Fusion Et Confusion

Maurice – minable comptable – prépare Jean-Philippe – cadre supérieur – menteur pathologique – à une rencontre avec Madame Zéboni, redoutable femme d’affaires. Vingt ans auparavant, elle n’était que Daisy… mignonne petite secrétaire… fragile brebis aux dents encore plus longues que celles de nos jeunes loups.
Le monde des finances : tous les coups sont permis, à condition que ça rapporte…
Trois personnes, tortueusement modelées par leurs rapports d’antan, se retrouvent dans la même toile d’araignée, tissée
d’avarice et de désir.

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        FUSION ET CONFUSION

 

COMEDIE d'ALAN ROSSETT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Philippe

Maurice

Daisy

 

 

 

 

 

 

Acte 1

Une allée dans le Parc de St. Cloud.

Scène 1  :  Midi.

Scène 2  :  Le lendemain Matin.

 

Acte 2

Chez Maurice. Fin de Matinée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE 1

 

Scène 1

 

Fin du 20ème siècle.  La pièce commence dans une allée du Parc de St. Cloud.  Midi, printemps, beau fixe.

 

Ce décor peut être fait de mille-feuilles vertes si ça plaît au scénographe... ou, selon le budget, un simple banc. L'important, ce sont les deux hommes qui y sont assis. Entre eux : une grande boîte contenant une pizza.

 

Maurice : 45 ans, fébrile et effacé à la fois.

 

Jean-Philippe : dans les quarante ans, lui aussi : bel homme, un peu usé, dans un beau costume.

 

Maurice taquine Jean-Philippe avec une sournoise insistance...

Jean-Philippe esquive... tantôt renfrogné... tantôt attiré. Ambiance assez tendue :

 

 

JEAN-PHILIPPE   Mais enfin, Maurice... pourquoi m'as-tu invité ici ? Pour manger

une pizza ? Ou pour me dire que j'essaie, moi, de t'acheter avec du caviar ?

 

MAURICE   Tu n'essaies pas. Tu y arrives.

 

JEAN-PHILIPPE    Que veux-tu de plus ? De temps en temps, en technocrate par excellence, tu me fournis la solution d'un petit casse-tête informatique. Je te récompense en champagne, ou par un dîner chez Taillevent… Tu sais, je ne suis pas du genre à graisser la patte.

 

MAURICE    Et l'affaire Polineau-Rey ?

 

JEAN-PHILIPPE   Comment ?!

 

MAURICE  Mes ordinateurs, vieux. Je prends une statistique, je la confronte à un nom, je la fais violer par un autre et tiens-tiens bing ! ton nom entaché de la corruption !

 

JEAN-PHILIPPE ("amusé")  Tu veux me faire chanter ?  C'est ça ?  Sacré Maurice ?

 

 

MAURICE   Au contraire ! Je rêve de devenir aussi dégueulasse que toi !  Quand on travaillait ensemble, c'était l'adoration !! Tu sais, je ne suis pas totalement fermé aux propositions en ce moment. Donc j'attends la tienne, et ensuite...

 

JEAN-PHILIPPE   Ca tu l'attendras jusqu'à la fin du monde !! Non, on a beaucoup de choses en commun mais..­.

 

MAURICE  Aucune ! On est complémentaires !! Toi et moi, dans le temps,

ensemble !

 

JEAN-PHILIPPE  (le coupant)  On a fait une merde !

 

MAURICE  Pas exactement..­-

 

JEAN-PHILIPPE (le coupant)  U-Ne Mer-De ! Même si ce n'était pas de notre faute.

 

MAURICE  Si ! La tienne !

 

JEAN-PHILIPPE  Je m'en souviens à peine. Mais... ?  Ç'aurait pu se passer autrement non... ?  ... si... on n'était pas tout simplement mal tombés...  avec...

ce... ?

 

MAURICE  Cette.

 

JEAN-PHILIPPE  Oui, cette... associée... Cette... ?

 

MAURICE  Mademoiselle Zéboni. Daisy Zéboni. Daisy. Aucun souvenir ?

 

JEAN-PHILIPPE  Oh que si ! Je l'appelais "Ma beauté juive"... Cela l'excitait ! Cela m'excitait ! Ah ! cette excitation devant la beauté juive !

 

MAURICE   Tu ne serais pas un peu antisémite, Jean-Phi ?

 

JEAN-PHILIPPE   Loin de là ! Qu'à voir les jambes satinées de cette jolie juive... étincelantes de "Rosée de Rose", eau de toilette pur Ménilmontant. Elles m'ont attendri, ces jambes-là !

 

MAURICE   J'espère bien. Tu as laissé quelques milliards couler entre ces

jambes-là.

 

JEAN-PHILIPPE   Enfin. C'est du passé !

 

MAURICE   Pour toi ! Qui as transformé une petite connerie en pierre angulaire de ton fabuleux empire ! Broncard ! Directeur Général de l'Uni-Pasico ! Tandis que

moi ! J'ai récolté la tempête ! Les conséquences des jambes satinées et la rosée de rose de Mamzelle Zéboni et ce depuis vingt ans !

 

JEAN-PHILIPPE   Maurice ! Pas possible ! Troublé encore par un trivial incident         lointain ?

 

MAURICE  Trivial ? Explique-moi pourquoi - une fois « la rigolade » classée - trois ans se sont écoulés avant que tu oses me revoir ?  Pourquoi - pendant toutes ces années - ­on n'a jamais prononcé un seul mot là-dessus ?  Fais gaffe ! Même pour un Directeur Général, le moment des comptes arrive ! En bas de la note : Qui tu étais !... Qui j'étais ! (insinuant) Qui elle était.

 

JEAN-PHILIPPE   N'étions nous pas, toi et moi, de jeunes gens comme il y en a cent, comme il y en a mille : désespérément banals ? Petits employés de banque qui trimaient dans un cagibi vétuste ? Toi... toujours ce pull-over informe...

 

MAURICE    Toi, penché déjà vers l’avenir, attifé en caricature de cadre supérieur… Ensemble on vérifia les dossiers des petites sociétés qui avaient demandé à notre banque des emprunts modestes pour financer des projets quelconques. Toi... au téléphone…

Jean-Phi…  :

 

JEAN-PHILIPPE   (Comme dans un flash-back, « au « téléphone », jeune, mielleux)   "Monsieûûûr, je n'ai pas de conseils à vous donner… «

 

MAURICE   (ronronnant)   Mmmmm vas-y donne, donne…

 

JEAN-PHILIPPE   « Mais entre nous – chut - on m'a dit que si - au lieu d'emprunter - vous "placiez" ce que vous n'avez pas... mais que vous aurez si vous suivez mes conseils à le lettre ... Chut, Monsieur, chut !!"   (clin d'œil à Maurice)   Et encore un qui va perdre un paquet !  … Ce que je m'amuse !!

 

MAURICE   "Mon petit Jean-Phi... "   Ce  talent… de faire gober n'importe quoi à n'importe qui !!''…

 

JEAN-PHILIPPE  C'est une telle preuve de la connerie des gens.

 

MAURICE  "... que tu arrives à te sentir intelligent en comparaison. Pinocchio de mon cœur… ne serait-ce pas de la vraie intelligence de marier ton don à mon génie pour les chiffres ?

Et plutôt que de perdre des paquets pour les autres, en faire un… pour nous-même ?

Si, par exemple, on s’approprie un de ces dossiers devant nous…"

 

JEAN-PHILIPPE    "S'approprie ? "

 

MAURICE    (insidieux)  T'as à nouveau vingt ans. T'es beau à nouveau. Tout est possible de nouveau ! Pour toi ! Pour moi ! Main basse sur un dossier.  N'importe lequel. Tiens, cela  pour financer une nouvelle chasse d'eau qui en principe remplit votre cuvette à une vitesse "supersonique" !

 

JEAN-PHILIPPE  De la foutaise, quoi.

 

MAURICE  Tant mieux ! : nous serions bien les seuls à s’intéresser à ce dossier à la con. Alors toi, tu vas téléphoner au patron qui l’a déposé. Et – en faisant semblant d'être

un fondé de pouvoir de notre banque..- ­

 

JEAN-PHILIPPE   Moi ? Fondé de pouvoir ? Non ?

 

MAURICE   Si ! Pour Pinocchio, un jeu d’enfants !  Mets ta cravate la plus impressionnante et va convaincre Mr. Water-closet d'oublier son emprunt mesquin... pour se laisser acheter par une grande société. Celle de mon choix !  Car - toujours en "faux fondé de pouvoir" -­ tu vas prendre contact avec une grande société et  ­la convaincre d'acheter notre petite société. On appellera l'opération... ?

 

JEAN-PHILIPPE    "Fusion et Confusion"  !?

 

MAURICE   Oûûûi ! Car, quand ce sera marché-conclu entre les deux sociétés, nous présenterons le résultat ici, à notre banque. Nous allons avoir besoin d’une banque, non, pour officialiser l'affaire ? Notre banque - ayant touché une fort jolie commission juste pour quelques menus services – nous remercier sous forme de….(chantonnant)   « Promotions !"

 

JEAN-PHILIPPE    "Augmentations !"

 

MAURICE  "Titres ! Du fric, Jean-Phi, du fric !"

 

JEAN-PHILIPPE    (coupant le flashback)   Du fric, bah !! Daisy Zéboni en tout ça !!

 

MAURICE  Ses fesses...

 

JEAN-PHILIPPE  ... Ah... ?

 

MAURICE   Deux melons à point ondulants derrière une mini-jupe jaune canari ?

 

JEAN-PHILIPPE  Comment le sais-tu ?!

 

MAURICE  Chéri, tu m'as tout raconté d'elle ! A la grande société... tu as suivi ses déhanchements le long d'un corridor... jusqu'à... ?

 

JEAN-PHILIPPE    (rêveur)   "Mademoiselle ! Je suis Broncard de Trans-Crédit ! J'ai un rendez-vous avec Monsieur Patarin."

 

MAURICE    (caricaturant Daisy, aguichant")   "Il doit y avoir erreur sur votre rendez-vous ! Bernard... Monsieur Patarin est actuellement en vacances.

("s'assoit, sexy")   Je suis sa secrétaire... "  (croise ses jambes)  "de direction !!"

 

JEAN-PHILIPPE   J'ai entendu le crissement de ses bas...

 

MAURICE  ("Daisy, bavant")   "Ce dossier est bien présenté ! La chemise jolie ! Ooh ce dossier ! Laissez-le moi !"

 

JEAN-PHILIPPE    (flirt)   "Non ! Tu vas le mouiller" !

 

MAURICE    ("Daisy")   "Monsieûûûr !! Je vais essayer de le déchiffrer toute seule... ce soir... chez moi... !? "

 

JEAN-PHILIPPE    "Si on s'y mettait... ensemble ? "

 

MAURICE    ("Daisy, choquée")   "Comment ça !? "

 

JEAN-PHILIPPE    "Au restaurant ! Je vous emmènerai à, à..."

 

MAURICE    ("Daisy, maligne")   "La Tour d'Argent".

 

JEAN-PHILIPPE    (sort du jeu)   Elle a osé ?

 

MAURICE   (sec, redevenu Maurice)   Oui ! Le lendemain, tu m'as extorqué la moitié de la note.

 

JEAN-PHILIPPE    Et ça a payé ! Car, entre deux bouchées de canard aux pêches, elle m'annonce... !

 

MAURICE   ("Daisy, la bouche pleine")   "Je suis prête à tout, Monsieur Broncard ! Je vais pistonner le dossier."

 

JEAN-PHILIPPE    (un peu surpris)   "Mais Daisy... pourquoi ? "

 

MAURICE   ("Daisy, d'un coup espiègle")   "Là là là ! Simple curiosité ! J'adôôôre lancer l'hameçon... ! juste pour voir où peuvent aller les choses ! Grâce à mon appui, votre projet marchera ! On m'exploite. Mais on m'écoute.   (un autre ton)   Ne t'avise jamais de croire que je suis bête."

 

(redeviens Maurice  :  )   Alors, bête comme tu es, tu l'accompagnais chez elle... Et cinq minutes plus tard...

 

JEAN-PHILIPPE    (enthousiaste)   Oh, toutes les nuits de cette semaine

fantastique ! Il n'existait pas une autre comme ma jolie juive. En plein milieu de... d'un coup elle me transportait dans son passé… son lit un tapis magique parfumé de Tunisie... Mais en même temps, tu comprends, en même temps...

 

AURICE    ("Daisy, nasillarde")    "Qui est le couillon qui a fait ces calculs

cul-culs dans ton dossier !?  Aaaaah ta bouche aaah ces stupides calculs !!"

 

JEAN-PHILIPPE   ("jeune, condescendant")   "Daisy, mes chiffres me sont confiés personnellement par notre meilleur analyste financier. Par... Chut !! Maurice Despraux !! Tu te rends compte !! Maurice Despraux !! Maintenant tu peux m'embrasser !"

 

MAURICE   ("Daisy, grommelant")   "Qu'il m'appelle demain, ce-con-là... sinon ! ... Serre-moi plus fort aaaah !"

 

JEAN-PHILIPPE    Evidemment toi et elle au téléphone !

 

MAURICE   (grognant)   J'suis mauvais menteur ! Tu le sais bien !

 

JEAN-PHILIPPE   Elle aussi ! Le soir même, en rentrant chez Daisy,

tout de suite elle m'a demandé qui tu étais ­"vraiment". Pour changer de sujet…

("intime")   "Avant toi, j'étais vierge, Daisy, je t'aime pour toute l'éternité."

(bien content de lui-même)   Là, elle me met sur le dos et elle recommence !

 

MAURICE    Pour que tu jactes ! tout comme Judith a fait une pipe à Holopherne, avant de lui couper la tête ?

 

JEAN-PHILIPPE    Toi, toi !! cette vulgarité foncière !

 

MAURICE    Toi,  toi ! Tu lui as tout dévoilé  :  que deux petits employés - nous - faisions un truc illégal !

 

JEAN-PHILIPPE    Près de la porte ! Deux heures du mat !  "A demain, Daisy !! Bye-bye !! A demain !"

 

MAURICE (se grattant l'oreille)    A demain, tu dis ?

 

JEAN-PHILIPPE    C'est vrai, on était vendredi. Ce week-end-là, je ne pouvais pas...

 

MAURICE   A cause de ta femme... ?

 

(Pause.)

 

JEAN-PHILIPPE    (confus)    ...Comment...

 

MAURICE    Tu étais marié à l'époque, non ?

 

JEAN-PHILIPPE    Ah oui... ah Marie-Ange. Tu te souviens d'elle ?

 

MAURICE    Apparemment pas toi ?

 

JEAN-PHILIPPE    Non, elle était belle... Marie-Ange. Mais froide. Un bloc de glace !

Et plutôt conne.

 

MAURICE   ("Marie-Ange")  Je dois l'être... pour vous aimer, cher ami !"

 

JEAN-PHILIPPE   Figure-toi, toute cette semaine, je lui disais que je travaillais tard le soir, dur, sur un projet "foutrement prenant" avec... "Maurice Despraux. Mau-rice Des-praux !!"

 

MAURICE  "Pas la peine de hurler : je suis conne, pas sourde. Cher ami ? "

 

JEAN-PHILIPPE   Elle me croyait ! et youpi, en route pour Daisy !! Mais le week-end, quand même, tu comprends...

 

MAURICE    Donc Daisy et toi, vous avez convenu de reprendre le service lundi

soir ?

 

JEAN-PHILIPPE    Oui je crois...

 

MAURICE    Mais avant ?  Lundi matin ?  Ciel ! Qui est-ce qu'on voit, se déhanchant jusqu'au siège d'une petite société de chasses d’eau supersoniques ?  Daisy d’un grande société, la sienne ?

("Daisy") "Oui, je suis la Zéboni !! Mais ne vous laissez pas trop impressionner, Monsieur : La Zéboni est une fille simple et bonne ! Oh Monsieur, quand deux "types" m'ont contactée pour me parler de vous... hé oui ! ... j'ai reniflé, moi, quelque chose de louche ! Ils ne sont que de minables petits employés ! Ils ne peuvent rien faire pour vous ! Comment vous consoler ! Oh ! Oh ! Tiens ! Oh ! La bonne idée ! Si moi... " Ainsi Mamzelle Zéboni réalisera notre dossier toute seule... en s'appropriant tous les bénéfices !

 

JEAN-PHILIPPE    Garce !!

 

MAURICE     Promotion !

 

JEAN-PHILIPPE    Salope !!

 

MAURICE    Augmentation !

 

JEAN-PHILIPPE    Ordure !!

 

MAURICE    Titre !

 

JEAN-PHILIPPE    Elle m'aimait pourtant... !

 

MAURICE    (le plus grand mépris)    "Aimait" ? : bof, "Fusion et confusion"... cher ami !!

 

JEAN-PHILIPPE    Moi, j'aimais cette, cette..

 

MAURICE   (implacable)    Deviens adulte, Broncard.

 

JEAN-PHILIPPE    Adulte ?  Dans le lit d'une femme comme ça, on ne devient pas adulte !

 

MAURICE (méprisant)    Pfft, au lit avec Daisy Zéboni, c'était plutôt moi qui m'en plaignais !

 

JEAN-PHILIPPE    Pas étonnant,  avec un branleur comme toi ; comment veux-tu qu'elle...

(d'un coup se rendant compte !)    Attends... Je t'ai mal compris. Toi... "Au lit avec... "

 

MAURICE    Daisy.

 

JEAN-PHILIPPE    Qui ?  Toi ?  Tu n'essaies pas de prétendre, j'espère, qu'elle... Et toi... ?   Je ne te crois pas !! Laisse-moi rire !! Monstre !! Tu essaies de me rendre

fou !!

 

MAURICE    (le saisissant dans une danse démente)    Bienvenue à l'asile ! T'as que vingt ans de retard. Il n'y a pas de mystère, mon amour ! Le vendredi soir - tout de suite après que tu aies quitté la Zéboni pour retrouver Marie-Ange La Belle - Daisy m'a appelé, moi au téléphone.

 

JEAN-PHILIPPE    Elle a fait ça !?  Non ?

 

MAURICE    Si. Je la vois encore chez elle, calée dans un cosy-corner de satin mauve. J'ai bien été dans son appart, Jean-Phi.

 

JEAN-PHILIPPE    Tu devais être... drôlement excité... au moins ?

 

MAURICE      Terrifié oui ! Ça, c'est le genre de nana qui cache un bistouri d'entre ses cuisses.   (jouant Daisy)   "Oui oui, ce con de Jean-Philippe m'a tout déballé. C'est vous, ce dossier ! Au téléphone, je me suis dit  : "Quel cerveau !" Mais je n'ai pas attendu que... de près... tu sois sexy Mon Dieu Maurîîîîce c'est pas possîîîîble !" Evidemment, je ne l'ai pas cru ! Je ne suis pas aussi bête que toi ! Personne n'est aussi bête que toi ! Alors, quand elle m’a poussé dans son lit… tout en m’expliquant qu’elle n’avait jamais couché avec toi…

 

JEAN-PHILIPPE   Quoi !? Et tu l’as crue ??

 

MAURICE   Elle a admis avoir « flirté » avec toi mais… comme elle n’arrive à l’orgasme qu’avec des gens intelligents ! Forcément, toi… !

Après deux ou trois minutes - exactement le moment où le jus monte et la volonté s'affaisse - ah cette voix que tu aimes tant, sensuelle, éthérée :

 

("Daisy, nasillard") "Le-petit-fabricant-de-gogues-dans-ton-dossier­è_son-nom-et-son-adresse ? "

 

Et moi...qui essayais de me retenir...

(voix tremblotante) "Vous savez très bien, Mamzelle, que dans ce genre d'affaire, on ne donne jamais de nom à personne avant que... le terrain... ne soit... scrupuleusemmm... scrupul... scrupu... scrup."

 

("Daisy")   "Préparé ?  Mais j 'y suis. Toi aussi. Donnez-moi ce nom... Plus vite que ça."

 

(Pensée de Maurice : )   ...Pile ou face. Ca marchera avec elle :  je gagne ! Ou elle bousillera le tout  :  je gagne - car ça va faire très très mal à Jean-Phi et ça, ça en vaut la peine !

 

(voix encore plus tremblotante)    "Poissy ! Etablissement Grangier Père et Fils 16 boulevard Robespierre". Tu l'as "absorbé" ?  Bien sûr : tu n'es qu'une espèce d'éponge - genre Uniprix."

Aaaaaaah" et hop ! Je suis redevenu Maurice et je me suis senti mieux. Mais elle n'a pas beaucoup apprécié que je la traite "d'éponge". "Salope-ordure" elle a déjà entendu. Beaucoup ! Mais "éponge" ?  C'est pour ce mot - j'en suis convaincu - qu'elle m'a dénoncé à la direction de notre banque !

 

JEAN-PHILIPPE   (enfantin)    Elle m'a dénoncé, moi aussi !! Quand la direction m'a convoqué pour expliquer d'où venait cette idée "grotesque", je te jure, j'ai clamé

"Moi ! Moi ! Maurice Despraux n'y était pour rien !!"

 

MAURICE ("un directeur", onctueux)    "Et c'est une très bonne idée mon garçon !! Embrasse-moi vite !!"

 

JEAN-PHILIPPE    Il n'a jamais dit ça !

 

MAURICE    Mais il l'a pensé ! Mon idée te faisait sentir si bon le fric - qu'il t'a promu... terrifiée que tu ne files à la BNP !

 

JEAN-PHILIPPE    ... "Promu"... pas exactement...

 

MAURICE    En revanche, comme on ne met jamais de gants pour un "simple comptable", moi, je me suis retrouvé sur le trottoir en cinq minutes !! Merci,

Jean-Phi !!

 

JEAN-PHILIPPE    (gêné)    Maurice...

 

MAURICE    J'avais pourtant l'étoffe d'un très grand analyste financier. Hélas, avec ma personnalité un peu...

 

JEAN-PHILIPPE    ... "Hermétique" ?

 

MAURICE   Je me suis rendu compte que pour réussir mes idées rigoureuses... j'aurai toujours besoin de bluffeurs comme toi ! Ne serait-ce pas mieux de ne chercher que des emplois modestes le restant de ma vie… où au moins je n'aurai plus besoin de personne ?  Ce qui est frustrant c’est que j’ai encore de très bonnes idées… Aujourd’hui même, j'ai une idée…  ..

 

JEAN-PHILIPPE     ... Maurice... Pauvre Maurice...

 

MAURICE    Nouvelle. Pour une petite société... nouvelle... qui cherche une grande société... nouvelle ! Avec toi, comme maquereau bancaire... !

 

JEAN-PHILIPPE    (confus)    ... Comment... ça... ?

 

MAURICE   Fusion et confusion ! La semaine dernière... ! "Ça sent le fric, ça ! Attends ! Mais c'est pour Jean-Philippe Broncard ! Et personne d’autre ! Si lui et moi... ensemble de nouveau... "

 

JEAN-PHILIPPE    (ahuri)   Ensemble ?! Après ce que tu viens de me dire - tu oses imaginer que je ferai le moindre business avec toi ?!

 

MAURICE    Mais si mais si. Mange ta pizza !!

 

JEAN-PHILIPPE    Je déteste la pizza !  Je la hais !  De plus, la tienne est complètement froide.

 

MAURICE    Pas du tout  :  "L'espace d'une heure, Pizza Pickup reste en chaleur. Sinon :  remboursement et pins." Cette-fois-ci, la petite société...­

 

JEAN-PHILIPPE (se ressaisissant)    Maurice ! Soyons logique ! Tu es fou. A lier.

J'ai 45 ans. Ce n'est plus l'âge de s'embarquer avec un fou. A lier. Je ne suis pas

un monstre pour autant. Donc ! Je vais te mettre en contact avec un de mes

assistants !    (se jetant sur la pizza)    Tant pis je meurs de faim !

 

MAURICE    (imperturbable)    Cette-fois-ci la petite société en question...

 

JEAN-PHILIPPE    (la pizza)    ... C'est vrai que c'est chaud !

 

MAURICE     (avec une insistance agaçante)    ... avant de s'adresser à une grande société, dans un premier temps a contacté une compagnie d'investissement pour des conseils. La compagnie d'investissement a si bien apprécié la petite société qu'elle a acheté 35 pour cent de ses actions... mais se réservant pour elle-même, toute seule, le choix de la grande société ! La compagnie d'investissement est donc à l'affût d'une grande société ... pour la petite société ! Le directeur de cette...­

 

JEAN-PHILIPPE    Oh là là, toutes ces sociétés, je ne te suis plus ... !

(cherchant une poubelle)    Cet immondice, je le jette où ? ..

 

MAURICE    Dans cette tour - là-haut - le directeur de la compagnie d'investissement...

 

JEAN-PHILIPPE    Tu expliqueras tout ce caca à mon assistant !

 

MAURICE     - il a un petit bureau. Chaque matin, il vient par ici, dans cette allée, faire du jogging. Le directeur, il s'appelle Daisy Zéboni.

 

(un temps)

 

JEAN-PHILIPPE    Maurice, tu es plus malin que je ne le croyais.

(revient vers lui, s'asseoir tout près)    Recommence.

 

 

                NOIR.

 

 

 

 

                Scène 2

 

(Le lendemain matin, à neuf heures. Daisy Zéboni "jogge" à sa manière...  Dans les quarante ans, veste, jupe culotte chic, baskets assortis, hauts talons portés à la main dans un petit sac transparent !

 

Dans les buissons, Jean-Philippe l'épie. Pour que les deux se croisent "par hasard", il fait une "entrée" en sens opposé à elle... Ils ralentissent... se retournent... )

 

DAISY    (semble confuse)   Mais c'est... Pierre...  Jean... ? Pierre-Michel. Michel-Philippe !... Votre nom est sans importance, Monsieur. Cependant j'ai l'impression de vous connaître mais d'où ?

 

JEAN-PHILIPPE    (fait semblant de ne pas la reconnaître)    Désolé, aucun souvenir, Madame... A moins que... Vous ne puissiez être Daîîîi-zzy Zé-"bonski"...

"Berg" ?  Oh, comme c'est extraordinaire ! Jamais je ne vous aurais reconnue ! Votre visage... si, disons...

 

DAISY    Pas plus défiguré par le passage du temps que le vôtre !, Jean-Philippe Broncard !

 

JEAN-PHILIPPE    Zéboni ! Daisy ! Que vous êtes différente ! Encore plus belle ! Vive le présent ! Où vivez-vous à présent ?  Par ici ?

 

DAISY    J'ai un pied-à-terre    (vague geste à droite)    là-haut. Et un petit bureau    (vague geste à gauche)    là-bas ! Chaque matin à neuf heures, je vais de là-bas à là-haut en passant par ici. J'habite Los Angeles. Je suis "la Globale Finance". Compagnie d'investissement.

 

JEAN-PHILIPPE    ("naïvement")    C'est quoi, ça ?

 

DAISY    Broncard "le" Banquier n'a jamais entendu parler de la Globale ?

Qu'il négocie avec moi, je lui apprendrai à me connaître !

 

JEAN-PHILIPPE    Déjà en 77... !   (avec sous-entendu)   Maurice Despraux n'est pas prêt à vous oublier non plus !

 

DAISY   Qui ?

 

JEAN-PHILIPPE    Aucun souvenir ?  Maurice ?  Comptable... ?

 

DAISY     ... Rien... Mais depuis le temps... Une fois... Au téléphone... ?

 

JEAN-PHILIPPE    Tu l'as rencontré.

 

DAISY    Moment trivial... tout comme avec toi. Non ?

 

(En réponse, il la saisit dans ses bras)

 

DAISY    Quel culot, ce mec ! Pas comme ça !I

 

JEAN-PHILIPPE    Toi, toi ... tu es toujours ma beauté juive !!

 

DAISY    Et toi, toujours n'importe quoi !

 

JEAN-PHILIPPE    T'es belle ! Juive ! Juive ! Tes cheveux ! Des boucles de

réglisse !! Tes jambes satinées !!

 

DAISY    Et ta langue de menteur ?

 

JEAN-PHILIPPE    Laisse-moi au moins... juste te sentir... plus près... avec les narines... Gentiment !

 

DAISY    Dix secondes.

 

(Près d'elle... il la hume... )

 

JEAN-PHILIPPE    Mais... c'est "Rosée de Rose" !!

 

DAISY    Tu te souviens de "Rosée de Rose" ?  Vingt ans plus tard ?  Pour une

fois, tu m'étonnes !

 

JEAN-PHILIPPE    Que tu n'aies pas changé de parfum ! Je crois de nouveau aux valeurs éternelles !! Je crois au Kama Soutra !! Je crois â la Rosée de Rose !

 

DAISY    Beuh, moi aussi : je contrôle trente-cinq pour cent de ses actions.

 

JEAN-PHILIPPE    Quoi ?  Attends... L'essence derrière tes oreilles - "Rosée de Rosé" – eau de toilette - pur Ménilmontant - ne me dis pas qu'aujourd'hui c'est la petite société qui a besoin d'une grande société ? ?  Pour lancer un nouveau parfum exquis ?!     (récitant sa leçon  : )    La direction : une famille roumaine, émigrée au Canada après la guerre, à Montréal... des juifs comme toi ?  Les Gelescu-Baum ?

 

DAISY   (soupçonneuse)   Tiens, tiens, tu les connais alors... ?

 

JEAN-PHILIPPE    (huileux)    ...Mais bien sûûûr ! Depuis des lustres !   (rigolant)

Quelle famille ! Sacrés Gelescu-Baum ! Ah je les aime bien ! Oi là là !

 

DAISY    (sinistre)   "Oi là là."

 

JEAN-PHILIPPE     Coïncidence sur coïncidence !?

 

DAISY    Ah ça ! La première fois que David Gelescu-Baum est venu pour mes conseils, je me suis dit "Lui ! Créateur de "Rosée de Rose" ! Il me fait penser à mon père ! Je marche avec lui ! Les yeux fermés !"    (soupçonneuse)   Tu connais David alors ?

 

JEAN-PHILIPPE    (vaguement)    Oh oui.

 

DAISY    Il est sympa, hein ?

 

JEAN-MICHE    ("égrillard")    Sympa... Donc tu couches avec lui ?

 

DAISY    Il a 93 ans, Jean-Phi.

 

JEAN-PHILIPPE    ... Ah j'avais oublié... quoique... de nos jours...

 

DAISY   (moqueuse)    Oui, il est aguichant pour un moribond ! Et comme je couche avec tous les actionnaires de toutes mes sociétés, tous à la fois ! Tu sais comme je suis !

 

JEAN-PHILIPPE    Non ! Toi, tu ne couches qu'avec ceux que tu peux taxer au maximum !

 

DAISY    Ce n'est plus la peine ! J'ai tout ce qu'il faut !

 

JEAN-PHILIPPE    Tout ?  Toi ?  Oui ! Sauf...l'essentiel.

 

DAISY    "L'essentiel" selon toi doit être toi !

 

JEAN-PHILIPPE    Tu sais que je suis divorcé ?  (prend sa main "gentiment")

 

DAISY    (retire sa main)    Mmmm.

 

JEAN-PHILIPPE    Ah, les gonzesses ! Ma femme... mon ex... Je vivais une période trouble ! : je m'éclate ou je craque ! Alors, ma femme m'a appris que je couchais dans tous les coins pour me cacher à moi-même que j'ai toujours mal baisé ma femme.

 

DAISY    (canaille)    Elle était difficile...

 

JEAN-PHILIPPE    Merci, je t'adore ! Bref, elle s'est obstinée à s'envoyer en l'air avec quelqu'un d'autre. Résultat : Ma fille n'est pas ma fille.

 

DAISY    ... Ah c'est mignon... tu as une fille maintenant...

 

JEAN-PHILIPPE    C'est mignon si elle est vraiment de moi ! Car je ne sais pas si l'histoire de mon ex est vraie ou inventée pour me faire mal ! Froide comme elle est ! N'empêche, lorsque je rumine l'image de ma fille... Et de mon ex... Et de moi-même. Et d'une autre personne... sans nom... sans visage... Un fantoche que je colle sur la nuque de ma fille... Je ne ressens rien du tout pour ma fille ! Qui me hait ! Comme il le faut ! C'est normal de haïr le mauvais père ! Non ?  

 

DAISY    Que d'idées reçues ! Quel manque d'imagination !

 

JEAN-PHILIPPE    Tu peux pas comprendre, tu n'es pas père.

 

DAISY    C'est vrai, je suis mère.

 

JEAN-PHILIPPE    Mais... Tu as un enfant aussi ?

 

DAISY    "Une".

 

JEAN-PHILIPPE     Une petite fille aussi ?

 

DAISY    Tu ne le savais pas ?

 

(Un moment)

 

JEAN-PHILIPPE    Merde, si ! Quelqu'un me l'a dit... il y a... 10 ans ?  15 ans ?  Parfois j'ai des oublis monumentaux... quand mes désirs se heurtent à la réalité... voici la preuve que nous ne sommes plus comme avant !    (il lui reprend la main)

J'envie ton mari.

 

DAISY    Il n'y en a pas, Dieu merci !    (retire sa main)     J'ai pensé me marier :  trois fois. (gaîment)    Mais j'ai réussi à m'emparer de leurs capitaux sans engager les miens.

 

JEAN-PHILIPPE    (avec le sourire)    Toi ! Plus... monstrueuse que jamais !

 

DAISY    Moi... tu crois... ?  Ça venait sans doute d'un certain manque de sécurité... Une enfance dorlotée... Tunis... des serviteurs...  chaque été, la mer-chic... pas de soucis pour l'avenir ! Et puis ce monde s'est renversé comme un verre d'eau, emportant la petite Daisy à Paris avec la flotte. Désorientée, j'ai appris à survivre. De temps en temps, ça impliquait un mauvais coup. Et encore un mauvais coup. (gaîment)  Certains de nos collègues m'ont baptisée "la salope juive", tu le savais ?  D'autres, par confusion "la ritale pourrie" !  Dollars à l'appui on m'a transformé en "la peste américaine". Pour les ricains, curieusement, je suis "the French bitch". C'est cela que j'aime le plus ! Si chic ! Si gay Paree !

 

JEAN-PHILIPPE    Ça doit te blesser, tout de même ?

 

DAISY    Blesser ?  Ça me fait rire ! Faut rien prendre au sérieux ! Sinon on passe sa vie écorchée par la bêtise des gens. L’essentiel : je suis toujours honnête à moi-même. Jean-Phi...Ne me dis pas que tu m'en veux encore pour un petit incident lointain ?

 

JEAN-PHILIPPE    ... Un peu, oui.

 

DAISY    C'est tellement loin... ça...

 

JEAN-PHILIPPE    Non... Nous...

 

DAISY    ("regarde sa montre")   Ah ! Il faut que je m'en aille. J'ai un conseil d'administration ! Faut que je couche avec beaucoup de gens cet aprèm !

 

JEAN-PHILIPPE    Ne disparais pas encore une fois ! J'ai besoin de toi !

 

DAISY    Juste le temps de changer de chaussures... !

(elle s'est rassise et change ses chaussures  : )

L'autre jour, sur ce même banc, j'ai changé mes chaussures... tout en parlant

dans mon portable...    (elle "mime" la double action)

Il y avait un petit monsieur - assis à ta place - qui lorgnait mes pieds, tremblant !

 

JEAN-PHILIPPE    ("sensuel")   Tes pieds sont tellement délicieux...

 

DAISY    Non : il tremblait pour une autre raison. "Diantre !" me suis-je dit. "C'est Mau-rice Des-praux ! Comptable !"

 

JEAN-PHILIPPE    (violemment, recule)   Toi !! Tu l'as reconnu alors !!

 

DAISY    Bien sûr.

 

\JEAN-PHILIPPE    Et tu viens de jurer de n'avoir gardé aucun souvenir de lui !

 

DAISY    (taquinant)   Oh... un peu, oui... une fois... au téléphone ?  Justement parce qu'il était à l'écoute... Moi... dans mon portable... (projetant la voix) "Sais-tu qui j'aimerais bien revoir à Paris ? ... Jean-Philippe Broncard, "le" banquier ! Mon envie de le revoir me prend chaque matin à neuf heures pile, lorsque je fais mon jogging dans cette allée. Qu'il vienne - Broncard ­ - avant que je quitte la vieille Europe d'ici dix jours."  Tu as entendu mon appel.

 

JEAN-PHILIPPE    Pourquoi cet appel ?  Pourquoi cette comédie ?

 

DAISY    Mais pour rien !... En revoyant Maurice... ! Ça m'amuse de lancer l'hameçon ! Tu peux pas savoir !

 

JEAN-PHILIPPE    Tu m'as confié ce charmant penchant dans une autre vie !

 

DAISY    Jamais je ne prévois la fin !

 

JEAN-PHILIPPE    C'est toi qui as mis fin à cette autre vie !

 

DAISY    Non. Nous y sommes. On ne sait pas encore jusqu'où ça va aller.

 

JEAN-PHILIPPE    Moi, si ! Revoir Maurice et tic-tac dans ta petite tête de magouilleuse !   (comme Daisy)   "Tiens... Maurice... est-il toujours de mèche avec Jean-Philippe Broncard - "le" banquier - qui collabore étroitement avec... ?

... avec... ?

 

DAISY    Avec... ?

 

JEAN-PHILIPPE    La SKRIT !

 

DAISY    LA SKRIT !?

 

JEAN-PHILIPPE    La SKRIT ! La grande société SKRIT !

 

DAISY    ... Ah je vois. Ta banque travaille avec la SKRIT maintenant.

 

JEAN-PHILIPPE    Depuis toujours. J'ai des rapports privilégiés avec elle ! Et tu le sais bien ! Alors toi...   (caricaturant Daisy)    "... Hum, le SKRIT roule sur l'or... achète n'importe quoi ! Rayon parfum, elle ne possède rien du tout ! Mais c'est génial ! Je vais vamper Broncard, exactement comme avant ! Pour mes beaux yeux, il va arranger la "fusion" idéale entre la SKRIT et David Gelescu-Baum... moi je

ferais une fabuleuse affaire... après, je me débarrasse de Broncard  :  comme

avant !"

 

DAISY     Non mais je rêve ! Même si la SKRIT était la dernière société au monde, je ne ferais aucune affaire avec elle !

 

JEAN-PHILIPPE    Menteuse !

 

DAISY    Je ne travaille plus qu'avec les gens que j'aime !! Ces gens-là, je ne les aime pas !! J'ai voulu te voir par curiosité, pure et simple !

 

JEAN-PHILIPPE    Menteuse ! Eh ben je suis venu par curiosité moi aussi ! Madame Zéboni ! Et non pas pour négocier la "fusion" - dont tu rêves - avec la SKRIT !

 

DAISY    Et merde !! Laisse-tomber la SKRIT !!

 

JEAN-PHILIPPE    Moi je veux savoir...  !

 

DAISY    Savoir quoi enfin ?

 

JEAN-PHILIPPE   Pourquoi tu m'as trahi ?  Qu'est-ce qu'il t'a pris, bon sang ?

 

DAISY    Je suis comme ça.

 

JEAN-PHILIPPE    C'est Maurice qui a raison. Tu nous as absorbés, comme une éponge. Après avoir tout pris, on n'avait plus aucun intérêt pour toi. Tu n'es même pas mauvaise. Tu n'es qu'une éponge : genre Uniprix !

 

DAISY    Ce que tu viens de me dire... Réflexion faite... plutôt insultant.

 

(Soudainement, elle lui donne une claque tellement sonore qu'il est propulsé en arrière. Il grogne - saute vers elle comme pour lui rendre sa gifle - Mais il se retient :)

 

JEAN-PHILIPPE    Non, non.

 

(D'un coup, c'est elle qui le saisit :)

 

DAISY    Contre la porte de mon appart... A 25 ans la chair fraîche brûle. Nos lèvres qui se cherchent... "Pourquoi tu pars, mon chéri ? Reste la nuit !" Collée contre toi... Ton bras qui savait si bien me maintenir. En même temps, tes doigts essaient d'extraire d'un porte-documents, une écharde qui brille ! Mais c'est quoi ça ?

 

JEAN-PHILIPPE    Je ne sais pas !

 

DAISY    ("tendre")    Garnement !  C'est ton alliance ! J'savais pas que t'étais

marié ! Tu ne me l'avais pas dit.

 

JEAN-PHILIPPE    Ah si. Ah si si. Sans équivoque ! Tu inventes ce moment... pour t'attribuer le meilleur rôIe ! Moi : aucun souvenir.

 

DAISY    Profiteur ! Tu enlevais cette alliance chaque fois que tu avais à

faire avec une secrétaire de la vieille école :  assez intelligente pour connaître par cœur l'horlogerie de toute une société. Assez bête pour la confier à des types comme toi ! La première fois que je t'ai vu, au bureau - tu ne portais pas cette

bague !

 

JEAN-PHILIPPE    Tu mens ! Ou alors tu as fantasmé ce, ce...

 

DAISY    C'est mal me connaître ! La jeune fille que j'étais - réaliste, d'une famille extrêmement stricte - mon regard, où allait-il face au "jeune homme" ?  A ses beaux yeux ?  Tout le monde en a. A sa braguette ? Tu m'as pris pour une

prostituée ? Non ! J'ai cherché la main gauche, le deuxième doigt, l'alliance. Ce vendredi soir, c'est bien la première fois que je voyais que tu en avais une !

JEAN-PHILIPPE    C'est un malentendu épouvantable ! Je ne supporte pas le métal contre ma peau !

 

DAISY    Oui oui oui.

 

JEAN-PHILIPPE    Quelle froideur !

 

DAISY    ("Yiddish")    Oi oi oi.

 

JEAN-PHILIPPE    A chaque occasion, je l'enlève, pour mon confort.

 

DAISY    ("Arab")    Yo-yo-yo.

 

JEAN-PHILIPPE    Je te jure, tu étais la première fille depuis mon mariage pour qui j'ai enlevé ça !­

 

DAISY    Car les autres ne méritaient pas le grand jeu ?

 

JEAN-PHILIPPE    Oui ! C'est vrai ! Je l'ai fait pour toi ! Exprès ! Pour que tu ne la voies pas ! Pour nous donner une chance de continuer... à nous aimer !

 

DAISY    C'est gentil, je suppose. Mais que cinq jours seulement après notre "rencontre", tu l'aies remise en ma présence ?  Alors là ! Pourquoi penses-tu que je t'ai susurré "Chéri, on remettra ça demain, tout le samedi, toi et moi au lit ? " Connard  !, pour t'entendre balbutier, "Daisy, le week-end... Tu comprends, ma femme, Marie-Ange ..." C'est bien son nom ? ... Moi, je comptais devenir ta femme ! Tu m'avais tout promis.

 

JEAN-PHILIPPE    Je ne te crois pas ! Mais j'étais sincère ! Et tu m'as cru, toi ?

 

DAISY    C'était fini, Jean-Phi.

 

JEAN-PHILIPPE    Fini ?  J'ai divorcé d'avec ma femme à cause de toi !

 

DAISY    Quand ?

 

JEAN-PHILIPPE    Dix ans après. Mais dès ton passage dans ma vie, ça n'a plus jamais été pareil avec elle. Ni avec personne ! Tu as tout cassé... et à cause de

quoi ?  D'une écharde de métal ?  Sans même m'engueuler ?  Pour ça, désinvolte,

tu as cassé Maurice aussi ?  Ton comportement tordu, tu le défends encore ?

 

DAISY    (très sincèrement)    Ce matin... non. Mais à 25 ans... ?  Vive comme j'étais, pas bête... jolie jeune femme... diplômée... de look vaguement "maghrébin". Et je ne trouvais pas le moindre travail. Oh, j'admets que je me présentais... trop bien ! Je suis fière moi et alors ?  Dans ma famille, on m'a toujours appelée "La Prétentieuse" ! Frustrée, humiliée la Prétentieuse a visé bas... en répondant à une annonce... "secrétaire dans une grande société". Secrétaire ?  Moi ? Alors là,

du bluff ! Mais, comme je faisais du charme à un sous-directeur... un américain ! Sympa ! Son accent de Texas ! Il s'appelait Wallace G... ?

 

JEAN-PHILIPPE    Oxelrod  ! "Wall" !

 

DAISY   Wall Oxelrod. Yes. De la Société SKRIT.

 

JEAN-PHILIPPE    Mon Dieu ! Ta répulsion pour cette société s'éclaircit !

 

DAISY    En fait, c'est à la SKRIT, qu'a commencé ma glorieuse carrière : secrétaire de Mr. Wall !

 

JEAN-PHILIPPE    Aie.

 

DAISY    Ce n'est pas que je comptais rester à ce niveau très longtemps ! ("naïvement")    "Je vais faire le grand jeu à ce Yankee, en mettant en valeur mes vraies compétences ! Et sans jamais refuser les heures sups ! Il va me faire monter en grade !" Pendant une de ces heures sups, ce Yankee m'a montée tout court, sur son bureau.

 

JEAN-PHILIPPE    Oh Daisy.

 

DAISY    C'était dur, j'avais des bleus. Dans toutes les positions, j'étais confrontée à la photo de sa femme. Bon, l'ascension de Mr. Wall en pays gaulois avait été facilitée par cette française. Mais ce n'était plus un vrai mariage - d'après lui. C'est moi qu'il aimait !

 

JEAN-PHILIPPE    Plus que moi ?

 

DAISY    Pareil ! C'est là que ça se regroupe. Français, américains, javanais :  mêmes promesses aux "sexy girls" ! Les filles toujours partantes ! Mais pas vulgaires ! Et travailleuses comme des nègres ! Pas vrai, Jean-Phi ?

 

JEAN-PHILIPPE    Et tu l'aimais... comme tu m'aimais ?

 

DAISY    (toujours sincèrement)    ... Wall, je l'aimais bien. Je pensais faire "fusionner" un beau mariage avec une belle carrière. L'idylle s'est un peu compliquée avec l'arrivée d'un nouveau sous-directeur, un certain Pascal de Voiray. Je me souviens surtout de ses lèvres... découpées comme par une lame de rasoir. Entre lui et Wall, s'est déclarée immédiatement une rivalité haineuse. Bien entendu, je soutenais mon Wall, de plus en plus énervé. Allongée sur son bureau, minuit passé... au fond... très loin de nous... Pascal... ?  Une hallucination ? Non, il était là, Monsieur de Voiray. Le hasard... ?  Peut-être. Wall l'a senti dans son dos mais... il a continué comme si de rien n'était. Lentement Pascal s'est approché. Ses lèvres se tordaient dans un malin petit sourire !... Wall... souriait aussi, on aurait dit un morveux. Je ne savais pas quoi faire. Un sourire m'a échappé... devant le ridicule de la situation... Contre ma main, j'ai senti, passagère, "l'insistance virile". Pascal. Les deux hommes se sont rapprochés... se fondant en un. Ils se détestaient et ils avaient trouvé l'entente devant l'ennemi commun, le sexe faible, allongé... "Elle aime ça, la salope... " Des mouvements flous, brusques m'ont maintenue. Le vrai moi, La Prétentieuse, je l'ai projetée hors de leur atteinte, très haut. Où elle m'a regardé, déçue : "C'est ça que tu es venue faire en métropole, petite Daisy, premier prix d'arithmétique ? " Des fines lèvres de Pascal : "Sale arabe".

"Je suis juive !" j'ai protesté ! Contre mon propre racisme, j'ai été sanctionnée de "sale juive" et de "bougnoule". Et, de Wall, ses "whore wop dirty jew cunt bitch", tant d'appellations que j'ai ajoutés "Demandez Eskimo ? " Ils se sont arrêtés net ! Aucun sens de l'humour, les gars ! Mais moi, je riais, oui, riais, à gorge déployée au nez de ces deux crétins ! Par les cheveux... j'ai été remise debout... j'avais l'un devant, l'autre derrière... j'ai crié de douleur... en riant. Ils devaient penser que j'avais craqué. Cela excite aussi. Quand ça a cessé, La Prétentieuse, assise sur le bureau comptait péniblement ses bleus.  ("l'américain") "Je vous cherche un taxi." Le vouvoiement de Wall avait de quoi m'étonner. Pascal s'est éclipsé vers sa voiture. Dans le taxi, j'ai ruminé.  "J'aurai leur peau ! Demain ! Je déposerai une plainte pour viol ! Mon témoignage contre ces deux-là... Un contre deux ? " Et avais-je été

violée ? Je n'arrivais pas à me décider. Une partie de moi les avait acceptés... pour voir s'il y n'avait pas une astuce pour me hisser à leur niveau et puis... Oui ! L'idée m'est venue de les monter, l'un contre l'autre... trouver des trucs pour faire chasser ces deux ordures ! Et moi je reste ! La Femme ! La Juive ! Ah, j'en riais

d'avance ! Le lendemain, j'ai été convoquée par le chef du personnel.

Une étrange histoire : Monsieur de Voiray signalait qu'un de ses dossiers confidentiels avait disparu. Ensuite Mr. Wall leur a rendu ce dossier que - je l'ai appris à ma plus grande stupéfaction - j'avais "subtilisé"... moi ? dans l'attente d'une "gratification"   Ah les gars, faisons la trêve vite pour éloigner cette folle... elle risque de nous emmerder.

 

JEAN-PHILIPPE    Dégueulasse, dégueulasse.

 

DAISY   Et Wall qui me parlait de divorcer d'avec sa femme ! Gentiment, on a accepté ma "démission" ! J'avais dix minutes pour chercher mes affaires et quitter

les lieux.

 

JEAN-PHILIPPE    Daisy. L'horreur. Absolue. Sincèrement. Mais...

 

DAISY    Nôôn, un désagréable petit incident. Pas plus.

 

JEAN-PHILIPPE    L'horreur ! Mais...

 

DAISY    Peu de temps après, je t'ai rencontré, toi et Maurice...

 

JEAN-PHILIPPE    Horrible ! Mais...

 

DAISY    Oui, je vous ai catalogués "deux ordures identiques". Un peu sommaire peut-être. N'empêche que l'idée m'est venue de vous monter, l'un contre l'autre, comme j'avais souhaité le faire à Pascal de Voiray. Et à Mr. Wall. C'est très curieux : je m'en rends compte de tout ça ici-même, pour la première fois, vingt ans après ! Et grâce à qui ?  A qui ?

 

JEAN-PHILIPPE    A qui ?

 

DAISY    A Mr. Wall  !! Bien sûr !!    (dure)    Car c'est lui - Wall - qui a manigancé notre rencontre aujourd'hui ! C'est Wall - et toi  - qui avez "positionné" Maurice Despraux sur ce banc l'autre jour... !

 

JEAN-PHILIPPE    Non ! non !

 

DAISY    Dans l'espoir que je vous vende David Gelescu-Baum ! A la SKRIT !

 

JEAN-PHILIPPE    Je le jure ! Gelescu-Baum - Wall - je m'en fous complètement ! C'est pour toi que je suis là !  Que pour toi ! Ne pars pas ! Pas au moment même où on commence à se comprendre !

 

DAISY    C'est le bon moment ! Avant que ça se dégrade.

 

JEAN-PHILIPPE    Je ne te le permettrai pas !

 

DAISY    Ça y est. Ça se dégrade.

 

JEAN-PHILIPPE    En ce qui te concerne, je suis capable du pire... et encore pire ! Y a-t-il plus grande preuve d'amour !

 

DAISY    Oh, "L'amour" !

 

JEAN-PHILIPPE    Je t'aimais comme un dingue ! Tu m'aimais, toi aussi ! C'est ça qu'il faut retenir du passé ! C'est toujours possible pour nous ! D'aimer !

 

DAISY   (le regarde longuement)  Jean Philippe Broncard. Vous nous avez eu dans le temps : vous étiez si beau ! Aujourd'hui, rien qu'à vous regarder, on voit "N'importe quoi avec n'importe qui" écrit sur votre front !  Et c'est pour tes beaux yeux de merlan-menteur que je suis sensée brader un chic type comme David Gelescu-baum - à une ordure comme Wall ? Avec l’assistance d’une pourriture comme vous ? Adieu, Broncard.

(elle lui tourne les talons)

 

JEAN-PHILIPPE  (la suivant)  Moi ? Wall ?  (il arrive de lui barrer la route)  David Gelascu-baum? Chic type ? Vous rigolez ??  Chut, Daisy, chut !!

 

DAISY    Comment ça « chut » ?

 

JEAN-PHILIPPE    Oh je n’ai pas de conseils à vous donner ! Mais !! Enfin !! Daisy !!

Entre nous !!  On m’a dit… que… et je suis sûr que vous êtes au courant déjà ! Pourquoi croyez-vous que j'ai manifesté une certaine surprise à vous retrouver dans le camp de ce, ce… ce…

 

DAISY  (le coupant)   De ce gentil petit bonhomme juif, et après ?

 

                   JEAN-PHILIPPE    « Gentil petit bonhomme juif »…

(Il la regarde très directement. d'une manière "convaincante")

David-Gelescu-Baum n'est pas juif. C'est très habile comme stratégie.

 

DAISY    Stratégie ! Pendant la guerre, David était dans un camp !

 

JEAN-PHILIPPE    Bien sûr. Mais pas en tant que prisonnier.

 

DAISY    Quoi ?

 

JEAN-PHILIPPE     (en pleine forme)    Tu sais, Daisy, je connais David Gelescu-Baum...

 

DAISY    Très peu, si je peux en juger ?

 

JEAN-PHILIPPE    C'est vrai... La dernière fois que je l'ai vu ... à Montréal... grand dîner d'affaires au Hilton : il porte une kippa à table. Je me suis dit : Chapeau. Il est convaincant en pépère yiddish, ce vieux cow-boy... nazi fanatique, plutôt...

Daisy, quand même :  toi, juive, vendant sa salade ?  C'est normal, remarque, tu ne veux pas perdre une société. Hélas, une fois son parfum sur le marché, tu perdrais toutes les autres ! Surtout, ça se chuchote de plus en plus... il a des projets...

hum...  ! Il fait beaucoup d'affaires dans le monde arabe... tu ne le savais pas ? Une fois, moi, juste avant un voyage à Abu Dhabi...    (vaguement)  Qui m'a dit quoi... ?

 

DAISY    Oui ! Quoi ?  Et qui ?! Qui t'a raconté ces bobards monstrueux ?! Qui a osé parler de David comme ça ?

 

JEAN-PHILIPPE    (avec une joie vengeresse)    Maurice Despraux  !!... bien sûr !

 

DAISY    Toujours ce zigoto !

 

JEAN-PHILIPPE    Ah non ! Maurice Despraux, "est" un ordinateur ! Il ne se trompe jamais ! Ce garçon est au courant de tout ! Il mélange tout ! Toi ! Moi ! Wall  ! Gelescûûû-oh  ! Oh  ! Oh  ! la bonne idée ! Oh mon Dieu !! J'sais bien, tu ne veux pas avoir à faire avec la SKRIT  ! Mais si on leur vendait David Gelescu-baum - Nazi Fanatique - qui recevra le paquet de merde ?  Mr. Wall ! Ah oui, je vais marier ces deux monstres ! Mais ! Pas pour le meilleur ! En faisant semblant d'aider leur projet ­moi, leur homme de confiance - je le saboterai ! On peut aller très loin, Daisy ! Si on s'y mettait ensemble ! Jeune, tu voulais rire à la SKRIT ? Aujourd'hui, on peut couler la SKRIT  !

 

DAISY    (ambiguë)   Tu ferais ça ?

 

JEAN-PHILIPPE    Pour te revoir demain, je ferais n'importe quoi !

 

DAISY    (ambiguë)    Je commence à te croire. Mais...

 

JEAN-PHILIPPE    Mais ?

 

DAISY    Enfin... Wall. C'est du passé. Oublions-le. Monsieur Gelescu-baum, selon toi, serait criminel de guerre.

 

JEAN-PHILIPPE    Euh... ça dépend ?

 

DAISY    En ce cas, travaillons ensemble, oui. Amenons David Gelescu-Baum devant les tribunaux internationaux. Qu'en penses-tu, mon ami ?

 

JEAN-PHILIPPE    Ça... Ça... tout un programme, ça. Il faut d'abord...­

 

DAISY    Avoir des preuves.

 

JEAN-PHILIPPE    Concrètes.

 

DAISY    Pas de problème. Puisque Maurice Despraux est un ordinateur ! (gaîment)   Ce zigoto ! On lui paiera ce qu'il veut, on n'est pas fauché, toi et moi.

(un peu exaltée) Une fois l'affaire conclue, on filera en Californie, tous les deux ! Je te présenterai à ma fille ! Tu le mérites :  tu es son père.

 

JEAN-PHILIPPE    Non je ne suis pas sûr que... quoi ?  Non !

 

DAISY    Si  ! Tu vois bien ! Tu as une fille quelque part ! Une vraie pour une fois ! T'es père ! Père ! Heureux ? Tu as l'air consterné ?

 

JEAN-PHILIPPE    Comment est-ce possible ?  Au moment critique, est-ce qu'on était sur le même continent ?

 

DAISY    Si ! Franchement, j'ai profité d'un tout premier stage aux USA pour accoucher d'elle. Pendant 19 ans, je l'ai gardée à l'écart de notre milieu pourri.

C'est fou ce qu'elle te ressemble.

 

JEAN-PHILIPPE    Aah ! Et si elle ressemble à quelqu'un d'autre   !

 

DAISY    A qui ?  Tu étais le seul homme dans ma vie à ce moment-là !

L'unique  !!

 

JEAN-PHILIPPE    (l'insistance folle  : )    Et  Maurice Despraux ?! Maurice

Despraux ?!  Maurice Despraux !!

 

 

 

      NOIR

 

 

 

 

Acte 2

 

(Le studio de Maurice. Le même jour, fin de matinée.

 

Impression générale : une vie "dédiée" à l'informatique...

Serait bien-venu tout ce que la production peut suggérer (soit d'une manière réaliste soit d'une manière fantaisiste) de la technologie... ordinateurs, télévision, lecture CD, papiers, dossiers, etc.

 

Quelque-part un lit, un coin cuisine.

 

Sorties vers la salle de bains et vers le monde extérieur. Placard. Fenêtre.

 

Maurice, seul, marche de long en large.

 

D'un coup, il parle à son téléphone :)

 

MAURICE    Sonne !! On avait convenu : dès la Zéboni conquise : tu m'appelles ! Donc, ça s'est mal passé, ou ça ne s'est pas passé du tout, ou il a tout foutu en l'air. Comme d'habitude ! Oh puis quoi je m'en fous. Le monde tourne sans moi, et ça depuis un bon moment. Et je tourne sans lui, merci. Et si ça ne tournait pas, après tout ce temps...

(il met une cassette de rock)

On est bien, bien. Presque bien.

(il met la radio)

 

VOIX    Notre programme consacré aux oeuvres de Jean-Sébastien Bach...

 

MAURICE    La barbe.

 

VOIX    ...se poursuit avec le Concerto pour trois clavecins. ­

 

MAURICE    Oh les trois !!

 

(il met un CD de "bruitage", puis il augmente tous les volumes :

sonnerie stridente à la porte centrale - Maurice ne l'entend pas.

Coups à la porte  )

 

VOIX DE JEAN-PHILIPPE     MAURICE !! MAURICE ! OUVRE !!

 

MAURICE    (chantonnant vaguement)    "Maurice, Maurice, ouvre... "

 

VOIX DE JEAN-PHILIPPE    MAURICE !!

 

MAURICE    Maurice... ?

                 (il va vers la porte. Sans projeter la voix : )

Pourquoi tu ne m'as pas téléphoné ? Pourquoi ? elle est venue, elle n'est pas

venue ? pourquoi ?

(il ouvre la porte. Jean-Philippe tombe dans la pièce : )

 

JEAN-PHILIPPE    Nom de Dieu ! Arrête ce vacarme ! Tu refuses ? Je m'en vais !

 

MAURICE (en arrêtant le tout, fébrile)    A quoi bon avoir du matériel si on ne s'en sert jamais ? Ce que tu es sensible, alors ! Et stressé ? Tu n’es pas retombé amoureux de la vache, j’espère ? Ça ne va pas recommencer comme avant ?  Ah non ?  Oui ?

 

JEAN-PHILIPPE    Du calme, Maurice. Moi, pour elle ?  Oh là ! Rien ! Mon comportement est bigrement calculé ! Chut ! Ne parle pas ! Si tu veux comprendre mieux que moi ! Pour commencer...

 

MAURICE    Les Gelescu-Baum  ! Où en es-tu ?

 

JEAN-PHILIPPE    Ah eux ?  Elle les aime bien. Trop. Donc il m'a fallu planifier "Haine Absolue". Tu piges ?

 

MAURICE    Super ! Pour foutre la haine, il n’y a que toi ! Pinocchio, va ! Comment tu as fait cette fois-ci ?

 

JEAN-PHILIPPE   Oh… d’abord… je lui ai un peu… juré que David Gelescu-Baum était un nazi fanatique sous le Troisième Reich !

 

MAURICE  …  … Oh là là ! Oh ! Là ! Sacré Jean-Phi ! Fortiche, dis... Mais… Pourquoi t’as fait ça, Pinocchio ?

 

JEAN-PHILIPPE    Beuh, tu vois, je craignais que Daisy s'en aille… !

 

MAURICE    Ah je pige ! Une fille s'apprête à partir ?  Tendrement le garçon lui susurre à l'oreille qu'un juif est un nazi fanatique. Ensuite il mord l'oreille ! Petit coquin ? Et elle en a redemandé, aaah la salope, continue, je prends mon pied !

 

JEAN-PHILIPPE   C’est vrai que cela a marché très fort ! En fait, c'est la seule chose qui a marché avec elle ! Les nazis, tiens ! ça marche toujours ! On devrait s’en servir plus souvent ! Ils sont nets ! : Mauvais ! Pas une once de cette ambiguïté qui empoisonne notre existence à nous tous !

 

MAURICE   Superbe, abrège, elle signe quand ?

 

JEAN-PHILIPPE  (confus)  Signe quoi?

 

MAURICE   Mais avec la SKRIT !

 

JEAN-PHILIPPE    Eûûh… Eûûûûx….  Aaaah…  Disons...  La Skrit… C’est un problème tout autre. Eux, elle ne les aime pas beaucoup ! Pas du tout !

 

MAURICE    Sympa alors toi tu lui programmes « Désopilante Tendresse ». Baise-la  Jean-Phi, jusqu’à ce que, accroupie, elle braille ­si bruyamment qu'elle n'aura plus de voix pour nous emmerder. Aphone ! Comme toutes les bonnes femmes ! Ensuite sans sortir de ses entrejambes tu enfonces un stylo entre ses doigts....

 

JEAN-PHILIPPE    Maurice, non, c’est toi qui m'as déconseillé "Zone Erotique" ! vu ma petite tendance à en abuser.

 

MAURICE    Il y a vingt ans, oui ! Ce matin, au contraire ...

 

JEAN-PHILIPPE   Ce matin c’est il y a vingt ans !… Le passé est le présent ! N’y a que ça qui importe pour nous trois, tu comprends !

 

MAURICE   (méfiant)  Du tout. Clarifie la sauce, Jean Phi, je t’écoute.

 

JEAN-PHILIPPPE    Daisy a "une" enfant ?  Tu ne le savais pas ?

 

MAURICE    Si, un peu, comme toutes les femmes. Mais ça n’a aucune importance.

 

JEAN-PHILIPPE    Tu rigoles. C'est la clé de voûte de toute cette affaire !

 

MAURICE  Là, tu me perds.

 

JEAN-PHILIPPE     Techniquement parlant...  ! Pourrais-tu être le père de cet enfant, Maurice ?

 

MAURICE    Na, j'suis pas.

 

JEAN-PHILIPPE   Ah ! Enfin ! Tu es d'accord avec Daisy ! Quand elle m'a assuré ­

formellement - qu'elle n'a jamais couché avec toi !

 

MAURICE    Ça je l'ai fait. Mais le père de ce truc, na je ne me sens pas... je ne pense pas, donc j'suis pas. Elle signe quand ??

 

JEAN-PHILIPPE    (violemment)   T'as couché avec elle, oui ou merde !?

MAURICE        Sentiment Humain ! Je le renifle !  T’es retombé amoureux de cette épouvantable garce ! Tu l’aimes ! Tu es en train de tout refoutre en l'air ! Refouteur de merde !

 

JEAN-PHILIPPE    Je suis business-business ! Daisy est business business ! Quand elle t'a invité chez elle - il y a vingt ans - sale mec, tu étais impec : business business ! Toi aussi ! Tu devrais en être fier... au lieu de prétendre à un autre "plan" avec elle ou franchement, pour la citer : "Moi  - coucher avec ce tocard ? Pouah."

 

MAURICE    J'ai couché avec elle.

 

JEAN-PHILIPPE    Alors pourquoi m'a t-elle dit "pouah" ?

 

MAURICE    J'sais pas. Quand je l'ai pénétrée, elle a dit" Aîîîe". Marie-Salope, celle-là...

 

JEAN-PHILIPPE    Maurice...

 

MAURICE    La pire de toutes !

 

JEAN-PHILIPPE    Maurice...

 

MAURICE    Et j'en ai vu des belles !

 

JEAN-PHILIPPE    Maurice, nous savons, nous...

 

MAURICE    Qui ?  Les "machos, les vrais" ?

 

JEAN-PHILIPPE    Oui, nous savons que vous...

 

MAURICE    ...Les "non-machos"... ?

 

JEAN-PHILIPPE    Exactement ! Vous êtes presque touchants, tant vous vous obstinez à vous vanter de vos conquêtes mirobolantes... surtout quand elles sont belles comme elle.

 

MAURICE    ... Ce mec croit vraiment avoir contracté un cartel multinational sur les chattes. J'ai tout ce qu'il faut, pour ce boulot-là, moi aussi, Monsieur ! Et y a pas de nana qui se soit jamais plainte. Même les moches... comme Daisy Zéboni !

 

JEAN-PHILIPPE    Moche ? Non ! Maurice ! Elle m'a dit...

 

 

 

MAURICE    Mais ce qu'elle t'a dit  - "Super Macho de mes couilles " – elle t'a dit pour nous dresser, l'un contre l'autre ! Exactement comme dans le passé ! Cette-fois-ci on ne va pas la laisser faire ! Non ! Passons à l'action ! Droit au but ! Buvons un coca-cola ensemble ! Oh là. On va en avoir besoin.

 

JEAN-PHILIPPE    Maurice, je suis maladroit. (accepte le Coca-Cola que Maurice lui verse) Mais je cherche quelque chose de concret ! N'importe quoi ! Cette question de la paternité de la fille de Daisy me tue !

 

MAURICE    Pas la peine de t'en faire, puisque c'est impossible à démêler !

 

JEAN-PHILIPPE   Pas ta faute, ami, que jamais je ne sache si tu es le père de mon

enfant...

 

MAURICE    Rassure-toi, je suis le père.

 

JEAN-PHILIPPE    Impossible - tu viens de le dire - de savoir si tu es le père de la fille de Daisy.

 

MAURICE    Oh ça. En revanche, catégorique : je suis le père de la fille de ta femme. De ton ex. De Marie-Ange ?  C'est bien son nom ?  Ami ?

(Jean-Philippe recule, bouche bée)

C'est vrai qu'elle est belle. Je l'ai trouvée moins froide que toi.

 

(un temps)

 

JEAN-PHILIPPE    (sinistre)    Il y a combien de gens sur cette planète ?

 

MAURICE     Tu veux que je consulte le net pour le chiffre exact ?

 

JEAN-PHILIPPE    Pourquoi je t'ai rencontré, toi, et pas un autre ?  Tu connais donc ma femme, mon ex ?

 

MAURICE    Je crois. Je l'ai baisée.

 

JEAN-PHILIPPE    (sceptique)    ... Et... c'était "comment" avec elle... ?  Comme avec Daisy... ?

 

MAURICE    Dis-donc, vrai ! Chaque fois que je travaille à un de tes anciens modèles, elles sont comme possédées !

 

JEAN-PHILIPPE    Et toutes ces années... Marie-Ange et toi... vous vous foutiez de moi derrière mon dos ?

 

 

MAURICE    Mais non. Cela faisait au moins trois ans qu’on s’était brouillé, toi et moi … Alors le soir où elle a fait irruption ici tu n'y étais pas ! Mais, apparemment, chaque fois que tu avais envie de faire "de la gravure sur cul" - tu as raconté à ta femme que tu travaillais dur le soir sur un projet "foutrement prenant" avec moi ! "Avec Mau-rice Des-praux l "

 

JEAN-PHILIPPE    Aie merde !! C'est vrai !! Ça a commencé avec Daisy : toi et moi avions un projet ! un vrai ! Alors ça sentait si bien le vrai que, par la suite, comme alibi, ton nom sortait de ma bouche tout le temps ! Marie-Ange ignorait qu'on ne se voyait plus !

 

MAURICE    Là là, ta chérie a eu sa petite intuition à la longue !... assez pour trouver mon nom dans le bottin... tremblante de rage... afin de régler ses comptes avec toi ! Surtout si tu n'y étais pas. "Ne suis-je plus désirable ? " "Ah oui, Marie-Ange, oui ! Arrête Marie-Ange il est minuit. » « Qu’importe !  «  Neuf mois plus tard à minuit, elle a accouché de mon enfant. Elle est comment, ma fille ?  Elle a tout ce qu’il faut ?

 

JEAN-PHILIPPE (ahuri)  « Ta » fille !? « Ta » fille… Tu veux être père de toutes nos filles… espèce de… (se jetant sur lui, il se retrouve visage contre visage avec Maurice)  … de portrait craché de ma fille !!  Oh merde !! Le visage "inconnu", c’est toi !! Le fantoche que je colle sur sa nuque !! Toi, toi et encore toi !! Mets-toi de profil s'il te plaît. Ouille. Comment ai-je pu ignorer que c'était toi le père ! Dis « Quoi Papa je te hais. »

 

MAURICE   Quoi, Jean-Phi ?

 

JEAN-PHILIPPE   Non, « Quoi Papa je te hais » ! Quand je lui mens, elle me le dit tout le temps.

 

MAURICE   « Quoi Papa je te hais »

 

JEAN-PHILIPPE   La même voix … C’est hallucinant.

 

MAURICE     Non génétique !  Car je te hais. Revenons à la SKRIT..-

 

JEAN-PHILIPPE   Maurice (lui serrant dans ses bras)

 

MAURICE    Lâche-moi ! Le SKRIT !

 

JEAN-PHILIPPE   Comment ne pas sentir de la tendresse envers le père de ma fille. Que vas-tu faire avec notre enfant ?

 

MAURICE    Rien ! Pas question de m'emmerder avec une morveuse qui caquette "Quoi Papa je te hais !" Le SKRIT !

 

JEAN-PHILIPPE     Je suis sûr que tu ressens quelque chose aussi, c’est instinctif.

MAURICE      Je n'ai plus de place, mec : ce matin, tu m’as fait le plein avec le SKRIT et un fanatique du Troisième Reich.

 

JEAN-PHILIPPE   (confus)   J’ai… Moi… ?... Troisième…

 

MAURICE   Si. Alors pour les filles-filles on en reparlera quand on a un moment.  Revenons aux faits. Je veux savoir - et très exactement, hein -  ce que tu as inventé à Daisy sur le Troisième Reich.

 

JEAN-PHILIPPE    Le troisième… ? moi… ?

 

MAURICE     Si.  Toi.

 

JEAN-PHILIPPE    En fait. Moi.   (un long moment)      Laurent… notre projet, il est fini.

 

MAURICE    Au contraire, il commence..-

 

JEAN-PHILIPPE   Non. Chaque fois que j'ai à faire à toi - et à Daisy  – il me sort des trucs… enfantins… lamentables. J’ai 45 ans. Il est temps que je devienne adulte. La vraie maturité ? : savoir se retirer avant la débâcle ! On classe donc cette petite affaire. Tu m’en remercieras plus tard, j’en suis sûr. Au revoir, Maurice. (il lui tend la main) Et bonne chance.

 

MAURICE    Ah non non mon gars c’est trop facile !

 

JEAN-PHILIPPE   Oui, il sera facile de rayer ça. Comme j’ai déjà assuré à Daisy que toi, tes ordinateurs, tes preuves…

 

MAURICE  Mes preuves ?

 

JEAN-PHILIPPE   … sont toujours fiables… Et s’ils ne sont pas… pour une fois… pour entamer un procès…

 

MAURICE     Un procès !?

 

JEAN-PHILIPPE   …  elle aurait besoin de moi  hein, que je témoigne contre toi. Ça, évidemment...

 

MAURICE    Tu le ferais ! Parce que tu es retombé amoureux de cette pouffiasse ! Qui va me poursuive en justice !  Sûr !

 

JEAN-PHILIPPE   Non, non, je vais simplement dire à Daisy que – après t’avoir demandé des comptes…  tu as reconnu avoir été un peu paumé dans tes recherches sur David…que tu le regrettes, bien entendu… très sincèrement…

 

MAURICE    Moi, paumé sur un ordi  ? Ha ha ça elle ne croira jamais. Bzzzz. Il faut la devancer. Bzzzz.

 

 JEAN-PHILPPE    Bzzzzzzz ?

 

MAURICE       (en zigzaguant comme une mouche,  « vole » vers l’ordinateur)   Bzzzzz.

 

JEAN-PHILIPPE  Mon ami, que veux tu dire par « Bzzzz » ?

 

MAURICE  Le mot de passe qui me permet de rétrécir à la taille d'une mouche et saute carrément dans mon ordinateur  Je le fais tout le temps. C’est très bon pour la concentration. Ensuite, mes petites ailes vont taper toutes seules tes mensonges ahurissants… (pianote déjà sur l'ordinateur :)   C’est rien du tout, à condition de le faire vite. Regarde, Jean-Phi. Brring brring.

 

JEAN-PHILIPPE   (regarde l'écran)    "Gelescu-Baum, virgule, David... "

 

MAURICE    (tape)   Boom.

 

JEAN-PHILIPPE    Soupçonné de collaboration avec le régime fasciste en 1943."

Mais... qu'est-ce que ça veut dire ?

 

MAURICE    Je viens d’insérer ce petit renseignement dans la plus obscure base de données existante sur les parfums québécois aromatisés aux feuilles d’érables. Et si je répandais la même phrase sur des bases plus "grand public" ?  Sur tout le web ?  De par le monde ?

 

JEAN-PHILIPPE    Pas question  ! Maurice Maurice ! Il y a des implications

morales !

 

MAURICE    Ce mot dans la bouche d'un fils de putes ? hé hé.

 

JEAN-PHILIPPE    Tu effaces ça immédiatement... où je téléphone à Daisy !

 

MAURICE    Je ne vais pas laisser tomber ce truc !!  Ta carrière est faite !! La mienne n'est pas encore commencée !! J'ai 45 ans moi aussi !! C'est ma dernière chance,  de gagner ma vie, en faisant le métier pour lequel j'ai été mis au monde !!

 

JEAN-PHILIPPE    (menaçant)    Efface-moi ça !!

 

MAURICE   ("conciliant")    Ecoute, si tu préfères rester dans le "bon ton", on peut ! Regarde, Jean-Phi. Si... après "Gelescu-Baum"... je ne tapais que "Possible nom d'emprunt" ?  Admets-le ! "Possible" n'est pas méchant. On lui prête un certain mystère !  En même temps, ça crée un tout tout petit doute sur notre cher David l "Né en 1904" ?  Entre parenthèses j'ajouterais "1907", suivi d'un point

d'interrogation ?  Tu vois ! J'aurais rajeuni le vieux schnock ! Sympa ! Et ben voilà, encore un petit doute l Des doutes ! Partout !  "Juif orthodoxe".. Si... après "Juif" on tapait un point d'interrogation - puis d'un trait - "Dossier classé 1950, faute de preuves." Daisy voudrait bazarder ce vieux con la plus vite possible ! Et lui sera gagnant, hein ! Sollicité par de tant de gens plus friqués qu'elle !

 

JEAN-PHILIPPE     Des anciens nazis, quoi.

 

MAURICE     Evidemment ! Au travail !

 

JEAN-PHILIPPE    NON ! Tu veux pas comprendre ! Gelescu-baum fait partie de Daisy ! Daisy fait partie de moi !

 

MAURICE    Et moi ?

 

JEAN-PHILIPPE    Si tu insistes, toi, tu fais partie de nous tous ! On est des êtres humains, et merde !

 

MAURICE    (tapant machinalement)    On est de la merde, là d'accord, et on est bien comme ça...

 

JEAN-PHILIPPE    Arrête cette machine, ou je la casse !!

 

MAURICE    Touche à mon PC, c'est toi,  pote, qui seras bon pour la casse !!

 

JEAN-PHILIPPE       (sur le pointe de l'attaquer)   Tu tapes la mort !

(Sonnerie à la porte !  Ils s’arrêtent net )

 

JEAN-PHILIPPE    (chuchotant)  Mais réponds.

 

MAURICE    (appelant)    Oui ?  Quoi ?  Qui ?

 

VOIX    (off, sinistre)   Une petite dame.

 

(Maurice regarde par l'œil de bœuf... Il revient à Jean-Philippe)

 

MAURICE    Daisy Zéboni.

 

JEAN-PHILIPPE    Aie.

 

MAURICE    (bas)    Aie. Faut pas...

 

JEAN-PHILIPPE    (chevauchant)    ...qu'elle me voie...

 

MAURICE    (bas) ...Faut que je me cache.

(Maurice ouvre la porte du placard, mais Jean-Philippe entre immédiatement en refermant la porte. Maurice tire sur la poignée qui résiste. Bas)

"Jean-Phi : Fair-play" !?

 

VOIX DE JEAN-PHILIPPE    Ta gueule !

 

MAURICE (appelant)    J'arrive !!    (bas)    On est bien d'accord que... j'arrive !...

(appelant)   J'arrive  !!

(se dirigeant vers la porte centrale)

... C'est ton rayon... tout ce qui touche à... à... à...

(il ouvre la porte :  Daisy !)

Voilà, la confrontation !

 

DAISY    ("relax")    "Confrontation", non, voyons.    (elle tend la joue)    Fais-moi plutôt la bise, après toutes ces années ! Oh là !

 

MAURICE   (se précipite pour éteindre l'ordinateur)    Ça-fait-un-bail.

 

DAISY   Quel beau portrait :  "Maurice Despraux. Effondré sur son PC". Cher cher Maurice, je viens à l'improviste, je sais, mais c'était urgent.    (s'installant "sociable")   Qu'est-ce que tu m'offres à boire ?

 

MAURICE    On n'a pas ça.

 

//DAISY    N'importe quoi.

 

MAURICE    On n'a pas ça. Je n'ai rien pour vous, Madame !

 

DAISY    Si, Maurice. La vérité sur David Gelescu-Baum ! Broncard me ment quelque part... Enfin, nous savons, nous, que Broncard est un menteur pathologique ... Toi, en revanche ! ...Si pur ! J'ai toujours pensé à toi comme à quelqu'un d'intègre.

 

MAURICE   C'est un très grave défaut.

 

DAISY    Mais non, voyons ! La vérité est une discipline, Maurice...que tu manies formidablement ! Parfois, j'ai relevé ton nom sur des études d'une exactitude confondante. Si, si, je ne t'ai pas perdu de vue pendant tout ce temps ! C'est évident que c'est toi ­le vrai moteur de cette affaire, le seul responsable...

 

MAURICE    Euh, oui ?

 

DAISY    Devant la loi.

 

MAURICE    Non ! : Ça c'est lui !

 

DAISY    Tiens, il m'a juré que c'est toi - tout seul - qui a découvert les documents compromettants au sujet de Gelascu-Baum. Où sont-ils, ces documents

Montre-les moi.

 

MAURICE   (ne bouge pas.)    Eventuellement.

 

DAISY  (plutôt menaçante)    Immédiatement !

 

MAURICE    Tu ne vas pas rester là, plantée comme une conne ?

 

DAISY    Ah que si.

 

MAURICE     En ce cas...Mon meilleur doc...

En ce cas...                                              (se retourne, et brusquement essaie de la prendre dans ses bras)

c'est moi ! Baby  !

 

DAISY    Ah non ! Non !

(elle l'évite)

Ecoute, tu es un gentil garçon mais...

 

MAURICE    Et merde, je suis un monstre ! Tout comme toi !    (il essaie de l'attraper)   Et j'en suis fier !

 

DAISY    Ne pose pas tes sales pattes sur moi !

 

MAURICE    "Sales pattes" ?    (piqué à vif)   Plus très aimable ? Tu l'as été il y a vingt ans  ! Tu cherches la vérité, la voici :  Le 24 mai, 1977, je t'ai pénétrée.

(Pour Jean-Philippe)

Hurle cette vérité ! Ça se peut que je sois devenu sourd avec l'âge. Et toi, un peu amnésique - à ce qu'il parait !

 

DAISY    "A ce qu'il parait" ! Je vois ! Ce sujet a été abordé entre toi et Brancard' ! Très élégant !

 

MAURICE    Non. Abordé sans élégance aucune.

 

DAISY    Il t'a téléphoné ce matin ?

 

MAURICE    Euh...

 

DAISY    Oui ! Et qu'a-t-il dit ?

 

MAURICE    Mais rien, ma choute ! Que rien ne s'est jamais passé entre nous.

Daisy, quand même...

 

DAISY    Non, comprends, Maurice, j'ai essayé d'esquiver ce sujet avec Broncard par délicatesse !

(Maurice seul voit que la poignée de la porte bouge. Il se met devant la porte et "tremble" pour la garder fermée.)

Il est très jaloux de toi. Mais je crois l'avoir convaincu.

 

MAURICE   ("tremblant")    Embrasse-moi alors... exactement comme tu faisais dans le temps ! Vite ! Carrément, contre la porte !!

(Jean-Philippe essaie d'ouvrir la porte... ce qui projette Maurice vers Daisy... Elle ne voit pas Jean-Philippe, poursuivie comme elle est par Maurice : )

 

DAISY    Je me suis jouée de toi ! Tu t'es joué de moi ! On le savait bien d'ailleurs ! On avait des exigences professionnelles... qui sont plus que périmées ! Tout ce numéro et rien que pour changer de sujet !

 

MAURICE    Nom de Dieu, Daisy, regarde-moi dans les yeux ! Quand je t'ai niquée, est-ce que j'étais si morne qu'il t'a fallu m'effacer à tout jamais ?  Oui  !! Selon toi et  oui selon Broncard ! Ah je vais montrer à Broncard  ce qu'un minus est capable de faire avec toi... sale prostituée !

 

DAISY   (glaciale)    Si je suis venue - Monsieur Despraux - ce n'est que pour savoir ce dont vous étiez capable ! Tout seul ! Merci ! Par votre comportement immonde,  vous venez de me prouver que Jean-Phi est innocent !

 

(Un bruit  : la porte, "rouge de honte", s'est refermée. Un temps)

 

MAURICE   (proposition timide)     ... Du linge... a pu tomber ?

 

DAISY    Du linge. Oh.

(... Elle se déplace un peu dans la pièce, frôlant des objets... arrive aux deux verres de coca cola...Puis, chantonnant, ambiguë)

"Cigarettes, whisky... et coca cola... "

(Elle se met à "rire"... "Séduisante")

J'espère que "Le prélude de Daisy" t'a réchauffé ?

 

MAURICE    Prélude... ?

 

DAISY    Beuh oui, faut d'abord que le mec se fâche. L'homme savant qui bave des conneries, ça me brââânche ! Viens, chéri, embrasse-moi, tu le mérites ! Hein ! Coquin ! t'as compris la vraie nature de Daisy !?  Qu'est-ce qu'il a mal vieilli, Broncard, dis-donc ! Cul-serré, vieux réac... C'est pas ça qui mettrait une fille comme moi à quatre pattes ! Toi par contre...

(pour Jean-Philippe, projetant la voix)

0ooo oui quand tu m'as baisée ! Pas de discussion la-dessus ! Maurice m'a baisé ! Et j'étais furiêêûûûse  !! Ça c’est passé trop vite ! J'aime prendre mon temps, moi. Surtout avec un type comme toi ! Ah toi... T'as un seul truc qui me gêne un peu.

 

MAURICE (confus) Oui ?  Lequel ?

 

DAISY (un peu "niaise")    Tu es sympathisant nazi. Ça gêne un peu.

 

MAURICE    Moi ? Mais non, qui t'a raconté ça ?

 

DAISY    C'est évident. Tu es prêt à tout pour réussir la transaction d'un "nazi fanatique". Toi, si sexy, dois-tu être si nazi ?

 

MAURICE    Je... je... mais... je...

 

DAISY    A moins que... Mon chéri : est-ce que tu aimes excessivement

l'argent ?

 

MAURICE    Ça mais... Qui n'aime pas ça ?

 

DAISY    Je vois : question "d'idéologie", tu t'en fous complètement... ?  Ce n'est que pour l'argent alors... Et Broncard ?  Evidemment, lui est payé par la SKRIT. Il s'en fout. C'est ça ?  C'est bien ça ?

 

MAURICE    Enfin... lui... moi.... Voilà, parlons d'autres choses.

 

DAISY    Maurice, plus de secrets entre nous. Je t'en prie ! Je t'aime trop.

 

MAURICE    Tu... Pas vrai... ?

 

DAISY    Si. Depuis toujours. C'est plus fort que moi. Ce sont tes chiffres. Je suis au courant de tout.   (sous-entendu)   "Strudel à la crème".

 

MAURICE   (de plus en plus confus)    Je n'en ai pas !

 

 DAISY    Tu dois le connaître ?  Tout le monde connaît "Strudel à la crème". Le mot de passe d'un associé "informatisé" pas comme les autres ?    (Maurice hoche la tête, égaré)    Non... ?  Vraiment... ?  Sa spécialité alors : fournir en un temps record des renseignements "peu communs" ! Ce matin, il m'a confié, sans équivoque aucune, que "David Gelescu-Baum" a été dans un camp... en tant qu'officier ! Evidemment, il ne s'appelait pas David Gelescu-Baum  !

(changeant de ton)   Quand il a senti les alliés approcher...il a pris, sous sa "protection" une famille - roumaine comme lui - mais juive - les vrais

Gelescu-Baum  ! Il a tout appris sur eux. Et puis il les a exterminés.

 

MAURICE   (réellement troublé)    Oh non...

 

DAISY    Si. Vient la débâcle, on retrouve ce monsieur à Bucarest... où il a subtilisé les documents "Gelescu-Baum" et en a fabriqué d'autres. Après un temps,  il a refait surface à Montréal : "David Gelescu-Baum", coucou me voilà. Ça, c'est possible.   (dure)   Tout est possible avec de l'argent. Ou pour de l'argent ! Toi, tu ferais n'importe quoi pour en avoir. Mais réponds !

 

MAURICE    Mon Dieu et merde...

 

DAISY    Le temps est venu de m'expliquer ton rôle dans ce sac de nœuds !

 

MAURICE    C'est bien simple : Je suis malade, Daisy. Ça ne va pas être très joli. Reviens un autre jour.

 

DAISY    Je te crois... mon amour !   (se préparant à s'en aller)

Ah ! Avant que je ne parte ! - mieux vaut que tu saches – qu'avant de venir, - j'ai téléphoné à Los Angeles. Au "faux David"... pour parler de toi.

 

MAURICE   (consterné)    Pourquoi as-tu fait ça ?  !

 

DAISY    Espèce d'idiot !, tu me troubles ! Tu troubles le vieux aussi ! Tu vas rire : il faisait semblant de ne pas te connaître du tout - allant jusqu'à me demander - c'est drôle ! - ton adresse !

 

MAURICE    Et tu la lui as donnée !!

 

DAISY    (insouciante)    Et le métro le plus proche.

 

MAURICE    (hystérique il se précipite vers la fenêtre)

Ce que tu es conne. Conne conne conne.

 

DAISY    Ne t'affole pas, mon amour. On réussira ce coup, toi et moi...  ("paumée")   ... j'sais vraiment pas comment mais...

 

MAURICE     Il y a des gens dans la rue !!

 

DAISY    (pédante)    A qui la faute ?

 

MAURICE    (tourne en rond, désespéré, puis donne  des coups de pieds furieux à l'ordinateur)

Salope, bonne pour la casse ! Comment est-ce possible... que nulle part cette ordure ne conserve la moindre indication que David Gelescu-Baum n'est pas David Gelescu-Baum, juif de Bucarest né en 1904 ?  Qu'en aucune façon - sur aucune base de données - il n'est le nazi endurci crée par Jean-Philippe Broncard pour faciliter sa vente de la société Gelescu-Baum à la Société SKRIT  !!?

(à Daisy)   Et moi, tu comprends, j'étais en train de me mettre la tête à l'envers pour authentifier ce que j'ai pris pour un odieux mensonge ! Alors tu comprends...

(se rend compte de la portée de ses paroles)   Oh.

 

DAISY   (sombre)    Oh.

(Jean-Philippe sort du placard, blême.)

Merci. Je me suis demandé qui fait quoi dans ce numéro de cirque. Maintenant je le sais.

 

JEAN-PHILIPPE    (il chancelle)   Excuse-moi, le manque d'air...

Excuse-moi,                                            (s'évanouit presque... dans les bras Maurice... )

 

DAISY    Ah Jean-Phi... mon Jean-Phi... ce petit doute étrange que vous m'avez insufflé...  ! Oh, bien malgré moi ! Mais comme j'ai tant voulu vous croire...  ! j'ai presque couru vers mon bureau... pour vérifier ! En route... "Daisy... quand

même !... Gelescu-Baum est un vieux monsieur simple et bon... " Et vous, vous ! Tourner en dérision ce moment d'histoire parce que ça "pourrait" rapporter ?  Vous êtes des ­ - je cherche le mot - crapules, scélérats... pirates ?  - il n'y a pas de mot.

 

MAURICE    Et toi, ma poule ?  Si tu n'étais pas dupe, qu'espères-tu tirer de nous ?

 

JEAN-PHILIPPE    Se foutre de nos gueules. Et avec raison !

 

MAURICE    Non, elle, elle.­

 

JEAN-PHILIPPE    Tais-toi !

 

MAURICE    Ne me dis pas "tais-toi"... toi... tu as tout bousillé ! Comme d'habitude !

 

(Maurice le frappe... saute sur lui.

Tandis que les deux hommes se battent férocement,

Daisy les regarde avec "affection" :)

 

DAISY    Broncart et Despraux ! Vingt ans après et les pieds toujours en l'air, la tête enfoncée dans la merde pour touiller une de leurs petites magouilles ! Vous savez, c'est bien la première fois que je vous vois ensemble. Je me suis demandé si vous n'étiez pas une seule et même personne, effectuant des changements rapides grâce à un masque en caoutchouc. Eh ben non, vous êtes en caoutchouc, tous les deux. Vous êtes lamentables !

 

JEAN-PHILIPPE    (échappe à Maurice)    C'est vrai : c'est l'effet que tu provoque en moi !

 

DAISY    Excellente raison pour que je m'éloigne de vous. Définitivement ! Avec la certitude que j'ai mieux évolué ! Et sans perdre un rond !

(se dirige vers la porte centrale)

 

JEAN-PHILIPPE    (arrive avant elle)    Du fric ! Bah ! J'ai besoin de toi ! Dès cette connerie échappée de ma bouche, je savais que tu saurais, toi, toi... Mais j'ai tellement voulu ne pas te perdre une fois encore...

 

DAISY    "Bla bla", ainsi il espère récupérer sa mise avec la SKRIT.

 

JEAN-PHILIPPE    Non ! Toi ! Présente ! Plus souvent ! Je m'habituerai ! Ça se passerait mieux... Et... et... notre enfant... ?

 

DAISY    "Notre enfant" pourrait être "notre" enfant, Maurice. Voulez-vous aussi la rencontrer ?

 

MAURICE    Na ! Pas de quoi payer l'avion, moi ! Aucun intérêt, cette fille !

 

DAISY    Notre fille, Maurice  a douze ans.

 

JEAN-PHILIPPE    Douze ?

 

DAISY    Et pas dix-neuf. Alors son "père"... un de vous? Grâce au ciel, non.

 

JEAN-PHILIPPE    C'est vrai ?

 

DAISY    Oui, oui, c'est vrai. Vous n'êtes pas père. Ni l'un ni l'autre. C'est  "échappé de ma bouche"... comme ça aussi. Je ne sais pas pourquoi.

 

MAURICE    (sinistre)    Moi, je le sais...

 

JEAN-PHILIPPE    Je te demande pardon. Humblement. As-tu un mec à la fin ? Je le rencontrerais, volontiers... ton mari ? Et ta fille ?

 

DAISY    Le père n'a aucune importance. J'ai voulu un enfant, les années passaient, j'ai eu un enfant.

 

JEAN-PHILIPPE    Oui mais... l'enfant... ?

 

DAISY    Un enfant comme les autres.

 

JEAN-PHILIPPE    ... Aucun enfant n'est comme les autres... ?

 

DAISY    Ah !... ses yeux de cocker, battus, en même temps obstinés à me piquer un os ! Il pense que j'ai un faible pour lui... donc, profitez-en les mecs !

 

MAURICE    Oui, vas-y ! Fais-lui la cour ! C'est ce qu'elle attend de toi !

 

JEAN-PHILIPPE    Surtout pas ! Je lui ai demandé pardon ! Avec toute la sincérité dont je suis capable !

 

DAISY          (ensemble)                       MAURICE

Hum.                                                             Ah ça

.

JEAN-PHILIPPE    (à Daisy)    Non mais imagine...  ! que, d'abord, je devienne plus droit...  !

 

MAURICE    Inimaginable ! Ta petite "mélodie de nuit" s'accorde avec la duplicité !

 

DAISY    Il arrive un âge où cette musique perd son charme. Et peut-être bien qu'il pourrait jouer un autre air ?  Enfin, ce n'est pas moi qui vais vous changer, tous les deux. Non, ce petit incident - que je ne regrette pas - c'est là où je dois être complètement cinglée moi-même ! - je le considère comme clos ! Disons-nous adieu comme des gens civilisés.

 

JEAN-PHILIPPE    Je suis bien d'accord.

(essayant "élégamment" de faire revenir Daisy dans la pièce)

 

Si on changeait un peu de sujet... juste pour terminer en beauté, nous avant de nous quitter...

 

MAURICE ("hôte sociable")    Thé-au-lait anyone ?  Alors ! Daisy ! : quand est-ce que tu vas vendre Gelescu-Baum à la SKRIT ?

 

DAISY    Oh là là !

 

JEAN-PHILIPPE    (chevauchant)    Tu veux la chasser ?  C'est interdit ! On parle d'autre chose !

 

MAURICE    Pour nous il n'y a rien d'autre ! Jeunes, on a vécu ensemble dans un corset de fer ! Pourris, on s'y retrouve ?  Alors, forcément...

 

DAISY    Maurice, nous ne sommes plus jeunes ! Nous avons bien changé ! Aujourd'hui la seule chose qui puisse nous intéresser...

 

MAURICE    La vente à la SKRIT !!

 

JEAN-PHILIPPE    Ça ne va pas se faire, Maurice. Sacré Maurice ! Pauvre

Maurice !

 

DAISY    En revanche, le côté fortuit de cette rencontre est curieusement

positif ! Je pense - si j'ose élaborer... ?

 

MAURICE    La ferme ! Le côté "fortuit" de cette curieuse rencontre va te permettre d'être positivement baisée par Jean-Phi. "Coup de reins, Noble sentiment, Coup de reins... " Allez, allez, il y a un hôtel de passe en bas de la rue pour ce genre de truc.

Ici c'est pas possible, je viens de changer les draps.

 

JEAN-PHILIPPE   (prenant fermement Daisy par le bras)    On s'en va.

 

MAURICE    Allez-vous en !! Je vous ai assez vus !! Sinistres richards !, quelle

paire.        (comme ils sont au seuil de la porte :)

STOP !! Cadeau : une image de Maurice  !! La dernière ! Sachez que, dès

que vous aurez franchi la porte, insouciants, j'aurais, moi, mis cette petite chérie...                (il roule un ordinateur vers la salle de bain  : )

dans la salle de bains... pour me tenir compagnie pendant que je prends

une douche ! Avez-vous jamais pris une douche avec un ordinateur ?

 

DAISY et JEAN-PHILIPPE    Non...

 

 

MAURICE    Moi non plus. Ça doit être vachement « "électrisant « ! Tout nu sous la douche, je caresse l'ordinateur... Et fini la douche ! Ils n'ont rien compris.

Je serai môôôôrt !! Grâce à vous deux ! Grands absents ! Merci, les copains !

(Mais Daisy est en train de remettre l'ordinateur à sa place... )

Non mais et merde, c'est à moi ! Putasse, tu es gonflée !

(il essaie de remettre l'ordinateur dans la salle de bain... mais Daisy et Jean-Phi poussent dans l'autre sens... gémissant : )

Pourquoi essayez-vous de me décourager dans mon juste suicide ?  J'ai tout perdu de ce que je n'ai jamais eu !

 

DAISY    Perdu, toi, qui as gagné... ­

 

MAURICE    Quoi ?

(Elle a un blanc terrible... De lui un cri d'angoisse)

QUO 0 l ??!!

 

JEAN-PHILIPPE    Notre...

 

DAISY    ...Sympathie ?

 

MAURICE    (s'attachant à Daisy)    Alors mangez une pizza avec moi ! Nom de Dieu ! une pizza à trois !

 

DAISY    Je n'aime pas la pizza mais...

 

MAURICE    Jean-Phi  non plus ! Deux personnes dans la même pièce qui prétendent ne pas aimer la pizza ! Mensonge ! Vous atteignez votre apogée !

(à Daisy)    Avoue la vérité ! Tu aimes la pizza !! Et tu vas en manger une avec moi ! (spasmodique)    Et après, on fusionnera les Gelescu-Baum avec la SKRIT !!

Et-et-et !! Et-et-et !! Une petite conne de transaction !!? Hein hein ??  Des comme ça, tu en fais tous les jours !! Hein hein ??

 

JEAN-PHILIPPE    Celle-ci, elle ne va pas la faire.

 

DAISY    Maurice, est-ce que tu es au fait qu'en 1976, au siège social de la Société SKRIT, l'actuel directeur général et son pire ennemi m'ont violée à tour de rôle ?

 

MAURICE    Ah bon ?  C'est personnel alors... ?

 

DAISY    Oui, c'est personnel.

 

MAURICE    Alors... C'est foutu. Quand il s'agit du "personnel", même moi;

je me déglingue.    (faisant la gueule)    Oh puis quoi. Finalement... Ce

dossier... Ce n'est qu'un petit truc à la con comme tous les autres. Je mérite mieux que ces petits trucs. Evidemment, vous n'êtes pas d'accord.

 

DAISY    Mais si ! Je te respecte, Maurice !

 

MAURICE    Berk ton respect.

 

DAISY    C'est vrai pourtant. Je tâte assez de technologie, pour m'incliner devant la vraie "nature".

 

MAURICE    Tu tâtes trop ! Pas étonnant que ta petite société reste petite !

 

DAISY    Car tu crois facile pour une petite dame comme moi d'annexer des hommes hautement qualifiés comme toi ?

 

MAURICE    Et tu les gardes une semaine, chieuse comme tu es !

 

JEAN-PHILIPPE    Oh Daisy ! Oh ! Propose-lui une situation, une vraie ! A des conditions généreuses ! Et voilà, chez toi, un des as du marché !

 

MAURICE    Tu vois sa façon de se débarrasser de nous ! Quelle mauvaise foi !

 

DAISY    Mais Maurice... pourquoi pas ? J'aurais besoin d'un conseiller sur l'affaire Gelescu-baum... entre autres. Et si c'était toi ?  Avec tes méthodes ! Ah oui ! Trouve-moi des grandes sociétés valables - ­n'importe lesquelles - à condition qu'elles ne soient pas la SKRIT  ! Et je les accepte. Les yeux fermés.

 

JEAN-PHILIPPE  (s'amusant, à Daisy)    Il est entendu que Maurice soit autonome chez toi pour tout ce qui touche à la technologie !

 

DAISY    Ce n'est pas bête. Comme ça, je pourrai enfin me consacrer à la seule chose qui passionne...  !

 

MAURICE    La magouille.

 

DAISY   Tu vois : moi, j'aurais dit "La finesse des rapports humains" !

Là, tu seras interdit de parole ! Ecoutez, les gars... Ça commence à m'exciter ! Est-ce qu tu es libre pour voyager un peu... ? En Californie ? Tu parles un peu anglais ?

 

MAURICE    I don't open the mouth.

 

DAISY    Mais c'est parfait ! Evidemment il faut me donner un peu de temps pour calculer ce que je pourrais t'offrir...

 

MAURICE    Ne crois pas faire une bonne affaire !! Je coûte cher, moi !! J'ai plein de propositions !! Ne me fait pas trop attendre !!

 

JEAN-PHILIPPE    (toujours se rigolant)     Il faut réfléchir à un titre à lui

proposer... ?

 

MAURICE    Le seul qui m'aille ! Vice-président.

 

DAISY    Si ce travail pouvait vous intéresser...

 

JEAN-PHILIPPE    "Vous" ?

 

DAISY    (à Maurice)    Ça me ferait plaisir que nous nous vouvoyons... que je vous appelle Monsieur Despraux par respect pour votre compétence ! Pour vous je serai Madame Zéboni ! Il est entendu que nous ne resterons pas sur le souvenir de notre rencontre en 77.  Nous n'en reparlerons jamais. Ni de celle de ce matin. Ça me semble essentiel pour la suite de nos rapports. Etes-vous libre pour déjeuner avec moi, disons... demain ?

 

MAURICE    Pas question ! Vingt ans de déjeuners exécrables avec ce type-là, ça n'a rien donné. "Ma" première condition : toi et moi, on ne casse jamais la croûte ensemble.

 

DAISY    Là, pas de problème.

 

MAURICE    En ce cas... c'est vous le chef. Madame Zéboni !

 

JEAN-PHILIPPE     (à Maurice)   T'es content ? T'as gagné. Moi je peux le tutoyer ?

 

DAISY    Toi, tu n'as plus aucune importance pour nous.

(à Maurice, lui donnant une carte)    Demain matin ça vous dit ? Vers neuf heures et quart ?

 

MAURICE    Pas la peine de m'insulter d'un "Soyez à l'heure".

 

DAISY    Mais je sais, Monsieur Despraux. Il faut faire un effort, vous aussi. Cessez de me traiter de conne enfin ! S'il vous plaît ?

(elle lui offre la main... il la serre, plutôt formels, les deux. Elle se dirige, vers la porte centrale...)

 

JEAN-PHILIPPE    Rien ne nous empêche, nous, de dîner ensemble.

On se revoit... ?

 

DAISY    Je regrette. J'ai perdu un temps fou ce matin... et au milieu d'une semaine particulièrement chargée, avant mon retour à Los Angeles. Vous comprenez ?

 

JEAN-PHILIPPE    Cette semaine, non, impossible pour moi aussi. Non, je pensais que... la prochaine fois aux USA... je voyage pas mal, vous vous en doutez... cela m'arrive de me retrouver à Los Angeles. J'y étais il y a onze ans.

 

DAISY    Oh bien, en ce cas, ça ne coûte rien... Je vous donne ma carte personnelle   (ce qu'elle fait)   Monsieur Broncard  :  A un de ces jours.

 

JEAN-PHILIPPE    Madame Zéboni. Au revoir.

 

(Ils se serrent la main. Elle s'en va un peu maladroitement... )

 

MAURICE    Jean-Phi est-ce que..-­

 

JEAN-PHILIPPE (féroce)    CHUT  !    (siffle entre les dents) Stratégie !

(il écoute. Oreille collée à la porte, il marque rythmiquement la descente

de Daisy dans l'escalier. Il se retourne)

 

J'aime cette femme... plus que la vie... et je vais l'avoir... et pas d'ici onze ans ! Ah ça non ! Je vais l'avoir la semaine prochaine ! A Los Angeles ! Où je serai ! Pour les "affaires"  ! Et je vais prendre en main sa chienne de vie. Ou elle saisira la mienne ... ou on s'entretuera, on verra bien, mais je l'aurai ! Et j'aimerai sa fille ! Je l'aime déjà... j'aime, j'aime !

 

MAURICE    C'est beau.

 

JEAN-PHILIPPE    Et tout ça je te le dois, à toi. ­

(il saisit Maurice dans ses bras, le serre très fort,

lui donne un immense bisou, et s'apprête à partir...)

 

MAURICE    (se collant à lui)    ... Jean-Phi... Tu crois que je devrais accepter son offre merdique à la fin ?  "Voyager un peu en Californie", on sait où ça mène *  :

moi piégé toute l'année dans un climat qui n'est pas sain ! Bien sûr, elle m'offrira de beaux ordinateurs, flambant neufs. Pas comme ceux-ci ! C'est là où je me pose la question : est-ce que je veux quitter

(geste qui englobe son studio)

tout ça !... pour entrer dans l'establishment ?

 

NOIR.                                                                         FIN.


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