ACTE I
L’action se passe au bloc opératoire. Murs blancs, aucun décor autre que la table d’opération (un brancard sur roulettes afin de faciliter les déplacements) où est allongé le patient, endormi. Un masque à oxygène est posé sur son visage. Il est recouvert d’un drap qui occultera les gestes du chirurgien.
Scène 1
Docteur Schmoll, Paulette, Cécile
Au lever de rideau, deux infirmières en blouses chirurgicales encadrent le patient recouvert d’un drap. L’une, Cécile, tient un plateau (haricot) chargé d’instruments de chirurgie. La seconde, Paulette, surveille le bon endormissement du patient et le masque à oxygène.
Le chirurgien, même tenue, un stéthoscope autour du cou, se tient en fond de scène. Il enfile des gants de chirurgie puis, mains levées, théâtral, s’avance vers la table d’opération sur un fond musical sévère[1],[2].. Il entreprend d’opérer, concentré. Ses manipulations se déroulent sous le drap recouvrant le patient. À plusieurs reprises, il tend la main et Cécile lui passe un instrument en silence. Paulette, après avoir donné quelques signes de faiblesse, sort en courant.
SCHMOLL, interloqué. ― Eh bien, Paulette, ne vous gênez plus ! (Il appelle :) Paulette, enfin, revenez !
PAULETTE, entre en épongeant son visage. ― Je suis désolée, docteur, mais je ne me sens pas très bien… (Elle reprend sa place.)
SCHMOLL ― Je vous ai dit cent fois de manger léger avant une opération. (Paulette bougonne.) Quel était votre menu, ce midi ?
PAULETTE ― Tripes à la mode de Caen… mais à la cantine le choix est limité. Aujourd’hui c’était tripes ou cassoulet…
SCHMOLL ― Oh ! On a évité le pire !
CÉCILE ― Moi, j’ai pris le cassoulet. Il n’était pas fameux !... Faut dire que je suis née à Castelnaudary. Alors, question cassoulet, on mange du bon à la maison.
SCHMOLL ― Forcément ! C’est comme les tripes (Il s’adresse plus particulièrement à Paulette.), à Caen ! (Il rit de son humour un peu lourd, alors que Paulette a des nausées. À Cécile et tout en continuant d’opérer :) Et qu’est-ce que vous y mettez dans le cassoulet ?
CÉCILE ― D’abord, il faut bien choisir son haricot... (Elle met en évidence le « haricot » qu’elle tient dans les mains.)
SCHMOLL ― Ah, oui ! La mon-jeu-ta… (Il prononce à la parisienne.)
CÉCILE, le reprend. ― La mongeta ! (Elle prononce « monjète » à la toulousaine.) Qu’on laissera tremper au moins une nuit dans de l’eau froide… et attention, pas de l’eau calcaire, hein !… de l’eau douce !
SCHMOLL ― Merveilleux ! De l’eau douce…
Paulette grimace dans le dos du docteur.
CÉCILE ― Mais le vrai miracle, c’est le confit, d’oie ou de canard…
SCHMOLL ― Oh, oui ! Oh, oui ! Parlez-moi du confit…
CÉCILE ― Il ne faut pas oublier pour autant les quelques légumes qui parfumeront le cassoulet. Et l’ail ! Sans ail, pas de cuisine occitane !
SCHMOLL ― Mon Dieu, comme c’est vrai…
CÉCILE ― Et le secret d’un bon bouillon onctueux, je vous le donne en mille…
SCHMOLL ― Je suis tout ouïe.
CÉCILE ― C’est la couenne de lard…
SCHMOLL, en extase. ― Oh !...
PAULETTE, écœurée. ― Oh !... (Au bord de l’évanouissement, elle se saisit du masque du patient pour en respirer goulument une bouffée d’oxygène.)
SCHMOLL, stupéfait. ― Paulette !... Ressaisissez-vous ! C’est lui le malade, et vous allez nous l’estourbir.
PAULETTE, repose le masque de mauvaise grâce. ― C’est lui, c’est lui… Si vous regardez bien, il a le teint plus frais que le mien.
SCHMOLL ― Plus frais, c’est vite dit… à l’extérieur peut-être, mais à l’intérieur ce n’est pas appétissant, voyez vous-même…
PAULETTE, grimace. ― Je ne veux pas voir ça… (Elle reprend le masque et le reste de sa phrase est peu compréhensible :) Elle n’est pas bientôt finie cette opération ? (Schmoll et Cécile se tournent vers elle, l’air sévère. Paulette repose le masque vivement.) Je disais… elle est un peu longue cette opération, vous ne trouvez pas ?
SCHMOLL ― Encore un effort. Il ne reste plus qu’à refermer…
On voit une aiguille énorme dépasser du drap. Le docteur recoud.
CÉCILE ― Dites donc, c’est de la haute couture !
SCHMOLL ― On appelle ça le point « écureuil ». C’est ma spécialité… comme vous, le cassoulet. (Paulette reprend aussitôt le masque.) Paulette, enfin, soyez raisonnable…
PAULETTE ― Raisonnable, raisonnable… Soyez raisonnable vous-même… Cessez de parler de… de…
SCHMOLL ― De cassoulet ?
Paulette remet le masque.
PAULETTE, peu audible. ― De gastronomie !
On entend la sonnerie d’un téléphone portable.
SCHMOLL ― Zut ! Mon portable !
CÉCILE ― Ça, c’est votre épouse, elle a le chic… Vous devriez couper votre téléphone pendant les opérations.
SCHMOLL ― Vous n’y pensez pas, elle est tellement jalouse… (Il cherche.)… Mais qu’est-ce que j’en ai fait ? Ils sont si petits de nos jours, on finit par les perdre.
Le regard des trois personnages se porte lentement vers le ventre du patient. Chacun est dubitatif tandis que retentit toujours la sonnerie du téléphone.
PAULETTE ― Là, vous abusez, docteur ! La dernière fois déjà, c’était vos lunettes… Vous pourriez vérifier avant de recoudre…
Schmoll s’empare d’un stéthoscope, le pose sur le ventre du malade.
SCHMOLL ― Allo ! Allo !... ça ne marche pas… Allo !
PAULETTE ― Et je ne parle pas de votre carte bleue, de la télécommande du garage, de votre stylo… et j’en oublie… la clé du vestiaire, le…
Schmoll lui met le masque à oxygène sur le nez.
SCHMOLL ― Respirez, Paulette, respirez…
CÉCILE, en poussant les deux autres. ― Bon, arrêtez de vous chamailler. Faut rouvrir, on va rouvrir, et puis c’est tout. Allez, hop… (C’est elle qui opère.) Bistouri ! (Le chirurgien, confus, lui passe les outils.) Pansements… pince…
Elle extrait enfin le téléphone, sanguinolent, le tend au bout d’une pince au chirurgien qui s’en saisit, décroche.
SCHMOLL ― Allo… oui, Bibiche… oui mais… je ne pouvais pas… je suis en pleine opération… un intestin, c’est délicat… (Cécile et Paulette font des grimaces dans le dos du docteur qui a la joue maculée du sang imprégnant le téléphone.) C’est presque terminé… on recoud… (Il se tourne vers les infirmières :) N’est-ce pas, les filles ?... (Au téléphone :) Comment ça, qui c’est ? Mais ce sont Cécile et Paulette, tu les connais… oui m’amour… (Il s’adresse de nouveau aux infirmières :) Dites-lui bonjour, les filles…
CÉCILE et PAULETTE, en chœur tandis que Schmoll leur présente le portable. ― Bonjour madame.
SCHMOLL ― Tu es rassurée, m’amour, tu les as reconnues ?... (Aux infirmières :) Bon, vous finissez de recoudre, je vous fais confiance… (Il sort en parlant au téléphone.) Oui, Bibiche, je suis tout à toi…
Cécile et Paulette rouspètent.
CÉCILE, en recousant. ― Il est gonflé, le patron… on recoud, on recoud, c’est pas nous les spécialistes du point « machin »… moi, c’est le cassoulet ! (Paulette se saisit vivement du masque.) Oh ! On ne peut plus rien dire… Tu devrais te mettre au régime, ça te ferait pas de mal… Voilà, c’est fini, et tant pis pour le point… « truc-chose »…
Le docteur réapparaît.
SCHMOLL ― Dites-moi, les filles, vous n’auriez pas vu ma montre, par hasard ?
CÉCILE et PAULETTE, biglent vers le ventre du malade. ― Oh, non !…
Le docteur, déçu, disparaît.
CÉCILE ― Bon, allez, on l’embarque, ça a assez duré !
Elles sortent en emportant la table d’opération.
Scène 2
Béa, Inspecteur Lafuneste, Paulette, Cécile, le blessé
La femme de ménage, Béa, entre en poussant une lavette par terre. Elle est de mauvaise humeur et parle toute seule avec un fort accent portugais.
BÉA ― Ma qu’esche ch’est chale ichi… ch’est pas ouné challe d’opéracion, ch’est oune boucherille, parfaitement, oune boucherille… y’a des chaletés partout…et aprech on ch’étonne d’attraper des maladies « nos-oss-qu’on-emballe »… (Vers le public.)… ch’est des maladies que vous avez pas quand vous entrech à l’hochpital et que vous avej en chortant… ch’est la cherise sur le gâteau, lé petit plous dé la médechine dé aujould’hui… comme cha, y chont chûr que vous revenej… pour la garantie, comme chez Chitroen…
On entend un grand remue-ménage en coulisse, une sirène, des claquements de portes, des cris :
Urgence ! Urgence !
Le docteur, où est le docteur ?
Vite, une urgence !
Police, laissez passer !
Docteur ! Houhou, docteur !
BÉA ― Cha y est, oune ourgenche maintenant que j’avais fini… y vont encore tout chalir !
Entrent en trombe les deux infirmières, Cécile et Paulette, ainsi que l’Inspecteur Lafuneste. Cette dernière porte un imperméable fripé et une longue écharpe.
LAFUNESTE ― Bon, alors ! Il est où votre toubib ?
CÉCILE ― Il était là il y a une minute, Inspecteur.
LAFUNESTE ― J’ai un client qui se vide, moi. Faut le trouver vite fait !
PAULETTE ― Le trouver, le trouver, vous faites rire… s’il est parti…
LAFUNESTE ― Il n’est pas parti, il est de garde ! Trouvez le ou ça va chauffer !... (Elle aperçoit Béa.) Et vous, qu’est-ce que vous faites, plantée là ? Vous ne savez pas où il est, le docteur Schmoll ?
BÉA, indignée. ― Yé chouis pas Irma la voyante, moi, yé chouis Béa la femme de ménache. Le doctor il est pas chous mon balai et vous chavez che qu’elle vous dit la femme de ménache qu’elle est plantée là devant vouch?...
CÉCILE ― Non, non, ne lui dis rien s’il te plait, Béa. Calme-toi. C’est l’Inspecteur de Police Lafuneste et elle a une urgence…
LAFUNESTE ― C’est ça, j’ai une urgence et tout le monde papote. Alors, vous (Elle désigne Béa.), la femme de ménache, vous allez me chercher le docteur Schmoll dans les sous-sols. Vous (Elle désigne Cécile.), vous allez me le chercher dans les étages. Et vous (Elle désigne Paulette.), vous me préparez le terrain…
CÉCILE, sort en pestant. ― C’est demandé si gentiment, j’y cours…
BÉA, en sortant de son côté. ― Et ch’est moi qui me tape les chous-chols, merchi…
PAULETTE ― Je prépare quoi ?
LAFUNESTE ― L’apéritif. C’est l’heure de l’apéro, non ?
PAULETTE ― Hein ?
LAFUNESTE ― Mais non, préparez la table d’opération et mon client… s’il n’est pas déjà mort…
PAULETTE ― Ah, ben dis donc ! Vous êtes aimable dans la Police !
Elle sort chercher le blessé.
LAFUNESTE, crie pour que l’entende l’infirmière. ― J’ai pas le temps d’être aimable. C’est une question de vie ou de mort.
PAULETTE, revient sur scène. ― C’est sûr que ça va l’aider… (Elle pousse le brancard, sur lequel repose le blessé recouvert d’un drap, jusqu’au centre de la scène, lui ajuste le masque à oxygène. L’Inspecteur tourne en rond, l’œil mauvais.) Vous croyez que ça va le ramener à la vie de faire la gueule ?
LAFUNESTE ― Je fais pas la gueule, je suis inquiète…
PAULETTE ― C’est quelqu’un de votre famille ?
LAFUNESTE ― Manquerait plus que ça ! C’est un gros bonnet de la Mafia…
PAULETTE ― Ben alors, faut pas vous en faire…
LAFUNESTE ― Oui, je m’en fais… Oh, et puis ce n’est pas le moment de discutailler. Où est-il ce chirurgien de malheur ?... Écoutez, on ne peut pas attendre… Partez le chercher par là… moi, je vais de l’autre côté… Allez ! Un peu de nerf…
Elles sortent, Paulette en ronchonnant, chacune d’un côté.
Scène 3
Le blessé Matteo, Docteur Schmoll, Cécile, Paulette, Inspecteur Lafuneste
La scène est vide durant quelques secondes et l’on n’entend plus que les gémissements du blessé. Il lève péniblement un bras, qui retombe aussitôt. Entre le docteur Schmoll. Visiblement, il cherche quelque chose.
SCHMOLL ― C’est dingue, je perds tout… où est-ce que je l’ai mise cette lampe ?... (Il regarde dans les recoins de la scène.) Elle m’a coûté une fortune, je l’ai faite venir de Hong-Kong… une lampe frontale en aluminium anodisé, cent diodes électroluminescentes, cent mille heures de fonctionnement… une petite merveille, hyper puissante… et hyper miniaturisée ! C’est pas fait pour moi les trucs miniaturisés… (Il cherche sous le chariot, aperçoit enfin le blessé, ne s’en émeut pas le moins du monde. Il lui ôte le masque à oxygène.) Bonjour monsieur, vous n’auriez pas vu ma lampe, par hasard ? (Le blessé, dans un sursaut de vitalité, s’accroche au cou du docteur, tente de parler, mais n’émet que des borborygmes incompréhensibles.) Oh ! Vous avez une haleine !... Ça ne va pas fort, on dirait, mon brave… (Le blessé lève le bras, lui met sa montre sous le nez.) Vous êtes pressé ?... Dans votre état, ça n’est pas sérieux… Saint Pierre attendra bien encore un peu… (L’autre articule des mots inaudibles.) Non, vraiment, faites un effort, je ne comprends rien… (Le blessé retombe, évanoui, et le chirurgien reste indécis avec le bras du mourant dans les mains et la montre bien en vue.) J’ai aussi perdu ma montre, c’est ennuyeux pour mes rendez-vous… Si j’osais… la vôtre ne vous sera pas utile dans l’immédiat… Je vais vous l’emprunter!… (Il défait la montre du poignet du blessé pour l’enfiler à son propre poignet.) Rassurez-vous, je vous la rendrai dès que vous irez mieux… C’est pas demain la veille ! (Il pouffe.)
Entrent les infirmières suivies de l’Inspecteur.
CÉCILE ― Enfin ! Vous voilà, docteur ! On vous cherchait partout.
LAFUNESTE ― C’est lui, le toubib ?
PAULETTE, ironique. ― Non, c’est le barman, pour l’apéro…
LAFUNESTE ― Très drôle ! Bon, allez, en piste ! Docteur Schmoll, il faut absolument me sauver ce zigoto. Il en sait beaucoup trop pour qu’on le laisse clapoter.
SCHMOLL ― Vous êtes tout à fait sympathique, chère Madame, mais je n’ai pas le souvenir que nous eussions échangé nos civilités…
CÉCILE et PAULETTE ― Et toc !
LAFUNESTE ― Permettez-moi, docteur Schmoll, de réduire les mondanités au maximum. (Elle lui colle sa carte de Police sous le nez.) Inspecteur Lafuneste de la brigade criminelle. Et celui-ci (Elle désigne le blessé.), est un truand distingué de la Mafia dénommé Matteo Appietto, soupçonné de préparer un attentat à la bombe sur la personne du Président, rien que ça, et qui vient de se prendre un chargeur de pistolet automatique dans le buffet... Alors fissa, au boulot, et que ça saute !
Elle donne une claque sur les fesses de Paulette, offusquée… Les deux infirmières se mettent en place autour du docteur. Elles l’aident à enfiler les gants…
SCHMOLL ― Très sincèrement, chère Madame…
LAFUNESTE ― Inspecteur, s’il vous plait, tant que je suis en service.
SCHMOLL ― Cher Inspecteur, je ne sais pas si je pourrai grand-chose pour votre ami, il n’est pas particulièrement brillant…
LAFUNESTE ― Ce n’est pas mon ami, mais je compte sur vous pour le retaper et savoir si, oui ou non, il a caché une bombe. Et où !
SCHMOLL, s’exclame en soulevant le drap qui recouvre le blessé. ― Oh la la la la la !...
CÉCILE et PAULETTE, en chœur lorsqu’elles se penchent sur le patient. ― Oh la la la la la !...
LAFUNESTE ― Quoi ?
CÉCILE ― Ah ! C’est pas beau !
SCHMOLL, en riant. ― On dirait un clafoutis.
PAULETTE, écœurée. ― Beurk !
SCHMOLL ― Un clafoutis aux pruneaux… (Le docteur et Cécile se marrent.) Vous le faites comment, vous, le clafoutis ?
PAULETTE ― Oh, non ! Ça recommence !
CÉCILE ― Ce n’est pas sorcier, le clafoutis, il n’y a rien de plus simple…
Le docteur entreprend, les mains cachées par le drap, d’extraire les balles une à une du corps du blessé. Il les laissera tomber dans le haricot tenu par Cécile. Chacune produira un son métallique et Cécile comptera les balles oralement.
SCHMOLL ― C’est vrai. Mais moi, par exemple, je préfère avec les noyaux. (Clink !)
CÉCILE ― Une !
SCHMOLL ― Je trouve que le noyau parfume le clafoutis. (Clink !)
CÉCILE ― Deux !
SCHMOLL ― Bien entendu, il faut faire attention… (Clink !)
CÉCILE ― Trois !
SCHMOLL ― … à ne pas se briser les dents. (Clink !)
CÉCILE ― Quatre !
SCHMOLL ― Et si l’on peut manquer de distinction à sucer les noyaux… (Clink !)
CÉCILE ― Cinq !
SCHMOLL ― … c’est tellement meilleur. (Clink !)
CÉCILE ― Six !
SCHMOLL ― J’adore également le clafoutis aux lardons… (Clink !)
CÉCILE ― Sept !
SCHMOLL ― … et aux fines herbes. (Clink !)
CÉCILE ― Huit !
SCHMOLL ― C’est la même préparation que le clafoutis ordinaire, aux cerises… (Clink !)
CÉCILE ― Neuf !
Paulette, petit à petit, donne des signes de faiblesse. Elle prend des bouffées du masque à oxygène.
SCHMOLL ― … mais vous les remplacez par de la ciboulette… (Clink !)
CÉCILE ― Dix !
SCHMOLL ― … du persil… (Clink !)
CÉCILE ― Onze !
SCHMOLL ― … et vos lardons que vous aurez préalablement fait dorer à la poêle. (Clink !)
CÉCILE ― Douze !
Lafuneste donne les mêmes signes d’écœurement que Paulette.
PAULETTE, tend le masque à l’Inspecteur. ― Vous en voulez un peu ?
LAFUNESTE ― Merci, mais je préfèrerai un cognac…
SCHMOLL, sans divertir. ― Du cognac ?... (Clink !)
CÉCILE ― Treize !
SCHMOLL ― Du cognac dans le clafoutis… (Clink !)
CÉCILE ― Quatorze !
SCHMOLL ― Après tout, pourquoi pas ! (Clink !)
CÉCILE ― Quinze !
Lafuneste et Paulette sont effondrées.
SCHMOLL ― Et voilà, c’est fini ! Un petit point par-ci par-là…
LAFUNESTE ― Il s’en sortira ?
SCHMOLL, hésitant. ― S’il n’en meurt pas… il survivra
PAULETTE, pessimiste. ― Il a perdu beaucoup de sang…
CÉCILE, avec un optimisme forcé. ― Mais aucun organe vital n’a été touché…
PAULETTE ― Et puis c’est solide un truand, non ?
CÉCILE ― Surtout qu’on n’a rien oublié, cette fois, j’ai bien surveillé…
LAFUNESTE ― Oublié quoi ?
PAULETTE, très vite. ― Rien, justement, puisqu’on vous dit qu’on n’a rien oublié !
SCHMOLL ― Si ! J’ai oublié l’aneth !
TOUT LE MONDE ― Hein ?
SCHMOLL ― Dans le clafoutis, j’ai oublié l’aneth.
LAFUNESTE, soupire. ― Quand pourrai-je le cuisiner… je veux dire l’interroger ?
Le chirurgien lève les bras au ciel.
PAULETTE, en poussant le chariot vers la sortie. ― Quand il aura digéré les pruneaux.
CÉCILE, la suit, en riant. ― Pruneaux cuits, pruneaux crus, pruneaux cuits, pruneaux crus… c’est difficile…
LAFUNESTE ― Attendez-moi, je dois mettre mon dispositif en place.
SCHMOLL ― Dispositif ? Quel dispositif ?
LAFUNESTE ― Vous ne croyez tout de même pas que je vais laisser mon client sans surveillance ? Je poste deux policiers par étage, deux dans l’entrée, deux au parking et…
SCHMOLL ― Ah, mais non ! Vous allez effrayer mes malades…
LAFUNESTE ― En civil, docteur, en civil… discrétion assurée.
SCHMOLL ― Ah, mais non ! Ah, mais non…
LAFUNESTE ― Ah, mais oui !…
Ils sortent.
RIDEAU
ACTE II
L’action se déroule dorénavant dans le cabinet du docteur Schmoll. Un bureau genre ministre côté jardin avec deux chaises. Deux autres chaises côté cour. Un meuble pharmacie contenant des médicaments et fioles en fond. Quelques tableaux sur les murs dont un dans le style Miró.
Scène 1
Béa, Inspecteur Lafuneste
Béa entre en poussant son balai. Elle arrange le bureau et les chaises et procède à un ménage sommaire tout en parlant.
BÉA ― Ch’est pas pochible tout che qu’il faut faire ichi… je me demande che qu’ils deviendraient chans moi dans chette clinique… non cheulement je fais le ménache mais je chuis auchi déménacheur, ch’est des mots qui che rechemblent mais ch’est pas le même travail… (En s’adressant au public :) Que les choses choient bien claires : ichi ch’est plus un bloc opératoire, ch’est le bureau du docteur Schmoll… ch’est plus le même étache… mais ch’est toujours le même établichement de fadas… (Elle s’assied derrière le bureau du docteur, pieds sur la table.) Ah !... Cha va mieux comme cha…
Entre l’Inspecteur Lafuneste
LAFUNESTE ― Faut pas vous gêner !
BÉA, sans bouger. ― J’en ai pas l’intenchion.
LAFUNESTE, radoucie. ― Où est le docteur ?
BÉA ― Chelui-là, je chais pas che qu’il trafique mais il est toujours dichparu.
LAFUNESTE ― Je dois lui parler, c’est important…
BÉA ― Moi auchi je l’attends pour lui parler… mais ch’est l’homme invijible che doctor. (Elle prend une position plus convenable et l’Inspecteur s’assied en face d’elle, le bureau les sépare.) Ch’est pas fachile le boulot ichi, vous chavez…
LAFUNESTE ― Je m’en doute… Dans la Police aussi, c’est pas tous les jours rose…
BÉA ― Vous auchi, en quelque chorte, vous faites du nettoyage…
LAFUNESTE ― On peut dire ça…
BÉA ― Finalement, vouch êtes humaine quand vouch criez pas…
LAFUNESTE ― Faut pas m’en vouloir… je suis un peu à cran en ce moment.
BÉA ― Rapport au bandido ?
LAFUNESTE ― S’il survit je suis dans le pétrin… S’il meurt, je suis dans la… jusqu’au cou !
BÉA ― Ça fera qu’oun bandido de moinss.
LAFUNESTE ― Le problème… (Elle hésite, se rapproche et, confidentiellement :) Le problème, c’est que c’est moi qui ai tiré !
BÉA ― Aie ! Et il fallait pass ?
LAFUNESTE ― C’est la pression…
BÉA ― La prechion ? Ch’est pas bien de picoler avec oune arme.
LAFUNESTE, se lève et tourne en rond. ― Mais non, pas la bière… la pression administrative… Depuis trois semaines qu’on a eu vent d’un projet d’attentat à la bombe sur le Président, on est sur le qui-vive, on ne dort plus, on n’a plus de week-end, on mange des sandwiches sur le pouce, on soupçonne tout ce qui bouge…
BÉA ― Ah ! Che comprends pourquoi il y a des poulets partout... che veux dire des polichiers… che me chuis faite contrôler chinquante fois...
LAFUNESTE ― Forcément, on est à trois rues de l’Elysée. On contrôle tous ceux qui rodent autour… et voilà t’y pas aujourd’hui mon Matteo Appietto qui se radine alors que sa trombine de terroriste est affichée dans tous les commissariats de France !
BÉA ― Aie ! Et alorch ?
LAFUNESTE, dans le feu de la narration, elle prend l’accent de Béa. ― Et alorch, mon chang n’a fait qu’un tour, je lui ai collé ma carte de police chous le nez en lui demandant ches papiers…
BÉA ― Et alorch ?
LAFUNESTE ― Il a mis la main dans cha poche…
BÉA ― Et alorch ?
LAFUNESTE ― Il la rechortie…
BÉA ― Et alorch ?
LAFUNESTE ― J’ai tiré ! (Elle mitraille :) Ta ta ta ta ta ta ta ta !… (Puis elle prend un air penaud.)
BÉA ― Qu’ech-ce qu’il avait dans cha main ?
LAFUNESTE ― Ses papiers !
BÉA ― Aie aie aie aie aie ! Vous avez fait oune cochonnerie chur le bavoir.
LAFUNESTE ― Pardon ?... Ah, vous voulez dire une bavure…
BÉA ― Oui, ch’est cha, oune bavoure… Mais ch’est pareil, vous êtes quand même dans le caca.
LAFUNESTE ― Alors, vous comprenez, mon seul espoir maintenant, c’est qu’il parle… S’il avoue son dessein de poser une bombe à l’Elysée, je suis sauvée… Et s’il dit où est la bombe, c’est le jackpot : je sauve le Président. Pour le coup, on me décerne une médaille !
Premières mesures de la Marseillaise. Éclairage sur Lafuneste qui se met au garde-à-vous et salue.
BÉA ― Heureujement, le doctor Schmoll ch’est oun exchellent chirurgien… il est oun peu… zoum-zoum, mais il chauve plein de gens, bandidos ou pas…
LAFUNESTE, se rassoit. ― J’espère bien qu’il va sauver celui-là, sinon…
Scène 2
Béa, Inspecteur Lafuneste, Mme Schmoll, les Sœurs Gudule et Myrtille, Docteur Schmoll
Entrée de Madame Schmoll, tailleur chic et sac à main, surprise de trouver du monde dans le bureau de son époux.
Mme SCHMOLL, hautaine. ― Bonjour mesdames. Sans vouloir vous déranger, pourriez-vous me dire où se trouve le docteur Schmoll, s’il vous plait ?
BÉA ― Encore quelqu’oun qui cherche le doctor Schmoll ! Mais je chais pas où il est, moi, le doctor Schmoll, je couche pas avec loui…
Mme SCHMOLL ― Il manquerait plus que ça ! Je suis son épouse et j’aimerais bien savoir ce que vous faites, assise derrière son bureau !
BÉA ― Aie ! Escoujez-moi, je vous connaichais pas. Je chuis la femme de ménache et j’attends le doctor moi auchi.
Mme SCHMOLL ― Comment se fait-il que je ne vous aie jamais vue ?
BÉA ― Je chuis toute neuve ichi…
LAFUNESTE ― Nouvelle ! On dit nouvelle, pas neuve.
BÉA ― Si… je chuis toute nouvelle, depouis trois chemaines…
LAFUNESTE ― Tiens ! Trois semaines...
Mme SCHMOLL, sèche. ― Et au bout de trois semaines, vous vous appropriez le bureau du patron ?
BÉA ― Hé ! Je m’achois tout chimplement, je vais pas attendre debout.
Mme SCHMOLL ― Je vous trouve bien hardie pour une femme de ménage… Méfiez-vous, je n’aime pas qu’on tourne autour de mon mari. Et je l’enjoindrai de sévèrement vous tancer.
BÉA, se lève, agressive. ― De quoi ?... Attenchion, je chuis pas oune à qui on fait des chaletés, hein !
LAFUNESTE ― Calmez-vous, elle veut dire qu’il va vous gronder….
BÉA, se rassoit. ― Ah, bon ! Je préfère cha !
Mme SCHMOLL ― Et vous-même, madame, je n’ai pas l’honneur…
LAFUNESTE, sans prendre la peine de se lever. ― Inspecteur Lafuneste, de la brigade criminelle….
Mme SCHMOLL ― Mon Dieu ! Il se passe quelque chose ?
LAFUNESTE ― Rassurez-vous, rien qui ne vous concerne directement…
Mme SCHMOLL, soupçonneuse. ― Et vous attendez mon mari, vous aussi ?
LAFUNESTE ― Tout à fait, mais vous me permettrez de rester discrète sur les motifs de ma présence… secret professionnel oblige.
BÉA, ricane. ― Moi, je chais…
L’Inspecteur frappe le bureau du plat de la main.
BÉA ― PAS !... Moi, je chais PAS non plous… vous me laichez pas finir !
LAFUNESTE, se lève. ― D’ailleurs, j’ai assez attendu. Lorsque vous l’aurez enfin trouvé, l’une ou l’autre, dites-lui que la famille Appietto… vous vous souviendrez ?... la famille Appietto est prévenue de… l’accident, et arrive séance tenante… Ça va pas être triste !... Qu’il soit très prudent.
BÉA ― Je chaurai pas lui dire, cha : ché-an-che… ten-an-te.
LAFUNESTE, en sortant. ― Dites-lui : la famille Appietto… il comprendra.
L’Inspecteur se heurte à deux religieuses qui entrent en trombe, le repoussent au centre de la scène. Elles sont très excitées.
SŒUR MYRTILLE ― Docteur, docteur !
SŒUR GUDULE ― Ouhou… docteur !
SŒUR MYRTILLE ― C’est extraordinaire, c’est merveilleux…
SŒUR GUDULE ― C’est un miracle…
SŒUR MYRTILLE ― Hosannah ! Hosannah !
SŒUR GUDULE, se penche sous le bureau. ― Docteur !
SŒUR MYRTILLE ― Il n’est pas là !
SŒUR GUDULE, à Béa. ― Où est le docteur Schmoll ?
BÉA ― Et voilà, deuch de plouss qui le cherchent !
Mme SCHMOLL ― Encore des femmes !
LAFUNESTE ― Oui, mais ce sont des sœurs…
SŒUR MYRTILLE ― Le docteur est absent ?
Mme SCHMOLL ― Des sœurs, ce sont des femmes ! Il pourrait opérer des moines, des curés, des pasteurs, que sais-je ?… Non, il préfère les sœurs !
SŒUR GUDULE ― C’est important, on doit voir le docteur Schmoll.
BÉA, se lève et se mêle au groupe central. ― Mais moi auchi ch’est important, et ch’étais la première…
LAFUNESTE ― Pardon, pardon ! Moi, c’est TRÈS important !
Toutes se retrouvent au centre de la scène et s’invectivent :
BÉA ― Prenez votre ticket, ch’est chacun chon tour.
LAFUNESTE ― Le tour c’est selon l’importance !
SŒUR MYRTILLE ― Alors c’est nous les premières…
BÉA ― Ah, non, ch’est toujours la femme de ménache qui trinque.
SŒUR GUDULE ― Nous, c’est pour un miracle
Le docteur Schmoll entre du côté opposé à l’emplacement du bureau. Personne ne s’en rend compte. Il est un peu interloqué.
LAFUNESTE ― Moi, c’est pour le service de l’état
Mme SCHMOLL ― Et moi, je vous rappelle que je suis sa femme !
SŒUR MYRTILLE ― Qu’y a-t-il de plus important qu’un miracle ?
Le passage étant impossible, le docteur traverse la scène à quatre pattes entre les jambes de ces dames et rejoint ainsi son bureau.
Mme SCHMOLL ― Sa femme ! Sa femme est plus importante qu’un miracle !
LAFUNESTE ― Les affaires personnelles ne peuvent pas passer avant les affaires de l’état !
SŒUR GUDULE ― Les affaires de l’état, c’est de la rigolade.
SŒUR MYRTILLE ― Sœur Gudule, allons, ne vous laissez pas emporter.
BÉA ― Et moi, che compte pour dou beurre, peut-être ?
LAFUNESTE ― Mesdames, voyons, calmez-vous…
Mme SCHMOLL ― Il est hors de question que je me calme.
BÉA ― Moi non plous.
SŒUR GUDULE ― Vade retro, Satanas !
Le docteur, lassé de ces cris, tousse ostensiblement pour attirer l’attention. Il y parvient parfaitement, toutes se figent instantanément et les regards se tournent vers lui. Après un instant de silence et d’immobilité totale, le groupe se jette sur le docteur, l’entoure, chacune criant son antienne. Il en résulte une grande pagaille. Seule Mme Schmoll est restée en retrait, furieuse.
Toutes en même temps :
BÉA ― Chette chituation ne peux plous durer, j’en ai achez, il faut que cha chesse. Parche que je chuis la dernière arrivée, on me colle tout chur le dos. Chi cha continue comme cha je vous rends mon tablier et mon balai…
LAFUNESTE ― La famille Appietto est en cours de route, elle va arriver ici d’une minute à l’autre. La famille Appietto, si vous vous souvenez, c’est la pègre, la mafia organisée, des terroristes et des assassins dont il faut se méfier…
SŒUR MYRTILLE ― C’est extraordinaire, docteur, c’est fabuleux, c’est magique, c’est un miracle, alléluia, grâce vous soit rendue, hosannah, votre intervention est bénie, sœur Philomène est bénie, nous sommes tous bénis…
SŒUR GUDULE ― Docteur, docteur, c’est un grand bonheur qui arrive par votre intermédiaire, notre congrégation va pouvoir s’enorgueillir d’un miracle, c’est extraordinaire, docteur, écoute-moi docteur, c’est fabuleux…
Mme Schmoll, excédée, sort un revolver de son sac, tire en l’air. Silence soudain, le groupe se disloque.
SCHMOLL ― Bibiche, enfin…
Mme SCHMOLL ― Ça suffit ! La première qui s’approche de toi, je lui plombe les fesses !
BÉA, en confidence à Lafuneste. ― On m’avait avertie qu’elle était chalouse…
LAFUNESTE ― Madame Schmoll, ça n’est pas un jouet, faites attention…
Mme SCHMOLL ― Madame l’Inspecteur, je suis médaillée d’or 2006 du Club TIROBUT de Paris XVI et je sais parfaitement me servir de ce jouet. Avis !
BÉA, moqueuse, à l’intention de Lafuneste. ― On ne peut pas en dire autant de tout le monde.
LAFUNESTE, vexée. ― Oh !... Eh bien, puisque c’est comme ça, débrouillez-vous, vous et votre mari avec la famille Appietto. Moi, je tire ma révérence… Ciao !
Elle sort.
SŒUR MYRTILLE, fâchée. ― Nous aussi, on n’a plus qu’à partir puisqu’on se fiche des miracles, ici.
SŒUR GUDULE ― On venait vous avertir que Sœur Philomène était illuminée, mais puisque vous vous en fichez…
SŒUR MYRTILLE, de nouveau guillerette. ― Oui, imaginez-vous, docteur, que sœur Philomène, que vous avez opéré il y a trois semaines…
LAFUNESTE, réapparaît à la porte. ― Trois semaines ? Tiens, tiens, tiens…
Mme Schmoll pointe son arme vers l’Inspecteur.
LAFUNESTE, ressort aussitôt. ― Bien, bien, je repars…
SŒUR MYRTILLE ― Donc, sœur Philomène s’illumine la nuit…
SŒUR GUDULE, en extase. ― Oui, une grande lumière intérieure l’habite…
SCHMOLL ― Oh ! Ma lampe !
SŒUR MYRTILLE ― Pardon ?
SCHMOLL, se reprend. ― Non… euh !... c’est un terme technique… Il faut la réopérer, vite…
SŒUR GUDULE ― La réopérer ? Mais elle devait sortir dans deux jours !
SŒUR MYRTILLE ― Certainement pas ! L’illumination de sœur Philomène est un don du ciel, il est hors de question de l’opérer de la lampe ou de quoi que ce soit d’autre !
SŒUR GUDULE ― Parfaitement, nous gardons notre sœur radieuse, baignée de lumière divine
SŒUR MYRTILLE ― Venez, sœur Gudule, nous n’avons plus rien à faire avec ces mécréants.
SŒUR GUDULE ― Je vous suis, sœur Myrtille…
SŒUR MYRTILLE et SŒUR GUDULE, en chœur, en sortant. ― Tsss… Païens !
Béa, croyant le moment venu de s’exprimer, ouvre la bouche. Mais Mme Schmoll pointe vers elle son arme.
BÉA ― Bon, je vais vous laicher en famille… je voudrais pas déranger. Mais je conchtate quand même que ch’est encore moi le dindon de la farche.
Elle sort.
Scène 3
Docteur Schmoll, Mme Schmoll, Inspecteur Lafuneste
Mme SCHMOLL, baisse son arme. ― Enfin seuls ! Alors, qu’as-tu l’intention de faire maintenant ?
SCHMOLL, dépité. ― Racheter une lampe…
Mme SCHMOLL ― Mais tu es incroyable ! Je te rappelle que nous avions rendez-vous cet après-midi avec l’architecte. Cela fait trois heures que je poireaute !
SCHMOLL, penaud. ― J’ai sans doute omis de te dire que j’étais de garde…
Mme SCHMOLL ― Et lorsque je te retrouve, tu es entouré d’une nuée de femelles hystériques…
SCHMOLL ― Oh ! Tu exagères…
Mme SCHMOLL, en agitant le revolver. ― Comment expliques-tu que tous tes patients soit des patientes ? Tu n’es pas gynécologue, que je sache. Il faut croire que ces dames se passent le mot. Et pourquoi donc se font-elles toutes opérer par le docteur Schmoll ?
SCHMOLL ― Mais…
Mme SCHMOLL ― Pourquoi, ou pour qui est-tu encore ici à cette heure ?... Oh ! Je sais ce que tu vas dire : « Chérie, j’ai eu une urgence ». Urgence, urgence ! Je n’entends que ce mot là depuis trois semaines !
L'Inspecteur Lafuneste apparaît en fond de scène.
LAFUNESTE ― Trois semaines ! Tiens, tiens… (Mme Schmoll la braque, elle disparaît aussitôt.)
Mme SCHMOLL ― Avant, on se voyait encore un peu… le week-end… je ne demande pas l’Amérique : le week-end… ça me suffisait…Mais depuis trois semaines, je vis avec un fantôme !
LAFUNESTE (même apparition-disparition) ― Elle a bien dit trois semaines, comme c’est bizarre…
Mme SCHMOLL ― Devrais-je me faire opérer de la vésicule ou du duodénum ? Devrais-je me faire hospitaliser, radiographier, scannerisée, échographiée, analysée, étudiée, fibroscopisée, iérémisée, disséquée, autopsiée, découpée en tranches pour qu’enfin je puisse rencontrer mon mari ?
SCHMOLL ― Euh… tu veux un rendez-vous ?
Mme SCHMOLL, révoltée. ― Je crois que je vais commettre un meurtre… (Elle braque le revolver sur son mari qui se cache aussitôt sous le bureau.)
SCHMOLL ― Chérie, ne gâche pas ce moment où nous voilà enfin réunis tous les deux… Je t’aime, Bibiche…
Entrée timide de Béa.
BÉA ― Aie ! Je chens que je dérange encore.
Mme SCHMOLL, range le revolver dans son sac. ― Pas du tout. Vous m’empêchez de faire une bêtise…
Béa toque trois coups sur le bureau du docteur.
BÉA ― Doctor Schmoll, y’a oune madame Appietto qui déjire vous voir, je penche que ch’est la même qu’elle disait l’Inchpector de Police…
SCHMOLL, sort la tête. ― Faites la entrer… (Incertain.) Je suis prêt…
Mme SCHMOLL ― Encore une femme, évidemment !
Le docteur reprend une attitude digne.
BÉA, en poussant Mme Schmoll vers la sortie. ― Oui, mais ch’est pas oun top-modèle, hein ! Vous pouvez les laicher cheuls chans crainte.
Elles sortent.
ACTE III
Scène 1
Docteur Schmoll, Mme Appietto, Hugo, Gustavo
Entrée de Mme Appietto, altière. Elle est vêtue de noir et porte un grand sac à main.
Mme APPIETTO ― Docteur Schmoll ?
SCHMOLL ― Bonjour madame, asseyez-vous, je vous en prie.
Mme APPIETTO, en s’asseyant face au bureau. ― Docteur Schmoll, je n’ai qu’une question à vous poser : comment va mon fils, mon petit chérubin, mon enfant adoré, mon Matteo… objet d’une terrible et regrettable méprise policière ?
SCHMOLL ― Ce n’est pas à moi de juger…
Mme APPIETTO ― C’est bien vous qui l’avez opéré ?
SCHMOLL, atermoie. ― Je parlais de l’erreur policière… vous ne savez peut-être pas ce que fait votre fils dans la vie, son emploi du temps, ses activités…
Mme APPIETTO, inquiète. ― Que voulez-vous dire ?
SCHMOLL ― Eh bien… il est de mon devoir de vous apprendre… que votre fils est un dangereux malfaiteur, un criminel…
Mme APPIETTO, en riant. ― Ah, bon ! Vous m’avez fait peur. Je croyais que vous alliez m’annoncer une horreur… Mais mon cher docteur Schmoll, sachez que les Appietto sont des malfaiteurs, comme vous dites, de père en fils, et même de mère en fille… Allons, soyons sérieux, comment va mon fils ?
SCHMOLL, interloqué. ― En ce qui concerne l’état de votre Matteo… il est prématuré… de se prononcer… sur l’éventualité… d’un rétablissement… croyez bien que j’ai fait ce que j’ai pu…
Mme APPIETTO ― Ça ne suffit pas, docteur Schmoll. On ne fait pas ce qu’on peut pour un Appietto, on fait l’impossible ! Est-ce que vous avez fait l’impossible, docteur Schmoll ?
SCHMOLL ― Euh…
Mme APPIETTO ― Si Matteo ne s’en relève pas, c’est que vous n’avez pas fait l’impossible, docteur Schmoll… et dans ce cas (Elle fouille dans son sac pour en sortir un énorme revolver qu’elle braque sur le docteur.), vous ne vous en relèverez pas non plus !
SCHMOLL, disparaît sous le bureau. ― Mais je n’y suis pour rien… ce n’est pas moi qui ai tiré sur votre fils…
Mme APPIETTO ― Je vous accorde les torts partagés. Cinquante pour cent pour vous, docteur, et l’autre moitié pour le flic qui a buté mon fils. Vous vous partagerez donc les douze balles de mon barillet.
SCHMOLL ― Mais…
Mme APPIETTO ― Il n’y a pas de mais. Assis !
Le docteur réapparaît, se rassoit. Mme Appietto range son arme.
Mme APPIETTO ― On ne discute pas chez les Appietto, on agit !… Je vais vous présenter mes autres garçons… (Elle crie :) Les enfants ! Vous pouvez entrer, les enfants !
Surgissent deux hommes en costumes et chapeaux noirs. Ils se bousculent dans l’entrée, à celui qui arrivera le premier. Puis ils s’immobilisent, raides, derrière leur mère.
HUGO, arrivé le premier, avec un fort accent corse. ― Preums !... (À sa mère :) On est là, Mama.
Mme APPIETTO, sans se retourner, toujours assise. ― Docteur Schmoll, je vous présente mes enfants : Hugo, l’aîné… (Hugo, l’air méchant, salue du doigt sur le bord du chapeau.) Et l’autre idiot, Gustavo… (Gustavo fait une grimace à l’adresse de sa mère.) Je te vois, Gustavo !... (Gustavo, pris en défaut, se fige.) Les enfants, je vous présente le docteur Schmoll. C’est le docteur qui soigne votre frère Matteo. Je vous demande de le surveiller de prêt… Surveiller, ça veut dire qu’on ne lui fait pas de mal, on n’y touche pas, c’est bien compris ?… On doit même le protéger si besoin est…
HUGO, sort un couteau de sa poche. ― Même pas un petit…
Mme APPIETTO ― Rien !
Hugo, dépité, rempoche son couteau.
GUSTAVO, fort accent corse lui aussi. ― On peut jouer aux cartes avec lui, Mama ?
Mme APPIETTO ― Gustavo, ce n’est pas un jeu ! Ton frère est entre la vie et la mort, ce n’est pas le moment de jouer aux cartes ! D’ailleurs (Elle se lève.), je m’en vais le voir de ce pas. Où l’avez-vous mis, docteur ?
SCHMOLL ― Votre fils ?... Il est en réanimation… mais je ne sais pas si tous ces policiers en faction vous laisseront entrer…
Mme APPIETTO ― On va voir ça, tiens ! Ils l’ont déjà à moitié tué et ils le séquestrent arbitrairement sans qu’aucune charge ne pèse contre lui. Qu’ils m’empêchent donc de le voir ! Vous deux (Elle s’adresse à Hugo et Gustavo.), pendant ce temps, tenez le docteur à l’œil… qu’il ne lui vienne pas l’idée de s’esquiver. (Gustavo sort un revolver de sa veste.) Range ça, imbécile, tu vas te faire mal… Surveillance discrète. Rapprochée mais discrète…
Elle sort. Gustavo et Hugo encadrent le docteur et ne le quittent plus des yeux. L’instant s’éternise sur fond musical : le thème du film « Le Parrain[3] ». Le docteur est très mal à l’aise.
Scène 2
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Sœur Philomène
Entre Sœur Philomène, très énervée.
SŒUR PHILOMÈNE ― Docteur ! (Elle ignore les mafiosi, se plante devant le docteur.) Docteur ! Je viens vous dire à quel point je suis très mécontente. Vous me décevez énormément, docteur. Moi qui vous prenez pour un être sensible…
SCHMOLL ― Mais…
SŒUR PHILOMÈNE ― Vous n’êtes qu’un… incroyant… un matérialiste…
SCHMOLL ― Enfin…
SŒUR PHILOMÈNE ― Vous n’êtes qu’un incrédule et votre acharnement est stupide…
SCHMOLL ― Ho !…
SŒUR PHILOMÈNE ― Comment ! J’apprends que vous voulez m’opérer de… du… de la lampe ! Et de quel droit vous opposeriez-vous à la volonté divine, si celle-ci a décidé de me glorifier d’une parcelle de sa lumière ? Hein ?...
SCHMOLL ― Mais je…
SŒUR PHILOMÈNE, dans une envolée lyrique. ― Taisez-vous ! Je ne veux pas entendre vos raisonnements rationnels empreints de cette sacro-sainte science qui illusionne le monde moderne, je ne veux pas laisser couler dans mes oreilles chastes la liqueur amère de votre scepticisme bourgeois anticlérical, je ne veux pas voir vos doigts gourds fouiller mon ventre pour y dénicher l’origine de ma foi, je ne veux pas être le cobaye de vos libertinages chirurgicaux, je ne veux pas m’éclairer à la lueur de vos lumières érudites réduisant à une observation clinique ma luminescence céleste, je ne veux pas de vos poncifs tout justes bons à me conforter dans la lascivité d’une vie sereine et médiocre… Je ne veux pas, je ne veux pas, je ne veux pas !... (Elle tape du pied.) Si je suis une élue, j’assumerai mon rôle quoi qu’il m’en coûte et quoi qu’il advienne… Je monterai… (Elle cherche du regard un promontoire. Gustavo s’empare d’un pèse-personne posé dans un coin et le pose au centre de la scène.) Je monterai, (Elle monte sur le pèse-personne.) fière et droite, sur le pilori de l’athéisme et vous pourrez planter vos clous, vos traits et vos flèches sans jamais parvenir à effacer mon sourire extasié…
Éclairage centré sur sœur Philomène, bras en croix, pendant que retentit l’Alléluia[4]. Enfin, Gustavo applaudit. Hugo bougonne.
GUSTAVO, à Sœur Philomène. ― Excusez-moi… mais c’était tellement beau…
SŒUR PHILOMÈNE, au docteur. ― Je vais faire ma valise et vous quitter !
SCHMOLL ― C’est de l’imprudence, vous êtes encore convalescente…
Elle hausse les épaules et sort, très digne.
HUGO ― Ça, c’est une femme ! Dommage qu’elle soit religieuse.
GUSTAVO ― Vous l’avez mise en colère, hein, docteur !
SCHMOLL ― Je n’ai pourtant pas placé un mot.
HUGO ― C’est bien ce que je disais, c’est une femme !
Scène 3
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Mme Schmoll
Entrée de Mme Schmoll, surprise de trouver les deux malfrats.
Mme SCHMOLL ― Bonjour messieurs… (Au docteur :) Qu’est-ce que c’est que ça ?
SCHMOLL ― Ce sont les frères de mon urgence de tantôt. Toi qui me reprochais de ne m’entourer que de femmes… ceux-là, je te l’assure, n’ont aucune parcelle de féminité !
Mme SCHMOLL, méfiante. ― Je suis censée être rassurée ?
SCHMOLL, soupire. ― Bibiche…
Mme SCHMOLL, dont la colère monte graduellement tout au long de la tirade. ― Je croyais que tu ne consultais pas l’après-midi. Je ne te rappelle même plus que nous avions un rendez-vous… de toute façon, à l’heure qu’il est, ce n’est plus un retard, c’est un lapin… Tu as sans doute aussi oublié que nous patientons depuis trois mois pour obtenir ce rendez-vous… il nous en faudra trois ou quatre de plus pour en décrocher un autre, voilà tout… rien de grave, en somme… tout va bien… Et tu veux me faire croire qu’il n’y a pas une autre femme là-dessous ?... (Elle tape sur le bureau.) Tu veux me faire croire que tu es débordé de travail ? (Nouveau coup sur le bureau.) Et cet Inspecteur de Police, hein ? D’où elle sort, celle-là ? Elle ne m’a pas l’air catholique…
Elle lève la main pour taper encore. Hugo intervient, retient son geste.
HUGO ― Madame, s’il vous plait, il faut vous calmer maintenant… (Il la pousse vers la sortie.) Le docteur est occupé, il faut le laisser travailler…
Gustavo la saisit par l’autre bras et, ensemble, les deux mafieux l’entraînent vers la porte.
Mme SCHMOLL, se débat. ― Mais… tu as des gardes du corps, à présent ?... messieurs, enfin… je suis la femme du docteur… tu ne leur dis pas que je suis ta femme ?...
SCHMOLL ― Mais oui, mais oui… chérie, c’est ma femme… je veux dire, messieurs, c’est notre dame… euh, non, c’est la femme de madame… c’est la dame de… Oh, je ne sais plus !…
GUSTAVO ― On doit vous protéger, docteur, c’est la Mama qui l’a dit…
Les deux hommes la poussent définitivement dehors.
Mme SCHMOLL, abasourdie, en sortant. ― Ça, alors !
Hugo et Gustavo reviennent vers le docteur.
HUGO ― Vous êtes fort, vous, pour énerver les femmes !
SCHMOLL ― Et grâce à votre intervention, c’est sûr, elle va être beaucoup moins énervée.
Scène 4
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Béa
Entrée de Béa, en trombe, toujours avec son balai.
BÉA, fort remontée. ― Ah ! Docteur Schmoll ! Cha ne peut plous durer, et tant pis (En jetant un œil aux deux frères.) chi vous avez dou monde ! Je dois vous dire quelque chose de important… Cha concherne les cuijines… je chais que ch’est pas votre rayon, les cuijines, peut-être même que vous vous en fichez, des cuijines, mais moi j’y travaille aux cuijines et je tiens à vous dire que ch’est intolérable che qui ch’y pache ! On m’accuje, moi, de voler des confitoures ! Vous vous rendez compte, des confitoures ! Qu’est che que vous voulez que je fache avec des confitoures, que je les aime pas, les confitoures ! Je déteste les confitoures !Mais cha, ch’est parche que je chuis la dernière arrivée, alors ch’est moi qui trinque… et je me demande même chi ch’est pas du rachisme…
SCHMOLL ― Allons, calmez-vous, Béatificacion, allons…
BÉA, soudain enragée. ― On ne m’appelle pas Béatificacion !
Elle tape à grands coups de balai sur le bureau du docteur qui se cache de nouveau sous la table. Hugo et Gustavo tentent de la retenir. Ils ont du mal, évitant eux-mêmes de recevoir des coups.
SCHMOLL, sous le bureau. ― Mais c’est pourtant votre prénom…
BÉA, enfin immobilisée par les deux sbires. ― Je ne veux pas qu’on m’appelle Béatificacion ! Cha fait rigoler tout le monde, Béatificacion ! On m’appelle Béa, un point ch’est tout !
On l’entraîne sans ménagement vers la sortie. Ses pieds ne touchent pas terre.
BÉA, en sortant. ― J’ai quand même dit che que j’avais à dire ! Non, mais !
HUGO, de retour vers le docteur. ― Vous avez un problème avec les femmes, docteur ! Vous devriez sérieusement envisager un service rapproché de sécurité…
GUSTAVO ― Des gardes du corps ! On peut vous faire un prix maintenant qu’on se connait mieux…
Le docteur sort de son abri.
SCHMOLL ― Merci, j’y songerai.
Scène 5
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Mme Appietto
Entrée de Mme Appietto, soucieuse.
SCHMOLL ― Vous n’avez pas pu voir votre fils ?
Mme APPIETTO, elle s’assied, lasse. ― Je l’ai vu, mais… il dort !
SCHMOLL ― Dans son état, c’est ce qu’il a de mieux à faire.
Mme APPIETTO ― On s’efforce d’ouvrir un œil pour sa maman !
HUGO ― C’est vrai, Mama.
GUSTAVO, lui donne un coup de pied. ― Fayot !
Mme APPIETTO ― Démenez-vous donc pour vos enfants, ils n’en ont aucune reconnaissance !
HUGO ― Tu sais bien que non, Mama.
Mme APPIETTO ― Il n’y a que toi, mon petit Hugo…
Gustavo lui donne un second coup de pied. Ils se bousculent.
Mme APPIETTO ― Pourtant, il est gentil d’habitude, mon Matteo. Qu’il n’ouvre pas les yeux, passe encore, mais qu’il se taise !... Pas moyen de savoir où est la bombe.
SCHMOLL ― La bombe !
Mme APPIETTO ― Eh, oui ! La bombe ! Vous n’allez pas me faire gober que les flics ne vous ont pas parlé de la bombe ?
SCHMOLL ― Oui… Mais ils n’étaient pas sûrs...
Mme APPIETTO ― Ah ! Elle est bonne celle-là ! Non seulement ils tirent sur mon fils, mais ils ne sont même pas certains qu’il a une bombe ! Ils me le paieront !
SCHMOLL ― Mais alors, la bombe, c’est sérieux ?
Mme APPIETTO ― Vous ne devriez pas poser autant de questions, docteur. Vous en savez déjà beaucoup, faudrait pas que vous en sachiez trop !... (À ses fils :) Allez donc rendre une petite visite à votre frère, les enfants. Peut-être que le son de votre voix lui fera du bien.
HUGO et GUSTAVO, en chœur. ― Oui, Mama
Ils sortent.
HUGO, au docteur, avant de disparaître. ― Et ne nous l’énervez pas, notre Mama…
Mme APPIETTO, restée seule avec le docteur. ― Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?
SCHMOLL ― Pas grand-chose… je suis la cible de quelques enragées…
Mme APPIETTO ― C’est pas bon d’être une cible… Mon pauvre mari en a fait les frais. Il est tombé dans une moissonneuse-batteuse… tombé, c’est la version officielle... on l’a un peu aidé… Je ne vous raconte pas dans quel état on me l’a ramené…
SCHMOLL ― Je vois ça…
Mme APPIETTO ― Et pour le rendre présentable à l’enterrement ! Vous croyez que c’est facile d’enfiler un costume à un homme en marmelade !... Il n’y a plus de respect, que voulez-vous. Avant, on était manuel. Les anciens, ils soignaient leurs crimes. Aujourd’hui, on écrabouille, on détruit, on explose, on désintègre, on atomise… C’est ainsi que je me suis retrouvée veuve, avec trois garçons à élever… Ça n’a pas été facile, croyez-moi. Mais, dans l’ensemble, je n’ai pas à me plaindre, ce sont de bons petits gars… surtout Hugo. Toujours prêt à rendre service… Il a un très bon coup de couteau, Hugo… je dirais : chirurgical ! Il vous surprendrait, vous qui êtes un spécialiste…
Les deux frères reviennent, surexcités.
HUGO ― Mama, Mama ! Il a parlé !
GUSTAVO, en bousculant Hugo. ― C’est moi, c’est moi qui dis !
Mme APPIETTO ― Qui a parlé ?
HUGO ― Matteo ! Il a parlé !
GUSTAVO, même gestuelle. ― C’est moi…
Mme APPIETTO ― Et alors, qu’a-t-il dit ?
GUSTAVO, mimant l’agonie. ― Il a dit : Ahaaahahaaaaaahaa…
HUGO ― Comme il le fait bien, Mama !
Mme APPIETTO ― C’est tout ?
GUSTAVO ― J’avais pas fini, Mama… (Il recommence :) Ahaaahahaaaaaahaa… (Il se couche au sol.) le docteur… haaaahaaaaahaa…
HUGO ― Il est fort !
Mme APPIETTO, à Gustavo. ― Quoi le docteur ?
GUSTAVO, se lève. ― C’est tout ce qu’il a dit, Mama. Je le refais ?
Mme APPIETTO ― Non, ça va bien… (Elle se tourne vers le chirurgien.) Et alors, docteur, qu’avez-vous à nous apprendre ?
SCHMOLL, interloqué. ― Mais…
Mme APPIETTO ― L’effort fourni par mon fils pour prononcer ces quelques syllabes m’inclinent à penser quelles sont importantes.
SCHMOLL ― Mais…
Mme APPIETTO ― Je ne connais pas de docteur dans les relations de Matteo… et vous êtes le seul docteur qu’il ait rencontré récemment.
SCHMOLL ― Mais…
Mme APPIETTO ― Par conséquent, j’en conclus que le docteur dont parle mon fils et vous ne faites qu’un et que vous détenez d’une manière ou d’une autre des informations sur la bombe.
SCHMOLL ― Mais…
HUGO ― Elle est forte, la Mama !
Mme APPIETTO ― Je répète ma question : qu’avez-vous à nous apprendre ?
SCHMOLL ― Mais…
Mme APPIETTO ― Et cessez de bêler, je croirais entendre les chèvres de mes montagnes !
Le docteur est muet de stupeur.
HUGO ― Tu veux bien qu’on s’en occupe, Mama ? On va le faire causer, le toubib.
Mme APPIETTO, se lève. ― Vous ne me laissez pas le choix, docteur Schmoll… Je vais vous confier aux mains expertes de mes petits, ils sauront vous rendre plus coopératif. (Hugo et Gustavo affichent un sourire réjoui. Elle s’adresse à eux en sortant.) Allez-y tout doux, les enfants. N’oubliez pas que la clinique regorge de flics. Surtout, de la discrétion… Moi, je vais prendre l’air, je deviens sensible avec l’âge…
SCHMOLL, court derrière Mme Appietto. ― Mais je ne sais rien… Madame Appietto, revenez… (Hugo et Gustavo l’attrapent au vol.) Lâchez-moi !...
Ils l’assoient de force sur une chaise au centre de la scène. Chacun d’un côté le maintient en place. Hugo sort son couteau qu’il promène devant le nez du docteur horrifié.
HUGO ― Vous l’avez énervé, la Mama… Pourtant, je vous avais prévenu…
GUSTAVO ― Attention, Hugo, elle a dit doucement la Mama.
HUGO, en agitant le couteau. ― Quoi ! Je ne suis pas violent, là… C’est parce que tu ne supportes pas le sang, hein ? Chaque fois, tu tournes de l’œil. Tu crois que je n’ai pas compris tes supposés embarras gastriques ? Ça t’arrange bien que la Mama elle veuille de la discrétion… Dis-moi que ce n’est pas vrai…
GUSTAVO, boudeur. ― Range ton couteau, Hugo, ou je le dis à la Mama !
HUGO, obéit, de mauvaise grâce, puis boudeur à son tour. ― Alors, qu’est-ce tu proposes ?
GUSTAVO ― La méthode i voceri : pas de sang, pas de traces, discrétion absolue !
HUGO, ronchonne. ― Pffff… c’est des trucs tordus, ça !
SCHMOLL, apeuré. ― Qu’est-ce que c’est ?
HUGO ― Vous, vous parlerez quand on vous le demandera !... Allez, on y va… Un, deux…
Hugo et Gustavo vont chanter en polyphonie (dans les coulisses, les acteurs feront les voix supplémentaires pour que l’effet soit bien marqué) le premier couplet et le refrain de « Petit Papa Noël [5]». Pendant le chant, le docteur va montrer des signes graduels de souffrances jusqu’à s’effondrer au sol.
SCHMOLL, à genoux. ― Arrêtez ! Arrêtez !... C’est insupportable… Arrêtez !
Scène 6
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Inspecteur Lafuneste, Cécile, Paulette, Mme Flipscheunvonblum
Entrée de l’Inspecteur Lafuneste suivie des deux infirmières.
LAFUNESTE ― Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Y a un raffut dans ce bureau !
HUGO, bouscule Gustavo. ― Ah ! Tu vois ? C’est ce que tu appelles de la discrétion !
CÉCILE ― Ce sont eux, Inspecteur, ce sont eux… les costumés… je les reconnais…
PAULETTE ― C’est eux, c’est sûr… y a pas de doute… des fous furieux…
CÉCILE ― Ils ont secoué le blessé … Le grand, là… (Elle désigne Hugo.)
Il l’a même giflé !…
PAULETTE ― Oui, il l’a pris par le col et il l’a secoué comme un prunier. (Ce disant, elle saisit l’écharpe de l’Inspecteur pour faire une démonstration qui manque l’étrangler.)
LAFUNESTE, se dégage et aperçoit le docteur au sol. ― Qu’est-ce que vous faites là, docteur ?
HUGO ― Il est très joueur, le docteur…
SCHMOLL, toujours à genoux s’accroche à l’écharpe de Lafuneste pour la secouer à son tour. ― Ils sont fous, Inspecteur, ils croient que c’est moi qui cache la bombe…
CÉCILE, PAULETTE et LAFUNESTE, en même temps. ― La bombe !
GUSTAVO ― Cafteur !
LAFUNESTE, radieuse. ― Ah !... Il y a donc bien une bombe !
CÉCILE ― Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de bombe ? Je croyais qu’elle était destinée à l’Elysée, moi !
LAFUNESTE, se frotte les mains. ― Bien sûr qu’elle est destinée à l’Elysée. Mais la question est : où se trouve-t-elle actuellement ?
PAULETTE ― Ça voudrait dire qu’elle est ici, dans la clinique ?
LAFUNESTE ― Personne n’en sait rien ! Même pas eux. (Elle désigne les mafieux.) Ce qui explique pourquoi ils ont molesté leur propre frère, Matteo. Parce que lui seul connaît la réponse… (Elle regarde pensivement le docteur.) Quoique !
SCHMOLL, se lève, indigné. ― Quoi quoique ? Quoique quoi ? Quoi quoi quoi, quoique ?
LAFUNESTE ― Quoique !... Je n’ai rien formulé d’autre que : quoique…
Tous entourent Lafuneste avec une soudaine agressivité.
SCHMOLL ― Justement, ce n’est pas clair… quoique ! Ça insinue… quoique !
CÉCILE ― C’est vrai, ça insinue !
PAULETTE ― Ah, oui ! C’est pas clair !
SCHMOLL ― J’aime pas quand ça insinue !
HUGO ― Moi aussi, je comprends pas bien…
GUSTAVO ― Il a raison, Inspecteur, on comprend pas quand ça insinue…
SCHMOLL ― Alors, vous voulez dire quoi exactement ?
Entrée timide de Mme Flipscheunvonblum, séduisante. Elle tient une grande enveloppe.
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Docteur Schmoll ?
Son intervention fige l’assemblée.
SCHMOLL ― Euh… Oui, c’est moi…
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Je suis madame Flipscheunvonblum. Vous me reconnaissez ?
SCHMOLL ― Nous avons rendez-vous ?
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Non. Je me suis permise de venir vous voir parce que vous m’avez opérée il y a trois semaines…
LAFUNESTE, intéressée. ― Tiens, tiens, tiens ! Trois semaines…
SCHMOLL ― Madame Chipsvan…boum ?
CÉCILE ― Mais oui, docteur, la vésicule…
SCHMOLL, sans conviction. ― Ah… oui… et alors, la vésicule… ça va ?
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Eh bien, justement… Comme je ressentais quelques douleurs, j’ai fait des radios. (Elle montre l’enveloppe.) C’est très bizarre ce que l’on y voit…
PAULETTE ― Aie ! La carte bleue !
CÉCILE ― Ou les clefs de la…
Le docteur la fait taire d’un coup de coude.
SCHMOLL ― Montrez-moi ça, madame Crikcracboum… (La patiente lui tend la radiographie qu’elle tire de l’enveloppe. Schmoll l’étudie, puis il s’extasie :) Oooh !
Les infirmières lisent par dessus son épaule.
CÉCILE et PAULETTE, s’extasient en chœur. ― Oooh !
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Vous comprenez que je n’attende pas d’obtenir un lointain rendez-vous.
SCHMOLL ― Que c’est beau !
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM, commence à s’énerver. ― C’est tout ce que vous trouvez à dire ? J’ai un nénuphar qui pousse dans mon ventre et vous trouvez ça beau !
CÉCILE ― Faut avouer que ça n’est pas commun…
SCHMOLL ― Et là, je n’y suis pour rien !
PAULETTE, qui a pris la radio. ― Quoique…
SCHMOLL ― Ah, non ! Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi !
PAULETTE ― Il a bien fallu qu’une graine entre dans… l’intimité de madame…
L’inspecteur Lafuneste prend la radio à son tour pour l’étudier avec un air très concentré. La radio va ensuite circuler de mains en mains.
SCHMOLL ― Certes, mais j’en décline toute responsabilité. Je ne me promène pas avec des graines de nénuphar dans les poches…
Hugo prend la radio et la regarde avec ravissement.
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Vous n’allez quand même pas me laisser cette chose dans le ventre ?
SCHMOLL ― Non, non, bien sûr que non ! On va opérer…
La radio passe dans les mains de Gustavo.
GUSTAVO, émerveillé. ― C’est vrai que c’est beau !... (Il montre un point précis de la radio.) C’est pas une petite grenouille, là ?
Madame Flipscheunvonblum pousse un cri. Elle se trouve mal. Les infirmières l’assoient sur une chaise.
HUGO, récupère la radio. ― Fais voir ! Elle est où la grenouille ?
Madame Flipscheunvonblum pousse un nouveau gémissement. Paulette, fermement et sévèrement, récupère la radio.
CÉCILE ― Ne les écoutez pas, il n’y a pas de grenouille...
PAULETTE, étudie la radio, un air mi-figue-mi-raisin. ― Quoique...
SCHMOLL ― Mais oui, madame Hoplaboum, on va vous enlever ça…
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Flipscheunvonblum…
SCHMOLL ― Oui… on l’enlèvera aussi. (Il s’adresse aux infirmières :) Cécile et Paulette, emmenez-donc madame… Pimpampoum… faire des examens complémentaires… et vous l’insérez dans mon planning…
Les infirmières sortent, encadrant Mme Flipscheunvonblum, anéantie.
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM, en sortant. ― Flipscheunvonblum… grenouille… kékidi ?... Flipscheunvonblum…
Scène 7
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Inspecteur Lafuneste
LAFUNESTE ― Bien ! Maintenant que nous avons un semblant d’intimité...
SCHMOLL ― Je n’ose espérer un semblant de tranquillité ! (Il s’assoit derrière son bureau, épuisé.)
LAFUNESTE ― … j’aimerais vous poser quelques questions…
SCHMOLL, désabusé. ― Tout ce que vous voudrez, Inspecteur, si vous n’êtes pas une adepte de la polyphonie…
LAFUNESTE ― Pardon ?
SCHMOLL ― C’est une blague, entre nous… (Il montre les frères Appietto.)
LAFUNESTE ― Vous avez donc des liens avec ces messieurs !
HUGO, vexé. ― Vous rigolez, Inspecteur ! Quels liens il peut avoir, le pinzutte, avec nous ?
LAFUNESTE ― C’est la question que je me pose… (À l’adresse du docteur :) Et que je vous pose, docteur.
SCHMOLL ― Je ne comprends pas votre acharnement à m’impliquer dans cette affaire ! C’est tout de même vous qui m’avez emmené votre blessé et, conséquemment, le reste de la famille…
LAFUNESTE ― Je n’avais pas le choix.
SCHMOLL ― Moi non plus, vous ne m’avez pas laissé le choix.
LAFUNESTE ― Donc, vous affirmez n’avoir jamais eu aucun contact avec l’un ou l’autre des Appietto avant ce jour ?
SCHMOLL ― Je confirme !
LAFUNESTE ― Mais comment expliquez-vous que ces deux là (Elle désigne les frères Appietto.) vous croient en possession de la bombe ?
SCHMOLL ― Il paraît que leur frère a parlé de moi…
LAFUNESTE, s’exclame. ― Matteo ?... (Elle s’adresse aux Appietto :) Matteo a parlé ?
Les deux mafieux ignorent ostensiblement la question en sifflotant, les yeux au plafond.
LAFUNESTE ― Je vois, je vois… Vous l’avez un peu secoué, il a ouvert un œil… et il a prononcé quelques mots…
GUSTAVO ― Elle est forte, l’Inspecteur… presque autant que la Mama !
HUGO ― Tais-toi, Gustavo !
LAFUNESTE ― Et donc, il a parlé du docteur… (Elle se tourne vers Schmoll.) Étonnant, non, docteur ?
SCHMOLL ― Pour une fois, je suis bien d’accord avec vous !
LAFUNESTE, s’apprête à sortir. ― Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps, cher docteur, vous devez avoir du travail… Si toutefois vous voulez me parler, vous savez où me trouver… je ne suis pas loin…
SCHMOLL ― Vous n’allez pas me laisser seul avec eux, Inspecteur ?
LAFUNESTE, en sortant. ― Mais si ! Je suis sûre que vous vous entendrez à merveille.
SCHMOLL, tente de la rattraper. ― Inspecteur ! Inspecteur !
Les deux mafiosi s’interposent. Ils affichent un grand sourire malfaisant. Le docteur bat en retraite, court vers son bureau, fouille un tiroir et en sort un revolver minuscule qu’il pointe en direction des truands.
SCHMOLL, pas rassuré. ― Haut les mains !... Ah ! Ah ! On fait moins les malins…
Les mafieux éclatent de rire.
HUGO ― Vous êtes un rigolo, vous, docteur !
GUSTAVO ― Je suis mort de peur !
SCHMOLL ― Je vous préviens, c’est un vrai !
HUGO, s’approche, menaçant. ― Justement, docteur, vous allez vous faire mal.
SCHMOLL, peu convainquant. ― N’approchez pas ou je… je… je tire, hein !
Scène 8
Docteur Schmoll, Hugo, Gustavo, Sœur Myrtille, Sœur Gudule, Sœur Philomène, Béa, Inspecteur Lafuneste
Entrée énergique des trois sœurs, l’air pincé. Elles s’interposent entre les truands et le docteur. Sœur Philomène porte une petite valise.
SŒUR PHILOMÈNE ― Docteur Schmoll ! Je viens vous faire mes adieux !
Hugo et le docteur rempochent hâtivement leurs armes respectives. Le docteur est ravi de cette diversion. Hugo, découragé, se laisse tomber sur une chaise.
SCHMOLL ― Sœur Philomène ! Comme je suis heureux de vous revoir ! Entrez, entrez donc… Vous aussi, mes Sœurs… Vous êtes rayonnantes… vraiment…
Les Sœurs, interdites et muettes de surprise, s’entreregardent.
SCHMOLL, à l’adresse de sœur Philomène. ― Alors, comment allez-vous, ma Sœur ?
SŒUR PHILOMÈNE, étonnée. ― Mais… je vais très bien. (Elle dépose distraitement sa valise au pied du bureau du docteur.)
SŒUR GUDULE, agressive. ― Bien sûr, elle va bien. Il n’y a que vous pour penser qu’elle ne va pas bien.
SŒUR MYRTILLE ― Oui. Ne vous en déplaise, il n’y a pas lieu de l’opérer !
SCHMOLL ― Mais tout cela me plaît, ô combien !
SŒUR PHILOMÈNE ― Ah, bon ?... Je croyais…
SCHMOLL ― Sœur Philomène… vous ne souffrez pas ?
SŒUR PHILOMÈNE ― Non
SCHMOLL ― Votre… nouvelle fonction ne vous gêne pas ?
SŒUR PHILOMÈNE ― Pas du tout. Au contraire, c’est très pratique, la nuit. J’appuie là, sur mon nombril, et je m’illumine… C’est extraordinaire !... Vous voulez voir ?
SCHMOLL ― Euh !...
SŒUR PHILOMÈNE ― Mais au grand jour, on ne verra rien… Il faut attendre la nuit pour que ce soit spectaculaire, ou s’isoler dans une pièce obscure…
SŒUR MYRTILLE ― Si vous saviez, docteur, avec quelle impatience elle est attendue au monastère…
SŒUR GUDULE ― C’est que, depuis Sœur Anne-Marie il y a trois siècles, nous n’avions plus eu de miracle !
Apparition-disparition de Lafuneste en fond de scène, trois doigts levés.
SCHMOLL ― Ah, oui… Et alors, pour éteindre, comment faites-vous ?
SŒUR PHILOMÈNE ― C’est pareil, j’appuie là, sur mon nombril… Il y a bien un petit inconvénient…
SCHMOLL ― Ah ?
SŒUR PHILOMÈNE ― Parfois, en toussant, je m’illumine sans le vouloir… Mais ça ne nécessite pas une opération pour autant !
SŒURS MYRTILLE et GUDULE ― Ah, non ! Pas d’opération !
SCHMOLL ― Pas d’opération ! Promis, juré !... Tant que vous n’en souffrez pas…
SŒUR PHILOMÈNE ― Docteur, c’est formidable ! Je suis ravie de vous voir revenu à des sentiments humains et chrétiens.
SŒUR GUDULE ― Moi aussi, docteur, j’avais vraiment très peur pour votre âme.
SŒUR MYRTILLE ― Mes sœurs, mes sœurs… Il nous faut remercier le docteur.
SŒUR GUDULE ― Oui ! Nous allons chanter en son honneur…
SŒUR PHILOMÈNE ― Et avec ses amis… Venez, mes frères…
Les sœurs vont prendre par la main les deux mafieux restés à l’écart. Tout ce monde va s’aligner pour chanter le Gospel « When the Saints ». Hugo, pas très coopératif, se fera tirer l’oreille par Philomène à plusieurs reprises durant le chant. Gustavo, lui, se prêtera volontiers au jeu, frappant le rythme avec les mains. Le docteur suivra de bonne grâce, tant que cela lui évite la confrontation avec les frères Appietto. Finalement, au bout de deux couplets, Hugo craque. Il interrompt le chant :
HUGO ― Ça suffit, j’en ai assez ! Je vais chercher la Mama… y a qu’elle pour remettre de l’ordre, ici. (Il sort, très énervé.)
Les autres, passée la surprise, applaudissent et se congratulent.
SŒUR PHILOMÈNE ― C’était super, il faut que je vous embrasse, docteur…
SŒUR GUDULE ― Oh oui ! Moi aussi, docteur.
Tous s’embrassent, les sœurs, le docteur, Gustavo. Béa entre à ce moment accompagnée de son inséparable balai. Elle aussi est embrassée.
BÉA ― On ch’ennuie pas, ici ! Ch’est la fête !
SŒUR PHILOMÈNE ― Je garderai un souvenir inoubliable de ce jour…
GUSTAVO, sort un grand mouchoir pour essuyer une larme. ― Moi aussi.
SŒUR MYRTILLE ― On reviendra vous voir, docteur…
SŒUR GUDULE ― Et en attendant, on priera pour vous…
SŒUR PHILOMÈNE ― Au-revoir, docteur
Elles sortent, Sœur Philomène oubliant sa valise. Gustavo agite son mouchoir en signe d’adieu.
Scène 9
Docteur Schmoll, Gustavo, Béa
BÉA ― Ah, ben… vous ne vous laichez pas atteindre par la pschykose, doctor !
SCHMOLL ― La psychose ?
BÉA ― Eh, oui ! La pschykose de la bombe que la roumeur elle court dans la clinique…
SCHMOLL ― Ça, c’est le travail de cet Inspecteur de malheur ! C’est excellent pour les affaires, le coup de la bombe. Génial !...
GUSTAVO ― Puisqu’on parle de bombe, docteur, si on revenait à notre petit interrogatoire…
SCHMOLL ― Vous, on vous a pas sonné !
GUSTAVO, outré. ― Alors, voilà, moi on m’envoie promener ! La Mama, avec un regard elle vous pétrifie ; Hugo, d’un mot il vous terrorise. Et moi, personne ne me prend au sérieux. J’en ai marre !
Il s’assoit et pleurniche dans son mouchoir. Béa, attendrie, s’approche et s’assoit à ses côtés. Elle l’entoure de ses bras.
BÉA ― Faut pas pleurer, à votre âge… cha va ch’arranger…
GUSTAVO ― Je ne crois pas, non. C’est de pire en pire.
BÉA ― Mais chi, tout ch’arrange, vous verrez, monsieur…
GUSTAVO ― Appelez-moi Gustavo… c’est mon prénom…
Le chirurgien va s’asseoir derrière son bureau. Accablé, il se prend la tête entre les mains.
BÉA ― Moi, che m’appelle Béa. Che peux vouj aider, Gustavo ?
GUSTAVO ― C’est le docteur, il ne veut pas répondre aux questions de la Mama !
BÉA ― Oh ! Il est pas gentil, el doctor…
GUSTAVO ― C’est ma faute, je ne sais pas être méchant. Je ne sais même pas faire semblant. Je suis la honte de la famille… Vous comprenez, chez nous, on est mafieux depuis des générations, on ne sait pas faire autre chose. Et la Mama, elle nous a élevé pour qu’on prenne la relève… Mais moi j’y arrive pas. J’ai beau me forcer, j’y arrive pas ! C’est comme l’accent…
BÉA ― Qu’est-ce qu’il a, votre accent ?
GUSTAVO, se met à parler sans accent. ― Même l’accent, je l’ai pas. Je suis obligé de le travailler, un comble ! Un mafioso qui ne fait pas peur, ça fait déjà pas sérieux, mais un mafioso qui n’a pas l’accent… c’est ridicule.
BÉA ― Mais non, ch’est pas ridicoule. Qu’eche que che devrai dire, moi…
GUSTAVO ― Vous, ce n’est pas pareil, vous n’êtes pas censé intimider.
BÉA ― Taratata… ch’est des hichtoires, ça… vous vous y prenez mal, et ch’est tout… Montrez-moi comment vous faites.
GUSTAVO ― Que je vous montre quoi ?
BÉA ― Là, tiens… chur le doctor… montrez-moi comment vous faites…
GUSTAVO ― Sur le docteur ?... (Il se lève, se racle la gorge, arrange son costume, sort son revolver, le tombe, le ramasse et le braque timidement sur le docteur. Il retrouve son accent corse :) Docteur ! Dites-moi où se trouve la bombe ! Ou… je me mets en colère ! (Le docteur Schmoll hausse les épaules, consterné, et ignore le mafieux. Gustavo, à Béa :) Là, vous voyez ?... (Il rempoche son arme.)
BÉA ― Tssss… Ch’est bien che que che disais, vous vous y prenez mal. Regardez-moi… (Béa se lève, arrange sa tenue, puis soudain se jette sur le docteur, balai en avant, les yeux exorbités.) Doctor ! Vous allez parler… (Elle donne un violent coup de balai sur le bureau et le docteur Schmoll se réfugie dessous.) Vous allez vous mettre à table où je vous poulvérise, (Coup de balai.) je vous écrabouille, (Coup de balai.) je vous ratatine, (Coup de balai.) je vous déjagrège… (Coup de balai.) Non, mais !
Elle revient vers un Gustavo qui applaudit, enthousiaste.
GUSTAVO ― Holala ! Vous êtes douée !
BÉA ― Vous voyez, ch’est pas diffichile… mais il faut y croire… Vous, vous y croyez pas, alors forchément…
Le docteur sort lentement la tête.
BÉA ― Maintenant, vous allez réechayer, en y mettant plous d’ardeur.
SCHMOLL ― Ah, non ! Ça suffit !
BÉA ― Doctor, faites oune bonne akchion…
SCHMOLL, en retournant sous la table. ― Non !
GUSTAVO ― C’est pas sympa, docteur… je fais ce que je peux, moi…
Béa pousse Gustavo vers le bureau et l’encourage du geste.
GUSTAVO ― Quoi ? Ah, oui, j’ai compris… (Il donne un grand coup de pied au bureau, puis, avec autorité :) Si vous ne sortez pas de là, je tire à travers le bureau !
SCHMOLL, ressort la tête et mains levées. ― C’est qu’il le ferait, cet animal !
BÉA, à Gustavo. ― Ch’est très bien ! Vous voyez, vouj êtes en progrès.
GUSTAVO, jubile. ― Et je n’ai même pas sorti mon revolver ! J’essaye encore… (Au docteur, sec :) Assis ! (Le docteur s’assoit, brisé.) Couché ! (Le docteur retourne sous la table.)
BÉA ― Bon, faut pas exjagérer, quand même.
GUSTAVO ― C’est Hugo qui va être surpris… et la Mama, n’en parlons pas ! Je suis un vrai mafioso maintenant… Je ne sais pas comment vous remercier, Béa… J’ai une idée… venez, je vous invite à la cafétéria…
BÉA ― Ch’est pas de refus. On parle, on parle, et on a choif.
Ils sortent bras dessus, bras dessous. Le docteur reste caché sous son bureau. Quelques secondes s’écoulent avant la scène suivante.
ACTE IV
Scène 1
Docteur Schmoll, Mme Schmoll, Paulette, Cécile, Mme Flipscheunvonblum
Entrée de Mme Schmoll suivie de Paulette et Cécile.
Mme SCHMOLL ― Comment, il n’est pas ici ? C’est un véritable courant d’air, cet homme là !
PAULETTE ― Pourtant, il devrait y être, d’après la femme de ménage…
Mme SCHMOLL ― Pensez donc ! Il est exceptionnellement doué lorsqu’il s’agit de s’éclipser.
CÉCILE ― Vous savez, il a beaucoup de travail en ce moment.
Mme SCHMOLL ― Cessez de le soutenir, Cécile, ou je vais finir par me poser des questions… (Elle la regarde d’un œil inquisiteur.) D’ailleurs, c’est fait, je m’en pose…
CÉCILE ― Oh, madame !
Mme SCHMOLL ― Il est tout de même plus souvent avec vous qu’avec moi !
CÉCILE ― Sans doute, mais notre complicité évolue autour d’organes passablement amochés qui finissent invariablement dans mon plateau. Je vous jure que ça n’a rien de sensuel.
PAULETTE ― Ah, non ! Ou alors, il faudrait être sacrément tordu !
Mme SCHMOLL ― Excusez-moi… je suis un peu sur les nerfs aujourd’hui…
Entrée de Mme Flipscheunvonblum.
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Le docteur n’est pas là ?
Mme SCHMOLL, sèche. ― Madame ?
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Je cherche le docteur Schmoll.
PAULETTE ― Il s’est absenté, mais il ne doit pas être loin…
Mme SCHMOLL ― Et peut-on savoir pourquoi vous cherchez le docteur ?
CÉCILE, à Mme Schmoll. ― C’est madame Flipscheunvonblum, une patiente du docteur…
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM, très sèche à son tour, à Mme Schmoll. ― Je n’ai pas de comptes à vous rendre, madame. Mes raisons ne regardent que le docteur Schmoll.
Les deux femmes s’affrontent du regard. Le face-à-face s’éternise sur fond sonore « L’homme à l’harmonica »[6]. Les infirmières, un moment pétrifiées, interviennent.
CÉCILE ― Le docteur l’a opérée de la vésicule il y a trois semaines…
PAULETTE ― Et suite à un… petit incident, il va devoir la réopérer…
Mme SCHMOLL ― Je vois, il y prend goût !... (Méprisante :) Et quel mauvais goût !
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Madame, je vous dispense de vos sarcasmes… Je me passerais volontiers d’une nouvelle chirurgie… si cet affreux nénuphar n’envahissait pas mon organisme.
Mme SCHMOLL ― Un nénuphar !... Quelle imagination !
PAULETTE ― C’est vrai, il y a bien un nénuphar sur les radiographies.
Mme SCHMOLL ― Et alors ? Ça prouve simplement que le moindre prétexte est bon pour revenir se faire tripoter !
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM, offusquée. ― Oh !... Je veux voir le docteur ! (Elle sort, indignée.) J’exige de voir le docteur ! (Elle appelle :) Docteur !...
CÉCILE ― Vous y êtes allée un peu fort…
Mme SCHMOLL ― Pensez-vous. Elle ne va pas lâcher le morceau aussi facilement !
CÉCILE ― Forcément, avec un nénuphar dans…
Mme SCHMOLL ― Cessez donc de prendre le parti de mon mari et de ses groupies. Je vous trouve exaspérante à la fin !... Je m’en vais le trouver, moi, le chirurgien de ces dames, et il va m’entendre…
Elle sort, très remontée.
Scène 2
Paulette, Cécile, Dr Schmoll, Hugo
PAULETTE ― Eh ben ! Elle est remontée la mère Schmoll !
CÉCILE ― Ça ne s’arrange pas, elle est de plus en plus jalouse…
PAULETTE ― Je le plains, le docteur. Il finira par s’orienter vers la gériatrie, contraint et forcé.
CÉCILE ― Et encore ! Si ce n’est pas suffisant, elle en fera un vétérinaire…
Elles éclatent de rire. La sonnerie d’un téléphone les interrompt. Elle provient du bureau où se cache toujours le docteur Schmoll.
PAULETTE ― Tiens ! C’est le portable du docteur.
CÉCILE ― Il l’aura oublié, quel étourdi !
Le docteur s’extirpe du bureau sous les yeux ahuris des infirmières. Il cherche dans ses poches, sort le revolver qu’il pointe sur sa tempe.
SCHMOLL ― Allo !
CÉCILE et PAULETTE, s’écrient ensemble. ― Docteur !
Le docteur se rend compte de sa méprise, pousse un cri et range rapidement l’arme en échange du vrai téléphone.
SCHMOLL ― Allo !... Oui, chérie… tu me cherches ? Non !... c’est dingue…alors toi aussi tu perds tout… ne t’énerve pas… mais… je… non… oui… je sais… où je suis ? Mais je suis ici… Eh bien, ici, dans mon bureau, je n’ai pas bougé… mais non, je ne me moque pas de toi… enfin, Bibiche, je t’assure… mais… Bibiche ?... (Il regarde son téléphone, hagard.) Elle a raccroché…
Les infirmières s’empressent autour de lui.
CÉCILE ― Ça va bien, docteur ?
SCHMOLL, mollement. ― Ça va, ça va…
CÉCILE ― Qu’est-ce que vous faisiez, sous le bureau ?
SCHMOLL, ahuri. ― Sous le bureau, Schmoll… assis !… couché ! Schmoll…
PAULETTE, inquiète. ― Vous êtes un peu surmené en ce moment, docteur. Vous devriez vous reposer quelques jours…
SCHMOLL, regarde fixement son téléphone. ― Bibiche… elle a raccroché…
CÉCILE, le prend par le bras et lui parle comme à un enfant. ― Oh ! Elle est pas contente Bibiche, je veux dire madame Schmoll… elle a grondé le gentil docteur… mais ça va s’arranger, vous verrez…
SCHMOLL ― Arranger ?... oui, on va l’arranger : on va opérer madame Schmoll…
CÉCILE ― Non, on ne va pas opérer madame Schmoll…
PAULETTE ― Holala ! Il est devenu zinzin…
CÉCILE ― On va aller lui parler, à madame Schmoll, hein ?... avant de l’opérer…
SCHMOLL ― Parler, oui… parler… c’est une bonne idée, je vais mettre mon costume… (Il retourne à son bureau fouiller le tiroir, en sort une blouse et un bonnet stériles qu’il enfile sous le regard étonné des infirmières.) Mon costume… je ne peux pas y aller sans mon costume… voilà… je suis plus présentable… pour parler… Comment vous me trouvez ?... Je suis bien ?...
PAULETTE ― Parfait ! Vous êtes parfait, docteur !
CÉCILE ― Très bien ! On y va ?...
SCHMOLL ― Attendez… j’ai le trac… je vais prendre un petit remontant… (Il se dirige vers l’armoire à pharmacie où se trouvent les potions médicamenteuses, prend un bocal qu’il va remplir au fur et à mesure des produits sélectionnés.) Du Paroxymono difénil polybromé… trois gouttes… (Il verse trois gouttes dans le tube.) Du Proxcetilamol parastrepsilovagal… trois gouttes… (Il verse trois gouttes, se reprend, en verse davantage.) Voilà… Du Dacryobiphénol movicoloïdal… trois gouttes aussi… (Il verse une bonne rasade.) Du Dioxyphtalate trichloro étanol…
PAULETTE, inquiète. ― Docteur ! Qu’est-ce que vous faites ? Vous n’allez pas avaler ça ?
SCHMOLL ― C’est très bon le Dioxyphtalate trichloro étanol… c’est bon pour… euh… c’est bon !... Allez, hop !... (Il verse une rasade.)
CÉCILE ― Docteur, vous ne préféreriez pas un petit Bordeaux ?
SCHMOLL ― Oui… Voilà ce qu’il manquait !... De l’Ester perfluoro ochtanocoxylum. (Il verse.)
PAULETTE, affolée. ― Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu !
SCHMOLL ― Et un soupçon de Forlaxopyramidiol… (Il verse.) Stop !
CÉCILE ― Aie, aie, aie !
Schmoll touille le breuvage avec un agitateur, en remplit un verre qu’il avale cul sec. Aussitôt, il se plie en deux et crache. Puis la réaction est étrange : il accomplit la danse du Haka des maoris, dite aussi Haka des Alls Blacks.
SCHMOLL, chorégraphie du Haka. ― Hu !
Ka Mate ! Ka Mate ! Ka Ora
Ka Mate ! Ka Mate ! Ka Ora
Tenei te tangata huru huru
Nana e tiki
Whaka whiti te ra
A upane ka upane !
A upane ka upane whiti te ra
Hei!
Il s’immobilise dans la dernière position, bras et jambes écartées.
PAULETTE, timidement. ― Ça va, docteur ?... On vous avait averti…
SCHMOLL ― Je dois avouer… ça secoue un peu…
Dès ce moment, il va être pris de tics étranges et de gestes incontrôlés.
CÉCILE ― Si c’est pas malheureux de se mettre dans des états pareils.
Hugo entre, préoccupé.
HUGO ― Vous n’avez pas vu la Mama ? Je la trouve nulle part… (Il cherche autour de lui.) Et Gustavo, où il est passé ?
SCHMOLL, l’accueille à bras ouverts et l’accole. ― Hugo ! Mon ami… On va boire un coup… (Hugo, hébété, se laisse entraîner. Les infirmières lui font des signes dénonçant l’état de santé mentale du docteur.) Je ne suis pas rancunier… Buvons ! (Le docteur sert un verre du breuvage à Hugo et se ressert lui-même.) Allez… Santé !
HUGO, hésitant. ― Mais…
SCHMOLL ― A la santé de la Mama !... (Il boit.)
Par réflexe, s’agissant de la santé de la Mama, Hugo boit son verre d’un trait. Il s’étrangle et pousse un cri.
HUGO ― Ahaa !... Qu’est-ce que c’est que cette cochonnerie ?
SCHMOLL, sirote sereinement sa potion. ― C’est un petit coquetel maison…
HUGO, se tord soudain de douleur. ― Aie ! Où sont les toilettes ?
SCHMOLL ― C’est un peu raide, c’est vrai…
HUGO, prend Schmoll par le col et le secoue. ― Où sont les toilettes ?
SCHMOLL ― Là… à droite en sortant…
Hugo court vers la sortie en se débraillant. Il disparaît, on l’entend crier de douleur.
PAULETTE, sidérée. ― Il fait moins le fier, le mafioso !
SCHMOLL, sirote sa mixture. ― C’est le Forlaxopyramidiol… ça peut avoir un effet dépuratif chez les personnes sensibles…
CÉCILE, plutôt amusée. ― Vous, docteur, vous n’avez pas l’air trop sensible de ce côté-là…
SCHMOLL ― Ça remue un peu au début… mais on s’y fait… Vous voulez goûter ?
CÉCILE et PAULETTE, avec empressement. ― Non, merci !
Scène 3
Paulette, Cécile, Docteur Schmoll, Inspecteur Lafuneste, Hugo
Entrée de l’Inspecteur Lafuneste.
LAFUNESTE ― Ah, docteur !... (Elle marque la surprise en le voyant attifé de sa tenue de travail.) Je me demandais où en étaient vos relations avec les frères Appietto… mais j’avais tort de m’inquiéter. Je viens d’en croiser un, il était dans un état extrêmement préoccupant… Vous m’impressionnez, docteur !
SCHMOLL ― C’est le Forlaxopyramidiol… Je vous offre un verre, Inspecteur ?
Les infirmières font de grands signes à l’adresse de Lafuneste pour l’enjoindre à refuser l’invitation.
LAFUNESTE ― Euh… non, merci… je préférerai vous poser quelques questions…
SCHMOLL, enjôleur. ― Oh, oh ! La coquine veut tout savoir…
LAFUNESTE, interloquée pendant que les infirmières poursuivent leurs signaux) ― Oui… enfin… euh ! Vous portez toujours vôtre… (Elle montre sa tenue.)
SCHMOLL ― Mon costume ! Il est seyant, n’est-ce-pas ?
LAFUNESTE ― Euh!... Madame Schmoll…
SCHMOLL, s’exclame. ― Ah ! Bibiche !... (Il s’enfile une rasade de la potion.) Bibiche est très fâchée…
LAFUNESTE ― J’ai cru comprendre que vous n’étiez guère disponible ces derniers temps…
CÉCILE ― Oh, mais… Madame Schmoll est très jalouse.
LAFUNESTE ― Sans doute. Vous ne pouvez cependant nier qu’il se passe des choses bizarres dans cette clinique depuis trois semaines ?
PAULETTE ― Bizarre, bizarre… pas plus qu’avant…
SCHMOLL, avec des tics énormes. ― Bizarre… vous avez dit bizarre… comme c’est bizarre…
LAFUNESTE ― Ne faites pas l’innocent ! Depuis trois semaines, date où s’évente un projet d’attentat, vous devenez inaccessible…
CÉCILE ― Et vous en déduisez qu’il est un poseur de bombes !... Vous devriez vous désaltérer, Inspecteur…
PAULETTE ― Oui… Offrez-lui donc un verre, docteur, histoire de lui remettre les idées en place…
SCHMOLL, tend un verre à Lafuneste. ― Bien volontiers… goutez mon coquetel, Inspecteur…
LAFUNESTE ― Pas en service, je vous remercie…
CÉCILE ― C’est dommage, vous ne savez pas ce que vous manquez…
PAULETTE ― Il n’y a pas une goutte d’alcool, on ne peut rien vous reprocher.
LAFUNESTE, tourne en rond sur la scène. ― Vous cherchez à me déstabiliser… mais je vous préviens, avec moi ça ne marche pas… tout est bizarre, ici… votre femme de ménage embauchée il y a trois semaines elle aussi… Bizarre !... Et ce nénuphar dans la vésicule de madame lich…vanbloum… Bizarre ! Et la religieuse qui s’illumine comme un néon… Bizarre, non ?...
SCHMOLL, extatique. ― Vous avez raison, je n’avais pas conscience de vivre aussi… bizarrement
Hugo entre en trombe, furieux. Il se dirige vers Schmoll.
HUGO ― Je vais vous apprendre à vous moquer de moi, docteur… (Il cherche une arme dans sa veste.) Je vais vous…
Hugo se plie soudain en deux, il ressort immédiatement en courant.
LAFUNESTE ― Et je ne parle pas des relations troubles que vous entretenez avec la famille Appietto… Bizarre, non ? Comment expliquez-vous ça ?
SCHMOLL ― Il doit faire une intolérance au Forlaxopyramidiol.
LAFUNESTE ― Vous êtes un dur à cuire, hein ? Mais je saurais vous faire parler. Et d’abord, je vais vérifier toutes les entrées et sorties de l’établissement depuis trois semaines… Ah, ah ! On verra bien si vous ne cachez rien.
PAULETTE ― Mais enfin, que voulez-vous que l’on cache ? Des vésicules engorgées, des appendicites, des foies hypertrophiés, des intestins bouchés ?
CÉCILE ― Cherchez donc si ça vous amuse, mais vous ne trouverez que des gens malades, des gens qui souffrent et qui se plaignent…
Cécile entame une chanson : sur l’air de « Je n’suis pas bien portant[7]», en trio avec Paulette et le docteur. Ils évolueront en même temps dans une petite chorégraphie simple.
CÉCILE ― J’ai l’aorte qui s’déporte
J’ai la plèvre au bord des lèvres
PAULETTE ― J’ai le cœur qui bat l’beurre
J’ai l’cerveau qui fait d’l’eau
SCHMOLL ― J’ai l’sphincter qu’est plein d’air
La thyroïde plein’de vide
Et l’thymus plein d’humus
CÉCILE ― J’ai les pores qui odorent
L’ventricule qui recule
L’péricarde qui retarde
PAULETTE ― J’ai les nerfs à l’envers
Les globules ridicules
SCHMOLL ― La trachée trop usée
J’ai l’côlon bien trop long
Les neurones qui plafonnent
CÉCILE ― J’ai l’bassin sibyllin
Les orteils c’est pareil
PAULETTE ― J’ai la glotte qui sanglote
Et les fesses qui s’affaissent
CÉCILE, PAULETTE et SCHMOLL ―
Cré vingt dieux ! Qu’c’est ennuyeux
D’être toujours souffreteux,
Le docteur Schmoll, heureusement
Vous opère sur le champ
Hey !
Scène 4
Paulette, Cécile, Docteur Schmoll, Inspecteur Lafuneste,Béa, Gustavo, Mme Flipscheunvonblum, Hugo
Entrée de Béa suivie de Gustavo. Ils semblent devenus intimes.
BÉA ― Y a toujours de l’ambianche dans che bureau !
LAFUNESTE ― Vous tombez bien, vous… Je constate que, à l’image de votre patron, vous entretenez aussi des relations louches avec la famille Appietto. (Elle dévisage Gustavo.).
BÉA ― Attenchion à che que vous dites, hein ! Che vous laicherai pas inchinuer des cochonneries ! Et puis, ch’ai les relachions que che veux avec qui che veux !
GUSTAVO ― Tsss… vous manquez de courtoisie, Inspecteur.
LAFUNESTE ― Je manque surtout de temps. Chaque minute qui passe nous rapproche de l’échéance… dont je ne connais même pas le terme…
CÉCILE, moqueuse. ― C’est limpide !
LAFUNESTE ― Ça veut dire que quand ça va péter, ça va péter !
BÉA ― Moi auchi, je vais péter ! Chi vous churveillez mes relachions pour me mettre le vol des confitoures chur le dos, Inchpector ou pas, moi je vous expulche à coup de balai !
LAFUNESTE ― Je me fiche pas mal de vos confitures. J’ai une bombe sur les bras, moi…
BÉA ― On dit cha, on dit cha, et puis…
LAFUNESTE ― Et puis j’aimerais bien savoir où et quand elle va éclater !
GUSTAVO ― La Mama aussi, elle voudrait savoir, mais le docteur, i’ veut pas parler.
LAFUNESTE ― Et voilà ! On en revient encore à vous, docteur…
SCHMOLL ― Un instant, j’ai cru qu’on m’avait oublié. Mais non, ça ne pouvait pas durer !
Il boit un coup.
LAFUNESTE ― J’aimerais bien enquêter sur votre train de vie, docteur. Mais, comme je l’ai déjà dit, je manque de temps… (Elle se tourne vers le tableau accroché au mur.) Il s’agit bien d’un Miró, n’est-ce-pas ?
Les infirmières se tordent de rire. Au même moment entre Hugo qui se dirige vers le docteur, doigt tendu, menaçant.
HUGO ― Vous… vous…
Il repart aussitôt en courant.
GUSTAVO ― Où tu vas, Hugo ?... Qu’est-ce qu’il a ?
LAFUNESTE ― Ça aussi, il faut le demander au docteur Schmoll. Alors, docteur, n’en profitez pas pour détourner l’attention. C’est bien un Miró, non ?
SCHMOLL ― Je ne sais pas qui est le plus miro des deux… Ce tableau représente une péritonite dans sa phase aigue… Je touche un peu à la peinture durant mes rares moments de détente…
BÉA ― Beurk ! Ch’est dégeulache ! Je le trouvais moche, mais alors maintenant… je chais pas chi j’arriverai à enlever la pouchière chans vomir…
GUSTAVO ― Moi, j’aime bien…
LAFUNESTE ― Vous vous fichez de moi…
SCHMOLL ― Pas du tout. La signature peut prêter à confusion, mais…
LAFUNESTE, s’exclame en apercevant la valise oubliée par Sœur Philomène. ― Et ça, qu’est-ce-que c’est ?
CÉCILE, moqueuse. ― C’est extraordinaire, une valise !
PAULETTE, même jeu. ― C’est peut-être un Marcel Duchamp ! Faudrait voir la signature…
CÉCILE, en riant. ― Et si elle était pleine de billets de banque ?
LAFUNESTE, glaciale. ― Et si elle contenait la bombe !
Un silence apeuré suit cette déclaration. Tous se figent, les yeux fixés sur la valise. Quelques secondes s’écoulent ainsi, dans une terrible expectative.
BÉA ― Bon ! J’ai pas fini mon ménache, alors je vais vous laicher…
LAFUNESTE ― Personne ne bouge !... Quelqu’un sait-il à qui appartient cette valise ?
Silence. Lafuneste s’approche lentement de l’objet. Les autres au contraire s’en écartent, sauf le docteur toujours un peu sonné. Au moment où l’Inspecteur pose la main sur la valise :
SCHMOLL ― Boum !
Tous s’effraient, sursautent et s’écartent au maximum. Le docteur se marre.
LAFUNESTE ― Très drôle, vraiment !
Cécile entraîne le docteur, le fait asseoir en retrait sur une chaise côté cour. Lafuneste repart à l’assaut de la valise, s’en empare précautionneusement pour la poser sur le bureau. Entre madame Flipscheunvonblum.
SCHMOLL ― Madame BadaBOUM ! (Il rit tandis que sursaute et rage Lafuneste.) Avouez qu’elle tombe à pic, Inspecteur…
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Moi ? Mais…
LAFUNESTE ― Quelqu’un peut-il bâillonner le docteur, s’il vous plait ?
SCHMOLL ― Vous manquez d’humour dans la police. Tout ça pour une bombinette…
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Une quoi ?
LAFUNESTE ― Oh, pas grand-chose… juste une bombe…
Madame Flipscheunvonblum se trouve mal. Béa et Gustavo la récupère et l’assoient sur une chaise à côté du docteur.
GUSTAVO ― Quand je pense qu’on dit des mafiosi qu’on manque de tact !
LAFUNESTE, se penche à nouveau sur la valise. ― Le premier qui l’ouvre, je le… (Elle fait le geste de fermer une serrure.)
Le chirurgien fait mine de répondre mais Cécile, plus rapide, le muselle de la main. Gustavo se cache derrière Béa et madame Flipscheunvonblum derrière Gustavo. L’Inspecteur, après avoir donné un coup d’œil méchant au docteur, entreprend avec maintes délicatesses de déverrouiller la valise.
Scène 5
Paulette, Cécile, Docteur Schmoll, Béa, Gustavo, Inspecteur Lafuneste, Mme Flipscheunvonblum, Sœur Myrtille, Sœur Gudule, Sœur Philomène
Au moment où s’ouvre la valise surgissent les trois religieuses.
SŒUR PHILOMÈNE ― Ma valise ! J’ai oublié ma valise !
La valise est remplie de petites portions de confiture qui roulent sur la scène. Une exclamation générale s’ensuit, puis tous les regards se tournent vers Sœur Philomène, paralysée.
BÉA ― Bravo Inchpector. La bombe elle a fait tchiiii, mais l’enquête chur les confitoures, elle est grandichime… Me voichi blanchie de tout choupchon.
SŒUR PHILOMÈNE ― Je ne comprends pas…
BÉA, railleuse. ― Ch’est peut-être oun miracle… les voies du Cheigneur chont impénétrables.
SŒUR GUDULE ― Mais, certainement… si le Seigneur a décidé notre retour, c’est que ce dernier a une utilité et toute votre ironie n’y changera rien.
SŒUR PHILOMÈNE, contrite. ― Vous avez raison, sœur Gudule… C’est pour me punir de mon péché de gourmandise… Je ne suis qu’une ingrate, une débauchée, une voleuse… je ne mérite pas la grâce qui me touche. Opérez-moi, docteur ! Otez cette lumière dont je ne suis pas digne…
SŒUR MYRTILLE ― Sœur Philomène ! Reprenez-vous, allons… vous n’allez pas refuser un don de Dieu à cause de quelques malheureuses confitures…
BÉA ― Quelques confitoures ! En trois chemaines, elle ch’en est enfilée houit kilos ! Ch’est plous de la gourmandise, ch’est de la goinfrerie…
SŒUR PHILOMÈNE ― Pardonnez-moi, mon Dieu, j’ai péché…
SŒUR MYRTILLE ― Les péchés ne se mesurent pas au poids !... (Elle affronte Béa le buste en avant, théâtralement.) Que CELLE qui n’a jamais péché lui jette la première pierre !
BÉA ― Bon, bon… moi, che que j’en disais… L’important ch’est que je chois dichcoulpée… après tout, cheur Philomène elle peu bien che gaver comme une oie, je m’en fiche !
SŒUR GUDULE ― Et puis d’abord, de quel droit vous l’avez ouverte cette valise ? C’est de la dictature ! Depuis quand on fouille les valises des honnêtes gens dans ce pays ?
LAFUNESTE, en dévisageant Gustavo. ― Depuis que des gens peu scrupuleux préparent des attentats à la bombe !
GUSTAVO ― Ça y est, ça va encore être de ma faute !
BÉA ― Ch’est de la déformachion profechionnelle. L’Inchpector il cherche toujours oun coupable… (Elle caresse la joue de Gustavo.) Mon pauvre Gustavo…
SCHMOLL ― Bon, et alors, ma sœur, j’opère ou j’opère pas ?
Indignation, tollé général. Les infirmières font taire le docteur, les sœurs font taire sœur Philomène.
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Ah, non ! J’étais la première ! S’il y a quelqu’un à opérer ici, c’est moi !
LAFUNESTE ― La première opération, la seule et unique urgence, c’est trouver la bombe !
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Mais puisqu’il n’y en a pas…
Scène 6
Paulette, Cécile, Docteur Schmoll, Béa, Gustavo, Inspecteur Lafuneste, Mme Flipscheunvonblum, Sœur Myrtille, Sœur Gudule, Sœur Philomène, Hugo, la Mama, Mme Schmoll
Entrée énergique de la Mama.
Mme APPIETTO ― Si ! Il y a une bombe !
Exclamation affolée collective.
GUSTAVO ― Mama ! Où étais-tu passée ?
Mme APPIETTO ― J’ai fait mon enquête. Je ne reste pas les deux pieds dans le même sabot, moi !
LAFUNESTE ― C’est une attaque personnelle ?
Mme APPIETTO, mordante. ― C’est ce que vous voudrez, Inspecteur. J’ai appris votre rôle dans l’accident de Matteo… Vous saurez bien assez tôt quand je vous attaquerai !
Lafuneste accuse le choc.
BÉA ― Aie, aie, aie, aie, aie ! Cha va faire mal !
GUSTAVO ― La bombe, à côté de la Mama, c’est du pipi de chat !
Mme APPIETTO ― Silence !... Vous n’êtes pas sans savoir, Inspecteur, les dons exceptionnels de mon petit Matteo pour les engins explosifs…
LAFUNESTE, ironique. ― J’en ai entendu parler.
Mme APPIETTO ― Est-ce que vous avez également entendu parler de ses projets de miniaturisation ?
LAFUNESTE, dubitative. ― Non…
Mme APPIETTO ― Eh bien, je vous apprends donc que mon fils entretient, depuis un certain temps, des relations avec quelques scientifiques de renom, tous spécialistes de physique quantique, de nanotechnologies et autres sciences de l’infiniment petit…
GUSTAVO ― Qu’est-ce qu’elle parle bien, la Mama.
TOUS ― Chut !
Hugo entre en trombe, aperçoit la Mama.
HUGO ― Mama, enfin ! Si tu savais ce qu’il m’a fait, le docteur !
TOUS ― Chut !
HUGO ― Mais…
TOUS ― Chut !
Il se retourne, agressif, vers Schmoll.
SCHMOLL ― Cafteur !
Hugo est soudain pris de nouvelles douleurs. Il ressort en courant.
LAFUNESTE, empressée, à Mme Appietto. ― Alors ?
Mme APPIETTO ― Alors, Matteo a finalisé son projet : fabriquer une bombe miniature d’une puissance extraordinaire ! Une bombe qui tient dans la main ! Une bombe que l’on peut cacher dans une poche, dans un journal, dans une fleur…
GUSTAVO ― Dans un nénuphar ?
Madame Flipscheunvonblum pousse un cri et s’évanouit.
SŒUR PHILOMÈNE, affolée. ― Dans une portion de confiture ?
SŒUR GUDULE ― Sœur Philomène, soyez raisonnable…
SŒUR PHILOMÈNE ― Je ne mangerai plus jamais de confiture !
CÉCILE ― Mais alors, cette bombe, elle est introuvable !
Entrée de Madame Schmoll.
Mme SCHMOLL ― Une bombe ? Demandez-donc à mon mari ! Il est spécialiste.
PAULETTE, outrée. ― Oh ! Madame Schmoll !
Tous les regards se sont tournés vers le docteur, très surpris.
SCHMOLL, ahuri. ― Enfin, Bibiche…
LAFUNESTE ― Veuillez préciser votre pensée, madame Schmoll.
Mme SCHMOLL ― Eh bien, oui ! Il n’y a qu’une bombe sexuelle pour le mettre dans cet état. Et je veux savoir qui elle est !
Elle écarte vivement Cécile, trop proche de Schmoll à son goût.
LAFUNESTE ― Soyons sérieux, Madame Schmoll. L’heure est grave.
Mme SCHMOLL ― Je ne crois pas à votre histoire de bombe !
LAFUNESTE ― J’aimerais avoir votre certitude… Cécile et Paulette, vous devriez aller voir notre blessé, Matteo… on ne sait jamais, s’il reprenait suffisamment conscience pour parler… peut-être qu’avec de la douceur…
GUSTAVO ― Je peux y aller, Inspecteur…
LAFUNESTE ― Surtout pas ! Vous avez une appréciation particulière de la douceur dans la famille Appietto…
PAULETTE ― Oui, laissez-nous faire…
CÉCILE ― On fera de notre mieux.
Les infirmières sortent.
Scène 7
Docteur Schmoll, Inspecteur Lafuneste, Béa, Gustavo, Mme Flipscheunvonblum, Sœur Myrtille, Sœur Gudule, Sœur Philomène, la Mama, Mme Schmoll
Mme APPIETTO ― Faudrait tout de même pas oublier le docteur…
SCHMOLL ― Vous pouvez ! Je ne suis pas susceptible.
LAFUNESTE ― Je ne l’oublie pas, mais j’aimerais bien savoir quels liens vous unissent…
Mme APPIETTO ― Rassurez-vous, aucun ! Simplement, Matteo a explicitement évoqué le docteur lors de son réveil…
LAFUNESTE ― Qu’avez-vous à répondre à ça, docteur ?
SCHMOLL ― Rien ! Absolument rien ! Il a parlé de moi parce que je l’avais opéré, c’est tout…
LAFUNESTE ― Avant de l’opérer, lorsque je suis entrée au bloc, vous étiez seul avec lui… il aurait pu vous faire des confidences…
SCHMOLL ― Il a bien essayé de parler, c’est vrai… mais…
Une voix métallique se fait soudain entendre.
VOIX OFF ― IL EST L’HEURE… L’HEURE D’ENTRER DANS UN NOUVEAU MONDE…
Tous paniquent, cherchent l’origine de la voix.
BÉA ― Qu’est-che que ch’est ?
SCHMOLL, en retroussant sa manche. ― La montre ! C’est la montre qui parle !
Mme APPIETTO ― La montre de Matteo, je la reconnais !
VOIX OFF ― DANS DIX SECONDES, PLUS RIEN NE SERA COMME AVANT…
GUSTAVO ― Voleur !
SCHMOLL ― Je ne l’ai pas volé…
VOIX OFF ― NEUF…
SCHMOLL ― Empruntée seulement… mais voilà pourquoi…
VOIX OFF ― HUIT…
SCHMOLL ― C’est lui qui m’a tendu sa montre…
VOIX OFF ― SEPT…
LAFUNESTE ― Tout s’explique, enfin...
VOIX OFF ― SIX…
LAFUNESTE ― La bombe est dans la montre !
VOIX OFF ― CINQ…
Affolement général. Madame Flipscheunvonblum pousse un cri et retombe dans les pommes.
GUSTAVO ― Mama…
VOIX OFF ― QUATRE…
BÉA ― Nous chommes perdus !
VOIX OFF ― TROIS…
SŒUR MYRTILLE ― Prions, mes sœurs… Vous aussi mes frères…
Le docteur Schmoll secoue son bras mais la montre continue, imperturbable.
VOIX OFF ― DEUX…
Dans le même temps : les unes prient, Gustavo se colle à Béa, le docteur ôte la montre de son poignet mais il ne sait pas quoi en faire, les autres crient :
Mme SCHMOLL ― Au secours !
BÉA ― Adios…
GUSTAVO ― Mama…
Mme APPIETTO ― Tais-toi, Gustavo !
VOIX OFF― UN…
Le docteur jette la montre dans le public. Tous les acteurs se couchent au sol.
VOIX OFF ― ZERO !
Silence !
Quelques secondes s’écoulent, puis des têtes se lèvent et, petit à petit, les acteurs se redressent, soulagés.
SŒUR PHILOMÈNE ― Un nouveau miracle : nous sommes vivants !
LAFUNESTE ― Un miracle, un miracle… elle n’a pas explosé, c’est tout !
SŒUR GUDULE ― Evidemment ! Ça vous ferait mal de parler de miracle !
BÉA ― Ou alorch, l’echplosion elle était auchi miniatourisée que la bombe.
GUSTAVO ― Mais non, regardez (Il montre le public.), y en a même pas un qui a une égratignure. Elle n’a pas pété, voilà tout !
Mme APPIETTO ― Ça cache quelque chose…
Mme SCHMOLL ― Moi, je le savais bien que c’était du bidon cette bombe !
Scène 8
Docteur Schmoll, Inspecteur Lafuneste, Béa, Gustavo, Mme Flipscheunvonblum, Sœur Myrtille, Sœur Gudule, Sœur Philomène, la Mama, Mme Schmoll, Paulette, Cécile, Hugo
Entre Matteo entouré et soutenu par Cécile et Paulette. Il est en pyjama et marche difficilement mais il arbore un sourire radieux.
Mme APPIETTO ― Matteo ! Mon petit !
CÉCILE ― Il est costaud, votre petit, madame Appietto ! Avec tout le plomb qu’il a pris, c’est un miracle qu’il soit déjà sur pieds.
SŒUR MYRTILLE ― Ah, ben voilà ! Cette fois, ce n’est pas nous qui en parlons…
Les infirmières portent le convalescent jusqu’au centre de la scène pour l’asseoir sur une chaise. Tous l’entourent.
PAULETTE ― C’est vrai, je n’ai jamais vu une guérison aussi rapide. C’est presque une résurrection…
SŒUR MYRTILLE ― N’exagérons rien, ma fille…
LAFUNESTE ― C’est formidable en effet. Maintenant, il faut nous expliquer, monsieur Appietto… la bombe, elle était bien dans la montre ?
MATTEO ― Tout à fait…
LAFUNESTE ― Et elle devait exploser à la fin du compte-à-rebours ?
MATTEO ― Bien entendu…
Mme APPIETTO ― Elle n’a pas fonctionnée, Matteo ! Tu t’es planté quelque part, elle n’a pas fonctionnée ! (Menaçante.) Si je ne me retenais pas, je te flanquerais une beigne !
BÉA ― Vous êtes un peu zoum-zoum, vous ! Chi la bombe avait pété, on cherait touch morts à l’heure qu’il est.
GUSTAVO ― C’est vrai, Mama. Heureusement qu’il s’est trompé.
Mme APPIETTO ― Tais-toi, Gustavo. Chez les Appietto, on ne fait pas d’erreur !
MATTEO ― Rassure-toi, Mama, tout a parfaitement fonctionné.
BÉA ― Cha y est, lui auchi il est zoum-zoum !
SCHMOLL ― Il est en effet possible que l’accident soit à l’origine d’une altération des facultés intellectuelles. J’ai bien extrait toutes les balles, et aucune n’avait touché de centre nerveux important…
L’Inspecteur Lafuneste ayant fait quelques signes appropriés, Cécile le bâillonne de ses mains, mais est très vite repoussée par Mme Schmoll.
SCHMOLL, en profite. ― Mais il n’est pas exclu que, dans sa chute, la tête de notre patient ait heurté le sol avec les conséquences que l’on découvre aujourd’hui…
Mme Schmoll, lassée, bâillonne le docteur à son tour.
LAFUNESTE, soulagée. ― Expliquez-vous, monsieur Appietto…
Mme APPIETTO ― C’est ça ! Et si c’est pas clair, je t’en colle une !
Mme FLIPSCHEUNVONBLUM ― Bourreau d’enfant !
La Mama lui lance un regard noir qui la réduit au silence.
MATTEO ― Il faut que tu saches, Mama… je n’ai jamais osé te le dire, mais je ne veux plus faire sauter de bombes, ni même être un mafioso. Je veux vivre une vie normale…
Mme APPIETTO, lève la main. ― Ça y est, je lui colle !
Tous s’exclament d’indignation et l’on retient le bras de madame Appietto.
GUSTAVO ― Moi aussi, Mama, je voulais te dire…
Mme APPIETTO ― Tais-toi, imbécile ! Continue, Matteo !
MATTEO ― Tout petit déjà, je détestais les pétards, mais tu me forçais à les envoyer dans la caserne de gendarmerie… et après, tu m’as forcé à faire sauter la villa des Legrand…
Mme APPIETTO ― Des pinzuttes !
MATTEO ― … et puis il y a eu la Préfecture, le bateau du député, le restaurant du Port…
L’Inspecteur Lafuneste a sorti un carnet de sa poche. Elle prend des notes.
Mme APPIETTO ― C’est bon, on a compris !
MATTEO ― Alors, lorsque tu m’as imposé ma dernière mission, Mama, j’ai feint d’obéir tout en décidant de créer ma propre bombe. Une bombe qui ne fait pas de bruit mais qui est des millions de fois plus puissante qu’une bombe ordinaire.
Mme APPIETTO ― Ah ! Tu me rassures.
MATTEO ― En fait de bombe, j’ai fabriqué un virus !
TOUS ― Un virus !
MATTEO ― Un virus nouveau dont personne ne connaît le vaccin. Un virus qui, parti d’ici, va se transmettre d’un pays à l’autre et que nul ne pourra enrayer avant la contamination du monde entier.
Mme SCHMOLL ― Mon Dieu ! Mais alors, nous sommes tous infectés !
CÉCILE, désigne quelqu’un dans le public. ― Regardez ! Il y en a un qui est déjà tout vert !
MATTEO, en riant. ― Mais non, mon virus ne vous rendra pas malade !
BÉA, s’adresse au spectateur désigné par Cécile. ― Ah bon ? Ch’est normal, monchieur, chette couleur ?
PAULETTE ― Mais alors, ça sert à quoi un virus qui ne rend pas malade ?
MATTEO ― C’est un virus qui annihile toutes les mauvaises pulsions. Plus de méchanceté, plus de jalousie, plus de vengeance, plus de lutte pour le pouvoir ou l’argent… (Il se lève, bras en croix.) Plus que de l’amour, partout et toujours !
Mme APPIETTO, lève la main, agressive. ― Je ne sais pas ce qui me retient… de… te… (Elle se radoucit.) Je me sens bizarre, d’un coup… (Elle se jette soudain dans les bras de son fils :) Mon petitou…
MATTEO ― Tu vois, ça marche, Mama ! Ça marche !
Tous s’exclament et s’embrassent, mais se figent lorsque entre Hugo qui se dirige vers le docteur l’air menaçant.
HUGO ― Vous…. Vous…. Oh, vous ! (Il enlace soudain le docteur et l’embrasse.) Je vous aime, docteur !
Mme SCHMOLL, intervenant aimablement. ― Ah, non !... (Elle repousse Hugo.) Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ! (Elle étreint son mari.)
Les acteurs rient, s’esbaudissent et s’alignent pour chanter le gospel final : « Oh happy day » :
RIDEAU
[1] Suggestion : Symphonie du Nouveau Monde, Dvorak.
[2] Les événements sonores sont des suggestions de mise en scène. Si utilisés, ils doivent faire l’objet d’une déclaration à la SACEM. Mais ils peuvent être ignorés ou substitués par des œuvres libres de droits.
[3] Musique de Nino Rota.
[4] Le Messie, de Haendel.
[5] Raymond Vinci, Henri Martinet, 1946.
[6] L’homme à l’harmonica, Ennio Morricone, extrait du film « Il était une fois dans l’Ouest ».
[7] Vincent Scotto, Gaston Ouvrard, 1932.