Fuck la mégère apprivoisée !
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Nous sommes dans le bureau d’un agent de comédien, un bureau un peu miteux. Entre un comédien avec un scénario à la main qu’il pose sur le bureau. Il s’assit face à son agent.
Le comédien : M’sieur mon agent, bien le bonjour !
L’agent : (Curieux) Alors ?
Le comédien : (Posant un texte sur la tale) « Fuck la mégère apprivoisée… et soumise », c’est pas vraiment un Shakespeare, tu sais.
L’agent : Ah non ?
Le comédien : Non ! Pour la faire rapide, c’est plutôt un porno.
L’agent : (N’en revenant pas) Roohhhh ?
Le comédien : Je ne te le fais pas dire.
L’agent : Rooohhh, tout de même.
Le comédien : N’as-tu pas lu les didascalies ?
L’agent : Je ne les lis jamais, c’est d’un ennui !
Le comédien : Et le dialogue, hum ? Le dialogue ne t’a pas mis la puce à l’oreille ?
L’agent : Maintenant que tu le dis…peut-être un peu condensé.
Le comédien : Non ?
L’agent : Si, si, on ne retrouvait pas le souffle épique de Shakespeare.
Le comédien : On y retrouvait un autre souffle… plus convulsif.
L’agent : Rooohhh, tout de même. Et ça c’est passé comment ?
Le comédien : Hein ? Ah, je ne me suis pas rendu au casting.
L’agent : Tu as bien fait !
Le comédien : N’est-ce pas.
L’agent : J’ai de la morale moi, j’aurai été obligé de résilier notre contrat…
Le comédien : Et comme je suis ton seul comédien…
L’agent : La vertu n’a pas de prix !
Le comédien : En l’occurrence si… mes dix pour cent.
L’agent : (Soudain regret) Dix pour cent oui… de toute façon comme tu ne vas pas faire ce Shakespeare…
Le comédien : Qui n’en est pas vraiment un.
L’agent : La mégère apprivoisée tout de même…
Le comédien : Est rarement précédé de Fuck.
L’agent : Fuck ?
Le comédien : Fuck … (l’agent ne comprend pas) C’est de l’anglais.
L’agent : Ah ?! Je ne lis jamais l’anglais, c’est d’un ennui… surtout que c’est une langue que je ne comprends pas.
Le comédien : Ah bon ?
L’agent : Non, alors toutes ses lettres mises les unes à côté des autres et qui en français ne veulent absolument rien dire, ça me crispe à un point !
Le comédien : Faut pas.
L’agent : Je suis comme ça moi. J’ai l’air doux et bonhomme mais attention, parfois je me crispe à un point !
Le comédien : Je comprends.
L’agent : Le pire c’est les biélorusses ! Ils ont un alphabet ILLISBLE !
Le comédien : L’alphabet cyrillique.
L’agent : Oui ? Et bien qu‘un seul biélorusse s’avise de m’envoyer un scénario écrit dans cette langue, je le mets là et je ne le lis pas. Je l’ignore !
Le comédien : (Se levant) Monsieur mon agent, dès que tu as un p’tit quelque chose à me proposer…
L’agent : Ne pars pas maintenant, attends, tiens prends un gâteau, c’est des petits beurre, c’est bon les petits beurre.
Le comédien : (Se rassoit intrigué) Tu as quelque chose à me proposer ?
L’agent : Oui, (Solennelle) mon p’tit Laurent, tu permets que je t’appelle ainsi, nous nous connaissons depuis …. (Comme si cela faisait de décennies) pfff.
Le comédien : Juin dernier.
L’agent : Oh, le temps ne fait rien à l’affaire.
Le comédien : Sauf quand on l’invoque pour s’en gargariser.
L’agent : (Sans l’entendre) Que d’aventures nous avons vécu ensemble, hein ? (Soudain ému) Tu te rappelles le jour où tu t’étais perdu en lointaine banlieue pour un casting que je t’avais dégoté et que désespéré d’être en retard tu m’appelais au téléphone « Papa, mon p’tit papa ! Au secours »
Le comédien : (Surpris) Je ne t’ai jamais appelé « Papa ».
L’agent : Oh ! Le ton y était ! On ne trompe pas le cœur d’un agent.
Le comédien : Ouais ! Tu m’avais envoyé dans la mauvaise ville, idiot.
L’agent : Mais le numéro de la rue était le bon : 17, rue de Paris. Je m’en souviens.
Le comédien : A Fontenay aux roses, pas à Fontenay sous bois.
L’agent : Que tu pinailles!
Le comédien : Ok. Ta proposition ?
L’agent : Ma proposition ?
Le comédien : Oui.
L’agent : Proposition ? J’ai dis proposition, comme j’aurai dis…réflexion.
Le comédien : C’est pas tout à fait le même mot.
L’agent : C’est peut être pas tout à fait le même mot, mais ça rime.
Le comédien : Couillon aussi ça rime !
L’agent : Tu vois tu pinailles encore ! Tu n’étais pas comme ça avant.
Le comédien : Depuis juin dernier, je t’ai beaucoup subi.
L’agent : (Comme frappé de stupeur) Oh ! Et moi qui allais te proposer de prendre un autre petit beurre. Ingrat !
Le comédien : Bon t’accouche !
L’agent : Pour ta gouverne, je suis maintenant trop âgé pour enfanter.
Le comédien : Bien.
L’agent : Je ne me fais plus la moindre illusion. Peut-être qu’en allant en Espagne ou en Italie…mais ce ne serait pas sérieux. Revenons à nos moutons.
Le comédien : C’est ça.
L’agent : Laurent je suis…. Pudeur que tu me supplicies ! Je suis…
Le comédien : T’y es presque ! Poussez, poussez !
L’agent : Ruiné, Voilà : (Il prend sa respiration) Je suis complètement ruiné.
Le comédien : Aïe !
L’agent : Onomatopée de circonstance ! Plus un sou.
Le comédien : Re aïe.
L’agent : (Soudain ému) Oh ! Merci, merci mon p’tit Laurent, mon quasi fils! Voilà un « aïe » de compassion que je ne suis pas près d’oublier. Fais bécot à papa.
Le comédien : N’en fais pas trop tout de même.
L’agent : (Se reprenant) Je suis un agent sensible, c’est tout.
Tiens, regarde cet innocent paquet de petit beurre, je l’ai acheté le mois dernier…à crédit. Comme je suis en retard sur mes échéances, l’épicière, une femme barbare, me fait une vie impossible. A chaque fois que je passe devant son échoppe située à deux pas de chez moi, elle m’assassine d’imprécations et me dit des choses d’une malhonnêteté !
La dernière fois, elle m’a poursuivi en Vélib jusqu’à Charenton. Je courais, je courais, finalement je l’ai semé en lui jetant une poussette au travers de ces roues. Depuis la mère de l’enfant me déteste et s’est lié d’amitié avec l’épicière. Je suis un homme traqué.
Le comédien : (Sceptique) Oh.
L’agent : Si traqué ! Ce petit beurre que tu manges, je l’ai gagné avec mon sang.
Le comédien : Je n’y touche plus alors, en auras-tu assez pour finir le mois ?
L’agent : Je vois bien que tu me moques, jeunesse ennemi ! Enfin.
Le comédien : (Se levant) Bon, Quand tu te décideras à me parler normalement…
L’agent : (Rapide) Si tu acceptais de faire ce Shakespeare, hein ? Pour me faire plaisir.
Le comédien : Quoi ! Tu veux que je fasse un porno ?
L’agent : Comme tu y vas ! Porno, porno. C’est bien Shakespeare qui a écrit l’histoire d’une mégère non !
Le comédien : Tu as vu comment elle se fait apprivoisée !
L’agent : (Innocent) Ce n’est pas dans la pièce ?
Le comédien : Pas de cette façon là, non !
L’agent : Parce que ce n’est pas dans la pièce officielle ! Mais de récente recherche affirme que sous ses airs bonasses, Shakespeare… je ne voulais pas t’en parlé, je sais la vénération que tu portes à cet auteur, mais tant pis, puisque tu fais l’innocent, Shakespeare courait le guilledou !
Le comédien : Il courait le guilledou ?
L’agent : Un ma-ra-tho-nien ! Et comment crois-tu qu’Ophélie est devenu folle, Hum ?
Le comédien : La mort de son père peut-être ?
L’agent : Officiellement ! Et Juliette, la petite Juliette, si Roméo n’avait pas été là, une orgie de cricon-criquette oui!
Le comédien : Cricon-criquette ?
L’agent : Cricon-criquette soutiens-je ! Et Desdémone !
Le comédien : Desdémone ?
L’agent : La pauvre enfant, elle était en deuxième année BTS de secrétariat assistanat, mention bien, moi je lui aurai donné mention très bien, mais les maitres de l’époque était très sévère, enfin, et v’la t-y pas qu’elle rencontre un malhonnête qui lui fait des propositions de théâtre où ça couche à tire larigot, ce malhonnête Laurent, sache le, c’est Shakespeare ! Résultat, elle a redoublée !
Le comédien : Je pensais que Desdémone était un personnage fictif
L’agent : Officiellement !
Le comédien : Que tu en sais des choses !
L’agent : Et encore, j’en garde beaucoup pour moi.
Le comédien : L’humanité y perd.
L’agent : Mais l’image de Shakespeare demeure cristalline (Hésitant) Alors pour ton contrat…
Le comédien : Je l’accepte!
L’agent : Hein ?
Le comédien : Ton argumentation est si brillante.
L’agent : (perplexe) Tu es sûr que…
Le comédien : Tes démonstrations si profondes.
L’agent : (Faussement modeste) Oh.
Le comédien : Ta conception si novatrice.
L’agent : Je suis comme ça moi !
Le comédien : Allons plus loin encore dans l’inauguration d’un nouveau genre.
L’agent : (Plein d’enthousiasme) Allons-y ! Oui, allons-y !
Le comédien : Nous allons inventer le concept des films pornographiques pour acteurs pudiques. C’est très simple, tu vas négocier mon contrat pour que je tourne toutes les scènes de nu…habillé.
L’agent : (Soudain moins enthousiaste) Innovation peut être un peu….
Le comédien : Audacieuse ? Allons un innovateur de ton acabit ne s’aurait s’arrêter en si bon chemin, hum ?
L’agent : Si ça ne tenais qu’à moi…
Le comédien : Alors c’est gagné ! Tiens fêtons ça ! (Il mange un biscuit).
L’agent : Noon ! Rend moi mon biscuit ! Affameur d’agent ! Voleur de biscuit ! Recrache !
Fin !
Dans le noir
Voix de l’agent : Pas sur mon bureau dégoutant, je te limoge ad vitam aeternam !!!