La clé sous la porte

“La clé sous la porte” se passe dans un laboratoire de recherche en 2035. Gertrude et Geoffrey y travaillent ensemble depuis fort longtemps, car la retraite a été supprimée pour les professions intellectuelles sous prétexte de maintenir les capacités mentales de séniors…
Leur relation est basée sur des malentendus, chacun tentant de tenir sa place mais ayant d’autres objectifs en vue. Ainsi, Geoffrey fait tout ce qu’il peut pour sauver le labo car il souhaite en réalité être enfin connu, voire reconnu ; tandis que Gertrude cherche une solution pour s’ échapper définitivement mais feint de continuer à travailler.
Quand un discours officiel du Président de la République donne une idée à Geoffrey, les voici lancés dans une expérience censée relancer le labo…
Ils feront donc appel à deux collaborateurs pour expérimenter le tout nouveau produit inventé par Geoffrey pour redonner à l’espèce humaine le secret de l’amour inconditionnel et régler, du même coup, certains problèmes sociaux.
Mr Douxe et Mme Guérin, les collaborateurs recrutés, se prêtent volontiers à l’expérience. Mais ils ont aussi des raisons bien personnelles aussi d’être là et…la confiance entre les protagonistes va être mise à rude épreuve jusqu’à l’explosion finale des vérités.

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Liste des personnages (4)

GertrudeFemme • Senior
Chercheuse, scientifique, travaille au Laboratoire PROVA.
GeoffreyHomme • Senior
Associé de Gertrude.
Mme GuérinFemme • Age indifferent
Candidate au poste de collaboratrice.
Mr DouxeHomme • Age indifferent
Candidat au poste de collaboratrice.

Décor (1)

Intérieur du laboratoireToute la pièce se déroule dans les locaux du laboratoire. La sortie pour l’extérieur se fait côté cour et la sortie vers les autres lieux internes au laboratoire côté jardin. L’espace scénique sera partagé en deux ou pas, selon les scènes. On peut concrétiser la séparation par une cloison coulissante ou un tourniquet au centre du plateau. Les différents lieux sont les bureaux de Gertrude et de Geoffrey, la salle d’attente et la salle de réunion. Le décor est minimaliste et modulable donc : des tables et des chaises pour les bureaux, pouvant être réunis pour ne former qu’une seule grande table.ECLAIRAGE :Nécessité de deux éclairages et ambiances bien distincts : 1 pour le monde réel, 2 pour les rêves.

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Gertrude et Geoffrey arrivent au laboratoire dans une sorte de rituel montrant la force des habitudes et la dévotion de Geoffrey pour Gertrude, il peut l’aider à mettre sa blouse par exemple et tirer la chaise de son bureau pour qu’elle s’asseye…

Geoffrey a généralement un ton bienveillant, voire mielleux et infantilisant. Quant à Gertrude, elle reste mesurée dans le ton, plutôt distante, et redouble d’amabilité quand elle critique justement.

Gertrude :  Quel est le programme ?

Geoffrey :  Euh nous avons : l’inventaire, les commandes et le bilan comptable.

Gertrude :  Bien, bien…c’est tout ? Pas de projet en cours ?

Geoffrey :  Non, c’est bien dommage. Mais j’ai une idée…

Gertrude :  L’inventaire d’abord…Merci.

Geoffrey :  Pour la répartition ?

Gertrude :  What ?

Geoffrey :  La répartition ?

Gertrude :  Oui.

Geoffrey :  On fait comment ?

Gertrude : Vous commencez et…faites-moi signer quand ce sera terminé, mais ne tardez pas trop cette fois-ci.

Geoffrey :  Bien, bien…Et vous ? Je veux dire si nous avions partagé le travail, ce serait aller plus vite et puis, c’est bon pour votre maintien en activité…c’est bon pour votre santé et c’est un ordre d’Etat, nous ne pouvons déroger à la…

Gertrude : Mais j’ai du travail moi. Je gère le laboratoire, si vous croyez que c’est facile, je vous laisse ma place ? (Elle fait mine de se lever).

Geoffrey : Non, non, je sais bien…hum, toutefois, excusez-moi platement mais vous avez quoi à faire aujourd’hui ?

Gertrude : Comment ? Je ne vous ai jamais vu si effronté… arrêtez le thé Geoffroy, ça ne vous réussit pas. J’ai quoi à faire ? J’ai quoi à faire ? Est-ce que ça vous regarde ?

Geoffrey fait « oui » de la tête.

Gertrude :  Et bien, j’assure la com du laboratoire, si vous croyez que c’est facile, je vous laisse ma place ? (Même jeu).

Geoffrey :  Non, non, je sais bien…cependant je me pardonne d’insister mais concrètement ?

Gertrude :  Et les appels d’offres, ah ah, c’est vous qui les surveillez peut-être ?

Geoffrey :  Cela fait plus d’un an que vous n’avez rien…

Gertrude :  Comment ? Que je n’ai rien ? Vous croyez que c’est fa… (même jeu).

Geoffrey :  Non, restez assise.

Gertrude :  Allez donc plutôt vérifier les stocks.

Geoffrey :  Nous n’avons plus de stock !

Gertrude :  Justement, il faut faire la liste de ce que nous devrions avoir.

Geoffrey :  Ah oui, comme ça je suis d’accord. Je pense en avoir pour deux heures. Pendant ce temps, vous pourriez…

Gertrude :  Tsss ! Je sais ce que j’ai à faire, merci Geoffroy.

Il sort en emportant un dossier. Gertrude, une fois seule, consulte une revue, finit par s’assoupir et se met à rêver.

(Eclairage 2 pour ambiance onirique et/ou musique et/ou gestuelle…pour les scènes rêvées par les personnages.)

Geoffrey :  Aujourd'hui, lundi 1er ! Ça commence bien.

Gertrude :  Qu'est-ce qui commence bien ?

Geoffrey :  La semaine : lundi 1...mardi 2...mercredi...

Gertrude (brusquement) :  Oui, bon dimanche 7 ... on a compris ! Et ça suffit pour vous réjouir, ça ?

Geoffrey :  Hop, hop, hoptimiste ! C'est ma devise, et hop, au boulot !

Gertrude : C'est ça, ne vous gênez pas pour travailler, dois-je vous rappeler le retard de compta ? Les finances Geoffroy, les finances, vous avez fait le point ?

Geoffrey (brandissant un dossier rouge) :  J’AI ! Bien sûr...bien sûr, voici le compte-rendu : (il s’est levé en brandissant le dossier et il lit très vite en mélangeant grommelot... et jargon de compta avec grandiloquence, il s’emballe, fait de grands gestes, sautille…) : alors...vendu...hors taxe...chiffre d'affaires et en comptant les soldes intermédiaires de gestion, les consommations factices...les prestataires extérieurs...(en même temps, il se reprend et rature sa feuille à plusieurs reprises)...euh, donc, sans oublier héhé, les contrats d'assurances, la valeur ajoutée, les salaires, les cotisations sociales...on obtient, tiens ? Ah non, il est là, on obtient donc...EBE (prononcer Hébé)

Gertrude : Hébé ?

Geoffrey (reprenant encore plus vite mais se mélangeant dans ses nombreuses pages) : E.B.E. : Excédent Brut d'Exploitation ...patati patata...amortissement...résultat brut de spoliation, ça on l'a dit ah non...et voilà et voilà, sachant que le résultat et aussi les placements financiers et... et... et... hop la suite la voi...ci : intérêts, emprunts, résultat courant...charge ou produit exceptionnel...(il s'emballe...) EXCEPTIONNEL Mesdames et Messieurs, euh Madame Gèretrude, 

Gertrude : Et donc ? Au fait Geoffroy, au fait !

Geoffrey : GeoffrEY, frey comme Hugo !

Gertrude : Bof, question de ressenti. Alors ce bilan ?

Geoffrey : Vous voulez que je saute les détails, que dis-je les détails, le contenu, la substantifique moelle de nos finances, vous ne voulez pas savoir le mal que je me suis donné pour … ?

Gertrude :  Si si, je...et donc ?

Geoffrey :  Vous voulez un bilan du bilan en quelques sorte ? Héhé...

Gertrude :  C'est ça !

Geoffrey :  J'y viens, j'y viens, je termine, j'arrive, me voilà : alors, j’en étais où moi avec tout çà… bon, heureusement que je garde le cap : résultat courant...résultat net  avant impôt...impôt sur les sociétés et té pardi, et résultat net : 0 ! la tête à Toto. Et ça tombe juste ! Trop fort !

Gertrude (médusée, sans voix) : !

Geoffroy : Négatif ! Nous sommes dans le rouge (regardant la chemise du dossier, rouge aussi)...tiens, c'est amusant, je n'avais pas remarqué...

Gertrude : Vous croyez que si votre assistante avait choisi une chemise bleue, les finances seraient au beau fixe ? Ce que vous êtes naïf, Geoffroy...je vais devoir mettre la clé sous la porte et c'est tout l'effet que ça vous fait ?

Geoffrey : Et bien, mettez là ailleurs...

Gertrude :  Quoi ?

Geoffrey : La clé...mettez-la dans le pot à clés par exemple, héhéhé (content de lui).

Gertrude : Vous aimez l'ordre vous...

Geoffrey :  Charité bien ordonnée commence par soi-même, je vais me faire un petit thé au jasmin, en voulez-vous Gèretrude ?

Gertrude : GUERtrude ! Guer...pas Ger..

Geoffrey : - Oh si, vous gérez si bien !

Gertrude : Ah ah, au secours, au secours !

                                  NOIR

(Eclairage 1)

 

 Gertrude (seule, assise à son bureau, se réveillant.) : J'ai encore fait un rêve démolitoire…(elle s’étire, déplace quelques objets, puis se met à chercher sur l’ordinateur)…Tiens, çà, voyons, balance bénéfice-risque...préjudice moral. Bon sang, il doit bien y avoir un moyen...

Geoffrey (entrant) :  Il y a toujours un moyen ! Tenez, voici la liste.

Gertrude : Ah vous êtes revenu !

Geoffrey : Un moyen de…? Pour…?

Gertrude : Et bien…le bilan ! J’y ai pensé cette nuit et…

Geoffrey : Négatif, cheffe !

Gertrude : Ça, je sais.

Geoffrey : Vous savez ??

Gertrude : Pas besoin d'être Madame Irma pour...

Geoffrey : Madame Irma ? (Il note quelque chose furtivement sur un petit carnet qu’il a toujours dans sa poche)…Non, mais les détails, vous ne les avez pas vus. Tenez, vous les voulez ? (cherchant un dossier, l'ouvrant, faisant tomber les feuilles, se mettant à quatre pattes pour les ramasser…) 

Gertrude : NON ! Non, ça va, je sais très bien, je me rends parfaitement compte que nous devons mettre la …………. (elle le regarde attentivement...il semble avoir une idée et...) Ne dites rien ! Allez chercher le courrier !

Geoffrey : Comme vous êtes dure, Gertrude !

Gertrude : Comme vous être mou, Geoffroy !

Geoffrey sort ; elle reste seule et téléphone :

Gertrude (appelant sa voyante) : « 9.9.9, quoi de neuf ? » allo, oui, c’est moi…ah…ok…mon numéro ? Oui, vous pouvez l’utiliser et pour ce que je vous ai demandé, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?…une ouverture aujourd’hui ? Ah, très bien. J’ai encore droit à combien de consu…ah, elle a raccroché ; elle a beaucoup d’appels, c’est bon signe ça. Si on en avait autant, mais ça ne fait rien, dès que nous aurons mis la « clé sous la porte » (au lieu de dire les mots ou en même temps, elle commence à chantonner le sirtaki), je vais m’é-cla-ter (danse  sur sirtaki)…

Geoffrey revient avec une grande enveloppe et l’examine sous toutes les coutures sans oser l’ouvrir…il n’a pas remarqué le manège de Gertrude tant il est préoccupé par ce courrier…Gertrude l’aperçoit et calme petit à petit son allure jusqu’à faire des mouvements 

quotidiens dans un bureau, elle garde quand même encore un peu dans son corps la pulsation, elle peut très légèrement chantonner ou tapoter avec ses doigts.

Geoffrey (pour lui-même) : Une lettre du Greffe…c’est étrange, une réponse déjà ? Je ne leur ai écrit qu’hier.

Gertrude : Du Greffe ? Donnez-moi ça. (Elle se jette sur Geoffrey et saisit l’enveloppe), c’est pour moi, c’est à moi. (Elle s’assoit dessus en retournant à son bureau).

Geoffrey : Mais pourquoi ? Vous leur avez demandé…

Gertrude : Rien du tout ! Les formalités habituelles, rien de bien intéressant. Je gère, je gère. Vous vous imaginez peut-être être le seul à bosser dans cette baraque ?

Geoffrey (en aparté et notant sur son carnet) : « langage familier, ton passablement énervé, niveau 2 » (à Gertrude) Non, non, bien sûr, je sais bien que vous travaillez dur mais tâchez de ne pas vous énerver, ce n’est pas bon pour votre coeur.

Gertrude : Et ta soeur ?

Geoffrey : Bernadette va très bien, merci. (Il sort l’air préoccupé).

Gertrude (lisant et commentant ou dialoguant avec une IA, tout en faisant des gestes hors contexte comme se faire les ongles ou jouer aux dés. Ne prononcer que les mots en gras et le reste en grommelot) : Comment récupérer son argent après une liquidation judiciaire ? Lorsque l’entreprise en difficulté ne parvient pas à redresser la barre, elle est placée en liquidation judiciaire. Dès l’ouverture de la procédure, les créanciers ne peuvent plus engager d’action visant à récupérer leur argent. Youpi ! Le liquidateur vend ensuite les biens de l’entreprise pour les désintéresser. Et bien, moi aussi, ça me désintéresse ! il y en a encore beaucoup ? Dans certaines situations, le débiteur peut encore être poursuivi…plusieurs sortes de procédures pour le traitement des entreprises en difficulté, en fonction de la gravité de la situationC’est très grave, docteur, je vais burnouter d’ici pas tard si ça continue avec l’autre ahuri qui trouve toujours des solutions, mais je n’en veux plus moi de ses solutions, je ne veux plus de problème voilà tout !

Geoffrey (entrant sur « plus de problème, voilà tout ») : Ah ! Je vois que nous sommes à l’unisson. (Il dépose un gros parapheur  sur le bureau de Gertrude).

Gertrude  (surprise) : Ah ! Je vois que… vous êtes revenu..hein, hein…

Geoffrey : J’arrive à l’instant et suis ravi de constater qu’il n’y a plus de problème. Vous avez donc trouvé une solution ?

Gertrude :  Ah oui, bien sûr, plus de problème, c’est cela. D’ailleurs, pourquoi voulez-vous qu’il y ait un problème ? Vous avez bien assez à faire avec la compta non ?

Geoffrey : Justement. Ecoutez voir, cet appel d’offres, de quoi nous relancer et pas qu’un peu.

Gertrude : Mais vous rêvez mon pauvre ami. Nous ne remonterons jamais.

Geoffrey : Ne dites pas ça, j’ai la sol…

Gertrude : Non merci, soyez réaliste plutôt et allez donc chercher le dossier rouge, allez, allez…

Geoffrey (va dans son bureau en sautillant et en ajoutant) : Les chiffres ne mentent jamais, nous allons la redresser je vous dis…

(Scènes en parallèle qui s’intercalent dans deux espaces distincts sur le plateau, où chaque personnage ne voit pas l’autre mais fait face au public : Gertrude fait des démarches pour liquider le labo et se distrait ; Geoffrey cherche le dossier rouge…Ces scènes sont mimées, gestuelles avec un minimum de mots pour faire comprendre le sens de la scène.)

Gertrude (prenant un jeu de cartes et étalant une colonne à droite et une à gauche, elle va puiser dans l’une et l’autre pour trouver les réponses à ses questions, disant un mot de temps en temps en retournant une carte) : Mmmm…celle-ci…opportunité à saisir…urgence vitale…alors, 1-2-3; ça dit quoi ?…liquidation judiciaire…ah…bah…(elle lit un assez long moment) pas simple cette affaire…devoir tout faire moi-même…pour une fois…

Geoffrey (cherchant) :…dossier rouge…dossier rouge…m’inquiète…ah, là ? Ah non, c’est l’ancien…et ça ?…ah ben tiens justement : « la dégénérescence cognitive chez la personne âgée » (parcourant le dossier)….mmm…mmm…mmm…(il compare avec les notes de son petit carnet…)…symptômes les plus courants…

Gertrude  (retournant toujours les cartes des deux colonnes alternativement) : Roi de coeur… Liquidateur…Chance…Récupérer son argent…Foudre…Paiement des dettes…Bah…Ah ? …Démarche simplifiée en ligne…Oh, oh, oh…mm…ça m’intéresse ça…mm…enfin !

Geoffrey :…confusion…perte de facultés…propos ou comportement incohé…mmm…mmm, j’ai bien peur…d’avoir  raison une fois de plus…(il range le dossier et trouve le rouge)…ah, le voilà…pas un mot…ne pas la brusquer…mais tout de même…

 

Geoffrey revient avec le dossier rouge.

 Gertrude : Ah, vous l’avez ?

Geoffrey : Oui, j’ai pris le temps de le relire, mais, au fait, Gertrude, est-ce que vous avez bien dormi cette nuit ?

Gertrude : ?

Geoffrey :  Parce qu’avec l’âge, on dort moins bien paraît-il. Le maintien en activité, soit, c’est une bonne chose pour conserver ses facultés ; encore faut-il récupérer la nuit pour être au top de sa forme. Vous devriez prendre rendez-vous au Sleep Center ; ils ont tout ce qu’il faut là-bas pour observer le cerveau pendant…

Gertrude :  Tu parles, Charles ! Et puis quoi encore ? Qu'est-ce que ça peut bien…Cessez de jouer au docteur…

Geoffrey (il note quelque chose sur son petit carnet) : Oui…bon...tout de même…donc...vous avez entendu...hier soir ? C'est la chance inouïe que nous attendions, l'opportunité  pour revenir sur le marché, OYEEEE !

Gertrude :  Entendu quoi ? 

Geoffrey : Ah ! Vous ne l'avez pas entendu, le discours du Président...mais qu'à cela ne tienne, je vais vous le résumer, que je me souvienne bien (il se met en boule en crispant tout son corps), alors voilà : « trop d'enfants allergiques...euh alors... non au divorce ! »

Gertrude : Et ? C'est tout ?...

Geoffrey : Oui, enfin, c'est un résumé. 

Gertrude : C'est du concentré de résumé vous voulez dire, je suis censée comprendre quoi avec ça ?

Geoffrey : Vous ne voyez pas, les formidables opportutu…opportunini..., les occasions fabuleuses de briller d'un esprit inventif avec le produit...le produit...

Gertrude :  Le produit anti-allergique, mais ça existe déjà ça...

Geoffrey :  Non, non, pas celui-là...attendez, le mieux, c'est que vous l'écoutiez par vous -même ; je suis sûr que vous allez avoir la même idée géniale que moi, car enfin, depuis le temps que nous travaillons ensemble Gertrude, ne sentez-vous pas cette connivence d'esprit qui nous unit, cette familiarité qui s'est installée entre nous et j'irais même jusqu'à dire cette tendresse quand je vous apporte une tasse de thé au jasmin...

Gertrude : J'ai horreur du thé...alors, ce discours ?

Geoffrey (pianotant sur le clavier de l'ordinateur.) : Voilà, voilà...vous allez voir, vous allez voir…

Gertrude : J'aimerais bien l'entendre surtout, taisez-vous Machin !

(Pendant le discours, Gertrude se fait les ongles ou autre activité futile, l’air un peu blasé, tandis que Geoffrey est passionné par ce qu’il entend et surveille en même temps Gertrude, un peu désolé qu’elle ne montre pas plus d’intérêt…)

Voix de la radio :

« ...Président X qui a repoussé son départ en cure pour adresser ce message à la France  (jingle ridicule ) :

« Françaises, Français, grâce à vous, à vos efforts, à votre travail, à votre courage, à votre chôm…, à votre ténacité, nous remontons la pente. Si notre objectif est d'être au top en 2040,  nous y serons grâce à VOUS. Pour cela, nous devons encore renforcer le lien social,  retrouver les valeurs qui font la force d'une nation et lutter contre les ennemis Zextérieurs et Zintérieurs. Oui, Zintérieurs car un mal ronge notre société depuis Dédé… Depuis Dédé ? Arrh…depuis des décennies et ce mal, c'est la désunion au sein même de notre société. La désunion jusque dans les foyers. Pourquoi tant de divorces, de familles 

désunies, de pères sans abris, de mères seules, d'enfants hyperactifs et allergiques aux cacahuètes  ? 

La crise actuelle ne permet pas de construire encore plus de logements occupés par seulement un habitant, chômeur dans 80% des cas, fallait pas le dire bah…

C'est pourquoi, j'ai, moi en tant que tel et en tant que meilleur Président depuis la nuit des temps, décidé ce jour un plan quinquennal d'union générale. Ce plan prévoit donc une restructuration de la société par la base, à savoir la famille (roulement de tambour, c’est le Président qui tape avec ses doigts). Nous devons toutes et tous unir nos efforts dans la remédiation du problème de la désunion. Tous ensemble, nous trouverons les solutions pour ne plus gaspiller notre énergie à nous disputer – ouh, c'est vilain – et à rester ensemble, main dans la main et tutti quanti. Car, quoi de plus beau qu'une famille unie ? Nous encourageons ainsi le rapprochement des comptes joints...Arhh des conjoints et la natalité.

Trop d'allocs...arhh ! Trop d'enfants partagés entre deux foyers. Nous devons rester unis devant le chômage, le froma..., argh ! Et tout ça, bref, en un mot car je ne suis pas comme certains  à utiliser une langue de bois pour me chauffer gratis, non, je dis simplement avec le langage de mes conspi...de mes concitoyens ce que j'ai à dire, je n'y vais pas par quatre chemins, je tonce dans le fas pour dire, tout de go, sans tervigerser, ce que vous souhaitez entendre : oui, nous y arriverons !

Ah, ça va mieux en le disant pas vrai ?

(On entend une voix : Président...Président...C'est l'heure de votre...BANG ! Le Président vient d’asséner un grand coup sur la tête de l'impertinent qui a osé l'interrompre et reprend) :

Je ne mâche pas mes mots aujourd'hui pour vous dire : ensemble coupons l'herbe sous les pieds des narcotrafiquants – pétasse – c'est pas la bonne feuille – c'est pas ça – coupons du bois...non plus...coupons les allo...ahrrr  ! COUPONS l'envie aux français de divorcer.

Le mariage pour tous , oui ; le divorce pour tous, non ! »

(Bruits d'applaudissement mêlés à des bruits de bousculade, des cris du Président qui veut continuer son discours et qu'on emmène de force « pour son image »…)

 

Geoffrey :  Vous avez vu ? Vous avez entendu ?

Gertrude :  Il est bien fatigué cet homme là...mais je ne vois pas en quoi... que faire d'un  tel discours ? Laissez-moi réfléchir...

Geoffrey :  C'est ça, je vais aller faire un thé au  jasmin, vous en voulez ?

Gertrude :  Pff...

(Geoffrey sort de la pièce, il reviendra avec un service à thé, en chantonnant : « Y a d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles, y a d’la joie »..)

 

Gertrude (réfléchissant, pour elle-même) :  Ce pauvre Président...dans un tel état... ça n'existe pas pour eux les arrêts maladie ? Non parce que là, quoi que, il n'a pas tout à fait tort non plus, mais quoi, les familles, les familles désunies, oui, ça ok et nous, en quoi peut-on ? Faut quand  même que je trouve moi aussi quelque chose, encore que, relancer le labo, finalement, bah allez un dernier petit marché pour la route. Alors une idée géniale…ben oui…tout de suite là, ça y est, je l'ai : empêcher les gens de divorcer, mais 

non c'est parfaitement stupide...au fait, Geoffroy, ce ne serait pas ça votre idée par hasard ?

Geoffrey :  Un sucre ou deux ?

Gertrude :  Votre idée, c'est d'empêcher les gens de divorcer ?

Geoffrey :  Vous brûlez, vous brûlez !

Gertrude :  Mais c'est une régression abominable...

Geoffrey :  On ne les en empêcherait pas vraiment...

Gertrude : Pas vraiment, c'est à dire ? Une prime à la fidélité ? Des allocations exponentielles en cas de naissances multiples ? Mais tout cela existe déjà.

Geoffrey :  Cherchez le lien avec nous, Gertrude, que faisons-nous ici ?

Gertrude :  Nous découvrons, nous inventons, nous sommes des investigateurs, nous faisons de la recherche fondamentale et je joue au jeu des synonymes en même temps, c’est aussi dans mon brain training program mais là, what ? What ? What ?

Geoffrey :  Gertrude, Gertrude, restez concentrée (il fait des gestes répétitifs avec ses bras et ses mains devant les yeux de Gertrude pour « l’aider à se concentrer »). Dans la grille des objectifs, rappelez-vous : résolution d’un problème sociétal, ça peut rapporter gros question subventions et le labo en a bien besoin…alors ? Pour que les gens restent ensemble ?

Gertrude :  Tsss… ne soufflez pas… un philtre d'amour, mais c'est pas nouveau non plus, ça, ça fait bien longtemps qu'on sait que ça ne marche pas, surtout au moment où les gens veulent divorcer...ou alors, avant, un produit qui les rendrait accro à leur partenaire, finis les divorces, fini le célibat, finie la crise du logement, c'est ça ! Votre idée ? MON idée !

Geoffrey :  PAF ! En plein dans le mille. Vous êtes trop forte. C'est le PUF ! J'ai du pif !

Gertrude :  PUF ou VLAN pourquoi pas ?

Geoffrey :  La pilule PUF – Pour l'Union des Familles...

Gertrude :  Pilule ? J'ai peur que ça prête à confusion... mais quoi, un médicament pour 

forcer les gens à s'aimer ?

Geoffrey :  Vous l'avez entendu comme moi...si notre Président est décidé à lutter contre la désunion, il va mettre le paquet, ça veut dire contacter toutes les têtes pensantes…Nous allons les devancer... Il faut lancer l'expérimentation tout de suite...laissons « pilule » si vous voulez, appelons-le « produit » ou « sérum »...

Gertrude :  Il faudrait qu'il soit dans l'eau, tout le monde boit de l'eau, quand même, même en France , même à (nom de la ville dans laquelle on joue) non ?

Geoffrey :  Bon sang, mais c'est bien sûr, dans l'eau ! Quelle idée géniale !

Gertrude :  Cela vous étonne ? Vous y avez tout de même un petit peu contribué, il faut rendre à César ce qui est à César ; (il note…) allez, je vais goûter de cet infâme thé au jasmin pour fêter ça (elle trempe ses lèvres dans la tasse et crache vers ou sur Geoffrey) Pouah, quelle horreur ! (Puis regardant brusquement Geoffrey) Et maintenant ? Fonce Alphonse ! Du nerf mon garçon, va falloir s'y mettre, vous ne pourrez pas dire que vous n'avez que de la compta à faire ; je vous laisse chercher, j'ai bien une petite idée mais j'aimerais que vous me fassiez une proposition à la suite de quoi, je prévois une confrontation et dans la foulée, une mise en action !

Geoffrey :  Quel plan ! Vous m'épaterez toujours Gertrude !

Gertrude :  Et bien, en voiture Simone, c’est moi qui conduis, c’est toi qui klaxonnes! Je finis ce dossier et je m'y mets aussi…

Geoffrey notant dans son carnet…

Gertrude : Et bien, Machin, qu’est-ce que vous attendez ? Chauffe Marcel ! La labo, c’est par là (elle le pousse vers la porte du fond alors qu’il est encore en train d’écrire dans son carnet.Puis seule, elle se replonge dans la lecture de la voyance)...Argent...Amour...Carrière..Carrière ! Cette année sera riche en transformations positives si vous saisissez les aubaines qui s'offrent à vous et elles seront nombreuses si vous acceptez le cadeau que je vous fais pour la modique somme de 137 euros au lieu de 197 euros pour vous - Ghislaine ? – ce cadeau, c'est ce talisman si vous cliquez ici…et merde ! Pas moyen de connaître son avenir gratuitement à notre époque, c'est un monde, ça ! Je voudrais bien savoir quand je vais pouvoir…(Danse sirtaki en chantonnant puis, elle se remet à chercher d'autres sources : horoscope etc...quand soudain elle aperçoit Geoffrey et se met à faire semblant de travailler)...recherche de partenaires institutionnels dans la prise en charge des protocoles innovants pour l'aide au projet de l'union des familles...

Geoffrey : (arrivant, la surprenant en train de danser) : Ça y est, elle recommence...GERTRUDE, GERTRUDE ! Nous allons devancer l'appel d'offres, vous vous souvenez ? Je suis à côté, au laboratoire...je vous laisse un instant, si quelque chose ne va pas, appelez-moi, d'accord ?

Gertrude : Cool Raoul ! (Il note…) Je sais parfaitement comment je m'appelle et cessez de me déranger en plein travail, je suis en train de finaliser la proposition alors si vous traînez sur la formule nous allons encore nous faire doubler par RAFTOU. Alors, au travail et ne revenez que quand vous aurez trouvé la Loveformule, compris ?

Geoffrey : J’ai ma petite idée…

Gertrude :  Du concret Geoffroy, du concret !

Geoffrey : Bien, (pour lui-même, comme révisant ou relisant ses notes) « Accordez toute votre attention à la personne.» (A Gertrude ) Je peux vous laisser ?

Gertrude : Au contraire, faites donc…Je ne sais plus comment vous le dire. Assez de temps perdu comme ça, du balai Geoffroy et au boulot ! (Elle le met littéralement dehors, puis seule)  Bon, j’en étais où ? (Elle se replonge dans l’horoscope et s’assoupit).

(Eclairage 2/ambiance onirique)

Geoffrey apparaît déguisé en manchot empereur et chante les paroles suivantes sur un air de chachacha. En même temps, il prépare le mélange, rectifie en faisant des pas de danse  ; il sort à la fin de la chanson.

Geoffrey  :

La vasopressine, c’est 30%

Tacata taca tacata

Et l’ocytocine, c’est 30%

Tacata taca tacata !

Les stéroïdes font leur boulot,

Va vraiment y avoir tout c’qu’il faut,

Là, je vais l’épater Gertrude,

C’est sûr, elle changera  d’attitude.

La dopamine, c’est 30%

Les anandamides, 30%

Oh zut, ça fait 120% !

Doit y avoir une boulette là-d’dans !

Tacata taca tacata

Tacata taca tacata …

Là, ça y est, tout est réparé,

Fallait juste du 25 partout,

Oh là là qu’est-ce que je suis génial !

Ah Gertrude, tu vas m’adorer !

(Eclairage 1/réel)

Gertrude se réveille en sursaut, regarde autour d’elle comme hébétée. A ce moment-là, Geoffrey entre sans frapper :

Gertrude (surprise) : A l’aise Blaise ! Tranquille Emile ! Pas gêné Hervé ! Bordel ça vous écorcherait la langue de frapper avant d’entrer ? Vous êtes d’une grossièreté ! Vous  l’avez cette formule ?

Geoffrey : - Oui, oui, (prenant des notes en même temps qu’il essaie de répondre à la question de Gertrude)…je l’ai, je l’ai et je vous propose de boire un toast à ma réussite !

Gertrude : Tiens je ne savais pas que vous y jouiez aussi…

Geoffrey : Gertrude ! Gertrude ! C’est moi. Emile, euh Geoffrey, je viens pour le thé. Vous vous souvenez : tous les soirs, à 17 h, nous buvons du…du…

Gertrude  : Et vous avez le temps de jouer aux devinettes ! Mais enfin, que se passe-t-il  Geoffroy ?

Geoffrey : Mais rien Gertrude, tout va bien. (Il consulte un document) « Faire des phrases courtes et regarder la personne bien en face »…(se rapprochant de Gertrude pour être bien en face) : TOUT VA BIEN GERTRUDE !

Gertrude : T’as raison Léon ! Alors, vous l’avez ?

Geoffrey : (pour lui-même) « Langage confusionnel, perte des repères spatio-temporels » (il ne sait pas si ça correspond mais il le coche quand même dans sa liste), (à Gertrude) Oui j’ai la formule. Les calamars, les castors, les manchots empereurs et moi-même sommes formels : la Loveformule va redonner à l’espère humaine le secret de l’amour loyal et fidèle. Je vous invite à venir goûter ce breuvage magique et vous m’en direz des nouvelles.

Gertrude : Moi ? Boire votre bidule ? Mais il n’en est pas question. Je ne peux pas diriger cette boîte et servir de cobaye à l’expérience. Il y aurait conflit d’intérêts pour le moins - même si chez nous, cela est assez bien toléré mais, j’ai une morale moi ! Et que testons-nous d’ailleurs ? L’attachement ! Alors, si je suis seule à le boire, l’expérience ne peut pas…

Geoffrey : Mais non, pas seule, je l’aurais bu aussi et …

Gertrude : Vous ? Mais vous êtes fou, oh oui ! Vous avez pensé au résultat si ça marchait…Trouvez-moi deux cobayes et plus vite que ça, l’annonce aurait dû paraître déjà, allez allez, filez…

Geoffrey : Mais la formule, vous ne voulez pas savoir ?

Gertrude : Je vous fais confiance pour le recrutement. Maintenant, laissez-moi travailler, j’ai un dossier des plus urgents…(Elle se replonge dans la lecture de « Comment liquider son entreprise sans perte »….)

Geoffrey : …(Il sort en chantonnant le début de la chanson Tacata…)

Gertrude s’ébroue…et elle va « se lâcher » (danse et chante en rap ou slame…) :

Gertrude :  Geoffroy, tu m’embrouilles, tu me prends pour une nouille.

        Mais comment tu te supportes et tout ce que ça comporte ?

        Casse-toi s’il te plaît, cesse de m’importuner,

        Tu vois bien que sans toi, j’aurais déjà trouvé…

(Puis continue en parlant) :

J’aurais au moins trouvé comment tadam tadadadadam (chant sirtaki). C’est vrai quoi, jamais il n’arrête d’être content lui ? C’est pas politiquement correct de sourire autant, ça fait un peu foutage de gueule quand même non ?…On est en France quoi, merde ! Le mec, toujours prêt : un problème, une solution et hop et hop…oh, et puis, je m’en fous, qu’il la lance sa formule et moi je …(On entend la sonnerie du téléphone, elle répond)

Allo ? Allo ! Ah RAFTOU ! Bonjour, bonjour…vraiment ? Un discours ?…ah non, je ne…nous n’avons pas eu le temps, nous sommes sur…, over…,…en effet, c’est très intéressant…merci cher confrère…j’en parle à mon associé et nous vous tenons au courant…Bonne journée cher ami, oui bon faut pas exagérer non plus - cher concurrent plutôt ah ah ah. (Elle raccroche).

Tu parles, il voulait juste savoir où on en était mais, cette fois-ci, tu ne nous doubleras pas, rapace !

(Elle appuie sur un bouton) Geoffroy ! Il y a urgence. J’espère que l’annonce est prête ! Raftou est sur le coup !

Geoffrey (entrant en glissant pour aller plus vite) : Voilà, voilà, je viens juste de finaliser l’offre, vous auriez deux minutes pour la valider ?

Gertrude : A votre avis ?

Geoffrey : Ah ben oui vu que c’est urgent…

Gertrude : Et donc Geoffroy, je vous écoute…

Geoffrey : La voici (lisant ses notes): « Offre d’employement CDD pour collaborateurs à la recherche innovante au Laboratoire PROVA : vous rêvez d’aider la recherche, rejoignez-nous pour tester la solution au problème de la désunion ; venez tester La Loveformule et ses effets attractiles qui vous rendront irrésistible aux yeux de votre partenaire. Postes : 2 ; une femme, un homme» Voilà….

Gertrude : …! Vous êtes sérieux là ? Donnez-moi ça (elle lui arrache la feuille des mains ; elle barre en lisant) « vous rêvez »…non, « problème qui ronge »…non, « Loveformule »…non…bref, il faut recommencer.

Geoffrey : Ah bon ! Mais pourquoi ?

Gertrude : Il n’est pas question de dévoiler le but réel de l’expérience…vous oubliez que nous devançons même l’appel d’offres ; ce n’est pas pour donner nous-mêmes une piste aux concurrents…

Geoffrey : Ah…je…mais et l’honnêteté intellectuelle, la transparence, je croyais que nous devions…

Gertrude : Sans compter l’effet placebo qui pourrait troubler les résultats si les cobayes se persuadent eux-mêmes d’un effet réel…non, non, il faut cacher le but, en donner un autre. Que proposez-vous ? J’ai bien ma petite idée mais il faut bien que je vous laisse chercher aussi, n’est-ce pas ?

Geoffrey : Euh…oui mais… ce n’est pas légal…

Gertrude : Que je vous fasse travailler ?

Geoffrey : Non…si, ça c’est légal bien sûr mais pas que l’on cache le vrai but…la Commission de la Transparence pourrait nous épingler …et alors, là…ce n’est pas légal, ce n’est pas légal, voilà tout !

Gertrude : Pff ! Mon pauvre naïf, ce que vous êtes Geoffroy ! Je vous en prie, pas d’hypocrisie superfétatoire, depuis quand la recherche  s’intéresse-t-elle à la légalité ? Depuis le Coflanex ? Le Modiatox ? Le Fenotram ? L’Oxytine ? Le Starelix ? Le Tramifol ?

Geoffrey : Calmez-vous voyons, calmez-vous !

Gertrude : L’Axocidam ?  

Geoffrey (offusqué et notant dans son carnet.)  : Ça, c’était avant. 

Gertrude : Le Flextran ? 

Geoffrey : Nous sommes en 2035, il y a tout de même des garanties…

Gertrude : Le Celmorix ? Des garanties, lesquelles ?

Geoffrey : Et bien, la…la Commission de Contrôle Global de la Santé déjà, sans compter… 

Gertrude : Le Voxenol ?

Geoffrey :…ses nombreuses délégations ou succursales : l’Agence pour l’Accréditation des process médicaux, la …

Gertrude : Lamicterol ?

Geoffrey :…la Haute Autorité Supérieure en Médecine et Santé, le …

Gertrude : Le Dantiline ?

Geoffrey :…le Comité d’Ethique de la Recherche Biomédicale, les Commissaires assermentés à donner les agréments, les Techniciens habilités à vérifier le caractère innovant des molécules proposées, les… Collègues choisis au hasard et triés sur le volet désignés par l’Etat pour attester du SMR, puis de l’ASMR…Enfin, tout ça, tout ça , quoi !

Gertrude :  Ça en fait du monde ! Et on s’étonne que les caisses…bref ! Et vous avez pensé à l’espionnage ?

Geoffrey (soudain effrayé, parlant bas comme pour se cacher des espions) : Ah çà, oui, c’est un vrai problème…d’autant que je serais très fâché (il se met en boule, tend tous ses muscles, arrête de respirer et devient tout rouge) que l’on me vole encore MON idée…enfin…notre idée…hum…

Gertrude : Elle est là l’honnêteté : si les cobayes ne savent pas pourquoi ils sont là véritablement, ils ne pourront pas truquer les résultats, eux… pour en terminer au plus vite par exemple…vous comprenez ?

Geoffrey :  Je crois que je commence à comprendre…mais alors, et la cohérence ? Je veux dire quel objectif allons-nous donner à la place ?

Gertrude :  Et bien c’est ce que je pensais que vous alliez me proposer aujourd’hui, mais, une fois de plus - je constate - je vais devoir le trouver moi-même…Mmm…un « produit pour la forme » par exemple…voilà, ça suffit, avec des tests physiques et des bilans au début et à la fin et le tour est joué, étant entendu que le rapport fera état de ces résultats alors que nous aurons observé les effets réels de la Loveformule pendant ce temps…

Geoffrey : Mais…et l’accréditation ?

Gertrude : Ah mais vous radotez ! Chaque chose en son temps. Les cobayes sont là pour tester la formule, oui ou non ?

Geoffrey : Oui.

Gertrude : Soit, donc une fois l’efficience prouvée, nous aviserons, détendez-vous avec les protocoles Geoffrey, détendez-vous !

Geoffrey : Bien, bien, vous avez raison, je vais me détendre, je vais faire un thé au…

Gertrude : Et ne tardez pas trop à rédiger la bonne annonce cette fois-ci, celle du produit pour la forme - et basta -…maintenant, veuillez m’excuser mais j’ai du travail (elle sort un paquet de cartes de tarot d’un tiroir).

NOIR

(Dans la salle d’attente, moitié droite de la scène.)

Madame Guérin, est déjà assise…Mr Douxe va entrer. En entrant, il mesure l'espace avec ses pas avant de s'asseoir le plus loin possible d’elle mais en lui lançant de petits regards furtifs...Elle, même jeu de regards, feint de continuer à lire. On entend ses pensées tandis qu'elle l'observe :

« Mais qu'est-ce qu'il fait ? Il marche en pleine conscience ou quoi ? J'étais là avant de toutes façons. Non, mais qu'est-ce qu'il s'imagine l'autre flamant rose avec ses grandes pattes ! »

  Puis, elle est prise d'un frisson généralisé, jette soudain la revue sur la table basse et sort précipitamment  de la salle d'attente. On entend juste la porte claquer et un énorme ATCHOUM. Pendant ce temps, il en profite pour atchoumer de façon grandiloquente, ce à quoi il ajoute :

Mr Douxe :  Oh et puis…ZUT !

Elle revient à ce moment-là et se rassoit après avoir repris le journal qu'elle tiendra à l'envers...

Mme Guérin :  Pardon, vous disiez ?

Mr Douxe : Ah non, rien, excusez-moi, il m'arrive de parler tout seul...je révisais à voix haute en fait...le manuel de l'entretien professionnel...

Mme Guérin :  Ah oui, très bien, ce petit manuel...

Mr Douxe : Je ne le connais pas...qui est-ce ? Nous sommes déjà deux, c'est bien suffisant..

Mme Guérin : - … !

Elle rectifie sa tenue vestimentaire qui est déjà impeccable, chausse ses lunettes pour tenter de débusquer un soupçon de poussière ou un cheveu...

Lui, jeux de sourcils, soupirs...puis se remet à soliloquer :

Mr Douxe :  Remarquez, y'a pas  à s'en faire...deux postes...deux candidats...alors la belle affaire si j'ai pas pris de douche ce matin...non mais c'est vrai quoi, on dirait qu'il leur faut je ne sais quoi...non mais vous avez vu l'annonce ?...Ça sent l'arnaque à plein nez...mais bon, faut bien s'occuper et puis c'est payé, enfin ce sera payé à la fin...la fin de quoi ? Remarquez...

Mme Guérin : …

Mr Douxe :  C'est inopiné...un produit pour la forme, ça tombe on ne peut mieux, ça m'évitera de faire ma cure de jouvence qui me coûte chaque année la peau.

Mme Guérin : Et ça coûte combien ?

Mr Douxe :  Quoi ?

Mme Guérin : Ben…la peau !

Mr Douxe : C'est ...euh... très cher, en tous cas !

Mme Guérin (le scrutant) : Et…c’est efficace ?

Mr Douxe : Ah çà, comment le prouverais-je ? Il eut fallu que je me clonasse avant pour avoir un comparatif.

Mme Guérin (pensive, commençant à s’ennuyer) : Et oui…on fait tout pour rester jeune et puis, un jour, on est vieux.

Mr Douxe : Ah non, on naît jeune ! C’est après que ça se gâte, on ne naît pas vieux !

Mme Guérin : !

Mr Douxe : Mais, vous ne m’avez pas dit…Et vous, comment êtes-vous arrivée là ?

Mme Guérin : J'ai pris le tramway qui est tombé en panne...ah, ah, je le savais, je le savais...je l'ai bien eu ... partie avec une heure d'avance... je l'ai bien eu ce sadique, à 

croire qu'il prend son pied à mettre tous les jours des centaines de personnes en retard...ah mais moi, on ne me la fait pas, je suis même arrivée en avance ! AH ! J'ai couru le long de la ligne et il ne m'a même pas rattrapée ce psychopathe...et j'étais là avant vous, vous avez vu ? 

Mr Douxe (regardant ses talons) :  Vous avez couru ?

Mme Guérin :  Hé hé ! (Montrant le sac de sport à côté de sa chaise) Je me suis changée...(elle ouvre le sac et en sort une tenue de sport qu'elle commence à mettre par dessus sa tenue ou à la place et change  aussi de chaussures)...Vous voyez...là...comme ça, j'étais plus à l'aise...parce que les transports en commun, on sait ce que c'est, surtout depuis qu'ils sont gratuits et obligatoires...ah mais moi non, je ne me fais plus avoir...(Elle se met à courir sur place...)

Mr Douxe : - Ah ben vous alors !

Mme Guérin : Oui, faut s'entraîner, y'a pas de raison, quand on veut, on peut et vous alors ?

Mr Douxe : - Moi ? Quoi ? Qu'est-ce que j'ai ?

Mme Guérin : Vous êtes venus comment ?

Mr Douxe :  Ah, juste comme ça (montrant ses habits) ; je n'ai plus beaucoup d'habits depuis que la police du recyclage...

Mme Guérin :  Non, je voulais dire vous êtes venus en tramway, dites, dites, en tramway ?

Mr Douxe :  Je suis descendu, j'habite au dessus. Le gars du labo m'a dit l'autre jour en sortant les poubelles : tiens, au fait, tu cherches pas du travail par hasard, tente ta chance, c'est inespéré pour un gars comme toi ...alors, je lui ai dit : bah, si c'est inespéré alors...non, non, qu'il me dit, ça veut dire le contraire...enfin que j'avais toute ma chance quoi... et me voilà (il se lève triomphant et se rassoit presque aussitôt l'air abattu)...paraîtrait qu'ils veulent pas trop ébruiter le truc, leur recherche je sais pas quoi, mais sont bien obligés de passer une annonce, une offre d'employement...m'a dit qu'il m'en dirait plus, ben aujourd'hui justement...

Mme Guérin :  J'espère bien...vous ne trouvez pas l'attente un peu longue ?

Mr Douxe :  Bah...

Mme Guérin :  J'avais rendez-vous à 13 h 18 et il est presque 14 h, heure française, bof, je suis pas chauvine mais c'est bien pratique...c'est toujours comme ça, on est censé attendre nous...

Mr Douxe :  Moi j'ai rendez-vous à 14 h 18, donc...

Mme Guérin :  Vous êtes après moi.

Mr Douxe :   Ils le font peut-être exprès.

 

Mme Guérin : Ah mais regardez, là (elle montre un coin du plafond), là, on dirait bien...une caméra...

Mr Douxe :  Ça en a tout l'air tralala !

Mme Guérin:  Ah mais ça, j'en aurais le cœur net ; faites-moi la courte échelle…

(Ils vont dans le coin de la pièce, elle grimpe sur ses épaules, tend un bras pour attraper la caméra. Pendant cette scène gestuelle, se déroule le dialogue entre Geoffrey et Gertrude dans la partie gauche de la scène) 

Geoffrey : Ils sont là, ils sont là !

Gertrude (s’extrayant de la lecture d’une revue) : Qui ça ? Les manchots empereurs ?

Geoffrey : Oui, enfin non, les cobayes, les candidats. J’ai installé une caméra dans la salle d’attente ; l’observation de leur comportement pourra nous aider à les départager.

Gertrude : Mais combien sont-ils ?

Geoffrey : Deux…Une femme et un homme.

Gertrude (criant presque) : Et bien alors ! Ne perdons pas de temps. Recrutons les avant qu’il ne soit trop tard…Faites entrer la femme s’il vous plait.

Geoffroy (ouvrant la porte de la salle d’attente) : Madame Guérin, si vous voulez bien…

…L’Arrivée de Geoffrey les fait sursauter, elle tombe dans les bras de Mr Douxe puis tous les deux se retrouvent par terre.

 

Geoffrey  : Oh ! Madame Guérin, c'est  à vous. 

Mme Guérin (se relevant et dans sa hâte, remettant seulement ses chaussures à talons et fourrant tout le reste dans le sac de sport ; elle est donc en tenue de sport avec des chaussures à talons)  : Oui..bonjour Monsieur...je suis là, j'arrive...enfin, j'étais là...avant l'heure même parce que j'ai couru...

Geoffrey :  Je vous en prie, entrez.

Mme Guérin : - Merci...(marche qui se veut distinguée malgré les vêtements…)

(Dans le bureau de Gertrude, scène entre Gertrude, Geoffrey et Mme Guérin, pendant laquelle se déroulera la scène gestuelle de Mr Douxe)

Gertrude : Madame Guérin ! Bienvenue chez nous. Vous avez donc candidaté à l’offre de collaboratrice.

Madame Guérin : Oui, c’est cela. Je serais ravie de pouvoir aider la recherche et d’apporter ainsi mes compétences (elle tend un document à Gertrude).

Gertrude (prenant le CV et le donnant à Geoffrey) : Très bien. Tenez, classez. Je pense que Madame Guérin conviendra tout à fait.

Geoffrey : Oui mais…et les tests ?

Gertrude : Tsss…tsss…ils seront compris dans la période d’essai. Madame Guérin, veuillez signer ici s’il vous plait. (Elle lui tend le contrat et pointe de son stylo le bas de la page).

Madame Guérin : Signer ? C’est que…j’avais une ou deux questions tout de même.

Geoffrey : Oui, tout de même.

Gertrude : Des questions ? Ah oui, bien sûr, allez-y. Non, attendez. Geoffrey, allez chercher Monsieur ?

Geoffrey : Monsieur Douxe ?

Gertrude : Oui, Monsieur Douxe. Cela nous évitera de répéter le protocole n’est-ce pas, ce sera plus convivial…

Geoffrey : Bonne idée. Ainsi, nous ferons équipe dès le départ, rien à cacher en quelque sorte, tous ensemble, tous ensemble.

Gertrude : Et bien ?

Geoffrey : Quoi ?

Gertrude : Allez-y !

Geoffrey (partant à grands pas) J’y vais. 

Pendant la scène précédente, Mr Douxe a continué, seul dans la salle d’attente : 

Mr Douxe : ATCHOUM ! Ah zut, la caméra…(Il essaie de l'attraper avec le journal à bout de bras, puis n'y arrivant pas, va chercher une chaise et s'apprête à monter dessus...se ravise et, finalement, prend quelques mesures avec ses pas, pousse quelques chaises et se met à danser...à la fin, il salue un public imaginaire...à ce moment-là, la porte s'ouvre, et Geoffrey apparaît) :

Geoffrey :  Mr Douxe ? Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer...

 Mr Douxe  (continuant comme sous les bravos, tout sourire) : Merci…merci !

 

NOIR

On retrouve les quatre personnes un instant plus tard, autour d’une table

Monsieur Douxe : Un produit pour la forme, dites-vous ?

Gertrude et Geoffrey : C’est cela…

Monsieur Douxe : Mais alors pourquoi l’expérience doit-elle avoir lieu (lisant le contrat) « in situ » et « sine die » (il prononce SAÏNÉ DAÏE).

Gertrude : Siné dié, oh ne faites pas attention, c’est du latin, c’est du baratin classique de contrat, ça veut juste dire qu’il faut poursuivre l’expérience jusqu’à obtenir des résultats probants.

Madame Guérin et Monsieur Douxe : Probants ?

Geoffrey : D’après mes calculs, une semaine devrait suffire toutefois.

Mme Guérin et Mr Douxe : Toutefois ?

Geoffrey : Une semaine, quinze jours grand maximum…C’est un produit exceptionnel, EXCEPTIONNEL, Mesdames et Monsieur (il se lève) que j’ai eu le grand honneur de créer ici au laboratoire et qui s’apprête à changer la face du monde. 

(Gertrude le tire brusquement par la manche pour le faire asseoir et « redescendre »).

Gertrude : Merci Geoffrey. D’autres questions ?

Mme Guérin : Et pourquoi « in situ » ?

Gertrude : Pour votre sécurité et la notre…

Geoffrey (se levant et/ou passant devant Gertrude) : C’est-à-dire celle de notre découverte.

Gertrude (le remettant à sa place) : Merci Geoffroy. Sécurité, priorité. Vous n’êtes pas sans ignorer l’impitoyable espionnage qui sévit entre les laboratoires, je ne devrais pas vous le dire, mais les espions sont comme comme les punaises de lit, ils sont partout, on ne les voit pas et quand on s’aperçoit de leur présence, il est déjà souvent trop tard (les trois la regardent, effarés). Nos recherches et surtout nos résultats doivent rester confidentiels, secrets,

Geoffrey : Voire top secrets…

Gertrude : Tsss ! D’autre part, nous pourrons vous faire passer tous les examens en temps réel, ce sera beaucoup plus simple pour vous aussi.

Mme Guérin et Mr Douxe (impressionnés, acquiesçants) : Beaucoup plus simple…

Gertrude : Et vous serez dédommagés, rémunérés, nourris, blanchis pendant toute la durée.

Geoffrey et Mr Douxe : Blanchis ?

Geoffrey : Et bien, il ne reste plus qu’à signer les contrats. (Tendant un stylo à Mme Guérin) Mme Guérin, s’il vous plaît. (Elle signe). Et vous Mr Douxe (il lui tend le contrat)

Mr Douxe : Et le stylo s’il vous plaît ?

Geoffrey (montrant le stylo qui dépasse de la chemise de Mr Douxe) : Mais vous en avez un, n’est-ce-pas ?

Mr Douxe : Ah celui-là, non, il ne marche plus du reste, il n’a jamais bien marché…(Il met le stylo dans une poche de son pantalon).

Geoffrey (lui tendant le sien) : Tenez, signez ici, merci.

Gertrude (tapant un grand coup sur la table) : Alors, c’est entendu, tout le monde est satisfait, nous pourrons commencer dès demain matin. Geoffroy va vous montrer vos chambres. (Elle serre les mains des nouveaux collaborateurs et aussi de Geoffrey en le secouant un peu plus que les autres).

NOIR. 

Le lendemain matin, dans la salle de tests.

Mr Douxe : Vous y croyez vous ?

Mme Guérin : Si j’y crois ? A quoi ?

Mr Douxe : A leur baratin, « pour la forme »…si ça se trouve, on sert de cobaye à tout autre chose.

Mme Guérin (intéressée) : Ah oui ? Comme quoi par exemple ?

Mr Douxe : Je ne sais pas moi, euh, un vaccin contre la bêtise humaine, il y aurait pas mal de débouchés non ?

Mme Guérin : Impossible, non, sérieusement…

Mr Douxe :…ou l’étude de la contrainte sur les neurorécepteurs…

Mme Guérin : Euh ? Mais c’est vrai que j’ai trouvé quelque chose de bizarre…ce simulacre d’entretien, vous ne l’avez pas trouvé bizarre vous ?

Mr Douxe : Bizarre ?

Mme Guérin : Oui, j’ai dit « bizarre »…Enfin, d’habitude l’employeur se renseigne ; les candidats aussi ; je n’ai même pas pu poser de question.

Mr Douxe : De toutes façons, ça n’aurait rien changé. Ils racontent ce qu’ils veulent et vous auriez accepté, vous travaillez bien…pour l’argent.

Mme Guérin : Oui, enfin, pas seulement. J’aime bien savoir ce que je fais.

Mr Douxe : Et bien, faites-leur confiance. Ils n’ont pas intérêt à nous nuire avec « Newform », sans quoi leur expérience est vouée à l’échec. Laissez-vous aller.

Mme Guérin : Mais c’est vous qui disiez qu’ils cherchaient peut-être autre chose, alors quoi vous leur faites confiance maintenant ? (On entend un bip.) Motus sur cet échange en tous cas, je ne voudrais pas qu’ils…(Geoffrey entre avec un plateau et deux verres remplis d’un liquide bleu turquoise.) Ah, c’est l’heure de la potion magique on dirait.

Geoffrey : Bonjour, je vous apporte votre 1ère dose, tadam ! Vous voudrez bien la boire tout de suite et, dans une demi-heure, je vous apporte votre petit déjeuner, thé au jasmin donc (grand sourire à Mme Guérin) et café, café noir.

Mme Guérin : Boire là ? Tout de suite ? Ah oui, mais excusez-moi, je dois aller…j’en ai pour une minute, je reviens. (Elle sort rapidement.)

Geoffrey : Oui, je vous attends.

Mr Douxe : Elle est un peu anxieuse, même méfiante. Je viens justement de la rassurer.

Geoffrey : Vraiment ? C’est bien aimable à vous mais surtout n’hésitez pas à nous poser toutes les questions qui vous viennent à l’esprit, nous y répondrons tout au long de l’exp…(Mme Guérin revient et s’assoit tout sourire) ah, la voilà, on va pouvoir commencer, j’ai tellement hâte. (Il leur tend les verres). Vous aurez donc une dose le matin et une le soir et un test physique complet chaque jour à 17 heures. J’ai fait en sorte que le goût ne soit pas trop désagréable, j’espère qu’il vous plaira.

Mr Douxe (avalant le contenu du verre d’un trait) : Ah ah, billevesées ! Qu’importe le goût quand on connaît l’honneur d’aider la science. Parlez-nous plutôt de la composition, ça ce doit être passionnant.

Geoffrey : Comment ? Que nenni, je ne puis. Droit des affaires. Protocole sécurisé. Vous n’y pensez pas, même pas en rêve ou plutôt si vous le rêvez, alors là, ce serait une première car croyez bien que j’ai cherché et et…je parle, je parle, mais j’ai du travail moi alors je vous dis à tout à l’heure. Mme Guérin, votre verre, ah mais il n’est pas vide, je vous attends mais pressez-vous de le boire. Vous comprenez, les consignes, ne m’en veuillez pas, nous devons nous assurer que vous avez réellement bu la Lov..tion Newform, Newform…Vous savez ce que c’est : on sympathise, on a tendance à se faire confiance parce qu’on se connaît et 90% des crimes sont commis par des proches…enfin, tout ça pour dire que vous devez boire toutes vos doses devant témoin et ce témoin, c’est MOI (il se redresse fièrement) et devant la caméra comme stipulé dans le contrat.

Geoffrey et Mr Douxe regardent Mme Guérin pendant qu’elle boit doucement le liquide turquoise, ils déglutissent en même temps qu’elle.

Geoffrey (prenant le verre) : A la bonne heure, encore un que Ra…tadada…bon, je file, à tout à l’heure. Et non, au fait j’allais oublier, et pour grignoter, pain total ? Euh pain complet ? Beurre confiture ?

Mme Guérin et Mr Douxe : Oui, de tout un peu et des oeufs si possible.

Geoffrey : Bien sûr, et allez, je peux quand même vous confier un des ingrédients de ce…Newform, vous ne devinerez jamais, j’ai rajouté des petits pois, ce sont eux qui enlèvent l’amertume et donnent cette belle couleur.

Mme Guérin et Mr Douxe : Tiens !

Mme Guérin : C’est le princeps aux petits pois !

Geoffrey : Ah ah ah, je suis ravi, ravi, à tout à l’heure. (Il sort)

Mr Douxe : ?

                                                              NOIR

Geoffrey (seul dans le bureau de Gertrude, trouvant une lettre) : Tiens donc, encore une lettre du Greffe ? (Il la décachette soigneusement tout en vérifiant que personne ne l’écoute) Qu’est-ce que ? (Lisant la lettre) « Chère Madame, Cher Monsieur. En réponse à votre demande du 08/02/2035, en notre qualité de législateur, nous vous informons avoir accepté votre requête. Afin de finaliser votre projet, veuillez nous faire parvenir, et plus vite que ça, l’imprimé n° ZQ812526RQ concernant la procédure de…

Gertrude (qui est entrée sur la pointe des pieds dès qu’elle a aperçu Geoffrey s’emparer du courrier, lui arrache la feuille des mains) : Du courrier ? Bah, laissons ça à plus tard Geoffroy, j’ai d’excellentes nouvelles.

Geoffrey : Ah oui ! Mais ce courrier, c’en est peut-être une aussi (faisant mine de reprendre la lettre mais Gertrude va la cacher dans un endroit incongru, sur elle ; jeu corporel entre les deux pour prendre la lettre ou la cacher).

Gertrude : Ah mais ! Cessez de vous agiter inutilement, écoutez-moi, bon sang. J’ai une information capitale à vous communiquer, pouvez-vous m’écouter ?

Geoffrey : Mmm…

Gertrude : Voilà, cher Geoffroy, je tiens à vous remercier pour toutes ces années de labeur au sein de PROVA.

Geoffrey : Oh !

Gertrude : Si, si ! Absolument  Vous êtes un empl…un associé fidèle, ponctuel, plein de  zèle  et de rituels et il va m’être très difficile de me séparer de vous mais…

Geoffrey (se levant brusquement et s’approchant de Gertrude) : Comment ? Je suis viré ?

Gertrude : Mais non, au contraire, laissez-moi vous expliquer, relaxe, Max !

Geoffrey  (notant sur son petit carnet puis explosant d’un coup) : Ah non alors, ce n’est pas parce que vous devenez sénile que je vais me laisser faire, me virer comme ça, comme un malpropre…j’ai bien compris, vous me flattez d’abord pour ensuite me…me…ha ! c’est du beau tiens ! si je n’étais pas membre  de la SPA, je ne sais pas ce qui me retiendrait de…de, ah si votre père était là…

Gertrude : Ah justement…

Geoffrey  (très fort) : ça ne se passera pas comme ça ! Au moment où j’invente le produit qui allait relancer le laboratoire, au moment où la compta aurait prospéré, au moment où (il monte sur le bureau et harangue une foule imaginaire) la nation entière nous aurait été reconnaissante, au moment où mon nom aurait enfin été…(de plus en plus survolté, Geoffrey perd l’équilibre, tombe du bureau sur le sol et semble évanoui)).

Gertrude (s’approchant) : Il est mort ? Ah l’imbécile, ah non, ça palpite. Il voudrait mieux qu’il oublie tout ça, une petite piqûre de restaursystem et tout sera comme avant.

Elle sort, revient avec une seringue et le pique. Puis, elle va chercher un chariot de rangement, installe Geoffrey assis dessus et le ramène à son bureau et repart dans le sien. Il est toujours endormi et se réveillera d’un coup, tout confus de s’être - croit-il - assoupi. Il se remet au travail…range des dossiers de façon maniaque et, au bout d’un moment, tombe en arrêt devant un stylo qui semble l’intriguer fortement.

Pendant ce temps, dans le bureau de Gertrude :

Gertrude (voyant Mr Douxe entrer) : Ah Mr Douxe, vous vouliez me voir ?

Mr Douxe : Oui, si vous aviez un moment à m’accorder.

Gertrude : Bien sûr, vous avez des questions peut-être ?

Mr Douxe : Oh juste une rencontre informelle, conviviale plutôt…enfin de courtoisie si je peux m’exprimer ainsi…

Gertrude : Bien, bien…Que puis-je pour vous ?

Mr Douxe : Parlez-moi de vous !

Gertrude : De moi ?

Mr Douxe : Oui. Comment une femme comme vous n’a-t-elle pas encore connu la gloire et le succès qu’elle mérite ?

Gertrude :   Comme vous y allez…ce n’est qu’un laboratoire…

Mr Douxe : Justement…Vous devez bien avoir fait quelques découvertes fantastiques, exceptionnelles, comme dirait ce cher Geoffrey, n’est-ce- pas ? (petit sourire se voulant complice).

Gertrude : Oh vous savez…

Mr Douxe : Ne soyez pas si modeste. Mais peut-être est-ce indiscret de ma part. Excusez-moi mais je suis curieux de nature et m’intéresse aux gens qui me sont…proches. En l’occurrence, il me semble que dans l’intérêt même de ma collaboration ici, nous gagnerions à faire plus ample connaissance.

Gertrude : Euh oui…enfin…

Mr Douxe : Evidemment, toute entreprise a ses secrets et je ne vous demande pas…

Gertrude : Évidemment !

Mr Douxe : Mais il me semble - sans vouloir vous offusquer - que vous portez là un fardeau bien lourd pour vous, car enfin, c’est sur vous que repose la marche du labo, n’est-ce-pas ?

Gertrude : Ah ça !

Mr Douxe : Depuis la suppression des retraites dans votre secteur…Ne l’auriez-vous pas souhaitée ?

Gertrude : Ah ça !

Mr Douxe : C’est d’une injustice criante et tout le monde se tait. Car, enfin, quoi ? Certes, les seniors et senioras ont beaucoup à transmettre, raison donnée d’ailleurs pour leur maintien en activité…

Gertrude : Et aussi pour le maintien de nos capacités intellectuelles !

Mr Douxe : Tout-à-fait. Certes. Mais la vraie raison est E-CO-NO-MIQUE.

Gertrude : Ah ça !

Mr Douxe : Car enfin, n’aspirez-vous à profiter de votre temps autrement, n’avez-vous pas assez travaillé ?

Gertrude : Ah ça !

Mr Douxe : Ne rêvez-vous pas de transmettre une fois pour toutes et de mettre les voiles ?

Gertrude : Tout juste ou plutôt… « La clé sous la porte » - c’est l’expression que j’ai choisie.

Mr Douxe (se rapprochant encore un peu de Gertrude, enveloppant) : Très bon choix et je peux vous y aider.

Gertrude : Ah oui, vraiment ? Vous commencez à m’intéresser, je vous écourte !

Mr Douxe : Pardon ?

Gertrude : Je vous écoute mais ne soyez pas trop long, j’ai encore du travail (elle range une pile de revues, l’une d’elles tombe et s’ouvre sur une page de sudoku).

Mr Douxe (ramassant la revue comme si de rien n’était) : Et bien, si nous collaborions plus avant, je pourrais sans doute vous soulager…dans votre travail…hum.

Gertrude (qui a reçu un message de sa voyante) : Ah, 9/9/9 ! Un message urgent… (À Mr Douxe) Très bien, j’en suis fort aise, mais pour les détails, veuillez voir avec Geoffroy, c’est lui qui les a, moi je gère, c’est bien suffisant. Quant à maintenant tout de suite, veuillez m’excuser mais j’ai du travail. (Gertrude répond au téléphone en s’éloignant de Mr Douxe). Oui…non…ah, très bien, pouvez-vous m’envoyer ce dossier par mail, je le regarderai attentivement dès que j’aurai une minute. Merci encore.

Mr Douxe (hésitant, se dirigeant avec lenteur vers la sortie) : Euh oui, bien, avec Geoffroy, très bien alors…je m’en vais…

Geoffrey (entrant) : Mr Douxe ici ? Vous partez ? Vous cherchez quelque chose ? Vous avez perdu quelque chose ? (Il brandit soudain un stylo RAFTOU sous le nez de Mr Douxe) CE STYLO PEUT-ÊTRE ? AH AH AH !

Mr Douxe : Ce stylo ? Voyons…Ah non, il n’est pas à moi, il n’a jamais été à moi du reste, et des stylos comme ça, c’est très courant mais celui-là n’est pas à moi, pas à moi, je peux le certifier.

Gertrude : Un simple « Non » aurait suffi.

Geoffrey : Il n’est pas à vous, pas à vous…Mmm, mais alors, c’est très embêtant comme c’eut été aussi embêtant qu’il fut à vous d’ailleurs…

Gertrude : Au fait, Geoffroy, au fait !

Geoffrey : Oui, très embêtant - disais-je - car ce stylo, ce stylo n’est pas n’importe quel stylo mais la preuve qu’il y a une TAUPE parmi nous.

Gertrude : Comme vous y allez, Geoffroy, vous devriez diminuer le jasmin.

Geoffrey : Non, non, Gertrude, c’est du sérieux là, vous savez bien combien les professionnels se font acheter avec des cadeaux…

Mr Douxe :  Des stylos ?

Geoffrey : Vous savez bien comment cela fonctionne - disais-je - on offre un stylo de la marque du produit que l’on veut vendre et la personne le fait, sans même y penser, car elle a eu dans les mains, toute la journée, la marque en question. Alors, dites-moi, à qui est ce stylo ? Il est impossible qu’il soit là par hasard. Réfléchissez-bien Douxe, vous êtes-vous déjà rendu au Laboratoire RAFTOU ?

Mr Douxe : Raflou ? Connais pas.

Geoffrey : RAFTOU ! Vous m’avez très bien compris. Si vous croyez nous rouler avec votre petit manège, cela ne va pas se passer comme ça, veuillez me suivre s’il vous plaît. Gertrude a bien assez de tracas, inutile de l’encombrer davantage et, d’ailleurs, que faisiez-vous ici ?

Mr Douxe : Simple visite de courtoisie.

Geoffrey : Comme c’est aimable à vous. (Il pousse violemment Mr Douxe vers la sortie) Après vous, je vous en prie.

Gertrude (seule, s’étirant) : Aaaah !

Tableaux des personnages alternant avec des scènes gestuelles : Gertrude se divertissant, Geoffrey et Mr Douxe dans une confrontation musclée et Mme Guérin cherchant un endroit où elle ne sera vue de personne. Puis, Geoffrey, Mr Douxe et Gertrude restent immobiles  ou sont dans le noir, pendant que :

 

Mme Guérin, seule, retire quelque chose de sa bouche. C’est un tube souple transparent laissant apparaître le liquide bleu turquoise. Elle le transvase dans une poche qu’elle range dans la doublure de sa veste et se plonge dans la lecture d’un document.

Mme Guérin (lisant) : « Nous n’avons pas conscience de l’influence de l’industrie. De nombreux professionnels disent ne pas être influencés personnellement mais pensent que leurs collègues le sont : illusion de l’unique invulnérabilité. » Intéressant…mais, pour l’instant, je n’en sais pas beaucoup plus sur Prova. J’ai bien vu que Geoffrey surveille Mr Douxe mais pourquoi ?

                                                        NOIR

Dans la pénombre, on voit une silhouette méconnaissable se déplacer en cherchant, prenant et déplaçant quelques objets dans les poches des blouses et quelques documents papier ou sur ordinateur…

Les jours passent…

 

Gertrude : Voilà bientôt dix jours, alors ça donne quoi ?

Geoffrey : De très bons résultats aux tests physiques.

Gertrude : Je vous parle de la Loveformule voyons !

Geoffrey : Ah oui, bien sûr. Et bien, c’est plus délicat. Il semblerait qu’elle ait un effet seulement sur Mr Douxe mais que Mme Guérin ne le trouve pas à son goût. Mais, d’après mes calculs, il pourrait s’agir de l’exception qui confirme la règle ; donc, la Loveformule serait performante.  

Gertrude : Très bien, je vous donne deux jours pour terminer ce test. Traîner ne sert à rien.

Geofffrey : Tout à fait, je vais commencer la rédaction du rapport.

(Geoffrey travaille à son ordinateur ; Mme Guérin frappe à sa porte).

Mme Guérin : Excusez-moi. Puis-je ?

Geoffrey : Je vous en prie.

Mme Guérin : Voilà, c’est un peu délicat mais j’ai un souci avec mon collègue…vous voyez de quoi il s’agit ?

Geoffrey : Euh non, mais vous allez me l’expliquer.

Mme Guérin : Comment ça ? Non ? Et la caméra, elle ne sert pas dans ces cas-là.

Geoffrey : Quels cas ?

Mme Guérin : Dans les cas d’agression sexuelle, ou tentative du moins.

Geoffrey : SI, si , bien sûr, mais je n’ai pas encore tout visionné…

Mme Guérin : Et bien si vous aviez fait correctement votre travail, vous auriez vu que Mr Douxe tente de s’introduire chaque nuit dans mon lit. Je souhaite donc en terminer au plus vite et tant pis pour mon enqu…, pour l’expérience ; ce n’est plus supportable.

Geoffrey : Tout à fait, je comprends. Et vous, de votre côté…hum…n’avez-vous pas envie de pénétrer dans le lit de Mr Douxe ?  

Mme Guérin : Pardon ?

Geoffrey : L’attirance n’est donc pas réciproque, c’est cela ?

Mme Guérin : Voilà.

Geoffrey : Et bien, j’en prends note (il cherche en vain son carnet dans sa poche) et vais vous placer en site protégé, du moins pour la nuit prochaine.

Mme Guérin : Hors de question, je cesse sur le champ.

Geoffrey : Oh ! Ah ! Mais c’est impossible, voyons, calmez-vous, calmez-vous ; vous avez peut-être mal interprété ; Mr Douxe est parfois maladroit ou trop direct, il n’a sûrement pas voulu,  vous n’aurez plus rien à craindre, je vous l’assure, les micros seront branchés 24 sur 24, nous interviendrons de même que la police et les pompiers mais, de grâce, restez, restez.

Mme Guérin : Je veux signer IMMÉDIATEMENT la clause d’abandon.

Geoffrey (résigné, courtois) : Soit…, c’est légal mais je dois en référer à Gertrude. Je reviens.

(Dans le bureau de Gertrude)

Geoffrey : C’est une catastrophe, Mme Guérin nous lâche. Elle est harcelée par Mr Douxe…

Gertrude : A la bonne heure !

Geoffrey : Comment ?

Gertrude : Enfin Geoffrey ! Faudra-t-il toujours tout vous expliquer ? C’est donc que la Loveformule fonctionne ; vous l’avez dit vous-même, l’exception qui confirme…

Geoffrey : Ah oui ? Mais je dois tout de même indiquer que Mme Guérin n’est pas aussi disposée à …je pensais qu’en deux jours, j’aurais pu infléchir le résultat. Que vais-je mettre dans mon rapport ?

Gertrude : Depuis quand les effets négatifs d’une étude auraient-ils leur place dans les résultats ? Mme Guérin est plus réservée, voilà tout. Nous pouvons clore l’expérience et présenter enfin la Loveformule à l’AIS.

Geoffrey : (tout en imprimant un document) Je vais donc lui faire signer la clause d’abandon. ( A Gertrude) Veuillez parapher ici, s’il vous plait.

Gertrude (sortant un stylo Raftou de sa poche sans rien remarquer et signant) : Et voilà !

Geoffrey (en arrêt devant le stylo) : Et bien, en voilà une surprise !

Gertrude : Oui, une affaire rondement menée, bravo pour votre travail Geoffrey.

Geoffrey, troublé par le compliment, sort et rejoint Mme Guérin.

Geoffrey : Voici la clause, vous pouvez signer…là.

Mme Guérin : Je suis désolée, vraiment, mais ce n’est plus possible (elle sort un stylo Raftou de sa poche sans rien remarquer et signe). Au revoir Geoffrey.

Elle sort.

Geoffrey : Je deviens fou ? Qui m’a empoisonné ? Je vois des Raftou partout. Mais non, c’est certain, quelqu’un nous a piégés. Je dois en avoir le coeur net. (Il s’agite, court sur place, tourne en rond). Plan écarlate : je convoque tout le monde et, tout le monde y aura droit, même moi et l’unique question sera : à qui sont ces stylos ? (Il semble avoir un doute.) Bah, je ne risque rien, ce n’est pas moi qui les ai amenés bon sang. (Il appelle Mme Guérin) Mme Guérin ?..Oui, vous êtes prête au départ ? …Je comprends…Auriez-vous l’obligeance d’assister à notre pot de vin, à notre pot de fin d’expérience, c’est une tradition…même pour vous…ce serait mieux…oh, merci, à tout de suite »

                                                         NOIR

Les quatre sont réunis.

Geoffrey : Chers collègues et cobayllorateurs, nous arrivons au terme de notre expérience avec la satisfaction, et je peux même vous l’affirmer, une certaine fierté…

Gertrude : Au froid, Geoffey, au froid.

Geoffrey : Fierté - disais-je - de vous annoncer que la Lov…tion Newform a rempli sa mission. Les tests sont concluants et nous remercions tout à fait chaleureusement Mme Guérin et un peu moins Mr Douxe pour leur participation. Avant de passer aux formalités, je vous invite à partager le pot d’honneur, traditionnellement remplacé par du thé au…

Gertrude : Très bien, alors buvons à notre réussite.

Geoffrey sert chacun.

Geoffrey : Je lève ma tasse au succès de Prova.

Gertrude, Mme Guérin et Mr Douxe : Au succès de Prova.

Ils boivent. Petits conciliabules entre eux comme s’ils étaient invités à un cocktail mondain ; puis, progressivement, leur attitude change, ils commencent à s’éloigner les uns des autres, à se regarder avec méfiance et se figent. 

Silence.

Geoffrey (éclate en sanglots, avance d’un pas et dit, face au public) : J’ai mis du sérum de vérité dans le thé. Je voulais savoir à qui sont ces foutus stylos…mais je n’ai  pas eu le temps de poser la question…le dosage ?…mais ce n’est pas tout : je voulais aussi m’emparer du laboratoire, devenir le Guestwriter et non plus seulement le Ghostwriter. J’ai tout fait ici, c’est trop injuste de ne pas reconnaître mon mérite. Je dois en plus veiller à la santé mentale de Gertrude, son état se détériore de jour en jour, elle chante et danse, parle de gens qui n’existent pas : qui sont Charles, Simone, Alphonse et les autres ? (Il cherche encore son carnet en vain dans ses poches). J’ai tout noté, tout noté pour qu’on me donne ce qui me revient…(Il recommence à pleurer doucement).

Silence.

Gertrude (avance à son tour et dit) : Vous n’y êtes pas du tout. Je ne perds pas la tête. J’avais trouvé la solution, et oui, moi aussi, pour liquider enfin ce pesant héritage. J’ai fait, pour une fois, toutes les démarches et la PREF était accordée, oui, ce fameux courrier. J’ai tenté de vous l’expliquer Geoffrey mais, au lieu de ça, j’ai dû vous administrer un de vos miraculeux remèdes. Je pouvais enfin mettre la clé sous la porte et à moi, le farniente, les parasols et les sudokus.

Silence.

Mme Guérin (avance et dit) : Quant à moi, je n’ai jamais bu aucune de vos fichues doses, je me méfiais trop de vos machinations. Je venais observer de l’intérieur, je voulais connaître vos motivations. Je travaille pour La Commission de la Transparence…

A ce moment-là, Geoffrey pousse un cri et manque s’évanouir. Gertrude le ranime d’une paire de claques et dit à Mme Guérin : « Continuez ».

Mme Guérin : Et aussi à titre personnel, en tant que victime des effets secondaires du Lamicterol. (Se tournant vers Mr Douxe) Ça a vous dit quelque chose ?

Mr Douxe (avançant) : Les stylos sont à moi. (Se tournant vers Geoffrey) L’eusses-tu-cru ?

Geoffrey (toujours pleurnichant et se tenant encore  la joue) : Je m’en doutais, 

Mr Douxe : Car, oui, je travaille pour Raftou mais c’est loin d’être tout. Je fais aussi partie de la Commission de contrôle, celle qui est censée empêcher l’espionnage industriel…

Geoffrey (pousse un petit cri et manque s’évanouir mais se ressaisit vite en voyant le regard courroucé de Gertrude et il ajoute) : Tout va bien Gertrude, tout va bien.

Gertrude : Tu l’as dit Henri !

Mr Douxe : Et oui, double casquette, une pour le soleil, une pour la pluie et quand le vent tourne, je redeviens le pauvre type, celui qui cherche du travail, je me fais petit, tout petit.

Silence.

Geoffrey : Qu’allons-nous faire ? Ce sérum de vérité…il semblerait que ses effets soient très puissants, peut-être avons-nous une chance de relancer le laborat…

Gertrude (se jette sur lui et tente de l’étrangler en criant) : Va donc chercher l’antidote maintenant, crétin ! (Elle le pousse vers la sortie).

Gertrude, Mme Guérin et Mr Douxe se regardent. On sent qu’ils n’osent pas parler de crainte de se révéler encore davantage. Puis :

Gertrude : Ne vous inquiétez pas, l’effet est probablement temporaire…ce qui m’inquiète davantage ce sont les dommages collatéraux, effets secondaires disons, là, on n’est sûr de rien, le mieux serait encore de taper un sprint final pour tenter de l’éliminer naturellement, alors courons, courons.

Elle tend sa main, ils checkent tous les trois et partent en courant.

L’espace est vide. On entend juste la voix de Geoffrey :

 Geoffrey : Snif, bof et hop… Alors, étant donné qu’aucun problème ne me résiste, hé hé, le voici le voilà, l’antidote…encore quelques gouttes par ci et quelques gouttes…

BAOUM !

On entend une énorme explosion. Puis, Geoffrey, habits en lambeaux, visage et mains noircis,  apparaît au milieu d’un nuage de fumée, titubant, boitant ; il  récupère une boîte de thé, un dossier et part en tentant de courir.


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