La croisade Héroïque…
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Le baron Nicomède de Calatrava est allongé dans son lit. Le frère Blasco le sermonne.
Le frère Blasco : Est déjà parti Hugues de Vermondois, frère du roi de France. Il a passé le canal de Trente pour être à Constantinople en octobre. Godefroi de Bouillon, duc de lorraine est parti et sera sur le Bosphore à noël. Sont également parti Boémont d’Actavila prince de Tarente, Raymond de Saint Gilles Comte de Toulouse avec le légat pontifical Adémar évêque Dupuis, sont parti Robert comte de Flandres, Robert Duc de Normandie, Stéphane, Comte de Blois…et vous dormez.
Baron : J’essaie de dormir.
Le frère Blasco : Toute l’Europe Chrétienne est en ferment !
Baron : La fermentation est le premier stade de la putréfaction.
Le frère Blasco : Nous devons libérer le Saint Sépulcre, c’est ça le but de notre croisade.
Baron : Ah, Libérez le donc vous-même et ne comptez pas sur moi, personne ne me tirera de mon lit pour si peu.
Le frère Blasco : Vous y serez contraint très bientôt Baron de Calatrava. Les créanciers emporteront tout, le château et même le lit.
Baron : Je ne suis pas attaché aux choses d’ici bas. Nous ne sommes que de passage Blasco, vous ne le savez pas ?
Blasco prit en latin
Baron : Blasco, peut-on savoir ce que vous êtes en train de faire ?
Le frère Blasco : Je prie le seigneur afin qu’il m’aide à toucher votre âme insensible.
Baron : Mon âme est une combinaison d’atome. Si vous aviez lu Démocrite comme moi…
Le frère Blasco : Et à votre sœur, vous n’y pensez pas ?
Baron : Difficile de l’ignorer, ne pensez-vous pas ?
Le frère Blasco : Votre sœur à une foi débordante.
Baron : Hum…Ma sœur aspire en ce moment à devenir Sainte, ça lui passera.
Le frère Blasco : Vous savez que l’église intervient non seulement in Spiritualibus en concédant l’indulgence plénière, mais aussi in Temporalibus avec la remise des dettes des croisés qui empoignent l’épée au nom du Christ.
Baron : Le baron Nicomède de Calatrava n’empoignera pas l’épée et ne versera pas une goutte de sang, ni le sien, ni celui d’autrui et au nom de personne et encore moins pour conquérir le St Sépulcre… Allons donc, se battre pour un tombeau, quelle idée macabre.
Le frère Blasco : Les dettes sont remises à ceux qui arrivent à Jérusalem…même sans combattre.
La sœur, Marguerite arrive une quenouille à la main.
Marguerite : La honte s’est abattu sur notre famille, regarde, regarde ce que l’on a apporté ! La quenouille et le fuseau…comme à une femmelette !
Baron : Je n’avais jamais touché un fuseau de mes mains.
Marguerite : Tu n’as pas honte !
Baron : Oh non, je n’ai pas honte, au contraire, j’ai beaucoup de considération pour ses femmelettes qui savent filer, sans elle comment ferait-on pour s’habiller ?
Marguerite : Ah non, non, je ne survivrai pas à la honte. Je vais me jeter par la fenêtre ! (Elle s’approche d’une fenêtre pour sauter, le frère Blasco l’a retient) Laissez moi, laissez-moi, ne me touchez pas…(Bas) ou alors faites ça mieux.
Le frère Blasco : (A la sœur qu’il retient) Calmez-vous, je vous en prie.
Marguerite : (En sortant, presque hystérique) Nous sommes déshonorés, je ne le supporterai jamais…jamais !!!!
Le frère Blasco : (Malicieux) Dette remise et….sœur acquise.
Noir
Dans une cahute, Raimondo un serf prépare ses maigres affaires pour un long voyage. Lyse l’observe, mélancolique. Elle est jeunette, mignonne et vive. Elle a le béguin pour Raimondo. Lui est un gaillard massif, simple, taiseux.
Lyse : (Triste) Tu t’en vas ?
Raimondo : (Finissant son baluchon) Je pars avec mon seigneur.
Lyse : Tiens. (Elle lui tend un vêtement, il le prend et le met dans son baluchon en silence)
Vous partirez longtemps ?
Raimondo : Oui.
Lyse : Longtemps…comme ?
Raimondo : Comme le temps qu’il te faudra pour te trouver un bon époux et lui faire de beaux enfants.
Lyse : Ou alors longtemps comme le temps qu’il me faudra pour attendre mon bon époux et lui faire de beaux enfants.
Raimondo : Lyse !
Lyse (un peu mutine) Je suis maitresse de mon temps, aussi long soit-il.
Raimondo : Tu le perds.
Lyse : Je l’économise pour le dépenser avec le meilleur des hommes.
Raimondo : Tu te fais une haute opinion de moi.
Lyse : C’est que tu n’y connais rien en homme… (Coquette) en femme non plus d’ailleurs.
Raimondo : Peut-être que nous ne reviendrons jamais.
Lyse : (Soudain inquiète) Si vous reviendrez !
Raimondo : Comment le sais-tu ?
Lyse : Parce que je t’attends, (regard tendre) tu ne me laisseras pas ?
Raimondo : (Un peu désarçonné) Mais… nous pouvons être tué.
Lyse : (Vive) Non !
Raimondo : Ça peut arriver, maladie, fièvre, escarmouche, accident…
Lyse : Je prierai tous les jours !
Raimondo : Ah ?
Lyse : Même plusieurs fois par jours ! Et ma mère aussi priera !
Raimondo : (Conciliant) Bon. (Un temps, puis un peu amusé) Tu es sûr que ta mère…
Lyse : (Catégorique) Elle priera !
Et quand je serai triste, je te parlerai. Je te parlerai souvent tu sais, pas parce que je serai toujours triste, non, ce serai trop triste d’être triste, mais parque j’aime bien te parler. Et comme toi tu es un taiseux, tu m’entendras. Même dans le silence des lointains déserts tu m’entendras.
Raimondo : Oui.
Lyse : Tu m’entendras parce que tu es un taiseux et aussi…parce que tu m’aimes d’amour !
Raimondo : Lyse !
Lyse : (Qui ne l’écoute pas) Tu m’entendras te parler de Jeannot qui fait toujours des bêtises, des cancans du village, de la rigueur de l’hiver, des balades que je ferai avec les chiens, prétexte pour être seule avec toi. Parfois je m’agacerai oui, je dirai que Berthe est aussi grosse que méchante et qu’en été aucun garçon ne veut plus l’approcher car elle sent trop mauvais !
Raimondo : Je dois partir.
Lyse : (S’approchant de Raimondo, très tendre) Au revoir.
Raimondo : (Sec) Adieu Lyse.
Noir
La Bénédiction avant le grand départ :
Le Baron est agenouillé, devant lui le Frère Blasco le bénit, il y a dans la même salle Raimondo, le serviteur du Baron, qui prépare les affaires.
Le frère Blasco : (Au baron agenouillé) Que Dieu te conduise au salue du corps et de l’âme sur la route du St Sépulcre. Que Dieu guide ton pied et ta main sur la route du St Sépulcre. Que Dieu te guide sur mer et sur terre sur la route du St Sépulcre. Que Dieu te rende digne de porter le signe de la Croix sur la route du St Sépulcre. Que Dieu fasse de toi un soldat pour défendre la Pax Christiana sur la route du St Sépulcre. Que Dieu accueil ton âme au ciel en cas de mort sur la route du St Sépulcre. Que Dieu te permette d’arriver à la terra promisionis. Dieu omnipotent soit loué.
Ego bénédicovos in nominé patrie es fili es piritu santus. Amen.
La sœur arrive
Marguerite : Je t’en prie frère, rempli cette fiole avec l’eau du Jourdain et ce coffret avec la terre sainte de Palestine.
Le frère Blasco à Raimondo
Le frère Blasco : (Entre Raimondo) Ah, te voilà toi, tiens, mets-toi à genoux. (Rapide) Ego bénédicovos in nominé patrie es fili es piritu santus. Amen.
Raimondo : Amen.
Raimondo et le Baron Nicomède de Calatrava partent.
Le frère Blasco cri : (Aux baron et à Raimondo) Deus Vult !
Raimondo : (Se retourne et cri au loin à Blasco) Deus Vult !
Sur la route, Raimondo et le Baron.
Baron : Dieu veut quoi ?
Raimondo : Dieu ? Je ne comprends pas messire.
Baron : Tu as crié Deus Vult, Dieu le veut, alors je te demande : que veut Dieu ?
Raimondo : Je ne sais pas messire.
Baron : Tu ne sais pas ? Beugler si fort pour savoir si peu… Drôle d’animal !
Raimondo : Je ne fais que répéter…
Baron : Ce que tout le monde dit ?
Raimondo : Oui
Baron : Et que personne ne comprend
Raimondo : Ben…heu…Je ne suis qu’un paysan
Baron : Alors convaincu d’être un idiot parmi les idiots, tu agis comme tel.
Conscience heureuse et satisfaction d’appartenir au troupeau. (Braillant ridicule) Deus vult !
Raimondo : C’est que… Puisque les autres le disent…
Baron : Il y en a bien un dans le lot qui doit savoir pourquoi ? Non ?
Raimondo : Oui, frère Blasco, l’évêque… vous ?
Baron : Moi ? Raimondo peut-être seras-tu surpris de l’apprendre, mais Dieu ne m’a pas encore avisé de la moindre de ses volontés…
Raimondo : Alors les hommes d’églises…
Baron : Les hommes d’église ? M’ouais… s’ils croient sincèrement, la foi ne garanti pas la justesse de leurs propos ni de leurs jugements. Ce serait trop facile.
Raimondo : N’y a-t-il pas de certitude ?
Baron : Si ! La générosité, l’amour, la science… la beauté !
Raimondo : La beauté ?
Baron : La beauté, c’est peut-être même d’elle que découle toutes les autres merveilles. L’amour est beauté, la générosité l’est tout autant et la science n’est qu’un pâle reflet de sa splendeur. Si l’on recherche Dieu, il est là ! Comprends-tu ?
Raimondo : Bien messire. (S’apercevant que le chemin n’est pas le bon) Mais ou allons-nous messire ?
Baron : Tu sais où ce trouve Jérusalem ?
Raimondo : En terre sainte.
Baron : Et bien nous allons à Jérusalem, en terre sainte.
Raimondo : Mais… mais nous sommes en train de tourner autour du château.
Baron : La Jérusalem que nous allons visiter est imaginaire et bien plus belle encore que celle du Proche-Orient.
Raimondo : Je ne comprends
Baron : Nous allons nous y rendre sans faire le moindre dégât, sans devoir nous battre ou provoquer de pauvres gens.
Raimondo : Quoi ?
Baron : Jérusalem, nous voilà.
Raimondo : En tournant autour du château ???
Baron : Dans les faits, oui, indéniable, mais sur le plan spirituel non !
Raimondo : Mais ! On va à Jérusalem ou pas !
Baron : On y va…mais sans quitter le domaine
Raimondo : Quoi ?
Baron : Par la force de notre imagination … et de nos jambes aussi
Raimondo : Moi, je suis parti avec vous pour la croisade contre les infidèles, je suis parti en croyant que nous allions à Jérusalem. On ne plaisante pas avec la religion.
Baron : Je t’y emmène jeune intrépide. Tu pourras livrer autant de batailles qu’il te plaira et sans danger ni pour toi ni pour les autres.
Raimondo : Messire dites-moi ? Je ne saisis pas !
Baron : Soit ! Tu sais ce que c’est que des dettes ?
Raimondo : Oh, ça oui, hélas.
Baron : Hélas… en ce qui me concerne le mot correspond à l’objet. C'est-à-dire que si je ne paye pas mes dettes, on me prend le château.
Raimondo : Non ?
Baron : Tout baron que je suis…. Tu sais peut-être qu’aux croisés l’église remet leurs dettes en assumant le devoir de désintéresser leurs créanciers.
Raimondo : Non ?
Baron : Si
Raimondo : Mais alors c’est une feinte pour ne pas payer ces dettes. La sainte croisade, la défense de la chrétienté, le saint Sépulcre !
Baron : Filouterie que tout cela. Mais j’ai négocié avec frère Blasco puis notre évêque.
Raimondo : Oui ?
Baron : J’ai établie un chemin dont la longueur est égale à celle de la route qui conduit à Jérusalem. Tout autour du château. A nous d’imaginer notre périple.
Raimondo : Ah ?
Baron : Tout à été établi, le parcours, le nombre de tours, tout ! Tu vois cet appentis, là-bas, au fond ?
Raimondo : Bien sûr que je le vois, c’est moi qui l’ai construit de mes propres mains, il y a trois ans.
Baron : Quand nous arriverons à cet appentis, nous aurons fait près de 2 000. Pour atteindre Jérusalem en même temps que les autres croisés partis du nord de l’Europe, il nous faudra faire plus de 20 000 par jours.
Raimondo : Ça veut dire que nous devrons tourner combien de fois autour du château ?
Baron : Tourner autour du château ? Je ne te comprends pas Raimondo. Tu veux dire combien de journée faudra-t-il pour atteindre Jérusalem si nous faisons 20 000 par jours?
Raimondo : Oui.
Baron : Il nous faudra plus d’un an, si tout va bien. La route est longue et pleine de danger.
Raimondo : Messire, mais si les journées de voyage sont les mêmes et que nous devions faire un aussi long chemin, est-ce que ce ne serait pas mieux d’y aller vraiment à Jérusalem ?
Baron : Ah non, non, non, ce ne serait pas mieux Raimondo, crois-moi. Aujourd’hui tout ce qui s’accomplie au nom de Dieu n’est que vanité et œuvre de tromperie et porte de ce fait le sceau de la violence et de l’oppression. C’est pourquoi, moi, je choisi de ne pas faire, je choisi la non action, la non participation, l’absence. C’est ma façon à moi de me battre contre l’ignorance et la cruauté de cette époque obtuse. Je me cache, je m’efface, je dis non. Tu as compris maintenant ?
Raimondo : Ben, j’ai compris que vous, vous pouviez dire non, mais un serf, qu’est-ce que peut faire un serf ? Il est né pour obéir, pour courber l’échine, pour dire toujours oui.
Baron : Et bien, révolte toi, qu’est-ce qui t’en empêche ?
Raimondo : Et non messire, je ne suis pas fou, je sais que si je me révolte, vous pouvez me punir et même je pourrais finir en enfer…non, non, non, moi j’obéis, moi je vous suis dans votre Jérusalem imaginaire, mieux même, je vais me mettre à courir, comme ça peut-être nous arriverons plus vite. (Raimondo court) A Jérusalem !
Baron : Raimondo !
Marguerite et Frère Blasco :
Blasco : Il a commencé le deuxième tour, nous savons maintenant que ses intentions sont honnêtes comme il convient à un gentilhomme. Pour le reste, fions nous à Dieu tout puissant afin qu’il sauve votre maison.
Marguerite : Et son âme d’hérétique. Je ne désespère pas de le voir se convertir. Le voyage est long et tellement de choses peuvent se passer.
Blasco : Une révélation comme pour Saint Paul.
Marguerite : Qui sait. Prions pour lui et pour sa sainte tache.
Blasco : Encore !
Marguerite : Blasco, il y va du salut de mon frère.
Blasco : Nous n’avons pas cessé depuis ce matin, une petite pause ?
Marguerite : (Obstinée) Il y va du salut de mon frère.
Blasco : (Bas, entre ses dents) J’ai froid
Marguerite : (Presque en extase) Moi aussi j’ai foi
Blasco : Non, j’ai dit j’ai froid… (Regard sévère de Marguerite) mais j’ai foi aussi…ça n’empêche pas…j’ai foi et froid…Voilà.
Ils prient
Noir
Dans un bureau sombre, Un vieil Italien banquier Lagatsi est assis. Il lit nerveusement quelques documents. Soudain, il hurle le nom d’un de ses employés, entre Trouilleduc. Lagatsi parle un peu comme Don Corléone du Parrain.
Lagatsi : (Hurlant irascible dans son bureau) : Trouduc, Trouduc !!!
Trouilleduc : Entre, très déférant : (Rectifiant) Trouilleduc monsieur, je m’appel Trouilled….
Lagatsi (Très agacé): Blablabla. Tu t’appelles comme je t’appelle, c’est tout ! (Soudain grave) Trouduc, avance, tu vois ces petits papiers là, éparpillés de ci de là?
Trouilleduc : Oui.
Lagatsi : (A la Don Coléone) Chacun de ses petits papiers est un coup de poignard qui me perce la poitrine.
Trouilleduc : Non ?
Lagatsi : Si ! Celui-ci m’estropie, mutilant jusqu’aux plus petit de mes doigts de pieds, celui là m’éviscère les boyaux centimètre par centimètre répandant mes entrailles encore tout chaud et tout palpitants à même le sol, splash. Tiens et celui-ci, hum, ce petit bout de papier qui n’à l’air de rien, caché parmi ses semblables, le petit sournois ! C’est le pire, il m’écorche tout vif de haut en bas et me laisse tout nu, tout froid, tout sanguinolent ... Aaghgueu !
Trouilleduc : Ce ne sont que des papiers.
Lagatsi : (Vif) Des reconnaissances de dettes coglione ! Des reconnaissances de dettes !!!
Trouilleduc : Puisque les dettes sont reconnus…
Lagatsi : (Le regardant, stupéfait) Ma ! Tou le fais exprès ou quoi! Stronzo !
L’église, la sainte église, que je respecte et que je bénis de toute mon âme, église pour laquelle je serais près à tout sacrifier…tout, jusqu’à ta vie, si, et même toutes les vies des gens que je connais, si, et même ma vie à moi (mais là c’est en dernier recours !) cette église donc me perce le flanc en remettant les dettes des croisés qui se rendent à Jérusalem…Aaghgueu ! Ingrate église !
Trouilleduc : Et ?
Lagatsi : Quoi et ?
Trouilleduc : (Hésitant) Ben…comme vous vous êtes arrêté…mais si vous avez fini…
Lagatsi : (Regardant Trouilleduc comme un idiot congénital) Tou es mon dernier garçon de bureau n’est ce pas ?
Trouilleduc : Oui, les autres sont tous partis en mission.
Lagatsi : Ta dernière promotion remonte à ?
Trouilleduc : Ben, j’aurai dû en avoir une le mois dernier mais…je ne l’ai pas eu.
Lagatsi : (Faussement compatissant) Oh, c’est bien triste. Tou fais bien de me le dire.
Trouilleduc : Et l’année dernière non plus, je ne l’ai pas eu.
Lagatsi : Oh.
Trouilleduc : Et l’année d’avant non plus.
Lagatsi : Bon ! Sache, idiot que la sainte église annule les dettes des croisés qui partent guerroyer en terre sainte, mais ceux qui se trouvent encore en notre beau pays d’Italie sont toujours solvables, à nous de les débusquer avant qu’ils ne prennent le bateau pour les pays d’orient.
Trouilleduc : Ah ?
Lagatsi : Si, et le petit papier que je tiens là, dans mes mains…
Trouilleduc : Celui qui vous mutile les doigts de pieds ?
Lagatsi : Non.
Trouilleduc : Celui qui vous éviscère les boyaux.
Lagatsi : Non plus.
Trouilleduc : Ah c’est celui qui vous émascule !
Lagatsi : Ma ! Aucune papier n’est capable de me faire mal à ça! Stronzo!
Trouilleduc : Ouf, tant mieux, parce que ça doit être horrible.
Lagatsi : Non ! Ce papier là c’est celui qui m’écorche tout vif de haut en bas et me laisse tout nu et tout froid. Et tout sanguinolent.. Aaghgueu !
Trouilleduc : (Soulagé) Ah, celui là.
Lagatsi : Si, ce sont les dettes du baron de Calatrava. En partant à sa recherche tout de suite, nous parviendrons, peut-être à lui faire rendre gorge avant qu’il ne s’embarque.
Trouilleduc : Ah ?
Lagatsi : Si. Alors, pas de temps à perdre, avaaannti !!! (Il sort)
Trouilleduc : (Le suivant) Sinon, l’année d’avant, je n’ai pas eu de promotion non plus.
Noir !
Le vagabond :
Le Baron et Raimondo aperçoivent un vagabond : On entend au loin le vagabond qui crie « Houhou »
Raimondo : Allons-nous en messire, c’est un vagabond !
Baron : C’est un homme !
Raimondo : C’est un vagabond !
Baron : Pour toi un vagabond n’est pas un homme. Doit-il échoir à un mécréant de mon espèce de rappeler à un fervent chrétien que tout les hommes sont égaux devant Dieu.
Raimondo : Ce vagabond n’est pas devant Dieu messire, mais derrière nous ! Et je n’ai pas confiance.
Le Vagabond : (Au loin) Majesté, laissez-moi vous accompagner à Jérusalem.
Raimondo : (Au vagabond) Va-t’en !
Le Vagabond : Majesté je…
Raimondo : (Très menaçant !) Va-t’en !
Le Vagabond : Altesse, ayez pit… (Raimondo lui fonce dessus) …Aahhh ! Le vagabond se sauve. Méchant homme. (Il disparaît en coulisse)
Baron : Raimondo, viens.
Raimondo : Pas confiance en ces gens-là ! (Il crache).
Le Vagabond : (Revenant et appelant) Majesté ! Houhou !
Raimondo : (Faisant mine de lui foncer dessus) Ah !!! Au large!!!
Le Vagabond : (Epouvanté, fuyant) Je pars, je pars !!! (Dans les coulisses) Ca y’est, Je suis parti.
Raimondo : (Revenant vers le Baron) Quelle peste !
Baron : Tu es bien sévère avec ce pauvre bougre.
Raimondo : Ces pauvres bougres, comme vous dîtes, ne sont pas sans danger. Quelques fermes isolées en ont fait les frais.
Le Vagabond : (Revenant caché derrière de hautes herbes qu’il tient à la main) Majesté ! Houhou ! Sire ! Je suis là, Houhou !
Raimondo : (Furieux) Ah cette fois ! (Il se jette sur le vagabond).
Le Vagabond : (Qui tombe par terre) Nooon !!! Pour l’amour de Dieu, Aïe !!! Noble messire retiens ton serviteur cruel et accueil moi dans ta suite, j’irai avec vous à Jérusalem ! Pitié, non ! Aïe ! Pas la tête ! Aïe pas les côtes non plus ! Aïe ! Ou alors ici, ça fait moins mal.
Raimondo : (Arrêtant de taper) Va-t’en !
Le Vagabond : Pourquoi tu me traites comme ça, pourquoi ? Méchant homme !
Baron : Que veux-tu mon brave ?
Le Vagabond : Je veux partir avec vous à Jérusalem, je veux expier pour tout le mal que j’ai fais.
Raimondo : Pff, un gueux qui se lamente, une chiffe voilà ce que tu es !
Le Vagabond : Et toi, toi, t’es un méchant homme !
Raimondo (Il le menace d’un coup de poing).
Le Vagabond : (Sans être touché) Aïe, Aïe, Aïe, Aïe, Aïe !!!
Baron : Ecoutons-le Raimondo.
Le Vagabond : Merci Majesté, vous, vous êtes gentil, lui, c’est vraiment un méchant Homme !
Baron : Je ne suis que baron, messire me suffit amplement et Raimondo est un bon serviteur.
Le Vagabond : Ah ? C’est qu’il ne vous sert pas la même chose qu’à moi. (Raimondo le menace de nouveau. Sans être touché) Aïe, Aïe, Aïe, Aïe, Aïe !!!
Baron : Pourquoi veux-tu nous suivre ?
Le Vagabond : Je veux vous suivre Majesté….
Baron : Messire.
Le Vagabond : Messire, parce que… Parce que j’ai été bien mauvais et j’ai fais beaucoup de malheurs et je veux faire pénitence.
Raimondo : (Bas au vagabond) Larve !
Le Vagabond : (Bas à Raimondo) Gros escargot baveux !
Baron : Et tu crois que tu feras pénitence avec nous ?
Le Vagabond : Oui
Baron : Tiens donc ?
Le Vagabond : Oui, on souffre pour se rendre à Jérusalem. Je veux que ma souffrance monte jusqu’à Dieu. Je veux donner ma souffrance à Dieu.
Raimondo : Inutile d’aller à Jérusalem pour ça ! (Il le menace de son poing)
Le Vagabond : (A Raimondo, sec) Je veux souffrir comme un croisé pas comme un moins que rien ! (Raimondo lève son poing pour le frapper, le vagabond se recroqueville et sans être touché il se met à crier) Aïe, Aïe, Aïe, Aïe, Aïe !!!
Baron : Tes fautes sont donc si grandes ?
Le Vagabond : Oh oui alors! Plus grandes que toutes les montagnes que j’aurai pu voir….si j’en avais vu… mais on m’a dit que c’était très haut….
Raimondo : Il se moque ! Laissez moi le chasser messire !
Baron : Laisse, il y a de la vérité même chez les plus simples d’esprit, et son histoire m’intéresse.
Le Vagabond : C’est tout comme ça qu’il faut dire ! Vive sa majesté !
Baron : Je t’écoute.
Le Vagabond : (Silence)
Baron : Tu te défies de moi ? Voilà qui ne m’engage guère à te prendre à mon service.
Le Vagabond : J’ai bien trop honte de ma mauvaiseté.
Raimondo : Cet animal nous fais perdre notre temps, messire, laissons-le sur son cul et partons.
Le Vagabond : (A Raimondo) Ta mauvaiseté à toi courroucerait tous les anges du paradis céleste. Même la sainte vierge et même sainte Agathe ! Et même sainte Bérengère ! Et même…
Baron : Holà ! J’imagine que tu as une ribambelle de sainte toutes plus ravissantes les unes que les autres à jeter au visage de ce pauvre Raimondo. (Taquin à Raimondo) Sainte Lyse devrait suffire.
Raimondo : Messire !
Le Vagabond : J’allais aussi dire sainte Lyse. Oui, Sainte Lyse aussi !
Baron : (A Raimondo qui ne bouge plus, amusé) Te voilà terrassé.
Le Vagabond : (Victorieux !) Je suis comme saint Michel…
Baron : Oh ! Raimondo est un bon diable.
Le Vagabond : (Fier) Et je suis un preux vagabond…
Baron : A défaut d’être chevalier. Me voilà convaincu. Si tu veux te joindre à nous ?
Le Vagabond : Oh, merci, merci, merci.
Raimondo : (Au Baron) Nous lier avec ce parasite ?! Messire réfléchissez !
Baron : (A Raimondo) Voilà un mois que nous marchons sans qu’il ne se passe rien, enfin un peu d’aventure.
Le Vagabond : (Bas, à Raimondo) Je suis un preux vagabond, pas un parasite.
Baron : (Au vagabond) Nous nous rendons d’un pas léger mais déterminé à Jérusalem, mais la vraie Jérusalem, la Jérusalem imaginaire, tu as compris ?
Le Vagabond (Qui n’a rien compris) Oui !
Baron : Bien allons-y ? Oh, puisque ton désir est de faire pénitence, et que mon désir est de te satisfaire, voilà mon bagage que tu porteras. Il est lourd.
Le Vagabond : Tant mieux, Majesté, Tant mieux, ça me fera arriver plus léger au ciel.
Raimondo : (En lui donnant le bagage) Il nous manquait un âne. Voilà ton nouvel office.
Le Vagabond : Sa seigneurie a dit que j’étais un preux vagabond…
Raimondo : Et puisque tu le crois, preuve que tu es un âne ! Hi han ! (Il sort)
Le Vagabond : (Le suivant) Hi han toi-même !
Noir
Sur une tour du château Marguerite observe la scène avec le vagabond.
Marguerite : Mais quel est cet Homme ?
Voix de Frère Blasco : Hein ?
Marguerite : Venez voir, venez, mon Dieu ! Un homme de mauvaise mine a accosté mon frère.
Frère Blasco : (Bien embêté d’avoir à se déplacer) Il n’a pas l’air bien féroce.
Marguerite : (Soudain folle d’inquiétude) Mais…Regardez, il lui arrache son bagage !
Frère Blasco : (Perplexe) Avec l’aide de Raimondo.
Marguerite : C’est un complot ! A l’assassin, au meurtre !
Frère Blasco : Au meurtre ? C’est moi qui vais le subir si nous ne retournons pas à table.
Marguerite : Vous n’êtes qu’un ventre !
Frère Blasco : Et vous qu’un esprit, à nous deux nous faisons un humain.
Marguerite : Regardez, ils s’élancent...
Frère Blasco : Dans la même direction qu’à prise votre frère.
Marguerite : Pour l’égorger !
Frère Blasco : (Infiniment perplexe) Après lui avoir « ravi » ses biens ? Zèle un peu excessif non ? !
Marguerite : (Paniquée) Ça se voit tous les jours !
Frère Blasco : À moins que ce ne soit pour faire une réclamation, que voulez vous, votre frère n’a pas grande fortune et ce qu’il emporte n’a pas grande valeur. Ces voleurs se sentent lésés…On le serait… même à plus.
Marguerite : Mais
Frère Blasco : (l’imitant) Ça se voit tous les jours !
Marguerite : Portons secours !
Frère Blasco : Aux voleurs ? Après le dîner.
Marguerite : Ah ! Ne vous faites pas plus goinfre que vous ne l’êtes.
Frère Blasco : C’est que je suis bien embarrassé d’un ventre qui n’en fait qu’à sa tête.
Marguerite : Que ne vous imposez-vous pas un jeûne !?
Frère Blasco : Un jeune ? Que voulez vous que je fasse d’un jeune !!!
Marguerite : Mais…que me sortez-vous là voyons? Je disais…
Frère Blasco : Allons madame, soyez sérieuse. Imposez pour imposez, j’aime autant mieux m’imposer une jeune, qu’au moins je puisse me laisser corrompre par de voluptueuses tendresses.
Marguerite : (Horrifiée) Blasco ! Toute ma virginité frémie d’épouvante sous l’audace de vos aveux impies !
Frère Blasco : Frémir ? Avouez que vous aimeriez mieux frémir avec moi sous d’autre chose que mon audace ?
Marguerite : Moine paillard ! Je suis une guerrière ! Je ne crains pas l’arrivée du Belzébuth velu!
Frère Blasco : Et vous faîtes bien ! Vos mortifiantes caresses ne lui seraient probablement pas d’une grande saveur. S’ennuyer pour s’ennuyer autant s’ennuyer chez soi.
Marguerite : Quoi !
Frère Blasco : Déranger sa démoniaque seigneurie pour de blafards tripotages, voilà le sacrilège ultime! (Il va pour sortir)
Marguerite : Ventre-saint-gris ! Blasco !
Frère Blasco : (Revenant) Madame, Blasco veut bien être le martyr de vos jours, mais pour vos nuits, trouvez-vous une autre victime, le sacerdoce à ses limites !
Marguerite : Comment osez-vous !?
Frère Blasco : Depuis que votre frère est parti …
Marguerite: (Vexée) Taisez-vous ! Je m’en vais d’abord au secours du Baron et après…
Frère Blasco: Après?
Marguerite : Je vous casse la gueule ! (Partant, ronchonnant).
Elle sort furieuse.
Noir
Le calendrier :
Baron, Raimondo et le Vagabond.
Baron : Vous voyez ce petit rond que je suis en train de faire ? Ça veut dire un mois, ça fait un mois que nous voyageons et toi (A Raimondo) tu penses encore au château.
Raimondo: Et vous messire, à quoi pensez-vous?
Baron : Moi, je pense à l’embarquement pour Durazzo, c’est là que commence notre voyage, nous quittons le royaume de Virgile et nous prenons la mer.
Le vagabond : Nous allons monter en bateau ?
Baron : Oui
Le vagabond : Je n’aurai pas peur.
Baron : C’est bien.
Arrive au loin Le signor Lagatsi et Trouilleduc, tous deux complètement essoufflés.
Lagatsi : Messieurs ! Ah messieurs, bien le bonjour.
Baron : Bonjour.
Lagatsi : (Au baron) Monsieur le Baron ?
Baron : Pour vous servir.
Lagatsi : (Très patelin) Oh ? C’est trop gentil. Pardonnez-moi, je suis un peu essoufflé, avant de vous rejoindre nous sommes passé par un petit chemin...une pente… terrifiante !
Trouilleduc : (Essoufflé tout autant) Terrifiante.
Lagatsi : Enfin, nous l’avons franchi ! C’est le principal.
Trouilleduc : (Citant) « La victoire aime l'effort » Catulle.
Baron : Vous nous en voyez ravi.
Lagatsi : Oh, c’est trop gentil.
Trouilleduc : Ça nous touche beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Baron : Messieurs, j’eusse aimé infiniment continuer à deviser de concert en votre compagnie mais nous sommes en retard, et un navire nous attend pour Durazzo.
Le vagabond : Nous allons monter en bateau !
Baron : Une croisade à satisfaire.
Raimondo : Et une Jérusalem imaginaire à délivrer.
Lagatsi : (Qui n’a rien compris.) Hein ? Pardon, je n’ai pas eu le temps de me présenter…
Baron : Je vous connais, vous êtes mon principal, pour ne pas dire, unique créancier.
Lagatsi : Si, c’est bien moi.
.
Baron : Et monsieur ?
Lagatsi : Hein ? C’est rien. C’est Trouduc mon assistant.
Trouilleduc (excédé) Trouilleduc !
Lagatsi : Hein ?
Trouilleduc : Trouilleduc ! C’est la vingtième fois que je vous…
Lagatsi : Ma ! Ça n’a aucune d’importance…
Trouilleduc : (Bas, rapide à Lagatsi) Ça ne fait pas très sérieux devant nos clients, enfin ! Si vous rajoutiez simplement la syllabe « ouille » mon nom serait prononcé convenablement, c’est pas sorcier tout de même ! Ouille ! Moyen mnémotechnique : Pensez à « Aïe » ! Et ben c’est ouille!
Je ne me sens pas considéré vous savez ! Non, non, non. Du tout, du tout, du tout.
Baron, Raimondo et le vagabond partant
Baron : Messieurs, nous vous laissons à vos controverses sémantiques
Raimondo : N’hésitez pas à nous tenir au courant
Le Vagabond : (Rigolant comme un gamin) Au revoir monsieur Aïllenus. (Prononcer : aïe nusse)
Trouilleduc : Trouilleduc !!! Voyez, les gens ne nous prennent pas au sérieux. Bravo.
Lagatsi : Suffit !!! (Soudain terrible) Messieurs, je vous somme de vous arrêter !
(Le Baron, Raimondo et Le vagabond s’arrête) Comme vous l’avez dit, monsieur le baron, je suis votre unique créancier, et je viens exiger le remboursement total du prêt que je vous ai consenti…prêt et intérêt compris.
Baron : Monsieur, vous n’avez probablement pas saisi…
Lagatsi : (Sarcastique) Ça m’étonnerait.
Baron : Je ne suis plus là.
Lagatsi : Vous n’êtes plus là ?
Baron : Non.
Le vagabond : Nous non plus on n’est plus là, hein Raimondo ?
Lagatsi : Vous vous moquez. Votre titre ne m’en impose pas à moi ! (Méprisant) Baronnet.
Baron : (A lui-même, amusé) Entre celui-ci qui exalte mon titre et cela là qui le dévalorise, me voilà bien servi.
Raimondo : (Commençant à s’échauffer) Messire…
Baron : (A Raimondo) Non. (A Lagatsi) Mon cher, même si les apparences semblent vous donner raison, ne vous y fiez pas. Voilà bientôt un mois que nous avons quitté le château et nous avons déjà traversé une bonne partie du pays. Nous sommes passés par les régions d’Ombrie, des Abruzzes, nous nous sommes arrêtés dans la petite ville d’Isernia…
Le vagabond : Ils ont un bon p’tit vin là-bas.
Baron : Et nous redescendons tous doucement le long de la côte Adriatique afin de nous rendre au port de Tarente et d’embarquer pour Durazzo.
Le vagabond : On va prendre le bateau !
Baron : Voilà. N’étant donc pas là, je ne puis vous donner satisfaction. Vous m’en voyez navré. Bonne journée
Lagatsi : Monsieur le baronnet ! Aux rêveries extravagantes j’aime à opposer quelques concrétudes.
Baron : Concrétude ?
Lagatsi : Oui.
Baron : Le mot est âpre.
Lagatsi : A la mesure de mon ressentiment.
Baron : Et à la mesure de votre déception, qu’allez vous nous proposer ?
Lagatsi : (Soudain furieux) Mannaggia la Miseria !!! "Porca Vacca !!! Porco Giuda !!! Porco Diavolo !!! Porco !!! (Il crache)
Baron : Admirable ! Vous contrefaites à merveille l’animal auquel vous vous référez systématiquement. Grognez un peu pour voir …Porco banquier ?
Lagatsi : (Se reprenant, plein de haine) Monsieur le baronnet…
Baron : Mais non ! Vous ne contrefaites pas, (Sec) vous êtes !
Raimondo : (Une épée à la main, menaçant les deux banquiers) Messire, un seul mot.
Voix de Marguerite au loin, elle porte un casque, une masse, un bouclier, elle est suivie du Frère Blasco.
Voix de Marguerite : Nicomède ! Nicomède !
Baron : Ah ma chère sœur ! Raimondo baisse ton épée, nous ne craignons plus rien.
Tu hésites… Je comprends, occire un banquier, ne serait ce pas là agir en véritable croisé ? Possible mais…
Le vagabond : (Soudain inquiet) Il ne faut pas tuer les gens !
Baron : Argument sans réplique. (Raimondo baisse son épée)
Lagatsi : Tout ça c’est du blabla ! Vous ne voulez pas me payer monsieur le Baron, voilà la seule chose que je comprends. C’est bas, c’est misérablement bas. La noblesse n’est plus ce qu’elle était. Je suis très déçu.
Marguerite : (Arrivant, essoufflée) Nicomède, Nicomède, (Soufflant) Pfeeuu je n’en peux plus.
Trouilleduc : La pente, hein ? Terrifiante.
Marguerite (Les yeux au ciel) Holà ! (Hurlant) Blasco !
Frère Blasco : (Dans les coulisses) Me voici….Aagghh (Bruit de chute) J’ai glissé. Merdum !!!
Marguerite : (Reprenant son souffle, amusé) En latin, c’est plus élégant. Pardon. Ouffff, nous avons fait au plus vite Nicomède, j’ai cru que tu étais tombé dans un guet-apens. Messieurs.
Lagatsi : Ne vous en faites pas pour votre frère, c’est moi madame qui suis tombé dans un guet-apens. Mais, ironie du sort, si l’on vient au secours du coupe-jarret, personne ne songe à assister sa malheureuse victime.
Trouilleduc : Je suis là moi.
Baron : (Présentant à sa sœur) Monsieur ma « victime ».
Lagatsi : Monsieur mon « coupeur de jarret ».
Marguerite : Pardon ?
Trouilleduc : (À Marguerite) Nous sommes les créanciers du Baron.
Baron : (À sa sœur) Et ces messieurs refusent de reconnaître notre sainte croisade.
Lagatsi : Baliverne ! Nous sommes à deux pas du château.
Baron : Vous oui ! Nous, nous sommes déjà du côté de Potenza.
Lagatsi : (Soudain accablé) Et allez donc ! On m’aura tout fait ! Tout !
Trouilleduc : (Très consolateur) Courage, je suis là (Il met sa main sur l’épaule de Lagatsi)
Lagatsi : Moi aussi je suis las, très las. (A Trouilleduc) Ma ! Lâchez moi, qu’est-ce que c’est que ces familiarités, stronzo.
Trouilleduc : (Retirant la main de son épaule) Vous refusez qu’on vous aide !
Lagatsi : (Soudain féroce) Madame, dîtes à votre frère que je suis déterminé à recouvrer la dette de quelque façon que ce soit. Même s’il faut saisir le château.
Marguerite : Saisir le château ? (Hurlant) Blasco !!!
Frère Blasco : (Dans la coulisse, très agacé) J’arriveeeux !!!
Marguerite : (Mondaine, explicative) J’ai pris le bouclier, mais c’est Blasco qui a l’épée. Je ne peux pas tout porter.
Lagatsi : Ah ?
Marguerite : Et sans mon épée, je puis difficilement vous embrocher.
Lagatsi : Qué ?
Raimondo : Madame, si vous le désirez. (Il lui tend son épée)
Marguerite : Non, non, non, mon arme est faite à ma main, je n’utilise que mon arme.
Le vagabond : Il ne faut pas tuer les gens, vous savez.
Marguerite : Oh, une fois, de temps en temps.
Lagatsi : (Commençant à s’inquiéter) Ma ! C’est une boutaderie?
Marguerite : Plaisanterie ? Suspens (Frère Blasco arrive, s’appuyant sur l’épée, il s’est tordu la cheville) Ah Blasco…Mais… je vous interdis de vous appuyer ainsi sur mon épée, ce n’est pas une canne. Un peu de tenu foutredieu.
Frère Blasco : (Accablé) Accueillir un moine par un juron.
Marguerite : Vous n’êtes plus moine, je ne suis plus femme, nous sommes deux guerriers, allez hop, au combat. (A Lagatsi, dans un sourire) Fin du suspens. (Furieuse, elle charge Lagatsi) Taïaut !
Trouilleduc : Elle est très exaltée.
Baron : Depuis toujours.
Lagatsi : Ma ! Madame, ressaisissez-vous voyons (Elle le charge, il esquive) Hé !!!
Marguerite : Saisir ! Vous n’avez que ce mot là à la bouche !! Taïaut!
Lagatsi : Ma ! Vous êtes folle ! Au secours ! (Le Baron lui tend le bouclier. Lagatsi s’en empare et lutte contre Marguerite déchaînée)
Marguerite : (Frappant) Tient ! Saisi donc ça! Et ça aussi ! Chien d’usurier ! (Il pare avec le bouclier. Marguerite attaque Lagatsi dans l’indifférence totale des autres personnages).
Trouilleduc : (Perplexe) Est-ce bien réglementaire ?
Frère Blasco : (En se tenant la cheville) Mademoiselle de Calatrava n’est pas très conventionnelle. Qu’importe, une fois qu’elle se sera bien défoulée, nous pourrons bavarder.
Le vagabond : Pourquoi utilise-t-on l’expression chien pour insulter les gens? Moi j’aime bien les chiens.
Baron : C’est entré dans les us et coutumes.
Le vagabond : C’est pas juste pour les chiens !
Baron : Encore un préjugé que tu fais bien de dénoncer.
Lagatsi : (Derrière le bouclier que frappe de toutes ses forces Marguerite) Ma ! Madame ! Un peu de décence ! Trouduc au secours.
(Trouilleduc ne bouge pas)
Baron : On vous réclame je crois?
Trouilleduc : Hein? Oh ce n’est pas moi.
Baron : C’est juste.
Raimondo : Messire, partons-nous ?
Baron : Tu as raison, nous avons un itinéraire à respecter.
Raimondo : Allez vagabond, en route.
Le vagabond : (A Raimondo) Si un jour on se dispute, moi je te traiterai jamais de chien ! Jamais, jamais.
Lagatsi : (Se protégeant toujours des coups de Marguerite derrière le bouclier) Monsieur le Baron, Votre château ainsi que tous vos biens seront saisi aussitôt que possible.
Frère Blasco : Assez !!! (Le combat s’arrête) Je représente l’église monsieur. Ce que vous a dit monsieur Le baron de Calatrava est parfaitement juste. Notre évêque a reconnu cette initiative et quiconque s’y opposerait devrait en répondre devant la sainte inquisition. (Froid et menaçant) Souhaitez-vous en répondre devant la sainte inquisition ?
Lagatsi : (Tétanisé) Non.
Frère Blasco : En ce cas, cette discussion n’a plus lieu d’être. Bonne journée (Il sort).
Marguerite : Ah Blasco, que vous êtes beau quand vous êtes en colère…
Lagatsi : Ma !
Marguerite : Vous avez courroucé mon Blascounet, Taïaut ! (Elle charge Lagatsi, il s’enfuit).
Lyse :
Elle est seule et soliloque.
Lyse : Mon amour, je t’écrie une lettre en pensée, une lettre sans mot, sans ponctuation, sans grammaire, sans encre et sans papier. Une lettre sans faute d’orthographe me diras-tu alors, un peu moqueur. Qu’importent les fautes, nous ne nous en soucions, ni toi, ni moi et pour cause... Ma lettre ne se lit pas avec les yeux, non, elle se lit sur ma bouche, avec des baisers majuscules, des tendresses d’exclamation et de longs soupirs au creux des parenthèses.
Mon doux Raimondo, je n’ai qu’à fermer les yeux. Elle se rédige d’elle-même.
Ton souvenir me la dicte lentement. Raimondo. Raimondo.
Je l’aurai bien voulu joyeuse cette lettre, mais par nature elle ne peut être vouée qu’à la tristesse car elle ne s’explique que par ton absence.
Peut-être que si je la postais moi-même… ou mieux si je me transformai, oui, si je devenais moi-même cette missive, je serai bien assuré ainsi que rien ne t’échapperai…. Rien ne pourrait t’échapper, oh non. ! Je serai une lettre bien parlante…
Parlante, patiente et appliquée.
Une lettre aux mille nuances nécessitant mille interprétations... Subtile.
Oh que je serais heureuse d’être toujours plus subtile avec toi et que je serai heureuse de l’être de moins en moins.
Raimondo.
Sur l’arbre :
(Raimondo est sur un arbre, au pied il y a Le baron et le vagabond)
Baron : Alors, qu’est-ce que tu vois?
Raimondo : Si je vous le dit, vous allez vous fâcher, alors je préfère ne pas le dire.
Baron : Ah, j’ai compris, la nostalgie des lieux que tu as quittés t’empêche de voir les lieux que nous traversons. Mais c’est un vice Raimondo, c’est une maladie, comme ça nous n’arriverons jamais. Essaie de grimper encore plus haut.
Raimondo : Plus haut ?
Baron : Tu dois voir quelque chose, forcément !
Raimondo : Je vois…heu…je vois….
Baron : Ecoute, je vais t’aider. Maintenant tu devrais voir la mer. Ah Raimondo, tu vois la mer ? Tu vois la mer ? Raimondo, la mer !
Raimondo : Hé, hé !
Baron : Ah bravo, bravo. Si tu vois la mer, tu dois voir aussi le port de Tarente avec tous ses navires ?
Raimondo : Je vois le port de Tarente avec tous ses navires.
Baron : C’est ça que tu appelles une description ? Bon allez descend, il faut que nous arrivions à Tarente pour embarquer avant la nuit.
Le langage Raimondo, souvient toi bien, le langage est tout. D’abord il y a le langage et ensuite, éventuellement, s’il existe, il y a le monde. Allons (Il sort).
Le vagabond : (Bas, à Raimondo) D’abord le langage et ensuite le monde. Pas sorcier.
(Au Baron) C’est moi qui monte la prochaine fois ?
.
Noir
Dans le bureau de Lagatsi :
Lagatsi et Trouilleduc
Lagatsi : As-tu bien calculé ?
Trouilleduc : Oui monsieur, en nous levant plus tôt et en marchant plus longtemps, nous pourrions les rattraper d’ici un mois, un mois et demi. Il faudra tourner autour du château d’un pas bien soutenu.
Lagatsi : M’ouais….Et l’évêque ?
Trouilleduc : Il nous accorde aussi le même passe droit qu’au Baron de Calatrava. D’ailleurs il va nous envoyer un moine pour la bénédiction.
Lagatsi : Tu parles, vu la remise que j’ai accordé à ce cochon mitré. (Dans sa barbe, haineux) Calavatra tu crois me jouer….
Trouilleduc : Trava.
Lagatsi : Hein ?
Trouilleduc : Calatrava. C’est le baron de Calatrava. Vous avez des soucis avec les noms des gens, vous.
Lagatsi : Qué ?
Trouilleduc : Signe vous vous n’êtes pas bien disposé envers vos semblables.
Lagatsi : Pouah ! Qué ça peut faire…
Trouilleduc : Qué ça peut faire !!! Il faut être un peu sociable dans la vie, tout de même. Nommer correctement le nom d’une personne c’est lui reconnaître une valeur, une importance. C’est gratifiant. Moi par exemple quand vous m’appelez…comme vous savez, je me sens blessé, farouchement blessé. J’ai mal.
Lagatsi : Pauvre petite chose va!
Trouilleduc : Allez y, moquez vous, si, si, je le vois bien, vous me moquez. Cela m’apprendra à me confier. L’homme délicat est bien seul et connais souvent la raillerie du primitif, qui convaincu de sa supériorité, lui assène son hilarité aussi trivial que disgracieuse.
Lagatsi : Qué ?
Trouilleduc : Je me tais, je ne dis plus mot, je me fonds dans votre insignifiant quotidien et m’en vais chercher ma cotte de maille et mon carquois. Et puisque c’est dans l’air du temps, allons-y nous aussi délivrer cette bonne vieille Jérusalem, sus aux mahométans ! (Il sort)
Lagatsi : Viens ici. Stronzo !
Trouilleduc : (Revenant) Pardonnez moi mais ma cotte de maille est toute fripée, je n’aurai jamais le temps de…
Lagatsi : Ma ! Nous voyageons comme le baron, imbécile ! Nous allons à Jérusalem sans quitter son domaine et dès que nous aurons fait assez de tours pour être à son niveau, quick ! Je lui ferais rendre gorge de sa malhonnêteté !
Trouilleduc : Ah oui c’est vrai…. Je m’étais laissé emporter.
J’ai un tempérament romanesque moi. On ne se refait pas. Je nous voyais déjà chevauchant dans un désert Saharien, un désert Saharien de fin de journée, enveloppé dans un coucher de soleil aux teintes rouges flamboyantes. Face à nous une armée de Turc portant leurs djellabas dans un drapé finement négligé. Nous nous battons comme de beaux diables, frappant d’estoc et de taille, (Mimant le combat) tient vilain moricaud, attrape ténébreux sarrasin… mais assailli par une multitude de vigoureux berbères nous sommes fait prisonniers…. on nous maltraite.
Un prince Maure au regard de braise me remarque et me fait subir moult humiliations toutes plus infamante les unes que les autres. J’y souscris, résigné et offert. Il me….
Lagatsi : (Outré) Suffit !!!! Vais vomir !!! Efféminer va!
Trouilleduc : Comment ça, moi, moi efféminer ? Vous pensez que…que je ne serai pas un homme comme Adam et Eve ? Enfin, je veux dire que vous me supposez plus Eve qu’Adam… ?
Lagatsi : Ma, si tu veux faire des câlins aux sarrasins c’est que tu es un poco…espécial, no ?
Trouilleduc : (Soudain troublé) Oh fatale révélation sur moi-même ! Qui suis-je vraiment ?
Entre le frère Blasco.
Le frère Blasco : Messieurs, je viens pour la bénédiction.
Lagatsi : Ah si ! Puisque cela fait partie du folklore.
Le frère Blasco : Cette expression ne me parait pas très heureuse.
Lagatsi : Cette croisade ne me parait pas très sérieuse.
Le frère Blasco : En ce cas (Il va pour sortir).
Lagatsi : No, no, puisque je suis obligé de me soumettre à cette comédie, allons y immédiatement que je puisse rattraper au plus vite votre cher baron.
Le frère Blasco : Je vous souhaite bien du courage
Trouilleduc : (Ce parlant à lui-même) Suis-je Adam, suis-je Eve ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Eve peut-être… (Commençant à chanter) Eve lève toi et danse avec la vie…
Lagatsi : (A Trouilleduc) Ma ! Qu’est-ce que c’est ?
Trouilleduc : Ça me vient comme ça.
Lagatsi : Comme ça ? Et bien comme ça va préparer les bagages. Ouste !
Trouilleduc : Oui. (Trouilleduc sort en chantonnant).
Lagatsi : (Au frère, se mettant à genou) Je suis prêt.
Le frère Blasco : (Au banquier agenouillé) Que Dieu te conduise au salue du corps et de l’âme sur la route du St Sépulcre. Que Dieu guide ton pied et ta main sur la route du St Sépulcre. Que Dieu te guide …
Trouilleduc : (Chantant du Julie Pietri des coulisses) L’écho de ta voix est venu jusqu’à moi…Eve lève toi…
Lagatsi : Hé !
Trouilleduc : (Apparaissant) Oh pardonnez-moi! Je ne me rends pas compte de la puissance de mon organe. Je vais faire mezzo voce.
Lagatsi : C’est ça !
Trouilleduc : (Partant puis revenant) Oh ! A propos, je ne retrouve pas les jolies petite dentelles qui…
Lagatsi : Fous le camp ! (Trouilleduc sort).
Le frère Blasco : Je continu ? (Signe de tête de Lagatsi) Que Dieu te guide sur mer et sur terre sur la route du St Sépulcre. Que Dieu te rende digne de porter le signe de la Croix sur la route du St Sépulcre. Que Dieu fasse de toi un soldat pour défendre la Pax Christiana sur la route du St Sépulcre. Que Dieu…
Trouilleduc : (Chantant plus bas du Mylène Farmer des coulisses) Qu’est-ce qu’il faut choisir, amour je peux le dire, sans contrefaçon, je suis un garçon et pour un empir….
Lagatsi : (Se levant, Vers les coulisses) Tu vas te la fermer oui !
Trouilleduc : (Des coulisses) Mais là j’étais mezzo Voce !
Lagatsi : (Au frère Blasco) Si vous voulez le dénoncer à la sainte inquisition, je témoignerai.
Trouilleduc : (Apparaissant) Mais là j’étais mezzo Voce, hein l’abbé que j’étais mezzo voce?
Lagatsi : Allez la castafiore, du vent ! Raoust ! (Trouilleduc sort)
Le frère Blasco : Alors…(Réfléchissant) je ne sais plus où j’en suis.
Lagatsi : Ça avait un rapport avec Dieu.
Le frère Blasco : Oui, c’est la raison pour laquelle je suis ici.
Lagatsi : Evidemment. Heu (Réfléchissant) … Dieu faites que…. Que le baron se brise une cheville sur la route du saint Sépulcre et qu’on puise ainsi…
Le frère Blasco : Non, il y a une liturgie particulièrement rigoureuse. Débiter n’importe quoi au cours d’une cérémonie, c’est un blasphème. Vous savez ce qu’encours un individu accusé d’un pareil sacrilège ?
Lagatsi : (Penaud) Je voulais vous aider.
Le frère Blasco : Ne m’aider plus. Que Dieu…Heu… il y a un ordre aussi…si je perds le fil … que Dieu te guide sur la mer et sur la terre.
Lagatsi : Vous l’avez déjà dit.
Le frère Blasco : Vous êtes sûr ?
Lagatsi : Si, vous avez parlé de la mer alors que nous allons partir en expédition autour du château, j’ai même pensé que c’était stup…enfin pas très approprié.
Le frère Blasco : (Sec) Il ne faut pas penser, il faut recevoir la parole de Dieu l’âme remplie de ferveur.
Lagatsi : (Penaud) Ah ? Pour la suite, je le saurai.
Le frère Blasco : Bien….heu… (Silence. Trouvant enfin) que Dieu…
Trouilleduc : (Musique venant des coulisses. Trouilleduc chantant I will survive)
Lagatsi : Ma ! Je vais le toué. Tu vas arrêter Maricon !
Trouilleduc : (Apparaissant des coulisses) Mais, mais je croyais que vous aviez fini. Je n’entendais plus rien, plus de prêchis-prêchas alors hop, en avant la rengaine.
Le frère Blasco : (Rapide) Ego bénédicovos in nominé patrie es fili es piritu santus. Amen. Je vous souhaite bien du plaisir (Il sort).
Lagatsi : (Dans sa barbe) Un peu d’exercice ça va lui faire passer ces petites extravagances: Ouilleduc !
Trouilleduc : C’est presque ça, monsieur est en progrès.
Lagatsi : Tu porteras et mes affaires et les tiennes!
Trouilleduc : Que je porte une double charge, mais Pourquoi monsieur?
Lagatsi : Pourquoi ? Simple, parce qu’un homme inverti en vaut deux.
Noir
Lyse et Marguerite :
Au château
Marguerite : Ah ma petite Lyse, que je suis contente de te voir.
Lyse : (Saluant) Madame.
Marguerite : Oh Madame ! Je ne suis que la sœur du baron après tout, appelle moi…(Coquette) Mademoiselle.
Lyse : Mademoiselle.
Marguerite : Je t’ai demandé de venir Lyse parce que… Nous sommes entre femmes, nous nous comprenons à demi mot, n’est-ce pas ?
Lyse : Oui.
Marguerite : Alors ?
Lyse : (Silence) Je vous comprendrais sûrement à demi mot Mademoiselle, à condition que vous les prononciez.
Marguerite : Oh pardon. Toute seule, toute la journée, je me répète tellement que je m’imagine que tout le monde sait ce que je pense. Je me languis à un point... Mon frère, ce grand dadais.
Lyse : Monsieur le baron
Marguerite : Oui, depuis qu’il est parti, la vie au château est d’un ennui. A chaque seconde, son absence me parait une éternité et calamité suprême ! Chaque seconde de la présence de Blasco double cette éternité…Que dis-je, la quadruple amplement.
Lyse : Oui Mademoiselle.
Marguerite : Ne crois pas que je sois médisante mais ce Blasco, quelle poisse !
Lyse : Ah ?
Marguerite : Le château est grand !
Lyse : Oui Madame.
Marguerite : Mademoiselle, le château est grand ! Et bien devine qui je croise à chaque fois que je sors de mes appartements… Blasco.
Lyse : Oh
Marguerite : Si, Blasco et sa vilaine tête de cafard amorphe. Je suis une jeune femme honnête, mais avec ce Blasco… (Changeant de ton, soudain comme à regret) je n’ai aucun mérite à le demeurer.
(Entre Blasco)
Blasco : Madame.
Marguerite : (A Lyse, malicieuse) Tient, quand on parle de demeuré.
Blasco : J’ai entendu tout ce que vous avez dit madame.
Marguerite : Tant mieux, ça m’évitera de me répéter à confesse. (Il sort, vexé)
Oups… le voilà colère.
Lyse : La pénitence risque d’être bien sévère.
Marguerite : Pffu, Blasco ne résiste pas à mes repentirs.
Lyse : Pardon ?
Marguerite : Rien n’est plus bête qu’un homme. Tu veux le dominer, flatte-le.
Lyse : Le flatter ?
Marguerite : Simple, il suffit de le regarder comme un demi-Dieu. Et un moine qui confesse a vite prit le parti de se croire investi d’une prescience quasi divine. L’orgueil des faux humbles est le plus puissant qui soit. Enfin quand j’y songe, ce pauvre Blasco ne mérite pas tant de reproches…
(Rêveuse) S’il pouvait, plutôt que de me rabattre systématiquement les oreilles avec Dieu me déballer son petit jésus… Je lui ferai chanter des louanges autrement moins monocordes
que celles qu’il a l’habitude de nous gratifier.
Lyse : Madame !!!
Marguerite : Mademoiselle. Fait chaud en ce moment, c’est la saison non ? Vivement les giboulées de mars.
Lyse : Je vais ouvrir une fenêtre.
Marguerite : Oui, du frais, du frais, du frais. Donc ma petite Lyse, je souhaite t’entretenir d’un projet…confidentiel.
Lyse : Je vous écoute.
Marguerite : Il m’est venu aux oreilles que tu en pinçais fort pour ce brave Raimondo, est-ce vrai ?
Lyse : Oui mademoiselle.
Marguerite : Pincer fort… J’aime cette expression ! Il y a tellement de chose que j’aimerai pincer fort moi aussi.
Lyse : Pardon ?
Marguerite : Oh ! Va donc ouvrir l’autre fenêtre cela nous provoquera un courant d’air apaisant.
Lyse : (Ouvrant la fenêtre) Je suis sage Mademoiselle.
Marguerite : Très bien, moi aussi je suis sage (Entre ses dents, rageuse) comme c’est pas dieu permis ! Mais sage ne doit pas être synonyme d’ennui. Que nenni ! La vie passe à une de ces vitesses et les roses en hiver ne sont plus de saison ! N’est-ce pas ?
Lyse : Probablement
Marguerite : Plutôt que de rester là comme des gourdes à attendre frère et fiancé, si nous allions les retrouver ?
Lyse : Cela ne nous est pas permis.
Marguerite : Oui, si nous y allons telle que nous sommes, mais déguisées en barbaresque, nous pourrions, je ne sais pas… (Trouvant) nous pourrions les attaquer tien!
Lyse : Les attaquer ?
Marguerite : Oui j’adore me battre. Et à l’occasion hacher vivement d’un petit coup de tranchant les naseaux morveux d’un malappris, ça me ragaillardi la couenne ! J’adore ça…et les kouglofs à la banane!
Lyse : N’est-ce pas un peu téméraire.
Marguerite : Lyse, si tu aimes ton Raimondo, bouscule le un peu. Même si je le connais assez pour savoir que c’est un homme bien, il manque de hardiesse.
Lyse : C’est qu’il n’est pas sûr de lui.
Marguerite : Les hommes ont peur, il faut les rassurer à force d’amour et les secouer un peu…. ils sont parfois d’une feignasserie. Et s’il ne t’enlève pas, soit une femme moderne, enlève-le ! Il est un peu gros, mais je t’aiderai.
Lyse : Le temps peut-être…
Marguerite : Le temps ne fera rien à l’affaire. (Soudain, tragique) Regarde-moi Lyse, j’ai 22 ans et indubitablement je vais sur mes 22 ans et demi (Marguerite a, au moins, 35 ans) et aucun homme ne m’a encore enlevé, jamais, enfin si, une fois….Le comte Tino, dit le bigleux, il s’était trompé l’imbécile et confus, il m’a échangé le soir contre une panse de mouton farcie et une binette à moitié rouillé. Ulcérée, je suis montée en haut d’une tour d’où je me suis précipitée à travers la fente d’un mâchicoulis, mais trop impulsive, je n’avais pas remarqué que l’ouverture était bien trop étroite. Pour me dégager, père à dû m’enduire de saindoux, des litres…Une horreur.
Je ne veux pas que tu connaisses ça un jour, Lyse.
Lyse : Merci Mademoiselle.
Marguerite : Ce jour-là, il m’est apparu comme une révélation fulgurante que souvent, bien souvent le parpaing de la réalité s'abat inexorablement sur la tartelette aux fraises de nos illusions. Une grande leçon…
Lyse : Je vais vous laisser…
Marguerite : Alors c’est entendu !
Lyse : Je crois que…
Marguerite : Pas de merci ! Solidarité toute féminine. Soit là demain matin à six heures. Nous nous déguiserons et je te montrerai quelques passes d’armes. Et après on n’ira un peu les embêter nos hommes !
Lyse : Demain, je devrais…
Marguerite : (Appelant) Blasco !!! Venez donc me confesser ! Ah, j’ai soudainement conscience d’avoir un tantinet péché de ci de là, ça me laisse toute chose, Blasco mes pénitences, je veux mes pénitences !!! (Elle sort)
Noir
Baron Nicomède de Calatrava, Raimondo et le Vagabond.
Ils entrent, fatigués.
Au début de cette discussion, le vagabond ne bouge pas, il est tétanisé.
Raimondo : (Craquant) Assez messire, je ne peux plus aller de l’avant, je suis mal (Il s’affale).
Baron : Un croisé ne se lamente pas assis mais debout (Relevant Raimondo).
Raimondo : (Agité) Un croisé ? Mais que dîtes-vous messire ! Ça fait trois mois que nous tournons autour du château. Nous avons fait plus de mille tours inutiles. Je n’y arrive plus, je n’y arrive plus. Et j’ai peur du châtiment divin. Dieu ne peut nous pardonner cette gaucherie, il nous punira comme on puni les blasphémateurs !
Baron : Allez viens ! (Raimondo accablé repart) C’est la fatigue. En quelques jours nous avons traversé les plaines brûlés de soleil de Bithynie et maintenant nous sommes en train de franchir les Monts de Nicée (Iznik maintenant)
Raimondo : (Prit de désespoir) Mais ce sont des blasphèmes, Dieu nous punira, nous ne sommes pas en Bithynie et il n’y a pas de Mont de Nicée. Dieu nous voit, Dieu voit tous ! Ah Je veux mourir, je veux mourir. (Il se précipite la tête contre un arbre).
Baron : Raimondo ! (Le baron retient Raimondo par les épaules. Raimondo s’écroule)
Raimondo : (Dans un souffle) Laissez moi mourir Messire, au moins mourir. Laissez-moi.
Baron : (Au vagabond) Viens, apporte de l’eau et prend ce tissu. (Le vagabond amène ce qui est demandé). (A Raimondo) Allons mon ami, Dieu ne peut pas être fâché contre nous.
Raimondo : (Dans un souffle) Vous n’y croyez pas.
Baron : (Le baron met un bandage autour de la tête) Et pour quelle raison serait-il fâché d’abord? Nous lui rendons grâce sans faire de mal à personne. N’est-ce pas là le plus bel acte de piété ?
Raimondo : Vous savez bien…
Baron : Ah oui ! Combattre les infidèles ! Les charges, les assauts, les sièges…
Je ne connais rien de plus triste qu’une bataille perdue Raimondo, si ce n’est une bataille gagnée. Laissons ces vaines glorioles aux imbéciles.
Vagabond : La croisade cependant, c’est une guerre sainte, voulu par Dieu
Baron : Voulu par le pape ! Le pape.
Vagabond : Et le pape…
Baron : (Léger) C’est un homme comme toi et moi, il a ses opinions et nous avons les nôtres. Tu te sens mieux maintenant Raimondo ?
Raimondo : Je ne sais pas messire, j’ai la tête confuse.
Vagabond : (Soudain comme illuminé) Mais c’est vrai ça Messire, moi aussi comme le Pape j’ai des opinions !
Baron : Je te les souhaite réfléchies et bienveillantes.
Vagabond : Je suis sûr qu’elles sont toutes comme ça ! Et dès qu’une d’entre elles me traverse l’esprit, je vous le ferais savoir…
Raimondo : Prends ton temps.
Arrivé de Lagatsi et de Trouilleduc en marche forcée :
Ils sont épuisés mais Lagatsi ne veut pas le montrer.
Lagatsi : (D‘une humeur de pitbull psychopathe qui tente de plaisanter) Bonjourno les croisés du dimanche, alors, on se repose? Hé oui, le saint Sépulcre c’est pas la porte à côté, faut du jarret hein ! De l’endurance !
Vous savez où on n’est nous? Du côté des Carpates ! Des Carpates ? Ah ! On n’est complètement perdu, au secours…. (Sinistre) Je plaisante.
Ah Si ! J’oubliais, on ne peut pas se parler parce que on n’est pas dans la même région, alors on ne se voit pas, on ne s’entend pas…disons que pour le moment je soliloque, je monologue, je « m’allocutione ». Ma ! Quelque chose me dit que ça ne saurait durer, que bientôt je rattraperai ce bon, vieux, cher, trèèèès cher baron et alors là, là, je pourrai enfin lui adresser le fruit de mes multiples….
Baron : Radotages ?
Lagatsi : Qué ?
Raimondo : Vous aviez raison messire, cet homme-là a un côté porco banquier.
Baron : Flagrant !
Vagabond : Un cochon qui parle, c’est rigolo !
Lagatsi : Ma…
Raimondo : (Il grogne)
Vagabond : Qu’est-ce que tu fais ?
Vagabond : Je lui demande un conseil sur les prêts à taux fixe.
Lagatsi : (N’en croyant pas ses oreilles) Ma !!!
Trouilleduc : (Paniquant) Vous allez me l’énerver, vous allez me l’énerver !
Lagatsi : Ma ! Je….
Vagabond : (il grogne)
Raimondo : Taux fixe toi aussi?
Vagabond : Non, je lui demande s’il a découvert des truffes dans le coin. On pourrait se faire une bonne omelette, hein ?
Lagatsi : (Furieux) Raaghueueuhue !!!
Trouilleduc : (Tentant de Calmer Lagatsi) On n’est dans les Carpates, Monsieur, on ne les entend pas, il y a un de ces vent (Trouilleduc fait le vent).
Lagatsi : (Soufflant très fort pour se calmer) Ah si ! J’ai pas entendu du tout….mais ça se payera quand même ! Allez, partons. Nous, on ne se prélasse pas comme des... (A Trouilleduc qui continu à faire le vent) Arrête ! Ça va maintenant, (Au baron) on ne se prélasse pas comme des croisés de secondes zones. Et nous allons vous rattraper rapidement, parce que nous, on fait au moins 15 ou 20 tours de plus que vous par jours. Tout est noté dans le carnet, tout !(Menaçant) A bientôt baronnet.
Trouilleduc : (Bas, mais tout le monde entend) Trois ou quatre tours monsieur, pas plus.
Lagatsi : (Bas, mais tout le monde entend) Ma ! Imbécile, c’était pour la déstabilisation psychologique ! (En sortant).
Trouilleduc : Ah ?
Lagatsi : Crétino ! Avanti !
Trouilleduc : Vous ne me dîtes jamais rien. Déstabilisation psychologique ??? Voilà autre chose. En attendant comme je tiens les comptes du carnet si jamais on se trompe dans les calculs, c’est bibi qui va se faire enguirlander ! De toute façon, vous n’avez jamais un mot gentil à mon égard. Jamais. Que tchi ! (Il sort, faisant signe aux autres qu’il en a marre).
Pendant ses dernières algarades, le baron est absorbé par la contemplation d’une feuille.
Raimondo et le vagabond regardent Lagatsi et Trouilleduc partir.
Le vagabond : Moi je les trouve assez gentils finalement.
Raimondo : (Regardant le baron de Calatrava qui reste fixé sur la feuille pendant toute la conversation entre Raimondo et le Vagabond) Messire, ça va ? Messire.
Le vagabond : Il y a un souci ?
Raimondo : Je ne sais pas, regarde, monsieur le baron ne réagit plus.
Le vagabond : C’est peut-être une dépression ? J’ai déjà vu ça une fois en Normandie.
Raimondo : Messire, répondez-moi.
Le vagabond : Messire répondez-lui.
Raimondo : Tiens va chercher de l’eau.
Le vagabond : Encore ! C’est toujours moi qui va chercher de l’eau, déjà tout à l’heure pour toi !
Raimondo : Allez !
Le vagabond : Bon, j’y vais mais moi quand j’ai soif personne ne va me chercher de l’eau. On s’en fiche bien que j’ai parfois le gosier tout sec. Si, je le sais. J’ai des preuves ! (La baron retourne la feuille en la fixant avec une grande attention)
Regarde, messire a retourné sa feuille.
Raimondo : Messire, il faut y aller.
Le vagabond : Hou hou ! On n’est là.
Raimondo : Arrête
Le vagabond : Il faut rentrer en communication. Hou hou sa Majesté.
Peut-être qu’il aime beaucoup cette feuille ? Qu’elle lui rappelle à sa tototte ?
Raimondo : Aimer une feuille ! Imbécile !
Le vagabond : T’as jamais été bébé ou quoi ! Une tototte ça ne s’oublie pas. C’est gravé là (Il se tapote la poitrine). Moi, quand j’ai perdu ma tototte…
Raimondo : L’eau !
Le vagabond : C’est pas d’eau qu’il a besoin, c’est de s’exprimer. Hou hou, Messire, regardez, il y a plein d’arbres autour de nous avec plein de feuilles encore plus belle les unes que les autres, on vous en cueillera des milliers et …
Baron : (Se levant) Messieurs, en route.
Raimondo : (Surpris) Bien.
Le vagabond : (Surpris) Et si vous avez un p’tit faible pour les pommes de pins…on vous en cueillera aussi, Hein Raimondo ?
Raimondo : Va chercher les bagages. (Le vagabond obéit)
Mais, nous sommes en train de sortir du sentier
Baron : Oui
Raimondo : Puis-je vous demandez où nous allons messire ?
Baron : A Jérusalem.
Raimondo : Mais avant aussi nous allions à Jérusalem. Vous êtes sûr que nous ne sommes pas en train de nous tromper de chemin ?
Baron : Nous prenons le chemin de la vrai Jérusalem.
Tu dois être content Raimondo, j’ai suivi tes conseils, j’ai abandonné mes philosophes, je m’en remets à Dieu moi aussi. J’ai retrouvé la foi que j’avais perdue au cours de ma lointaine jeunesse.
Raimondo : Comme ça, tout d’un coup ?
Baron : (Montrant une feuille qu’il tient à la main) J’ai contemplé la beauté d’une feuille, j’en ai été soudainement bouleversé.
Raimondo : Vous avez été bouleversé en regardant une feuille ?
Vagabond : Ça se peut ! Moi une fois, j’ai été bouleversé en regardant des chouquettes à la crème.
Baron : Même dans la plus petite œuvre de Dieu, on peut reconnaître le miracle de sa présence, (Entendant le chant d’un oiseau) même dans le gazouillis d’un rossignol, on peut découvrir la présence de Dieu
Raimondo : C’est pas un rossignol messire, c’est un merle
Baron : C’est un rossignol
Raimondo : Je vous demande pardon messire mais c’est vraiment un merle.
Vagabond : Si vous voulez mon opinion…
Baron : Dieu peut manifester sa présence même par la voix d’un merle puisque les merles aussi sont des créatures de Dieu. Pourtant il s’agit bien d’un rossignol
Raimondo : Comme vous voulez messire, (Un chouia moqueur) c’est vous mon maitre et tous ce que vous dîtes est juste et vrai.
Vagabond : (Parlant bas à Raimondo) Hé ben d’après mon opinion, c’est un pinson.
Raimondo : (Bas) Imbécile (Il sort).
Vagabond : (Seul) Selon que vous serez le pape ou vagabond
On jugera votre opinion blanc …ou marron (Il sort)
Noir
Marguerite et Lyse
« Habillées » en guerriers berbères, elles sont cachées derrière un buisson, elles ne se voient pas.
Marguerite : Tu les vois ?
Lyse : Non.
Marguerite : Mais qu’est-ce qu’ils foutent bon sang? Le domaine n’est pas si grand.
Lyse : Cette matinée est splendide
Marguerite : M’ouais…Je suis assise dans l’herbe fraiche du matin à me grelotter le fessier.
Certains attrapent des rhumes de cerveau, avec la chance que j’aie, je vais inaugurer le premier rhume de cul de l’histoire moi.
Lyse : Blasco vous soignera.
Marguerite : (Méprisante) Pffeu…
Lyse : A vos pets !
Marguerite : Merci…mais je n’ai pas éternué… (Choquing !) Ah non ! J’ai soufflé avec la bouche, j’ai fais pffeu.
Lyse : Je plaisante Mademoiselle.
Marguerite : Oui ben…. Point trop n’en faut s’il vous plait!
Lyse : Pardonnez-moi.
Marguerite : Offusquée, je suis toute offusquée !
Lyse : Je ne recommencerai plus.
Marguerite : L’outrage est manifeste.
Lyse : Ne soyez pas trop sévère.
Marguerite : Vous m’avez calomnié, inexorablement.
Lyse : Je vous ai taquiné, indubitablement.
Marguerite : Chez vous je ne sais pas, mais chez les de Calatrava, on ne flatule point. Et pour cause :
Le dernier à s’être laisser aller à une pareille inconvenance se nommait Gustave Adolphe Von Zinberlan, un ancêtre de la branche aînée du côté maternelle.
Il commit cette pitoyable action en 787 à la cour de Charlemagne alors qu’il négociait la capitulation des bavarois en présence de l’empereur lui même. Déshonoré, il décida de s’immoler illico en se précipitant dans l’âtre d’une cheminée, mais comme nous étions en été, il dû attendre plusieurs mois avant qu’une personne n’alluma le foyer.
(Solennel) Depuis par respect pour sa mémoire, nous ne pétons plus.
Lyse : J’ignorais.
Marguerite : Lourd secret familiale.
Lyse : Voilà une confidence qui me va droit au cœur.
Marguerite : Ça m’a fait du bien de me confier, merci fillette.
Lyse : Regardez Mademoiselle, voici le banquier et son acolyte.
Marguerite : (Soudain déchaînée) Ah foutre dieu ! Ces deux là on va se les empapaouter à sec! Et même pas un p’tit bisou dans le cou. A la barbare !
Lyse : Vraiment ?
Marguerite : Vous n’êtes plus pucelle, je ne suis plus femme, nous sommes deux guerrières, allez hop, au combat. Taïaut !
Lyse : Mademoiselle !
Marguerite : Appelle-moi Attila, ce sera mon nom de guerre. Attila ou Shéhérazade ? Il me faudrait un mixte des deux. Impitoyable et sensuelle à la fois…Shéhérattilade ? Bof, je trouverai plus tard. Allons leur tendre une embuscade. Viens fillette, reste derrière moi.
Lyse : Ils sont en bas de la côte.
Marguerite : Taïaut !!! (Elle charge, Lyse l’a suit, Trouilleduc s’enfuit en criant de terreur)
Raimondo, le baron Calatrava et le vagabond
Dans les bois.
Baron : (Plein d’enthousiasme)
Mes amis, chaque jour nous découvrirons des paysages différents, des populations aux coutumes surprenantes, nous vivrons de belles aventures. Les peuples d’orient ont une civilisation qui parait-il est particulièrement subtile et développée. Je me sens tout pétillant de jeunesse à l’idée de les découvrir. Comme Alexandre le grand, nous allons donc unir l’orient et l’occident, mélanger nos savoirs, nos connaissances et faire ainsi jaillir une civilisation plus riche encore.
Finalement cette croisade peut se révéler plus heureuse qu’il me semblait. Tu ne dis rien Raimondo ?
Raimondo : Je m’étais habitué à voyager par le verbe.
Baron : J’ai donc prêché avec succès. Et toi qu’en penses-tu ?
Le vagabond : Aller à la rencontre des gens, oui, c’est une belle chose messire.
Baron : Nous voilà donc en accord messieurs. Dieu et les philosophes se rejoignent en cela que les connaissances théoriques et théologiques ne se suffisent pas et qu’il n’est pas de meilleur moyen que d’aller vers son prochain pour qu’elles prennent enfin leur envole et s’épanouissent entièrement. Connaître précède l’amour.
Le vagabond : C’est vrai que moi plus je connais Raimondo, plus je l’aime.
Raimondo : La ferme !
Baron : Connaître précède aussi l’admiration. Savez-vous que les jardins suspendus de Babylone bouleversèrent Alexandre et ses généraux tant la splendeur de ces lieux leurs parurent céleste. Les superbes conquérants furent à leur tour totalement conquis, béat d’admiration. Etre conquis par la beauté ou conquérir par l’intelligence, voilà le seul titre de conquête qui me paraisse enviable.
Le vagabond : C’est plus facile d’attaquer un village.
Baron : A la portée de n’importe quel imbécile ! Détruire, apanage des minables, gloriole pitoyable. Gloriole nourrie par l’envie, la convoitise et la lâcheté. Fuyons ses gens.
Cris d’une jeune femme poursuivie par deux brutes qui hurlent des injures (Vient ici salope, sale juive. Ah elle m’a mordue, attrape là cette garce, putain on va te former…etc.).
Le vagabond : Ah Messire, en voici justement de ces gens-là. Mettons votre maxime en application. Fuyons !
Baron : Raimondo, nous sommes encore sur mes terres ?
Raimondo : Oui messire.
Baron : Ce sera donc plus facile.
Entre deux brutes dont l’un tient par les cheveux une jeune femme
Jeune femme : (Se débattant) Lâchez-moi, arrêtez, je vous en prie, arrêtez.
Brute 1 : Garce, Putain, aaah tu aimes gigoter. Je vais te donner l’occasion de remuer ta jolie petite croupe va.
Brute 2 : (Entant, furieux) Elle m’a mordu. Sale juive ! (Il l’a frappe, elle tombe à moitié assommée).
Brute 1 : Pas le visage ! Si tu me l’amoches, j’en aurai moins envi.
Brute 2 : Laisse là moi, je vais te la crever tout de suite cette putain (accroupi vers elle, une dague à la main).
Brute 1 : Hé ! (Il donne un coup de pied à la brute 2 qui perd l’équilibre) J’la prends d’abord et tu feras ce que tu veux avec elle après.
Elle tente de se sauver
Brute 2 : (La rattrapant) Deux croisés te font l’honneur de leurs assiduités et tu fais ta dégoûté, juive ? Nous ne sommes donc pas assez bien pour toi ?
Brute 1 : Les manières c’est les manières, ces juives là sont trop maniérées.
Brute 2 : Tu aimes les manières, tu vas voir.
Brute 1 : (Apercevant le baron qui s’avance vers eux) Hé !
Baron : (L’épée à la main. Raimondo et le vagabond sont derrière le baron. Raimondo a aussi une épée à la main) Je suis le baron Nicomède de Calatrava, vous êtes sur mes terres, je vous invite donc à les quitter immédiatement.
La brute1 se relevant
Brute 1 : Vous êtes croisé ? Nous aussi. Je suis le comte Charles de Gresset et voici mon ami le chevalier Pierre de Ligny.
Baron : (Froid) J’attends.
Brute 2 : (Insolent) Monsieur, nous étions en train de compter fleurette à cette demoiselle et n’avons pas fini de…la butiner.
Baron : (Tout aussi insolent) Oh, je n’ai pas l’habitude de me mêler des amourettes de mes semblables mais sous des dehors aristocratiques, j’ai bien peur que vous ne soyez que deux effroyables raclures malmenant une innocente jeune femme, aussi je réitère poliment mais fermement mon invitation, (glacial) partez.
Le vagabond : (bas). Ça va les fâcher, ça.
Brute 1 : Allons baron, tu es jaloux parce que nous avons débusqué une biche appétissante à souhait sur ton domaine. Soit beau joueur, laisse nous la grignoter un peu et nous t’en laisserons un beau morceau, regarde-moi ses cuisses, ce ventre. Attends patiemment ton tour.
Baron : Comte, ta proposition est au moins aussi répugnante que ta face est pustuleuse. En vous observant, toi et ton compagnon, je comprends bien que vous en soyez réduit à devoir forcer une femme pour obtenir ces faveurs. Vilaine frimousse jointe à vilaine allure. Deux bouses sur patte, même l’odeur n’y manque pas.
Le vagabond : (bas) Ça va les fâcher aussi, ça.
Brute 2 : Je vais t’arracher les…
Brute 1 : (Retenant la brute 2) Monsieur est probablement ami des juifs et ne sait pas que depuis que la croisade est déclaré, juifs et musulmans doivent être passé au fil de l’épée…
Baron : Surtout s’ils sont riches et sans défenses. Temps merveilleux qui donnent aux assassines bonnes consciences sous prétexte de foi.
Brute 2 : Vous osez…
Baron : La foi la vraie foi, vous me donnez l’occasion, messires, de vous la démontrer.
Brute 1 : Comment cela ?
Baron : En défendant cette jeune femme. Grand merci, grâce à vous, me voici donc plus chrétien que jamais.
(S’adressant à Raimondo et au vagabond) Révélation céleste! Pour délivrer le saint sépulcre, inutile d’aller à Jérusalem mes amis, le délivrer c’est avant tout lutter contre les parvenus, les intrigants, les calculateurs cupides, les intégristes haineux, les soudards puants. Bref les comtes de Gresset et les chevaliers de Ligny de tous poils et de tout acabit !
Le vagabond : (bas) Ça fait quand même du monde tout ça. Moi je préfère aller à Jérusalem.
Brute 1 : Chevalier.
Brute 2 : Comte.
Brute 1 : Le premier qui lui ouvre les tripes …
Brute 2 : S’amusera avec la juive.
Les deux brutes se jettent l’épée à la main contre le baron. Raimondo, armé se jette aussitôt contre la brute 2. Le baron et Raimondo se battent donc chacun contre un adversaire. Le combat est particulièrement violent.
Baron : (Hurlant au vagabond) La fille !
Le vagabond l’a prend dans ses bras et l’amène au fond de la scène afin qu’elle ne soit pas blessée.
Combat acharné de part et d’autre.
Le baron tue son adversaire mais il est blessé par un coup reçu à la poitrine.
L’adversaire de Raimondo étant un guerrier plus endurci le domine. A un moment critique, le vagabond voyant que Raimondo est sur le point de succomber prend l’un des sacs de voyage et jette sur la brute tout ce qui lui passe par la main en poussant des cris qu’il croit guerrier.
Le soudard se retourne et poursuit le vagabond qu’il effleure d’un coup d’épée, le vagabond s’écroule dramatiquement et pousse des râles à la Talma (Grand comédien tragique).
Raimondo en profite pour se reprendre, il s’élance contre son adversaire et le tue.
Raimondo : (Se précipitant vers le baron) Messire !
Baron : (Se tenant la poitrine, pâle, immobile) Je vais bien mon ami. Occupe-toi de la jeune femme.
Raimondo : Vous êtes blessé !
Baron : La jeune femme !
Allant vers la jeune femme
Raimondo : Mademoiselle ?
Rebecca : (Prostrée) Ça va.
Raimondo : Elle n’est pas blessée, messire.
Le vagabond : (Le vagabond râle, allongé sur le sol) Raaaaghgueueu !
Baron : Et notre courageux pénitent ?
Raimondo l’observe, s’aperçoit qu’il n’a qu’une petite éraflure, va rendre compte au baron.
Raimondo : Il râle avec force conviction. Une petite entaille messire.
Le vagabond : (Mélodramatique) Raaaaghgueeeu. Je m’en vais messire tout doucettement faire un voyage sans retour. J’étais encore si jeune, plein d’espoir et d’innocence. Enfin, on ne choisi pas. Quand c’est l’heure, c’est l’heure. C’est-y pas malheureux.
Baron : Courage mon ami, comment te sens-tu ?
Le vagabond : Couci-couça. Je suis quand même un peu contrarié d’être mortellement blessé messire. Mais bon, j’ai sauvé Raimondo, j’ai sauvé la jeune fille, je vous ai probablement sauvé aussi….ça me console bien, voilà, voilà, voilà. Raaaaghgueeeu.
Baron : Mon ami, je vais te demander d’avoir l’extrême gentillesse de différer ton trépas de quelques instants. Je dois d’abord m’entretenir avec mademoiselle.
Le vagabond : Pour faire plaisir à votre grâce, je vais tacher de mourir plus tard alors.
Baron : Merci. Je t’assisterai ensuite dans tes derniers moments. Si tu as quelque ultime et belle parole à délivrer au monde, nous nous ferons un devoir, Raimondo et moi de les recueillir précieusement.
Le vagabond : Quelque ultime et belle parole au monde ??? (Cherchant désespérément) Heu….
Baron : Prends ton temps. Réfléchi.
Raimondo : (Bas) Vous allez nous le tuer d’une méningite messire.
Le vagabond : Si tu crois que je ne t’entends pas Raimondo, je suis agonisant, je ne suis pas sourd. Irrespectueux va !
Baron : Chut ! Réfléchi mon ami. Nous avons hâte de connaître tes suprêmes recommandations.
Le vagabond : D‘accord (Le vagabond réfléchit).
Baron : Mademoiselle, vous vous nommez ?
Rebecca : Rebecca.
Baron : Rebecca. Prenez ma main. Désormais et jusqu’à la fin de mes jours cette main vous protégera et ne permettra plus jamais qu’il vous arrive malheur. (Il la regarde ému, silence)
Je suis le baron Nicomède de Calatrava et voici Raimondo qui m’accompagne ainsi que notre cher pénitent.
Le vagabond : (Levant le bras) C’est moi.
Baron : Avez-vous de la famille ?
Rebecca : Plus personne.
Raimondo : (La reconnaissant) Votre père n’était pas…
Rebecca : L’apothicaire, oui.
Raimondo : Et aussi un fameux médecin, d’après ce que j’ai entendu dire.
Rebecca : Oui, un fameux médecin et un homme généreux.
Baron : Mon château est à votre disposition, mademoiselle. Allez-y de ma part, vous y serez accueilli chaleureusement.
Rebecca : Je suis juive.
Baron : Vous y serez accueilli chaleureusement.
Rebecca : Bien.
Baron : Je ne peux pas vous y accompagner car nous devons continuer notre voyage. Je serai donc absent quelques mois encore. (Elle part, il l’a rattrape).
J’espère que vous serez encore là à mon retour.
Rebecca : (Elle fait un signe de tête et sort, silence).
Le vagabond : (Petite voix de mourant) Messire, hou hou.
Baron : Oui
Le vagabond : Je…je peux périr maintenant ?
Baron : Péri donc mon ami, péri donc.
Le vagabond : C’est pas que je veuille vous presser… Raaaagghe ça y’est, c’est imminent ! D’un petit pas léger, je quitte cette terre et tous les aphtes qui la composent.
Raimondo : Les affres.
Baron : (Conciliant, bas) Les aphtes en font partie.
Raimondo : M’ouais.
Le vagabond : (Mélodramatique) Aaghueue je ne vois plus, je n’entends plus, même l’odeur des pieds de Raimondo, je ne les sens plus …
Raimondo : Idiot jusqu’au bout.
Le vagabond : Aaaagghe. Les ténèbres, les ténèbres s’entrouvrent devant moi…
Pourvu que Dieu soit aussi sympathique qu’on le dit ? Hein ? N’empêche quand on voit ce qu’il a fait dans l’ancien testament. Et que je te détruis une ville et que je te détruis un peuple, ils m’agacent tous, hop ! Un déluge.
Vous me direz il était jeune mais quand même, un coléreux reste un coléreux. Non finalement j’ai réfléchi, je ne vais pas mourir aujourd’hui, non, je ne le sens pas. Une autre fois. Voilà.
Messire (se levant) on y va ?
Noir
Lagatsi et Trouilleduc :
Lagatsi, le visage meurtri de quelques gnons. Il est assis par terre et est seul sur scène. Quand arrive Trouilleduc, il lui parle très calmement.
Trouilleduc l’appel des coulisses.
Trouilleduc : (Des coulisses) Monsieur, Monsieur, répondez-moi, Monsieur !!!
(Trouilleduc entre en scène très agité et aperçoit Lagatsi). Ah vous voilà. Pourquoi ne répondiez-vous pas ? Je me faisais un sang d’encre de Chine.
Lagatsi : (Qui s’est fait rosser par Marguerite déguisée en barbaresque, très calme) Je te remercie de ta précieuse intervention.
Trouilleduc : Mais …mais je ne suis pas intervenu.
Lagatsi : Non?
Trouilleduc : Ben non. (Comprenant) Aaah, c’est de l’ironie.
Lagatsi : Perspicace en plus.
Trouilleduc : Monsieur est injuste, si je me suis échappé c’est pour quérir du secours.
Lagatsi : Laisse-moi deviner. (Très amer) Tu n’en as pas trouvé ?
Trouilleduc : Je cours très vite, je suis extrêmement véloce, mais je n’ai pas le sens de l’orientation. Je me suis perdu.
Lagatsi : Hum hum… Peut-être aurais-tu pu t’appuyer sur quelques repères visuels ?
Trouilleduc : Quelques repères visuels?
Lagatsi : Oui, par exemple, je ne sais pas, au hasard, le château qui domine la vallée et que l’on voit à dix lieux à la ronde, ou bien le bourg que l’on peut distinguer grâce au clocher de l’église.
Trouilleduc : Le clocher ?
Lagatsi : L’église est en dessous et le village tout autour. (Bas comme disant un secret) Un village avec des gens.
Trouilleduc : Oui, je compr…
Lagatsi : Il est vrai que courir et penser en même temps nécessite une structure mentale complexe.
Trouilleduc : Monsieur…
Lagatsi : Et que les deux ou trois neurones qui forment l’ensemble de ta charpente cérébrale ne peuvent simultanément et diriger ta course trépidante et t’indiquer le chemin à suivre. Peut-être que si tu t’étais arrêter pour réfléchir ??? Mais là, tu n’avançais plus. Dilemme. Courir même au hasard était finalement le meilleur parti à prendre… Une rencontre fortuite.
Trouilleduc : Monsieur me moque injustement. Regardez, moi aussi j’ai été atteint dans mon intégrité corporel. Je suis tombé dans des ronces et me suis mutilé gravement les deux mains, regardez, j’ai encore une épine dans le doigt. Peut-être vais-je attraper un tétanos foudroyant?
Si j’avais pris la cotte de maille que vous ne m’avez pas permis d’emporter, tout cela ne serait pas arrivé.
Lagatsi : (Soudaine révélation) Bouddha, je suis sûr que Bouddha a dû rencontrer un garçon comme toi.
Trouilleduc : Bouddha ? Le gendre de monsieur Delmont ? C’est Boudard qu’il s’appelle. Décidément vous et les noms ça fait deux.
Lagatsi : Je viens de comprendre le secret du détachement absolu. (Pour lui) Arriver à un tel niveau d’imbécillité, on ne réagit plus, on contemple. Bouddha.
Trouilleduc : Boudard !!!
Lagatsi : (Parlant comme un prophète) Laisse-moi te contempler.
Trouilleduc : Monsieur veut me contempler ?
Lagatsi : Oui
Trouilleduc : Ah ? Je ne suis pas à mon avantage, j’ai couru, je suis tout en sueur. Mon meilleur profil est je crois, celui-ci. Encore que l’autre ne se défend pas mal non plus.
Lagatsi : Tu es parfait.
Trouilleduc : Ah ? Monsieur est sincère ? Monsieur n’est pas sans charme non plus. Je vous trouve, avec votre visage quelque peu tuméfié, une séduction à la voyou des bas quartiers qui me trouble et me laisse tout chose. Voyou. (Moqueur) Enfin un voyou qui se fait casser la figure par deux femmes, c’est un voyounet…On c’est fait griffé partout, partout ? Hein mon gros kiki ? (Petit rire) Pardon, n’y prêtez pas attention, c’est mon côté espiègle.
Lagatsi : (A lui-même) Finalement même Bouddha n’aurait pas pu. (Furieux) Ton côté espiègle me dis-tu… Et ton côté martyr, Viens par ici. Porco Puttana ! Je vais t’arracher les viscères, espèce de merde à paillette ! Viens ici !
Trouilleduc : (Se sauvant) Monsieur ! Non ! On ne règle rien avec la violence. Monsieur !
Ils sortent en courant.
Raimondo et Lyse
Raimondo marche seul, un seau à la main. Lyse habillée en berbère est cachée et l’observe.
Elle se place derrière lui et avec un bâton.
Lyse : Tu es mon prisonnier.
Raimondo : Lyse !
Lyse : Je suis sultane et déjà très jalouse. Qui est cette Lyse ?
Raimondo : Lyse…
Lyse : Oh, voilà déjà deux fois que tu la nommes, une troisième fois et par Allah le tout puissant, je te jette au cachot, au pain sec et à l’eau.
Raimondo : Lyse.
Lyse : Tu es mon prisonnier et pourtant c’est moi qui suis à ta merci. Ton cachot sera ma chambre et pour le pain et l’eau, nous verrons bien à nous croquer l’un l’autre.
Raimondo : Lyse !
Lyse : Je ne suis pas bien grosse, mais je me sens assez d’amour pour nourrir un régiment. Tu seras mon régiment exclusif.
Raimondo : Je dois…
Lyse : Et toi, bel inconnu, pourras-tu aussi me nourrir ? J’ai bon appétit.
Raimondo : Bien. On m’attend au…
Lyse : Que me proposes-tu ?
Raimondo : Lyse !!!
Lyse : (Comme si elle lisait une carte de restaurant) Quelques baisers tendres et langoureux pour commencer, m’ouais. Des caresses de plus en plus voluptueuses entrecoupées de soudaines hésitations touchantes et pleines de pudeur. Pourquoi pas. Un enivrement subit, une respiration de plus en plus fébrile, un abandon complet. Oh oui. Ça j’aime…
Raimondo : Je ne peux pas…
Lyse : Et pour finir un « serre-moi fort dans tes bras » tout simple, à l’ancienne, blotti au creux de ton épaule me laissera toute heureuse, toute épanouie.
Raimondo : Regarde-moi Lyse, je ne suis que Raimondo, Raimondo le serf, corvéable à merci. Je ne suis rien. Un sans le sou, plus tout jeune, au service d’un Baron qui va probablement me faire damner. Trouve-toi quelqu’un d’autre.
Lyse : Même sans le sou, même plus tout jeune et même au service d’un Baron qui va probablement te faire damner. Je ne trouverai pas un homme aussi bon et généreux que toi. Et je vous préviens, maître Raimondo, je ne veux plus vous entendre vous débiner sinon je me comporterais comme mademoiselle dans ses moments les plus exaltés…
Raimondo : Son quotidien.
Lyse : Dans ses moments les plus extrêmement exaltés… (Elle l’attrape par le col) je te casserai la figure. (Elle l’embrasse) Mon homme. (Elle se sauve. Au moment du baiser entre le vagabond)
Le vagabond : Messire ne va pas bien, dépêche toi.
Noir.
Marguerite et Blasco dans une salle du château.
Marguerite : Je m’ennuie Blasco. Depuis combien de temps ?
Blasco : (Froid) Dix mois madame.
Marguerite : Et il y en a encore pour…
Blasco : Pour trois, quatre mois madame.
Marguerite : (Long soupir) Que je meure si je survie à cette attente. (Observant Blasco qui boude) Vous m’en voulez encore, je le sens bien.
Blasco : Je ne suis qu’un demeuré.
Marguerite : Mais non ! Vous êtes aussi mon confesseur.
Blasco : (Sec) Merci.
Marguerite : Et à ce titre, je vous trouve bien susceptible, un peu d’estomac que diable.
Blasco : Tiens donc !
Marguerite : A défaut de grands chevaux, ne monter pas sur votre vieille bourrique Blasco. Vous aurez beau vous hausser du cul, vous n’en demeurerez pas moins au ras les fougères.
Blasco : A vos côtés je reste malgré tout un géant.
Marguerite : Je suis petite, soit, mais admirablement bien proportionnée.
Blasco : Oui, comme la teigne ou la vipère.
Marguerite : Pardon !
Blasco : Vous piquez comme l’une et irritez comme l’autre.
Marguerite : Puisque nous en sommes à nous faire des confidences… Savez-vous mon cher Blasco qu’il est de mode pour les dames de cour de porter sur leurs épaules le plus vilain petit singe qui se puisse trouver afin que leur beauté éclate en comparaison de l’animal.
Blasco : Et alors ?
Marguerite : Vous êtes mon petit singe à moi Blasco. Vilain comme tout et toujours à grimacer.
Blasco : Je vous vois toute la journée madame. Simultanément affectée, lascive, pénitente, exaspérée, furieuse, angoissée, satisfaite, passionnée, fougueuse, accablée…j’en passe et des meilleurs. Aussi côté grimace c’est vous qui en imposeriez à un vieux singe et c’est moi, madame, qui suis flatté d’être auprès de vous…Mais je ne m’en vante pas, je m’en navre plutôt.
Marguerite : Quoi ?
Blasco : Vous cherchiez un nom de guerre, essayez donc Cheetah, la célèbre guenon.
Marguerite : Un duel, j’exige un duel, vous me devez réparation !
Blasco : Réparation ? Que voulez vous donc réparer ?
Marguerite : Mes pieds, vous me les cassez depuis un bon moment, je ne le supporte plus. Allez hop, un duel !
Blasco : Un duel, madame, vous êtes une femme.
Marguerite : Bien observé ! Et nous portons tous les deux la robe, ce qui nous met sur un pied d’égalité, allez hop, j’ai dit.
Blasco : Et si on réglait ça plutôt au bras de fer, hum ? Ou aux quilles ?
Marguerite : Blasco, vous avez de la chance que je vous aime, je ne vous tuerai pas aujourd’hui. Mais à la condition, à la condition expresse qu’on règle ça au jeu de paume.
Blasco : Ah non ! Vous gagnez à chaque fois !
Marguerite : C’est pour ça que je veux y jouer ! Je vous somme de vous rendre immédiatement en salle de…
Rebecca : Mademoiselle, frère Blasco. (Révérence)
Marguerite : (Charmante) Ah Rebecca, depuis que tu es installée au château, ta présence nous ravie chaque jour un peu plus
Blasco : (Sous le charme) Je ne puis que confirme les propos de Marguerite.
Marguerite : (Qui lui envoie un coup de poing dans l’estomac. Bas) Oui ben, allez confirmer ailleurs mes propos. Si vous avez envie de dire des gentillesses à une dame je suis là.
Blasco : Heu…
Marguerite : M’ouais. Ouste ! Préparez vous donc à subir une énième défaite, espèce de nul.
(Il sort)
Marguerite : (le regardant sorti, à elle même) Avec sa robe de moine on dirait une cloche. Je finirai bien par lui faire sonner son battant à toute volée à ce gros père. (A Rebecca) Mon enfant ?
Rebecca : Mademoiselle, je suis inquiète, monsieur le Baron, Raimondo et le vagabond ne sont pas réapparus depuis quelques temps. Ce n’est pas normal.
Marguerite : Peut-être se reposent-ils. Une journée tranquille autour d’un feu.
Rebecca : J’en doute.
Marguerite : Pour être franche, un peu moi aussi. Ecoute, si nous ne les apercevons pas aujourd’hui, nous partirons à leurs recherches demain.
Rebecca : Bien mademoiselle.
Noir
Le Baron, Raimondo et le vagabond
Le baron, grelotant, est allongé. Raimondo lui apporte de l’eau suivi du Vagabond, tous deux très inquiets.
Raimondo : Monseigneur ?
Baron : Oui.
Raimondo : Tenez, buvez. Vous avez de la fièvre.
Vagabond : C’est la blessure qui c’est rouverte. Depuis hier soir, monsieur le baron est tout chétif.
Baron : Ça va passer mes amis.
Raimondo : Nous allons nous reposer un moment. (Au vagabond) Va chercher du bois pour le feu (Le vagabond sort, Très inquiet). Je ne sais que faire pour vous guérir, messire. Je ne sais….Retournons au château. Là, dame Marguerite vous soignera en un rien de temps. Dans quelques jours vous serez requinqué, et, si vous le souhaitez, nous repartirons de nouveau.
Baron : C’est moi qui ai de la fièvre et c’est toi qui délire mon bon Raimondo. Comment veux-tu que nous retournions au château alors que nous sommes probablement en pleine Mésopotamie ? A moins que tu ais découvert l’un de ces fameux tapis volants que l’on dépeint dans les contes des milles et une nuit, le trajet ne me parait pas envisageable.
Raimondo : Nous pouvons comme les enfants messire, nous imaginer être ou bon nous semble, en Mésopotamie ou ailleurs, mais qu’arrive un accident et aussitôt nous retournons auprès des nôtres.
Baron : Nous ne sommes pas des enfants et cette croisade n’est pas une plaisanterie.
Raimondo : Messire…
Baron : Ce matin, le baron Nicomède de Calatrava a adressé une prière de remerciement spéciale à Dieu pour lui avoir consenti à surmonter les nombreuses difficultés du voyage. Revenir en arrière serait une insulte à dieu qui l’a assisté jusqu’à aujourd’hui pendant ses douze très long mois.
Vagabond : (Revenant avec du bois) Le bois est bien sec, ça devrait faire une belle flambée.
Baron : (Grelotant) Voilà qui tombe bien vagabond, j’ai froid… j’ai froid.
Raimondo : (Désespéré) Je ne sais plus que faire ?
Vagabond : Si nous retournions à la rivière demander de l’aide à la nymphe qui t’a embrassée ? Elle est gentille, elle pourrait nous aider avec son pouvoir magique…
Raimondo : Quoi ? Qu’est-ce que tu me chantes là ? Tu penses que la jeune femme … ?
Vagabond : Est une nymphe d’eau douce, une naïade même. J’ai l’œil.
Raimondo : M’ouais… (Ne cherchant pas à discuter) Après tout, si tu y tiens.
Vagabond : En matière de nymphe, je les connais toutes. Il y a les oréades qui sont les nymphes de montagnes, les dryades qui sont les nymphes des bois, les néréides qui sont les nymphes des mers. Elles sont gentilles, je suis sûr que si on les implore, l’une d’entre elles au moins viendra nous aider.
Raimondo : Implore-les si tu veux mais fais d’abord un feu.
Vagabond : Tu as raison, autour d’un feu ça fera plus incantatoire. Je vais toutes les invoquer, toutes, comme ça, on est sûr.
Baron : (Commençant à délirer) Une nymphe, tu veux quérir une nymphe pour moi mon ami ? Autrefois, j’en fréquentais quelques unes, douces, tendres, voluptueuses.
Vagabond : Ah ?
Baron : Oui, c’était des nymphes de … tavernes je crois et qui pour quatre livres tournois prodiguaient de ces miracles.
Vagabond : Ah ?
Baron : Elles étaient peut-être moins magiques que celles de la mythologie mais je les aimais bien quand même. (Soudain grave) J’ai de plus en plus froid Raimondo.
Raimondo : C’est la plaie Monseigneur, elle s’empoisonne… Je ne sais que faire ?
Vagabond : (Commençant à paniquer, il implore) Nymphe de la nuit ou nymphe du soleil. Nymphe des bois, nymphe de l’eau, des papillons, des feuilles, des oiseaux, du vent et des grottes, des anémones à fleurs de narcisses, des bruyères cendrés … Bref, quelque soit ta spécialité petite nymphe, au secours !!!
Baron : Toutes ses divinités invoquées pour moi ?
Raimondo : Ne bouger pas messire, la plaie saigne de nouveau.
Vagabond : (Courant partout) Nymphe des coquelicots, des boulots blancs, des pins parasol, des châtaignés et des écureuils, nymphes des bacs à sables, si tu existes, on est là, Hou hou !!!
Baron : Par ici!
Raimondo : Ne bougez pas.
Baron : Je les invoque aussi.
Vagabond : Nymphe des pèlerines bleues, des coiffes à cornes, des hauts de chausses et des chemises de laine, Nymphes des …
Raimondo : Suffit vagabond ! Il nous faut du silence.
Vagabond : Oh pardon ! Je vais les implorer dans ma tête alors, je suis sûr qu’elles m’entendront tout aussi bien.
Raimondo : C’est ça !
Le vagabond fait le même jeu que précédemment, c'est-à-dire qu’il va de droite à gauche en faisant moult mimiques à la place de citer les nymphes.
Baron : La plaie Raimondo, il faut la nettoyer de nouveau.
Raimondo : C’est pour ça que je vais faire chauffer de l’eau messire, j’ai quelques linges qui vont nous servir de bandage.
Baron : Bien, c’est bien.
Vagabond : (Revenant soudain) Pardon…Comment nomme-t-on déjà les profondeurs des océans, Hein ? Là où c’est tout sombre et où personne ne va pécher ?
Baron : Les abysses.
Vagabond : C’est ça oui ! Merci. (Il repart en marmonnant) Nymphes des abysses…
Raimondo : Je vais aussi passer la lame dans le feu. Il va falloir vous ôter quelques lambeaux de peau messire…
Baron : Fait comme tu l’entends.
Vagabond : (Revenant) Et la... le lieu où l’on garde pleins de petits enfants, hein?
Ça s’appelle comment déjà ?
Baron : Une pouponnière ?
Vagabond : Ça doit être ça, oui ! Merci. (Il repart en marmonnant) Nymphes des pouponnières…
Baron : Il ne veut pas en oublier une seule, c’est assez touchant finalement.
Raimondo : M’ouais, j’espère simplement qu’il ne va pas revenir toutes les 3 minu…
Vagabond : (Revenant) Et les cris du rhinocéros, ça s’appelle comment déjà, hein ?
Raimondo : Oh ! Tu nous ennuis maintenant! Fous-moi le camp !
Vagabond : Mais…faut pas négliger rien ! Si monseigneur va mourir c’est peut-être à cause de toi !
Raimondo : Dégage ! Allez !
Vagabond : Méchant homme ! Peut-être que c’est justement cette nymphe là qui va lui sauver (Apparaît Rebecca) la vie…
Rebecca : Bonjour.
Vagabond : (Il l’a regarde, étonné, il ne peut pas parler) Ah !
Raimondo : (A Rebecca) Enfin quelqu’un qui fait taire cet imbécile, vous êtes une vraie divinité mademoiselle.
Rebecca : Voilà deux jours que le bivouac ne bouge plus.
Raimondo : C’est la blessure de Monsieur le Baron, elle s’infecte. Je ne sais plus quoi faire.
Rebecca : J’ai amené un onguent. (Raimondo l’a regarde étonné) Mon père m’a apprit quelques médecines.
Raimondo : C’est le ciel qui vous envoi mademoiselle.
Vagabond : (Bas, agacé) Bibi aussi hein!
Baron : (Fiévreux, délirant à moitié) Rebecca ?
Rebecca : Monsieur le Baron (Elle sort l’onguent, se penche sur lui, ouvre sa chemise, met l’onguent sur un tissu et délicatement lui pose sur sa blessure. Ils se regardent avec infiniment de tendresse, elle commence à chanter une chanson juive très douce et une fois l’onguent posé, elle le prend tendrement dans ses bras. Il ne tremble plus).
Raimondo : (Au vagabond qui regarde la scène ému) Viens, on va chercher du bois.
Vagabond : (Qui n’a pas compris) Mais j’en ai déjà amené… (Comprenant soudain) Ah oui, du bois d’arbre !
Entre Trouilleduc et Lagatsi. Ils sont épuisés par une marche forcée.
Trouilleduc : (Marchant péniblement derrière Lagatzi) Monsieur, Monsieur….
Lagatsi : (Ereinté aussi) On va les rattraper, plus vite, plus vite…
Trouilleduc : Monsieur… J’en peux plus, assez (Il s’écroule).
Lagatsi : Avanti ! Coglione ! Avanti !
Trouilleduc : Allez de l’avant si vous le voulez, moi, moi, je me repose un peu…en peux plus.
Lagatsi : Qué ?
Trouilleduc : En peux plus, même parler… en peux plus.
Lagatsi : Porca puttana ! Debout !
Trouilleduc : Puisque vous y tenez, en passant, allez donc nous délivrer Marrakech ou Zanzibar maître Lagatzi. De toute façon, moi sans ma cotte de maille…. vous me raconterez.
Lagatsi : (Se radoucissant) Ma ! Allez mon petit, hum… Ils ne bougent plus depuis quatre jours, on gagne du terrain ! On les tient ! Allez, go ! (Chantant) Un kilomètre à pied, ça use, ça use, un kilomètre à pied, ça use… Allez.
Trouilleduc : Peuh…Je ne sais, je ne sais…Au fond, tout cela en vaut-il vraiment la peine ?
Lagatsi : Ma ! (Très affirmatif) Si ! Ah si! Si, si.
Trouilleduc : Que vous dîtes. Mais quand on y songe vraiment… L’homme, bien souvent l’homme se fourvoie l’existence en de ridicules peccadilles. Que de petits soucis nous créons nous, que de petites contrariétés et déplaisirs engendrons nous et pendant tout ce temps, la vie passe ici ou là, à côté de nous, simple et facile. Cette vie qui nous frôle, nous effleure et que nous ne saisissons pas…Fous que nous sommes.
Lagatsi : Maintenant que tu le dis. Bon ! On y va ?
Trouilleduc : Ne serait-il pas plus simple de prendre conscience de tous ce qui nous entoure, de prendre conscience de la beauté de cet arbre, de la douceur de cette herbe sous la plante de mes petits pieds frêles et délicats, de ce rayon de soleil qui me chauffe délicieusement la nuque….avec peut-être un peu trop de vivacité tout de même, ça finirai par brûler, mais peu me chaut, si j’ose dire, cela reste exquis tout de même. Et prenant conscience de cette herbe, de cet arbre, de ce soleil sur ma nuque…qui va finir par calciner, houlà vite, un foulard, j’ai une peau de roux moi, je ne bronze pas je rôtie, exprimer le rejet de tout ce qui n’est pas essentiel à l’existence par un vigoureux et implacable : zut.
Lagatsi : Ah ? C’est pas bête ça. Bon, on y va ?!
Trouilleduc : Non ! On n’y va pas, non. Vous ne m’accordez quelques attentions que pour mieux me manipuler, basses manœuvres sournoises… Ah ! Que c’est berk ! Et c’est sur vous, sur votre visage de despote enténébré que je le jette ce vigoureux et implacable zut maître Lagatzi. Oui comme Sénèque face à Néron, comme Spartacus face à Crassus, comme Cicéron face à Marc Antoine, je m’affranchie de votre tyrannie et m’en vais tout guilleret courir les vastes pâturages, emplir mon panier de coquelicots et de pétunias. Adieu le monde sordide de la finance et des prêteurs sur gage, vive…
Lagatsi : (Froid, très menaçant) Dis moi, tes modèles, Spartacus, Sénèque, Cicécarré…
Trouilleduc : (Commençant à s’inquiéter) Ron…Cicéron. Vraiment, vous et les noms…
Lagatsi : (Glacial) Je faisais un peu d’humour.
Trouilleduc : Ah oui, je saisi. Cicécarré, Cicérectangle…. Cicétunlosange. Dès que je peux placer cette boutade quelque part…
Lagatsi : Bene, revenons à tes modèles. Comment sont-ils morts déjà?
Trouilleduc : (Soudain, moins exalté) De mort très… très différente les uns des autres
Lagatsi : (Très menaçant) Ils ont tous été exécutés de façons très différentes les uns des autres.
Trouilleduc : Oui.
Lagatsi : (Silence glacial, puis) On y va ?
Trouilleduc : Oui. (Il se lève) Ça m’a fait du bien d’extérioriser.
Lagatsi : Tant mieux.
Trouilleduc : Vous savez, parfois je suis bien soucieux.
Lagatsi : Faut pas.
Trouilleduc : Oui, c’est assez juste comme remarque et ça m’aide beaucoup.
Lagatsi : Chante quelque chose, ça te fera du bien.
Trouilleduc : Pardon ?
Lagatsi : (Il chante) Un kilomètre à pied ça use, ça use, un kilomètre à pied, ça use les souliers. La suite !
Trouilleduc : Heu, ne me dîtes rien, après un… (Il réfléchie) je subodore deux ? Deux kilomètre à pied ?
Lagatsi : C’est ça, en chœur, (Ils sortent en chantant tous les deux) Deux kilomètres à pied, ça use, ça use… Noir
Raimondo est dans l’arbre, le baron en bas et le vagabond un peu plus loin. La fatigue commence à se faire grandement ressentir.
Baron : Vois-tu quelque chose ?
Raimondo : (Ne sachant qu’inventer) Heu…oui, je crois, je crois que je vois….
Baron : Tu crois que tu vois !?! Te voici donc un disciple de la philosophie sceptique, doctrine du grand Timon de Phlionte. Tu doutes et opposes donc à toute raison valable, et sur tout sujet, une raison contraire et tout aussi convaincante. Est-ce cela ?
Raimondo : (Qui n’a rien comprit) Non messire.
Baron : Alors puisque tu ne doutes point et que ta raison est cohérente, que vois-tu ?
Raimondo : (Ne sachant que dire) C’est difficile à dire, messire.
Baron : En mots simples, Raimondo, en mots simples.
Raimondo : Tiens ! Là bas, je vois, oui, je vois deux ânes qui passent.
Entre Trouilleduc et Lagatzi, éreintés !
Lagatzi : (Marchant éreinté appuyé sur Trouilleduc, aux 3 compères) On vous rattrapera, va ! On vous rattrapera ! Porco Vacca !
Trouilleduc : (A deux doigts du coma, chantant) 8 927 kilomètres, ça use, ça use, 8 927 kilomètres ça use mes petits pieds... (Ils sortent).
Baron : Et puis ?
Raimondo : Et puis?
Baron : N’aperçois-tu pas les murailles de Damas ?
Raimondo : Oui messire, oui, je ne savais pas que c’était cette ville là, mais oui, d’après ce que vous m’en avez dit, je reconnais Damas maintenant.
Baron : (Ravi) Messieurs, nous pouvons nous réjouir d’avoir enfin atteint l’une des plus fabuleuses villes du Moyen-Orient.
Vagabond : Waouh !
Baron : Selon la légende, le prophète Mahomet qui revenait de la Mecque, a aperçu Damas d'une montagne, mais il a refusé de s’y rendre parce qu'il ne voulait entrer au paradis qu'une seule fois, lorsqu’il mourrait.
Raimondo : La ville semble très belle messire.
Baron : Décrit la nous.
Raimondo : Comme je disais, il y a des murailles…
Baron : Le passage de la civilisation romaine a laissé d’impressionnants remparts autour de la ville ainsi que le temple de Jupiter. Tu le vois ?
Raimondo : Oui, oui à côté de…
Baron : De la citadelle ?
Raimondo : Oui.
Baron : Quel œil, mon ami. Tu vois un temple qui n’existe plus tout à fait mais à l’emplacement duquel se trouve la Grande et sublime Mosquée des Omeyyades du VIIIe siècle. Sais-tu qu’à l'intérieur, la salle de prière renferme le tombeau de Jean-Baptiste, cousin de notre seigneur Jésus Christ. Musulmans et Chrétiens honorent parfois les mêmes prophètes.
Raimondo : (Un peu agacé) D’où je suis, je ne vois pas tout ça, messire.
Baron : Pardonne-moi, Raimondo. Parle-nous de la ville
Raimondo : (Cherchant ce qu’il va dire) Messire, cette ville est …
Baron : Complexe, n’est-ce pas. Comment la décrire ? Je préfère être en bas de l’arbre qu’à ta place Raimondo. Décrire une ville dont la fondation remonte au troisième millénaire avant J.C ne me parait pas chose aisé. D’autant qu’une multitude de civilisations s’y sont succédées en y laissant des traces exceptionnelles. Hébreux, Assyriens, Babyloniens, Perses, Macédoniens, Romains, Omeyyades, Mongols…
Vagabond : Olala.
Baron : Tous y ont apporté leurs savoirs faire et leurs génies et tous ont façonné cette ville pour en faire l’un des plus fascinant joyaux du Moyen-Orient, joyaux que nous contemplons maintenant et qui ne peut s’admirer véritablement que par le cœur et non pas par l’intellect. Il faut ressentir les choses et non pas les disséquer.
Cher Raimondo, tu nous as admirablement bien instruit, tu peux descendre, on continu. (Il sort)
Vagabond : (A Raimondo, un peu déçu) Tu me laisseras monter à ta place la prochaine fois, moi j’ai rien vu.
Au château. Blasco et Marguerite. Lourd silence.
Marguerite : (Tenant une lettre à la main) Je suis atterrée.
Blasco : J’ai reçu ce courrier ce matin.
Marguerite : Comment est-ce possible ?
Blasco : Le nouvel évêque considère que l’initiative de votre frère est une « pitrerie » et refuse de reconnaître cette croisade.
Marguerite : Alors les dettes ?
Blasco : Ne seront pas remises.
Marguerite : Après plus de quinze mois de marche ! Vous les avez vus ? Ils sont épuisés et cette chaleur accablante… Ne ferait-il pas aussi chaud là bas en orient ? Ne souffriraient-ils pas autant ?
Blasco : Le nouvel évêque ne reviendra pas sur sa décision, ce serait reconnaître qu’il peut-être faillible.
Marguerite : Ce serait reconnaître qu’il peut-être honnête.
Blasco : (Mou dubitative) Au dépend de sa superbe.
Marguerite : (Comme une petite fille perdue) Blasco, qu’est-ce que je dois faire ?
Blasco : Il va falloir prévenir votre frère, Marguerite. Inutile de continuer.
Marguerite : Vous croyez ?
Blasco : A quelque chose, malheur est bon. Je les ai croisés hier après midi, éreintés. Autant que ce calvaire s’achève maintenant.
Marguerite : Si près du but.
Blasco : Ou se trouvent-ils ?
Marguerite : Du côté d’Haïfa, je crois.
Blasco : (Pensif) Oui, en quelques jours ils y étaient.
Marguerite : (Rêveuse) Jérusalem.
Blasco : (Rêveur) Le saint Sépulcre.
Marguerite : (Rêveuse) Jérusalem… que de sueur, que de peine, que de faim, que de froid, que de douleur, que de pénitence, Jérusalem…
Blasco : (Rêveur) Que de fatigue, que de désespoir, que de dévouement.
Marguerite : Ah ! Blasco, ce nouvel évêque, quelle pompe à merde !
Blasco : Marguerite !
Marguerite : Quoi ? Vous n’êtes pas de mon avis ?
Blasco : La nuance, vous savez ce que cela veut dire ?
Marguerite : Peuh… Les demi-propos pour les demi-hommes !
Blasco : Et les arrêts souverains pour les souverains crétins !
Marguerite : Blasco ! Ça y’est ! Oui, ça y’est ! Vous me crispez de nouveau!
Blasco : Ça faisait longtemps.
Marguerite : Pendant quelques instants vous vous êtes oubliez, vous en deveniez presque attachant et là, vous redevenez vous-même. Déception !
Blasco : Je ne pourrais pas en dire autant pour vous, quelle que soit la situation, vous êtes toujours égal à vous-même… Une harpie !
Marguerite : Retirez ça tout de suite, ou…
Blasco : Ou ?
Marguerite : Je le dirai à mon frère !
Blasco : Allez donc lui apportez du même coup la décision de l’évêque.
Marguerite : (Soudainement accablée) Oh non, je n’oserai jamais, jamais.
Blasco : (Doux) Je viendrai avec vous, si vous voulez.
Marguerite : Vous feriez ça ?
Blasco : Oui.
Marguerite : Mon Blascounet ! Je vous aime, vous savez.
Blasco : Je croyais que ma personne vous irritait.
Marguerite : Une partie seulement, l’autre sait me faire oublier votre côté ronchon et vieux gars mal dégrossis et borné.
Blasco : (Un chouia ironique) Merci.
Marguerite : (Innocente comme le jour) C’est sincère. Et puisque nous en sommes à nous faire des aveux, et que je parle de vous par fragment, il y a une petite partie de vous que j’aimerais tellement découvrir, mon Blasco. Me la montrerez-vous ?
Blasco : (Très méfiant) Marguerite.
Marguerite : Je parlais de votre goupillon, je rêve de vous le voir brandi …
Blasco : Marguerite !!! (Il sort)
Noir
Lagatsi et Trouilleduc entrent complètement épuisés.
Lagatsi : Raaaaaghgueueu !
Trouilleduc : (Marchant comme un zombie tant la chaleur et la fatigue l’écrase) 128 732 kilomètres à pieds, ça use, ça use…
Lagatsi : (Il tombe sur le cul et tend son bras vers Trouilleduc) A boire.
Trouilleduc : (Qui s’arrête, debout, concentré pour ne pas tomber aussi) Y’a pu.
Lagatsi : Va chercher.
Trouilleduc : (Abruti de fatigue) Veux pu.
Lagatsi : On n’est ou ?
Trouilleduc : Ch’ais pu.
Lagatsi : Aide-moi à me lever.
Trouilleduc : Peux pu.
Lagatsi : (Tentent de se lever) Allez, avanti.
Trouilleduc : (Sans bouger) Avanti pu.
Lagatsi : (Presque debout, après de grands efforts) On les a rattrapé, j’suis sûr ! Dès qu’ils arrivent… coups de poings dans la tronche.
Trouilleduc : Coups de poings dans la tronche pu.
Lagatsi : Le carnet, donne moi le carnet.
Trouilleduc : (Il cherche vaguement puis…) Perdu.
Lagatsi : Aaghgue ! T’as perdu le carnet ? (il pleure d’épuisement).
Trouilleduc : Bévue.
Lagatsi : Mon carnet (il pleure de plus belle) On ne sait plus on l’on est alors ? Je veux rentrer à la maisoooon.
Trouilleduc : (A Lagatsi) Déconvenue.
Lagatsi : (Pleurant, il s’affale) J’ai mal partout.
Trouilleduc : Etendu.
Lagatsi : Non, non, reprends toi Lagatsi, reprends toi (Il se redresse).
Trouilleduc : Plus étendu.
Lagatsi : Pense à l’argent qu’il te doit, ce maudit baronnet. (Il veut se relever et s’écroule).
Trouilleduc : Re Etendu.
Lagatsi : Mes sous, je veux mes sous ! (Il se redresse).
Trouilleduc : Plus Re étendu.
Lagatsi : Dès que je l’attrape je le …Ah ! (Il veut se relever et s’écroule).
Trouilleduc : Re re Etendu.
Lagatsi : Ça suffit maintenant, Lagatsi, debout ! (Il se redresse).
Trouilleduc : Plus Re re étendu.
Arrive le baron ainsi que Raimondo et le vagabond. Ils sont, eux aussi, très fatigués
Trouilleduc : Oh, des barbus.
Baron : Messieurs !
Lagatsi : Halte. Baron, nous sommes au même niveau maintenant. J’ai gagné, payez !
Baron : Nous ne sommes pas au même niveau, vous nous avez dépassés voici trois jours. A trop vouloir gagner, vous allez perdre.
Lagatsi : Ma !
Baron : Ne bougez pas Lagatsi et dans trois jours, vous serez satisfait. (Ils sortent).
Lagatsi : Ma ! (Furieux, il donne des coups de poings sur le sol).
Trouilleduc : (Les regardant partir) Fichu.
Lagatsi : Ma !
Trouilleduc : (Voyant arriver Marguerite et Blasco) Oh 22, v’là la malotrue.
Lagatsi : La malotrue ?
Trouilleduc : Oui, celle qui vous a haché menu.
Lagatsi : La…. Argheu ! Elle ne m’aura pas une seconde fois, aide moi à me lever, vite.
Trouilleduc : (Il ne parvient pas à le lever) Trop ventru !
Lagatsi : Un peu d’énergie, que diable !
Trouilleduc : (Seconde tentative tout aussi inutile) Trop gras du cul !
Lagatsi : Ah ! Quelle mauviette tu fais.
Trouilleduc : (Désolé) Mes muscles…fondus
Lagatsi : Si je ne peux pas me sauver… me camoufler ! Oui, c’est ça ! Me camoufler en…
Trouilleduc : En Hurluberlu ?
Lagatsi : Non ! Arrête avec tes rimes en u.
Trouilleduc : (Montrant le soleil) Cerveau bouillu, cerveau foutu.
Lagatsi : Il fait une chaleur à crever… Je suis en eau…En eau ? Tiens, on va se camoufler en fontaine.
Trouilleduc : Idée biscornue.
Lagatsi : J’ai vu ça une fois dans une représentation dramaturgique. Deux comédiennes mimaient une fontaine, avec les jets et les flip-flap, c’était beau. Puisque je suis à terre, je vais faire le plateau et toi, toi, tu fais la fontaine.
Trouilleduc : Plus de jus.
Lagatsi : Un effort ! Allez passe derrière moi et fais flip flip flip
Trouilleduc : (Il passe derrière) Flup flup flup
Lagatsi : Flipeeeeux ! Tu interprètes la fontaine comme une merde, coglione! Je ne sais pas moi ? Sois sincère, sois naturel, joues moi les flips avec conviction, redécouvre la fontaine qui sommeil en toi, remémore toi ton enfance de petite fontaine alors que tu n’étais encore qu’une barre de cuivre parmi d’autres métaux quelconques. Souviens-toi du jour où le maitre de forge t’a choisi et de l’émotion que tu en as ressentie. Revis de nouveau ton passage à l’âge de cylindre puis tes premiers rapports avec le réservoir et la pompe, ne me dis pas que ça ne te cause pas tout ça ?
Trouilleduc : Plup, plup, plup ?
Lagatsi : Mieux ! Réinvente plus tes plups et ce sera parfait. (Arrivent Blasco et Marguerite) Les voici. (Trouilleduc debout derrière Lagatsi fait Plup. Lagatsi sur les genoux, les mains en anse représente le plateau et fait clic clic en réponse aux plups de Trouilleduc).
Entre Blasco et Marguerite. Lagatsi et Trouilleduc ne les entendent pas.
Marguerite : Regardez-moi ses deux imbéciles.
Blasco : Ignorez les Marguerite.
Marguerite : Je n’ai même pas le cœur à leurs chercher noises.
Blasco et marguerite passent en les ignorants.
Lagatsi : Ça marche !
Trouilleduc : Inattendu !
Lagatsi : Ma ! Quelle performance!
Trouilleduc : Je suis confondu.
Lagatsi : Et encore, nous n’avons pas eu le temps de répéter. Quand j’y pense, imagine le succès que nous pourrions avoir lorsque je songe à toutes les autres interprétations que nous pourrions transcender. Chaire en bois avec accoudoir, table à rallonge bardé de plaques de fer, Pont-levis à flèches et à chaines, et couronnement de ma future carrière : la superbe armoire de la cathédrale de Noyon.
Trouilleduc : J’mangerai bien une laitue.
Lagatsi : Je viens d’inventer un genre qui n’existe pas encore, comédien de mobiliers d’art et d’objets!
Trouilleduc : Vive la bourguignonne fondue !
Lagatsi : Je serai le plus illustre dans mon domaine ! Mais, fléau des décorateurs et autres scénographes, ils se ligueront contre moi et attenteront à mon être. Un matin, l’on me retrouvera, le sternum défoncé à coup de lit à baldaquins. Mort atroce.
Trouilleduc : (Soudain agité) Plup, plup, plup !
Lagatsi : Hein ? Attends, tu me prends au dépourvu, vas-y, relance moi.
Trouilleduc :(Montrant au loin) Plup, plup, plup !
Lagatsi : (Regardant au loin) Ah, je comprends. Les revoilà, vite, reprenons nos rôles.
Entre Marguerite, Blasco, Baron de Calatrava, Raimondo et le vagabond.
Ils entrent d’un bas lent et triste soudain :
Baron : (Il s’arrête soudain) Non.
Blasco : Pardon ?
Baron : Oh ?! Je soliloquais mon bon Blasco et je viens de terminer mon raisonnement par non.
Blasco : Mais encore ?
Baron : Nous n’abandonnerons pas.
Raimondo : Enfin, puisque l’évêque dit que…
Baron : C’est son opinion.
Vagabond : Comme le pape !
Baron : Voilà ! Et comme je ne la partage pas, cette opinion, renoncer serait lui donner raison.
Blasco : Mais continuer….
Baron : Serait démontrer par là que nous sommes fidèle à la parole donnée et bien plus important encore, fidèle à nous même.
Blasco : Mais d’autres cèderaient.
Baron : Qu’ils cèdent, c’est leur affaire. La mienne consiste à me rendre à Jérusalem coute que coute.
Blasco : Pour rien.
Baron : Pour tout. Pour la fatigue et la souffrance que nous avons enduré pendant tous ce voyage, Pour l’estime que je me porte, pour l’amitié que je ressens envers mes deux compagnons de routes, pour le serment que j’ai prêté à notre ancien évêque, pour le nouvel amour que dieu m’a accordé en mettant sur mon chemin la douce Rebecca, pour ma petite sœur dont je souhaite gagner la fierté, pour vous aussi Blasco qui m’avez tanné durant des semaines et que j’ai enfin écouté parce que vous m’avez convaincu et que je vous estime profondément.
Raimondo : Messire, me permettez-vous de vous dire quelque chose sans que vous vous fâchiez ?
Baron : Je permets.
Raimondo : Toutes ses choses que vous avez nommées, vous les avez déjà. Nous sommes éreintés, écrasés par la chaleur, plus d’eau, les sources sont taries. Puisque l’évêque ne vous accorde plus de remise, la logique, je sais que vous y êtes sensible, la logique donc est plus en faveur de frère Blasco. Retournons au château, reprenons des forces et préparons-nous à faire face aux échéances à venir.
Baron : Logique de comptable, je n’y suis pas sensible.
Lagatsi : (Sortant de son rôle, se relevant d’un coup) Qué !!!!
Baron : (Moqueur) En voilà un qui te comprend.
Lagatsi : Qu’ai-je entendu ?
Trouilleduc : (A Lagatsi) Ben, plus Plup, plup, plup ?
Lagatsi : Le nouvel évêque ne reconnaît pas notre croisade ?
Baron : J’en ai bien peur.
Lagatsi : Quelle pompe à chiotte !
Marguerite : (Moqueuse, à Blasco) Subtile variante.
Lagatsi : Managia la miséria, porco vescovo ! Je lui arracherai ses trippes à ce Juda mitré. L’évêché m’est débiteur…Dès demain j’exige qu’ils me remboursent. Arguueeh !
Baron : Bravo !
Lagatsi : Et quand à toi baronnet, je vais te ruiner sur le champ. Inutile de retourner chez toi, tu n’as plus de château. Ah ! Tu aimes la vie au grand air, tu aimes les longues promenades épuisantes, mourir de faim et de soif…rassure toi, tu vas être satisfait, tu vas… (Pris d’un malaise, il s’écroule).
Blasco : (Se penchant sur Lagatsi) Il est à moitié mort de soif.
Baron : Raimondo, donne-lui de l’eau.
Raimondo : Il nous en reste peu et puisque messire veut continuer le chemin…
Baron : Donne-lui.
Blasco : C’est vous qui allez mourir de soif.
Baron : Dieu ne nous abandonnera pas, n’est-ce pas ? Sers donc à boire au sieur Lagatsi. (Raimondo donne le peu d’eau qu’il reste à Lagatsi).
Blasco : Renoncez, messire, renoncez.
Vagabond : Lagatsi ? Vous avez dit Lagatsi?
Baron : Messieurs en route.
Lagatsi : Aagghue. Ma ! Que se passa…je… je suis tombé dans les pommes ?
Blasco : C’est le baron qui vous a sauvé, il vous a donné son eau, toute son eau, il n’en a plus maintenant. Monsieur Lagatsi, le geste de messire est d’une grande noblesse, non ?
Vagabond : (Révélation) Lagatsi !
Lagatsi : Si ! Très, merci. Et dès que je serai dans mon nouveau château, je lui ferai parvenir une carafe entière avec trois pailles, pour lui et ses deux compères. Mon geste aussi est d’une grande noblesse, non ?
Baron : Partons
Vagabond : Non ! Je dois dire quelque chose de très important! Ne vous inquiétez pas messire, je vais retourner la situation en dévoilant mon secret à moi. Je suis un enfant du péché et je recherche mon père qui est d’origine italienne. (Soudain très grave) Maitre Lagatsi, regardez moi bien, ne voyez-vous pas comme un miroir de vous-même sur mon visage ?
Lagatsi : Qué ?
Vagabond : Je suis le fils caché que vous n’avez pas voulu reconnaître, maître Andréano Lagatzi. Oui, c’est moi, le fils dit batard, le fils honteux, le fils de l’amour avec ma maman.
Lagatsi : Qué ?
Vagabond : Papa. Je t’en supplie, ne ruine pas messire, il a été si bon pour moi. Je travaillerai à l’école.
Lagatsi : Qué ?
Vagabond : Papa… Vous êtes bien Andréano Lagatzi ?
Lagatsi : Pas Andréano, Luigi.
Vagabond : Luigi ? Ah ? Mais Lagatzi tout de même ? (Epelant) l a g a t z i
Lagatsi : Non, (Epelant) l a g a t s i
Vagabond : Ah? Alors je, je… me serais trompé de personne?
Lagatsi : En même temps, nous devons avoir à peu près le même âge, c’est un indice, non ?
Vagabond : C’est une opinion que j’entends.
Lagatsi : Tu fais bien… (Avec mépris) Fiston.
Raimondo : C’est le retournement de situation le plus nul que j’ai jamais vu.
Vagabond : Critique pas, espèce de sans cœur, je suis de nouveau un bébé tout seul et tout abandonné (Il commence à sangloter)
Trouilleduc : Attendez, Moi aussi je veux faire un aveu capital.
Lagatsi : (Râlant) Olalala
Trouilleduc : Trouilleduc n’est pas vraiment mon nom, c’est un nom d’emprunt pour passer inaperçu.
Baron : Félicitation.
Trouilleduc : Je m’appelle en fait Léon, Léon Nabuchodonosor, comme le roi de Babylone, mais comme personne ne me prenait au sérieux et que l’on moquait mon nom sans cesse, j’ai travesti mon identité.
Lagatsi : (S’en fichant complètement) Bon allez, j’ai un château à saisir moi.
Marguerite : Tout doux mon beau merle, montrez nous le document de reconnaissance de dette.
Lagatsi : (Ricanant) Vous voulez gagner du temps ? Pathétique. Sachez, ma petite dame, que je ne me déplace jamais sans mes documents les plus importants. Toi, là, Trouduc…ah non ! Machin Chodonosor, sa majesté Nabu…que du Cahors (il rit méchamment) la seule majesté qui saute aux yeux quand on te regarde, c’est ta foudroyante nullité, allez miss Babylone, montre donc le papier à ces braves gens. Qu’ils s’en repaissent tous leurs soûls.
Trouilleduc : Maître Lagatsi, je ne supporte plus vos brimades, je ne peux plus… non. Tenez (Il ouvre le sac et en sort des papiers qu’il déchire et jette aux vents) voilà vos papiers et voilà ce que j’en fais !
Lagatsi : (Hurlant) Nooon !!!!
Trouilleduc : Vous ne tenez plus personne, il n’y a plus de preuves, tout le monde est libre. C’est la revanche des Spartacus !!!! (Il tombe dans les pommes).
Lagatsi : Ahhghgueue !!! J’vais te crever comme une charogne ! (Il tombe dans les pommes).
Silence
Baron : Vous savez Blasco, je vais finir par croire en dieu.
Blasco : Moi aussi.
Noir
Au château, Lyse toute animée et Rebecca.
Lyse : (Entrant à Rebecca) Je crois que ces messieurs ne vont pas tarder.
Rebecca : Ils sont épuisés.
Lyse : On le serait à moins. Hier, ils sont enfin arrivés aux portes de la grande Jérusalem.
Rebecca : Et aujourd’hui?
Lyse : Ils sont de retour à la maison.
Rebecca : (Etonnée) Le retour fut plus bref.
Lyse : Le baron n’avait donné sa parole que pour faire le voyage jusqu’à la dernière demeure du Christ.
Rebecca : Le baron a bien eut raison d’agir ainsi.
Lyse : Point trop n’en faut et puisque la croisade a été accomplie… (Soliloquant) Mon doux Raimondo, voilà un an et demi que j’ai hâte de rattraper.
Rebecca : Je suis contente pour toi Lyse. Ton homme te rendra heureuse.
Lyse : Ce n’est pas encore mon homme, il ne s’est pas encore déclaré.
Rebecca : Non?
Lyse : Ce n’est qu’une formalité puisque j’ai déjà dit oui. Mais c’est une petite formalité que je vais lui imposer tout de même.
Rebecca : Quand à moi, je ne sais pas ce que je vais devenir.
Lyse : Moi, je le sais.
Rebecca : Comment ça ?
Lyse : Je lis dans les astres…et aussi dans les cœurs.
Rebecca : Et ne crois-tu pas te tromper ?
Lyse : Jamais ! Quand les astres et les cœurs disent la même chose.
Voix de Marguerite et de Frère Blasco.
Voix de Marguerite : Vous jouez du luth comme une patate !
Voix de frère Blasco : Marguerite, je vous ai dit : dans mon jeune temps.
Voix de Marguerite : Menteur ! A cette époque là, on ne jouait que du tamtam dans les cavernes.
Entre Marguerite survoltée, suivie de Frère Blasco
Marguerite : Je voulais accueillir nos héros en musique, mais fidèle à lui-même Blasco m’a encore déçue, je suis une femme brisée.
Blasco : Je joue du luth comme un débutant.
Marguerite : (Très agacée) Si c’est pour faire gling gling gling, ne dîtes pas comme un débutant, dîtes comme un déficient mental !
Entre Trouilleduc que nous appellerons maintenant Léon. Le vagabond le suit.
Léon : Les voici madame.
Marguerite : Mademoiselle ! (Paniquant) J’aurai tellement voulu … Je ne sais pas moi, quelque chose de simple, un orchestre, une fanfare.
Lagatsi : Bonjour madame.
Marguerite : J’ai dit Madem (Apercevant Lagatsi)… mais qu’est-ce qu’il fait ici celui-là ?
Vagabond : Depuis qu’il a tout perdu, il est un peu étrange.
Léon : C’est comme s’il était retombé en enfance.
Vagabond : Alors on le garde avec nous.
Léon : Il est gentil maintenant.
Vagabond : Comme quoi l’argent, ça vous aigrit une personne.
Lagatsi : Bonjour madame.
Léon : C’est mademoiselle, il faut dire mademoiselle.
Vagabond : Avec Léon, on a pensé à une arrivée en trompette.
Marguerite : Mais… nous n’en avons pas.
Léon : Inutile, nous sommes comédiens d’objets et d’instruments de musiques.
Lyse : Les voilà.
Léon : Laissez faire les professionnels.
Vagabond : (Bas à Léon) Attends, je ne suis pas accordé
Léon : C’est une trompette, ça ne s’accorde pas
Vagabond : Ah ? (Ils « jouent » à la trompette, une arrivée triomphante). Entre le baron Nicomède de Calatrava et Raimondo.
Baron : Ah chers amis, quel plaisir de vous revoir. Cette longue absence m’a révélé à quel point vous m’étiez indispensable.
Raimondo : (Intimidé) Je suis content aussi.
Marguerite : (Se jetant dans ses bras) Ah mon frère ! Que tu m’as manqué.
Baron : Je t’ai rapporté, comme tu me l’avais demandé, un flacon avec de l’eau du Jourdain et un coffret avec de la terre sainte de Palestine.
Marguerite : Et aussi une bien jolie prisonnière (Elle montre Rebecca).
Baron : Oui. (Il la regarde, troublé) Vous m’avez attendu. C’est le désir de vous revoir au plus vite qui m’a donné la force de finir notre périple. Sans vous, je serai rentrée plus tôt, moins blessé physiquement mais plus lamentable moralement. Vous revoir m’empêchait de me comporter en couard. Me voici donc, éreinté comme un vieux chien…
Vagabond (bas) : Moi j’aime bien les chiens, même les vieux.
Léon : Chut.
Baron : Ereinté comme un vieux baron mais le cœur plein d’amour pour vous. Je n’imagine pas d’autre bonheur que de vous avoir auprès de moi pour toujours. Mais à l’inverse de ce qu’a dit ma chère sœur, vous n’êtes pas ma prisonnière, vous êtes mon ange. Restez auprès de moi, Rebecca, c’est mon vœu le plus cher. Mais si vous ne ressentiez pas la même chose pour moi, les Calatrava redevenu riche vous accorderait une pension et les moyens de vivre ou bon vous semblera. Votre départ ferait mon malheur mais mon malheur ne regarde que moi. (Rebecca s’approche du baron et ils s’embrassent).
Applaudissement général !
Marguerite : Vive mon frère !
Vagabond : Hourra !
Léon : (Se mettant à pleurer) Que c’est beau l’amour !!! Qu’ils ont beaux !!! Que tout le monde est beau !!!
Blasco : Houlà ! N’allons point plus loin avant de venir à l’autel et de s’y faire consacrer par un mariage.
Lyse : Mariage ? Que ce mot et doux quand on y associe de certaine personne… Raimondo.
Raimondo : Lyse, je t’ai déjà dit que…
Marguerite : Oui, oui. Ta situation de pauvre homme. La tienne a changé mon gros, puisque tu as été jusqu’au bout avec le baron, tu n’es plus un serf mais un homme libre et puisque le sieur Lagatsi …
Lagatsi : Bonjour madame.
Marguerite : Nous remet si aimablement les quelques dettes que nous avions accumulé ses 20 dernières années, nous t’accordons une jolie petite ferme en reconnaissance de tes services. On reprend quand Lyse a dit Raimondo ? (Bas, à Lyse) Relance le.
Lyse : Je ferai une bonne fermière.
Raimondo : (Complètement dérouté) Lyse, je…heu…
Vagabond : Il était comme ça dans l’arbre aussi.
Raimondo : Lyse, je…heu…
Vagabond : C’est sa conversation quotidienne, on s’y habitue.
Baron : Laisse-le.
Vagabond : Pardon.
Raimondo : Lyse, je…heu…
Léon : (A Raimondo) Si tu ne peux le dire, chante-le.
Vagabond : Un kilomètre à pied ?
Léon : Une chanson d’amour.
Vagabond : Ah oui ! On peut faire la musique.
Raimondo : (Dans un effort titanesque se met à chanter avec une jolie voix de baryton)
Belle qui prend ma vie captive dans tes yeux
A la fin de la chanson, Lyse se jette dans ses bras. Applaudissement, cris de joies.
Marguerite : Allez et puisque la mode est aux arts d’extrême orient, notre orchestre va nous jouer quelque chose d’exotique ! (Léon et le vagabond miment un duo de musiciens du moyen orient mais la musique est enregistrée. C’est une musique légère et joyeuse.)
Marguerite : (Parlant sur la musique) Allez les filles, dansons, remuons nous du bassin comme les orientales ! (Les femmes se mettent à danser rapidement suivi des hommes) Amusons-nous et profitons du bonheur d’être ensemble. Vive la vie ! Musique, alcool et sexe ! Deus Vult !!! Blasco !!!!!
FIN