Le rideau s’ouvre avec, en bande-son, des polyphonies corses qui revisitent « Une souris verte », la chanson d’enfance, le plus sérieusement possible. Ainsi, à l’ouverture du rideau, nous sommes à la fois en Corse et dans une comédie.
Les polyphonies reviendront pour faire les ellipses entre chaque scène et aider à la compréhension de l’histoire. Nous annonçons le code dès le début et jouons avec au fil des scènes.
Caroline est assise sur une bouée « canard » au milieu de tout ce bordel devant une assiette de charcuterie. Elle regarde autour d’elle, dépitée.
On entend un nourrisson qui hurle dans le babyphone.
Caroline prend le babyphone qui s’éclaire au rythme des pleurs, essaie de le bercer puis le repose en lui faisant une caresse.
Le bébé, à travers le babyphone, continue de pleurer. Quand il reprend sa respiration et qu’il y a du silence, c’est Caroline qui fond en larmes en silence jusqu’à ce que le téléphone sonne.
CAROLINE (déprimée, surjouant la détente alors qu’elle réprime des sanglots dans la voix) - Allô !… Salut Magda, ça va ?… Ouais, on vient d’arriver… Super. Tout est calme, ça fait du bien… Ah ! je suis contente d’être en vacances ! (Elle explose en sanglots.) Non, ça va, ça va… Tu sais ce que c’est : la déprime post-natale, celle qui succède à la déprime prénatale et qui précède la déprime de la rentrée… En gros, c’est juste un tunnel de douze mois à chialer ! (Elle se ressaisit.) Les enfants ? Ça va, ça va… Enfin, le p’tit dernier il ne fait toujours pas ses nuits… (Regard noir au babyphone.) Il ne fait toujours pas ses jours non plus, d’ailleurs. Chloé, elle, elle a décidé de pisser au lit depuis que son petit frère est né, et Paul… non, Paul, ça va : on en est plus qu’à trois séances d’orthophonie par semaine. Enfin, tout ça avec un père soi-disant spécialiste en pédopsychiatrie ! Je te le dis, c’est comme les cordonniers : les plus mal chaussés… Vous arrivez quand ? J’ai vu que la maison était toujours fermée… Comment ça, tu viens pas ?… Quoi ?! Noooon, il a pas fait ça ? Encore ! Ah ! le con !… Avec ta sœur ?! Ah ! le salaud !… Évidemment, tu ne viens pas ! Merde ! Le salaud, le salaud, je crois pas qu’il ait fait ça !… Ah ! non mais… Merde, non… Merde, non… Merde, merde… (Arrive Alban par-derrière. Elle le voit.) Merde… Bon, je te rappellerai… Quand on parle du loup, on en voit… (Réalisant qu’elle parle à sa femme.) Rien du tout ! Salut ! (Elle raccroche.)
ALBAN - Salut Caro ! Bienvenue en vacances, bienvenue en Corse !
CAROLINE (énervée) - Ca-ro-line ! Je déteste les surnoms, tu le sais très bien. Ça te fatigue de dire une syllabe de plus ?!
Alban regarde Caroline avec sa bouée.
ALBAN (la charriant) - Attends… Laisse-moi deviner : t’attends que l’eau de la piscine monte… Ou alors t’as trouvé ton styliste à « Aqualand » !
CAROLINE (réalisant) - Ah ça ! J’ai pas le choix, figure-toi : c’est à cause de mon épisiotomie, tu sais, pour l’accouchement du dernier. Je peux m’asseoir que sur une bouée pour que ça aère, que ça ventile, tu comprends. En plus, c’est un vrai carnage, j’ai le cul en chou-fleur ! L’entrecuisse en point de croix, on dirait une tapisserie d’Aubusson…
ALBAN (ravalant sa salive, surpris) - Ah ! ben normalement, c’est joli ça, les tapisseries d’Aubusson ! Tu me montreras ?
CAROLINE (levant les yeux au ciel) - Mon bide, c’est de la pâte à tarte, je perds mes cheveux par poignées, les vergetures je te raconte pas, mes seins, avec les veines, c’est la carte des fleuves de France, et je ne te parle pas du retour de couches. Tu veux du salami ?
ALBAN (dégoûté) - Non, merci, non. Mais sinon, ça va ? Il est où Stéphane ?
CAROLINE - Il est parti à Bastia chercher une baby-sitteuse qu’il a recrutée pour toutes les vacances… (Les cris du nourrisson reprennent.) Ça va nous aider, on va se reposer, se retrouver… En plus, elle est Anglaise, c’est pratique pour que les gosses s’éveillent à une autre langue…
ALBAN - En ce qui concerne le petit dernier, je crois qu’il est déjà parfaitement bilingue !
CAROLINE - Je le laisse un peu gueuler, pff… J’en profite que Stéphane ne soit pas là. Parce que tu comprends, pour lui : « On ne peut pas laisser pleurer un enfant. » Alors que pour moi, on peut le laisser gueuler pendant trois ans parce que je suis fatiguée, tu comprends ? Fatiguée !
ALBAN - Ouais, c’est vrai que tu as l’air un peu fatiguée, mais ça va être bien avec la baby-sitteuse, vous allez pouvoir vous répartir les tâches… D’ailleurs, vous allez faire comment ?
CAROLINE - C’est très simple : la morve, le caca collé au cul et les hurlements, c’est pour elle ! Le scooter des mers, les restaurants en terrasse et la bouée « banane », c’est pour moi !
ALBAN - Elle va pas regretter d’être venue. Je vais voir le p’tit dernier, je peux ? Comment il s’appelle déjà ?
CAROLINE - Basile. Comme « La bande ».
Alban va dans la chambre, passe une tête et revient.
ALBAN - Félicitations. C’est vrai que là il te ressemble, il a les traits défigurés par la douleur et la colère.
CAROLINE - Alban, ça ne va pas du tout. Je suis sûre que Stéphane me trompe… Tu sais, avec les enfants, je crois qu’on s’est un peu oubliés… Je pense qu’il me voit comme une mère et plus comme une femme et…
ALBAN (se voulant rassurant) - Mais non… Ce sont des crises passagères. Regarde, Magda et moi, ça fait quatorze ans qu’on est ensemble, on a traversé des épreuves dures, on a eu deux enfants et malgré ça…
CAROLINE - Elle t’a plaqué pour un danseur de flamenco parce que tu l’as trompée avec sa sœur, elle s’est barrée avec tes gosses et t’es tout seul comme un con en vacances avec tes lévriers nains. Je viens de l’avoir au téléphone !
ALBAN (péteux) - Bon, j’ai pas pris un bon exemple.
CAROLINE - Mais y’a pas de bons exemples : toutes les filles sont cocues et celles qui ne le sont pas… sont celles qui ne le savent pas ! Tiens, Stéphane, c’est ton ami, je suis sûre que tu sais des trucs que tu ne me dis pas.
ALBAN - Si Stéphane m’avait dit des trucs, tu serais la dernière personne à qui j’en parlerais ; logique, c’est quand même mon ami à la base, je sais tenir un secret.
CAROLINE - Eh bien, c’est ça ! Puisque je serais la dernière personne à qui t’en parlerais et que tu ne m’en as jamais parlé – on est d’accord ? – j’en déduis que… (Réalisant.) Putain, il n’a pas arrêté de le faire !
ALBAN - Euh… t’es fatigante à la fin…
CAROLINE - Ouais, je sais, je suis fatigante, je me fatigue moi-même, alors… C’est comme la transpiration, ça : quand on commence à se sentir, ça veut dire que les autres le sentent.
ALBAN - Je crois que tu nous couves une bonne dépression, c’est tout. Et… euh… sexuellement, ça va, vous ?
CAROLINE - Ben séparément, oui. C’est ensemble que… Tu vois, avec le descriptif de mon anatomie que je t’ai fait, c’est pas gagné. En plus, moi, après les enfants, je mets au moins deux ans à retrouver une sexualité normale et comme ils ont à peu près deux ans d’écart… Si tu calcules bien, dans deux ans, ça fera sept ans qu’on a pas vraiment baisé !
ALBAN (abasourdi) - Attends, mais là, s’il te trompe, c’est de la légitime défense !
CAROLINE - Tu crois ? Enfin, je compte beaucoup sur ces vacances et sur la baby-sitteuse pour nous retrouver et remettre la machine en route…
ALBAN (intéressé) - Elle risque d’être grippée, la machine. Et puis, tu sais, même dans ce domaine-là, il s’en est passé des trucs depuis cinq ans, ça a complètement évolué, ça s’est modernisé…
CAROLINE - Mais non, ça revient vite, comme le vélo, ça.
ALBAN - Ben non, tiens, justement le vélo… Aujourd’hui, tu remontes sur un vélo, tu te pètes la gueule. Ils ont des cadres profilés, les roues sont plus petites à l’avant, tout est en fibre de carbone…
CAROLINE - Qu’est-ce que t’es en train de me dire ? Qu’aujourd’hui, on a des capotes en titane, les bites sont digitalisées, on baise entre mutants et c’est la NASA qui s’en occupe ?! C’est ça ?
ALBAN (se rapprochant d’elle) - Non, mais si tu veux que je te fasse réviser… (Il lui renifle le cou par-derrière en relevant les cheveux de sa nuque.) Tiens, tu sens bon… C’est quoi ton parfum ?
CAROLINE - Ça s’appelle « Piège à cons » !… Et ça porte bien son nom. (Il se dégage.) Tu sautes sur tout ce qui bouge, toi. C’est terrifiant. Je vais essayer de ne pas bouger mais au niveau des cils, c’est très dur ! En plus, t’es pas regardant, je suis au maximum de mon potentiel laideur, ça me flatte pas du tout que tu me dragues. Et si c’est de la pitié, c’est encore pire !
ALBAN - Tu sais, Caroline, je suis comme ça, on ne se refait pas…
CAROLINE - Oui, ben on devrait peut-être ! Tu n’y as jamais songé ? Tu vas pas vivre comme tes whippets débiles qui bouffent dans toutes les assiettes et qui reniflent...