) – Et… Ils fouilleront aussi les sacs ?

ALBERT – Evidemment, les sacs aussi.

MARTINE – Bon, pas le choix ! C’est d’accord : Johnny part avec tout le pognon… Mais ça m’empêche pas d’angoisser.

JOHNNY – Johnny, il est réglo.

LAETITIA – Et tellement beau ! Tellement fort !

MARTINE – Je préférerais une garantie !

GERMAINE – Eh ben il n’a qu’à nous signer une reconnaissance de dette.

FANNY – Bravo et s’il s’évapore avec tout le fric, on va déposer plainte à la police. Non mais tu vois le trip (Elle s’adresse alors à Renaud qui entre dans le jeu et dans le rôle de l’agent.)

Bonjour, monsieur l’agent,

RENAUD – Ouais !... C’est pour quoi ?

FANNY - Excusez-moi d’interrompre votre partie de belote, mais voilà : c’est au sujet du type qui s’est tiré avec le butin de  ……………….. (Nom de la banque.)

RENAUD- Je sais, Interpol le recherche depuis 6 mois. Pourquoi ? Vous avez des infos à son sujet ?

FANNY - Oh que oui ! On était tous complices et d’accord pour partager, mais il est parti avec tout le pognon et depuis 6 mois,  on est comme vous et vos collègues : rien, pas un SMS, pas un coup de fil, pas une lettre… Non mais vous vous rendez-compte ?

RENAUD - On peut plus faire confiance à personne hein ? Bon vous avez une preuve de ce que vous avancez ?

FANNY - Oui évidemment, tenez, regardez : il nous a signé une reconnaissance de dette.

RENAUD - Ah c’est bien ça, une  reconnaissance de dette !

FANNY - Il a signé, il s’est envolé et puis silence : non mais : dans quel monde on vit !

RENAUD - Ah, ma pauv’ dame ! si vous saviez ce que je vois tous les jours ici… Bon alors pour votre escroquerie, je suppose que vous voulez porter plainte ?

FANNY - Evidemment !

RENAUD - Bien, prenez donc une chaise, voilà… Et vous remplissez cet imprimé, en lettres capitales s’il vous plaît.

ALBERT – Bon… Soyons sérieux : j’aime assez l’idée de garantie, mais quoi ?

             Tous regardent Johnny. Renaud s’avance et palpe le cuir du blouson de Johnny.

RENAUD – T’as un blouson, mecton, il est pas bidon ! (Il peut chanter.) Moi j’me les gèle sur mon scooter, avec ça j’s’rai un vrai rocker !

JOHNNY – Quoi ? C’est mon blouson qu’vous voulez ? J’ vous préviens : il est pas de la dernière fraîcheur… (Renaud palpe le pantalon de Johnny.) Mon futal ? Eh, fais pas le con… Pas le futal hein !

RENAUD – Eh mais t’as l’même blue jean que James Dean, t’arrêtes ta frime, j’parie qu’c’est un vrai Lévy Strauss, il est carrément pas craignos !

JOHNNY – Ah que laisse béton mon futal !

FANNY – Vous n’avez pas fini vos conneries non ? Vous croyez qu’c’est le moment ?

RENAUD – ça y est, la garantie : j’ai trouvé !

FANNY – Quoi encore ?

RENAUD (à Johnny) - Fais voir ce que tu m’as montré l’autre jour, tu sais bien…

JOHNNY – Quoi ? La photo ? Ah non hein ! Déconnez-pas : pas la photo !

ALBERT – Une simple photo en garantie ?

JOHNNY – Une simple photo ? Eh dis-donc Papy, ma photo c’est un original de Johnny en 1964, en tenue de soldat du 43ème régiment de blindé à Offenbourg, dédicacée : “ à Sylvie pour la vie“.

FANNY – Et c’est une garantie ça ?

RENAUD – A nos yeux à nous : non…

ALBERT – Je confirme.

RENAUD – Mais pour lui… C’est sa fierté, sa peluche, son doudou, son trésor…

JOHNNY – Jamais je donnerai ma photo de Johnny, soldat en Allemagne en 1964 au 43ème…

FANNY – Dédicacée « à Sylvie pour la vie », on sait ! Mais on te la rendra ta photo ! Ces messieurs dames et nous-mêmes récupérerons notre part du butin et on fera l’échange pognon contre photo.

JOHNNY – Oui mais en attendant, comment je vais m’endormir chaque soir, sans pouvoir regarder ma photo de mon Johnny ?

LA DIRECTRICE – Si je peux me permettre… Et si on faisait une photocopie ?

ALBERT – Eh ben voilà ! On fait une photocopie et le tour est joué !

JOHNNY – C’est pas pareil, mais bon… Oui mais couleur hein la photocopie ?

LA DIRECTRICE – Evidemment ! (Elle tend la main à plat pour inviter Johnny à lui remettre la photo.)

JOHNNY (soupir) – Voilà !

             La directrice s’éloigne vers la porte de son bureau.

ALBERT - Je vous accompagne… (Aux autres.) Précaution : on ne sait jamais.

LA DIRECTRICE – Je croyais qu’on était complice ?

  1. ALBERT – Ouais, mais il y a complice et complice…

MARTINE – Ouais, faut pas confondre les honnêtes gens comme nous avec les escrocs ! Hein ?

GERMAINE -  Ouais ! Faut pas confondre.

             Albert et la directrice sortent.

JOHNNY – Tout ça c’est bien beau, mais qui c’est qui voudra faire l’otage avec qui que je partirai.

LAETITIA (enjôleuse) – Oh, ben moi, j’ai toujours rêvé d’être otage entre les mains d’un homme, beau, grand, viril… (Lyrique.) Oh Johnny ! Tu voudrais bien m’emporter avec toi dans tes aventures ?

JOHNNY – Ah que tu me demandes si je veux ?

MARTINE – Je me demande s’il a encore besoin de “sa photo de son Johnny“ pour s’endormir chaque soir…

 

 

SCENE 3

Tous

 

Nouvel appel du commandant depuis la rue.

LE CDT LEBREZE – Ici le commandant. J’ai des nouvelles pour vous. Je vais entrer à nouveau. Toujours sans arme.

FANNY – Vite, faut se remettre en situation : tous couchés !

A l’exception de Ginette, ils se jettent tous à terre et, dans l’élan, même Johnny aux pieds de Ginette.

             Lebreze entre et décontenancé cherche du regard  son interlocuteur…

LE CDT  (à l’ensemble des otages) – Euh… Vous êtes seuls ?

GINETTE (donnant de petits coups de pied discrets à Johnny pour qu’il se relève) – Qui ça nous ?

LE CDT – Ben oui… Votre gangster, il est où ? Il est parti ?

GINETTE – Mais non, mais non (Y allant  cette fois de bon cœur pour taper Johnny du pied.), cherchez mieux commandant !... (Elle finit par appeler.) Johnny !

JOHNNY – Oui ! Ah que je suis ici ! (Il lève le doigt puis se relève.)

LE CDT (ébahi) – Hum, hum… Vous… Vous vous allongez avec vos otages ?

JOHNNY – Euh, oui, oui. Pour les surveiller de plus près. (Se relevant.) Alors quoi de neuf commandant ?

LE CDT – Ah ? Etrange ! Bon, pour votre véhicule, c’est d’accord, il est devant la banque. Mais attention ! Vous ne devez emmener avec vous qu’un seul otage.

JOHNNY – C’est ce qui était prévu.

LE CDT – Nous avons contacté le siège régional de la banque qui demande à la directrice de cette agence de servir d’otage dans votre fuite.

LAETITIA – Ah mais non ! (Elle se lève.) C’est Johnny qui choisit son otage ! Hein Johnny ?

JOHNNY – Euh… Ah oui évidemment !

LAETITIA – Et c’est moi qu’il a choisie ! Hein Johnny ?

Retour d’Albert et de la directrice.

JOHNNY – Ah oui !... (Au public.) Faut dire qu’entre Laetitia et la directrice, y-a pas photo !

ALBERT – En parlant de photo (il tend la copie à Johnny.), voici la photocopie.

LE CDT (stupéfait) – Albert Mazzoli ! ça alors !

ALBERT (surpris et gêné) – Inspecteur Lebrezze !

LE CDT – Commandant Lebrezze !

ALBERT - ... Euh… Et bien quelle surprise commandant !

Le CDT – ça fait combien d’années ?

ALBERT – 20 ?... 21 ? Plus ?

LE CDT – Ouais c’est à peu près ça. Et comme par hasard, voilà que je te retrouve ici en plein braquage. Armes à feu, prise d’otages : t’as drôlement changé tes méthodes, Albert.

ALBERT – Vous vous méprenez inspecteur, je…

LE CDT – Commandant !

ALBERT – Oui, bon… Vous vous méprenez commandant : je ne suis qu’un otage parmi d’autres.

LE CDT – C’est ça ! Et tu te ballades librement dans la banque en compagnie de la directrice et avec la bénédiction du braqueur ?

ALBERT – Juste pour faire des photocopies !

LE CDT – ça confirme ce que je pense ! (Il s’empare de la photo originale de Johnny entre les mains d’Albert.)… Tiens donc !… (Il examine la photo.) Merde c’est l’original ! Et en plus recel d’objet de collection volé !

ALBERT – Quoi ?

LE CDT – C’est ça joue au con : on va être deux et t’es pas sûr de gagner !

ALBERT – Mais qu’est-ce que j’en ai à faire moi de cette photo minable !

JOHNNY – Hein ? Minable ma photo ? Celle de mon Johnny en 1964 sous l’uniforme du 43° régiment de blindés…

ALBERT – Oui, bon… C’est quand même qu’une photo, merde !

LE CDT – Une photo achetée aux enchères, il y a 6 mois, 35 000€ par un collectionneur - Encore un maniaque de Johnny ! - auquel elle a été dérobée le mois dernier.

ALBERT – 35 000€… La photo ?

JOHNNY – Ah : vous voyez !

LE CDT – Et je vous dis pas ce que ça doit coûter aujourd’hui que Johnny est décédé, le double ? Le triple ?

JOHNNY – Mon Johnny, il est pas décédé, il est comme ses chansons, immortel, commandant. (Il se met à chanter et à imiter) :

Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du blues,

Les mots ne sont jamais les mêmes pour exprimer ce qu’est le blues.

J'y mets mes joies, j'y mets mes peines, et tout ça, ça devient le blues
je le chante autant que je l'aime et je le chanterai toujours !

Johnny se met à pleurer.

LE CDT – Oui, bon… Le plus étrange c’est que ce collectionneur détenait aussi un tableau de maître bien plus précieux encore que cette photo et que le tableau n’a pas été emporté.

JOHNNY – Un tableau de maître ?

LE CDT – Oui un Toulouse Lautrec.

ALBERT – Ah quand même !

LE CDT – Dites-moi, euh… Johnny, vous pensez quoi vous de Toulouse Lautrec ?

JOHNNY – Toulouse Lautrec ?... Ah que je crois que c’est Toulouse qui va gagner.

LE CDT (au public) – Voilà qui peut expliquer l’indifférence envers le tableau et le seul vol de la photo. (A tous.) Bon, laissons cela de côté pour l’instant et revenons en à “Monsieur Albert“.

ALBERT – Je vous jure, commandant, je n’ai rien à voir dans aucune de ces affaires.

LE CDT – Ecoute Albert, mets toi à ma place :

1 – Je te retrouve libre de tes mouvements sur les lieux d’un braquage.

2 – Tu as entre les mains une photo de collection volée,

Et 3, surtout 3…

ALBERT – Quoi encore ?

LE CDT – Et bien 3 : hier à 19h, à la fermeture de l’hippodrome de …………………., la recette des courses… Envolée, sans arme, sans violence…. Une arnaque huilée comme un moteur de Formule 1… Je me suis dit : “Tiens, Bébert l’arnaqueur a trouvé un successeur.“  Mais puisque te voilà, dans le secteur en chair et en os, je serais plutôt tenté de croire que t’as repris du service.

ALBERT – Moi ? Mais je suis à la retraite… Un honnête retraité ! Voilà qui vous êtes en train de tourmenter, commandant.

GERMAINE – Et… On a piqué combien à l’hippodrome ?

LE CDT – Pas loin de 2,5 millions d’euros.

MARTINE – 2 millions 450 mille !

LE CDT – Précisément ! Le voleur, déguisé en vieille femme, a emporté le butin dans un caddy……………………………………….. (Description du caddy)… Tiens comme celui-là !

En entendant ces mots, Germaine et Martine se relèvent et imitées par Albert se positionnent devant le caddy d’Albert pour le dissimuler.

LE CDT – Bon où en étions-nous ?

GINETTE – Vous en étiez à soupçonner ce gentleman d’avoir volé hier soir une fortune au champ de courses.

Tout en parlant, le commandant, quant à lui, examine le dessus du contenu du  caddy  de Ginette (quelques fruits ou légumes qu’il remet en place).

LE CDT – Affirmatif.

GINETTE – Eh bien sachez, commandant, qu’hier soir à 19h, j’avais invité mon aimable voisin, monsieur Albert, pour le souper. Et… Il est arrivé à l’heure.

ALBERT – Comment pourrait-on arriver en retard pour déguster votre fabuleux boudin aux pommes, chère amie ? (Il prend la main de Ginette et y dépose un baiser.)

GINETTE – Ah ça ! Mon boudin aux pommes… (Ne supportant pas ce plat Elle fait la grimace.)

C’est quelque chose hein !

LE CDT – Bien, bien je prends note de cet alibi.

 

 

SCENE 4

Tous

 

Renaud et Fanny se relèvent : ils sont désormais tous debout, sauf Ginette, assise.

JOHNNY – Ah que si on s’intéressait d’abord à ce qui se passe ici et maintenant ?

LE CDT – Oui et bien justement, vous ! Je trouve vos méthodes bien étranges : vous vous couchez par terre avec vos otages, vous laissez d’autres otages se balader sans surveillance, vous faites joujou avec la photocopie d’une photo de Johnny, l’une de vos otages se démène pour rester otage dans votre fuite…

JOHNNY – Nouvelles méthodes, le progrès commandant !

LE CDT – Le progrès ? J’en ai déjà vu pas mal dans ma putain de carrière de flic, mais là, effectivement, avec vous je me sens vieillir d’un coup.

JOHNNY – La nouvelle technique c’est de travailler en confiance avec les otages.

LE CDT – Ouais, je vois … Généralement ça ne fonctionne qu’après que l’otage ait été détenu des mois durant. On appelle ça le syndrome de Stockholm

JOHNNY – Ah ? Je savais pas. Remarquez c’est normal : j’ai jamais été au Canada.

LE CDT -  Stockholm au Canada ? Bon, après tout… J’ai pas écouté les infos ce matin, alors… Pourquoi pas ?

LAETITIA – Bon et pour l’otage qui doit partir avec Johnny, on fait quoi ? C’est l’autre bourgeoise qui dirige la banque ou c’est moi ?

LA DIRECTRICE – Moi ! Partir comme otage avec cet individu ? Jamais !

LE CDT – C’est votre direction qui le souhaite. Très bon pour l’image de la banque, qu’ils ont dit.

LA DIRECTRICE – Ben tiens ! C’est facile depuis là haut, les pieds sur la moquette ! Ils vont se faire de la pub sur mon dos en faisant de moi une martyre.

LAETITIA – Eh ben moi, je veux bien devenir la martyre de Johnny ! Hein Johnny ?

LA DIRECTRICE (sautant sur la proposition) – Ah ! Vous voyez le choix est déjà fait. Cette demoiselle a décidé d’être martyre à ma place. Respectons sa dern… sa volonté.

MARTINE – Je ne vous comprends pas Laurence, vous avez l’occasion de voyager et…

LA DIRECTRICE – Laurence ? Mais… Depuis quand êtes-vous autorisée à m’appeler par mon prénom ?

GERMAINE – On s’autorise toutes seules, depuis qu’on sait que tu passes… Comment dire ?...  Oui, “l’aspirateur“ dans les coffres des clients. Et je pense comme Martine, qu’après de longues soirées, enfermée seule dans la salle des coffres, un voyage te ferait le plus grand bien. (Au public.) Et à nous aussi !

MARTINE (prenant les autres à témoin) – C’est vrai quoi ! Regardez comme elle est pâlotte ? Allez Laurence, vas-y ! Réfléchis… L’Italie, l’Autriche, la Hongrie,…

GERMAINE – La Syrie, l’Iran, la Lybie, l’Afghanistan, la bande de Gaza…

MARTINE – Rencontrer de nouvelles personnes !

GERMAINE – Des Djiadistes, des Talibans,…

GINETTE – Ou pire : des supporters du PSG en déplacement…

LA DIRECTRICE – Mais il n’en est pas question. Je suis certaine qu’il y ici des personnes qui ont un bien meilleur profil d’otage que moi ! N’est-ce pas mademoiselle ?

LAETITIA – Ah ça, oui ! Et puis j’ai jamais voyagé moi, à part une fois, j’ai été ……… (Fête, kermesse, événement régional…).

Oh Voyager ! Comme ça s’rait cool !… Et avec mon Johnny !

LA DIRECTRICE – Bon, et bien, je crois que l’affaire est réglée non ?

LE CDT – Bon, on n’est plus à une bizarrerie près : va pour mademoiselle. J’expliquerai ça à votre banque et à ma hiérarchie.

JOHNNY – A qui ?

RENAUD – Laisse béton !

LE CDT – Bien la voiture est devant la porte, c’est quand vous voulez.

JOHNNY – Laissez nous une heure : le temps de faire mes adieux, vous comprenez ?

LE CDT – Euh… Non pas vraiment. Mais plus rien ne m’étonne. OK, on dit une heure.

Il sort visiblement décontenancé par la tournure des évènements.

JOHNNY – Allez ! On a une heure pour vider les coffres et remplir nos sacs

Il sort quelques sacs contenus dans ceux avec lesquels les gangsters sont entrés dans la banque.

ALBERT – Y’en a pas assez !

MARTINE – Ben vous en faites pas Laurence va nous prêter des sacs et des valoches ? Hein Lolo ?

LA DIRECTRICE – Euh… Bien sûr, bien sûr…Par ici, par mon bureau, je prends tous les jeux de clés en passant.

GINETTE – Je vous laisse, j’ai plus l’âge pour une telle effervescence.

Sauf Ginette, ils sortent tous (avec les sacs), excités, vers le bureau.

Ginette se lève, vérifie qu’elle est seule. Puis, elle prend son caddy et l’amène à côté de l’autre caddy, celui d’Albert, de l’autre côté de la scène. Elle échange revues, pain et légumes qui dépassent de son caddy avec les journaux qui couvrent les liasses dans le caddy d’Albert. Prendre soin de placer une pomme bien en évidence au dessus du caddy avec lequel  Ginette repart s’asseoir… Celui contenant bien évidemment au fond  le pognon.

GINETTE (au public) – Eh ! On sait jamais hein… Des fois que le partage du contenu des coffres ne se fasse pas comme prévu… Comme on dit hein : “c’qui est pris n’est plus à prendre !“

Rideau

 

 

ACTE 3

 

SCENE 1

Tous sauf le commandant

 

Tous les personnages sont sur la scène, encombrée de valises et de sacs pleins à craquer.

ALBERT – Si c’est pas malheureux, cambrioler son propre coffre ! ça me rend malade, tiens !

RENAUD – C’était ça ou endosser le blaze de suspect number one… Un seul coffre épargné et le vôtre…

FANNY – Déjà que ce commandant a des doutes sur votre présence ici…

MARTINE – Voyons, Albert, vous n’avez pas tout perdu : Il y a moi ! Et puis… (Se lovant contre lui.) Il nous reste votre caddy.

ALBERT –  Comment ça : il nous reste mon caddy ?

MARTINE (plus aguicheuse que jamais) -  Eh bien voilà : pour finir, disons qu’il nous reste, notre caddy.

ALBERT (très troublé et le regard fixé sur le décolleté de Martine) – Tous ces articles possessifs, c’est bien trop compliqué pour moi.

JOHNNY – Bon et ben je crois que c’est l’heure d’y aller  hein ! (Il saisit un gros sac, révolver dans l’autre main.)

LAETITIA (exaltée) – Oh oui, oui, oui ! On y va ! (Elle empoigne le maximum de sacs.) Allez vous autres : aidez-nous !

Renaud et Albert  empoignent les autres sacs.

             Ils  sont sur le point de sortir, lorsque Laetitia s’arrête.

Bon allez… On va quand même pas se quitter sans s’embrasser, non ?

Elle pose ses sacs, imitée par Johnny, qui  soupire. La conversation se poursuit tandis que tout le monde embrasse les deux partants de plus ou moins bonne grâce.

GINETTE – Et où c’est-y qu’vous allez avec toutes nos liasses ?

LAETITIA - ça mamie c’est un secret…

JOHNNY (reprenant son chargement) - Monsieur Albert nous a donné l’adresse d‘un pote à lui. Mais on sait pas encore tout à fait par où qu’on va passer.

Laetitia, Albert et Renaud reprennent leurs sacs.

LAETITIA – On décidera en route, c’est l’aventure !

JOHNNY (il sort en chantant, suivi par les autres) – L’aventure, c’est l’aventure, elle est pareille à l’am’ur, elle est en moi pour t’uj’urs…

LAETITIA - J’ai l’impression de partir en voyage de noces ! (Elle saisit son petit  sac.) On vous enverra des cartes postales.

  1. ALBERT – Mais surtout pas, malheureuse : Rien ! Pas un mot ! Juste en cas de nécessité, par téléphone au numéro de mobile que j’ai donné à Johnny et toujours depuis des cabines publiques.

JOHNNY – T’en fais pas Albert, je vais gérer.

             Johnny et Laetitia sortent, accompagnés  par Albert et Renaud pour aider à porter.

 

 

SCENE  2

Tous sauf Johnny et Laetitia

 

FANNY – Elle vous inquiète pas vous la p’tite Laetitia avec son “voyage de noces“.

GERMAINE – Ouais : voyage de noces… Avec notre pognon !

LA DIRECTRICE - Oui ? Enfin… Notre pognon… Faut pas trop exagérer…

MARTINE – Mais qu’est-ce qu’elle la ramène encore elle ?

LA DIRECTRICE – Changez de ton, je vous prie, je suis votre chef d’agence !

GERMAINE – Chef d’agence ? Mata-Hari ! Escroc ! Mafieuse !

MARTINE – Ouais ! Et à partir de maintenant faudra voir à plus nous traiter comme des merdes. Et respect à 150% du droit du travail. Sinon…

LA DIRECTRICE – Sinon quoi ? Vous appelez l’inspection du travail ?

MARTINE – Non, mieux que ça : on appelle le siège de la société à …… …….., et on leur parle de vos “emprunts“ dans les coffres.

LA DIRECTRICE – Les coffres ont été vidés lors du hold-up… Hé hé… Rien ne prouve que je suis un peu passée avant.

MARTINE – Un peu passée avant ? Un peu, un peu ?… (Elle exhibe le petit carnet) Voici un joli petit carnet avec votre belle écriture… Voyons voir… (Elle feuillète au hasard et lit. On peut intercaler - Comme dans l’exemple suivant - le nom d’une personnalité, ou quelqu’un de votre commune…) : Bernard Laurent coffre F28 : 7000€ le 3 juin 2005 – Louise Weber coffre H32 : 10 000€ le 7 juillet 2006 – Eric Woerth coffre B18 : 285 000€ le 20 janvier 2007…)… Je continue ?

LA DIRECTRICE – Salope !

MARTINE –  Et t’as intérêt à nous payer nos heures sup d’aujourd’hui hein… Grosse conne !

GERMAINE – Ouais, parce que otages ou pas, nous, on s’en tape ! ça fait déjà une paille qu’on devrait être rentré à la maison. Ripouze !

GINETTE – Et ben ! Chaud la banque !

             On entend la voiture de Johnny qui démarre. Albert et Renaud reviennent (s’ils sont sortis).

ALBERT (inquiet) -  J’espère que ce Johnny va être à la hauteur !

RENAUD – Stressez pas Albert, il va assurer !

MARTINE (se collant contre Albert) – Ah ! Mon cher Albert, connaissez-vous la dernière bonne nouvelle qui va faire fructifier notre patrimoine ?

ALBERT – Notre patri… Non, non. De quoi s’agit-il ?

MARTINE – Eh bien, notre directrice, enfin notre chère Laurence, a décidé de renoncer à sa part du butin. On partagera en 8 au lieu de 9 !

RENAUD – Ah bon ? Curieux.

ALBERT (à Laurence) – Qu’est-ce qui vous prend ?

RENAUD – ça ne lui ressemble pas !

LA DIRECTRICE – Eh bien je me suis dit… Enfin…

MARTINE (montrant le carnet) – On t’écoute chérie !

LA DIRECTRICE – Vu que je…Que j’ai… Il serait mieux en définitive… Je me suis dit… J’ai pensé que ce serait moins… Ou même plus…

GERMAINE – Tu vas causer oui ou merde ?

LA DIRECTRICE – Ne me brusquez pas, je vous prie ! Donc voilà : je me suis dit qu’en tant que directrice de cette agence, il serait malhonnête que je profite de la situation.

GERMAINE (au public) – Ben tiens ! Pensez donc ! La malhonnêteté, c’est point son genre à not’ Laurence !

MARTINE – Ouais… (Montrant le carnet.) Et t’aurais pas un autre motif pour renoncer au partage ?

LA DIRECTRICE – Ah oui… J’allais oublier… Il est vrai aussi qu’ayant déjà été amenée à pratiquer certains emprunts dans les coffres…

GERMAINE – Des emprunts ! (Rire forcé.) Ah, ah ah…

MARTINE – Lesquels “emprunts“ ne seront jamais remboursés…

LA DIRECTRICE – Notez que je le regrette !

GERMAINE – Ta gueule !

MARTINE – Lesquels “emprunts“ ne seront jamais remboursés puisque le hold-up va tout effacer. Donc… (Elle regarde la directrice pour l’inviter à continuer.)

LA DIRECTRICE – Donc, euh… Je me suis dit que… Que j’avais déjà touché ma part du butin.

MARTINE (Consultant le carnet) – Ouais ! 2 millions 668 mille euros d’emprunts au total.

ALBERT – Ah quand même !

RENAUD – La vache !

GINETTE – Ouais ! Et puis… Diviser par 8 au lieu de 9,  c’est bien plus facile. Tiens c’est comme pour couper une tarte, et bien c’est quand même…

Le commandant entre avec une mallette contenant le matériel pour enquêter (appareil photo, relevés d’empreintes…)

LE CDT – Mesdames, messieurs, je suis heureux du dénouement de cette prise d’otage. Madame la directrice, je vais vous demander de nous donner toutes les clés et tous les codes de votre établissement afin que nous puissions commencer l’enquête puis poser des scellés.

.LA DIRECTRICE – Bien commandant, Je vous apporte tout ça dans un instant.

Elle sort vers son bureau.

LE CDT – Vous autres, mesdames et messieurs, je vous propose de rentrer chez vous et de vous reposer après l’épreuve que vous venez de vivre. Je vous demande d’être tous demain matin à 9 heures précises au commissariat pour prendre vos témoignages.

Tous sauf Albert  et le policier commencent à quitter la banque, dont Ginette avec son  caddy.

MARTINE – Nos témoignages sur quoi ?

LE CDT – Sur la tenue du gangster, ce Johnny, ses attitudes, tous les détails utiles au cas où il viendrait à échapper à notre surveillance.

GERMAINE – Ah parce que vous le surveillez ?

LE CDT – Evidemment ! On a mis un mouchard qui nous permet de localiser la voiture en permanence  par satellite, ainsi qu’une caméra et un micro.

FANNY – C’est dégueulasse ! Enfin, je veux dire… C’est normal, (Moue.) c’est génial.

Elle sort la dernière.

Il ne reste qu’Albert et le commandant.

 

 

SCENE 3

Le commandant, Albert

 

ALBERT – Remarquez, ce Johnny doit se douter que vous avez équipé la bagnole.

LE CDT – Sans doute mais là où on a bricolé les dispositifs, il trouvera jamais.

ALBERT – ça, je n’en serais pas aussi sûr que vous commandant.

LE CDT – Mais enfin ce Johnny là… Vous l’avez vu : c’est pas une lumière non ? Alors comment voulez-vous qu’il aille chercher un mouchard au dessus de la roue avant côté conducteur, une caméra dans le miroir du pare soleil et un micro au fond de l’allume cigare ?

ALBERT – Alors là… Evidemment !

ABERT (regardant sa montre) – Oh là il est….heure, j’ai un appel personnel à passer impérativement. Veuillez m’excuser…

Albert saisit son caddy (enfin celui qui est  resté sur scène) et s’isole derrière le guichet pour téléphoner (Le comédien a ainsi la possibilité éventuelle de consulter le  long texte qui suit).

Le commandant ouvre son attaché-case et s’affaire (prélèvements d’empreintes, prise de notes  ou autre…)

Durant cette scène, les didascalies soulignées permettent à Albert de prendre le public à témoin de l’idiotie de son interlocuteur, qui n’est autre que Johnny.

ALBERT - Allô… C’est Albert… Oui, Albert… Quoi ? (Incrédule.) Non ! ça fait même pas 5 minutes que vous êtes sortis de… de… Et vous vous êtes arrêtés pour manger ?... Mais c’est n’importe quoi !… C’est ça très drôle ! (Il me parle la bouche pleine et tout ce qu’il trouve à me dire c’est : “l’idole déjeune“.)... Bon, ma tante, j’ai bien eu votre message… Mais oui votre message, vous savez bien… Mais si vous avez un neveu… Si ! Je suis votre neveu Albert, je vous dis !... Voilà : Albert ! Alors, ma tante, pendant que vous étiez à l’hôpital, j’en ai profité… Mais si… Si, ma tante, l’hôpital ! Je vous dis que vous sortez de l’hôpital… (Et ben c’est pas gagné.) Ecoutez-moi enfin ! (Il fait signe au commandant que la pauvre femme perd la tête.) Donc, pendant que vous étiez à l’hôpital… Voilà, à l’hôpital, c’est bien… J’ai fait venir un expert, vous savez monsieur Maigret, pour votre nouvelle télé, … Si… Si une nouvelle télé je vous dis !... Donc, monsieur Maigret… Oui Maigret (Il connaît pas !) Euh… Un expert !... (Il voit pas !) Euh… Tout juste rentré de ses vacances à Miami. (Ah enfin, il a compris !)... Et bien, il  a tout installé et la télécommande est posée sur la commode… Vous ne voyez pas ?... Regardez mieux, je ne sais pas… Peut-être derrière votre miroir… Oui, le miroir… Lequel ? (Lequel ? Il demande !) Mais il n’y en a qu’un voyons… Levez la tête et réfléchissez : le miroir…. (“Réfléchissez : le miroir“… ça le fait rire !) Voilà, oui, celui là… Ah vous avez trouvé la télécommande, c’est bien ma tante, très bien !

Je dois vous dire aussi : le docteur Colombo est passé… Oui Colombo… Vous ne le connaissez pas ! Oui ma tante j’ai appelé un autre docteur. Il fait partie du cabinet Starsky, Colombo et Hutch… Oui, voilà ! Donc le docteur a apporté votre radio des hanches… Si ma tante, les hanches (nouveaux signes vers le commandant.)… Et bien, votre radio, je l’ai posée sur le buffet… Vous ne voyez pas… Si regardez mieux, à coté du briquet… Oui le briquet pour allumer les cigarettes… Vous ne fumez pas ? (Mais il est vraiment con !) Mais on s’en fout ma tante ! Regardez le briquet, dans le briquet, derrière le briquet, sous le briquet !... Hein ? Ah… (Ouf !) Vous avez trouvé votre radio. Bravo ma tante !

Ah, pour terminer, j’ai fait déplacer votre alarme… Evidemment dans votre état… Mais si une alarme, je vous dis… Voila, et monsieur Derrick est venu… Hein ? Vous regardez jamais !... Moi non plus pour être franc ! Bon, c’est pas l’important, ma tante !… Bref, comme vous êtes en permanence dans votre fauteuil roulant, monsieur Derrick a fixé l’alarme au dessus de la roue avant gauche… Hein ? Il n’y a pas de roue avant…Je sais… Ni arrière non plus, sur un fauteuil roulant ! (Mais c’est qu’il est capable de  me faire attraper un arrêt cardiaque, ce con !)... Mais j’ai dit avant gauche, comme ça… Pour plaisanter… Ah, vous avez compris la plaisanterie (Tout arrive !) et vous allez vérifier… C’est bien ma tante, rappelez-vous bien : l’alarme au dessus de la roue avant gauche… Je suis tellement heureux de vous savoir rentrée à la maison… Je vous embrasse ma tante.

A bientôt. (Oh putain, le relou !)

LE CDT – Eh bien dites-donc, elle m’a l’air bien mal en point votre tante ?

ALBERT – Ne m’en parlez-pas, la pauvre femme ! Elle perd complètement la boule.

LE CDT – Vous deviez peut-être la placer sous tutelle.

ALBERT (Au public) – Ah ça, si je pouvais…

             Sonnerie du téléphone du commandant.

 

 

SCENE 4

Tous sauf Laetitia et Johnny

 

LE CDT – Allô ? Oui c’est moi…. Oui… Quoi ? Mais c’est invraisemblable. Plus d’écran, plus de son ? Et la balise ?.... Merde ! Mais comment a-t-il pu détecter tout ça aussi vite ?... Hein ?... Bon d’accord je m’en occupe immédiatement.

La directrice revient très chargée : jeux de clés,  dossier des coffres et surtout deux valises contenant des sacs.

LA DIRECTRICE (elle donne les clés et un papier au policier) – Du nouveau commandant ?

LE CDT – Le véhicule du gangster vient d’échapper à notre surveillance. Mouchard, micro et caméra : tout est débranché.

ALBERT – C’est terrible commandant !

Tout en parlant, le commandant se hâte  vers la sortie.

LE CDT – Mais comment a-t-il pu tout trouver et débrancher aussi vite ?

ALBERT – ça commandant, c’est un mystère.

LE CDT (il sort en coulisses) – Ce Johnny est peut-être moins con qu’il en a l’air !

ALBERT (Au public) – ça en revanche, pour moi, ce n’est plus un mystère !

LE CDT (en voix off) – S’il vous plaît, mesdames, messieurs, veuillez revenir un moment, j’ai encore besoin de vous tous ! Hep brigadier ! Rattrapez-moi les deux autres, au bout de la rue, là-bas, vite !

Le commandant entre à nouveau, accompagné de Germaine, Fanny et Ginette, cette dernière traînant toujours son précieux caddy. Les 3 femmes s’alignent  au devant de la scène à côté d’Albert et de la directrice.

LE CDT – Putain, c’est pas croyable cette défaillance complète du matériel de détection ! On va ramer pour le retrouver maintenant l’idole des jeunes !

GINETTE – Et cette pauvre femme, otage, livrée aux griffes acérées de ce monstre sanguinaire !

Retour de  Renaud et Martine qui se placent dans l’alignement au devant de scène face au public.

Tout en prenant des notes, le policier va se déplacer régulièrement derrière chacun d’eux dans l’ordre où ils sont alignés, à savoir en allant de côté jardin à côté  cour : Albert – La  directrice - Germaine – Fanny – Ginette – Renaud – Martine

 Dès qu’il est derrière un personnage, celui-ci donne un témoignage. Arrivé à Martine, le commandant procède en sens inverse jusqu’Albert. Etc…

LE CDT – Bon ! Mesdames, messieurs, je suis désolé, mais un contexte nouveau et imprévu m’oblige à lancer dès à présent un avis de recherche dans les gares, ports, aéroports et barrières de péages. J’ai donc besoin immédiatement d’un premier témoignage de chacun d’entre vous pour établir un portrait robot et une description vestimentaire du ravisseur. Ceci en complément des observations que j’ai pu faire moi-même. C’est notre seule chance pour recoller aux basques du ravisseur.

Nous compléterons vos témoignages demain au commissariat comme prévu.

LE CDT – Je vous écoute… Vous pour commencer Mazzoli !

Les témoignages  vont déferler à rythme soutenu sur le policier.

ALBERT – Il avait un imper noir, avec des boutons noirs, une ceinture noire, un col noir.

LE CDT – Mais non, voyons il portait une veste…

LA DIRECTRICE – Une veste ? Ah ça non. Mais une cravate ça c’est sûr.… Et d’un goût ! Blanche à rayures roses !

LE CDT – Permettez-moi de ne pas…

GERMAINE – Ben moi, j’ai pas remarqué grand-chose hein… Pensez-donc : j’avais si peur…Ah si : ses chaussures ! Ah ça j’ai remarqué ses chaussures : c’était pas des godillots hein ! Cuir noir et en croco, haut de gamme…

LE CDT – Ah ? Il avait ça aux pieds ? Vous êtes sûr ? C’est curieux, il m’avait semblé que…

FANNY - Pas épais le gaillard, il flottait dans ses fringues.

GINETTE - A mon avis, il faisait 1m65… 1m70 tout au plus.

RENAUD - Quand il s’est assis, j’ai pu voir ses chaussettes… Il en avait pas !

LE CDT – Pas de chaussettes ?

MARTINE – Et des yeux d’un tel bleu ça ne s’oublie pas… Quel charme !

RENAUD - Ben je dois dire que ses godasses passaient pas inaperçues : des Santiag’s  vertes et un zonblou en cuir un peu “zone“.

GINETTE - Avec des gants en peau…

LE CDT – Des gants ? Mais…

FANNY - Ça m’a étonné dès le début : pourquoi portait-il des bottes en cette saison.

LE CDT – Ah non, des bottes, ça je ne…

GERMAINE - Il parlait vite avec une voix assez aiguë…

LE CDT – Mais c’est imposs…

LA DIRECTRICE - Et ce regard… Deux yeux noirs impénétrables… J’en tremble encore !

ALBERT – Il portait un jean’s bleu délavé, avec un trou au dessus du genou… droit, oui genou droit. Et un gros ceinturon.

LE CDT – Un jean’s ? Troué ? Bizarre !

LA DIRECTRICE - Mais c’était un blanc, j’en suis sûr : un moment il m’a menacé de tout près avec son arme et j’ai pu voir son poignet.

GERMAINE - Sa veste, c’était plutôt un imper, euh… vert avec des raies jaunes à pois rouges.

LE CDT – Des raies jaunes, des pois rouges… Ah !

FANNY - Ses yeux étaient… Bleu… Non : vert !… Emeraudes ?... Attendez ! Non finalement marron, c’est ça les yeux marrons !

LE CDT – J’ai plutôt noté que…

GINETTE - Et je vous dis pas la grossièreté… Non mais le mufle !

RENAUD - Putain le futal ! J’ai même pu voir le logo planqué discret sur la poche arrière : du Pierre Cardin carrément

LE CDT (passant de la contradiction à l’étonnement) – Ah ? Du Cardin ?

MARTINE - Un black, je vous dis, pas un blanc, il avait les mains nues… Aucun doute : un gros balèze, vous auriez vu ses mains, des battoirs !

LE CDT – Oui, oui, oui : un black !

RENAUD - Il avait une énorme bague dorée à la main droite.

GINETTE - Un gabarit impressionnant…Disons entre 1m85 et 1m95.

FANNY - De vieilles baskets Adidas rouges avec évidemment les 3 bandes… Couleur or fluo. Et les chaussettes unies assorties beiges.

LE CDT - Bof, pourquoi pas ?

GERMAINE - Il parlait drôlement bien, éducation, classe quoi !

ALBERT - Il tenait son arme de la main gauche.

LA DIRECTRICE - Gaucher ? Attendez… Non il tenait son arme toujours de la même main : la droite.

Silence soudain : plus personne n’intervient.

LE CDT LEBREZE (Abattu, résigné, abasourdi par le tissu d’incohérences.) – C’est… C’est tout ?... Bon : personne n’a remarqué de chapeau melon jaune à plumes violettes ?... Lunettes de plongées roses fluo ?... Pantalon de golf en dentelle ?... Chaussures de ski avec 2 pieds gauches ?

Bien, bien… Je vais communiquer son signalement à tous les barrages routiers, gares et aéroports… Mesdames et messieurs, je vous remercie de… De vos précieux témoignages, vous pouvez cette fois rentrer chez vous.

Tous sortent en saluant le commandant et/ou en lui donnant rendez-vous le lendemain.

Ginette et Albert tiennent avec soin leurs caddys.

LE CDT (à Albert et Ginette) – Hep vous deux ! Laissez vos caddys ici.

ALBERT – Mais c’est impossible, commandant !

LE CDT – On ne touche à rien ! Vous les reprendrez demain quand tous les relevés auront été faits.

GINETTE – Mais quand je suis sortie la première fois, tout à l’heure, j’avais le caddy avec moi et vous m’avez rien dit !

LE CDT – Et bien je devais être inattentif, occupé par ailleurs.

GINETTE – Mais j’ai toutes mes courses moi là dedans ! Il faut que je mange à cause de mon diabète !

LE CDT – Bon et bien, vous prenez vos provisions, démerdez-vous comme vous voulez, mais vous laissez le caddy ! Et c’est valable aussi pour toi Albert !

ALBERT – C’est de l’abus de pouvoir !

LE CDT (Enervé, il fonce vers le caddy d’Albert et commence à en sortir le contenu) – Ecoute-moi bien Albert  Mazzoli ! Tu vas pas me faire chier parce que tu ne liras que demain (il brandit les revues et lit.) “Paris Turf“… “Le PMU pour les nuls“, “Refaire sa vie à 60 ans et plus“, “Sexe et troisième âge : le défit“ et autres conneries avec une journée de retard, ni parce que (il commence à fouiller au fond du sac, sous le regard paniqué d’Albert.) tu vas manquer de (Il sort quelques courses.) de sucre, de riz, de cassoulet… pour le souper ce soir !

Livide et sans un mot, Albert regarde le policier et plonge à son tour les mains dans son caddy. Il n’en retire que d’autres provisions… Son magot a disparu.

LE CDT – Et ben quoi ? T’en fais une tête !

             Albert regarde l’autre caddy, posé pas loin du sien et comprend tout à coup la supercherie.

GINETTE (sous le regard suspicieux d’Albert) – Bon et ben, je prends juste de quoi manger maintenant et on vous confie nos caddys, hein !

ALBERT – Prenez-en bien soin.

Ils sortent tous les deux, Ginette emportant son pain et quelques autres victuailles, laissant une pomme sur le dessus.

 

 

SCENE 5

le commandant

 

LE CDT (resté seul) - Allô le central… Allô vous m’entendez ?

LE CENTRAL – 5 sur 5 commandant ! Je vous écoute.

LE CDT – (Au public, consultant ses notes.) Résumons ! (Il prend sa respiration.)

(Au central.) A toutes les unités : ordre d’interpeler un individu détenant un otage. Il est blanc, armé et dangereux, de race noire. Il est de taille et de poids variable, entre Nicolas Sarkozy et David Douillet. Ses yeux bleu-vert sont marrons pouvant virer au noir. Il a la voix grave assez portée sur les aigus. Il est gaucher mais préfère se servir de sa main droite. Il porte une veste-blouson vert avec des rayures jaunes sous un imperméable tout noir, un jean’s délavé et troué de marque Cardin, il a les mains nues avec des gants en peau pour dissimuler une grosse bague dorée. Il n’a pas de chaussettes mais elles sont quand même unies et beiges. Il s’exprime avec une grossièreté raffinée. Il marche avec des chaussures de sport élégantes en cuir noir et croco rouge, rayées de trois bandes dorées fluo.

LE CENTRAL – Vous voulez mon avis commandant ? Et ben si on le voit., on peut pas le manquer !

Le commandant reste seul sur scène. Désabusé, il soupire, s’assoit près du caddy (Celui qui contient l’argent.) et relit son carnet. Machinalement, il se penche sur le caddy, regarde dedans,  trouve une pomme, pose son carnet et se met à croquer.

LE CDT – Chic ! La vieille a laissé une pomme ! (Au public.) Faut dire hein : même pas le temps de bouffer dans ce foutu métier !

Après quelques bouchées…

Il y a peut-être encore à grignoter là-dedans…

Il plonge la main  dans le caddy… Etonnement… Il sort une liasse.

Du pognon ?

Il plonge à nouveau la main et ressort une deuxième liasse.

Du fric ?

Même chose : troisième liasse.

Du pèze ?

Quatrième liasse, la stupéfaction remplace l’étonnement.

Du flouze !

Autre liasse.

Du blé !

Autre liasse.

De l’oseille !

Autre liasse.

Des thunes !

Il se lève et  retourne le caddy. Quelques fruits et légumes et des  dizaines de liasses jonchent le sol.

Oh ben merde ! On dirait bien que ce con de Johnny a oublié un bagage. Belle prise !

Il se met à ranger rapidement les liasses dans le caddy.

Puis, peu à peu son rythme ralentit et enfin il s’arrête. Immobile, il regarde le public,  s’interroge en silence…Puis, sur  le ton du doute :

Belle prise… Belle prise… Faut voir !... ça demande réflexion… (Au public.) Vous savez quoi ?... Mon prénom… C’est Adam ! Alors cette pomme : c’est un signe… Une invitation !

Il jette un coup d’œil autour de lui…Croque à nouveau dans la pomme et se met à ramasser nerveusement les liasses tombées à terre pour en bourrer toutes ses poches. Il retourne  son attaché-case puis remplit le caddy et l’attaché-case en y en inversant les contenus.

Sa mallette sous le bras, essayant de maintenir fermé son imperméable, gonflé de billets, il se dirige vers la sortie.

Un moment, il s’arrête et se tourne vers le public.

LE CDT – Ben quoi ? Me regardez pas comme ça ! Avec l’âge de la retraite qui recule, qui recule… C’est tentant de butiner le butin, non ? Faut me comprendre ? Et sincèrement… Vous ! Soyez sincère…. Hein ? Vous feriez quoi, vous, à ma place ? Vous feriez quoi ?

(Il reprend sa marche vers la sortie, puis brutalement se retourne, sort son pistolet et, agressif, Il le pointe vers le public.) Et bien évidemment… Personne d’entre vous ne bouge et personne n’a rien vu. (Feignant de voir un spectateur qui se lève.) Assis toi là-bas ! J’ai bien dit “personne“ ! (Il tire en l’air.)

UN FLIC AU DEHORS – Un problème chef ?

LE CDT – Non, non ! Juste une maladresse. Au contraire, tout va bien, très, très bien !

(Il sort en chantant et continue en coulisses tandis que le rideau se ferme.)

Tout va très bien, madame la marquise,

Tout va très bien, tout va très bien,

Du pèze, du flouze, du pognon, des devises,

Du fric, d’ l’oseille, à moi l’butin,

Des thunes, du blé, j’en ai plein ma valise,

Tout va très bien, tout va très bien !

Tout va très bien, madame la marquise,

Tout va très bien, tout va très bien,

Du pèze, du flouze, du pognon, des devises,

Du fric, d’ l’oseille, à moi l’butin,

Des thunes, du blé, j’en ai plein ma valise,

Tout va très bien, tout va très bien !

 

Rideau final

 

Présentation finale :

Ginette a repris son caddy et tape sur les doigts de ceux qui s’approchent. Elle s’aperçoit qu’il est vide et l’abandonne à  Albert qui n’attendait que ça. Elle fonce récupérer celui que vient de laisser Albert… Même constat : vide !

Germaine a des liasses qui débordent de son décolleté, Martine lui court après et ramasse ce qui tombe.

Le commandant observe, statique, afin de ne rien laisser échapper de sa valise entrouverte et de ses poches qui débordent de billets.

La directrice ramène le calme en montrant que le public regarde et attend… On se calme enfin !

Les comédiens saluent… Soudain, des sirènes de police retentissent, ils s’enfuient en tous sens, sauf le commandant qui les regarde d’abord éberlué, puis, réflexe inopportun, sort un sifflet et se met à les poursuivre, laissant échapper à son tour des liasses de billets.


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