…et son pendant
Suite du Malheur
L’exécution du malheur par son pendant, autrement dit le bonheur.
Suite du Malheur
L’exécution du malheur par son pendant, autrement dit le bonheur.
...et son pendant
Acte Unique
C’est le jour mais on voit la lune. Deux personnages sont sur la scène : le malheur (Victor) qui arrive et son pendant (une femme).
VICTOR
Bien le bonjour !
L’autre se retourne, surpris.
VICTOR
Bonjour ! Oui, madame, mon bonjour était à votre adresse.
PENDANT
Ah ah ! Mais bonjour, bonjour cher monsieur.
VICTOR
Belle petite place.
PENDANT
Comme vous voyez ! On gagne toujours à visiter de petits villages.
VICTOR
Je vois.
Grand silence.
VICTOR
Au fait, nous ne nous sommes pas présentés !
PENDANT
Mais non !
VICTOR
Je suis le malheur.
PENDANT
Enchantée.
VICTOR (après un silence gênant)
Et vous êtes…
PENDANT (lui tend la main)
Son pendant…
Victor reste interloqué et c’est machinalement qu’il se laisse brutalement serrer la main.
VICTOR
Le pendant du malheur ?
PENDANT
Mais oui.
VICTOR
Mon pendant…
PENDANT
Tout à fait. Et j’en suis d’autant plus enchantée de vous connaître.
VICTOR (réflexif, toujours)
Alors vous êtes le bonheur ?
PENDANT
Si vous voulez…
VICTOR
Comment si je veux. Je suis le malheur et vous êtes le pendant du malheur. Vous êtes donc logiquement le bonheur.
PENDANT
Je suis votre pendant. Le malheur, le bonheur, vous savez, tout cela ne sont que des mots.
VICTOR
Vous êtes mon pendant, c'est-à-dire que vous m’êtes radicalement opposée, n’est-ce pas ?
PENDANT
Probablement. Mais comment le saurais-je, c’est la première fois que je vous rencontre, moi aussi.
VICTOR
Vous n’aviez jamais rencontré le malheur ?
PENDANT
Non.
VICTOR
Ah heureuse femme que vous êtes !
PENDANT
Oui. Enfin, aujourd’hui je vous rencontre.
VICTOR
Oui aujourd’hui, j’ai droit au bonheur…n’est-ce pas magnifique ?
PENDANT
C'est-à-dire que vous n’aviez jamais rencontré votre pendant auparavant ?
VICTOR
Non. Je suis le malheur depuis peu.
PENDANT
Ah. En revanche, je suis le pendant du malheur depuis longtemps.
VICTOR
Oui, forcément… Et où pendez-vous ?
PENDANT
Place de Grève, comme toujours.
VICTOR
Je croyais que l’on avait arrêté de pendre place de Grève depuis longtemps.
PENDANT
Mais non.
VICTOR
Nous parlons bien de la même place de Grève, la place de l’hôtel de ville, à Paris ?
PENDANT
Mais oui. Il n’en est qu’une.
VICTOR
Et vous pendez donc devant la mairie…
PENDANT
Sous les yeux même du maire.
VICTOR
Il n’est jamais là.
PENDANT
Non. Sauf pour les pendaisons bien sûr. C’est toujours un spectacle.
VICTOR
Et ça attire du monde, encore ?
PENDANT
Le maire, des officiels évidemment, des curieux de passage. Mais peu de monde en réalité, je pends de nuit, en général. Vous pensez bien que si ça se savait…
VICTOR
Peut-être…
PENDANT
Enfin, je suis bien heureuse que vous soyez venu à moi. C’est si gentil de votre part !
VICTOR
Votre capacité au bonheur est formidable !
PENDANT
Merci.
VICTOR
Je l’admire.
PENDANT
Encore merci. Vous êtes trop bon pour moi.
VICTOR
C’est ma nature.
Le pendant du malheur reste rêveuse pendant quelques secondes, jusqu’à ce que l’autre décide de reprendre la parole.
VICTOR
Mais qui pendez-vous, au fait ?
PENDANT
Mais le malheur.
VICTOR (pas rassuré)
Mais forcément…
PENDANT
Bien sûr, je suis le pendant du malheur.
VICTOR
Oui, le bonheur, le bonheur parfait… il vous faut donc vous débarrassez du malheur.
PENDANT
Corps et âme.
VICTOR
Le corps aussi ?
PENDANT
Et comment ! C’est bien le plus sûr moyen…
VICTOR
Malheureusement.
PENDANT
Vous trouvez que perdre le malheur et si malheureux…
VICTOR
C’est qu’on finit par s’y attacher, au malheur…
PENDANT
Vous, peut-être…
VICTOR
Oui, c’est vrai, je dois penser aux autres. Il serait dangereux pour eux que je leur refilasse le malheur.
PENDANT
Ce serait malheureux…
VICTOR
Pour eux.
PENDANT
C’est pour cela que je vous pends.
VICTOR
Attendez que ce soit fait pour parler au présent.
PENDANT
C’est pour cela que je vous pendrai.
VICTOR
Oui. Mais…
PENDANT
Mais ?
VICTOR
Si je ne m’abuse, vous n’avez pas très bien réussi dans votre rôle.
PENDANT
Pourquoi dîtes-vous cela ?
VICTOR
Puisque je suis encore là ! Puisque le malheur existe toujours, c’est que vous n’avez jamais réussi à le pendre.
PENDANT
A le pendre, si ! J’en ai pendu des malheurs vous savez, machinalement d’ailleurs, presque en fermant les yeux, comme tous les bourreaux pendent mais il y a toujours des gens qui ont envie de réincarner le malheur et après, un jour ou l’autre ils s’en déchargent sur l’humanité car, bien sûr, le malheur est trop lourd à porter. Ce que je ne suis pas parvenue à faire, c’est à me débarrasser du malheur. Et cela malgré toutes mes pendaisons.
VICTOR
C’est effrayant.
PENDANT
Pour vous peut-être… Pour ma part, je n’admets pas la peur. Vous savez très bien que c’est la source du malheur.
VICTOR
Oh, vous vous trompez…
PENDANT
Ah oui ?
VICTOR
Oui. Mais évidemment, vous ne pouvez pas savoir. La source du malheur c’est l’ambition ou la pitié.
PENDANT
Je ne connais pas la pitié.
VICTOR
Ah… c’est bien dommage.
PENDANT
Mais non. Pour ressentir de la pitié, il faut souffrir à la place de l’autre et cela, je ne peux pas me le permettre. Ne serait-ce que pour pendre, par exemple, je ne peux pas me le permettre. Et puis, surtout, je veux éviter le malheur.
VICTOR
Mais je suis là.
PENDANT
Oui.
VICTOR
C’est donc que vous ne m’avez pas évité. Vous connaissez donc, vous aussi le malheur malgré votre absence d’ambition et de pitié.
PENDANT
Oui, je le connais.
VICTOR
Et moi je connais le pendant du malheur…
PENDANT
En êtes-vous plus heureux pour autant ?
VICTOR
Non…Oh non. Cela semble même être la cerise sur mon gâteau de malheur.
PENDANT
Vous voyez bien. Vous confondiez la connaissance et l’état. Connaître n’est pas être. Quant à moi, je suis bien obligée de rencontrer le malheur en personne si je veux le pendre.
VICTOR
Ce n’est pas une obligation…
PENDANT
Oh, ne vous plaignez pas tant. Vous ne souffrirez plus, une fois la pendaison passée.
VICTOR
Je ne me plaignais pas.
PENDANT
Vous ne mettez pas beaucoup d’allant à votre pendaison en tous cas.
VICTOR
Non, j’ai perdu la faculté de m’enthousiasmer.
PENDANT
S’enthousiasmer, c’est risquer de souffrir. Car c’est risquer la déception.
VICTOR
S’enthousiasmer, c’est croire en la matérialité du vent. Mais vous qui êtes mon pendant, vous risquez donc de souffrir puisque vous savez vous enthousiasmer.
PENDANT
Comment avez-vous deviné que j’ai la capacité de m’enthousiasmer ?
VICTOR
Mais parce que ma pendaison vous met la joie aux lèvres.
PENDANT
Et comment ! Se débarrasser du malheur ! Si ce n’est pas magnifique !
VICTOR
Oh pas tant que cela, vous savez.
PENDANT
La peur de mourir ?
VICTOR
Je parlais pour vous.
PENDANT
Mais si, pour moi c’est magnifique. Je ne suis pas née de la veille, vous savez. J’en ai pendu d’autres et je peux vous affirmer que c’est un bonheur réel.
VICTOR
Je n’aurais pas cru… Je pensais que le bonheur avait besoin de son pendant pour exister.
PENDANT
Vous êtes trop manichéen. Mais il me reste à vous répondre. En m’enthousiasmant, je ne risque pas la souffrance car je n’ai pas assez d’ambition pour être déçue. Si les choses ne se passent pas comme je veux, elles se passent autrement et puis c’est tout et l’état de mon âme n’est pas obligé de dépendre de toutes les choses.
VICTOR
C’est bizarre, j’ai l’impression que nous nous rapprochons sur ce point. J’ai aussi l’impression que mon état ne peut plus être affecté par mon entourage.
PENDANT
Vous voyez, la complémentarité n’exclut pas certains points d’intersection.
VICTOR
En effet. Mais quand je ne serai plus de quoi serai-vous le pendant ?
PENDANT
Mais du malheur. On pourra toujours me nommer le pendant du malheur puisque je vous aurai pendu. Cet état n’admet pas de temporalité. Que vous soyez vivant ou mort, je suis votre pendant.
VICTOR
Le bonheur est-il éternel ?
PENDANT
Je ne sais pas.
VICTOR
Ah non ?
PENDANT
Non. Et de ce doute dépend certainement le bonheur.
VICTOR
Le bonheur ce n’est donc pas la certitude, la vérité, la lumière qui arrive enfin sur nos âmes malades et amputées ?
PENDANT
Je ne pense pas.
VICTOR
Mais la mort, n’est-ce pas la vérité absolue, la lumière parfaite ?
PENDANT
On le dit parfois mais je ne sais pas du tout ce que pourra être la mort.
VICTOR
C’est possible qu’elle soit lumière.
PENDANT
Possible.
VICTOR
En ce cas, votre bonheur cesserait avec la mort puisque cesserait votre doute.
PENDANT
Vous pensez donc le bonheur comme céleste et le malheur comme terrestre. C’est cela qui vous empêche d’être heureux.
VICTOR
Ce ne serait pas plus mal. Surtout si l’on considère la brièveté d’une vie ! Vous pour qui le bonheur est terrestre, vous serez sûrement heureuse bien moins longtemps que moi pour qui le bonheur n’est pas de ce monde. Vous qui croyez au bonheur, c'est-à-dire, vous qui croyez en vous, une fois la mort venue, vous allez tout perdre et votre bonheur n’aura été qu’un soupir.
PENDANT
Peu m’importe qu’il en aille ainsi. Et peu m’importe ce que me réserve la mort. La mort n’existe peut-être pas. En ce cas, mon bonheur serait l’éternité.
VICTOR
Ce n’est qu’une supposition.
PENDANT
Oui. Comme je vous l’ai dit, je dépends du doute.
VICTOR
Peut-on se débarrasser du bonheur ?
PENDANT
Peut-être. Mais je n’y compte pas. Il faudrait qu’on me le vole. Mais je suis vigilante. Je ne le donnerai pour rien au monde.
VICTOR
En somme, vous êtes égoïste.
PENDANT
Oui. C’est pourtant connu ! Et de cet égoïsme naît ma philanthropie.
VICTOR
Vous vous moquez pourtant bien de faire souffrir les autres !
PENDANT
Est-ce ma faute si l’on m’envie ?
VICTOR
Non bien sûr… mais vous ne vous privez pas d’un contact sous prétexte que l’autre peut souffrir de votre contact.
PENDANT
Je ne peux pas le savoir à l’avance.
VICTOR
Mais à force de faire des envieux, vous finirez par vous le faire dépouiller, votre bonheur !
PENDANT
S’il existe bien du monde pour m’envier, il en est bien peu pour oser m’attaquer. Car enfin, je ne suis pas riche et l’on ne me reconnaît pas. Vous-même, dont je suis le pendant ne m’avez pas reconnu, vous ne vous êtes pas douté et même maintenant, avec le peu que vous m’avez étudiée, il ne vous semble pas que je puisse être pleinement heureuse.
VICTOR
C’est ma foi vrai.
PENDANT
Vous ne croyez pas assez en moi.
VICTOR
Assez pourtant pour souffrir votre absence.
PENDANT
Je veux dire, vous ne croyez pas assez en moi, moi que vous avez sous les yeux, ici et bien présente.
Court silence.
VICTOR
Je peux vous toucher ?
PENDANT
Si vous voulez…
VICTOR
Vous n’êtes pas si méfiante.
PENDANT
Mais non. J’ai confiance. Dans le cas contraire, je vous aurais répondu « non ».
VICTOR
C’est donc cela, la vigilance ? La confiance en sa réponse.
PENDANT
La vigilance c’est au contraire le doute. C’est en moi que j’ai confiance.
VICTOR
Je vois. Vous ne doutez pas de vous, en somme.
PENDANT
Je ne sais pas. En tout cas, je n’ai pas peur de moi.
VICTOR
Je vois…
PENDANT
Mais non, vous ne voyez rien…
Le malheur met la main sur l’épaule du bonheur.
VICTOR
En effet, vous êtes bien là.
PENDANT
Et je suis bien le bonheur.
VICTOR
Je vous crois. Mais contrairement à d’autres, je ne vous envie pas.
PENDANT
Mais je ne vous craignais pas.
VICTOR
En effet, je ne risque pas de vous dérober votre bonheur.
Il retire sa main.
VICTOR
Dîtes-moi… je vous ai renseigné sur les sources du malheur, tout à l’heure puis la conversation a passé et j’ai oublié de vous demander, à vous, quelles sont les sources du bonheur.
PENDANT
Et vous me le demandez ?
VICTOR
Je vous le demande.
PENDANT
A quoi cela peut bien vous servir ? Vous ne comptez pas être heureux.
VICTOR
Non. C’est par simple curiosité.
PENDANT
N’en avez-vous pas la moindre idée ?
L’autre reste silencieux.
PENDANT
Allez, donnez-moi donc votre avis plutôt que de vous faire prier.
VICTOR
Oh, loin de moi l’idée de me prendre pour Dieu. Je n’ai pas besoin qu’on me prie. Simplement, je ne sais pas. Je ne dois pas avoir assez envie du bonheur.
PENDANT
Vous croyez donc que je connais la source du bonheur mieux que vous ?
VICTOR
J’espérais que vous m’en feriez la révélation.
PENDANT
Mais oui.
VICTOR
Alors ?
PENDANT
Donnez-moi d’abord votre avis.
VICTOR
Bon… Puisque vous y tenez. Je dirais l’ignorance. Oui, seuls les ignorants doivent être heureux, béatement heureux.
PENDANT
Me trouvez ignorante ?
VICTOR
Non. Vous n’êtes pas une ignorante innocente en tout cas.
PENDANT
La source du bonheur, c’est vous.
VICTOR
Moi ?
PENDANT
Parfaitement. Mon père est le malheur et ma mère la misère.
VICTOR
Alors vous avez tué votre père.
PENDANT
Il m’aimait trop pour me laisser commettre un parricide.
VICTOR
Alors ?
PENDANT
Il s’est pendu.
VICTOR
Drôle de malheur…
PENDANT
Vous ne le feriez pas ?
VICTOR
Non.
PENDANT
Même par amour ?
VICTOR
L’amour… ça n’existe pas. Il n’y a que des paires de mammifères qui s’accouplent, rien de plus. Pour le malheur, pas d’affection en tout cas. Tout cela n’est que le mensonge des corps, le mensonge des gênes, le mensonge des hormones. Comme on dit : c’est la bête.
PENDANT
Vous n’avez donc pas aimé ?
VICTOR
Aimer, ce n’est pas l’amour… L’amour, c’est copuler, c’est être la bête qui convient à la procréation. Aimer, c’est juste rêver. Et rêver c’est souffrir.
PENDANT
Mais qui ne rêve pas voyons.
VICTOR
Vous ?
PENDANT
Je rêve.
VICTOR
Vous-même, aimez-vous ? Etes-vous aimée d’un homme ?
PENDANT
Je le serai.
VICTOR
Qui vous l’assure ?
PENDANT
Rien. Mais je n’ai pas peur.
VICTOR
Pas peur de ne jamais être aimée.
PENDANT
Non. Si l’amour n’existe pas, comme vous dîtes, il y a pire que de n’être pas aimée.
VICTOR
Certes…
Pause.
VICTOR
Vous n’avez jamais été amoureuse non plus.
PENDANT
Si. Mais on m’a dit « non ».
VICTOR
Tiens donc. Vous avez donc souffert.
PENDANT
Profondément.
VICTOR
Et c’est vous qui êtes censé incarner le pendant du malheur.
PENDANT
Mais oui.
VICTOR
Seriez-vous masochiste ?
PENDANT
Non. Mais de la souffrance, je retire la joie. La joie de ce qui est autre. Les souffrances me rendent tellement plus belles les autres choses qui m’arrivent…
VICTOR
Je vous croyais égoïste et vous vous disiez telle mais vous ne pensez pas assez à vous-même pour vous centrer sur vos malheurs.
PENDANT
Je me centre sur le bonheur.
VICTOR
C'est-à-dire sur vous-même…mais ce n’est pas vrai n’est-ce-pas ?
PENDANT
Je donne dans la mesure ou cela me rends heureuse, je m’occupe de l’autre dans la mesure ou cela me fait plaisir, n’est-ce pas de l’égoïsme encore cela.
VICTOR
Tout dépend…
PENDANT
De quoi ?
VICTOR
Tout dépend si vous parvenez à vous oublier.
PENDANT
C’est un de nos points communs me semble-t-il, l’oubli de soi.
VICTOR
Oui. Alors… Alors peut-être que vous ne vous aimez pas assez pour souffrir.
PENDANT
Je ne sais pas. Vous réfléchissez à ma place ! Mais, si cela peut vous répondre : non, je n’ambitionne pas d’être quelqu’un. Que la mort laisse ou ne laisse pas mon nom, que m’importe. Je peux bien disparaître des cœurs et des esprits. Notre souvenir n’est que vanité et le bonheur, vous l’avez déjà remarqué, pour moi c’est le présent, c’est maintenant. C’est la Terre.
Six heures sont sonnées par les cloches de l’église.
VICTOR (soupire)
Décidemment, vous ne me donnez pas envie…
PENDANT
Vous espériez que je vous fasse envie ?
VICTOR
On espère toujours, idiots que nous sommes…
Nuit. Près des personnages se trouve maintenant une corde avec un nœud coulant, prête à l’emploi.
VICTOR
Vous vous contredisez sans arrêt.
PENDANT
C’est parce que je doute.
VICTOR
Et vous changez souvent d’avis.
PENDANT
Sauf pour votre pendaison.
VICTOR
Vous changer d’avis et pour ne pas avoir l’impression de vous contredire, vous préférez être ce que vous dîtes plutôt que de dire ce que vous êtes… Voilà bien les femmes !
PENDANT
Oh, pas de sexisme, je vous en prie, les femmes, les hommes, vous savez, ce n’est pas si différent. La seule chose que les diffère généralement, c’est que les hommes sont attirés par les femmes et les femmes par les hommes. Quant aux idées et aux réactions, mon Dieu, ce sont bien les mêmes !
VICTOR
Pouah, vous dîtes ça parce que vous auriez aimé être un homme.
PENDANT
Pas du tout. Je n’envie rien. Je n’ai jamais rien envié. Je prends ce qu’on m’offre, voilà tout et je suis heureuse avec cela.
VICTOR
Encore une contradiction ! Il n’y a pas longtemps, vous m’avez confié que vous aimeriez voyager !
PENDANT
Et alors ? Ce n’est pas une nécessaire envie pour autant ! Vous cherchez la petite bête…
VICTOR
Peut-être…Mais avouez quand même que tout à l’heure, quand vous me trouviez trop beau pour me pendre, vous avez aimé mon haussement d’épaules, ma froideur, mon indifférence. On vous auriez crue prête à m’épouser.
PENDANT
Oui... mais je crois que finalement j’aurais préféré vous voir pleurer comme un petit enfant, en vous frottant les yeux avec les poings car je me serais fais une joie de vous consoler. C’est si agréable de consoler un homme. Et vous aussi vous auriez aimé cela, vous auriez aimé le confort de mes bras.
VICTOR
Pour mieux les perdre et retomber dans le malheur ensuite.
PENDANT
Mais vous ne pouviez pas savoir. Vous ne pouvez pas faire comme si vous saviez…
VICTOR
C’est toujours comme cela que les choses se passent.
PENDANT
Vous êtes toujours si sûr de tout… mais le présent peut toujours changer, rien n’est jamais figé.
VICTOR
Il est vrai que chez vous tout change à une rapidité folle.
PENDANT
Mais c’est parce que j’ai hésité peut-être, mais je pensais vraiment ce que j’ai dit au moment où je l’ai dit.
VICTOR
Ça me fait une belle jambe ! Le résultat, je le vois bien, c’est que je vais tout de même être pendu, moi.
PENDANT
Allons, ce n’est pas si grave.
VICTOR
Tiens cette fois vous êtes capable d’une affirmation ! Ce n’est pas si grave ! Mais qu’en savez-vous au juste ?
PENDANT
Rien n’est grave.
VICTOR
Vu sous cet angle, évidemment…
PENDANT
Vous voyez bien, j’ai raison.
VICTOR
Ce n’est donc pas si grave que je reste en vie ?
PENDANT
Ça me gênerait quand même, vous êtes le malheur.
VICTOR
Mais le malheur, il faut faire avec n’est-ce pas !
PENDANT
A bien choisir, autant faire sans.
VICTOR
Comment peut-on être criminelle et heureuse ?
PENDANT
Je ne sais pas.
VICTOR
Mais si puisque vous en avez pendu d’autres !
PENDANT
Oui, mais j’ai juste tiré sur la corde, pour ainsi dire. Ces autres-là, je ne leur ai jamais parlé.
VICTOR
Pas un mot ?
PENDANT
Non. Il allait de soi qu’ils devaient être pendus. Ils étaient unanimement condamnés par le peuple.
VICTOR
C’est donc que les époques changent puisque je n’ai croisé personne dans le peuple qui m’ait condamné.
PENDANT
Pourquoi essayez-vous de sauver votre tête maintenant ?
VICTOR
Je ne voudrais pas que mon assassinat vous pèse.
PENDANT
Si c’est un assassinat, est-ce un crime ?
VICTOR
Sûrement.
PENDANT
Vous êtes le malheur.
VICTOR
Oui.
PENDANT
Et vous voulez vivre ?
VICTOR
Vivre, mourir… quand on espère, on vit, voilà tout !
PENDANT
Et vous espérez… Pourtant, bientôt, ne vous en faites pas, vous allez mettre tout seul votre tête dans la corde sans que je sois forcée en aucune manière de commettre un crime et moi, simplement, je tirerai sur la corde.
VICTOR
En aurez-vous le courage ?
PENDANT
Pourquoi non ?
VICTOR
Mais parce que vous me connaissez maintenant.
PENDANT (évasive)
Oui…
VICTOR
On ne peut pas jouir de pendre un homme que l’on connaît.
PENDANT
Peut-être que si… Si on déteste cet homme ou si… si c’est la justice.
VICTOR
Mais vous ne me détestez pas.
Se disant, il se dirige vers la corde.
PENDANT
Non.
VICTOR
Et je n’ai rien fait de mal.
Il passe la tête dans le nœud coulant.
PENDANT
Non… Mais vous vous promenez, là, parmi les hommes, vous les tentez par vos paroles, vous les incitez…
VICTOR
Ne faîtes-vous pas la même chose ?
PENDANT
Mais non : je me garde jalousement.
Elle empoigne la corde.
VICTOR
Je ne parlai pas de vous… Vous les incitez, vous aussi, en vous promenant parmi les hommes, en leur parlant, à venir vers moi ! Ils voient bien que vous n’êtes pas pour eux, les hommes, et cela les fait souffrir. Ce n’est pas moi, le poison !
PENDANT
Vous devenez spirituel au bout d’une corde.
VICTOR
C’est vous qui devenez sensible.
PENDANT (un peu sèche)
Enfin, si vous n’étiez pas là, vous, justement, ils ne pourraient pas se tourner vers vous pour souffrir, les hommes, et ils seraient bien forcés de croire que je suis à leur portée.
VICTOR
Ils vous déroberaient le bonheur.
PENDANT
Peut-être, peut-être ! Ils chercheraient à me le dérober, en tout cas, ils courraient tous derrière moi et ils ne penseraient pas à souffrir, ils n’iraient pas se complaire dans votre beauté.
VICTOR
Vous me trouvez beau…
PENDANT
Je vous l’ai déjà dit. Et puis, vous le savez bien, c’est vous qui avez choisir d’être beau. Vous ne supportiez plus d’être banal, vous ne supportiez presque plus d’être un homme. Alors voilà, vous avez incarné le malheur. Et vous vous sentez grand sous cette cape, grand, reconnu, vénéré, craint peut-être même, somme toute vous vous sentez considéré.
VICTOR
Et je le suis.
PENDANT
Oui, vous l’êtes.
VICTOR
Même de vous.
PENDANT
Même de moi.
Silence.
VICTOR
J’ai soif.
Silence.
VICTOR
Vous savez, le pire, dans tout ça, c’est que maintenant que je suis le malheur, je me moque de tout ça, je me moque d’être grand, d’être beau, d’être important ! Oui, tout cela n’est que futilité. Maintenant j’ai besoin d’amour, d’estime, j’ai besoin de vérité…
PENDANT
Et vous n’avez que le mensonge…
VICTOR
Le mensonge… N’est-ce pas l’une des clés du bonheur ?
PENDANT
Mais non. Le mensonge, c’est encore l’ambition. On ment pour arriver à son but, on ment pour franchir des marches ou pour être aimé. Je ne cherche pas à séduire.
VICTOR
Les femmes ont des arguments naturels.
PENDANT
Ce sont les hommes qui ont des réactions bestiales face à ces arguments.
VICTOR
Heureux ceux qui s’en contentent, de ces arguments… Heureux ceux qui se transforment en bêtes.
PENDANT
Rassurez-vous, il n’y a pas besoin de beaucoup d’efforts pour cela.
VICTOR
Plus que vous ne croyez !
PENDANT
Mais vous aimez la bête ?
VICTOR
Elle m’indiffère.
PENDANT
Vous aviez soif, n’est-ce pas ?
VICTOR
Oui, mon corps réclame.
PENDANT
Et bien allez boire.
VICTOR
Où ? Dans les flaques peut-être ?
PENDANT
Il y a bien un bar quelque part dans le coin. Ils sont théoriquement obligés de servir de l’eau aux assoiffés. Car vous allez prendre de l’eau, n’est-ce-pas, que vous importerait le goût du vin ?
Le malheur s’est défait de sa corde.
VICTOR
Oui, je vais prendre de l’eau.
PENDANT
A tout à l’heure.
VICTOR
Oui.
Le pendant du malheur baille et s’étire puis fait quelques pas en ronde.
PENDANT (s’arrête)
Et s’il fuyait…
PENDANT (reprend sa ronde)
Non, ce n’est pas possible.
Pendant qu’elle tourne, le malheur revient.
VICTOR
Tiens, vous êtes belle, vous aussi !
PENDANT (sursaute)
Vous m’avez surpris !
VICTOR
Je vous ai fait peur.
PENDANT
Non, ce n’était pas de la peur. Vous cherchez à tout prix à ce que je me contredise.
VICTOR
Je ne cherche rien. La vérité, peut-être…
PENDANT
En tout cas, merci du compliment. Mais si je suis belle, je n’y peux rien.
VICTOR
Enfin, ça vous a fait plaisir, n’est-ce pas ?
PENDANT
Oui.
VICTOR
Comme à toutes les femmes.
PENDANT
Ça me fait surtout plaisir que vous me trouviez belle, pas d’être belle.
VICTOR
Oui. Vous ne l’êtes pas d’ailleurs.
Silence, la jeune femme perd un moment son sourire.
VICTOR
Mais moi je vous trouve belle.
PENDANT
Ah.
VICTOR
Oui, belle même si vous ne l’êtes pas.
PENDANT
Bien, ça me fait plaisir quand même. Vous avez bu ?
VICTOR
Oui.
PENDANT
C’était rapide.
VICTOR
C’est pour cela que mon retour vous a surprise.
PENDANT
Oui, je ne l’attendais pas si tôt.
VICTOR
Seriez-vous venue me chercher si j’avais traîné ?
PENDANT
Comment l’aurais-je pu, je ne pouvais pas savoir dans quel bar vous rentreriez.
VICTOR
Dans un bar proche, forcément, vous eussiez vite fait le tour des tavernes.
PENDANT
Non, je ne serai pas venue.
VICTOR
Même si j’avais traîné toute la nuit ?
PENDANT
Les bars ferment à deux heures.
VICTOR
Et s’ils ne fermaient pas ?
PENDANT
Alors oui, j’aurai fini par venir.
VICTOR
Tout ça pour me pendre.
PENDANT
Oui. Et pour vous voir, ça me fait plaisir de vous voir.
VICTOR
Ah.
PENDANT
Oui.
VICTOR
Alors il est bien idiot de me pendre.
PENDANT
Le plaisir ne fait pas le bonheur.
VICTOR
Non ?
PENDANT
Non, c’est le bonheur qui fait le plaisir.
VICTOR
Bah, de toute façon, ni votre bonheur, ni votre plaisir ne sont mes objectifs, je peux donc bien revenir pour me pendre. Et tant pis si vous aimez me parler, plus tôt se sera fait et mieux ce sera.
Il se dirige vers la corde et attend comme un signal pour mettre la tête dans le nœud.
PENDANT
Et si je vous aimais ?
VICTOR
Si vous m’aimiez ?
PENDANT
Oui, si je vous aimais…
VICTOR
Vous m’aimez ?
PENDANT
Si je vous aimais, vous pendriez-vous ?
VICTOR
Et pourquoi non.
PENDANT
Oh, une simple idée…
VICTOR
Mais vous avez astucieusement évité la question pour n’y pas répondre, de peur que votre réponse soit fausse : m’aimez-vous ?
PENDANT
On est toujours obligé de répondre…
VICTOR
J’oubliais que les femmes ne veulent jamais répondre.
PENDANT
Toujours cette distinction… Si vous aviez eu l’intelligence de ne pas poser la question, je n’aurais pas eu besoin de vous cacher ma réponse.
VICTOR
Oh, faites l’innocente, tiens ! C’est vous qui avez fait la supposition la première, vous vous doutiez bien que…
PENDANT
Non.
VICTOR
M’aimez-vous ?
PENDANT
Puisque vous me forcez à le dire : non, je ne vous aime pas.
VICTOR
Vous le dîtes pour vous forcer à le penser.
PENDANT
Passez donc votre tête dans cette corde plutôt que de faire le prétentieux.
VICTOR
Détrompez-vous, je n’ai aucune prétention, surtout pas celle d’être aimé. Mais je pense sérieusement que vous dîtes blanc pour ne pas penser noir.
PENDANT
Pensez bien ce que vous voulez ; moi, je ne pense rien.
Il passe sa tête dans la corde.
VICTOR
Auriez-vous peur de penser tout à coup ?
PENDANT
Non. Mais je ne sais pas. C’est vraiment trop compliqué.
VICTOR
Dès qu’il faut dire quelques mots d’amour, c’est un peu compliqué, hein !
PENDANT
Arrêtez d’être si sarcastique sinon je sens que je vais vous aimer moins.
VICTOR
Je ne suis pas sarcastique.
PENDANT
Mais si, vous cherchez à me mettre en défaut.
VICTOR
Si je comprends bien, c’est un moment où il faudrait que je me taise.
PENDANT
Oui. Ce serait plus digne.
VICTOR
Je vous trouve idiote quand vous faites des réflexions de ce genre. Idiote et ordinaire.
PENDANT
C’est dur de vous aimer.
VICTOR
Hé, je suis le malheur après tout. Il ne manquerait plus que le bonheur aime le malheur.
Elle se tait.
VICTOR
Mais il en va pourtant ainsi, le bonheur aime son pendant, ou plutôt son pendu.
Elle se tait toujours.
VICTOR
Oui, vous espériez que j’allais réagir au quart de tour, tout à l’heure lorsque vous avez dit « arrêtez d’être si sarcastique sinon je sens que je vais vous aimer moins », vous espériez que j’enchaînerai directement sur « c’est donc que vous m’aimez ! » et vous vous seriez tue, découverte, comme vous vous taisez maintenant. Mais cela ne me plaisait pas de rentrer dans votre jeu.
Elle continue, bien sûr, de se taire.
VICTOR
Bon, pendez-moi maintenant.
PENDANT
Ce n’était pas un jeu.
VICTOR
Une danse alors. Une danse que vous vouliez mener.
PENDANT
Mais non, vous avez beaucoup de préjugés.
VICTOR
Allons, je vois quand même clair.
PENDANT
Vous voyez surtout loin. Vous voyez, vous, tandis que moi je ne vois rien. Quand je dis quelque chose, je ne vois pas ce qui vient derrière. Vous, vous le voyez, vous le voyez à ma place.
VICTOR
Allons, tout de même, vous espériez…
PENDANT
Je n’espérais rien.
VICTOR
Alors n’en parlons plus et pendez moi.
PENDANT
Non, je n’espère pas mais …
VICTOR
Quoi ?
Victor tombe sur le regard flottant de son pendant.
VICTOR
Arrêtez de me regarder avec ces yeux-là, j’ai l’impression que vous voulez m’embrasser.
PENDANT
Je le veux.
Elle approche son visage, continuant de regarder Victor.
VICTOR
Et bien allez-y franchement ! Vous voyez bien que j’ai la tête dans la corde et que je ne peux pas bouger.
Elle y va donc franchement et dépose un baiser (pas si furtif que ça) sur les lèvres du malheur. Puis elle se relève, le regardant toujours.
PENDANT
Voilà !
VICTOR
Comme vous dîtes ça !
PENDANT
Je ne savais pas quoi dire.
VICTOR
C’était bien.
PENDANT
Oui.
VICTOR
Vous m’aimez donc.
PENDANT
Peut-être. Mais je ne sais pas, c’est trop pour le dire…
VICTOR
Pour me le dire ! A moi. Il paraît que chez les femmes ça vient tout de suite ou ça ne vient pas. L’envie d’aimer les prend pour ainsi dire comme l’envie de pisser.
PENDANT
Je croyais que les femmes changeaient toujours d’avis…
VICTOR
Oui, l’envie de ne plus aimer, les prend aussi comme… comme l’autre envie vous voyez.
PENDANT
Voilà que vous devenez poli.
VICTOR
Oui, le malheur se doit d’être poli. J’ai bien enfreint mes limites.
PENDANT
Je ne change pas vraiment d’avis…je ne sais pas encore tout à fait…Mais vous, vous ! Vous ne m’avez rien dit.
VICTOR
Si je vous aime ?
PENDANT
Oui. Mais le malheur n’aime personne je présume.
VICTOR
Mais je ne suis plus le malheur.
PENDANT
Ah non ?
VICTOR
Non.
Elle le regarde sérieusement.
PENDANT
Non, c’est vrai, vous n’êtes plus le malheur.
VICTOR
C’est étrange.
PENDANT
Je crois bien que je vous aime, oui…
VICTOR
Mais… mais si je ne suis plus le malheur, c’est donc que vous me l’avez pris, vous !
PENDANT
Impossible, je suis toujours votre pendant. Le bonheur, comme vous dîtes.
VICTOR
Et vous ne m’avez pas pris le malheur ?
PENDANT
On pourrait peut-être se tutoyer ?
VICTOR
Pourquoi pas… ça me fera bizarre mais essayons. Est-ce que…tu m’a pris le malheur ?
PENDANT
Non.
VICTOR
Non, c’est vrai.
PENDANT
C’est peut-être le baiser, un simple baiser…
VICTOR
Ce serait romantique mais non, non ce n’est pas ça… Je crois que j’étais conditionné à le perdre dès que je… t’ai rencontrée et puis quand… tu as présumé, tout à l’heure, pfuit, le malheur n’était plus là. C’est vraiment étrange.
PENDANT
Oui.
VICTOR
Tu ne me l’as pas ôté du tout ?
PENDANT
Non… je ne connaissais qu’un moyen pour ça, c’était de te pendre.
VICTOR
Alors il est parti tout seul…et maintenant le malheur est dans l’air.
PENDANT
Dans l’air…
VICTOR
Oui, c’est la seule explication.
PENDANT
Ça peut être dangereux ça…
VICTOR
Certainement. Il peut tomber sur n’importe qui…et repartir dans l’air.
Tout en disant cette dernière phrase, il se retire de la corde.
PENDANT
Ce qui veut dire que le malheur est partout maintenant…
VICTOR
Partout où est l’air…
PENDANT
Partout.
VICTOR
Oui. Et le bonheur est sur vous. Enfin sur toi.
PENDANT
Sur moi, oui.
VICTOR
Tout cela manque d’équilibre, tu ne trouves pas. Le malheur est partout, si saisissable maintenant et le bonheur…le bonheur est sur toi, confisqué.
PENDANT
Oh ne dis pas ça…
VICTOR
C’est pourtant vrai. Et il n’y a qu’une solution pour rendre l’équilibre… il faut te pendre.
PENDANT
Me pendre ? Oh mais tu m’aimes !
VICTOR
Moi ? Je ne sais pas… est-ce que c’était moi ou le malheur qui t’aimais… Et toi, qui aimais-tu d’ailleurs ?
PENDANT
Mais toi.
VICTOR
Oui, moi aussi je crois que c’est moi qui t’aime. Il vaut donc mieux que je te pende tant que je n’en suis pas tout à fait sûr. Après, je n’aurais plus le courage.
PENDANT
Oh, tu ne veux pas connaître l’amour ?
VICTOR
Je ne sais pas… mais toi, je le sais, tu ne seras pas malheureuse de le perdre, tu l’as déjà dit… Tu penses aux autres choses, aux choses heureuses…
PENDANT
Mais si tu me pends…
VICTOR
Si je te pends, oui… Je ne sais pas où ira le bonheur. Peut-être qu’il ira dans l’air ou peut-être que tu l’emporteras avec toi dans les cieux… Qu’importe, c’est un risque à prendre.
PENDANT
Oh, ne me pend pas !
Elle met, tout en disant cela, sa tête dans le nœud de la corde.
VICTOR
Le bonheur est pourtant à ce prix et maintenant… je veux le bonheur.
PENDANT
Mais je suis là !
VICTOR
Plus pour longtemps.
PENDANT
Oh, embrasse-moi vite avant de me pendre !
VICTOR
Non.
Et il tire sur la corde. Le bonheur tire la langue, pendu au bout de sa corde. Victor relâche la bride et le corps tombe par terre. Et Victor tombe assis par terre.
VICTOR
Ah, je suis désolé, mais après, je n’aurai plus eu le courage.
Il se force à éviter le corps du regard, épongeant sa sueur. Enfin, il finit par voir le cadavre.
VICTOR
Mon dieu, je n’ai même pas pensé à lui demander ce qu’elle faisait des corps, d’habitude.
Il regarde autour de lui : il n’y a personne sur la place. Il décide donc de sortir sur la pointe des pieds, en catimini.
FIN