Je t’aime comme je suis.

Lorsqu’elle rentre du boulot, Jo apprend de son compagnon, Gaétan, qu’il planque son ami Mouloud dans la chambre de bonne inoccupée de leur immeuble, suite à un braquage qui a mal tourné (omettant bien sûr de préciser qu’il est complice de Mouloud).
Mouloud, menotté, envahissant et gaffeur, sème le trouble dans la vie de ce couple très amoureux, qui tente de gérer, tant bien que mal, éducation et origine sociale opposées. Et quand Mouloud ouvre par maladresse un mystérieux colis, qu’il ne fallait pas ouvrir, quiproquos et événements s’enchaînent.

Trois personnages, chacun à leur manière sympathiques, tantôt drôles, tantôts émouvants pour une comédie vivifiante aux dialogues croustillants.

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Liste des personnages (5)

JOSETTE dite JOFemme • Jeune adulte/Adulte • 233 répliques
- JO (de son vrai prénom Josette), âge 30 à 50 ans. D’origine modeste, fille d’un sidérurgiste militant syndical, c’est une battante qui a réussi dans ses études supérieures et qui en accédant à des responsabilités professionnelles importantes s’est éloignée de ses origines et de sa famille.
GAETANHomme • Jeune adulte/Adulte • 283 répliques
GAETAN (de son vrai prénom Dagobert-Gaëtan De Belfontaine), le parcours inverse de Jo : fils d’aristocrates, magnats de l’industrie, enfance dorée, très baba-cool, il a multiplié les conneries, a bâclé ses études et a choisi d’être éducateur, se trouvant ainsi renié par sa famille. Accompagne Mouloud lors de ses braquages… A l’insu de Jo.
MOULOUDHomme • Jeune adulte/Adulte • 220 répliques
- MOULOUD, ami de Jo et Gaétan, même tranche d’âge. De son vrai nom Jean-Baptiste, il se fait appeler Mouloud pour faire plus vrai avec ses activités louches (trafics, braquages…). Recherché par la police suite à un braquage qui a mal tourné, il vient se mettre à l’abri chez son complice au casier vierge.
JEFF (toujours en off)Homme • Jeune adulte/Adulte • 14 répliques
Toujours en off au téléphone. Ami du couple
MARJORIEFemme • Jeune adulte/Adulte • 13 répliques
MARJORIE : amie du couple (toujours en off au téléphone).

Décor (1)

DECOR UNIQUELe salon d'un appartement confortable.

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ACTE 1

 

SCENE 1

JO - GAETAN

 

Le rideau s’ouvre sur le salon. Des vêtements, des canettes de bière et de la vaisselle traînent ici ou là sur le canapé, sur les chaises et au sol. Bruit de clé dans la serrure. Jo (élégante, attaché-case.) rentre du boulot, s’immobilise et contemple ébahie son salon.

JO – Non mais je rêve ! C’est quoi ce bordel ? (Elle fonce vers l’autre porte et hurle.) Gaëtan ! Gaëtan ! (Elle revient toujours énervée et commence à mettre un peu d’ordre.) Ah le porc ! C’est pas possible… Pire que d’habitude ! (Tandis qu’elle s’affaire, Gaëtan apparaît à la porte d’entrée, débraillé et nonchalant).

GAETAN – Coucou, chérie !

JO – Ah ben te voilà ! Tu peux m’expliquer ?

GAETAN – T’expliquer quoi ?

JO – Mais tout ca ! C’est quoi ? Une tornade ?

GAETAN (un peu agacé) – Oh lala !

JO - Alqaïda ? Un attentat !... Une perquisition ?

GAETAN – Ah ! Là, Jo, tu approches.

JO – Quoi ? J’approche… La perquisition ?

GAETAN – Oui, mais pas ici…

JO – Gaëtan ! Accouche !

GAETAN (il la regarde gêné) – Mouloud !

JO – Quoi Mouloud, ne me dis pas qu’il est venu ici !

GAETAN – Ben… Si.

JO – Je comprends mieux (elle vient lui renifler l’haleine)… Et en plus, tu as bu !

GAETAN – Tout de suite : j’ai bu ! Je me juis zuste déjaltéré… Ze me juis zuste... Juste…

JO – Eh ben… T’alignes même plus deux mots !

GAETAN – Deux mots ! Faut toujours que tu éza que tu exég…que tu é-xa-gères !

JO – Tu vois !

GAETAN – Jo, tu sais que j’ai toujours eu du mal avec ce genre de mot comme “ ezag-gérer “. Et pourtant, je m’entraîne : “je veux gé xé zige“, non… “Je veux zé zé xi gue…“

JO – “Je veux et j’exige“, bon… Venons-en aux faits : Mouloud ! Il est venu faire quoi ?

GAETAN – Ben…

JO – J’attends !

GAETAN (se faisant attendrissant) – Tu sais Jo, Mouloud, il a de gros soucis.

JO – Non : pas possible ! Mouloud : des soucis ! Mais c’est pas un scoop : il est programmé pour les emmerdes comme le paratonnerre pour la foudre.

GAETAN – Oui mais là…

JO – Bref il a des emmerdes et il est venu te taper… Combien ?

GAETAN – Tu te trompes Jo !

JO – Il t’a pas tapé ? (Il fait non de la tête.)… 100 euros ?... 50 euros ? Même pas 10 euros ?

GAETAN – Rien.

JO – Alors là…

GAETAN – Mais… Mais… (Il ravale sa salive.)

JO – Oh lala ! J’aime pas ce “Mais“… Je sens venir l’aveu de la grosse connerie… Mais quoi ?

GAETAN – Ben… (Silence gêné) Il peut plus rentrer chez lui, son appartement a été perziqui… perquisitionné. Y-a autant de keufs dans son salon que de candidats présidents au salon de l’agriculture !

JO – Je vois ! Et ils sont sensés chercher quoi les flics dans son appartement ?

GAETAN – Bon, tu le connais… Y’avait des trucs… Des produits plus ou moins autorisés

JO – Plutôt moins à mon avis !

GAETAN – Des tas de trucs aussi, tu sais : du genre tombés des camions.

JO – Tombés des camions ! Ben tu m’étonnes ! Encore ce soir en rentrant, j’ai du slalomer sur le périph’ entre les palettes de congélateurs et les cartons de MP3. Bon, Mouloud… S’il est pas venu pour te taper, il voulait quoi ?

Gaëtan lève les yeux au ciel, la regarde, elle ne comprend pas. Il recommence une fois puis une autre, accompagnant son regard avec son bras et son index levés vers le plafond.

Oh non ! La chambre de bonne sous les toits ! Ne me dis-pas que tu planques Mouloud là-haut ?

GAETAN – Ben… Si, je te le dis.

JO – T’es con ou quoi ? Tu sais ce qu’on risque ?

GAETAN – Tu voulais quoi Jo ? Que je le laisse à la rue.

JO – Mais il a des potes en pagaille ! S’il préfère venir ici c’est uniquement parce qu’on est clean et qu’il se sait en sécurité.

Silence.

GAETAN – Bon alors… Maintenant, on fait quoi.

JO – Rien ! C’est trop tard pour reculer : t’as décidé tout seul, tu te démerdes tout seul. Mais, je te préviens, ton Mouloud… Je lui donne 48 heures pour trouver une autre planque, 48 heures ! Pas une de plus !

GAETAN –Je le savais… Jo, je t’adore. (Il s’avance vers elle pour l’embrasser.)

JO (s’échappant) – Ne me touche pas ! Je suis en colère et… Et je vais prendre une douche, ça me calmera. Et tu sais pas hein, … Et bien t’en profites pour me remettre ce salon comme il était avant le passage des hordes barbares !

Elle sort vers l’appartement et continue à parler en off.

Et tu te changes, parce que tu pues la bière et les ships, Dagobert-Gaëtan de Belfontaine !

GAETAN (à lui-même) – J’aime pas quand elle m’appelle “Dagobert- Gaëtan de Belfontaine“.

JO (off - qui l’entend parler au public) – C’est pourtant bien ce qu’il y a d’écrit sur ta carte nationale d’identité, mon chéri.

GAETAN (ignorant Jo, il continue à se parler à lui-même ou public tout en changeant de chemise) – A vrai dire, si j’avais choisi, je me serais appelé Michel Dupont, Gérard Martin, François Pignon ou François Hollande ou Fillon… Un truc con, qui passe inaperçu quoi…

JO (off) – Ouais, mais voilà, monsieur est né “Vicomte De Belfontaine “.

GAETAN (prenant le public à témoin) – C’est pas de bol hein ? Un père aristo, une mère héritière d’un magnat de l’industrie chimique… Vous auriez fait quoi à ma place ?

On entend légèrement le bruit de la douche. Jo hausse sa voix.

JO (off) – Tu veux j’ te dise, vicomte ? Et ben à ta place ils auraient assumé, tous, sans exception ! Ils auraient tout accepté : la particule, le château, les usines, les Ferrari et le pognon. Les gens, c’est comme ça, Dagobert !

GAETAN (enlevant son pantalon pour en enfiler un autre trouvé dans le salon) – Arrête avec ce prénom !

JO – Moi j’aime bien… Dagobert. C’est beau. Beau et rare.

GAETAN – Je vous dis pas comment j’en ai chié dès l’école primaire avec ce prénom ridicule ! Vous imaginez ?

JO (qui justement se met à chanter) – C’est le roi Dagobert qu’a mis sa culotte à l’envers…

GAETAN – Qu’est-ce que je vous disais !

Il s’aperçoit justement qu’il est train d’enfiler son pantalon à l’envers, tandis que Jo continue à chanter sous la douche.

Non mais là, aujourd’hui, ça va trop loin. Ça tourne au harcèlement moral… (Regardant ses jambes nues). Voire harcèlement sexuel !

Il réajuste son pantalon, s’énerve se prend les pieds dans la ceinture.

La porte d’entrée s’ouvre, Mouloud entre, il dissimule ses mains sous un imperméable.

 

 

 

 

SCENE 2

MOULOUD – GAETAN - JO

 

MOULOUD – Qu’est-ce tu fous à moitié à poil… (Il entend Jo chanter)… Ah ! Elle est rentrée la princesse ?

GAETAN (finissant de se rhabiller) – Ouais et un peu nerveuse… Je l’ai affranchie pour toi…

MOULOUD – Tu lui as tout dit ?

GAETAN – Ben non juste que t’étais hébergé là haut suite à une perquis chez toi.

MOULOUD – Et alors ?

GAETAN – Ben t’as 48h de répit, après faut que tu dégages ailleurs.

MOULOUD – C’est bon. D’ici 48h le dispositif policier sera relâché. Je pourrai sortir… (Prêtant l’oreille au bruit de l’eau.) Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle prend une douche ? (Il va passer la tête par la porte de l’appartement.)  Hé… Mais elle est toujours aussi bien roulée la princesse hein !

GAETAN (Il attrape Mouloud par le bras et le ramène vers le centre de la pièce) – Jo, je t’ai déjà dit de fermer la porte de la douche.

(à Mouloud) Comment ça : “elle est toujours aussi bien roulée“ ? Tu l’as déjà vue à poil ?

MOULOUD – Ben… Oui… Peut-être… Sans doute.

GAETAN – Où et quand ?

MOULOUD – Je sais plus bien… Attends… Une porte ouverte comme aujourd’hui ? A la piscine en maillot ?... Ou plutôt dans les vestiaires quand on était tous les trois au club d’athlétisme… Tu te rappelles… Tiens : le dernier meeting à Charlety ?

GAETAN –  Evidemment !... ça fait… 15, 16 ans… Non plus de 20 ans déjà (adapter à l’âge des comédiens)

MOULOUD – Bon, c’est pas tout faut que tu trouves une solution pour ça ! (Il tend vers l’avant ses deux mains menottées).

Jo apparaît alors  à l’entrée de l’appartement en peignoir, s’essuyant les cheveux.

JO (apercevant les menottes de Mouloud) – Eh oh ! C’est quoi ça ?

MOULOUD – Euh… Bonjour Jo ? Tu… Tu… Tu es ravissante.

GAETAN – Euh… N’est-ce pas ?

JO – Dagobert- Gaëtan ! Tu m’as pas tout dit : c’est quoi les menottes aux poignets du Ben Laden du 9-3 ?

MOULOUD – Je vais t’expliquer princesse.

JO – Toi… Ta gueule ! Et tu m’appelles pas princesse !

MOULOUD – Comme tu veux prin…

GAETAN – Eh ben voilà. En réalité, c’est un peu plus compliqué. Mouloud voulait faire un cadeau à sa copine, Sabrina… Tu sais que Mouloud vit avec Sabrina depuis…

MOULOUD – Huit mois et 3 jours demain… C’est mon record de durée.

GAETAN – Donc Mouloud voulait faire …

JO - … faire un cadeau à Sabrina OK !

MOULOUD – Eh ! Vous savez que les parents de Sabrina vivent à Marseille et que pour…

JO – Ta gueule Mouloud ! Cherche pas à m’embrouiller. Laisse parler le Vicomte de Belfontaine.

GAETAN – Euh… Oui, donc… Cadeau pour Sabrina, alors Mouloud a pensé à des bijoux. Et pour trouver des bijoux il faut aller dans…

JO – Dans une bijouterie ! Je devine la suite. Mais on va pas dans une bijouterie pour “trouver“ des bijoux, comme tu dis mon chéri, mais pour les y acheter… A moins de s’appeler Mouloud Aziz Boukerba de son identité… Fausse d’ailleurs.

MOULOUD – Mais c’est ce con de bijoutier, il a déclenché l’alarme ! Et manque de bol, y-avait une fourgonnette de keufs qui passait au même moment… Ils me sont tombés dessus à 4... Menotté, fourgonnette, sirène, tout le toutim quoi ! Mais, j’ai réussi à sauter à un feu rouge et tu m’connais … je m’entraîne toujours pour le marathon, je leur ai mis au moins 200m dans la vue… Tu te souviens princesse comme tu aimais courir toi aussi ?

JO – Cherches pas à m’émouvoir Mouloud. A défaut de bijoux pour ta Sabrina, t’as quand même ramené des bracelets. T’es vraiment un éternel Looser…. Tétais armé pour la bijouterie ?

MOULOUD – Je te jure princesse, j’avais juste emprunté le flingue Fisher Price de Loïc… C’est le fils de Sabrina, un chouette môme, il a 5 ans. Mais il est pas de moi parce que…

JO – Parce que tu n’es avec Sabrina que depuis huit mois, et que le môme il a 5 ans, je sais compter Mouloud !

MOULOUD – Huit mois et trois jours.

JO – M’en fous.

MOULOUD (petite voix) – 3 jours, demain.

JO – Fais pas chier !

MOULOUD – Oui princesse.

JO – M’appelle pas “princesse“

GAETAN – Je t’appelle comment alors, princesse ?

JO – Tu m’appelles pas. Tu m’adresses plus la parole.

MOULOUD – Mais c’est pas possible, je vais vivre ici…

JO (le bras et l’index levés) – Tu vas vivre là haut, et… 48h maxi. Après tu dégages.

GAETAN – Tu es dure.

JO – Il dégage ! C’est comme ça : moi aussi je mets à la mode, c’est mon printemps arabe !

MOULOUD – Tu le sais très bien qu’en réalité, je suis pas vraiment arabe et que mon vrai prénom c’est Jean-Baptiste.

GAETAN – J’ai jamais compris cette connerie ! Quand je pense à tous ces vrais Mouloud qui donneraient jusqu’à la planque de leur dealer pour pouvoir s’appeler Jean-Baptiste !

MOULOUD – Avec mon taf, je pouvais pas m’appeler Jean-Baptiste.

GAETAN (sceptique) – Ouais… Bon…

MOULOUD – Quoi « Ouais bon » ? Mes revendeurs, ils sont efficaces parce que quand y-a un lézard, ils ont juste à dire (Il prend une voix grave et menaçante.) : « Tu paies ou tu préfères avoir à faire direct avec Mouloud ?... Tandis que la même phrase avec “Jean-Baptiste“…

GAETAN – Ben quoi avec Jean-Baptiste ?

MOULOUD – Bon ! Je te la fais ! (Il prend une voix douce, efféminée) « Si tu paies pas, je te préviens, je vais finir par aller en  parler à Jean-Bapt ! »

GAETAN – T’es faussaire jusque dans ta race Jean-Baptiste-Mouloud.

JO – Et c’est le Vicomte Dagobert de mes deux qui dit ça ! Ah je suis bien entourée moi ce soir ! Entre un gaulois qui se fait passer pour arabe et un aristo qui s’est converti éducateur pour jeunes en difficultés… Jean-Baptiste devient Mouloud, Dagobert devient Gaétan et moi alors je peux jouer ?

MOULOUD – Mais toi t’es la princesse…

JO – Ta gueule Jean Bapt !

GAETAN – Ben toi tu te fais appeler Jo au lieu de Josette !

MOULOUD – Ah !

JO – C’est pas pareil !

GAETAN – Ben… C’est toi qui le dis. Josette, ça fait… Enfin ça fait…

JO – Vas-y dis le…

MOULOUD (à Gaétan) – Non ! T’es pas obligé… Tu peux prendre un joker.

JO – Alors ça fait quoi “Josette“.

GAETAN – Oh et puis merde ! Eh ben “Josette“, ça fait “pouf“, prolo de chez prolo : voilà !

MOULOUD – Il voulait pas dire ça ! Je suis sûr qu’il regrette déjà…

JO (agressive) – ça fait pas prolo : c’est prolo ! Mais la différence avec vous deux c’est que moi, j’essaie d’échapper à ma condition par le haut.

GAETAN – Et Jo c’est plus classe que Josette, je te l’accorde !

MOULOUD – Bon et bien moi je vais regagner mon pigeonnier et je…

JO – Te tire pas comme ça, t’as foutu la merde, tu restes tant qu’on a pas tiré la chasse !

GAETAN – Alors là, c’est de la Josette tout craché ! La fille du délégué CGT de Arcelor Florange est de retour.

MOULOUD – Ouh la la !

JO – Je t’interdis de t’en prendre à mon père !

GAETAN – Ton père ? Tu prends la défense de ton père ? Mais ça fait deux ans que t’as pas remis les pieds en Lorraine, parce ta famille n’est plus assez bien pour toi. C’est ça ton ascension par le haut ?

JO (lui balançant un livre à la tête) – Salaud ! Parce que tu vois ta famille toi peut-être ?

GAETAN (à son tour lui balançant un objet) – Pas davantage que toi, mais la différence c’est que moi, je ne les ai pas rejetés, ce sont eux qui ne veulent plus me voir !

JO – Comme on les comprend ! (A nouveau elle lance un projectile vers Gaëtan.)

MOULOUD – Ouh la la la la ! (Il se dirige vers la porte sur la pointe des pieds.)

GAETAN – Prétentieuse !

JO – Feignant !

GAETAN – Parvenue !

JO -  Petit fonctionnaire !

GAETAN – Poufiasse !

JO– Connard !

Elle rattrape Mouloud par une oreille et le ramène au centre de la pièce.

GAETAN – T’allais où comme ça ?

MOULOUD – Aie, aie ! Pitié, j’ai horreur de la violence !

JO – Il vient nous mettre le bordel dans notre couple, et il se fait la malle en douce ce con !

MOULOUD – Pitié, je veux quitter cette zone de conflit et demander l’asile politique au commissariat du quartier.

GAETAN – Et il fait de l’humour en plus !

Prévoir un saladier rempli de bonbons et/ou un panier de fruits factices pour servir de projectiles.

JO - Non mais t’es gonflé Mouloud ! (Elle lui balance un bonbon.)

GAETAN (il bombarde Mouloud à son tour) – On était bien !

Jo et Gaétan accompagnent chaque réplique d’un jet de projectile sur Mouloud.

JO -  Heureux !

GAETAN -  Epanouis !

JO – Détendus !

GAETAN – Amoureux !

JO – Très amoureux !

MOULOUD (se protégeant la tête) – Mais arrêtez !

GAETAN – Eperdument amoureux !

JO – Un couple quoi !

GAETAN -  Un vrai !

JO - Et voila que nous tombe dessus un Arabe d’opérette !…

GAETAN – Le Mesrine de Tataouine-les-Bains (ou Tataouine sur Seine ou autre rivière locale)

JO – Qui débarque avec ses emmerdes…

GAETAN -  Ses menottes…

Ensemble, ils bombardent alors Mouloud à tour de bras (fruits – bonbons – coussins).

MOULOUD (Réfugié derrière le canapé, il agite en l’air un linge blanc) – Au secours ! Je veux pas mourir ! Pas ici, c’est pire que Gaza ! Je veux sortir, revoir au moins une fois ma mère et Sabrina…

JO -  D’accord ! (Le bombardement cesse) Mais tu files dans ta chambre !

Se protégeant le visage entre ses bras, Mouloud sort penaud de derrière le canapé.       

GAETAN (au public) – Vous voyez ! L’intifada ça marche… A condition de mettre l’Arabe du bon côté des cailloux.

MOULOUD (montrant ses menottes) – Et ça ?

JO -  ça ? Et bien y-a un lavabo dans ta chambre de bonne, (elle lui parle comme à un enfant) alors tu montes et tu te laves bien tes menottes avant de te coucher.

MOULOUD (soulagé et penaud) – Si que j’aurais su…

Il sort vers le palier pour regagner sa chambre sous les toits.

MOULOUD (off) - J’aurais pas venu !

JO – Ah… (Se blottissant dans les bras de Gaétan). Après une bonne douche, ça fait du bien !

GAETAN – Jo, mon amour !

JO – Mon Dagobert !

Ils s’embrassent. Le baiser devient fougueux.

 

SCENE 3

GAETAN – JO - MOULOUD

 

Sans relâcher leur étreinte, ils se dirigent vers le canapé, mais, trop pressés, ils s’affalent derrière, invisibles du public…Nombreux soupirs…

GAETAN – Oh oui, enlève ça ! Et ça aussi …Enlève tout !

Les vêtements de Jo volent en l’air et atterrissent sur le canapé.

JO –  Comme ça ?

GAETAN – Oui !

Les vêtements de Gaétan volent à leur tour.

JO – Emmène-moi dans ton harem ! Oh ouiiiiiiiiiii !

GAETAN – Oh oui viens… Encore, encore…

Nombreux soupirs…

La porte du palier s’ouvre brutalement, Mouloud entre en trombe. De la porte il ne peut pas voir Jo et Gaétan.

MOULOUD – ça va pas être possible !... Euh… Y-a quelqu’un ?

JO (toujours dissimulée par le canapé, coupée dans son élan amoureux) – Non, mais là, ça va pas être possible !

GAETAN (il se lève torse nu derrière le canapé) – Tes vraiment un casse-couilles toi, hein ! Au sens propre comme au sens figuré !

MOULOUD – Ah ! Vous étiez en train de … Enfin… “en train de“ quoi !

JO (se levant, ajustant son soutien gorge sous le regard ébahi du Mouloud) – Oui, nous étions en train de ! En train d’essayer d’oublier l’Arabe de service ! Mais bon… Faut pas rêver hein !

GAETAN – Alors quoi ? T’étais pas bien là haut dans ton minaret ?

JO – Tu fais chier Mouloud, t’entends ? Tu fais chier !

MOULOUD (le regard rivé sur Jo qui renfile son t-shirt) – Eh bien justement…

GAETAN – Justement quoi ?

MOULOUD – Et bien, c’est à propos de faire chier…

GAETAN (il est assis sur le canapé, en slip et chaussettes et renfile son pantalon, sa chemise, ses chaussures) – Et ben quoi ?

MOULOUD (Montrant ses menottes) – Eh ben ça, chier, je peux… Mais après (Montrant ses menottes) avec le papier, comment tu veux que… (Il fait le geste d’essayer de s’essuyer, ses mains enchaînées).

JO – Et il y en a qui osent affirmer que le romantisme a disparu !

Gaétan remonte son pantalon. Mouloud reste ébahi devant Jo quelque peu dénudée...

MOULOUD – Euh… Mais là, vous faisiez vraiment… Enfin vraiment ?

JO (agressive) – A ton avis ?... Connard !

GAETAN - Tu pourrais quand même frapper avant d’entrer…

JO (agressive) – C’est pas Lampedusa ici, merde alors !

MOULOUD (il a saisi le panier à fruits, vide) – Attention hein ! Si vous décidez de reprendre les hostilités, je vous préviens, cette fois je vais riposter…

JO (menaçante) – Ah oui ?

Mouloud plonge la main dans le saladier pour prendre un projectile. Il se retrouve avec en main une petite culotte.

MOULOUD – (Surpris ) Oh ?... (Admiratif) Oh, quel joli fruit exotique ?

JO (Lui arrachant la culotte des mains) – Aggrave pas ton cas Mouloud ! Bon, là, sincèrement, je suis saturée, je me déchire avant de devenir grave raciste !

Elle se dirige vers la sortie l’appartement.

GAETAN – Tu vas où ?

JO – J’attends un colis, je passe voir si la concierge l’a réceptionné.

Elle sort.

 

 

ACTE 2

 

SCENE 1

GAETAN – MOULOUD

 

GAETAN – T’es content de toi ?

MOULOUD – T’en as de bonnes ! J’pouvais pas savoir que chez vous le lancer de fruits et de bonbons était un prélude ou un aphrodisiaque. (Montrant ses menottes) Bon alors mes pinces ?

GAETAN – C’est de l’acier trempé, faut du matos de pro pour couper ça.

MOULOUD – Ne me dis pas que TOI, t’as pas ça dans ta caisse à outils !

GAETAN – Ben si mais j’ peux pas m’en servir ici à la maison. Si Jo nous tombe dessus, je lui dis quoi pour lui expliquer ce matériel très spécial.

MOULOUD – Les femmes c’est nul en bricolage ! Elle y verrait que du feu… (Montrant à nouveau ses menottes)  Tu peux pas m’laisser comme ça, merde !

GAETAN – Bon ! Suis-moi. Je vais t’arranger ça mais avec du matériel domestique.

MOULOUD – Je sens que ça craint !

Ils sortent côté appartement. La scène reste vide. Dialogue off.

MOULOUD – Et ton matos pro, tu le planques où ?

GAETAN – …Dans mes collections de vieilleries dans la chambre qui nous sert de débarras. Mais n’insiste pas on va faire ça à la meuleuse

On entend l’ouverture d’une porte puis du bruit : déplacement de caisses que l’on traîne, objets en ferraille qui s’entrechoquent

MOULOUD (off) – Tu crois que ça va marcher ?

GAETAN (off) – T’occupes ! Mais surtout tu tournes la tête pour éviter les étincelles dans les yeux.

Un bruit de meuleuse électrique se fait entendre en coulisses. Les personnages hurlent pour se faire entendre sauf entre les coupures de l’appareil.

Au bout de 10 à 15 secondes, le bruit s’interrompt.

GAETAN – Putain ! Leur qualité d’acier, c’est du lourd !

MOULOUD – Tu t’attendais à quoi ? A des menottes Playmobil comme nos flingues ?

Le bruit reprend.

MOULOUD (fort pour dominer le bruit) - Oh eh !... ça commence à chauffer là !

GAETAN (fort) – Normal ! Le frottement entre métaux à 15000 tours minutes.

7 ou 8 secondes…

MOULOUD – Aie : Mais arrête c’est brûlant !

Gaétan arrête un court moment.

GAETAN – Tu préfères quoi ? Pouvoir chier tout seul ou continuer à nous faire chier ?... Alors tu serre les dents et on en termine !

MOULOUD – T’as la bonne place toi !

GAETAN – Qui c’est qui s’est fait alpaguer par les bleus hein ? Alors maintenant tu assumes et tu la fermes !

Il reprend le sciage de la chaîne des menottes. Au bout de quelques secondes, la brûlure amène Mouloud à hurler de douleur. Gaétan continue.

Retour sur scène de Jo, portant ou traînant un gros colis à la main (la taille d’un tabouret). Elle entend le bruit de moteur et les cris.

MOULOUD – Aieeeeeeeeeeeeeeee !

JO (Très fort vers le public) – Vous entendez ?... (à Gaétan) Chéri, tu égorges un cochon ou quoi ?

GAETAN – Mais non c’est Mouloud !

JO (au public) – C’est kif-kif… Juste que c’est un cochon hallal !

Cris de douleur tandis que JO examine son colis sans l’ouvrir.

JO – Mon chéri ?

GAETAN – Oui !

Cris de douleurs.

JO (Grimaçant elle-même de douleur) – Je te rappelle quand même que la convention de Genève interdit la torture.

GAETAN – Je sais mon amour, mais nous sommes en Ile de France (ou votre région) et l’Ile de France (votre région) n’est pas un canton suisse.

(Meuleuse et hurlements)

JO – Bon alors achève le fellaga au plus vite, je t’en prie, ces cris sont insoutenables.

MOULOUD – (Dernier cri de douleur) Aaaaaah ! (La chaîne cède, cri de soulagement) Aaaaaaah !

Le bruit de la meuleuse s’interrompt.

GAETAN – Et voilà le travail !

MOULOUD – Oh putain, j’ai les poignets cramés !

GAETAN – Eh ben… Leur acier c’est vraiment du lourd !

Gaétan et Mouloud reviennent sur scène. Le colis reste posé au milieu du salon.

Mouloud,  poignets endoloris,  a toujours les menottes mais la chaîne les reliant a cédé.

MOULOUD – Ah ça va mieux.

GAETAN – Ce fut dur !

MOULOUD – Et douloureux !

JO – Normal, l’acier des menottes a une forte résilience.

MOULOUD – Une quoi ?

JO – Résilience : pour simplifier disons que c’est la capacité d’un métal à conserver la chaleur acquise. C’est aussi ce qui lui vaut de résister aux chocs.

MOULOUD – Je confirme la “rélisienze“ fut bonne et celle de mes poignets n’est pas mal non plus.

JO – Il aurait fallu des électrodes pour en venir à bout plus vite, moins bruyamment et moins douloureusement.

GAETAN – Mais où tu vas inventer tout ça ?

JO – Eh Dagobert… Tu oublies d’où je viens ?

GAETAN – Ah c’est vrai ! J’oubliais ! Miss Florange 1996* a un papa sidérurgiste et délégué CGT.

* ce doit être environ l’année des 20 ans de la comédienne qui joue Jo.

MOULOUD (à Gaétan) – Tu vois : on aurait dû utiliser nos électrodes !

JO – Vos électrodes ? Alors comme ça, vous avez des électrodes ?

GAETAN – Euh… Mais non voyons !... Il veut dire qu’on aurait dû en acheter.

MOULOUD – Euh… Oui c’est ça que je veux dire : en acheter.

JO – Pour s’en servir une fois comme ça, juste quand un arabe passe à la maison avec des pinces aux poignets ?

GAETAN – Ben justement, en parlant de poignets… Tu pourrais pas t’occuper de soigner ses brûlures ?

JO – OK. C’est ça ! Et en plus, je dois jouer “vétérinaire sans frontières“… Bon… D’accord, mais c’est juste par pitié hein… Rien de plus…

GATEAN – Eh aussi… Vous auriez rien à bouffer ? Parce que c’est pas avec quelques chips que je vais tenir, moi.

JO – Ben tiens. Pourquoi ne pas passer du gîte à la pension complète ! C’est le même tarif : gratos !... Gaétan, pendant que je soigne le fellaga, tu veux descendre à l’épicerie du coin ?

MOULOUD – A cette heure là ?

GAETAN (Il regarde l’heure et se dirige vers la sortie) – Ouh là ! Un peu juste, mais t’en fais pas. C’est chez Aziz un compatriote à toi, il est ouvert jusqu’à pas d’heure.

JO – Et fais attention, chéri : que du halal pour monsieur Mouloud.

MOULOUD – Eh ! Mouloud c’est juste pour le job hein ! Pour le régime c’est Jean-Baptiste : cassoulet, choucroute, rillettes, Morteau, Riesling, St-Emilion…

Gaétan sort faire les courses.

JO (cherchant dans un meuble de quoi soigner Mouloud) – T’es arabe à temps partiel quoi.

MOULOUD – On peut dire ça.

JO – Ouais… Mais con à temps complet !

 

 

SCENE 2

JO – MOULOUD

 

Jo commence à soigner les poignets de Mouloud (compresses, pommade, pansement…)

MOULOUD – Je sais bien pourquoi t’es désagréable comme ça avec moi !

JO – Ah oui ? Et pourquoi ?

MOULOUD -  Parce que tu t’en veux de l’aventure qu’on a eu et tu ne supportes pas que ma présence te rappelle ça.

JO – Tu parles ! ça fait quoi ? 15 ans ? 16 ? 17 ?... Je ne m’en souviens même plus.

MOULOUD -  C’est ce que tu dis. Mais t’aimes pas me voir, t’es gênée. Ça crève les yeux.

JO – Mais tu te donnes plus d’importance que tu n’en as mon pauvre Jean-Bapt… Ah oui, parce qu’à l’époque c’était Jean-Baptiste, tu ne faisais encore pas dans le “ Mouloud“.

MOULOUD – Arrête avec ça ! Tu t‘étais engueulée grave avec Gaétan, on avait trop picolé, toi surtout… Au point de me sauter au cou. Parce que moi… Moi j’avais pas besoin de picoler… Non !... Pas besoin du moindre verre, pour avoir envie de… de te prendre dans mes bras.

JO – Eh… Tu me joues quoi là ?

MOULOUD -  Laisse-moi parler ! Si tout ça était arrivé sans que tu boives… Je veux dire si tu étais vraiment tombée amoureuse de moi, alors, j’aurais été capable de tout pour toi. Même de renoncer à mon amitié pour Gaétan… Mais bon… C’était juste un soir de scène de ménage… Avec le clown qui vient consoler la princesse à l’entracte…

JO (soudain émue) – Tu veux dire que pour toi ce n’était pas …

MOULOUD -  Non ce n’était pas…

JO – C’était sincère ?

MOULOUD – Ouais c’était sincère et même bien plus encore et depuis bien longtemps.

JO – Oh merde !... C’est moi qui suis conne hein !

MOULOUD – Comment veux-tu que je pense ça de toi ?

Silence prolongé, ils se regardent émus.

JO – On fait quoi ?

MOULOUD – Rien, on fait rien. On fait juste semblant d’oublier. Tu aimes Gaétan, ça crève les yeux. Et moi j’ai trouvé Sabrina… Enfin… Pour l’instant… Je dois avouer que j’ai du mal à convaincre les filles de rester vivre avec moi.

JO – Pourtant avec ton… Ton métier, elle devrait craquer !

MOULOUD – T’es sérieuse ou tu te fous de moi ?

JO – Je suis sérieuse : Sabrina est du style à s’emballer pour un gangster, un dur comme toi !

MOULOUD – Tu dis ça et tu la connais même pas !

JO – Euh… Ah oui, c’est vrai… Mais… Mais je l’imagine comme ça.

MOULOUD - Ah ouais ? Et ben regarde là, ce soir : Sabrina est sans nouvelle depuis ce matin, je vais pas rentrer pendant quelques jours et je peux pas lui donner de nouvelles, because que les keufs doivent la pister et ont probablement mis son portable sur écoute.

JO – T’as jamais pensé à faire des efforts pour commencer autre chose ?

MOULOUD -  Des efforts ? Pour quoi ? Pour qui surtout ?... Peut-être l’aurais-je fait il y a 15ans ? 16 ans ? ou 17 ? Si une certaine soirée ne s’était pas déroulée seulement sous l’emprise de l’alcool.

Il la regarde, lui prend la main, embrasse sa main.

Bon, allez ! Du passé essayons de faire table rase. Ton prince charmant va revenir de chez Carrefour Market.

JO (entre sourire et larmes, elle lui caresse la joue) – Pardon ! Pardon !

MOULOUD – C’est fini. (Il lui embrasse à nouveau la main).

JO – Je voulais pas te faire de mal, je croyais…

MOULOUD -  Je sais…

La porte s’ouvre, Gaétan revient avec un sachet de victuailles.

             Jo range son matériel de soin.

 

 

SCENE 3

GAETAN – MOULOUD - JO

 

GAETAN – Eh ben… Je suis arrivé juste, hein ! Aziz était en train de fermer le rideau !

MOULOUD – Bon on mange quoi ?

GAETAN – Ben j’ai pas pu vraiment choisir, Aziz m’a presque foutu dehors. J’ai même pas payé… “On verra demain“ qu’il m’a dit .

JO – Un arable qui fait crédit…. Tout fout le camp !

GAETAN – Bon ! C’est pâtes au jambon, Pont l’Evêque et… Sidi Brahim.

MOULOUD (il a saisi la bouteille) – 13 degrés 5 !

JO – Vous n’avez pas déjà eu votre dose ?

MOULOUD – Bon, vous savez pas ? Je vais prendre ma part et regagner ma piaule sous les toits.

GAETAN – Qu’est-ce qui te prend ?

MOULOUD – J’ai déjà interrompu vos… Vos festivités tout à l’heure, alors… J’ai ce qu’il faut là haut : de l’eau, une plaque chauffante… Et puis j’ai besoin d’une bonne nuit… (Il regarde Jo) Beaucoup d’émotion aujourd’hui ! (Jo baisse les yeux)

GAETAN – Ouais, ça tu peux dire tu l’as échappé belle !

MOULOUD – Toi aussi !

GAETAN – Moi… Moi ? Mais, euh… J’ai rien à voir là dedans, tes magouilles et tes embrouilles !

MOULOUD – Tu cherches des rimes en « ouilles » ? Et ben là, franchement, tu me les casses !

Il attrape le sachet et prend sa part : 1 sachet de pates, 1 tranche de jambon et en douce subtilise la bouteille de vin.

MOULOUD – Bonne nuit Jo !

JO – Dors bien… Jean-Baptiste !

Il sort de l’appartement en jetant un regard noir à Gaétan.

 

 

SCENE 4

GAETAN - JO

 

GAETAN – Ben ça alors ! Qu’est-ce que je lui ai fait ?

JO – Cherche pas ! C’est une histoire entre lui et moi !

GAETAN – Une histoire entre lui et toi ? Parce qu’il y a une his...

JO – Complique pas tout ! (Elle l’a enlacé et le provoque) Il y a mieux à faire non ?

GAETAN – Ne me dis pas que t’as couché avec Mouloud !... Avec un arabe !

JO – ça y est ! L’éducation raciste et franchouillarde de monsieur qui remonte !

GAETAN – Réponds !

JO – Tu sais très bien que Mouloud, enfin Jean-Bapt, n’est pas arabe.

GAETAN - Ah oui c’est vrai… N’empêche…T’as couché quand même ?

JO – Et ben oui, une fois et de ta faute en plus ! Tu vas pas m’en faire un fromage !

GAETAN –  Un fromage… Non ! Mais… Un couscous, je t’en fais un couscous. Voilà !... Et en plus ce serait de ma faute !

JO – Attends, je venais de découvrir ton histoire avec ta poufiasse de formatrice à Val d’Isère…

GAETAN -  Quoi ? Le séminaire de psychologie appliquée à Val d’Isère ?

JO – Psychologie appliquée ! Ah… Je sais très bien à quoi vous vous êtes appliqués !

GAETAN – Mais c’est avant le déluge ça. On vivait encore même pas ensemble.

JO - On ne vivait encore pas ensemble, mais on était déjà amoureux.

GAETAN – Insignifiant ! Tiens le prénom de cette fille... Et ben j’m’en souviens même pas !

JO – Gaétan en emporte le vent !

GAETAN – T’es en forme, bravo !... Bon allez… (Câlin) Y-a prescription pour nous deux ?

JO – Evidemment ! Surtout que…

GAETAN – Surtout que… Que quoi ?

JO – Ben… Surtout que ce soir, c’est très particulier…

GAETAN (inquiet) – Ah… Particulier… Ce soir ?

JO – Oui… Ce soir 14 avril (mettre plutôt la date du jour du spectacle), (elle regarde sa montre)… Et même plus précisément dans 1 minute !

GAETAN (Regardant sa montre à son tour) – Voyons… 14 avril, il est 21h09 donc dans 1 minutes il sera 21h10…

JO – Alors ?

GAETAN – Ben… C’est pas ton anniversaire…

JO - Pas le tien non plus…

GAETAN - Pas celui de notre rencontre…

JO – Pas celui de notre premier baiser.

GAETAN – Pas celui de notre première fois… Enfin, première fois que… (Au public) Et oh, arrêtez de saliver vous, ça vous regarde pas, non mais !

JO – C’est pas un anniversaire… Alors ?

GAETAN – Je vois pas…

JO – Et bien aujourd’hui, 14 avril 2018… (Elle regarde sa montre) à 21h10 (remplacer là encore par la date et l’heure exactes du spectacle), ce sera le jour et l’heure où je t’ai annoncé que tu allais être papa !

GAETAN – Oh putain ! (il s’affale, abasourdi, dans le canapé)

JO – Comment ?

GAETAN (ému aux larmes) – Un p’tit vicomte de Belfontaine

JO – Ou une petite vicomtesse.

GAETAN – Eléonore de Belfontaine !

JO – Oui bon… Eléonore… Eléonore… On verra !

GAETAN – Et si c’est un vicomte, il s’appellera Ludwig-Dagobert !

JO (horrifiée) – Mon dieu ! Ludwig-Dagobert ?

Gaétan se lève tout à coup, euphorique, il prend Jo par la taille  et l’entraîne dans une valse tout en chantant sur l’air du refrain de la musique de Jacques Brel “La valse à 1000 temps“  (version instrumentale possible en fond sonore).

NDLA : On peut écourter en plaçant plus tôt le malaise de JO.

GAETAN –

 

J’vais avoir un enfant

Et ça c’est bien troublant

Surtout qu’il était temps

Enfin qu’il voit le jour

Le fruit de notre amour

Comme c’est charmant.

Deux enfants en même temps

Ce s’rait plus éreintant

Ce s’rait plus éreintant

Mais beaucoup plus craquant

Qu’avoir un seul enfant

Deux enfants en même temps

Quand on a quarante ans (adapter l’âge)

C’est beaucoup plus flippant

C’est beaucoup plus flippant

Mais beaucoup plus chi-ant

Qu’avoir un seul enfant

Un enfant à vingt ans

Un enfant à cent ans

Un enfant à cent ans

Un enfant ça s’entend

ça pleure la nuit le jour

Faut avoir de l’amour

Pour supporter tout l’temps

Un enfant à mille ans

Un enfant à mille ans

Un enfant a mis l’temps

De patienter vingt ans

Pour rendre nos vingt ans

Malgré l’temps qui fout l’camp

Un enfant a mis l’temps

Un enfant a mis l’temps

Un enfant a mis l’temps

Malgré qu’en nous aimant

Plus de mille fois par an

On l’attendait avant.

 

Jo fait un malaise et Gaétan la soutient pout l’emmener s’allonger sur le canapé.

GAETAN – Mais ce que je peux être con ! Tu m’annonces que t’es enceinte et moi je te fais tourner comme une toupie.

JO – C’est pas grave… Au moins je sais que cet enfant est désiré.

GAETAN – Désiré ? Pas terrible comme prénom !

JO – Je te l’accorde, en revanche ton “ Ludwig-Dagobert“ ça c’est terrible… Terrible à porter !

GAETAN – Mon grand-père se prénommait Ludwig.

JO – Je sais ! Mais tu ne vas pas me la rejouer aristo, toi qui a subi une ablation volontaire de ta mémoire familiale. Mon grand-père à moi s’appelait Radoslaw et je ne t’impose rien !

GAETAN – Ouf !

JO – Ludwig-Radoslav-Dagobert De Belfontaine… Wouah ! Le pauvre môme ! Déjà pour aller le déclarer à la mairie… ça craint !... En réalité, tu sais quoi, Dagobert de Belfontaine ?

GAETAN – Non, mais je sens que je vais savoir…

JO – Et ben tu nous la joues soi-disant prolo bien dans sa peau, mais au fond de toi… Et ben t’assumes rien du tout. A la moindre occase, tes origines te remontent à la tête.

GAETAN – Et c’est aussi pour ça que tu m’aimes !

JO – Hein ?

GAETAN – Parfaitement ! Tu m’aimes à la fois parce que mes origines flattent ton petit ego de pauvresse échappée à sa condition familiale…

JO (outrée) – Oh !

GAETAN – Parfaitement ! Et aussi parce que mon choix de vie, modeste éducateur salarié, te rappelle avec nostalgie la philosophie humaniste de ton excité de Papa CéGéTiste.

JO – Houlala ! Mais où tu vas chercher tout ça ?

GAETAN – Y- en a là dedans !

JO – D’accord ! Et si on inversait le problème ?

GAETAN – Comment ça ?

JO – Et bien toi, pourquoi tu m’aimes ?

GAETAN – Ben… (Par gestes, il fait allusion aux formes féminines de sa compagne).

JO – Mais encore ?

GAETAN - Je t’aime parce que… Parce que… Tu vas me donner un enfant ! (Au public) Ou plus !

JO – Oui mais avant ça… Tu m’aimais déjà. Alors pourquoi ? Hein ?

GAETAN – Ben…

JO – Je vais te le dire. Ce que tu aimes, c’est d’une part mes origines modestes. Ça te permet d’avoir un angle d’attaque pour me rabaisser quand ma réussite professionnelle t’éclabousse un peu trop.

GAETAN – Tu me trouves si nul que ça ?

JO – Mais c’est pas ta faute, c’est in-con-scient. Et je n’ai pas terminé ! Ce que tu aimes aussi et surtout chez moi, c’est paradoxalement cette même réussite sociale qui compense, toujours dans ton inconscient, tout ce que toi-même n’a pas réussi pour être en conformité avec les espoirs de la secte des De Belfontaine.

GAETAN (outré à son tour) – Une secte ! Les De Belfontaine !

JO – Tu vois ! Tu défends cette famille que tu prétends avoir reniée !

GAETAN (très mal à l’aise) – C’est que tu y vas un peu fort !

JO – C’est la réalité. A défaut d’être un fils digne de ta famille… (Elle se lève et se met en scène avec humour) tu as choisi une compagne brillante : moi ! Moi, qui ferait une belle-fille très acceptable au château, malgré ses origines.

GAETAN – C’est vrai que tu ferais une belle-fille très acceptable au château !

JO – Ah tu vois !

GAETAN (il s’agenouille aux pieds de Jo) – Josette Stankowik… Voulez-vous m’épouser ?

JO – Arrête de déconner Dagobert !

GAETAN – Je déconne pas : Jo ! Veux-tu devenir ma femme.

JO (pointant son ventre du doigt) – Il me semble que c’est déjà bien amorçé…

GAETAN – Non, je te propose : la mairie, l’église, la fête… la maison du peuple si tu veux !

JO (émue) – Dagobert de Belfontaine…

GAETAN – Oui ?

JO – C’est non !

GAETAN – Quoi ?

JO – Ne te vexe pas !

GAETAN – Tu ne m’aimes pas autant que je t’aime, voilà !

JO – Grand con ! Bien sûr que si ! Mais je n’accepterai de t’épouser que lorsque tu m’auras d’abord présentée à ta famille…

GAETAN – J’ose déjà plus m’y présenter moi-même ! Alors te présenter toi…

JO – Et bien c’est comme ça, on se marie avec la famille ou pas du tout.

GAETAN (triste, regard perdu) – La famille…

JO – Ben oui… Tu sais bien : papa vicomte, maman vicomtesse et toute la clique des De Belf…

GAETAN – La clique, la secte… Je me demande pourquoi tu insistes pour les inviter ?

JO – Tout simplement parce qu’au fond de toi, la plaie reste ouverte et que tu en as absolument besoin.

GAETAN – C’est pas plutôt toi qui rêves de faire ton entrée au château ?

JO – N’importe quoi… Bon, d’accord… Mais je peux aussi te faire rouvrir les portes. Je suis la belle-fille rêvée qu’ils attendent, je suis ton laisser passer.

GAETAN (narquois) – Mon laisser passer… Vers le passé !… Moi ce qui m’intéresse, (Il caresse le ventre de Jo) c’est l’avenir.

JO – Comme disait Confucius ou… je ne sais plus trop qui « Si tu veux savoir où tu vas, regarde d’abord d’où tu viens. »

Moment de silence. Gaétan réfléchit.

GAETAN – Bon, c’est d’accord ! On va essayer de reprendre contact. Je sais pas trop comment d’ailleurs, avec la clique, la secte....

JO – Bravo ! Et aussitôt on se marie !

GAETAN – Eh, pas si vite ?

JO – Comment ?

GAETAN – Ben oui. Moi aussi maintenant je mets mes conditions !

JO (un peu vexée) – Moi qui croyais que tu m’aimais !

GAETAN – Oh, je ne fais qu’utiliser tes méthodes hein !

JO – Tu veux quoi ?

GAETAN – Et bien avant de me marier je veux que tu reviennes toi aussi vers ta famille.

JO – Ben… La dernière fois, papa m’a quand même traitée de « sale petite parvenue ».

GAETAN – A juste titre non ? Tu te la jouais tellement « classe » !

JO – Salaud !

GAETAN (satisfait de cette insulte) – Eh bien voilà ! Tu retrouves le langage populaire, nous sommes sur la bonne voie pour re-adhérer à la CGT.

JO – Ils ne veulent plus jamais me voir, je te dis !

GAETAN – Oh lala, “jamais“… Tout de suite les grands mots ! Je vois déjà le sourire de ta mère si tu reviens à la cité ouvrière à Florange…

JO – Ouais ! Mais c’est mon père qu’il faudra apprivoiser... LA CGT

GAETAN – Bon ! Voilà le deal : tu m’aides pour me réintroduire au château de Belfontaine et moi, je t’aide pour revenir à la cité à Florange.

JO – Euh…

GAETAN – Alors ?

JO – T’as raison, y’en a marre d’être orphelins ! (Elle lui saute au cou)

GAETAN – Eh… Ne me remercie pas, c’est toi qui a montré le chemin la première.

JO – C’est bien beau mais on fait comment ?

GAETAN – Pour le retour à Florange, on fait “Nation - République“ samedi prochain.

JO – “Nation - République“ ?

GAETAN – Ben oui, la manif quoi… Oh lala, mais t’as vraiment tout oublié !

JO – La manif contre le chômage et pour le pouvoir d’achat ?

GAETAN – Exact. Ton père va évidemment monter à Paris et sera comme d’habitude dans les premiers rangs du syndicat. On s’arrange pour être pas loin. Quand il te verra là en train de hurler “C’est pour nous qu’il faut des thunes, que nada, pour les grandes fortunes“

JO – Oh, oh, oui, bon… On ne s’emballe pas hein.

GAETAN – Mais si ! Tu vas t’entraîner à gueuler dans un mégaphone pour samedi.

JO – On n’a pas de mégaphone.

GAETAN – J’en achète un demain, à la première heure. Donc, ton père t’aperçoit soudain en égérie révolutionnaire, vociférant. Stupéfait, il s’arrête, hésite, puis t’ouvre les bras en grand, enfin…Après avoir posé le fumigène qu’il tient dans sa main droite et le drapeau rouge dans sa main gauche.

JO – Faudrait pas que je me retrouve en photo dans un journal, mégaphone à la main, parce que si ta famille tombe dessus, je suis plus la belle-fille idéale pour te ramener au château !

GAETAN – Une photo dans un journal ! Tu parles, on va être paumé au milieu de 100 000 manifestants, enfin… 2500 selon la police et ce serait un comble que tu sois prise, toi précisément en photo… Et puis (prenant un ton snob) “père“ ne lit que le Figaro, journal dont les reporters hésitent, on les comprend, à approcher les rangs de la CGT…

JO – Ouais mais il y a aussi le risque que l’on se retrouve sur internet.

GAETAN – Tu sais, le vicomte et la toile… A part Monet, Delacroix ou Rembrandt…

JO – OK… On va à la manif samedi et on verra. En revanche, pour te faire rouvrir les portes du château, j’ai pas encore d’idée…

GAETAN – Oui, bon, après tout… Y-a pas le feu hein ! On peut très bien…

JO – Te, te, te… Je vais trouver : tu vas pas t’en sortir comme ça. Fais-moi confiance !

GAETAN (L’enlaçant) -  Pour ça…

JO (regardant les provisions achetées chez Aziz) – Eh… On n’a même pas mangé !

GAETAN – On s’en fout… J’ai de l’appétit, mais pas du côté de l’estomac.

Ils s’enlacent et se dirigent vers leur chambre…

JO (se détachant de lui) – Attends j’ai laissé mon colis au beau milieu du salon.

GAETAN – Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir là dedans ?

JO – Top secret c’est des trucs de femme !

Jo range le colis à côté du canapé dans son prolongement.

GAETAN – Ah ! Les trucs de femmes c’est bien souvent pour séduire les hommes !

JO (se blottissant contre lui) – Je ne parlerai pas !

GAETAN – Allez , Viens tu rangeras ça demain ! En revanche… Dans l’action, on n’a pas fermé la porte à clé.

JO – T’as raison, ça vaut mieux… Y-a un arabe dans l’immeuble !

             Il ferme la porte à clé, enlace à nouveau JO, éteint la lumière. Ils sortent vers leur chambre.

La scène reste dans la pénombre.

Une musique douce se fait entendre, le temps passe…

 

 

 

ACTE 3

 

SCENE 1

MOULOUD + en off Jeff et Marjorie.

(ndla : Au besoin cette scène peut-être largement et facilement écourtée)

 

On entend soudain au loin une église : les 12 coups de minuit.

Puis, un bruit étrange se fait entendre (Mouloud bricole la serrure de l’extérieur).

La porte d’entrée s’ouvre en grinçant doucement.

Mouloud pénètre dans le salon à la lueur d’une lampe de poche.

 

MOULOUD – Tu parles d’une serrure de merde !

Il cherche dans le noir avec sa lampe.

Ah ! Le voilà !

Il saisit le téléphone fixe et numérote. On choisit de faire entendre sonneries, bruit du décrochage de combiné et dialogue du correspondant (prénommé Jeff) comme si le haut parleur était activé.

Mouloud est éclairé par le faisceau de la lampe torche.

LE CORRESPONDANT – Allô ?

MOULOUD – Oui… C’est moi !

LE CORRESPONDANT – Toi ? Qui ça toi ?

MOULOUD – Je peux pas te dire.

LE CORRESPONDANT – Bon, il est tard, je suis pas d’humeur pour un canular…

MOULOUD – Réfléchis un peu… Ecoute-moi, Jeff, vas voir Sabrina et dis lui…

JEFF – Ah c’est toi Mouloud !

MOULOUD – Dis-pas de nom, bordel ! On n’est peut-être pas tout seul là.

JEFF – Ah ?

MOULOUD – Donc tu vas voir Sabrina et tu lui…

JEFF – Tu plaisantes là ! Je sors pas dans la cité après 21h. ça grouille de petits dealers et le soir ils sont trop nerveux.

MOULOUD – Bon… Alors tu l’appelles au téléphone. Mais tu fais super gaffe, sa plomberie doit être siphonnée par les bleus.

JEFF – Hein ? La plomberie de Sabrina…

MOULOUD – Je te parle codé Jeff, fais un effort !

JEFF – Ecoute Mouloud, je veux pas rentrer dans votre intimité moi. Alors Sabrina peut se faire siphonner sa plomberie par des jaunes, des noirs ou des bleus que tout ça, et ben ça me regarde pas. Voilà !

MOULOUD (exaspéré) – Mais t’es vraiment con Jeff. Je te fais comprendre que les keufs ont mis sur écoute la ligne téléphonique de Sabrina, que de là où je t’appelle c’est peut-être pareil et toi tu me fais ton François Pignon version Alzheimer !

JEFF – Ah d’accord ! Bon je lui dis quoi à Sabrina ?

MOULOUD – Tu lui dis : « Lapin a eu un problème…

LE CORRESPONDANT – Un lapin ? Quel lapin ? Tu vas bien Mouloud ?

MOULOUD – Putain, mais t’es con ! Pas de nom je te dis !

LE CORRESPONDANT – D’accord !

MOULOUD – Donc « Ton lapin a eu un problème en rapportant les….“

JEFF – Dans l’intimité, Sabrina t’appelle “mon lapin“ ?

MOULOUD -  D’abord elle m’appelle pas “mon lapin“ mais “mon grand cerf en rut“, et ensuite ça te regarde pas et surtout : ON-S’EN-FOUT !

JEFF (Interloqué) – “ Mon grand cerf en rut“…  (Admiratif) Wouah !

MOULOUD (Il se retient) – On continue… On continue ! Donc : “Ton lapin a rencontré un poulet en rapportant…“

JEFF – Mais pourquoi tu parles de lapin si tu es son grand cerf en rut !

MOULOUD -  Oh putain ! Jeff !

JEFF – Oui ?

MOULOUD – Marjorie est près de toi ?

JEFF – Ben à cette heure, je voudrais bien voir qu’elle soit en train de traîner !

MOULOUD -  Passe- la moi ?

JEFF – Qui ?

MOULOUD – Passe-moi ta femme ?

JEFF – Je peux pas : elle est en bigoudis.

MOULOUD -  Mais je la vois pas, Jeff ! On est au téléphone !

JEFF – Ah ben oui !

             Court silence. Marjorie remplace Jeff au téléphone.

MARJORIE – Allô ?

MOULOUD -  Marjorie, faut que t’appelles Sabrina pour la rassurer.

MARJORIE – Ouais !

MOULOUD -  Mais tu fais gaffe parce que sa ligne est sur écoute.

MARJORIE - Ouais !

MOULOUD -  Tu dis juste ça : « Ton lapin a rencontré un poulet en rapportant les carottes, il est parti se mettre au vert chez le blaireau »

MARJORIE - Ouais

MOULOUD -  T’as bien compris Marjorie ?

MARJORIE - Ouais !... Mais c’est qui au téléphone ?

MOULOUD (prenant le public à témoin) -  Putain ! J’y crois pas… Marjorie c’est moi !

MARJORIE -  Qui toi ?... Le lapin, le poulet ou le blaireau ?

MOULOUD -  Comment ça ?... (excédé, il hurle, Gaétan apparaît dans la pénombre) Mais je suis Moul… Merde ! Dans l’histoire je suis le lapin. Le lapin, le lapin !

MARJORIE – Donc, t’es pas le poulet et t’es pas le blaireau ?

MOULOUD– Mais non je suis le lapin, le lapin, le lapin ! Le blaireau c’est Gaétan !

Gaétan allume soudain la lumière.

 

 

SCENE 2

GAETAN – MOULOUD + en off MARJORIE ;

 

MOULOUD (sursautant) – Aaaaahhhhh !

GAETAN – T’as le bonjour du blaireau !

MARJORIE – Je crois que j’ai compris : t’es le lapin, et pour pas que le poulet te mange tes carottes, tu te planques chez le blaireau.

MOULOUD – (à Marjorie) C’est çà ! (à Gaétan) Enfin non…

MARJORIE – Faut savoir, hein ! C’est çà ou c’est pas ça ?

MOULOUD -  Vas-y comme ça, appelle Sabrina.

MARJORIE – Ouais.

GAETAN (A Gaétan, remonté, parlant fort) – J’attends des explications !

MARJORIE – C’est qui qui parle ? C’est le blaireau ?

MOULOUD – Oui… Euh… Et efface mon appel sur le téléphone de Jeff.

MARJORIE – Ouais ! Comment qu’on fait ?

MOULOUD – Laisse béton Marjorie. Bonne nuit !

MARJORIE – Ouais !

             Mouloud raccroche.

GAETAN – Alors ?

MOULOUD – Ben… Fallait que je prévienne Sabrina. C’est une jalouse… Tu peux même pas imaginer ! Là, elle doit gamberger en imaginant que je passe la nuit dans un clandé à Barbès. Son portable et le mien sont probablement sur écoute alors voilà… J’ai utilisé votre fixe.

GAETAN – En rentrant par effraction, en te mettant à gueuler en pleine nuit et le pire…

MOULOUD – Le pire ?

GAETAN – En me traitant de blaireau !

MOULOUD – C’est juste une image hein !

GAETAN (dressant son poing fermé) – Et cette image là tu la veux sur ta tronche ?

MOULOUD – Bon mets toi à ma place, OK ? C’est toi qui te fais serrer par les keufs, tu t’extirpes à un feu rouge, tu peux plus rentrer chez toi. T’imagines l’inquiétude de Jo ?

GAETAN – Ouais, bon… Vu comme ça !... Mais tu pourrais t’y prendre autrement.

MOULOUD – Désolé, mais j’ai pas appris les bonnes manières dans un château moi !

GAETAN – Bon, t’as donné ton message pour Sabrina alors décampe.

MOULOUD – C’est que j’ai plus sommeil moi maintenant.

GAETAN – Tu me gonfles Mouloud !... Remarque, réveillé sur le coup de minuit, ça m’étonnerait que je me rendorme facilement moi aussi… Je mets la télé pour voir s’ils parlent du braquage.

MOULOUD – Tu vas réveiller Jo.

GAETAN –  T’es un marrant toi hein. Tu viens gueuler comme un cerf en rut (sursaut et gène de Mouloud) à minuit dans mon salon et cinq minutes plus tard, tu t’inquiètes de réveiller ma femme quand je vais mettre la télé en sourdine.

MOULOUD – OK. A cette heure là, mets BFM.

GAETAN – Mais non, je vais mettre Disney Chanel !

Gaétan s’assoit sur le canapé, prend la télécommande et met la télé en marche.

Mouloud s’assoit sur le colis.

BFM – … conseil de sécurité de l’ONU a rejeté la proposition d’une intervention armée au Burkanda, les représentants de la Chine et de la Russie ayant voté contre – Faits divers : cambriolage d’une banque, hier matin, dans le 15ème arrondissement de Paris. Un individu seul et cagoulé, filmé par une caméra extérieure, a pénétré dans les locaux de la banque par les égouts et a forcé plusieurs coffres après avoir neutralisé les systèmes de sécurité. Le butin est provisoirement estimé à 600 000€. Toujours à Paris, c’est un braquage qui a eu lieu hier après-midi dans une petite bijouterie proche de la gare de l’Est. Deux individus armés se sont emparés de la caisse et de nombreux bijoux. Une patrouille de police a pu interpeler l’un des deux voyous. Mais celui-ci est parvenu à s’échapper bien que menotté. Lui et son complice sont activement recherchés - Fin de la 2e journée de ligue 1 de football : Bordeaux a battu Nantes 2 à 1…

Gaétan éteint la télé.

GAETAN (narquois) – Activement recherchés…

MOULOUD – ça veut dire quoi ?

GAETAN – ça veut dire qu’ils veulent rien dire aux journaleux ou bien plus probablement qu’ils pédalent dans la choucroute.

Le dessus du carton cède soudain et Mouloud se retrouve les fesses coincées dans le colis (plus simple, mais moins amusant : il peut se mettre spontanément à fouiller)

MOULOUD – Eh merde !

GAETAN – C’est pas vrai ! Mais t’en rates pas une !

MOULOUD – Aide-moi plutôt que de râler.

Gaétan relève Mouloud. Le colis est ouvert, il y jette un œil puis plonge les mains pour remonter de la layette.

GAETAN – Eh ben… Elle traîne pas pour s’équiper la future maman !

MOULOUD – Ah bon ? Tu veux dire que… Que Jo est enceinte ?

GAETAN – Ben oui ! Elle me l’a annoncé aujourd’hui… Et elle a déjà fait les magasins ! C’est pas croyable les femmes et le fièvre acheteuse.

Ils continuent à fouiller et à sortir layette et accessoires bébé.

MOULOUD – Et ben ! Il va pas manquer le môme.

Autres articles sortis du carton.

GAETAN – Oh l’horreur ! Elle va pas quand même lui mettre ça !

 Cette fois, il remonte autre chose…

MOULOUD – Ben c’est quoi ça ?

GAETAN – Un pied de biche tu vois bien.

MOULOUD – Bien sûr que je vois, mais pour un bébé ça sert à quoi ?

GAETAN – Je réfléchis…

MOULOUD (riant) – A lui faire peur quand il écoute pas ?

GAETAN – J’ai beau chercher…

MOULOUD – A lui ôter ses premières dents de lait ?

GAETAN – T’es vraiment drôle !

MOULOUD – De toute façon, en tant que parrain, il est de mon…

GAETAN – Parrain toi ! Tu peux toujours rêver.

MOULOUD – Au vu des menaces qui pèsent déjà sur mon filleul, il est de mon devoir de prévenir les services sociaux !

GAETAN – Ta gueule Mouloud !… Un pied de biche, mais pour quoi faire ?

Il fouille à nouveau le sac et remonte un autre objet surprenant.

MOULOUD – Pas possible !

GAETAN – Si : c’est bien un chalumeau.

MOULOUD – Mécano ? Lego ? Playmobil ?

GAETAN (examinant l’objet entre ses mains) – Non… Un vrai et du lourd.

MOULOUD – Elle va torturer son enfant !

Gaétan renverse tout le contenu du carton.

MOULOUD – Oh merde, merde, merde !

GAETAN – J’y crois pas ! Regarde !

MOULOUD – Un appareil de décodage électronique !

GAETAN (Il examine l’appareil) – Ouais et un modèle récent haut de gamme ! De quoi déchiffrer le code d’un coffre en moins de temps qu’il n’en faut pour se foutre de la gueule de son mari !

MOULOUD – Vous êtes pas marié…

GAETAN (menaçant) – C’est tout comme, on va … Enfin… On allait le faire. .. Et regarde encore, voilà des jeux de fausses clés, des passes…

MOULOUD - C’est pas possible, c’est pas à Jo ce carton !

GAETAN – C’est elle qui l’a reçu. T’étais là : elle est allée le chercher chez la concierge juste après que tu nous aies surpris en train de… Enfin tu sais…

MOULOUD – J’y comprends rien. (Il examine les surfaces du carton)… C’est pas passé par la poste… Ni par un transporteur privé…

GAETAN – Je vis avec une inconnue !

MOULOUD – Ouais bon… Faut peut-être relativiser non ?

GAETAN – Relativiser !

MOULOUD (tout en parlant il s’empare d’une grosse sacoche tombée du carton) – Ben oui, parce que toi non plus tu la branches pas sur tes activités annexes. J’étais quand même pas tout seul à la bijouterie non ?

GAETAN – Vu comme ça… Je me demande ce qu’elle envisage de faire avec tout ce matos !

Mouloud plonge les mains dans la sacoche et en sort des liasses de billets et des bijoux.

MOULOUD – Ben… Je crois qu’elle en est plus vraiment au stade d’envisager…

Gaétan fouille à nouveau le carton et en sort un sac plastic dont il extirpe des bottes et une combinaison de travail. Il soulève celle-ci du bout des doigts.

GAETAN – Mais ça pue ce truc !

MOULOUD – Pouah, cette odeur d’égouts !

GAETAN (interloqué) – Les égouts !

MOULOUD – Quoi les ég…. Oh merde ! Je vois à quoi tu penses : le casse de la banque, hier matin dans le 15ème ! C’est Jo qui aurait fait le coup ! Non c’est pas possible… Y-a une autre explication !

GAETAN – Et elle fait l’amour, elle dort tranquille comme si de rien n’était…

MOULOUD – Oui bon, t’es pas un ange non plus hein !

GAETAN – Pas pareil. Je suis un mec. La cambriole c’est du costaud, du sérieux.

MOULOUD (palpant allègrement les liasses) – N’empêche ! Y’en a au moins pour 600 000€ selon la télé. Wouaaahhh ! A côté de nos bijouteries de pacotille…

GAETAN – ça change rien

MOULOUD – Ben si ! ça change qu’elle va pouvoir gâter son bébé. Tiens, la preuve : tout juste  riche et elle a déjà commencé à s’équiper ! Eh… T’as vu ça aussi ?

GAETAN – Quoi encore ?

MOULOUD – Deux billets !... Avion + séjour à Venise, une semaine pour deux personnes, hôtel cinq étoiles avec vue sur le Grand Canal…

GAETAN – Non ?

MOULOUD – Eh si… Alors ?

GAETAN – Alors quoi ?

MOULOUD – Bon, si tu estimes que ça te concerne pas, c’est que Jo a un amant.

GAETAN – T’en rajoutes pas s’il te plaît !

MOULOUD – D’accord ! Elle a pas d’amant et monsieur le moraliste refuse de profiter de cet argent sale…. Euh… Je peux te remplacer ?

GAETAN (Il hurle) – Tu vas l’avoir mon poing sur la gueule !

             Jo apparaît en nuisette sur le seuil de la porte, baillant et s’étirant.

 

 

SCENE 3

JO – GAETAN - MOULOUD

 

JO – C’est déjà le matin ?

GAETAN – Pas vraiment.

JO – Il est quelle heure ?

GAETAN – Un peu plus de minuit.

JO – Mais vous êtes malades de faire un raffut pareil en pleine nuit !

GAETAN – C’est pas le problème !

JO – Ah ? Et… C’est quoi le problème ?

GAETAN (désignant les objets répandus au sol) – Eh bien regarde toi-même !

JO – Vous avez ouvert le carton de S…?

MOULOUD – Ben, je me suis assis dessus et puis…

GAETAN – Et puis on a découvert le pot aux roses.

MOULOUD (soulevant une botte) – Enfin ça sent pas vraiment la rose hein…

GAETAN – Tu m’expliques ?

JO – Y-a rien à expliquer. Ce carton ne devait pas être ouvert.

GAETAN – Ouais mais maintenant qu’il l’est, y-a quand même des questions qui se posent non ?

MOULOUD – Bon et bien moi, je vais à nouveau remonter dans ma piaule…

GAETAN – Tu restes !

JO – Ben… Vaudrait mieux pas, vu la tournure des événements.

GAETAN – M’en fous, j’ai rien à cacher moi.

MOULOUD – Eh… Là t’exagère un peu  non ?

GAETAN – Ta gueule !

JO – Qu’est-ce qu’il insinue ?

GAETAN – Rien, les arabes n’insinuent pas. Ils affabulent…

MOULOUD – Putain ! Les préjugés de Gaulois !

GAETAN – Stop ! On en revient au sujet. Jo ! C’est quoi ce carton et ce fatras ?

JO – Je sais pas !

GAETAN – Tu sais pas !

JO – Ce carton n’est pas à moi.

MOULOUD (à Gaétan) – Ah, tu vois ! Je te l’avais dit.

GAETAN – Gonflée

JO – Il est pas à moi, je te dis !

GAETAN – Alors il est à qui ?

MOULOUD – C’est peut-être le père-Noël qui…

GAETAN – On est en avril !

MOULOUD – Ah… Il est peut-être en retard dans ses livraisons.

GAETAN – Il est à qui ce carton ?

JO – Là maintenant, je peux pas le dire !

GAETAN – Avoue ! Tiens… T’étais où hier matin ?

JO – Hier matin ? Mais à mon laboratoire.

GAETAN – C’est ça. T’étais pas en maladie ? En congés ? Une petite RTT pour faire une course dans le 15ème ?

JO – Le 15ème ? Arrondissement ? Pourquoi le 15ème ?... Non j’étais au labo avec mes collègues. Tu pourras leur demander.

GAETAN – Et évidemment tu ne sais pas non plus ce qu’il y a dans ce carton ?

JO – Je m’en doute un peu quand même…

GAETAN – Elle s’en doute un peu quand même ! Et “euphémisme“ est un mot masculin !

MOULOUD – Là ça devient intello… Je m’arrache.

JO – Ce serait mieux en effet.

GAETAN – Mouloud, tu fous ton cul sur ce canapé et tu bouges plus.

MOULOUD – D’accord mais comme c’est votre vie privée, moi je n’interviens plus. Tiens, je me bouche les oreilles (il met ses deux mains sur ses oreilles, mais va rapidement n’en laisser qu’une, se servant de sa main libre pour fureter encore dans les affaires renversées au sol).

GAETAN (à Jo) – Ecoute JO… Je t’aime si fort que je peux tout accepter de toi, sauf le mensonge.

JO – Tu dois me faire confiance.

GAETAN – Mais tu te rends compte qu’il y a dans ce carton tout le matos du parfait casseur de coffre ?

JO – Je n’y connais rien et de toute façon, (désignant Mouloud) je ne peux pas parler devant lui, voilà !

GAETAN – Devant Mouloud ? Ah bon… Il n’écoute pas qu’il a dit…

Soudain Mouloud se relève, l’ai abasourdi, il tient en main des cartes.

MOULOUD - Des faux ! Ce sont de fausses cartes d’identités.

GAETAN – Oh ! Tu devais pas faire le mort toi ?

MOULOUD – Regarde !

Il tend les cartes à Gaétan qui les examine.

GAETAN – Oui bon, c’est quoi ?

MOULOUD – Ce sont de fausses cartes d’identités et la photo, là, tu vois la photo ?

GAETAN – Jolie fille !

MOULOUD – C’est Sabrina ! Des tas de fausses carte d’identité avec la photo de ma Sabrina… Et au milieu de toute cette panoplie de cambrioleur !

JO (à Gaétan) – Et bien voilà : tu peux être content de toi : maintenant, il sait !

GAETAN – Il sait quoi ?

JO – Que ce foutu carton appartient à Sabrina. Elle me l’a confié ce matin en me disant que c’était une surprise pour Mouloud et en me faisant promettre de ne pas l’ouvrir.

MOULOUD – Remarque, c’est moi qui l’ai ouvert. Mais alors sûr que pour une surprise, c’est une surprise !

GAETAN (soulagé, feuilletant les cartes d’identité une à une) – Fais voir tes fausses cartes d’identité !... Sophie Doucet, Lucie Martinot, Colette Provin, Ghislaine Perraud, Monique Tamère…

MOULOUD – Non ?

GAETAN – Je déconne c’est Monique Duval !

MOULOUD – Non mais t’es con hein ! C’est pas le moment !

GAETAN (toujours les fausses cartes en mains) – Et toutes avec la photo de ta copine... Y-a que la coiffure ou les lunettes qui changent.

MOULOUD – Mais comment c’est possible ?

GAETAN – Jo… Tu connais Sabrina ?

JO – Ben… Ben oui, c’est même grâce à moi qu’elle e rencontré Mouloud.

MOULOUD – Hein ?

GAETAN – Tu vois Mouloud, elles font tout dans notre dos ! On est que des pions !

JO – Sabrina avait trouvé une place de femme de ménage dans notre société. Mais j’ai vite repéré son attitude étrange. Elle posait trop de questions, traînait là où elle n’avait pas le droit d’aller. J’ai fini par la surprendre un soir alors qu’elle était entrée par effraction dans le bureau du patron. Elle m’a expliqué qu’elle était victime d’un chantage et contrainte par une société rivale de voler le fruit de certaines recherches. Si elle rentrait bredouille chez elle ce soir là, elle était en danger.

GAETAN – Et tu l’a pas balancée !

JO – Evidemment non !

MOULOUD – Bravo !

JO – Je l’ai planquée une nuit dans la chambre au 6ème étage. Puis j’ai eu l’idée de Mouloud.

GAETAN – Tu trouves une meuf en carafe et tu l’envoies vers Mouloud… Drôle de choix !

MOULOUD (son index sur son front) – C’est pas marqué « resto du cœur » là, mais t’as drôlement bien fait quand même princesse.

GAETAN – Ben tu m’étonnes ! Et toi grand corniaud t’es tombé dans le panneau !

MOULOUD – Mets toi à ma place ! Un matin je découvre, assise par terre dans l’entrée de mon immeuble, une môme canon qui fait la manche… (Lyrique) Des seins moulés comme les dunes du désert sous l’effet du sirocco, des yeux de braise à rôtir les merguez, des jambes longues et dorées comme les baguettes paysannes du boulanger de la cité, et dans le hall d’immeuble son parfum aux senteurs de loukoums qui embaume… jusqu'au fond des boîtes à lettres défoncées…

GAETAN – Un poète ! Nous avons parmi nous un poète !

MOULOUD -  Bref, je lui ai causé, offert un café et puis bon, ma séduction a fait le reste !

GAETAN – T’es cœur d’artichaut, ducon, c’est tout. Tu te fais squatter depuis des mois !

MOULOUD (indigné) – Comment ça : squatter ? T’imagines même pas nos nuits de folie… Que tu vois même pas ça sur les DVD qu’on achète rue St-Denis ! Et depuis 8 mois et 3 jours ?

JO – 4 jours ! 8 mois et 4 jours !

MOULOUD – Ouais, 8 mois et 4 jours… C’est vrai : on a passé minuit. Merci princesse !

GAETAN – Belle histoire, mais ta Sabrina elle te prend pour un con… T’es un pigeon Mouloud ! Remarque, elle a pas vraiment tort, parce que pendant que tu la crois tranquille en train de faire ton petit repassage, elle fait la grande lessive dans les coffres des banques.

MOULOUD – Et ben j’en connais d’autres qui font dans la bijouterie et qui feraient bien de se le jouer discret.

JO – Dans la bijouterie ? (à Gaétan.) Quelle bijouterie ? Qu’est-ce qu’il raconte ?

GAETAN – J’en sais rien moi, il déconne. C’est rien. Hein Mouloud ?

MOULOUD – Non presque rien. Un abruti de copain à nous qui embobine sa femme qui le croit au boulot alors qu’il dévalise les honnêtes commerçants.

JO – Chéri, je veux pas que tu rencontres ce copain à Mouloud ! Tu entends ?

GAETAN – Euh… Mais…

MOULOUD – T’inquiète Jo, je veille aux fréquentations de l’amour de ta vie.

JO – Toi ? Mais je rêve ! T’es complètement mouillé dans toutes sortes d’embrouilles.

MOULOUD – Ouais mais moi, c’est pas pour le fric c’est pour la derlanine.

JO – L’adrénaline.

MOULOUD – C’est comme tu préfères princesse.

JO – Pour en revenir à Sabrina, elle m’a téléphoné ce matin en m’annonçant qu’elle avait déposé un colis chez la concierge. Une surprise pour Mouloud qu’elle m’a dit.

MOULOUD – Tu parles, quand elle est rentrée de son casse à la banque, elle a dû trouver les keufs devant notre immeuble…

GAETAN – Mais c’est pas elle, c’est toi qu’ils attendaient…

MOULOUD – Sabrina, c’est d’la meuf !

GATEAN – Oui, bon… On peut attendre d’autres talents de sa compagne, non ?

JO (soupir) -  Bon… Et si on remettait tout ça dans le carton ?

GAETAN – Bonne idée !

Ils s’agenouillent tous trois et remballent en vrac les accessoires louches dans le carton, lorsque soudain Mouloud s’immobilise, tenant en main une grenouillette…

MOULOUD – Eh ?

GAETAN – Quoi encore ?

MOULOUD – Vous voyez ce que je vois là dans ma main ?

GAETAN – Ben oui, c’est une grenouillette.

MOULOUD (Rêveur) – Une grenouillette ! Et d’après vous ça sert à quoi une grenouillette ?

JO -  Ben ça sert à habiller les bébés avant de les mettre au lit.

MOULOUD – On a d’abord cru que c’était Jo qui avait acheté ça pour son bébé…

JO (à Gaétan) – Tu lui as dit pour nous ?

GAETAN – Ben… Vu le contenu de ce carton…

MOULOUD – Et comme c’est pas Jo qui a acheté toute cette layette, c’est donc Sabrina.

GAETAN – ça paraît logique.

MOULOUD – (Il se redresse d’un coup, debout, immobile) – Sabrina a acheté des fringues de bébé ! Sabrina a acheté des fringues de bébé !

JO (tenant en mains les billets pour Venise) – Et aussi un séjour pour deux à Venise.

GAETAN – Elle aurait dû choisir un séjour à Tataouine, que le grand poète arabe aille puiser son inspiration dans son pays d’adoption.

Mouloud se met à danser et chanter (Improviser sur la joie de devenir papa.) Soudain il fonce vers la sortie. Gaétan bondit à sa suite et  s’arrête sur le seuil de la porte.

GAETAN – Mouloud, où tu vas en pleine nuit ?

MOULOUD (off) – Il faut que je fête ça avec Sabrina !

GAETAN – Mais les keufs ! Tu vas te faire alpaguer avant même d’avoir aperçu Sabrina !

MOULOUD (off) – T’en fais pas pour moi, j’ai une idée et j’ai pas envie d’aller en tôle…

GAETAN – Mouloud !

MOULOUD – Y-a plus de Mouloud ! C’est Jean-Baptiste. Finies les conneries ! J’ai un enfant à élever moi maintenant,

Gaétan referme la porte et revient vers Jo.

GAETAN ( à Jo) – Tu le vois “papa“, toi, notre Mouloud ?

JO – Ben… Pourquoi pas ? Un enfant ça change tellement de chose…

GAETAN – Ouais… On verra.

JO – Et votre copain, tu sais… Celui qui dévalise les bijouteries en cachette de sa femme.

GAETAN – Oh tu sais… C’est surtout Mouloud qui le connait…

JO – Eh bien ce copain, je pense que lui aussi, s’il apprenait que sa femme attendait un enfant, il arrêterait de l’embobiner…. Tu cois pas ?

GAETAN – Euh… si, si. Je pense comme toi, mon amour : ce type n’est pas assez con… Enfin je suppose, pour compromettre un bonheur pareil.

JO – Bien ! Dans la foulée tu nous enlèveras donc toutes tes vieilles collections et tout ce que tu planques dans la chambre débarras… Faut faire de la place pour Arsène.

GAETAN – Arsène ?

JO – Ben oui ! Si c’est un garçon, j’aimerais l’appeler Arsène !

GAETAN – Mais enfin, mon amour, Arsène ça fait penser à Arsène Lupin... Personnage sympathique certes, mais bon… Pour la morale, y’aurait à dire !

JO – Ah ? Et moi qui croyais te faire plaisir.

GAETAN – Euh… Nous avons encore du temps pour y réfléchir. En tout cas… Sacrée soirée ! Pas fâchée qu’elle soit terminée.

JO (enjôleuse) – Mais la nuit, elle, n’est pas finie mon chéri… (Elle l’enlace).

Retour précipité de Mouloud.

JO – Oh non !... C’est pas vrai !

MOULOUD – T’inquiète-pas princesse, je ne fais que passer… (Il fouille à nouveau dans le carton et en ressort les liasses de billets dans toutes ses poches).

GAETAN – Hé Jean-Bapt ! Y-a même pas 2 minutes que tu t’es converti à l’honnêteté et tu retombes déjà dans le péché ?

MOULOUD (se précipitant vers la sortie) – Ouais mais ces thunes là, c’était avant ma promesse… Et puis c’est pas à moi, je rapporte juste à la proprio ! Allez à plus !

Il sort en laissant la porte ouverte.

             Jo se lève, ferme la porte, pousse le verrou et barricade avec une chaise.

GAETAN – Euh…Où en étions-nous déjà ?

JO – Viens !

Jo entraîne Gaétan vers la chambre, ils parlent en sortant de scène.

GAETAN – Jo, avec toi, je suis un grand cerf en rut !

JO – Mais… Où tu vas chercher des trucs comme ça ?

GAETAN – L’inspiration du moment !

JO – Dagobert… Fais moi des trucs comme sur les DVD qu’on achète rue St-Denis !

GAETAN – Rue Saint-De… Mais, je sais même pas où c’est, moi cette rue.

JO – Menteur !

Rideau.


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