Le secrétaire est installé derrière son bureau. Tout au long de la scène, le médecin fera régulièrement une courte apparition sur scène ou appellera la personne suivante. Le premier candidat au vaccin entre, un homme qui a l’air inquiet.
M. PAUVERT – Bonjour.
LE SECRÉTAIRE – Bonjour monsieur ! Vous vous appelez ?
M. PAUVERT – Jean-Paul Pauvert.
LE SECRÉTAIRE, consulte sa liste – Pauvert Jean-Paul, première dose Pfizer.
M. PAUVERT – C’est ça !
LE SECRÉTAIRE – Prenez du gel hydroalcoolique monsieur Pauvert. Bien ! Vous avez rempli l’auto-questionnaire ?
M. PAUVERT, sort différents documents – J’ai rempli le document. J’ai aussi apporté ma carte vitale, mon carnet de santé, mes ordonnances, ma carte d’identité, mon passeport, ma déclaration d’impôt, mon attestation d’assurance parce que je me suis dit…
LE SECRÉTAIRE – La carte vitale et les ordonnances suffisent monsieur Pauvert. Le reste, c’est inutile...
M. PAUVERT – … mon livret militaire, mes factures d’électricité, ma carte d’adhérent à la société de pêche, ma...
LE SECRÉTAIRE – Cet inventaire à la Pauvert est inutile.
M. PAUVERT – Parce que vous savez... je suis un inquiet de nature ! Alors je me suis dit, comme ce vaccin on ne le connaît pas très bien, finalement… C’est vrai ! On le connaît pas très bien ! Je me suis dit que c’était une bonne chose que le docteur me connaisse bien. Au cas où il y aurait une contre-indication… Au cas où le docteur penserait que le vaccin ne me conviendrait pas. Au cas où… Enfin... on ne sait jamais…
LE SECRÉTAIRE – Ne soyez pas inquiet monsieur Pauvert, je vous assure que tout va bien se passer !
M. PAUVERT – Oui ! C’est ce qu’on dit ! Mais moi, je suis fragile ! A cinq ans, j’ai fait une otite qui…
LE SECRÉTAIRE – Vous expliquerez ça au docteur ! Vous pouvez vous asseoir là-bas, on vous appellera.
M. PAUVERT – A huit ans, j’ai avalé une arête de poisson, elle était coincée dans le gosier ! Là, vous voulez voir ? (Il montre, la bouche grande ouverte.)
LE SECRÉTAIRE – Arrêtez cette histoire d'arête s'il vous plaît !
M. PAUVERT – Là ! Regardez !
LE SECRÉTAIRE – Non, non, non, c’est bon ! Vous expliquerez ça au docteur !
M. PAUVERT – Vous êtes certain ? Parce que j’ai amené aussi… (Il sort d’autres documents.)
LE SECRÉTAIRE – Non, non… Ce n’est pas la peine, rangez tout ça, et allez vous asseoir.
M. PAUVERT – Oui ! (Il hésite.) Parce que j’ai entendu dire que le vaccin… Enfin… On ne sait pas trop si… J’ai entendu à la télé que…
LE SECRÉTAIRE – Vous savez, il ne faut pas croire tout ce que… Allez vous asseoir !
M. PAUVERT – Vous êtes sûr ?
LE SECRÉTAIRE – Sûr !
M. PAUVERT – J’y vais à reculons !
LE SECRÉTAIRE – Eh bien, retournez-vous !
M. PAUVERT, va s’asseoir – Y’en a qui disent… (Il se lève, le secrétaire lui fait signe de rester assis.)
LE SECRÉTAIRE – Asseyez-vous ! Le docteur va bientôt vous appeler.
M. PAUVERT– Je sais, il ne faut pas croire tout ce qu’on entend mais quand même !
LE SECRÉTAIRE – Eh bien, pas rassuré le paroissien ! (Une femme d’origine étrangère entre.) Bonjour ! Vous êtes madame ?… Prenez du gel !
LA FEMME – Oui ! Je suis une dame.
LE SECRÉTAIRE – Je vois bien ! Comment vous appelez-vous ? Votre nom ?
LA FEMME – No… va… ko… ko… vitch.
LE SECRÉTAIRE – Comment ?
LA FEMME – No… vako… koko… vitch. (La femme va répéter plusieurs fois, le secrétaire ne comprend toujours pas.)
LE SECRÉTAIRE – Je suis désolé, je ne comprends pas. Asseyez-vous ! Vous n’auriez pas une carte ou quelque chose ? (La femme sort une carte d’identité, le secrétaire lit le nom.) Adriana Novakovitch. D’accord ! (Il consulte sa liste et ne trouve pas ce nom.) Je ne vous ai pas sur ma liste. Vous avez bien rendez-vous aujourd’hui ?
LA FEMME – Oui, oui !
Après un certain temps…
LA FEMME – Je remplace Monsieur Dupuis, mon ami. Lui est venu à place de moi hier matin.
LE SECRÉTAIRE – Ah ! D’accord ! Là ! Dupuis Sébastien, première dose Pfizer. Eh bien, je ne risquais pas de vous trouver sur ma liste ! Vous avez rempli le questionnaire ? Vous pouvez aller vous asseoir là-bas à côté du monsieur. (Chuchotant.) Pouvait pas le dire plus vite !
Un homme entre avec une canne. Il claque des talons, présente son auto-questionnaire pré-vaccinal et utilise le gel hydroalcoolique.
LE SECRÉTAIRE – Monsieur ?
M. BOUGEARD – Robert Bougeard ! Colonel en retraite Bougeard ! (Claquement de talon.) Deuxième dose AstraZeneca ou Moderna, je ne sais plus, c'est pareil !
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. Pauvert sort.)
LE SECRÉTAIRE – Pas tout à fait ! Moderna, c’est cela !
M. BOUGEARD – Questionnaire rempli major !
LE SECRÉTAIRE – Parfait ! Eh bien ! Si tout le monde était comme vous !
M. BOUGEARD – Mais... Monsieur, (Madame, s’il s’agit d’une secrétaire.) on est en guerre ! Le Président l’a dit lors de sa première intervention, on est en guerre… Quand je l’ai entendu, alors j’ai aussitôt... malgré ma patte folle, une balle perdue dans un djebel… aussitôt j’ai sauté dans mon treillis et mes rangers ! On est en guerre ! Pas vrai ?
LE SECRÉTAIRE – Euh… Oui… Euh… Enfin… Faut pas...
M. BOUGEARD – Il a raison le Président ! Il faut mobiliser les troupes ! Contre un ennemi invisible, mais tout aussi coriace ! La guerre je vous dis ! Indochine, Algérie, Liban, dix ans de légion, trois citations, c’est pas un petit virus qui va faire trembler Robert Bougeard ! (Claquement de talon.) Discipline, discipline... le Président a dit de se vacciner, alors vaccinons-nous !
LE SECRÉTAIRE – Bien, bien, bien… Vous pouvez aller vous asseoir là-bas à côté de la personne ! (Une vieille femme entre avec difficulté.) Bonjour madame ! Madame ?
LA VIEILLE DAME – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Vous pouvez vous asseoir ! Vous êtes madame ?..
LA VIEILLE DAME – M’asseoir ? Je ne suis pas fatiguée !
LE SECRÉTAIRE – Bien ! Comment vous appelez-vous madame ?
LA VIEILLE DAME – Je voudrais m’inscrire pour la vaccination.
LE SECRÉTAIRE – On n’inscrit pas ici madame. Vous devez vous inscrire sur Doctolib.
LA VIEILLE DAME – Docteur Libre, je connais point ce docteur-là ! Moi, mon docteur, c’est le docteur Lemoine ! Henri Lemoine ! Et j’veux que lui !
LE SECRÉTAIRE – Non ! Doctolib, madame pas docteur libre ! C’est sur Internet madame ! Vous devez vous inscrire sur Internet !
LA VIEILLE DAME – J’ai point d’Internet et tout le bazar d’ordinateur ! Internet ! On n’entend plus que ça maintenant ! Si t’as pas Internet tu fais plus partie d’ce monde !
LE SECRÉTAIRE – Oui bien sûr ! Je comprends !
LA VIEILLE DAME – Alors, vous allez m’inscrire à votre docteur libre ?
LE SECRÉTAIRE – Non ! Malheureusement, je ne peux pas ! On n’inscrit pas ici. On est juste un centre de vaccination.
LA VIEILLE DAME – En plus, je suis mal voyante et je vis toute seule !
LE SECRÉTAIRE – Je comprends. Je voudrais bien vous aider, mais malheureusement, je n’ai pas la possibilité de donner des rendez-vous, vous voyez ?
LA VIEILLE DAME – Je viens de vous dire que je suis malvoyante !
LE SECRÉTAIRE – Oui... Je veux dire… vous pouvez aussi voir… enfin je veux dire… demander à votre docteur ou votre pharmacien.
LA VIEILLE DAME – Mais, vous... vous ne pouvez point m’aider ?
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (La femme sort.)
LE SECRÉTAIRE – Vous pouvez aussi aller à la mairie, ils vous conseilleront au mieux pour avoir un rendez-vous.
LA VIEILLE DAME – Oui ! C’est ça ! Je vais aller voir le maire, et il va m’entendre, sacré bon sang ! Quelle époque ! Non mais quelle époque ! J’t’en foutrais moi du docteur libre ! En 40, on n’était pas libre, il a ben fallu qu’on se débrouille ! (En sortant, elle croise un homme.)
LE SECRÉTAIRE – Bonjour madame !
M. BUFFET – Non ! Monsieur !
LE SECRÉTAIRE – Excusez-moi ! Monsieur…
M. BUFFET – Buffet… Bernard Buffet. Je suis un peu en avance.
LE SECRÉTAIRE – Pas de problème. Vous avez mis du gel, vous avez bien rempli le questionnaire, vous avez la carte vitale… Impeccable ! Avec vous, c’est commode
M. Buffet ! Première dose... C’est parfait ! Allez vous asseoir à côté du mili… du monsieur.
Un homme entre, prend trop de gel hydroalcoolique, et asperge les feuilles qui sont posées sur le bureau.
M. MOULINET – Oh ! Excusez-moi ! Eh bien, il est drôlement liquide votre gel ! Je suis désolé, j’ai mouillé toutes les feuilles.
LE SECRÉTAIRE – Ce n’est rien, ça va sécher très vite. Vous êtes monsieur ?
M. MOULINET – Moulinet Maurice ! J’ai rendez-vous à 17 h.
LE SECRÉTAIRE – Moulinet Maurice ! 17 h, première dose… Bien ! Vous avez la carte vitale ?
M. MOULINET – Oui !
LE SECRÉTAIRE – Je peux la voir ?
M. MOULINET – Je l'ai laissée à la maison.
LE SECRÉTAIRE – Ben... vous venez de me dire que vous l'aviez !
M. MOULINET – Oui j'ai bien la carte vitale, mais je vous ai pas dit que j'l'ai amenée !
LE SECRÉTAIRE – Bon ! J'espère que vous vous rappellerez de votre numéro de sécurité sociale. Avez-vous rempli l’auto-questionnaire pré-vaccinal ?
M. MOULINET – Non ! J’ai rien !
LE SECRÉTAIRE, lui donne – Voilà ! Vous vous installez à cette table, il y a un stylo. Ensuite vous pourrez aller vous asseoir et patienter avant la consultation avec le docteur qui vous appellera.
M. MOULINET – Bien ! Merci. (Il va s’asseoir, pendant qu’une femme âgée s’avance.)
LE SECRÉTAIRE – Bonjour madame… madame…
MME LEVEAU – Solange Leveau. J’ai rendez-vous à
17 h 55, je suis un peu en avance.
LE SECRÉTAIRE – Pas grave. Leveau Solange… Première dose Pfizer ! Vous avez la carte vitale ? Bien ! Prenez du gel. Attention, il est un peu liquide ! Vous avez le questionnaire ?
MME LEVEAU – Oui ! Voilà !
LE DOCTEUR, apparaît – Bonjour ! Vous pouvez venir monsieur.
M. BOUGEARD, se lève et claque des talons – Bougeard Robert, colonel en retraite. J’avais un copain médecin, je ne sais pas si vous l’avez connu… Rajalut Jean-Paul, qu’il s’appelait ! Avant d’aller en mission, fallait qu’on soit vacciné, palu, typhoïde, fièvre jaune, hépatite et tout le toutim. Et on nous demandait pas si ça nous plaisait…
LE DOCTEUR – Bien sûr, bien sûr…
M. BOUGEARD – Et quand je vois tous ces petits trous du cul qui manifestent dans les rues pour un pet de travers. Moi, j’ai une dysenterie qui me tord les boyaux depuis des années parce que j’ai chopé une saloperie dans les colonies... Et j’emmerde pas le monde avec ça ! Allons-y capitaine ! (Il suit le docteur en continuant de bavarder.)
LE SECRÉTAIRE – Là ! Vous n’avez pas coché toutes les cases ! Installez vous à côté du monsieur là-bas pour finir de remplir.
MME LEVEAU – J’ai pas mes lunettes, alors j’y vois rien !
LE SECRÉTAIRE – Bon ! Je vais vous aider. Asseyez-vous ! (Il va lui poser les questions.) Avez-vous eu un test Covid positif... si oui quelle date ?
MME LEVEAU – Non !
LE SECRÉTAIRE – Avez-vous de la fièvre aujourd’hui ?
MME LEVEAU, inquiète – Non ! Je ne crois pas... Ce serait peut-être bien que je la prenne ?
LE SECRÉTAIRE – Non ! Non ! Avez-vous reçu un autre vaccin que le Covid au cours des deux dernières semaines ?
MME LEVEAU – Non ! Oh ben, c’est compliqué !
LE SECRÉTAIRE – Avez-vous des antécédents d’allergie ayant nécessité une hospitalisation ou hypersensibilité à certaines substances ou avec d’autres vaccins ?
MME LEVEAU – Oui, je digère mal le lait de vache ! Et puis, je ne mange pas d’huîtres. Depuis qu’un jour j’ai été malade… Je ne sais pas si elles étaient fraîches ou quoi... mais j’ai été malade, je vous dis pas ! J’ai vomi, vous auriez vu le travail ! Y’en avait partout ! Alors depuis, j’en mange pas ! Vous aimez les huîtres vous ?
LE SECRÉTAIRE – Euh ! Non… oui !
MME LEVEAU – Et puis après, j’ai eu une colique carabinée ! Je ne vous dis que ça !
LE SECRÉTAIRE – Oui c’est cela ! Vous ne me dites que ça ! Êtes-vous enceinte ?
MME LEVEAU – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Êtes-vous enceinte ? Je suis désolé, c’est dans le questionnaire.
MME LEVEAU – Ben ! Si j’avais un lardon dans le tiroir à mon âge, ce s’rait un comble !
LE SECRÉTAIRE – Allaitez-vous ?
MME LEVEAU – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Allaitez-vous ? C’est dans le… Bon ! Prenez-vous un traitement anticoagulant ?
MME LEVEAU – Non.
LE SECRÉTAIRE – Avez-vous une maladie ou traitement qui altère vos défenses immunitaires ?
MME LEVEAU – Qu’est-ce que ça veut dire ?
M. Moulinet revient avec l’auto-questionnaire. Le secrétaire vérifie.
LE SECRÉTAIRE – Pourquoi avez-vous écrit Momo, là ?
M. MOULINET – Ben ! Nom d’usage. Moi, mon nom d’usage c’est Momo. Tout le monde m’appelle Momo !
LE SECRÉTAIRE – D’accord ! Vous pouvez aller vous asseoir là-bas !
M. MOULINET – Sur une chaise ?
LE SECRÉTAIRE – Ben oui ! Pas par terre ! Alors, madame… Avez-vous une maladie ou traitement qui… Bon ! Vous verrez ça avec le docteur ! Êtes-vous droitière ou gauchère ?
MME LEVEAU – Ah ! J’fais pas de politique moi ! De toute façon, j’aime pas les droitistes, les gauchistes et les extrémistes. Je suis plutôt centriste !
LE SECRÉTAIRE – Non ! Est-ce que vous vous servez plutôt de la main gauche ou de la main droite ?
MME LEVEAU – Ah ! Fallait le dire plus vite ! Alors pour écrire, c’est plutôt la main droite, mais pour servir la soupe, c’est toujours la main gauche, comme pour me brosser les dents. Par contre, quand j’étais petite...
LE SECRÉTAIRE – D’accord ! On va mettre droitière !
MME LEVEAU – Si ça peut vous faire plaisir !
LE SECRÉTAIRE – Je vous laisse vous installer ici, à côté du monsieur. (Une jeune femme est entrée.)
LA JEUNE FEMME – Bonjour !
LE SECRÉTAIRE – Bonjour madame. Vous êtes madame ?...
LA JEUNE FEMME – Je viens pour un renseignement.
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. Buffet sort.)
LE SECRÉTAIRE – Oui !
LA JEUNE FEMME – Je viens pour un renseignement concernant la vaccination des enfants. J’en ai deux.
LE SECRÉTAIRE – Moi aussi.
LA JEUNE FEMME – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Moi aussi, j’ai deux enfants.
LA JEUNE FEMME – Ah !
LE SECRÉTAIRE – Il faut remplir ce document, l’autorisation parentale dans le cadre de la vaccination. Voilà !
LA JEUNE FEMME – Merci ! La présence des deux parents n’est pas obligatoire ?
LE SECRÉTAIRE – Non ! Remplissez bien l’autorisation parentale.
LA JEUNE FEMME – Au revoir ! Et merci ! (Un homme entre.)
L’HOMME – C’est infernal ! Impossible de se garer ! J’arrive pas à m’inscrire sur Doctolib, et en plus il pleut ! Décidément, rien ne fonctionne dans cette ville ! De toute façon, je vais bientôt déménager !
LE SECRÉTAIRE – Bonjour ! Vous avez rendez-vous ?
L’HOMME – Ben non ! Je viens de vous dire que j’arrive pas à m’inscrire sur Doctolib !
LE SECRÉTAIRE – Oui, je sais que c’est parfois compliqué ! Il faut être patient et recommencer !
L’HOMME – Oui ! Mais moi, j’ai pas que ça à faire ! Je travaille, moi !
LE SECRÉTAIRE – Oui ! Moi, je m’amuse !
L’HOMME – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Que puis-je faire pour vous ?
L’HOMME – Eh bien, vous allez me donner un rendez-vous !
LE SECRÉTAIRE – Malheureusement, je n’ai pas la main sur les inscriptions...
L’HOMME, agressif – Je ne sais pas si vous avez la main sur les inscriptions, mais si vous me donnez pas un rendez-vous, vous pourriez bien avoir rapidement la mienne sur la figure !
LE SECRÉTAIRE – Restez calme et poli, monsieur… monsieur…
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. Moulinet sort.)
LE SECRÉTAIRE – Monsieur ?...
L’HOMME – C’est vous qui allez me donner votre nom ! Et, vous entendrez parler de moi ! (Un homme attend.)
LE SECRÉTAIRE – Je suis désolé ! Entrez monsieur, n’ayez pas peur !
L’HOMME, en sortant – Vous entendrez parler de moi ! Ne vous inquiétez pas ! Y’a pas de souci !
LE SECRÉTAIRE – Ne faites pas attention monsieur ! Ce monsieur n’arrive pas à comprendre qu’ici, on ne prend pas les inscriptions, et qu’il faut passer par Doctolib ! Monsieur…
M. BONJOUR, prend du gel – Bonjour !
LE SECRÉTAIRE – Bonjour ! Quel est votre nom ?
M. BONJOUR – Bonjour ! Je suis à l’heure !
LE SECRÉTAIRE – C’est bien. Comment vous appelez-vous ?
M BONJOUR – Bonjour…
LE SECRÉTAIRE – Oui ! Bonjour...
M. BONJOUR – … Stéphane. Stéphane Bonjour !
LE SECRÉTAIRE – Ah ! Excusez-moi ! Bonjour Stéphane, je vois ! Vous avez bien rempli le questionnaire, vous avez votre carte vitale ! Très bien ! Je vous laisse patienter ici, à côté de la dame ! (Un couple entre, l’homme a l’air contrarié.)
LE SECRÉTAIRE – Bonjour monsieur-dame !
MME GINARD – Ginard Andrée et Ginard Robert ! Nous venons pour la première dose. (Ils prennent du gel.)
M. GINARD – C’est quoi comme vaccin ? Parce que, moi, je veux pas de l’« extrazeneca ! » Ils arrêtent pas de dire qu’il est pas si extra que ça !
MME GINARD – C’est AstraZeneca, pas « extrazeneca ! »
M. GINARD – Si c’est pas le vaccin « fizaire », j’en veux pas !
LE SECRÉTAIRE – Vous... il s’agit d’une première dose Pfizer. Vous avez l’air inquiet monsieur ?
M. GINARD – Oh ben… C’est ma femme qui m’pousse, parce que… si y’avait que moi, je viendrais pas ! Je suis pas trop pour !
MME GINARD – Ben oui ! Mais alors, on ne peut plus rien faire ! Plus de sorties, de cinéma…
M. GINARD – Les effets secondaires, hein ! On ne les connaît pas, les effets secondaires !
MME GINARD – Par contre avec le paquet de cigarettes que tu fumes chaque jour et les bières que tu t’enfiles, on les connaît bien les effets secondaires !
M. GINARD – En tout cas, elle aura peut-être ma mort sur la conscience !
LE SECRÉTAIRE – Je vois que vous avez bien rempli les documents, vous allez pouvoir patienter sur les chaises. Quand le docteur vous appelle, vous y allez ensemble. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
M. GINARD, pas rassuré – On verra bien !
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. Bonjour et Mme Leveau se lèvent.)
MME LEVEAU – Je suis arrivée avant vous monsieur.
M. BONJOUR – A quelle heure avez-vous rendez-vous ?
MME LEVEAU – 17 h 55.
M. BONJOUR – Et moi, 17 h 25, je suis à l’heure. Vous, vous êtes en avance, c’est à moi de passer !
LE DOCTEUR, off– La personne suivante s’il vous plaît !
MME LEVEAU – Je suis désolée, mais je suis arrivée avant vous, donc c’est à moi de passer ! N’est-ce pas ?
M. BONJOUR – Il n’en est pas question !
LE SECRÉTAIRE – Écoutez, soyez compréhensif. Il y a des horaires, mais on prend au fur et à mesure des arrivées.
M. BONJOUR – C’est pas la question d’être compréhensif ou pas ! C’est une question de logique c’est tout ! T’arrives à l’heure t’es pris à l’heure, point à la ligne !
LE DOCTEUR, apparaît – La personne suivante s’il vous plaît !
LE SECRÉTAIRE, à Mme Leveau – Allez-y !
MME LEVEAU – Ah ! (Elle suit le docteur.)
M. BONJOUR, agacé – Alors, dans ce cas-là, faut pas mettre d’heure si on peut venir quand on a envie ! C’est pas la peine de mettre des horaires ! (Un homme entre.)
M. GECHAUT – Bonjour ! J’ai rendez-vous pour la vaccination. 17 h 35. Géchaut ! (Il prend du gel.)
M. BONJOUR, à M. et Mme Ginard – C’est vrai ! Moi j’arrive à l’heure ! Donc je suis pris à l’heure ! Je sors pas de là ! Si tout le monde vient en avance, ça sert à rien d’être à l’heure. Parce que tout le monde te passe devant et du coup, toi qu’étais à l’heure, eh bien tu passes en retard ! Vous êtes d’accord avec moi !
LE SECRÉTAIRE – Comment ?
M. GECHAUT – 17 h 35. Géchaut !
LE SECRÉTAIRE – Avez-vous pris votre température avant de venir ?
M. BONJOUR – En fait, faut venir en avance pour passer à l’heure !
M. GECHAUT – Ma température ? Non, je ne savais pas !
LE SECRÉTAIRE – Bon ! Vous verrez avec le docteur. Votre nom ?
M. GECHAUT – Géchaut Jean-Pascal.
LE SECRÉTAIRE – Géchaut… Ah ! Oui, pardon ! Euh ! Deuxième dose Pfizer. Avez-vous bien rempli le questionnaire ?
M. GECHAUT – La première fois, oui. Mais je ne savais pas qu’il y en avait encore un !
LE SECRÉTAIRE – Je vous le donne. Vous remplissez la partie blanche. Là, vous avez une table et un stylo. Ensuite vous pourrez patienter à côté, le docteur vous appellera. (Un couple de personnes âgées entre et dit bonjour.) Bonjour monsieur-dame.
M. VOISIN – C’est bien ici le centre de vaccination contre le « covice » ?
LE SECRÉTAIRE – Oui ! Vous avez rendez-vous ?
M. VOISIN – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Vous avez rendez-vous ? Quel est votre nom ?
M. VOISIN – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Votre nom ?
M. VOISIN – Voisin René et Voisin Simone.
LE SECRÉTAIRE, cherche – Prenez du gel s’il vous plaît. Vous aviez rendez-vous à quelle heure ?
M. VOISIN – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Vous avez rendez-vous à quelle… Ah, je vous ai trouvés sur ma liste... Deuxième dose AstraZeneca ! Vous avez une heure d’avance.
M. VOISIN – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Vous avez une heure d’avance, mais ce n’est pas grave on va vous prendre.
M. VOISIN – Ben oui ! Comme on avait fini nos courses, on s’est dit qu’on pouvait venir avant. Hein, maman ?
LE SECRÉTAIRE – Avez-vous les questionnaires ?
M. VOISIN – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Les questionnaires à remplir avant la vaccination !
M. VOISIN – Y’a encore quelque chose à remplir ? T’es au courant, toi maman ?
MME VOISIN – Ben oui ! On a rempli ça hier avec Chantal ! (Elle va chercher dans son sac.)
LE DOCTEUR, off – Personne suivante !
M. BONJOUR, de mauvaise foi – Ah ! Quand même ! C’est à moi cette fois ? Parce que si je dois encore attendre, il faut le dire ! (M. Bonjour sort.)
M. VOISIN – Chantal, c’est notre fille. Ben… Heureusement qu’on l’a pour nous aider, parce que… à notre âge… (Mme Voisin va sortir un fourbi qu’elle dépose sur la table.) Et notre fille, elle nous a dit que le docteur nous donnerait un papier.
LE SECRÉTAIRE – Oui ! Le médecin va vous remettre un passe sanitaire.
M. VOISIN – Il faut passer aux sanitaires ? Tu savais ça, toi maman ?
MME VOISIN – Bon sang ! Je suis sûre que je les ai mis dans mon sac avant de partir !
LE SECRÉTAIRE – Non ! Le docteur va vous remettre un document. Un passe sanitaire qui dit que vous êtes vaccinés !
M. VOISIN, à sa femme – Ce que tu peux être fouillis quand même !
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. et Mme Ginard sortent.)
MME VOISIN – Oh, ben toi, c’est facile… Tu t’occupes de rien, t’es juste bon à râler !
LE SECRÉTAIRE – Ce n’est pas très grave, j’ai des documents ici, vous allez pouvoir…
MME VOISIN – Pas question ! On a déjà pris assez de temps hier à les remplir avec notre fille ! Et je sais bien que je les ai mis là-dedans ! Tartiflette de tartiflette !
M. VOISIN – Qu’est-ce que t’as besoin de mettre tout ce bazar dans ton sac !
MME VOISIN – T’occupe pas, c’est pas tes affaires ! Où c’est donc que j’ai pu les fourrer ?
M. VOISIN, au secrétaire – A la maison, c’est pareil. Elle est toujours en train de chercher quelque chose !
MME VOISIN – Pas dans cette poche-là ! Pas celle-là non plus ! Foutus questionnaires !
LE SECRÉTAIRE – Laissez ! En voici, vous en avez pour une minute !
M. VOISIN – Comment ?
MME VOISIN, s’écrie – Ça y est ! J’ai trouvé ! Les voilà !
Tu vois papa, je perds jamais rien, moi ! (Elle tend les feuilles et va commencer à remettre tout ce qu’elle a sorti dans son sac.) Il suffit de pas s’énerver et on retrouve toujours tout !
LE SECRÉTAIRE – Bon ! Allez vous asseoir sur les chaises !
M. VOISIN – Comment ?
LE SECRÉTAIRE – Vous pouvez patienter là, sur les chaises ! Quand le docteur vous appellera, vous pourrez y aller ensemble. Vous serez ensuite pris en charge par l’infirmière.
M. VOISIN – Eh bien ! Tu viens maman ! (Mme voisin termine son rangement et ils vont s’asseoir.) Il paraît qu’il faut passer aux sanitaires avant, Chantal nous avait pas dit ça ! Si j’ai pas envie, j’vais quand même pas m’forcer !
MME VOISIN – Mais non ! C’est pas ça, t’as rien compris… (Ils continuent de parler entre-eux.)
LE DOCTEUR – Bonjour, c’est à vous ? Venez ! (M. Géchaut sort.)
Un homme entre en tenue de sport, essoufflé. Un autre attend derrière; lunettes de soleil, téléphone portable, air supérieur...
LE SECRÉTAIRE – Bonjour monsieur. Vous vous appelez ?...
LE SPORTIF, essoufflé – Ouf, ouf, ouf !...
LE SECRÉTAIRE – Reprenez votre souffle ! Vous avez rendez-vous à quelle heure ?
LE SPORTIF – Ouf, ouf, ouf !… Je n’ai... pas… rendez-vous… Je... Ouf, ouf, ouf !…
LE SECRÉTAIRE – Ah ! Le problème, c’est que pour être vacciné ici, il faut être inscrit.
LE SPORTIF – Ah bon ?
LE SECRÉTAIRE – Vous avez essayé Doctolib ?
LE SPORTIF – Non ! Ma femme… m’a dit… tu peux y aller comme ça... sans rien !
LE SECRÉTAIRE – Oui, mais il faut quand même s’inscrire sur Doctolib.
LE SPORTIF – Doctolib, ça marche à quatre heures du matin ! Et moi, à cette heure-là, je dors !
LE SECRÉTAIRE – Oui, je sais que c’est parfois difficile.
LE SPORTIF – Vous aurez peut-être une dose supplémentaire ?
LE SECRÉTAIRE – Je ne sais pas… En fin de journée, c’est possible.
LE SPORTIF – Bon ! Eh bien, je vais continuer mon jogging ! Je repasserai ou je verrai ça plus tard ! Parce que je suis en plein TBC.
LE SECRÉTAIRE – TBC ? C’est grave ?
LE SPORTIF – TBC Total Body Challenge.
LE SECRÉTAIRE – Ah oui !
LE SPORTIF – J’harmonise avec le Total workout Full Body.
LE SECRÉTAIRE – Ah oui !
LE SPORTIF – C’est ce qui me permet d’avoir ce corps d’athlète superbe.
LE SECRÉTAIRE – Ah oui !
LE SPORTIF – Ça me regarde pas, mais vous devriez vous y mettre, vous !
LE SECRÉTAIRE – Ah oui ?
LE SPORTIF – Allez, bye !
Il sort en courant, près de bousculer une femme qui entre et passe devant l’homme toujours au téléphone.
LA FEMME – Bonjour ! Est-ce que vous faites les tests « antihygiéniques ? »
LE SECRÉTAIRE – Bonjour ! Les tests ?...
LA FEMME – Oui ! Le test pour savoir si on a la « covique. »
LE SECRÉTAIRE – Non, ici c’est un centre de vaccination. On ne pratique pas les tests. Mais chez votre médecin ou à la pharmacie !
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. et Mme Voisin sortent.)
LA FEMME – Ben non ! A la pharmacie, ils le font plus, ils disent qu’ils sont débordés.
LE SECRÉTAIRE – Ah ! Je ne sais pas, parlez-en à votre docteur. Je crois que c’est le mieux.
LA FEMME – Bon ! Au revoir ! (L’homme aux lunettes de soleil avance. Pendant son dialogue, il joue l’homme important, débordé.)
M. MICHOUD – Bonjour ! Patrick Michoud. J’ai rendez-vous.
LE SECRÉTAIRE – Bonjour ! Oui, première dose Pfizer ! Prenez du gel monsieur. Vous avez l’auto-questionnaire et la carte vitale ?
M. MICHOUD – Non je n’ai rien, euh... la carte oui. Parce que je vends des… (Il répond au téléphone, le secrétaire lui tend le questionnaire et attend.) Oui… Non… (Il raccroche.)
LE SECRÉTAIRE – Vous pourrez vous installer à la table pour remplir… Et après vous irez vous asseoir là-bas.
M. MICHOUD – Oui, parce que j’ai une entreprise de… (Il reprend le téléphone et s’éloigne vers la table.) Oui…
Un homme entre.
M. GILBERT – M’sieur-dame !
LE SECRÉTAIRE – Bonjour monsieur ! Vous vous appelez ?
M. GILBERT – Gilbert !
LE SECRÉTAIRE – Monsieur Gilbert ! Oui, j’ai vu ce nom… Gilbert Gilles. AstraZeneca deuxième dose ! Prenez un peu de gel s’il vous plaît.
M. GILBERT – Oh non, j’arrête de me mettre de ce machin-là, j’ai fini par avoir plein d’allergies !
LE SECRÉTAIRE – Ah bon ! C’est ennuyeux !
M. GILBERT – Ouais ! Tu peux plus mettre un pied dehors sans être obligé de te coller de ce bazar-là sur les mains !
LE SECRÉTAIRE – C’est vrai, mais c’est pour votre sécurité ! Et celle des autres ! Vous en avez parlé à votre docteur ?
M. GILBERT – L’autre jour, j’avais les mains pelées comme des patates…
LE SECRÉTAIRE – Effectivement, vous avez les mains sensibles. Il doit y avoir en pharmacie, des crèmes pour vous soulager.
M. GILBERT – Oui ! Il va falloir que je voie ça.
LE SECRÉTAIRE – Autrement, ça a été avec la première dose ? Pas de problème d’allergie, d’effet secondaire ?
M. GILBERT – Oh ! Ben quand même si ! D’abord, j’ai eu un mal de chien au bras ! Comme si un tracteur avait
décidé de stationner sur mon épaule pendant tout un week-end ! Et puis, j’ai eu la langue qu’est devenue toute bleue et qu’a gonflé comme celle d’un bœuf !
LE SECRÉTAIRE – Ah quand même ! Autre chose ?
M. GILBERT – Oui ! J’ai eu des boutons partout sur le corps, des gros boutons, ça ressemblait un peu à ceux de la petite vérole dans le temps. J’ai vu un documentaire à la télé là-dessus !
LE SECRÉTAIRE – A ce point-là, vous m’inquiétez ! Ce n’est peut-être pas prudent de… Il faut absolument en parler au docteur qui va vous recevoir.
M. GILBERT – Des boutons… pas jolis. Il sortait du pus… Pof… ça éclatait… Ça en mettait partout ! Beurk ! Regardez, on voit encore ! (Le secrétaire se penche pour regarder.)
LE SECRÉTAIRE – Je ne vois rien !
M. GILBERT, éclate de rire – C’est normal, c’est des blagues que j’te raconte !
LE SECRÉTAIRE, pincé – Vous savez, je n’ai pas que ça à faire, il y a des gens qui attendent !
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. Michoud sort.)
M. GILBERT – Gégé Animations ! Ça ne te dit rien ? (Le secrétaire fait signe que non.) Ben oui, Gégé comme deux G. Gilbert Gilles. Du coup, tout le monde m’appelle Gégé !
Gégé Animations ! J’anime des soirées, des maisons de retraite, des comités d’entreprises… Je raconte des blagues, je chante, je fais aussi quelques tours de magie et quelques imitations…
LE SECRÉTAIRE, de marbre – Formidable !
M. GILBERT – Je te fais quelques imitations, tu vas voir ! (Il va faire quelques imitations, Bourvil, de Funès....) Ça fait deux fois que vous me faites le coup… Mes chaussures... maintenant mon vélo… Oh ! Ma biche !...
LE SECRÉTAIRE – C’est bon monsieur ! On n’est pas au spectacle ici ! Il y a des gens qui attendent dehors.
M. GILBERT – Je peux te chanter un petit truc aussi… (Il commence à entonner un refrain.)
LE SECRÉTAIRE, le coupe aussitôt – C’est bon, c’est bon ! Ce n’est vraiment ni le moment, ni l’endroit !
M. GILBERT – T’as vu ! Tu y as cru lustucru à mes histoires de langue et de boutons ! Ce que je peux être drôle quand même ! Non ?
LE SECRÉTAIRE, de marbre – Hilarant !
M. GILBERT – Oui ! Hilarant ! Déjà tout petit j’étais un rigolo. A l’école je faisais rire tout le monde... sauf la maîtresse. Et ma grand-mère me l’disait... Toi, mon petit Gilbert, qu’elle me disait, t’as pas fini de nous étonner, t’as une bonne tête de vainqueur, t’iras loin !
LE SECRÉTAIRE – Vous avez la carte vitale ? Bien ! Je vois que vous n’avez pas d’auto-questionnaire pré-vaccinal ? En voici un ! Vous allez vous installer à la table là pour le remplir avant de passer voir le médecin.
M. GILBERT – Ok ! J’te pose là des petites cartes Gégé Animations pour me faire un coup d’pub ! Y’a du monde qui passe ici. Ça peut intéresser des gens. Toi par exemple…
LE SECRÉTAIRE – Non merci, c’est bon ! Mais n’hésitez pas à raconter vos histoires de langue gonflée et de boutons au docteur, je suis certain que ça l’amusera beaucoup !
M. GILBERT – Bon ! C’est là que j’m’installe ?
LE SECRÉTAIRE – Oui, pour remplir le document. Ensuite vous patientez ici, le docteur vous appellera.
Le secrétaire profite de ce moment pour passer une lingette désinfectante sur les tables et les stylos. Deux femmes s’avancent, l’une est très pâle.
LE SECRÉTAIRE – Bonjour mesdames. Vous vous appelez ?
LA DAME – Moi je suis vaccinée, j’accompagne madame Godineau Christine.
LE SECRÉTAIRE – Godineau Christine… Prenez un peu de gel... Pfizer, première dose… (Christine Godineau ne semble pas au mieux.)
LA DAME, tout bas au secrétaire – Elle ne supporte pas les piqûres. C’est pour ça que je l’accompagne.
LE SECRÉTAIRE – A-t-elle rempli le questionnaire ?
LA DAME – Oui, j’l’ai dans mon sac, avec sa carte vitale.
LE SECRÉTAIRE, à Christine Godineau – Il ne faut pas vous inquiéter madame. Tout va bien se passer. (Christine Godineau s’appuie sur son amie et semble défaillir.)
LA DAME – Elle souffre de bélénophobie.
LE SECRÉTAIRE – De bélé… quoi ?
LA DAME – Bélénophobie.
LE SECRÉTAIRE – Qu’est-ce que c’est que ça ?
LA DAME, toujours très bas – Elle a une peur phobique des piqûres. Mais chut !
LE SECRÉTAIRE, à Christine Godineau – Il ne faut pas vous inquiéter ! Tout va bien se passer. Nos infirmières sont très douces. Il ne faut pas avoir peur des aiguilles. (Christine Godineau s’effondre aussitôt.)
LA DAME – Vous êtes fou ! Il ne faut jamais prononcer ce mot ! (Elle s’occupe de son amie.)
LE SECRÉTAIRE – Qu’est-ce que j’ai dit ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
LA DAME – Ça va aller ma petite Christine. (Elle lui tapote les joues, va l’aider à se relever.)
LE SECRÉTAIRE – M’enfin, je n’ai rien dit !
LA DAME – Viens… Ça va aller… Relève-toi doucement… (Au secrétaire.) Vous ! J’vous jure !
LE SECRÉTAIRE – M’enfin ! J’ai rien dit ! Je lui ai dit seulement qu’il ne faut pas avoir peur des aigui…
LA DAME, le coupe en criant – Ah… Eh… Ah… Eh… Vous le faites exprès ou quoi ?
LE SECRÉTAIRE – Mais enfin !…
LE DOCTEUR, off – Personne suivante ! (M. Gilbert sort.)
LA DAME, fort – Je vous dis qu’elle ne supporte pas d’entendre le mot aiguille... c’est pas compliqué ! (Son amie s’effondre à nouveau.)
LE SECRÉTAIRE, au public – Vous allez voir, que ça va encore être de ma faute !
LA DAME – Oh ! Christine, ma chérie ! Calme-toi ! (Elle l’aide à nouveau à se relever.) Vous ! J’vous jure !
LE SECRÉTAIRE – Qu’est-ce que je vous avais dit !
LA DAME – Viens t’asseoir. Allons… Ne sois pas aussi émotive… Il faut être raisonnable…
LE SECRÉTAIRE, plus bas – Tu parles d’un cirque… Un gamin de cinq ans ferait moins de cinéma. Tout ça pour une malheureuse piqu…
LA DAME, l’œil noir – Je vous entends, vous savez…
LE SECRÉTAIRE, regarde sa liste – Ah ! Elle est la dernière aujourd’hui, la bélénomachinchose !
LA DAME, l’œil noir – Je vous entends, vous savez…
L’infirmière fait irruption avec une énorme seringue. A sa vue, Christine Godineau s’effondre à nouveau.
L’INFIRMIÈRE – Qu’est-ce qu’elle fait par terre ?
LA DAME – Elle fait un malaise ! Un malaise au centre de vaccination !
LE SECRÉTAIRE – Elle est dans une sorte d’impasse sanitaire !
MME GODINEAU, relevant la tête – Je vous entends, vous savez…
L’INFIRMIÈRE – Impasse sanitaire ! Impasse sanitaire ! J’t’en ficherais moi de l’impasse sanitaire ! Il me reste deux doses supplémentaires aujourd’hui. (Elle s’adresse au public.) Je voudrais savoir s’il y a des volontaires ? Non ? On va quand même pas gaspiller ! (L’infirmière va taquiner le public.) Il y a bien quelqu’un qui n’est pas vacciné… Non ? Ce serait quand même dommage de gâcher ! Vous monsieur ? Madame ? Non ? (De l’eau va s’échapper de la seringue.) Ah ! Ben zut ! Je ne sais pas si vous êtes vaccinés, mais en tout cas, vous voilà baptisés !
RIDEAU
La pièce Impasse sanitaire au centre de vaccination, a été créée à Yquelon (Manche), le vendredi 2 décembre 2022 par la troupe Entre Scène et Mer. Elle fait partie du répertoire de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques).