ACTE I
A l'ouverture du rideau, il n'y a personne sur scène mais on entend des éclats de voix et des rires en provenance des coulisses. Ceux ci baisseront en intensité pour ne pas gêner l'arrivée du premier personnage. Il vient par la salle, tout vêtu de noir, d'allure inquiétante et s'arrête devant la scène. Son portable vient de sonner. (voir sonnerie de circonstance, genre celle des tontons flingueurs) Il décroche. On entendra la voix de son interlocuteur.
FRANCIS, voix lugubre. – Francis Petipois, j'écoute.
VOIX OFF, gravement. – C'est vous Petipois ?
FRANCIS, voix lugubre. – Oui, c'est moi. C'est vous monsieur ?
VOIX OFF, un peu agacé. – Le mot de passe Petipois, le mot de passe...
FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.
VOIX OFF. – Parfait.
FRANCIS. – Parfait, parfait... vous ne vous êtes pas foulé pour trouver un code pareil.
VOIX OFF, gravement. – L'important, c'est de pouvoir communiquer sans être reconnu.
FRANCIS. – Parlez pour vous... je ne sais même pas qui vous êtes.
VOIX OFF, presque menaçant. – Moins vous en saurez sur moi, mieux ça vaudra pour vous.
FRANCIS. – Par contre, vous savez tout de moi.
VOIX OFF. – Un bon patron doit tout connaître de ses employés. Il semblerait que vous ayez les atouts nécessaires pour faire un bon tueur à gages, mon cher Francis.
FRANCIS, buvant du petit lait. – Vous avez tapé à la bonne porte, m'sieur. Cent pour cent de réussite, aucun échec.
VOIX OFF. – Relativisez voulez vous... c'est votre premier contrat je crois ?
FRANCIS, essayant de se rattraper. – Ouais, mais avec Francis Petipois, on passe de vie à trépas. Un bon slogan publicitaire, non ?
VOIX OFF. – Sauf que pour cette mission, vous ne descendrez personne.
FRANCIS. – Quoi ! On ne trucide personne ? Et ma réputation, qu'est ce que vous en faîtes ?
VOIX OFF. – Vous vous contenterez de menacer et de faire peur à mon client.
FRANCIS. – Fallait le dire avant... j'aurais changé mon 6/35 par un pistolet à eau.
VOIX OFF. – Qu'importe, vous serez payé de la même façon.
FRANCIS. – Payer un tueur de mon envergure juste pour affoler un quidam... Vous avez de l'argent à foutre en l'air..
VOIX OFF. – Contentez vous de bien faire le travail ou vous pourriez le regretter.
FRANCIS, calmé. – Compris monsieur.
VOIX OFF. – Vous êtes bien au numéro 9 de la rue des mauves ?
FRANCIS, vérifiant le N° de la rue. – Affirmatif m'sieur.
VOIX OFF. – Alors allez y, je compte sur vous.
FRANCIS. – Comment s'appelle le futur traumatisé ?
VOIX OFF. – Pas de nom au téléphone ! Je vous rappelle juste que « sa cervelle est sous son chapeau ».
FRANCIS. – Ça ne veut carrément rien dire vot'truc.
VOIX OFF. – Vous savez ce qu'est un chapeau ?
FRANCIS. – Ben oui, j'suis pas demeuré quand même.
VOIX OFF. – Vous savez ce qu'est une cervelle... si tant est que vous sachiez vous servir de la vôtre ?
FRANCIS. – Ben oui, j'vous remercie.
VOIX OFF. – Donc je répète : La cervelle est sous le chapeau.
FRANCIS, répétant. – La cervelle est sous le chap...
Au même moment, un homme arrive sur scène, portant un chapeau d'aventurier sur la tête. Francis le voit et comprend.
FRANCIS. – Sous le chapeau ! OK m'sieur, j'ai pigé. Vachement subtil vot'truc.
VOIX OFF. – Au travail Francis, je vous rappellerai plus tard pour vous fournir d'autres détails.
Presque aussitôt, deux femmes arrivent, portant elles aussi, un chapeau sur la tête -(Voir des chapeaux très différents). Elles sont en conversation avec l'homme. Francis vient de réaliser.
FRANCIS. – C'est quoi ce chantier ! Allo m'sieur, y a un problème. Ouh ouh, m'sieur ? Il a raccroché.
Une troisième femme arrive, chapeautée, elle aussi.
FRANCIS, de + en +affolé. – En voilà quatre maintenant ! Oh, pétard ! Elle est sous quel chapeau, la cervelle ?
Il va se planquer dans un coin, en bas de la scène et observe.
SIMON, pressé par ses fans, mimant son récit, une baguette de pain à la main. – J'étais là, ma carabine spécial safari 416 Rigby à la main... l'oeil et l'oreille aux aguets... le nez à l'affût, sentant l'odeur âcre et nauséabonde d'un fauve en rut proche de nous... quand soudain...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Quand soudain ?
SIMON. – Un cri déchirant envahit la brousse. (Il hurle à la mort.)
Les trois femmes se serrent les unes contre les autres tandis qu'en bas de la scène, Francis sursaute et sort son revolver de sa poche. Arrivée de mamie Agnès... avec un chapeau !
FRANCIS. – Eh merde ! Voilà un cinquième chapeau. C'est carrément carnaval là dedans !
AGNÈS. – Qu'est ce qu'il se passe ?
AXELLE. – Chut madame Agnès, c'est Simon qui raconte son safari en Afrique.
AGNÈS. – Pourquoi il crie comme ça ?
ALISSON, prise dans l'histoire. – Il vient d'y avoir un accident.
AGNÈS. – Il s'est blessé ?
ANNA, lui intimant de se taire. – Pas lui, il tient le fusil.
SIMON, avec suspense. – Dans mon dos, un cri déchirant envahit donc la brousse. Je me retourne et là...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Et là ?
SIMON, ménageant le suspense. – Qu'est ce que je vois ? Un énorme tigre en train de boulotter la guibolle gauche de mon guide...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Quelle horreur !
SIMON. – Le pauvre se débattait et plus il se débattait, plus la bête s'acharnait sur lui. Le sang giclait partout et maculait de coulées rougeâtres les feuilles vertes des acanthéas... C'était horrible. Jamais de ma vie de chasseur de fauves je n'avais assisté à un spectacle aussi répugnant.
AXELLE. – Fallait tirer !
SIMON. – Réaction primaire Axelle, mais hélas... le tigre du Bengale est une espèce protégée... et je risquais de passer dix ans dans une geôle bengalaise. Ça ne m'aurait pas grandi dans le monde des chasseurs de safari.
AGNÈS. – Pendant ce temps, ton guide, lui, il se raccourcissait à vue d'oeil.
SIMON. – Elle a raison mamie, d'autant que le fauve venait de s'attaquer à sa deuxième guibolle. Mais non, impossible de tirer, je risquais de les tuer tous les deux.
ANNA. – T'as fait quoi alors ?
SIMON. – N'écoutant que mon courage, j'ai défait la ceinture de mon pantalon...
AXELLE. – Pourquoi faire ?
SIMON. – Je l'ai jeté à Amrish pour qu'il se fasse un garrot en urgence.
ALISSON. – Ben oui, forcément. Dans la panique, j'y aurais jamais pensé.
ANNA. – Quoiqu'on dise aujourd'hui que le garrot ce ne serait pas conseillé.
SIMON, même jeu. – Conseillé ou pas, là, les filles, y avait vraiment urgence...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Oh le pauvre !
SIMON. – Alors, tel un toréador, j'ai excité le fauve pour qu'il vienne vers moi.
AXELLE. – Et ça a marché ?
SIMON. – Exactement comme prévu. Il s'est retourné lentement, a léché quelques gouttes de sang sur la rotule de mon guide avant de le quitter puis il s'est avancé vers moi, doucement, de sa démarche chaloupée, ses yeux braqués sur les miens, la gueule grande ouverte découvrant ses crocs sanguinolents...
ANNA. – T'as dû avoir la trouille ?
SIMON, faussement modeste. – Tu sais, la peur est la compagne quotidienne du baroudeur, faut savoir faire face au danger, c'est tout.
ANNA. – Quel courage ! Je suis admirative.
ALISSON, impatiente. – Finalement, tu l'as descendu, ou pas ?
SIMON. – A force de reculer à petits pas, je sentais mon pantalon, privé de ceinture, obéir aux lois de la gravité et quitter lentement la rondeur de mes hanches pour glisser insidieusement vers mes genoux...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Noooon !
ANNA. – Comment tu fais pour raconter ça le plus naturellement du monde ?
SIMON, mimant. – Alors, avec une parfaite synchronisation, le tigre m'a sauté dessus au moment précis où je me baissais pour remonter mon froc.
ALISSON, époustouflée. – Oh le bol !
SIMON, mimant. – Du coup, il est passé carrément au dessus de moi et, emporté par son élan, il est allé se fracasser le crâne sur le tronc d'un énorme baobab qui était juste derrière nous.
ALISSON, idem. – Oh le re- booool !
SIMON, faussement fatigué par son récit. – Je n'avais jamais vu la mort d'aussi près.
AGNÈS. – Le tigre aussi j'imagine.
ANNA. – Oh pétard, à quoi ça tient.
AGNÈS. – On dit souvent que la vie ne tient qu'à un fil mais là, ça n'a tenu qu'à une ceinture de pantalon.
AXELLE. – Et ton guide, vous avez pu le sauver ?
SIMON. – Les secours sont arrivés très vite et ont récupéré les deux jambes arrachées pour les lui greffer. Il était temps parce qu'un singe commençait à jouer avec les orteils d'une de ses guibolles
AXELLE. – Ce qui fait qu'aujourd'hui, il remarche ?
SIMON. – Ouais, mais mal parce que les chirurgiens bengalais se sont plantés et lui ont greffé la jambe droite sur le genou gauche. Alors forcément, il fonctionne beaucoup moins bien qu'avant et il marche un peu en crabe.
ANNA. – Il ne doit plus être très bien latéralisé.
ALISSON, catastrophée. – Oh le manque de booool !
SIMON. – Je déconne Allison... j'déconne ! C'est pour donner une petite note marrante au récit.
ALISSON. – J'aime mieux ça. Je le connais pas le mec mais j'avais de la peine pour lui.
SIMON. – Il a quand même eu droit de garder la tête du tigre comme trophée. Bon, elle était un peu esquintée mais ça lui fait quand même un bon souvenir. Par contre, il n'a jamais voulu m'accompagner dans mes autres expéditions.
Arrivée d'Andréa, chapeau sur la tête, un peu énervée. Étonnement de Francis.
FRANCIS. – Mais c'est pas vrai, en v'là encore un autre !
ANDRÉA. – Ça va ? Pas trop fatiguées les filles ?
ALISSON. – Tu sais qu'on vient de passer un sale moment dans la jungle...
AXELLE. – Tu nous avais caché que ton mari était un véritable aventurier.
ANDRÉA. – Ah d'accord... Au lieu de préparer la table, vous avez eu droit à la mort du tigre du Bengale...
ANNA. – Comme ce doit être excitant de vivre aux côtés d'un homme comme Simon.
ANDRÉA, relativisant. – Excitant n'est pas le mot exact. Le seul safari qu'il ait fait, c'est un safari photos en voyage organisé et le seul tigre qu'il ait vu un jour, c'est celui du zoo de La Boissière du Doré... tigre qui est mort de vieillesse l'an dernier. (Choisir un zoo près de chez vous.)
ANNA, admirative. – Enfin Andréa... son guide, les deux jambes arrachées... le tigre plaf, la tête dans un baobab... Ce ne sont pas des trucs qui s'inventent.
ANDRÉA. – Eh bien si, ça s'invente et tu peux compter sur Simon et son imagination fertile. Avec lui, rien d'impossible. Il a vraiment l'esprit fécond... et souvent en deux mots... fait con.
SIMON. – Ne l'écoutez pas, Andréa est jalouse de mes aventures parce qu'elle est terriblement casanière et ne supporte pas mes voyages périlleux avec mes amis.
ANDRÉA, lui cassant son coup. – Pêcher le saumon pendant 6 jours dans une rivière d'Écosse avec tes copains... quel péril ! J'en frémis rien que d'y penser. A part te prendre la queue du salmonidé en pleine tronche en le sortant de l'eau, je vois pas très bien où est le danger.
AXELLE. – Pourquoi tu minimises ses exploits ?
ANDRÉA. – Tout simplement, Axelle, parce que Simon ne fait jamais d'exploit !
SIMON, en rajoutant une louche. – Et le feu de brousse sur les bords du fleuve Aquatico, au Guatémala ? C'était pas un exploit, ça, peut être ?
ANDRÉA. – Vous n'y avez pas encore eu droit à son feu de brousse ? Vous avez raté quelque chose, les filles.
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Raconte !
SIMON, se lançant dans son histoire. – Il faisait une chaleur torride et tout un pan de la brousse était la proie des flammes qu'un vent violent poussait inexorablement vers nous...
ANDRÉA, précisant, moqueuse. – A cause d'un gars de l'expédition qui avait jeté son mégot de cigarette sans l'éteindre.
ANNA, gobant tout au vol. – Quel inconscient !
SIMON, continuant son histoire. – Le feu se répandait à toute allure dans...
ANDRÉA, le coupant et prenant le relais. – Dans cette végétation sèche et dense en formant des brasiers énormes où se mélangeaient les odeurs âcres des essences en pleine combustion...
ALISSON. – On a l'impression que tu y étais...
ANDRÉA, blasée. – Connais l'histoire par cœur... Entendue au moins cinquante fois.
SIMON, voulant reprendre la main. – Tous les gars de l'expédition reculaient vers la seule issue possible à notre salut... le ...
ANDRÉA, toujours moqueuse, mettant un ton dramatique. – Le fleuve Aquatico, à quelques mètres derrière nous mais hélas peuplé de nombreux crocodiles.
SIMON, inarrêtable. – Alors là, en qualité de chef d'expédition, une question m'a taraudé l'esprit. Devons nous...
ANDRÉA, toujours moqueuse, le coupant à nouveau. – Mourir brûlés vifs, cuits à point ou être mangés crus par les crocodiles ?
SIMON, les prenant à témoin. – Choix cornélien, avouez le.
ANDRÉA, même jeu. – C'est alors que Simon a eu l'idée géniale de faire couper une branche de bois à chacun des membres de l'expédition...
ANNA, gobant tout au vol. – Pourquoi faire ?
AXELLE- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Tais toi et écoute.
SIMON, mimant le geste à la parole. – Pour bloquer la gueule grande ouverte de chaque crocodile qui essayait de nous choper sur la rive du fleuve.
ANDRÉA. – Il avait lu ça, étant gamin, dans l'album de Tintin au Congo.
ALISSON, prise aussi dans l'histoire. – Et ça a marché ?
SIMON. – Au delà de mes espérances.
ANDRÉA. – Tu penses bien que les premiers crocodiles qui se sont retrouvés, couillonnés, la gueule grande ouverte bloquée par un vulgaire bout de bois, ils ont fait signe à leurs copains de se barrer vite fait pour ne pas finir comme eux. Sont vachement solidaires, ces bestioles.
ANNA. – Et puis, eh... peut être pas envie de finir en sac à main, les crocros.
SIMON. – Du coup, on a tous pu se réfugier dans les eaux du fleuve, le temps que l'incendie s'arrête de lui même.
AXELLE, admirative. – Finalement, tu as sauvé toute l'expédition ?.
SIMON, faussement modeste. – Je n'ai fait que mon devoir.
ANDRÉA, pragmatique. – Et si ton devoir maintenant, c'était de ne pas éteindre le feu mais d'allumer celui du barbecue afin qu'on puisse pique-niquer ce midi !
ANNA, tapant dans ses mains. – Oh oui, en frottant deux silex l'un contre l'autre, comme dans les stages de survie...On y va Simon ?
ANDRÉA, pragmatique. – T'emmerdes pas, Anna, tu prends des allume feu et ton briquet, comme tout le monde. Et on pourra manger à l'heure.
Mamie Agnès qui était calme depuis tout un moment et suivait distraitement les discussions, l'esprit parti ailleurs, se réveille soudain.
AGNÈS. – Allez allez, c'est terminé, y a plus de consultation aujourd'hui, vous pouvez rentrer chez vous.
Toutes se regardent étonnées, sauf Simon et Andréa qui viennent de réaliser que la mamie vient de repartir dans une de ses crises d'absence qui lui arrivent de temps en temps. En fait, elle se revoit dans son ancien métier de médecin de village.
ANDRÉA, calmement. – Maman, viens que je présente mes amies et collègues de travail. Il manque juste Aline qui va arriver bientôt.
AGNÈS. – Je t'ai déjà dit que je ne voulais pas que tu joues avec mes malades. Sans parler qu'ils peuvent te refiler leurs maladies mais en plus, ils ne me paieront pas mes consultations sous prétexte qu'ils te connaissent.
AXELLE. – Ouh là, qu'est ce qu'il se passe ?
AGNÈS, à Axelle. – Il se passe que vos crises hémorroïdaires ne disparaîtront jamais si ne faîtes pas attention à votre alimentation. Voilà ce qui se passe !
AXELLE, perdue. – Qu'est ce que vous racontez, je n'ai jamais eu d'hémorroïdes.
AGNÈS. – Ma petite dame, vous n'allez pas remettre en cause mes dix années de médecine à la Faculté de Nantes plus mes quarante ans d'exercice de la profession ! Alors je sais encore reconnaître cette pathologie.
AXELLE, regards allant d'Agnès à Andréa. – Je vous assure que de ce côté là, tout est nickel.
AGNÈS. – Taratata, vous avez une tête à hémorroïdes.
AXELLE, un peu vexée. – Je ne sais pas trop comment je dois prendre ça...
ALISSON, en riant. – C'est parce que tu te plains souvent d'avoir la tête dans le... (Facultatif, à vous de voir.)
AXELLE, se forçant à rire. – Très drôle.
ANDRÉA, à voix basse. – J'vous en ai jamais parlé, les copines, mais maman perd la tête par moment et elle se croit encore médecin dans son petit village.
AGNÈS. – Depuis quand est ce que tu interviens dans mes consultations, toi ? Le secret professionnel, ça te dit quelque chose ? (Revenant à Axelle.) Vous mangez toujours aussi épicé ?
AXELLE, mi figue-mi raisin. – Ben oui, j'aime bien ça.
AGNÈS, se fâchant. – Je vous ai dit cent fois de ne pas manger épicé, ça favorise les poussées. Mais non, madame n'en fait qu'à sa tête et vient consulter en urgence ensuite. Faut pas vous étonner que la crise hémorroïdaire vous pende au nez après ça.
Elles se retiennent toutes de rire.
AGNÈS, à Allison. – Et ça la fait rire celle ci, avec la pathologie qu'elle se trimbale et dont elle ne veut jamais parler.
ALISSON, inquiète. – Ah bon... qu'est ce que j'ai ?
AGNÈS. – C'est ça, faîtes l'idiote. Incroyable ce déni de la maladie.
ALISSON, de + en + inquiète. – J'ai un déni de quoi ?
AGNÈS. – Vos incontinences urinaires. Toujours les petites gouttes qui se barrent en douce quand vous riez ou quand vous toussez?
AXELLE, moqueuse à son tour. – C'est ce qu'on appelle un déni... de fuite. (Elle rit.)
ANDRÉA. – T'affoles pas Al, tu vois bien comment maman réagit en ce moment.
ALISSON, très sérieuse. – Andréa... ta mère était médecin et elle a peut être détecté un truc chez moi... qui va m'arriver bientôt.
ANNA. – Dans l'immédiat, la question c'est de savoir... tu fuis ou tu ne fuis pas ?
ALISSON, serrant les jambes. – Pas encore mais maintenant qu'elle en a parlé, j'ai vachement envie de faire pipi.
AXELLE, moqueuse à son tour. – En même temps, au niveau diagnostic, excuse du peu. Elle m' a trouvé des hémorroïdes juste en me regardant dans le blanc des yeux !
ANNA, moqueuse à ses copines. – Entre la vessie et le trou de balle... Je m'en sors plutôt bien, moi, les filles. En attendant, je pète la forme et j'ai faim.
AGNÈS, revenant à la réalité. – Moi aussi, j'ai faim. Quand est ce qu'on mange ?
ANNA, moqueuse, étonnée. – Et vos consultations ?
AGNÈS, riant. – Quelles consultations ? Vous savez que je suis en retraite depuis maintenant trois ans (A voir selon l'âge de la mamie.). Au début, ça m'a paru tout drôle mais maintenant je suis habituée.
ANDRÉA, à ses amies. – Et voilà, la crise est passée... jusqu'à la prochaine...
AGNÈS. – Et je suis bien contente que vous soyez toutes venues pour l'anniversaire d'Andréa. Et quelle bonne idée de se chapeauter de façons différentes. C'est amusant.
FRANCIS, désabusé. – T'as raison la vieille, c'est carrément poilant ! !!??
ANDRÉA, réaliste. – On s'en occupe de ce barbeuc oui ou non ?
ALISSON. – On est quand même venues un peu exprès pour ça. (Sautillant sur place.) Je vais peut être sauter aux toilettes avant...(Elle part en courant sous les rires des autres.)
ANDRÉA. – Maman et Axelle, vous installez la table et les chaises sur la terrasse.
AXELLE, au garde à vous. – Bien chef ! (Elles partent.)
ANDRÉA, directive. – Simon et Anna … opération allumage.
ANNA, suivant son idée. – Et si on essayait en frottant deux morceaux de bois l'un contre l'autre...ce serait plus rapide qu'avec des silex...
SIMON. – La dernière fois que j'ai allumé un feu de cette façon, c'était une nuit noire, dans la forêt des Carpates, pour éloigner une horde de canis lupus affamés qui nous encerclait.
ANNA. – Des canis quoi ?
ANDRÉA, blasée. – Il te le fait scientifique mais ce n'était que des loups.
SIMON, en ajoutant une louche. – Oui... mais les terribles loups gris des Carpates associés ce soir là à des lynx roux et à des ours bruns...
ANDRÉA. – Pour le même prix, t'as droit à la version colorisée. (Ou aux couleurs en prime.)
SIMON, gestes à l'appui. – On voyait des dizaines de paires d'yeux briller dans l'obscurité et les gargouillements des estomacs vides nous parvenaient, mêlés aux hurlements et grognements lugubres des bêtes en quête de repas.
ANDRÉA, l'arrêtant net. – Simon ! Nos invitées aussi ont leur estomac qui gargouille. Alors ce serait bien que tu te magnes le popotin pour lancer le barbecue avant qu'ils ne se fassent les crocs sur tes guibolles.
SIMON, à Anna. – Viens, je te raconterai la suite en allumant le machin. (Ils partent.) Le feu ne prenait pas et les bêtes se rapprochaient dangereusement de nous...On sentait leur souffle chaud ... (Les voix se perdent en coulisses.)
ANDRÉA. – C'est pas possible un bonhomme pareil ! Et les copines qui sont béates d'admiration devant ses affabulations. Si elles savaient qu'on passe toutes nos vacances d'été chez son copain de régiment, à Farfouillis sur Gransac, dans la Creuse... et qu'on fait la route en deux fois parce que Crocodile Dundee est fatigué... il retomberait de son piédestal, le super héros. (Choisir une localité dans un département à 150 kms de chez vous et actualiser les personnages aventuriers.)
AXELLE, réapparaissant. – Aline vient de m'appeler, elle arrive dans cinq minutes. Elle a eu des problèmes pour expliquer à son mec qu'elle venait à un barbecue entre copines.
ANDRÉA. – Toujours aussi jaloux son Patrick. J'arrive les filles.
Elle sort. Prudemment, Francis monte sur scène et regarde de tous côtés. Il avance vers le fond de la scène.
FRANCIS. – Quelle idée de m'envoyer exécuter un contrat en pleine soirée barbecue. Ça va jeter un froid sur la viande. (Content de lui, il rit en silence mais en secouant les épaules.)
Axelle arrive dans son dos et pose bruyamment une chaise sur le sol.
AXELLE, voix forte. – Que faîtes vous là ?
Surpris, Francis se jette à terre tout en portant sa main dans son étui revolver. Il évite de sortir son arme en voyant Axelle.
FRANCIS, se relevant. – Ça ne va pas de faire peur aux gens comme ça !
AXELLE, allant vers lui. – Eh ben dîtes donc, vous êtes un rien émotif.
FRANCIS, époussetant sa veste. – On n'arrive pas dans le dos des gens sans prévenir. C'est un truc pour passer l'arme à gauche, ça !
AXELLE. – Désolée de vous avoir surpris. (S'approchant près de lui.) Attendez que j'époussette votre veste.
FRANCIS, avec force. – Ne me touchez pas !
AXELLE, bras tendus en avant pour le calmer. – Ok ok, ne vous fâchez pas. Quelle idée aussi d'entrer chez les gens sans y être invité.
FRANCIS, faussement ennuyé. – Pardonnez moi... mais je suis très perturbé aujourd'hui.
AXELLE, le regardant avec commisération. – Je vois ça. Vous avez la tête d'un croque mort qu'aurait paumé son macchabée un jour de sépulture.
FRANCIS, même jeu. – Vous ne croyez pas si bien dire...
AXELLE. – Vous êtes dans les pompes funèbres ?
FRANCIS, faussement peiné. – Pas vraiment...
AXELLE, ennuyée. – Du côté du défunt ?
FRANCIS, baissant la tête. – Wouiiii.
AXELLE. – C'est pour ça que vous êtes en deuil ?
FRANCIS. – Wouiiii.
AXELLE, curieuse. – Un proche ?
FRANCIS, faussement chagriné. – Oh là là...
AXELLE. – Maladie ? Accident ?.
FRANCIS, inventant au fur et à mesure. – Un sale truc qu'il n'a pas vu venir...
AXELLE. – Oh le pauvre ! Quelque chose d'incurable ?
FRANCIS, même jeu. – Pensez donc... la cervelle...
AXELLE, pour dire quelque chose. – On parle toujours du foie, de la rate, des reins mais c'est aussi un organe important la cervelle... et on en parle pas souvent de la cervelle... sauf dans les restaurants. Tenez je connais une recette de cervelle de veau aux câpres. Vous passez la cervelle sous un filet d'eau fraîche, vous la mettez dans une casserole, vous la recouvrez d'eau froide, vous salez et vous laissez frémir à feu doux...
FRANCIS, faussement indigné. – Arrêtez ! C'est moi qui frémis en imaginant la cervelle de mon futur défunt en train de barboter dans un bouillon d'eau salée.
AXELLE. – Ah, il n'est pas encore mort ? Oubliez ce que j'ai dit, d'autant qu'il ne doit rien avoir d'un jeune veau... votre futur défunt...
FRANCIS. – C'est sûrement quelqu'un de bien... mais... même protégée par un chapeau, sa cervelle est très sensible. (Insidieusement.) Vous portez toujours un chapeau ?
AXELLE, répondant à côté de la question. – Vous trouvez qu'il me va bien ? En fait...
Arrivée rapide de Aline par la salle qui lui coupe la parole et laisse Francis sans réponse à sa question. Ce dernier ne doit pas voir arriver Aline.
ALINE, arrivant, chapeau sur la tête et lunettes de soleil. – Ouh ouh, Axelle, j'arrive !
AXELLE, allant au devant d'elle. – Eh ben, c'est pas trop tôt ma grande.
Francis ne doit pas reconnaître Aline. Il repère juste l'arrivée d'un nouveau chapeau et ça le met en rogne. Il peut aller et venir sur la terrasse, nerveux, tout en récupérant son chapeau tombé à terre et en le nettoyant.
FRANCIS. – C'est pas possible un cirque pareil ! Comment je la retrouve la cervelle sous tous ces chapeaux ? Je commence à en avoir marre... mais marre ! Ras la casquette !
ALINE, embrassant Axelle. – J'ai eu toutes les peines du monde à me débarrasser de Patrick.
AXELLE. – Toujours aussi collant ton mec ? C'est Patex, pas Patrick qu'il devrait se prénommer ton pote ! (Elle rit.)
ALINE. – Il est d'une jalousie maladive. (L'imitant.) Tu vas où ? Tu m'jures qu'il n'y aura pas de mec avec vous ? Pourquoi tu m'emmènes pas ? Pourquoi vous ne vous réunissez qu'entre filles ? Etc... etc...
AXELLE. – T'avais qu'à lui répondre qu'il y avait trois filles célibataires et que le seul mec présent, ce serait Simon, le mari à Andréa.
ALINE. – Il est sympa le Simon ?
AXELLE. – Très sympa ! Il nous a raconté ses aventures de vacances... ses safaris... Incroyable ce que ce type a pu vivre dangereusement auprès des fauves.
ALINE, montrant Francis qui tourne le dos. – Par contre, en tenue de pingouin, il n'a pas vraiment l'allure d'un baroudeur, le Simon...
AXELLE. – Ah non non, ce monsieur c'est…
Aline arrive sur scène juste comme Francis se retourne vers elle. Ils se découvrent mutuellement et coupent la parole à Axelle. Celle ci va suivre les échanges suivants, son regard, complètement étonné, allant de l'un à l'autre des interlocuteurs.
ALINE, tombant des nues. – Francis !
FRANCIS, même jeu. – Aline!
ALINE. – Qu'est ce que tu fiches ici ?
FRANCIS. – Et toi ?
ALINE, un peu agressive. – Je suis invitée chez des amies qui, jusqu'à preuve du contraire, ne sont pas les tiennes.
FRANCIS, inquiet. – Tu portes le chapeau maintenant ?
ALINE, un peu agressive. – Toi aussi à ce que je vois...
FRANCIS. – Tu n'en portais pas auparavant... Ça t'énervait le chapeau que tu disais...
ALINE. – Et alors, j'ai pas le droit de changer de look ? Sache mon petit bonhomme que j'aime le chapeau... que j'en porte à longueur de temps... que je mange avec... que je dors même avec parfois. Ça te pose un problème ?
FRANCIS. – Ça te grattait le cuir chevelu autrefois... les chapeaux... (Instinctivement il se gratte le bas du corps.)
ALINE, le montrant du doigt. – Et alors ! Tu te grattes bien les roubignoles et ça ne t'empêche pas de porter un slip ! (Facultatif, à vous de voir si trop grossier.)
FRANCIS, s'arrêtant net. – C'est nerveux... c'est quand...
ALINE, le coupant. – Quand monsieur est contrarié, il a des démangeaisons sur tout le corps. Je sais !
AXELLE, tombant des nues. – Vous vous connaissez ?
ALINE. – Un peu qu'on se connaît... (Le présentant.) Francis Petipois... mon ex.
AXELLE. – Le mec que t'as largué parce qu'il était triste comme un bonnet de nuit ?
ALINE. – Six mois de cohabitation avec lui et tu finis, shootée au Prozac dans un hôpital psychiatrique.
FRANCIS. – Tu m'as pourtant dit, un jour, que j'étais la lumière de ta vie, non ?
ALINE. – T'as dû n'être allumé qu'un seul jour alors parce que, tout le reste du temps, on a vécu dans la pénombre. Et dans tous les sens du terme, la pénombre. C'est tout juste s'il ne fallait pas s'éclairer à la bougie pour économiser du courant électrique.
AXELLE, à Francis. – Et radin en plus !
FRANCIS, rectifiant. – Économe... c'est pas pareil.
ALINE. – Tu n'as pas honte de parler d'économie alors que c'était moi qui faisais bouillir la marmite !
FRANCIS. – Je te remercie de me rappeler que j'étais chômeur... que je n'avais pas encore trouvé ma voie... C'est très délicat de ta part.
ALINE. – Si tu n'avais pas passé ton temps sur ta console de jeux débiles, tu l'aurais peut être trouvé ta voie !
AXELLE, à Francis. – Il paraît qu'à un moment, y avait juste à traverser la route pour trouver du boulot. (A actualiser.)
ALINE. – Eh oui, mais pépère Francis préférait la position allongée, sur le canapé à se prendre au jeu d'un sérial killer ou d'un justicier masqué. C'était son truc, ça !
FRANCIS, faussement triste. – Pourquoi tu m'as quitté Aline ?
ALINE, à Axelle. – Non mais je rêve ! Il me demande pourquoi je l'ai quitté. (A Francis.) Mais parce que tu es un véritable fainéant, un loser, un bon à rien. Je m'emmerdais avec toi, Francis. Six mois à tes côtés et j'étais mûre pour entrer en maison de retraite.
FRANCIS. – Mais je t'aimais moi... et je t'aurais accompagné jusqu'à ce qu'on ait l'âge d'entrer en Ehpad.
ALINE. – C'est plus de l'amour, c'est de la rage ! Un an à me courir après, à me harceler à tous les coins de rue, à m'envoyer des poèmes débiles...
AXELLE, admirative. – Ah la vache, un poète !
ALINE. – Calme toi, c'est pas du Lamartine non plus. Écoute un peu...(Elle déclame.)
Je voudrais tant que tu te souviennes
Cette chanson était la tienne
C'était ta préférée, je crois
Je l'ai écrite rien que pour toi.
AXELLE, en riant. – Ah d'accord, il s'emmerde pas le copain, il pique carrément les textes des autres.
ALINE. – Écoute la suite...(Elle déclame.)
Dans les discos aux chaleurs moites
Nous dansions enlacés, Aline,
Ah qu'est ce qu'on est serré, au fond de cette boite
Chantent les sardines, chantent les sardines...
AXELLE. – Il a démarré à fond avec Jacques Prévert mais il termine en quenouille avec Patrick Sébastien.
FRANCIS. – Ça venait du cœur...
AXELLE. – On sent bien que c'est pas parti de la tête.
ALINE. – Comme je ne répondais pas, monsieur est venu brailler sous mes fenêtres (Elle chante.) Et j'ai crié, crié-é Aline, pour qu'elle revienne et j'ai crié, crié-é, oh, j'avais trop de peine...
AXELLE, à Francis. – Ah ouais, vous ne vous êtes pas foulé sur ce coup là aussi. Encore du pot qu'elle s'prénomme Aline, la copine.
ALINE. – Tous les soirs, pendant huit jours, il m'a poussé la même sérénade en chantant archi faux! J'ai même eu droit à une pétition des locataires de mon immeuble.
FRANCIS. – J'ai essayé de me faire pardonner en t'invitant, à une soirée romantique, au restaurant...
ALINE. – Parlons en de ta soirée romantique au restaurant... Un Big Mac chez MacDo, arrosé de Coca... Big Mac dans lequel tu as planté tes dents avec voracité en faisant gicler le Ketchup sur ma robe toute neuve. Bravo !
AXELLE, pragmatique, à Francis. – Quand ça veut pas, ça veut pas...
FRANCIS, faussement triste. – De toute façon, je n'ai jamais eu de chance dans la vie.
ALINE. – Enfin là ça y est maintenant. A te voir fringué autrement qu'en jean délavé et polo crasseux, j'imagine que tu as pris un nouveau départ ?
Francis reprend sa mine triste et essaie d'apitoyer tout le monde.
FRANCIS. – Bof...
ALINE, énergique. – Quoi bof ? ! Remue toi le croupion bon sang ! T'as vu ta tronche ? On dirait un cocker déprimé devant sa gamelle vide. C'est tout juste si tu n'as pas les oreilles qui pendouillent de chaque côté de tes joues.
AXELLE. – Ne l'engueule pas ton Francis parce qu'apparemment il est dans un sale pétrin.
ALINE, réagissant. – D'abord, ce n'est pas MON Francis et ensuite, depuis que je le connais, je ne l'ai jamais vu ailleurs que dans de sales draps.
AXELLE. – Ouais mais là, j'ai l'impression qu'il y va de la vie d'un de ses proches...
ALINE, se radoucissant, à Francis. – C'est vrai ?
FRANCIS, baissant la tête. – Wouiiii.
ALINE. – Tu ne pouvais pas le dire plus tôt, bougre d'andouille !
FRANCIS. – Tu ne m'as pas laissé parler.
AXELLE. – Un de ses proches qui aurait la cervelle en danger. Un truc incurable soit disant.
ALINE. – C'est vrai ?
FRANCIS, même jeu. – Wouiiii..
ALINE. – Une personne que je connais ?
FRANCIS, même jeu. – Forcément que tu la connais et ça me fait de la peine pour toi...
ALINE, croyant avoir compris. – Ta mère ! La mère Madeleine, cette sainte femme qui a passé sa vie à essayer de te remettre dans le droit chemin au point d'en perdre la tête. C'est ça ? C'est elle ?
FRANCIS, bredouillant. – Oui... euh... non... oui... c'est à dire que...
AXELLE. – Ouh là ! Il est dans le déni complet le Francis.
ALINE, le prenant dans ses bras. – Sois courageux Francis et pardonne moi mon emportement. Tu me connais, je pars au quart de tour. (Elle pleure.) Je l'aimais bien, ta mère.
FRANCIS, jouant le jeu. – Môman... Elle t'aimait bien aussi.
AXELLE. – Pourquoi vous parlez d'elle à l'imparfait... elle n'est pas encore morte.
FRANCIS, jouant le jeu. – C'est comme si c'était fait, hélas...
AXELLE. – Le fait de se pointer en deuil pour venir la voir, ça ne va pas lui remonter le moral, à la mourante. Il ne vous manque que le goupillon et le seau d'eau bénite
FRANCIS, jouant le jeu. – De toute façon, la cervelle, ça ne pardonne pas.
AXELLE. – Vous alliez chez elle quand vous vous êtes arrêté ici tout à l'heure ?
FRANCIS. – J'allais lui rendre une dernière visite...
ALINE, réalisant. – Attends voir... Ta mère habite à Grapillon les Raisins, à cinq kilomètres de l'autre côté de la nationale... (Elle montre l'opposé.)
FRANCIS. – Au dernier moment, j'ai pas eu le courage et je suis parti au hasard, sans but, à l'opposé... pour disparaître.
AXELLE. – Mais c'est qu'il nous ferait un p'tit coup de mou, le Francis.
ALINE, un peu inquiète. – Eh oh Francis, pas de connerie !
FRANCIS, jouant les déprimés. – Quelle importance... de toute façon, je suis seul au monde maintenant.
AXELLE, gentiment. – Faut pas dire ça, on est là, nous.
ALINE, réalisant. – T'as raison, continues à l'attirer. Dans une heure il sera collé à toi comme une bernique sur son rocher et tu auras toutes les peines du monde à t'en détacher.
FRANCIS, jouant de + en + les déprimés. – Je vois bien que personne ne m'aime... (S'en allant vers la porte.) Laissez moi partir vers mon destin...
ALINE, agacée. – Et c'est quoi ton destin ?
FRANCIS, se retournant, pathétique. – Partir... me cacher pour mourir... comme les oiseaux...
ALINE. – Eh ben, vu la grosseur du perdreau, ça va prendre du temps.
AXELLE, la reprenant. – Aline ! On ne va pas le laisser partir dans l'état où il est !
ALINE. – Axelle... ce mec est dans son état normal. Est ce que tu comprends ça ? Francis Petipois ne rit jamais.
AXELLE, la reprenant en riant. – C'est un Petipois triste. Là, avoue quand même qu'il y a de quoi faire la gueule...
Depuis quelques répliques, on entendait des voix en coulisses. Elles se sont amplifiées progressivement et brusquement, tous les convives arrivent, portant chacun un accessoire pour dresser la table. Les uns, des assiettes, d'autres les couverts, verres, bouteilles, carafes etc.. etc... Bien évidemment, ils portent encore tous leurs chapeaux et sont très agités. Ils passent, dans un premier temps, très vite, sans prêter attention aux autres qui se sont instinctivement déplacés sur le côté, en masquant plus ou moins Francis.
ALISSON, fonçant vers la table, sans regarder personne. – Chaud devant, chaud !
AGNÈS, une pile d'assiettes dans les mains. – Dégagez la piste, c'est lourd !
ANNA, scandant. – On a faim, on a faim !
ANDRÉA. – Si au lieu de chasser le loup des Carpates en pleine nuit, vous aviez lancé le barbecue en plein jour, on serait déjà à table.
SIMON. – Anna a voulu que je lui raconte l'histoire deux fois...
ANDRÉA, à Anna, en riant. – T'avais pas tout pigé du premier coup ?
ANNA, admirative. – Si, mais il raconte tellement bien... surtout quand un des loups lui saute dessus et que Simon lui brûle le museau avec un bout de bois juste enflammé... Une veine qu'il ait réussi à allumer son feu à temps...
ANDRÉA, à Anna, moqueuse. – T'as pas à t'inquiéter, les aventures de Simon se terminent toujours très bien.
ANNA, admirative. – On ne s'en lasse pas.
ANDRÉA. – Ouais, mais ça va venir... t'es pas rendue à la fin du repas.
AGNÈS, s'apprêtant à se retourner. – Où est passée votre amie Axelle ?
ALISSON, même jeu. – Planquée dans un coin pour ne pas bosser sans doute...
AXELLE, se manifestant. – Pas de médisance, les filles, j'étais à la réception d'Aline.
Tous se se retournent.
TOUS, en choeur, joyeuses. – Aline !
Tout le monde va l'embrasser, sans s'occuper de Francis qui se tient un peu à l'écart en tournant le dos.
ANDRÉA, faisant les présentations. – Simon, mon mari... Aline, responsable du rayon bricolage chez Kifétou, notre employeur préféré.
SIMON, faisant la bise. – Ravie de te connaître.
ALINE. – Moi aussi. Axelle m'a déjà parlé de toi et de tes aventures.
SIMON, modeste. – Bof, la routine. (Montrant Francis du bras.) C'est ton copain ?
TOUTES, en choeur, joyeuses. – Patriiiick !
AXELLE, les calmant d'un geste. – On se calme les nanas. Je ne vous ai peut être pas aidées à mettre la table, mais ça fait une demie heure que je joue les assistantes sociales avec ce monsieur.
ALINE, le présentant, blasée. – Francis Petipois, mon ex... (Francis se retourne, tout penaud.)
ALISSON. – On n'avait dit pas de mec... qu'est ce qu'il fiche ici ton ex ?
ANNA. – Si chacune de nous devait arriver avec son ex...
ALISSON. – En ce qui te concerne Anna, t'aurais pas rempli le jardin.
ANNA. – Je te remercie mais moi je préfère la qualité à la quantité . Et toc !
ALISSON. – L'un n'empêche pas l'autre !
FRANCIS, pathétique. – Ne vous fâchez pas pour moi... Je vais quitter les lieux et vous laisser à la joie de vos retrouvailles.
AGNÈS, le regardant de près. – Moi je trouve qu'il a une triste mine... il ne paraît pas très frais le Petipois...
AXELLE. – Je résume pour tout le monde : Francis est l'ex d'Aline... il erre comme une âme en peine... triste, déprimé, presque seul au monde... la mort lui tourne autour et lui même a des idées morbides. J'ai essayé de lui remonter le moral mais rien n'y fait...
FRANCIS, pathétique. – Je vais m'en aller...
ALINE, le poussant vers la sortie. – Sage décision Francis.
ALISSON. – En même temps, il me fait de la peine ce pauvre...
ANNA. – Tu ne vois pas qu'il aille se jeter dans la rivière...
FRANCIS, pathétique. – Elle est de quelle côté la rivière ? (Il part vers la sortie.)
ALISSON, le rattrapant et le ramenant dans le groupe. – On serait responsables... Hop hop hop, Il reste là le déprimé.
ANDRÉA, s'en mêlant. – Nous serions les dernières à l'avoir vu...
ANNA. – Et avoir entendu ses appels au secours ...
SIMON. – Si je lui racontais mes aventures, peut être que ça le ravigoterait...
AGNÈS. – Et si vous l'invitiez à votre barbecue, ça pourrait être sympa ?
ALINE, ennuyée. – Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
Le téléphone de Francis sonne. Il décroche et s'écarte du groupe tandis que tous les autres forment un petit cercle pour se concerter en silence. Lui va parler un peu en sourdine.
VOIX OFF, gravement, comme au début. – Petipois ?
FRANCIS. – C'est vous monsieur ?
VOIX OFF, un peu agacé. – Le mot de passe Petipois, le mot de passe...
FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.
VOIX OFF. – Parfait. Vous êtes dans la place Francis ?
FRANCIS. – J'y suis monsieur.
VOIX OFF. – Parfait. Vous avez repéré le chapeau ?
FRANCIS, ennuyé. – Le problème, c'est qu'ils ont tous des chapeaux, m'sieur !
VOIX OFF. – Aïe, c'était pas prévu....
FRANCIS, ennuyé. – Il me faudrait un indice supplémentaire m'sieur...
VOIX OFF, agacé. – OK. Écoutez bien parce que je vais raccrocher aussitôt : La cervelle est sous le chapeau... d'une femme. A plus tard, Francis. (Il raccroche.)
FRANCIS. – D'une fem... (Regard vers le groupe.) Eh m'sieur, m'sieur... y a encore un problème.
Il raccroche à son tour et prend sa tête des mauvais jours. Les autres viennent vers lui.
ANDRÉA. – Des mauvaises nouvelles ?
FRANCIS, plaintif. – Oh làlà...
ANNA. – Ça ne va pas comme vous voulez ?
FRANCIS, plaintif. – Oh oh oh làlà... non.
ALISSON. – On peut vous aider ?
FRANCIS, reluquant tous leurs chapeaux. – Oh làlà... j'vois pas très bien comment...
AXELLE. – La cervelle est toujours en état de marche ?
FRANCIS, plaintif. – Hélas oui.
ALINE. – Comment ça, hélas oui ? Ça te chagrine que la cervelle soit encore en vie ?
FRANCIS, se rattrapant. – C'est cette attente qui est insupportable... qui me mine... qui m'use les nerfs... qui me bouffe... qui me déglingue... qui me zigouille...
AGNÈS, lui tapotant le bras. – Calmez vous. Avec les filles, on vous invite au barbecue avec nous. Ça va vous détendre et vous partirez ensuite quand tout sera clair dans votre tête .
FRANCIS, faussement gêné. – Je ne sais pas si je dois...
ALINE, le poussant vers la sortie. – Si tu as le moindre scrupule, ne te forces surtout pas.
TOUTES, scandant, sauf Aline. – Francis au barbeuc, Francis au barbeuc...
FRANCIS, faussement gêné. – Si vous insistez... je reste. Je suis juste gêné par vos chapeaux... Si vous n'avez pas l'habitude d'en porter, vous pouvez les retirer, ça ne me choquera pas... et je me sentirai moins seul, tête nue.
ANNA. – Désolé, c'est journée chapeau pour tous.
ALISSON, le tutoyant. – Mais on peut arranger ça pour que tu te sentes à l'aise parmi nous.
Elle sort un bob publicitaire qui traînait par là (genre Kronenbourg) et le lui colle sur la tête.
ALINE. – Eh ben, ça va finir de l'arranger. On dirait un pingouin brasseur de bière.
SIMON. – Allez, tout le monde à table et en chantant.
Il entonne la chanson « Il est des nôtres » en modifiant les paroles que tous reprennent en choeur assez rapidement.
SIMON puis TOUS. – Il est des nô-ôtres,
Il port' un chapeau comme les au-autres
Soyons frivo-oles
Plus on est de fous plus on rigo-ole
(A reprendre jusqu'à fermeture du rideau)
A part Aline, peu satisfaite de la tournure des événements, tous les autres, mamie comprise, se dandinent en scène, dansent en s'entrecroisant, tandis que Simon trinque avec Francis et que le rideau se ferme devant eux.
RIDEAU
ACTE 2
Le même jour, un moment plus tard, à la fin du repas. Tous sont bien gais hormis Aline qui fait la tête. Simon se tient près de Francis et, apparemment, lui a bien servi à boire. Ce dernier est bien éméché mais ATTENTION, il n'est pas ivre et ne doit pas tomber dans la caricature de l'homme saoul. Il a le « vin joyeux et triste selon les moments» et part au quart de tour sur les répliques des autres. Dans l'immédiat, Simon le stimule pour chanter et Francis participe de bonne grâce aux mimiques de la chanson.
SIMON, et tous les autres mais sauf Aline .
Ami Francis, ami Francis
Lève ton verre,
Et surtout, ne le renverse pas
Et porte le du frontibus au nasibus
Au mentibus, au ventribus, au sexibus,
A l'aquarium et glou et glou et glou...
FRANCIS, tout seul, debout, très fort, sous le regard ahuri des autres.
Il est des nô-ôtres
Il a bu son verre comme les au-autres.
C'est un ivro-ogne,
Ça se voit rien qu'à sa tro-ogne.
ANNA, en riant. – Un pastis bien tassé, deux verres de muscadet et trois de côtes du Rhône, ça vous change l'humeur d'un bonhomme.
ALISSON. – Trois merguez, une platée de mogettes et le voilà qui pète la forme, le Francis.
FRANCIS, bien éméché. – Je lève mon verre... qui est vide d'ailleurs...(Simon le lui remplit aussitôt.) à votre santé à tous. (Il commence à pleurer.) Je voudrais tant qu'il ne vous arrive rien. (Il pleure.)
ALISSON. – Que veux-tu qu'il nous arrive...
FRANCIS, pleurnichant. – Un malheur est si vite venu, hélas...
ALINE, fataliste. – Eh voilà, le croque mort est de retour...
FRANCIS, pleurnichant, même jeu. – Et puis les gens sont si méchants...
ANNA. – Nous ne risquons rien... avec un baroudeur comme Simon à nos côtés.
FRANCIS, les regardant avec affection. – Vous êtes tous tellement gentils...
ALISSON. – Eh ben justement, souris, la vie est belle.
FRANCIS. – Elle est belle elle est belle... c'est vite dit. Quand je pense qu'elle peut s'arrêter comme ça, brusquement, paf... pour l'un d'entre nous... à n'importe quel moment...
ANNA. – Quel boute en train !
SIMON. – Il ferait chialer un peloton de CRS, l'animal !
ALINE, fataliste. – Je vous avais prévenues les filles. Francis, c'est l'antidote au bonheur.
FRANCIS, tristement. – Et j'en serai l'unique responsable...
ANDRÉA. – C'est sûr qu'en t'écoutant, on a envie de se flinguer.
ALISSON. – Allez détends toi.
ANDRÉA. – Assieds toi.
ANNA. – Sois zen.
AXELLE, elle essaie de lui enlever sa veste. – Retire ta veste, tu seras plus à l'aise.
FRANCIS, réagissant violemment en serrant sa veste contre lui. – ON NE TOUCHE PAS A MA VESTE ! Compris !
AXELLE. – Oh là là ! Je ne vais pas te la dégueulasser, ta veste ! C'est pire que si tu portais un costard d'Yves Saint Laurent (A actualiser avec une marque de luxe très connue.)
ALINE, fataliste. – Il a vécu tellement longtemps dans des fringues crados que maintenant faut pas y toucher à son costard de pompes funèbres.
FRANCIS, allant vers Aline. – Toi, tu me comprends, Aline...
ALINE, se reculant. – Non non, je ne t'ai jamais compris Francis, alors c'est pas aujourd'hui que je vais y arriver.
FRANCIS, insistant vers Aline. – Ma journée avait mal commencée mais grâce à notre nouvelle rencontre... à tes amies super gentilles... je suis heureux, Aline.
ALINE, se reculant. – Pourvu que ça dure.
FRANCIS, la prenant dans ses bras. – Pendant quelques heures, parmi vous, j'ai oublié la noirceur de mon existence, le sombre individu que je suis devenu... (Se faisant pressant.) Ah Aline, Aline, Aline...
ALINE, prise dans ses bras. – Doucement Francis Francis Francis...
Sur cette dernière réplique, un homme arrive de la salle et monte précipitamment sur scène. C'est Patrick, le compagnon très jaloux d'Aline. Il est très excité.
PATRICK, en colère. – Ah bravo ! C'est ça ta réunion entre filles ?
ALINE, surprise. – Patrick !
ANNA – ALISSON – ANDRÉA , surprises. – Ton mec ?
ALINE. – Oui c'est mon mec et j'aimerais bien savoir ce qu'il fait ici...
PATRICK, ricanant. – Ah ah... tu ne t'attendais pas à me voir débarquer en pleine orgie romaine.
ANDRÉA. – Relativise mon gars, j'imagine mal César et Cléopâtre en pleine orgie, allongés sur des transats, autour d'un barbecue Weber. (Ou autre marque très connue.) Et tu te colles un truc sur la tête, c'est obligatoire aujourd'hui. (Elle le coiffe d'office d'un bob publicitaire qui doit jurer avec celui que porte Francis.)
Francis tient toujours Aline dans ses bras. Il va se dégriser progressivement sur les scènes suivantes.
ALINE. – Attends, je vais t'expliquer...
PATRICK, en colère. – Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Tu me laisses seul à la maison pour rejoindre tes copines et je te retrouve dans les bras d'un pingouin.
ALISSON, en riant. – C'est pas possible... les pingouins y z'ont pas de bras.
PATRICK, se forçant à rire. – Ah ah, très drôle. En tout cas, ce pingouin là, c'est pas un manchot.
FRANCIS, réagissant. – Pingouin, pingouin... eh oh, mesurez vos propos.
PATRICK, menaçant. – Alors toi, tu t'écrases mollement ou je te renvoie direct sur ta banquise.
FRANCIS, à Aline. – Qui c'est ce fou ?
PATRICK, en colère. – Ouhlà, je sens que je vais me le farcir le p'tit asticot. (Il repousse Aline et attrape Francis par le col de sa veste.)
FRANCIS, à se dégageant. – On ne touche pas à ma veste, merde alors !
PATRICK, cynique. – Ah oui, et c'est toi qui vas m'en empêcher p'tit gringalet ?
FRANCIS, nez à nez. – Fais gaffe, gros tas, que le p'tit gringalet ne retrouve ses instincts de tueur.
PATRICK, passant sa main en éventail devant lui. – Toi un tueur ? Un tueur de mouches alors et compte tenu de ton haleine de côtes du Rhône, Baygon vert n'a qu'à bien se tenir..
FRANCIS, reculant doucement. – Attention mec...avec Francis Petipois, on passe de vie à trépas.
Ils vont se comporter comme dans un western et se regarder en silence, bras pendant le long du corps. Francis a rabattu son bob sur ses yeux. Patrick en fait autant. Francis remonte lentement sa main vers sa veste tandis que Patrick fait craquer ses phalanges de doigts. Cette scène peut se faire au ralenti sur la musique de « Le bon, la brute et le truand » d'Ennio Morricone.
ANDRÉA , un peu inquiète. – Ce serait peut être bien de les séparer...
ALISSON, en riant. – On se croirait dans un film de Sergio Léone.
ANNA, les montrant. – Le con, le brute et la belle enfant.
ALINE, autoritaire. – Francis, couché !
FRANCIS, têtu. – Des clous, c'est lui qui a commencé.
ALINE, autoritaire. – Patrick, couché !
PATRICK, même jeu que Francis. – Pas avant d'avoir démoli ton amant.
ALINE. – C'est pas mon amant, crétin... c'est mon ex.
PATRICK. – Un ex qui en redemande apparemment... un ex qui n'est pas rassasié...
AGNÈS, pour le calmer. – Il passait juste dans le quartier...
PATRICK. – Comme par hasard...
AGNÈS, même jeu. – Il va y avoir un décès dans sa famille..
PATRICK, faisant à nouveau craquer ses phalanges. – Vous ne croyez pas si bien dire.
AGNÈS, même jeu. – Alors, on l'a invité à notre barbecue pour lui changer les idées.
PATRICK. – En le collant dans les bras de ma femme ?
FRANCIS. – Femme que tu ne mérites pas d'ailleurs.
PATRICK. – Répète un peu trouduc, j'crois que j'ai pas bien compris.
Les voilà à nouveau face à face, leurs mains tendues en avant. Retour de la musique adéquate.
ALISSON, en riant. – On ne pourrait pas changer de musique, on a l'impression d'avoir déjà vu le film y a cinq minutes. (de voir deux fois le même film.)
La régie peut envoyer une autre bande son, un truc qui tranche complètement avec la musique d'Ennio Morricone jouée au premier contact... genre «Donne moi ta main et prends la mienne de L'école est finie » de Sheila...ou « Les Daltons » de Joe Dassin ou « Laisse béton » de Renaud . A vous de voir pour que le contraste soit drôle et saisissant.
ALISSON. – C'est quand même plus sympathique... Cela dit, qui s'y colle pour les séparer ?
ANNA, admirative. – Y a qu'à demander à Simon.
PATRICK. – Qu'est ce que ce Simon vient faire dans votre réunion de gonzesses ?
ALISSON. – C'est le mari d'Andréa qui nous reçoit pour son anniversaire.
ANNA, admirative. – Et c'est un aventurier qui n'a peur de rien, ni des lions, ni des crocodiles, ni du loup des Carpates.
ANDRÉA. – Calmos Anna, calmos...
ANNA, lancée. – Ni même des feux de brousse... Alors c'est pas un petit branquignol comme toi qui va l'effrayer. Vas y Simon, casse lui la gueule !
ALINE. – Eh oh doucement, c'est mon mec quand même.
PATRICK, geste vers Simon. – Il reste où il est Indiana Jones sinon il va aller chercher son arche perdue en déambulateur. (Ou dans un fauteuil roulant)
ANNA, insistant. – Vas y Simon, fais lui le coup des crocodiles !
PATRICK, geste du tranchant de la main. – Moi, j'peux lui faire le coup du lapin si ça l'intéresse Crocodile Dundee.
SIMON, un peu peureux. – Y veut pas le monsieur...
ANNA, déçue. – Tu te dégonfles ?
SIMON, faisant le fier. – Nooonnn... mais autant je connais les réactions des animaux sauvages, autant je me méfie de celles des humains...
AGNÈS, repartant dans son trip. – C'est pas bientôt fini ce bazar dans ma salle d'attente ?
PATRICK, surpris. – Ouhlà ! Qu'est ce qu'elle nous fait la vieille ?
ANDRÉA. – C'est ma mère... qui a quelques absences par moment.
PATRICK, en riant. – Elle débloque carrément la mémée.
Agnès se fâche et va attraper Patrick par l'oreille qu'elle lui tire fermement, sans la lâcher.
PATRICK, à moitié courbé. – Aië aïe aïe.... lâchez moi, vous me faîtes mal.
AGNÈS, renforçant sa prise. – Vous ne vous imaginez quand même pas que je vous tire l'oreille pour vous faire du bien ! (Fort.) Comment m'avez vous appelée ?
PATRICK, se courbant de plus en plus. – Je ne sais pas... je ne sais plus ... Ouille ouille ouille !
ANDRÉA , intervenant. – Arrête maman, tu vas lui arracher l'oreille.
AGNÈS, renforçant sa prise. – Ça lui fera les pieds. Alors, ça vient ?
PATRICK, se courbant de plus en plus. – M'en souviens plus...
AGNÈS, l'aidant à parler. – Cherchez bien... Elle débloque carrément la... la … la...?
PATRICK, timidement. – La mémée ?
AGNÈS, le mettant à genoux. – Et qu'est ce qu'on dit à la mémée ?
PATRICK, instinctivement. – Pardon mémée.
AGNÈS, lui tordant l'oreille. – Il insiste en plus ! Est ce que j'ai une tête de mémée, espèce de petit schizophrène ?
PATRICK, minable. – J'le dirai plus... vous êtes une femme très sympathique.
AGNÈS, le tenant toujours par l'oreille. – Je ne sais pas quel confrère vous a adressé en consultation chez moi mais il a bien fait. Votre cas est sérieux, jeune homme... très sérieux...
ANDRÉA , intervenant. – Maman est médecin... à la retraite.
AGNÈS, à sa fille. – Silence pendant mes consultations ! (Pour Patrick) Quant à vous, j'hésite à vous hospitaliser d'urgence en asile psychiatrique, avec camisole de force et traitement au bromure à fortes doses pendant six mois.
PATRICK, minable. – Le bromure, c'est ce qui rend tout raplapla ?
AGNÈS. – Ça calmera vos ardeurs belliqueuses.
PATRICK, minable. – S'il vous plaît docteur, vous pouvez me lâchez l'oreille... sinon faudra aussi m'envoyer chez un ORL pour qu'il me la recolle.!
AGNÈS, le lâchant. – Que je ne vous y reprenne pas. Encore un écart de ce genre et zou, direction chez les fous !
PATRICK, se relevant et se massant l'oreille. – Promis docteur.
AGNÈS, montrant Francis. – Quand je vois comment vous traitez ce pauvre homme qui est à deux doigts d'une jaunisse...
FRANCIS, inquiet, se tâtant les joues. – Je vais faire une jaunisse ? C'est vachement grave, ça !
AGNÈS, abandonnant Patrick et allant vers Francis. – Un peu que c'est grave. Alors on sort le grand jeu. Bilan hépatique complet, bilirubinémie, dosages des gamma- globulines, transaminases et tout le toutim suivie de biopsies du foie, de la rate, du pancréas et de l'intestin. On va tout regrouper, ça vous fera moins mal.
FRANCIS, inquiet. – On pourrait peut être juste commencer par la prise de sang ?
AGNÈS, allant chercher son sac à main. – J'allais vous le proposer. Bougez pas, j'ai ce qu'il faut dans mon sac.
Elle sort de son sac une énorme seringue qui, visiblement, a déjà servie. Voir seringue vétérinaire.
FRANCIS, inquiet, montrant la seringue. – C'est quoi ce truc ?
AGNÈS, allant vers lui. – Une seringue. Donnez moi votre bras.
ANDRÉA , intervenant. – Maman, qu'est ce que tu fiches avec une seringue dans ton sac ,
AGNÈS. – Elle me sert pour mettre de l'engrais liquide au pied de mes fleurs. (Courant après Francis.) Donnez votre bras je vous dis.
FRANCIS, se sauvant. – C'est carrément dégueulasse... c'est un truc à se choper le tétanos.
AGNÈS. – Je vous ferai le vaccin antitétanique dans la foulée.
PATRICK. – Elle est complètement givrée.
AGNÈS, menaçant Patrick. – Attention à vous l'excité sinon... camisole de force et bromure. (Patrick rejoint Francis et tous les deux reculent ensemble.).
AXELLE, les rassurant. – N'ayez pas peur les gars, madame Agnès m'a diagnostiqué des problèmes hémorroïdaires...
ALISSON, même jeu. – Et à moi, des incontinences urinaires...
AGNÈS, montrant sa seringue. – C'est bien de me le rappeler, je vais vous les scléroser aussitôt après la prise de sang de monsieur. (A Allison.) Et vous, on va vérifier si vous n'avez pas une descente d'organes. Ne vous éloignez pas... je m'occupe de vous tout de suite.
AXELLE et ALISSON. – Non non, on rigole.
AGNÈS, montrant sa seringue. – Vous rigolerez moins tout à l'heure.
Elles aussi vont se ranger près de Francis et de Patrick. Mamie Agnès, seringue en avant, avance vers eux qui reculent de concert.
ALINE. – Laissez moi m'occuper du type excité, c'est mon homme et j'en fais mon affaire.
AGNÈS, l'envoyant rejoindre le groupe. – Taratata, je suis sûre qu'il vous frappe... Je vais vous ausculter... attendez votre tour avec les autres...
ANDRÉA, intervenant gentiment. – Maman, tous ces gens sont venus ici pour une journée barbecue, pas pour une consultation.
AGNÈS. – Je me disais bien aussi que j'avais beaucoup de patients à la fois. Je vais en causer avec Doctolib (Ou le secrétariat médical.)... ça déconne complètement leurs prises de rendez vous...Faut respecter un quart d'heure minimum entre chaque malade...
ANDRÉA, allant dans son sens. – C'est pas sérieux autrement et tu risques une erreur médicale.
AGNÈS, pragmatique. – En même temps, ils sont là, je ne vais pas les renvoyer. (Fonçant vers eux, seringue en l'air.) On commence par qui ?
Ils font tous un tour de jardin, poursuivis par la mamie et sortent, en pagaille vers les coulisses.
TOUS. – Pas moi, pas moi !
ANDRÉA, la suivant. – J'en ai marre, mais j'en ai marre !
Seuls Simon et Anna restent en scène alors qu'on entend des voix diverses en coulisse.
ANNA, amusée. – Comment ils se débinent tous devant la mamie.
SIMON, repartant sur une nouvelle histoire. – Ça me rappelle une expédition que j'ai faite il y a de nombreuses années dans la province de Maynas, au nord du Pérou...
ANNA, s'asseyant, impatiente. – Raconte, raconte...
SIMON, s'asseyant lui aussi. – Nous étions dans une tribu d'indiens Jivaros, les terribles réducteurs de tête que nous avions réussi à approcher à grands renforts de cadeaux quand soudain...
ANNA, impatiente. – Quand soudain quoi ?
SIMON. – Le chef de la tribu est arrivé et a commencé à mesurer notre tour de tête à l'aide d'une liane...
ANNA, impatiente. – Pas très bon signe...
SIMON. –Tu penses bien que c'était pas pour nous tresser des chapeaux de paille. Alors..
ANNA, impatiente. – Alors quoi ?
SIMON. – Pierrot qui avait la plus grosse tête du groupe, a pris peur et s'est enfui, entraînant avec lui tous mes équipiers et notre guide qui, lui, ne risquait rien vu qu'il avait la tête vide...
ANNA, admirative. – Et tu es resté seul ?
SIMON. – Seul. Alors, je me suis levé et j'ai crié, crié- é...
ANNA, suggérant. – Aline ?
SIMON. – Non, j'ai crié très fort : « Intermissio, bibéré, manducaré » . Ils se sont tous prosternés devant moi et m'ont apporté des victuailles.
ANNA. – Oh pétard, tu connaissais la langue Jivaro ?
SIMON. – Non, j'ai juste dit... Entracte... boire.... manger... en latin . Et ça a fonctionné. (au public.) Peut être que les jivaros boufféréens (ou autre localité.) comprendront aussi mon langage.
RIDEAU et ENTRACTE
ACTE 3
Le même jour, un moment plus tard. Simon et Anna sont toujours en scène et semblent s'amuser. On entend des bruits de voix en coulisses qui montent en puissance puis des bruits de ferraille accompagnés de grands cris. Léger temps. Simon et Anna regardent vers les coulisses d'où surgit Andréa, toute excitée.
ANDRÉA, affolée. – Simon, maman vient d'avoir un accident !
Simon et Anna se relèvent précipitamment tandis que Andréa retourne vers la sortie et guide quelqu'un à entrer.
SIMON. – Allons bon, manquait plus que ça.
ANDRÉA, guidant. – Amenez la... doucement, doucement... là... ne l'abîmez pas plus... Doucement bon sang, pas si vite...
Une brouette apparaît, poussée par Patrick et dans laquelle la mamie Agnès est allongée, les bras pendants. Elle semble KO et un seau recouvre sa tête. Tous les autres entrent dans un brouhaha indescriptible en s'agitant autour de la brouette que Patrick vient de poser au milieu du jardin.
PATRICK, ennuyé. – Je me gare ici ?
ANNA. – Que s'est il passé ?
AXELLE - ALISSON - ANDRÉA, le montrant du doigt. – C'est Patrick !
PATRICK, se défendant. – J'l'ai pas fait exprès, j'vous le jure.
ANNA. – Tu es vraiment une grosse brute. Pauvre mamie Agnès...
ALINE, défendant Patrick. – Elle n'arrêtait pas de nous courir après...
ALISSON, défendant Francis. – Elle avait fini par coincer Francis le long du cabanon...
FRANCIS, se défendant lui même. – Elle s'apprêtait a me piquer dans le bras avec sa seringue pourrie.
PATRICK. – Il me faisait de la peine le Francis alors j'ai un peu poussé la mamie...
ANDRÉA, rectifiant. – Un peu poussée ? Tu l'a carrément envoyée valdinguer sur le tas de bois.
PATRICK, se défendant. – Ce n'est quand même pas de ma faute si elle n'a plus d'équilibre et que, du tas de bois, elle a fini sa course dans la brouette.
ANDRÉA. – En recevant au passage, sur la tête, le seau qui était accroché à la porte du cabanon.
AXELLE, le montrant. – Vous ne croyez pas qu'il serait temps de lui remettre la lumière, à la mamie ?
ANDRÉA. – J'ai peur de ce qu'on va découvrir dessous...
ALISSON. – Pourvu qu'elle ne soit pas trop amochée.
ANDRÉA, toquant sur le seau. – Ouh ouh maman, tu es là ? Tu nous entends ? (Elle retoque.)
ALISSON. – Ça sonne creux là dedans.
ANNA. – Elle est peut être morte... Pauvre mamie Agnès...
PATRICK, se défendant à nouveau. – J'l'ai pas fait exprès, j'vous le jure que j'l'ai pas fait exprès.
ANDRÉA. – Simon, enlève le seau, dépêche toi.
SIMON, pas très chaud. – Vas y, je t'en prie … c'est ta mère.
ANDRÉA, fort. – Simon, c'est un ordre ! Délivre maman.
Il va s'exécuter sous le regard des autres mais en enlevant le seau, ses mains se tachent de rouge. Il pense qu'il s'agit de sang et fait un malaise. Il flageole sur ses jambes.
SIMON, en flageolant. – Du sang... elle a fait une hémorragie... j' me sens mal...
PATRICK, se défendant à nouveau. – J'l'ai pas fait exprès, j'vous le jure que j'l'ai pas fait exprès.
ANDRÉA, agacée. – On va le savoir que tu ne l'as pas fait exprès. (Aux 2 autres hommes.) Soutenez le bon sang, il va s'évanouir.
Francis et Patrick vont retenir Simon en le prenant chacun sous les bras et le promenant sur la scène, suivie par Anna. Pendant ce temps, Andréa, Allison, Axelle et Aline vont voir la mamie Agnès dans sa brouette.
ANNA. – Simon, ça va ?
SIMON, en flageolant. – J'me sens pas bien.
ANNA. – Pense aux loups des Carpates...
SIMON, en flageolant. – Carpates... pattes de lapin... pin parasol... sol.... solitaire.... taire.... terre brûlée au vent des landes de pierre...
ANNA. – Pense aux crocodiles du fleuve Aquatico...
SIMON, en flageolant. –Aquatico... co...coloriage... âge de pierre... pierre ponce... ponce Pilate...
ANNA. – Au tigre du Bengale... aux indiens jivaros...
SIMON, même jeu. – Jivaros... ro...Robert Redford.... Fort Alamo... Alamo...à la moquette Saint Maclou...
ANNA. – Promenez le, faut pas qu'il s'endorme.
Ils vont continuer leur manège tandis que les autres femmes s'occupent de la mamie.
ANDRÉA, touchant le sang. – Ce n'est pas du sang !
ALISSON, le goûtant. – C'est de la sauce!
ALINE, même jeu. – Le ketchup des saucisses !
ALISSON. – Où est ce qu'elle s'est chopée ça ?
ANDRÉA. – Maman, ça va ? Comment te sens tu ?
AGNÈS, se frottant la tête. – Très bien... j'ai juste la tête un peu lourde...
ANDRÉA. – Tu viens de faire une sacrée bonne sieste.
AGNÈS, regardant la brouette. – Dans une brouette ?
ANDRÉA. – Tu t'es endormie à table... on t'a étendue là pour te faire une surprise.
AGNÈS, amusée. – C'est spécial, vous avez de ces idées, vous les jeunes.
PATRICK, craintif, y mettant les formes. – S'il vous plaît, docteur, voulez vous libérer votre brouette... qu'on y allonge Superman. Si ça ne vous ennuie pas, s'il vous plaît, merci...
On sort mamie Agnès de la brouette.
AGNÈS, essuyant ses habits. – Avec plaisir.... chacun son tour. C'est demandé tellement gentiment.
PATRICK, craintif, y mettant les formes. – Avec mes remerciements anticipés, ma considération distinguée et mes meilleures salutations.
Patrick et Francis vont allonger Simon dans la brouette. Pendant que Patrick parle avec Agnès, Francis et Anna continuent de promener Simon dans la brouette tandis que les autres femmes s'occupent de la mamie Agnès.
AGNÈS, essuyant ses habits. – Vous m'avez l'air d'être un bien charmant jeune homme.
PATRICK. – Vous ne me disiez pas ça il y a cinq minutes.
AGNÈS, étonnée. – Ah bon ! Et pourquoi donc ?
PATRICK. – Vous me courriez après.
AGNÈS, en riant. – Moi, je vous courais après ?
PATRICK. – Et pas qu'un peu.
AGNÈS, en riant. – Je sais que j'ai encore de beaux restes mais de là à vouloir pécho le copain d'une amie de ma fille... faudrait voir à ne pas pousser mémée dans les orties.(Elle insiste sur le mot mémée.)
PATRICK, se protégeant l'oreille. – Vous n'avez rien d'une mémée, je vous assure.
AGNÈS, en riant, aux autres. – Il est très bien ce garçon.
PATRICK. – Vous vouliez même calmer mes ardeurs avec du bromure.
AGNÈS, aux autres. – Qu'est ce qu'il raconte ?
PATRICK, continuant. – Et m'enfermer dans un hôpital psychiatrique...
AGNÈS, à Aline. – Y yoyoterait pas un peu de la touffe, votre copain ? (Doigt sur la tempe.) Il est poli mais...
ALINE, pour couper court. – Allez allez, on parle d'autre chose.
PATRICK, voulant continuer. – N'empêche que...
ALINE, autoritaire. – Patrick !
Francis et Anna repassent devant eux avec la brouette et Simon allongé. Francis pose la brouette et invite Patrick a le changer.
AGNÈS, à sa fille. – Ouhlà ! Il n'est pas bien vaillant ton Simon dis donc ! L'a pas l'air d'être dans son assiette.
ANNA, inquiète. – Il a fait un malaise en voyant du sang sur votre front.
AGNÈS, en riant. – J'ai eu un accident de brouette ?
ANDRÉA. – Tu t'es juste envoyé une giclée de ketchup sur la figure.
AXELLE. – On ne sait pas trop comment d'ailleurs...
FRANCIS. – Moi je sais ! Elle voulait m'injecter du ketchup en intraveineuse parce qu'elle trouvait que j'avais le teint pâle.
AGNÈS, aux autres. – Qu'est ce qu'il raconte celui là aussi ?
FRANCIS. – En essayant de la désarmer, j'ai appuyé sur le tube et pschtttttt... y a une giclée qu'est partie direct sur elle. C'est à ce moment là que Patrick l'a envoyée dinguer dans la brouette.
AGNÈS, en douce, à sa fille. – Il me font peur tes amis. Y en a pas un pour rattraper l'autre. Je ne sais pas ce qu'ils ont sous le chapeau.
FRANCIS, sautant sur l'occasion. – A propos de chapeau, qu'avez vous fait du vôtre ?
AGNÈS, se tâtant la tête. – Mon chapeau ! On a volé mon chapeau !
ALISSON. – Ne vous inquiétez pas, m'dame Agnès, il a du tomber quelque part, je vais le chercher. (Elle sort.)
FRANCIS, insidieusement. – C'est ennuyeux de perdre son chapeau...
AGNÈS, ennuyée. – Je pense bien... surtout...
FRANCIS, la coupant. – Surtout qu'il vous allait drôlement bien.
AGNÈS. – Vous trouvez ?
FRANCIS, même jeu. – Il vous allait comme un gant.
ALINE. – Un chapeau qui va comme un gant... tu réfléchis un peu avant de causer mon pauvr' Francis !
FRANCIS, se rattrapant. – C'est une métaphore... je voulais dire que madame Agnès a une tête à porter des chapeaux.
AGNÈS, ravie. – C'est gentil de me dire ça.
FRANCIS, se rattrapant. – Je suis sûr que vous en portez toujours des chapeaux, non ?
AGNÈS, ravie. – Eh bien justement... figurez vous donc que...
Elle est interrompue par le passage de Patrick et d'Anna qui arrivent avec la brouette « contenant Simon »
PATRICK, s'arrêtant. – Eh oh, l'pingouin ! Tu comptes me faire jouer le brancardier tout l'après midi ?
FRANCIS, moqueur. – Pendant que tu fais ça, tu ne fais pas de bêtise.
PATRICK, menaçant. – Me cherche pas Francis, me cherche pas...
ANDRÉA, intervenant. – Stop tous les deux ! (A Simon.) Il pourrait peut être se lever maintenant, le baroudeur ?
ANNA, protectrice. – Je ne suis pas certaine qu'il soit encore bien remis... après l'émotion qu'il vient de subir.
ANDRÉA. – Anna... ça ne t'étonne pas plus que ça qu'un mec qui a vu son guide, baignant dans une mare de sang, les deux jambes arrachées puisse s'évanouir devant une ridicule petite bousée de sauce tomate ?
ANNA. – Ça veut dire qu'il est très sensible ton homme.
ANDRÉA. – Je confirme... pour être sensible, il est sensible. (Très fort.) Allez debout là dedans ! On se réveille !
ANNA, choquée. – Quelle violence, quelle brutalité ! Tu me déçois Andréa. Je suis déçue, déçue déçue déçue déçue.
SIMON, essayant de s'extraire de la brouette. – Quelqu'un peut m'aider siouplait ?
ANDRÉA, moqueuse, à Simon. – Tu imagines que tu descends le Zambèze sur une pirogue et que tu t'apprêtes à accoster sur une rive. Ce n'est quand même pas compliqué après tous les exploits que tu as accomplis !
SIMON, bloqué, se cramponnant aux bords de la brouette. – Peux pas.... suis tétanisé... J'imagine les chûtes Victoria juste au bout... là bas...
ANNA, le raisonnant. – Simon, tu n'es pas dans une pirogue ballottée par le courant... tu es dans une brouette de jardin.
ANDRÉA, mains sur les hanches. – Il est beau, l'aventurier ! (A Francis et Patrick.) Aidez le à accoster vous autres !
Patrick et Francis vont l'aider à sortir de la brouette, sans ménagement.
ANNA, secouant son chapeau devant lui pour le ventiler. – Faut le ventiler, ça va le ravigoter.
PATRICK. – Une bonne paire de baffes ça marche bien aussi.
FRANCIS, intéressé par le chapeau. – C'est pratique... En fait, ton chapeau ne te sert que d'éventail ?
ANNA, même jeu. – Ah ben non, les trois quarts du temps je le mets sur ...
Retour rapide d'Allison qui arrive tenant le chapeau d'Agnès d'une main et un jeu de Molky de l'autre. Elle doit couper la parole à Anna.
ALISSON, coupant la parole à Anna. – J'ai retrouvé le vôtre, madame Agnès.
FRANCIS, abandonnant le chapeau d'Anna pour celui d'Agnès. – Votre chapeau ! Vous devez être contente ?
AGNÈS, même jeu qu'avant. – Je pense bien... surtout qu'en fait...
Sonnerie du téléphone de Francis qui l'interrompt. Il consulte rapidement qui l'appelle.
FRANCIS. – Excusez moi, deux minutes. (Il va en avant scène pour décrocher.)
ALISSON, montrant le jeu. – En ramassant votre chapeau, j'ai trouvé un jeu de Molky. On en fait une partie ?
TOUS, chacun une réplique. – Oui, pourquoi pas, Comment on joue ? On est par équipe ? Ça dure longtemps ? C'est pas trop compliqué ? Simon ne pourra pas jouer... Etc... etc...
Ils vont s'installer, en fond de scène, devant la table et Allison explique les règles du jeu aux autres. Ils vont en profiter pour poser le jeu au sol et le préparer.
VOIX OFF, gravement, comme au début. – Petipois ?
FRANCIS, en avant scène. – C'est vous monsieur ?
VOIX OFF, très agacé. – Le mot de passe bon sang, le mot de passe...
FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.
VOIX OFF. – Parfait. Ça se passe comment Francis ?
FRANCIS. – Mal monsieur... Y a 6 femmes dans c'te maison...
VOIX OFF. – Comment ça ? Il y a six femmes autour de vous ?
FRANCIS, ennuyé. – Des invitées à un barbecue, m'sieur.
VOIX OFF. – Décidément, ce n'est pas votre jour, mon pauvre Francis.
FRANCIS, agacé. – Elles font un tel bordel avec leurs chapeaux que je suis incapable de reconnaître celle que je dois affoler...
VOIX OFF, agacé. – Écoutez moi bien Francis.
FRANCIS. – Je suis tout ouïe.
VOIX OFF, lentement. – La cervelle est sous le chapeau... d'une femme... dont le prénom commence par la lettre A.
FRANCIS. – Ah ben comme ça, c'est tout de suite plus facile. Par la lettre A...
VOIX OFF. – A vous de jouer, Francis. (Il raccroche.)
FRANCIS, réalisant. – Par la lettre A... Eh m'sieur, m'sieur, y a encore un problème !
Il raccroche à son tour et, dépité, parle tout haut.
FRANCIS, à haute voix. – Axelle... Anna... Agnès... Andréa... Alisson... Aline...
TOUTES, venant vers lui. – Tu nous a appelées ?
FRANCIS, perdu. – Oui... enfin non... enfin si... enfin non...
ANDRÉA. – Encore de mauvaises nouvelles ?
FRANCIS, plaintif. – Oh làlà...
ALISSON. – La mort a frappé ?
FRANCIS. – Pas encore...
AXELLE. – Tant qu'il y a de la vie, y a de l'espoir.
FRANCIS, plaintif. – Non, c'est fichu cette fois ci...
ALINE. – Tu veux aller voir ta mère une dernière fois ?
FRANCIS, paumé. – Ma mère... pourquoi faire ?
ALINE. – Francis... ta mère.... sa cervelle...
FRANCIS, se rattrapant. – Ah oui, môman...
ALINE, agacée –Tu veux aller la voir ou pas, ta mère ?
FRANCIS, suivant son idée – Faut d'abord que je m'occupe du chapeau...
AXELLE. – Quel chapeau ?
ANNA. – Qu'est ce qu'il raconte ?
PATRICK, moqueur. – Il travaille vraiment du chapeau, le Francis !
ALISSON. – Viens plutôt faire une partie de Molky avec nous, ça te changera les idées.
ALINE. – En même temps, s'il veut aller voir sa mère, faut pas l'en empêcher.
ALISSON. – Tu voudrais te débarrasser de lui que tu ne t'y prendrais pas autrement.
ALINE. – T'as raison, attire le toi aussi.
ALISSON. – Ce n'est pas de ma faute s'il est attachant.
ALINE. – Ma parole, t'es tombée amoureuse de lui !!!
ALISSON. – Il me fait de la peine... j'ai envie de le protéger ce garçon.
FRANCIS, pleurnichant. – C'est vrai ?
ALISSON, le prenant contre elle. – Mais bien sûr que c'est vrai.
FRANCIS, en larmes. – Ooooooohhhhh !
ALISSON, le cajolant contre elle. – Ne sois pas triste. Pourquoi tu pleures ?
FRANCIS, en larmes. – Parce que tu portes un chapeeeeeaaau..
ANNA. – Il a un vrai problème avec les galurins, ce mec !
PATRICK, moqueur. – Il a du se faire chourer sa casquette quand il était môme, c'est pas possible d'être traumatisé pareillement.
ANNA. – Faut le faire soigner grave.
ALISSON, retirant son chapeau. – Si ça peut te faire plaisir, je l'enlève.
FRANCIS, essayant d'en savoir davantage. – C'est gentil mais il va te manquer ?
ALISSON. – Pas grave, faut savoir faire des sacrifices dans la vie.
FRANCIS, en larmes. – Ooooooohhhhh !
AXELLE. – Allons bon, ça le reprend. On a de la peine à le suivre par moment.
Mamie Agnès qui suivait la scène en silence, semble repartir dans son délire.
AGNÈS, intervenant. – Je vais lui prendre un rendez vous chez un psychochapologue. (A Francis.) Suivez moi dans mon cabinet jeune homme.
ANDRÉA, désolée. – Oh non, ça ne va pas recommencer.
AGNÈS. – Allez allez... on se presse. Démarrage sur les CHAPEAUX de roues s'il vous plaît.
ANDRÉA, à sa mère. – Pars devant, il va te suivre.
Mamie Agnès, sort en coulisses, côté encore inexploité.
AXELLE, à Andréa. – Oh là là ! Ma pauvre, trois crises en peu de temps. C'est lourd.
ANDRÉA. – Aujourd'hui c'est le pompon. Cela dit, la crise part aussi vite qu'elle arrive.
PATRICK, pragmatique. – On la fait cette partie oui ou non ?
Ils se dirigent en fond de scène de façon à lancer les quilles vers le côté où est partie mamie Agnès.
ALISSON, rapidement. – Moi je joue avec Francis.
ANNA. – Et moi avec Simon.
PATRICK. – J'fais équipe avec Aline.
AXELLE, à Andréa. – Alors, avec moi, Andréa ?
Les quilles auront préalablement été posées au sol par un des personnages de façon à attaquer la partie sans perdre de temps. Au 2ème lancer, c'est au tour de Simon qui lance sa quille tellement mollement qu'elle tombe quasiment à ses pieds.
PATRICK, en riant, moqueur. – J'suis pas certain qu'il ait bien tout compris les règles du jeu.
ALISSON. – Le but, Simon, c'est de dézinguer une des quilles posées par terre, sans toucher aux autres et de marquer les points qui sont inscrits dessus. Ça va, t'as pigé ?
SIMON. – J'suis désolé mais je me sens encore tout faible.
ANNA, maternelle. – Normal, tu es encore sous le coup de l'émotion.
ANDRÉA, agacée, à Anna. – Arrête de le materner pareillement, tu vas en faire une chiffe molle du brillant aventurier et il aura toutes les peines du monde à repartir en expédition. C'est ce que tu veux ?
ANNA, voulant ramasser la quille à Simon. – Bien sûr que non. Il peut rejouer ?
PATRICK, s'interposant. – Eh oh, et puis quoi aussi ! C'est joué, c'est joué. A mon tour. Regarde bien, mec, comment faut faire.
Il lance sa quille très fort et très haut. Celle ci doit passer pas dessus tout le jeu et disparaître en coulisses. On entend un cri de douleur. Bref silence... tous se regardent et mamie Agnès arrive, se frottant la tête d'une main et tenant la quille de Patrick dans l'autre main.
AGNÈS. – Aïe aïe aïe ! Quel est l'enfant de salaud qui a essayé de m'assommer ?
Avant que tout le monde ne réagisse, Patrick tend le bras et montre Francis.
PATRICK, rapidement. – C'est lui !
AGNÈS. – Je vous reconnais ! C'est mon patient qui souffre du foie.
FRANCIS. – Oui mais ça va beaucoup mieux. J'suis quasiment guéri.
AGNÈS. – Taratata ! Quand on en est rendu à vouloir assommer son médecin traitant pour refuser la réalité, c'est que votre pathologie s'aggrave mon p'tit monsieur.
FRANCIS. – Et puis d'abord, c'est même pas moi qui ai envoyé la quille (Tendant le bras vers Patrick.) C'est lui !
PATRICK, faux cul. – Oh le mauvais joueur !
ALINE. – Patrick, ça suffit ! Tout le monde t'a vu lancer la quille.
PATRICK, tout bas. – Oui mais elle ne le sait pas et j'aime mieux ne pas avoir affaire à elle. J'en ai encore les lobes d'oreille qui frémissent rien que d'y penser.
Pendant cette réplique, mamie Agnès s'est approchée de Francis qui se fait tout petit. Elle lui tient la tête et lui plaque la main sur le front.Mouvement de peur de Francis qui malgré tout se laisse faire.
AGNÈS. – Ouh là ! Vous êtes brûlant de fièvre. (Le prenant fermement par la main.) Venez avec moi que je prenne votre température.
FRANCIS, essayant de s'accrocher à quelque chose. – Noooon, j'veux pas qu'on me prenne la température.
AGNÈS. – C'est fini ce caprice ! (Elle insiste et le tire tandis que lui résiste.)
ANDRÉA, entrant dans son jeu. – Ne bougez pas, je vais chercher un thermomètre frontal.
AGNÈS. – Je n'en veux pas de ton thermomètre frontal qui envoie des ondes dans le cerveau. Rien ne vaut un bon vieux thermomètre à mercure.
FRANCIS, essayant de s'accrocher à quelque chose. – J'aime mieux recevoir des ondes dans la tête que d'avoir un truc à mercure dans le baba.
ANDRÉA, entrant dans son jeu. – On n'a pas de thermomètre rectal.
AGNÈS. – Y a qu'à prendre celui du congélateur, ça marchera tout pareil.
PATRICK, en riant. – Sortant du congélo à moins 18, si t'as les fesses en feu, ça va te les rafraîchir vite fait.
FRANCIS, s'accrochant à la table. – Ne la laissez pas faire, ça ne passera jamais...
AGNÈS. – Quelle chochotte celui là ! Allez allez on y va...
FRANCIS, s'échappant brusquement. – Des fous ! Je suis tombé chez des fous !
AGNÈS, se lançant à ses trousses. – Gare à toi si je t'attrape !
ALISSON, s'apprêtant à les suivre. – Je vais lui porter secours.
ALINE. – Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Alisson revient ! (Alisson sort.)
AXELLE. – Trop taaaard ! Elle est complètement accro de ton ex.
ALINE, désolée. – Et c'est bien ce qui m'embête.
PATRICK, suspicieux. – Ma parole, mais t'es jalouse de ta copine...
ALINE, agacée. – Je ne suis pas jalouse, crétin, je suis inquiet pour elle.
PATRICK. – Ouais ouais, on dit ça et puis...
ALINE, menaçante. – Un mot de plus, Patrick, et je te vire de mon appart.
PATRICK. – On ne peut rien te dire, tu montes tout de suite sur tes grands chevaux.
ALINE. – Si moi je monte sur mes grands chevaux eh bien, toi, tu n'as rien d'un pur sang !
ANDRÉA, désabusée. – Sympa la journée anniversaire. Merci les copines.
AXELLE. – Faut avouer qu'il est spécial, le Francis !
SIMON. – Moi, il me fait peur.
ANNA. – Et cette phobie des chapeaux qui le poursuit sans cesse, c'est bizarre...
AXELLE. – Il était censé aller voir sa mère mourante qui habite à l'opposé d'ici et curieusement, il passe juste devant la maison où nous sommes toutes réunies. Il y a de quoi se poser des questions, non ?
Retour de Alisson suivie de Francis. La veste de celui-ci ne tient sur lui que par une manche, l'autre manche étant sortie de son bras, un pan de sa chemise sort de son pantalon et il est ébouriffé. (Ne pas forcer sur le débraillé) Visiblement, ce dernier a du en découdre avec mamie Agnès.
ALISSON. – Elle l'avait déjà à moitié déshabillé quand je suis arrivé.
FRANCIS, en renfilant sa veste. – C'est une grande malade, c'te femme.
ANDRÉA, inquiète. – Elle est où en ce moment ?
ALISSON. – Assise sur la bergère, au fond du jardin. Elle reprend ses esprits, je crois que la crise est passée..
FRANCIS, en se rhabillant. – Moi, je ne reste pas plus longtemps à proximité de cette folle. Pour peu qu'à la prochaine crise, elle s'imagine que j'ai des polypes intestinaux, bonjour l'examen.
ALINE, montrant la porte. – Je ne te retiens pas, tu connais la sortie.
FRANCIS. – Je ne partirai pas avant de connaître la vérité sur vos chapeaux.
PATRICK. – Tu commences à nous emmerder grave avec tes chapeaux !
FRANCIS. – Je veux savoir qui en porte régulièrement et qui n'en porte pas.
ALISSON, étonnée. – Qu'est ce que ça peut te fiche de savoir ça ?
FRANCIS, en se grattant. – C'est très important pour moi.
ALINE. – Et arrête de te gratter pareillement !
FRANCIS, en se grattant. – C'est quand je suis nerveux... une décharge d'adrénaline...
ALINE. – Sauf que là, on a l'impression que tu as un bataillon de morpions en vadrouille partout sur ton anatomie
ALISSON. – Ne dis pas ça devant la mamie Agnès, elle est capable de l'asperger d'insecticide de la tête aux pieds.
Tous rient, sauf Andréa et Francis.
FRANCIS, en se grattant. – Fini de rire ! Passons aux choses sérieuses.
ALINE. – Ta mère ?
FRANCIS. – Laissez ma mère tranquille, elle se porte à merveille.
AXELLE. – Tu nous avais dit qu'elle était en danger... sa cervelle...
FRANCIS. – C'est la cervelle de l'une d'entre vous qui est en grand danger.
ANNA. – Qu'est ce qu'il dit ?
ANDRÉA. – On se porte très bien nous cinq.
PATRICK. – Au niveau de la tête, on n'a pas de souci.
ALISSON. – Tu vois bien Francis qu'on pète de santé.
ALINE. – Par contre, toi, t'étais déjà pas très net quand je t'ai quitté mais alors là, c'est le bouquet.
PATRICK, le voyant se gratter. – Tu devrais jouer au Banco, au Cash ou au Millionnaire, t'as de sacrés dispositions pour le grattage. Eh, t'as le jeu du morpion aussi qui serait peut être plus adapté.
FRANCIS, en colère. – ASSEZ !! Vous ne faîtes que de m'énerver (Menaçant.) et c'est pas bon d'énerver Francis Petipois dans l'exercice de ses fonctions. (Il se gratte encore plus.)
PATRICK. – Parce que tu bosses en ce moment ?
FRANCIS, en se grattant. – Affirmatif ! Je suis en mission spéciale.
ALISSON, le calmant. – Vas y Francis, explique toi calmement.
FRANCIS, menaçant. – Dernière sommation : Qui, dans cette assemblée porte toujours un chapeau ?
PATRICK, moqueur. – Question trop personnelle, je n'y répondrai qu'en présence de mon avocat.
Il s'esclaffe, suivi par les autres.
FRANCIS. – Cette question ne s'adresse qu'aux femmes ici présentes.
PATRICK, à toutes. – Ne lui répondez pas. Si ça se trouve, il est représentant en chapellerie et il fait du porte à porte pour caser sa camelote.
FRANCIS. – Tant pis pour vous, vous l'aurez voulu.
Il cherche son arme, ne la trouve pas, fouille dans ses poches sans succès, s'énerve, se gratte encore plus.
FRANCIS, affolé. – Je l'ai perdue !
Arrivée de mamie Agnès sur cette dernière réplique. Elle est un peu égarée et tient le revolver de Francis à la main.
AGNÈS, montrant le revolver. – Ce ne serait y pas ça que vous cherchez ?
FRANCIS. – Mon flingue ! Vous me l'avez chouré dans ma poche quand vous avez essayé d'enlever ma veste.
AGNÈS. – Je ne sais pas... m'en souviens plus..
FRANCIS. – Rendez moi ça tout de suite !
AGNÈS, le tournant dans tous les sens. – Vous ne devriez pas jouer avec ce genre d'instrument, c'est dangereux.
Elle tend l'arme pour lui donner mais elle appuie par mégarde sur la gâchette et un coup part.Tous se jette à terre en poussant des cris divers. Ils renversent tables et chaises en s'en servent comme boucliers. Simon s'évanouit et Anna lui porte secours.Mamie Agnès, étonnée de ce qu'elle vient de faire, reste toute pantoise à regarder le revolver qu'elle tient du bout des doigts.Petit temps et tous se relèvent lentement à l'exception de Simon évanoui.
ANDRÉA, allant vers sa mère. – Maman qu'est ce que tu as fait ?
AGNÈS, toute surprise. – J'ai juste appuyé là... (Elle appuie à nouveau sur la détente et toutes
les têtes qui émergeaient juste de derrière les abris, replongent aussitôt.)
TOUS, criant. – Ahhhhhh !
PATRICK, à Andréa. – Retire lui son arme, elle va finir par blesser quelqu'un.
Doucement, Andréa prend l'arme des mains de sa mère.
ANDRÉA, allant vers sa mère. – Donne le moi, maman, c'est fini
ALINE. – Francis, ne me dis pas que cette arme t'appartient ?
ALISSON. – Qu'est ce que tu fabriques à te balader avec un truc comme ça ?
FRANCIS, arrachant son arme des mains d'Andréa. – Indispensable pour mon boulot.
ANNA, agenouillée près de Simon. – Simon est toujours dans les vapes, c'est pas bon signe.
ANDRÉA, pragmatique. – Je t'avais bien dit qu'il n'avait pas fini de te surprendre.
ANNA, agenouillée près de Simon. – Faudrait peut être lui faire du bouche à bouche pour le ranimer.
ANDRÉA, pragmatique. – Tu ne veux pas remplacer le SAMU tant que t'y es et en profiter pour lui rouler une pelle ?
ANNA, même jeu. – Ce n'est pas sain de rester évanoui trop longtemps, ça fatigue le cerveau.
PATRICK. – A propos de cerveau, t'en es où avec ta cervelle ?
FRANCIS, les menaçant de son arme. – Justement, j'aimerais bien savoir sous quel chapeau elle se cache...
PATRICK. – Tu ne serais pas en train de nous menacer ?
FRANCIS, même jeu. – Un peu mon n'veu !
ALINE, abasourdie. – Francis, ne me dis pas que tu es devenu un...
FRANCIS, la coupant. – Un tueur à gages ? Parfaitement ! Ah ah, ça t'en bouche un coin.
ALINE. – Laisse moi rire, tu n'arrivais même pas à écraser une pauvre mouche sans avoir de nausée et là tu nous joues les Borsalino...
FRANCIS, la coupant. – Ouais mais j'ai bien changé et vous allez tous m'obéir sagement. Je n'ai pas envie de rater ma première mission.
ALISSON. – T'énerves pas Francis, ça va bien se passer. C'est quoi le but de ta mission ?
FRANCIS. – Trouver la femme qui porte toujours un chapeau.
Elles vont toutes répondre rapidement, du tac au tac.
AGNÈS. – Ce n'est pas moi, j'ai emprunté celui-ci à mon amie Suzanne.
ANNA. – Le mien provient de l'épouvantail de mon voisin.
AXELLE. – J'ai rapporté ce sombrero d'un voyage au Mexique.
ALINE. – Casquette invendue de chez Kifétou...
ANDRÉA. – Chapeau de baroudeur de Simon.
ALISSON, dramaturge. – Francis... il n'y a que moi qui porte un chapeau en permanence.
FRANCIS, baissant son arme. – Oh non... pas toi ...
ALISSON. – Hélas si. Mais je ne vois pas en quoi la cervelle qui est dessous puisse t'intéresser.
FRANCIS, relevant lentement son arme. – C'est pas possible... pas toi...
ALISSON, dramaturge. – Alors vas y... tire... mais vise le cœur que je meurs sans souffrir.
Il remonte doucement son arme, sa ligne de mire passe à hauteur d'Alisson puis continue de monter vers les cintres et il tire. Un pigeon ou une tourterelle tombe sur scène, suivie de ses plumes. Simon qui revenait à lui, s'évanouit à nouveau.
PATRICK, ramassant le volatile. – Eh ben, au moins, tu ne reviendras pas bredouille. Un bon pigeon aux choux, c'est pas dégueulasse.
FRANCIS, s'écroulant sur une chaise. – J'suis un pauvre minable... détesté de tout le monde...incapable d'aller au bout de mes actes... J'suis même pas un bon tueur.
AXELLE. – Là, en l'occurrence, c'est plutôt mieux pour toi.
ANNA. – Ça t'évitera de finir ta vie en taule.
FRANCIS. – Mon commanditaire m'a juste demandé d'affoler une femme portant un chapeau et dont le prénom commence par un A.
AXELLE. – Sauf que l'on est 6 dans ce cas.T'as vraiment pas de bol comme mec.
FRANCIS, même jeu. – Et habitant au 9 rue des Mauves...
Tous éclatent de rire.
FRANCIS, vexé. – Vous trouvez ça marrant ?
PATRICK. – Ben oui couillon parce que là t'es au numéro 6 de la rue.
FRANCIS. – Comment ça, j'suis au numéro 6 ? C'est marqué 9 sur la plaque...
ANDRÉA. – La vis du haut de la plaque s'est décrochée la semaine dernière et du coup, la plaque a basculé et le 6 est devenu 9.
AXELLE. – Plus malchanceux que toi, faudra chercher longtemps pour faire la paire.
ANDRÉA. – Le 9 de la rue est sur le trottoir d'en face.
FRANCIS. – Mais alors, qui habite là bas ?
ANDRÉA. – Antoinette Chevrier, dite toinette, une célibataire retraitée...
Sonnerie du téléphone de Francis.
FRANCIS, ennuyé. – C'est mon commanditaire. Qu'est ce que je fais ?
ANDRÉA. – Décroche et mets l'ampli.
FRANCIS, s'exécutant timidement. – Ouiiiii...j'écoute...
VOIX OFF, gravement, comme au début. – Petipois ?
FRANCIS. – C'est vous monsieur ?
VOIX OFF. – Le mot de passe Petipois, le mot de passe...
FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.
VOIX OFF. – Où êtes vous Francis ? Vous ne vous seriez pas trompé de maison par hasard ?
Andréa prend le téléphone des mains de Francis.
ANDRÉA. – Bonjour monsieur Roger. Comment allez vous ?
TOUS. – Monsieur Roger ?
ANDRÉA. – Roger Gachaud, mon voisin célibataire d'en face, au numéro 7.Ancien policier à la retraite.
VOIX OFF. – Vous devez faire erreur madame.
ANDRÉA. – Monsieur Roger, on arrête de jouer... j'ai reconnu votre voix. Alors, c'est quoi cette nouvelle trouvaille ?
VOIX OFF. – C'est vous Andréa ?
ANDRÉA. – Ouais. Et je vous remercie de m'avoir saboté ma journée barbecue.
VOIX OFF. – Oh pétard ! Le Petipois a débarqué chez vous ?
ANDRÉA. – Ouais. Et en fichant un drôle de cirque.
VOIX OFF. – Quel con ! On m'avait dit qu'il n'était pas très futé mais de là à se tromper de maison et de client, faut le faire !
ANDRÉA. – C'est quoi c't'embrouille ?
VOIX OFF. – En tant qu'ancien commissaire de police, j'ai gardé quelques relations dans le milieu avec quelques truands qui sont rangés des bagnoles et, comme je ne voulais pas d'un tueur dangereux, Jojo la castagne m'avait conseillé le Francis qui débutait et qui semblait ne pas avoir un grand avenir dans le métier.
ANDRÉA. – OK monsieur Roger, mais pourquoi l'envoyer faire peur à votre voisine ?
VOIX OFF. – Depuis que je suis à la retraite, j'essaie de la draguer la Antoinette, mais y a rien à faire, ça ne marche pas.
ANDRÉA. – Et pourquoi donc ?
VOIX OFF. – Pensez donc, moi un ancien flic et elle une ancienne déléguée cégétiste, on manque d'atomes crochus. Et j'ai pas la tronche de Martinez (A actualiser.) Je me suis laissé pousser la moustache mais j'ai pas le charisme et le sourire de son idole.
ANDRÉA. – Vous vouliez la démolir ?
VOIX OFF. – Ça ne va pas, vous me prenez pour qui ? Mon plan c'était d'envoyer Francis lui faire peur. Elle aurait hurlé, appelé à l'aide et là, tel Zorro volant au secours de l'opprimé, je serais accouru et j'aurais brillamment cassé la gueule à son assaillant.
FRANCIS, réagissant. – Je vous remercie mais ça n'a jamais été prévu dans le contrat ce dénouement.
VOIX OFF. – Petit détail sans importance. (Tête de Francis.) Et moi, pour le coup, j'obtenais les bonnes grâces de la Toinette. C'est qu'elle a de la classe la Antoinette quand elle défile en tête de cortège syndical, ses longs cheveux roux flottant en harmonie le long du drapeau de la CGT.
ANDRÉA. – Vous n'aviez rien de mieux et de plus sympa pour la séduire ?
VOIX OFF. – J'aimais bien le côté viril de l'opération.
ANDRÉA. – Et un bouquet de fleurs, ça ne vous a pas tenté ?
VOIX OFF. – Trop commun, trop sentimental. Et pourquoi pas une invitation à bouffer des merguez, en gilets jaunes, autour d'un rond point, dans la fumée noire de vieux pneus en pleine combustion ?
ANDRÉA. – Vous avez de sacrés distractions, à vos âges.
VOIX OFF. – Faut bien que vieillesse se passe.(Il rit.)
Francis murmure quelque chose à l'oreille de Andréa.
ANDRÉA. – Francis me demande comment vous comptez le payer ?
VOIX OFF. – Il rêve tout debout le Petipois. Le contrat n'a pas été respecté et mon plan est tombé à l'eau. Alors que dalle Francis !
FRANCIS, timidement. – Même pas les frais de route et les balles qui ont été tirées ?
VOIX OFF. – Nib, Nada, que dalle ! J'ai effectivement entendu les détonations.... j'espère qu'il n'a blessé personne cet andouille ?
ANDRÉA. – Juste Simon qui s'est évanoui de peur et qui tarde à retrouver ses esprits.
ANNA, lâchant Simon. – Tu avais raison Andréa, c'est vraiment une chiffe molle, ton mec, et un affabulateur de première.
ANDRÉA. – Eh oui mais que veux tu, je m'y suis habitué, je l'aime comme il est et il me fait voyager.... dangereusement... et à l'oeil.
VOIX OFF. – Je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Bonne fin de journée.
ANDRÉA. – OK monsieur Roger et nos amitiés à Antoinette.
Elle redonne le téléphone à Francis qui se tient tout penaud sous les regards des autres.
FRANCIS, timidement. – Qu'est ce que vous allez faire de moi ?
Ils vont tous lui tourner autour et lui parler très vite sans lui laisser le temps de répondre.
ALISSON. – On hésite...
ANDRÉA. – Te remettre dans les mains d'un médecin à la retraite, par exemple...
AXELLE. – Ou te faire interner directement en asile psychiatrique...
ANNA. – Te livrer à la police...
PATRICK. – Te casser la gueule vite fait...
ALINE. – Te faire désintoxiquer de ton addiction à tous tes jeux violents...
AGNÈS. – Aucune d'entre vous n'a de compassion pour ce pauvre homme qui n'est pas bien dans sa peau. Faut pas être médecin pour comprendre ça.
ALISSON. – Moi, je veux bien le prendre à l'essai pour une rééducation douce et progressive.
ALINE. – J'espère que tu sais ce que tu fais.
ALISSON. – Pas de problème. Dès lundi, je le fais embaucher comme magasinier chez Kifétou, à rouler des palettes sur le quai de réception des marchandises... Qu'en penses-tu Francis ?
FRANCIS, pas très chaud. – Ça va me changer...
ALISSON. – Francis ? Ton arme...
FRANCIS. – Elle est à moi... j'y tiens...
ALISSON. – Tu n'en as plus besoin maintenant. Allez donne...
Francis, à regret, donne son arme à Alisson qui la donne ensuite à Andréa.
ALISSON. – Tu la refileras à monsieur Roger. Il saura bien la mettre en sécurité, quitte à l'enterrer six pieds sous terre, dans le fond de son jardin.
Sur ces dernières répliques, Simon semblait se réveiller un peu et prendre part à la discussion générale.
SIMON. – A propos de creuser, ça me rappelle mon expédition au Pérou en 70... Nous recherchions des vestiges incas quand soudain ma pioche heurta un objet dur enfoui sous terre. Un coffret contenant des pierres précieuses apparut à nos yeux ébahis...
ALISSON, en riant. – Simon... le retour !
Ils se mettent tous à fredonner la musique du film « Indiana Jones », accompagnés par la bande sonore envoyée par la régie tandis que Simon, en avant scène, continue un récit inaudible pour le public qui ne l'entend pas. Le rideau se ferme lentement sur lui.
RIDEAU et FIN