Sur la scène une vieille voiture cabossée et la vieille marquise qui attend le garagiste, lequel ne tarde pas à faire son apparition.
LA MARQUISE (apercevant le garagiste) - Ah ! Bonté divine, vous voici !
LE GARAGISTE - Bonjour madame la Marquise, alors vous avez des soucis mécaniques ?
LA MARQUISE - C’est surtout ma voiture voyez-vous, elle ne démarre pas.
LE GARAGISTE (découvrant le véhicule) - Ah ? C’est le tas de tôles là ?
LA MARQUISE (se méprenant) - Non, non, il s’agit d’une Simca Aronde. (Ou tout autre modèle ancien.)
LE GARAGISTE (levant les yeux au ciel) - Bon. Mettez le contact que je voie ce qu’il en est. (la Marquise obtempère.) Le niveau de carburant est bon, mais il n’y a pas de jus.
LA MARQUISE - C’est que je vais à la station service régulièrement ! Le pompiste est charmant et très serviable. Il faut dire que je lui laisse tout faire... Il insère son long tuyau dans l’orifice, là, derrière, et il remplit mon réservoir jusqu’à la dernière goutte. Quand il a fini sa petite affaire, il secoue bien son petit pistolet afin de ne rien laisser perdre du précieux liquide, puis il remballe son matériel et me dit combien je lui dois.
LE GARAGISTE (rêveur) - J’ignorais que faire le plein pouvait devenir l’empire des sens ! (Se ressaisissant.) Bon, ouvrez-moi le capot que je jette un coup d’œil au moulin.
LA MARQUISE (pincée) - Je n’ai pas de moulin là-dessous, mon cher monsieur. J’ai 45 chevaux qui ne demandent qu’à être ranimés !
LE GARAGISTE (à part) - C’est ça, je vais leur faire du bouche à bouche ! (Haut.) Ouvrez toujours que je trouve l’origine de la panne.
LA MARQUISE (ouvrant de l’intérieur) - Voilà.
LE GARAGISTE (consterné) - Vous n’allez pas souvent chez le garagiste dites-moi ?
LA MARQUISE (fière) - Moins j’y vais mieux je me porte ! C’est comme les médecins : sinon à chaque fois, ils me découvrent quelque chose !
LE GARAGISTE - Une petite révision de temps en temps, ça ne fait pas de mal. (Consterné.) Oh là là !
LA MARQUISE (alarmée) - Mon Dieu qu’y a-t-il ?
LE GARAGISTE - Vous avez vu votre tête de Delco ?
LA MARQUISE (outrée) - Non mais dites donc, soyez poli ! Feu mon mari serait là, vous n’oseriez pas !
LE GARAGISTE - Mais madame la Marquise, c’est purement mécanique !
LA MARQUISE (lui décochant une chiquenaude) - Tenez, ceci aussi est purement mécanique !
LE GARAGISTE - Aïe! (Au public.) En tout cas elle n’a pas de retard à l’allumage !
LA MARQUISE - Et n’y revenez plus !
LE GARAGISTE - Faut bien que je fasse un diagnostic moi ! Quand je vois un truc nase, je le signale, faut pas s’en formaliser !
LA MARQUISE - Occupez-vous de la voiture, vous n’êtes pas médecin que je sache ?
LE GARAGISTE (soupirant en inspectant le moteur) - Rien d’étonnant, vos bougies : elles sont foutues !
LA MARQUISE (navrée) Oh ! Et moi qui ai brûlé mon dernier cierge !
LE GARAGISTE - (la jauge d’huile à la main) Votre niveau d’huile est bien bas... Et l’huile n’est plus très visqueuse...
LA MARQUISE - Il ne manquerait plus qu’elle soit vicieuse !
LE GARAGISTE - Elle remonte à quand votre dernière vidange ?
LA MARQUISE - Qu’est-ce que vous me chantez avec votre vie d’ange ?
LE GARAGISTE - Vous savez ce que c’est : une vidange ?
LA MARQUISE - Je laisse ces problèmes aux théologiens, revenez à votre mécanique terrestre, voulez-vous ?
LE GARAGISTE - (ahuri) Les théologiens ?..
LA MARQUISE - Les hommes d’Eglise quoi... Ils sont tout de même mieux placés que nous pour évoquer la vie des anges.
LE GARAGISTE - (à part) Je ne suis pas sorti de l’auberge ! (A la Marquise.) Votre huile a besoin d’être remplacée si vous ne voulez pas couler votre moteur.
LA MARQUISE - Aucun danger, je ne vais jamais sur l’eau.
LE GARAGISTE (levant les yeux au ciel) - Bon, je remplace les bougies et je vous remets de l’huile dans le carter.
LA MARQUISE - (Inquiète) Ce n’est pas dangereux de mettre de l’huile sur le feu ?
LE GARAGISTE - (Agacé) Mais non, mais non ! Faites-moi confiance ! Cela a beau être un moteur à explosion, il n’y a aucun danger !
LA MARQUISE - (se mettant à l’abri) Doux Jésus ! Mais que faites-vous ? Je veux simplement aller à la messe, je ne veux pas aller sur la lune, figurez-vous !
LE GARAGISTE - Voyons madame, calmez-vous : je vais vous la remettre sur pied votre voiture, elle marchera mieux qu’avant !
LA MARQUISE - Mais c’est qu’elle roulait auparavant ! Quel intérêt d’avoir des pieds sur mon Aronde ?
LE GARAGISTE - (Très impatient, à part) Elle commence à m’énerver ! (Tout haut.) Je m’exprime mal : elle roulera très bien tout à l’heure votre Simca, pas de soucis à se faire ! Bon démarrez. (Elle obtempère, bruit de moteur.) Appuyez sur le champignon. (Rien.) Appuyez sur le champignon ! (Rien.) Bon alors, appuyez quoi !
LA MARQUISE - Je ne fais que ça !
LE GARAGISTE (se dirigeant vers la Marquise) - Faites voir ? (Il prend une mine affligée et retire lentement un objet afin de le montrer au public d’un cèpe.) Bon, je vais me débrouiller tout seul ! (La boîte de vitesse craque.) Oh, j’ai un problème avec le synchro de boîte !
LA MARQUISE (intriguée) - C’est votre Patron ?
LE GARAGISTE (interloqué) - Pardon ?
LA MARQUISE - Ce Saint Croc, c’est votre Saint Patron ? Comme Saint-Christophe, pour les voyageurs...
LE GARAGISTE (blasé) - Ah, je vois… On va dire oui... (De retour sous le capot.) Ce bruit ne me dit rien qui vaille... Je crois que vous avez grillé une soupape.
LA MARQUISE (choquée) - Oh ! Vous blasphémez ! (Elle se signe).
LE GARAGISTE (au public) - Je crois que je vais éviter de parler de l’arbre à came, elle va s’imaginer que je fais le trafic de stupéfiant ! (Haut.) Bon, cela devrait rouler. (Il fait le tour de la voiture.) Vous n’avez pas tendance à tirer à gauche ?
LA MARQUISE (horrifiée) - Quelle horreur ! Vade retro satanas ! Vraiment, est-ce que j’ai l’air d’une bolchevique ?
LE GARAGISTE - Non, on ne peut pas dire. Je voulais dire que vous n’étiez pas assez gonflée.
LA MARQUISE - Vous par contre, vous ne manquez pas d’air ! (Au public.) Les gens qui ne savent pas rester à leur place, c’est odieux ! Bientôt, il me tutoiera !
LE GARAGISTE - Vous êtes à plat, si vous préférez ! Vous risquez de crever à force !
LA MARQUISE - Oh, mon Dieu ! C’est affreux ce que vous dites ! Je suis certes un peu fatiguée en ce moment, mais de là à aller ad patres !
LE GARAGISTE - Bon, je vous regonfle ! Ah, là, là ! C’est dur ! (Il s’acharne sur la valve.)
LA MARQUISE - Oui, on m’a déjà dit que c’était difficile de rentrer le bitonio dans mon truc, j’ai sûrement quelque chose qui coince au niveau de ma vulve...
LE GARAGISTE (se relevant précipitamment et parlant fort pour masquer sa gêne) - Valve ! Valve ! On dit une Valve !
LA MARQUISE - Inutile de hurler, je ne suis pas complètement bouchée !
LE GARAGISTE - A ce propos, je l’ai débouchée votre valve : elle était pleine de poussière !
LA MARQUISE - Pas étonnant, elle ne servait plus guère... Bon vous avez terminé ?
LE GARAGISTE - Pour l’essentiel, on va dire oui...
LA MARQUISE - Alors, je passerai vous payer lundi, vous êtes à quel endroit ?
LE GARAGISTE - A * Le garage Adam, à la sortie de la côte...
LA MARQUISE (suspicieuse) - Adam sortant de la côte ? Ce n’est pas très catholique tout ça ! Et ne profitez pas de ce que je sois une vieille dame pour me facturer les bougies au prix fort : je connais le prix de la cire ! Bon moi, il faut que je parte sans quoi je vais être en retard à la messe. Allez, au-revoir mon brave !
LE GARAGISTE (abattu) - Au-revoir madame la Marquise. (Au public.) Comment voulez-vous que je rédige sa facture moi maintenant ? Enfin (esquissant un geste de la main qui hésite entre la droite et la gauche.) : Ite missa est !
* votre lieu de résidence
FIN