Ferme les volets, Simone ! : comédie électorale

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Un candidat député torpille volontairement la carrière de comédienne de sa femme. Un journaliste efféminé fait un reportage sur sa campagne ; le politique ignore qu’il s’agit de son épouse travestie en homosexuel qui, pour se venger, jouera un double jeu en vue de faire capoter l’élection. Mais le mari va tomber amoureux du «journaliste» et une cascade d’événements cocasses s’ensuivra.

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Acte I

 

Félicienne arrive des cuisines avec un plateau garni d’un seau à champagne et de deux flûtes. Elle le pose amoureusement sur une table basse et s’adresse à un invisible interlocuteur.

Curieusement, un traversin est posé verticalement sur le canapé.

Dans cette scène, le jeu outré des deux comédiennes devra être déconcertant pour le spectateur et peut-être l’amener à croire qu’il assiste à un mauvais boulevard.

Félicienne (parlant un peu faux) - Tu es un chou d’avoir pu te libérer pour l’anniversaire de notre rencontre… (Temps.) Tu es bien silencieux, tu penses encore à ta femme ?… Non, je ne suis pas jalouse mais pour une fois qu’elle est partie en voyage chez sa mère nous pourrions tout de même en profiter un peu… (Elle se jette sur le traversin et l’étreint comme un amant.) Svetozar !… Soyons fous ! Là, tout de suite, sur le canapé ! (Soudain, la sonnette de la porte d’entrée retentit longuement. Elle se raidit.) Qui cela peut-il bien être ? Je n’attends personne. (La sonnette retentit à nouveau et interminablement. Elle va voir discrètement au judas et étouffe un cri. Elle revient vers le traversin.) La police ! Vite, il faut te cacher !

Elle s’empare du traversin et va le dissimuler dans un placard. Elle va ouvrir. Malina surgit comme une furie. Elle est vêtue d’un long imper, d’un chapeau d’homme, de bottes et porte des lunettes noires.

Malina - Où est-il ?

Félicienne - Mais de qui parlez-vous ?

Malina - De… Tsev… Tsevo… Du traversin !

Félicienne - Mais qui êtes-vous à la fin ?

Malina retire ostensiblement ses lunettes noires.

Malina - La femme du traversin !

Félicienne - Ciel ! La femme de Svetozar ?

Malina - C’est ce que j’ai dit !… Je sais que vous couchez avec Stevo… Sveto… avec mon traversin ! Avouez-le, chienne lubrique !

Félicienne - Mon Dieu ! Si j’avoue, vous ne lui ferez pas de mal ?

Malina sort un énorme couteau de cuisine de son imper.

Malina - Non, il n’aura pas le temps !

Félicienne - Il n’est pas là ! Il vient de partir !

Malina - C’est ce qu’on va voir ! (Malina va se poster devant la porte du placard.) Ça sent le fourbe, je sens que je brûle… Le rat ! Il s’est enfermé !

Félicienne (hurlant) - Non, par pitié madame, ne tuez pas Svetozar ! J’attends un enfant de lui !

Antoine Tartier (le mari de Malina), en robe de chambre, surgit par l’escalier et découvre la scène.

Malina - Alors c’est un enfant de salaud ! Vous êtes enceinte de combien ?

Félicienne - De deux heures !

Malina - Quand je pense qu’il m’a téléphoné il y a deux heures pour me dire qu’il m’aimait, alors qu’il était en plein chantier sur une grue ! (Elle se rue sur la porte du placard et tambourine.) Ouvre cette porte Chvezo… Chvezotar !

Antoine (à Malina) - Euh… chérie… excuse-moi de te déranger mais… qu’est-ce que tu fais exactement ?

Malina - Je vais égorger un traversin !

Antoine - Ah bon… Félicienne, je dois me rendre au vin d’honneur des Anciens Alcooliques, avez-vous repassé mon costume clair ?

Félicienne - C’est fait, monsieur…

Malina vient d’ouvrir la porte du placard et en extirpe le traversin qu’elle balance par terre ; elle le larde de coups de couteau sous l’œil à peine étonné de son mari. Des plumes volent partout.

Malina - Tiens ! Tiens ! Et tiens !

Antoine (à Félicienne) - Euh… sans vouloir paraître m’immiscer dans vos affaires… qu’est-ce qu’il lui a fait ce traversin ?

Malina - Et tiens ! Et tiens !

Félicienne - Elle est mariée avec lui mais moi je couche avec… Un crime passionnel, quoi…

Antoine - Bien sûr… Bien sûr… Eh bien, mes condoléances. À plus tard. Moi, je vais me préparer…

Malina - Et tiens !

Antoine gravit les trois marches, puis se ravise et, d’un air navré, regarde sa femme qui finit « d’assassiner » le traversin.

Antoine (à Félicienne) - Tout de même, je voudrais vous dire…

Félicienne - Oui, monsieur ?

Malina (coup de couteau au traversin) - Et tiens !

Antoine (soupir las) - Non, rien…

Il disparaît. Malina se relève, essoufflée.

Malina - C’était bien ?

Félicienne (ramassant un manuscrit) - Oui mais tu butes toujours sur « Svetozar »… Il ne peut pas s’appeler Bruno comme tout le monde ?

Malina - Non, malheureuse ! L’auteur s’entête à l’appeler Svetozar, son petit ami est Russe… Tiens, je l’ai bien dit là… (Temps.) C’est quand même vachement mauvais cette pièce…

Félicienne - Mais pourquoi tu as signé, alors ?

Malina - Pour emmerder mon mari en pleine campagne électorale !… Une femme comédienne ça fait désordre pour un maire qui veut devenir député… Il ne m’a jamais prise au sérieux, et ça, je ne lui pardonne pas ! Je vais jouer dans une vraie daube, rien que pour avoir le plaisir de dire aux journaleux que je suis sa femme !

Félicienne - Euh… c’est prévu pour quel théâtre ?

Malina - Le théâtre du Palais Royal…

Félicienne - Aïe aïe aïe…

Malina - … de Berck-Plage… juste en face du centre de rééducation fonctionnelle…

Félicienne - C’est déjà plus envisageable…

Malina - Mais attention, en pleine saison touristique !

Félicienne - Juillet-août ?

Malina - Non ! Janvier-février !

Félicienne - En hiver ?

Malina - Oui, janvier-février, ça tombe en hiver cette année…

Félicienne - C’est pas un peu risqué ?

Malina - Risqué, oui, mais pas pour nous !… Je m’explique : la neige et le verglas sont nos amis ! C’est l’époque où le centre de rééducation reçoit le plus de traumatisés de la route, on va être pleins à craquer… Ils ont besoin de rire ces pauvres accidentés, parce que coulés dans le plâtre jusqu’au cou, ça porte un peu à la mélancolie…

Félicienne - C’est salutaire, quoi…

Malina - Moi je dirais : sanitaire !…

Félicienne - Tu crois que ça va leur plaire ce boulevard ringard ?

Malina - Quand on a frôlé la mort, on est prêt à rire de tout. Tu leur envoies Laurent Terzieff dans « Conversations sinistre avec deux squelettes », ils se marrent comme des baleines… (Inquiétude subite.) Il n’y a que pour les applaudissements que je me fais un peu de soucis…

Félicienne - Quand même, ça me fait toujours envie… Pourquoi j’ai laissé tomber le théâtre ?

Malina - Rectification : c’est le théâtre qui t’a laissée tomber, et il a bien fait… T’es pas douée, t’es pas douée…

Félicienne (blessée) - Malina, pourquoi tu es si cruelle avec moi ?

Malina - Parce que en 1995 tu m’as piqué mon mec en tournée, à Notre‑Dame-des-Misères, ça ne s’invente pas !

Félicienne - Mais vous étiez séparés depuis deux ans et tu étais déjà avec ton mari !

Malina - M’en fous ! J’aime pas qu’on se tape mes restes !… (Temps.) Quel mauvais comédien lui aussi… Au fait, vous êtes toujours ensemble ?

Félicienne - Disons qu’on se voit de temps en temps…

Malina - Intermittent du spectacle, intermittent du câlin… C’est plus un mec, c’est un clignotant…

Malina - Comment il s’appelle déjà ?… Un prénom à la noix…

Félicienne - Pierre-Achille…

Malina - Ah oui ! Pierre-Achille… Il faut en vouloir à son gosse pour lui refiler un pedigree pareil à la naissance… Et on s’étonne qu’il y ai des carnages dans les familles… En revanche, ce qu’on ne peut pas lui retirer, c’est qu’il est bel homme… Pas futé, mais bel homme… Tout dans le regard, rien dans le cigare… (Félicienne éclate en sanglots.) Mais qu’est-ce qu’elle nous fait notre petite Félicienne ?… Je t’ai fait de la peine, c’est ça ?… Je te demande pardon, je ne pensais pas ce que je disais, enfin pas vraiment… Finalement tu es une excellente comédienne qui n’a pas eu de chance… Là, tu es contente ? (Félicienne redouble de sanglots, Malina la prend dans ses bras.) Allons bon… Tu veux que je te dise ? Les metteurs en scène n’y connaissent rien, ils n’ont pas compris que tu parles faux exprès, c’est un nouveau style… Tu as un talent tellement particulier qu’il leur est passé au‑dessus de la tête, c’est tout… Regarde, Picasso, il a eu du mal au début… Mais attends que tu sois morte, comme Van Gogh, et ils vont tous le regretter… (Nouveaux sanglots de Félicienne. Soupir de Malina.) Non, Félicienne, je ne peux pas faire plus… Je veux bien poursuivre les négociations mais il faut rester sur des bases acceptables par les deux partis…

Félicienne (snif) - On s’est disputés… Pierre-Achille m’a quittée ce matin…

Malina - Ah ! ce n’était donc que ça, tu me rassures…

Félicienne (à nouveau au bord des larmes) - Il a brisé… Il a brisé mon…

Malina - … ton cœur, je sais… (Signe négatif de la tête de Félicienne.) Ton amour ? (Signe négatif de la tête de Félicienne.) Ton ménage ?

Félicienne (explosant) - Non ! Mon bâton de majorette !

Malina - Oh ! le salaud !

Félicienne - Je dois participer au Concours International des Majorettes Vétérantes du Châtelet-en-Brie, toutes les troupes européennes seront là. Premier prix : un voyage à Disneyland…

Malina - En Amérique ?

Félicienne - Non, à Marne-la-Vallée… Un week-end pour deux, tout compris… Je voulais t’inviter…

Malina - J’ai peur en avion…

Félicienne - … mais c’est foutu, je n’ai plus de bâton !

Pleurs.

Malina - Ça c’est ballot… Je te comprends : privée du Mickey de Seine-et-Marne, ça peut faire basculer une vie ! Tu n’as qu’à prendre, je ne sais pas moi… un parapluie…

Félicienne - Je serais ridicule…

Malina - Mais même avec un bâton tu es ridi… je veux dire qu’à ton âge, majorette c’est un peu… comment dire…

Félicienne se relève et la toise durement.

Félicienne - Tu veux insinuer que je suis trop vieille pour être majorette ?

Malina - Oh là là ! Dans quoi je me suis embarquée, moi…

Félicienne - Est-ce que tu sais qu’il faut des semaines d’entraînement pour faire tournoyer le bâton ?

Malina - On ne croirait pas dis donc… C’est comme pour passer le bac : des semaines de révision et, une fois qu’on l’a, ça ne sert à rien aussi…

Félicienne - Je sens que tu te moques…

Malina - Mais non, j’essaie de relativiser…

Félicienne (perfide) - C’est autrement plus difficile que faire la comédienne dans des boulevards lamentables pour handicapés !

Malina (piquée) - Il faut avoir d’autant plus de talent… Le talent, tu en as entendu parler ?

Félicienne (même jeu) - Majorette c’est un métier, ça ne s’improvise pas, je voudrais bien t’y voir !

Malina jette son chapeau, retire soudain son grand imper qu’elle avait gardé et se retrouve en guêpière et bottes. Elle prend une pose figée de majorette, les bras levés.

Malina - Trouve-moi un manche et je suis ton homme ! Qu’est-ce que tu paries ?

Félicienne (se prenant au jeu) - La perdante a un gage !

Malina - Tenu ! (Félicienne disparaît un très court instant. Malina garde la pose.) Je confirme, je suis grotesque… (Félicienne revient avec un manche d’aspirateur qu’elle lui tend – deux tubes emboîtés.)… et ce n’est qu’un début… Musique !

Félicienne appuie sur le bouton de la chaîne. Une marche de majorettes retentit ; Malina commence à marcher sur place en levant haut le genou, puis elle fait des figures de majorette en faisant tournoyer le manche d’aspirateur dans des allées et venues parfaitement symétriques.

Félicienne, fair-play, est épatée.

Félicienne - Ouah ! Mais où tu as appris ça ?

Malina (continuant son numéro) - J’ai lu un bouquin sur la vie de Bernadette Chirac…

Félicienne - Elle a été majorette ?

Malina (même jeu) - Non, mais il suffit de l’imaginer en majorette et on se dit que rien n’est impossible…

Félicienne - Non, mais blague à part ?

Malina (poursuivant ses évolutions) - Figure-toi que j’ai été majorette entre treize et seize ans, le rêve de ma mère matérialisé sous ses yeux… C’était ça ou la maison de correction…

Félicienne - Heureusement qu’elle n’a pas rêvé d’être bonne sœur…

Malina - Je me demande si je n’aurais pas préféré… Dis, tu me dois un gage… Je ne sais pas encore comment je vais t’humilier, je vais réfléchir…

Malina exécute une curieuse figure à la fois compliquée et esthétique.

Félicienne - Ouah ! Comment t’as fait ça ?

Malina - Ça ? (Elle refait la figure.) Fastoche… Le « pas double piqué de la bécasse amoureuse », un truc inventé par la capitaine un soir où elle était bourrée…

Félicienne - Attends, j’essaie !

Félicienne entre dans la chorégraphie. On sonne à la porte, elles n’entendent pas à cause de la musique. On sonne à nouveau, les deux amies continuent leur numéro.

Une jeune et jolie femme (Flavine Bouzac) entre dans le dos des deux autres qui poursuivent leur chorégraphie. Elle demeure interdite en découvrant cette scène un peu surréaliste. Rappelons que Malina est en bottes et guêpière, et que le sol est jonché de plumes.

Flavine - Euh… excusez-moi mesdemoiselles…

Elles n’entendent rien. Antoine surgit par les escaliers, vêtu d’un beau costume clair et ceint d’une écharpe tricolore.

Antoine - Félicienne, il me semble qu’on a sonn… (Lui aussi découvre la scène, puis la présence de Flavine, un peu gênée.) Bonjour Flavine, excusez-moi un instant… (Il coupe le son de la chaîne. La musique cesse brutalement, les deux autres se retournent.) C’est quoi ce cirque ?

Malina - Perduuu ! C’est pas du cirque !…

Antoine - Félicienne, vous croyez que je vous paye pour danser avec ma femme à moitié à poil ? Ça commence vraiment à bien faire !

Malina, menaçante, vient lui parler sous le nez.

Malina - Touche pas à ma pote, raciste ! Tant que je serai vivante il faudra me passer sur le corps pour que tu la mettes à la porte !

Antoine - Mais tu divagues… En quoi je suis raciste ? D’abord elle est Française… Vous êtes bien Française, Félicienne ?

Malina - Ne réponds pas, ne parle qu’en présence de ton avocat, il cherche à te déstabiliser… Va à la cuisine, je tiens la bête en respect… (Félicienne sort.) Qui c’est la demoiselle à lunettes ?

Antoine - Euh… je te présente Flavine Bouzac, ma directrice de campagne… euh… ma femme, Simone… ou ce qu’il en reste…

Flavine - Enchantée Simone…

Malina - Mon nom d’artiste c’est Malina Valdix. Il m’appelle Simone exprès pour m’emmerder…

Antoine - Excuse-moi, mais pour l’état civil tu t’appelles Simone Tartier…

Malina - Et il en repasse une couche le mufle…

Flavine (gênée) - Euh… c’est très joli toutes ces plumes partout…

Malina - Oui, pas mal… On sacrifié un coq à la lune montante pour porter chance à notre candidat Antoine Tartier…

Antoine - Tu pourrais peut-être prendre un pull, tu vas attraper froid…

Malina - Et toi, dimanche, tu pourrais peut-être prendre une veste ?… Autant que vous le sachiez, mademoiselle, moi je vote Raoul Mignard…

Elle renfile son imper.

Antoine (riant jaune) - Elle plaisante évidemment…

Malina - Évidemment… Mademoiselle, vous connaissez la pub télé : « Gludent » ?

Flavine - Oui, pour la colle à dentier ?

Le visage d’Antoine se décompose.

Malina - Affirmatif ! Eh bien, l’aveugle avec les lunettes noires qui cherche son dentier au fond des toilettes, c’est moi !

Flavine - L’aveugle… qui… qui…

Malina - Oui ! Avec le bras dans les waters ! Marquez ça dans le dossier de presse : « La femme d’Antoine Tartier est une vedette de la télé », vous allez récolter les voix de tous les aveugles et des édentés… pas les muets, ils n’ont pas de voix… Elle est bonne celle-là !

Antoine (vert de rage) - Flavine, voulez-vous m’attendre dans la voiture ?

Flavine - Oui monsieur… Je vous rappelle qu’après le vin d’honneur, nous avons une interview de « La Lanterne champenoise »…

Antoine - Ce ne sera pas long.

Flavine - Euh… autre chose… un petit problème se présente…

Antoine (fixant rageusement sa femme) - Oui, je sais, il est juste devant moi…

Flavine - Plutôt derrière, monsieur le maire… votre veste…

Antoine - Ma veste ? Qu’est-ce qu’elle a ma veste ?

Il tourne sur lui même ; nous découvrons que la veste claire porte une inscription au gros feutre : « Votez Raoul Mignard ». Il se voit dans un miroir et retire vivement la veste.

Malina - Tu retournes déjà ta veste ?

Antoine - Ta Félicienne, elle ne perd rien pour attendre !...

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