acte I
(On entend Maryline dans les coulisses).
Maryline OFF
Troumfette ! Troumfette !
(Maryline apparaît sur scène par le couloir jardin. Elle est en jogging hideux).
Maryline
Troumfette ! T'es où ?
(en aparté) Mais où est-ce qu'elle est encore passée, celle-là ? Elle est bien comme les flics, jamais là quand on a besoin d'elle. Troumfette ! Troumfette ! A l'aide ! Au secours ! Je meurs !
(Troumfette entre sur scène par le couloir cour. Elle porte une petite robe noire).
Troumfette
Qu'est-ce qui t'arrive, maman ? J'espère que c'est grave, parce que j'étais en plein live !
Maryline
En plein quoi ?
Troumfette
En plein live ! Une vidéo en direct pour mes followers.
Maryline
Je comprends rien.
Troumfette
Enfin, maman ! Cindy l'influenceuse. Mes conseils beauté !
Maryline
Ah oui ! Le truc débile qui sert à rien.
Troumfette
(vexée) C'est ça... J'ai 150 followers. Quand j'en aurai 10000, on m'offrira des produits.
Maryline
Ouais ! Quand les poules auront des dents et quand les vaches danseront le french-can-can.
Troumfette
De toute façon, t'y comprends rien. Alors, qu'est-ce qui se passe de si grave ?
Maryline
Je cherche partout ma robe. Tu sais ? Celle avec des grosses fleurs. Tu l'as pas vue ?
Troumfette
Attends, tu te fiches de moi ? C'est pour une robe que tu me coupes en plein live ? Je croyais que tu étais en train d'agoniser, moi !
Maryline
Oh, ça va ! Fais pas la tête, ma Troumfette.
Troumfette
Je t'ai déjà dit d'arrêter de m'appeler comme ça !
Maryline
C'est ton prénom. Je t'appelle par ton prénom.
Troumfette
Une belle connerie, ce prénom. Complètement ridicule !
Maryline
Mais non, c'est mignon. Quand tu es née, on t'a sortie avec les forceps et tu étais toute bleue. Alors, Troumfette, c'était logique.
Troumfette
D'abord, on ne dit pas la Troumfette, mais la Schtroumpfette...
Maryline
Mais tu sais bien. On a préféré Troumfette pour pas qu'on fasse le rapprochement avec le personnage. C'est subtil, non ?
Troumfette
N'importe quoi ! Tout le monde fait le rapprochement. Et tout le monde se moque de moi. Alors s'il te plaît, appelle-moi Cindy, comme mes followers.
Maryline
C'est idiot comme prénom. Bon, tu l'as vue, ma robe ?
Troumfette
Pourquoi j'aurais vu ta robe ?
Maryline
Tu me l'as pas piquée, hein ?
Troumfette
Tu crois que je serais capable de porter ta robe avec des grosses fleurs ?
Maryline
Bah oui.
Troumfette
Bah non. Je préfère largement MA robe. En plus, Willy vient ce soir et je dois me faire belle.
Maryline
Willy ? C'est qui celui-là encore ?
Troumfette
C'est mon nouveau petit ami. Je l'ai rencontré pendant ma garde à vue la semaine dernière.
Maryline
Ah bah v'là autre chose ! Si tu te mets à faire des rencontres en garde à vue maintenant ! De mon temps, c'était en boîte ou dans les boums qu'on trouvait des flirts.
Troumfette
Des flirts ? Je crois que même mamie ne dit plus ce mot depuis longtemps.
(Georgette entre sur scène par le couloir cour. Elle a une canne et se déplace difficilement à cause de son âge).
Georgette
On parle de moi ici ? Qu'est-ce que vous racontez, bande de commères ?
Maryline
Je parlais juste de vos flirts, Georgette. Vous savez ? Il y a longtemps...
Georgette
Je te prierais d'être polie, ma fille. C'était il y a pas si longtemps. Et puis, « flirt », c'est quoi ce mot ? J'ai l'impression d'entendre ma mère.
Troumfette
(à Maryline) Ah ! Tu vois !
Maryline
(à Georgette) Bah vous dites comment vous, alors ?
Georgette
Je sais pas, moi. Des mecs, des coups, des plans...
Maryline
Ouais, de toute façon, vous avez plus l'âge.
Georgette
Je t'ai déjà dit d'être polie. Sinon tu vas goûter de mon bâton ! Non seulement mon fils a épousé un sac, mais en plus malpoli.
Troumfette
(à Maryline) Au fait, il est où, papa ?
Maryline
Il est parti travailler.
Troumfette
Je croyais que c'était son jour de repos, aujourd'hui.
Maryline
Justement, c'est bien pour ça qu'il est parti travailler !
Troumfette
Je ne comprends pas.
Maryline
Il est parti à la chasse.
Georgette
A la chasse au pigeon !
Troumfette
(perplexe) Ah d'accord. La chasse au pigeon...
Georgette
J'espère qu'il va en trouver un bien cette fois, parce que le dernier, il n'a pas mordu à l'hameçon.
Troumfette
On les chasse au hameçon, les pigeons ?
Maryline
Ma pauvre Troumfette, tu es vraiment trop bête ! Comment tu as pu sortir de mon ventre ?
Georgette
(à Maryline) Si tu lui avais pas donné un prénom aussi con aussi...
Maryline
Les pigeons, c'est pas des vrais pigeons. C'est des gogos, des dupes, des naïfs...
Troumfette
Ah OK ! Je me rappelle. Le dernier, il était parachutiste et papa s'est fait passer pour un agent d'entretien.
Georgette
Un agent d'assurance ! C'était pour lui vendre un contrat bidon.
Maryline
(à Troumfette) Décidément, t'es toujours pas la chips la plus croustillante du paquet, toi !
Georgette
En tout cas, le type, il est pas tombé dans le panneau.
Troumfette
C'est normal, avec un parachute...
Maryline
Bon, arrête de raconter des âneries et aide-moi plutôt à trouver ma robe.
Troumfette
J'y vais, j'y vais... Mais je comprends pas pourquoi tu veux cette robe. D'habitude, tu es tout le temps habillée en domestique, ou alors en jogging quand tu ne travailles pas.
Maryline
C'est notre anniversaire de mariage avec ton père. Je voudrais me faire belle.
Troumfette
Il y a du boulot... Je vais voir si elle n'est pas dans votre salle de bain.
(Troumfette part dans le couloir jardin).
Georgette
Alors ? Il a des pistes, mon Maxou ?
Maryline
Oui Georgette. Il m'a dit qu'il est sur un gros coup mais il veut pas m'en dire plus avant d'être sûr. Je sais pas ce qu'il a trouvé.
Georgette
J'espère que c'est vraiment du lourd cette fois !
(Morticia entre sur scène par le couloir cour, habillée en noir et maquillée en gothique).
Maryline
Tiens, voilà Dracula.
Morticia
Morticia maman, pas Dracula.
Maryline
C'était de l'humour, Morticia. Ah oui, mince ! J'oubliais. L'humour, tu sais pas ce que c'est.
Georgette
Comment ça se fait que tu es déjà debout à cette heure ? Il n'est que 14 heures. Tu es déjà sortie de ton cercueil ?
Morticia
J'ai rendez-vous à France Travail. Ils m'ont dit que je dois présenter un projet de recherche d'emploi.
Maryline
C'est bien ! Avec ton look, ça va cartonner, ton projet de croque-mort.
Morticia
Non. J'ai décidé d'être clown.
Maryline
Quoi ?
Morticia
Oui. J'ai vu un reportage sur les clowns, et ils ont dit qu'au fond, ils sont plutôt sombres quand ils ne sont pas sur la piste de cirque. Alors je trouve que je suis un peu comme eux. Donc je vais essayer d'être clown.
(Maryline et Georgette se regardent et éclatent de rire).
Georgette
Ah ! Celle-là, tu nous l'avais jamais faite ! Ah ah ah !
Morticia
La preuve que ça marche si vous riez déjà.
Maryline
C'est quoi, cette idée ? Clown, enfin ! Déjà, un clown fille, ça n'existe pas. Mais en plus, avec ta tenue, t'as aucune chance. Et t'as même pas de costume de clown.
Morticia
Là, tu te trompes. J'en ai trouvé un dans une poubelle d'un cirque. Je vais aller à France Travail avec et ça va marcher.
Maryline
Tu as trouvé un costume de clown ? Je suis curieuse de te voir avec. Ça promet !
Morticia
Tu ne comprends vraiment rien.
Georgette
Bon, c'est pas que je m'ennuie mais je dois vous laisser. Il faut que je file aux toilettes. Je sais pas ce que j'ai mangé mais il y a le bobsleigh qui entame le dernier virage.
Maryline
Quelle poésie ! Moi aussi, j'y vais. Il faut que je retrouve cette foutue robe.
(Georgette part dans le couloir cour et Maryline dans le couloir jardin).
Morticia
Alors, il faut que je m'entraîne,moi. Comment ça parle, un clown ? Heu... J'ai vu qu'il fallait toujours un accessoire pour se mettre dans la peau du personnage.
(Elle sort un nez rouge qu'elle se met sur le nez). « Bonjour ! ».
(Ne pas oublier qu'entre guillemets avec son nez, elle doit parler comme un clown, fort et enjoué, en totale opposition avec sa voix lugubre habituelle).
(Elle retire son nez). Mmh... C'est un peu court.
(Elle remet son nez).« Bonjour les petits enfants ! Vous allez bien ? ».
(Elle retire son nez).C'est un peu mieux, mais je peux améliorer.
(Elle remet son nez).« Oh la la la la ! Bonjour les petits néléphants, ça va topied ? Nom d'une cacahuète, vous avez la banane !»
(On sonne à la porte. Elle retire son nez).
C'est bien le moment, tiens. Je suis en pleine répétition.
(Morticia va ouvrir la porte d'entrée à Mme Duvivier).
Mme Duvivier
(choquée devant le look de Morticia) Oh mon dieu, je ne m'y ferai jamais...
Morticia
Bonjour Madame Duvivier. Entrez. Qu'est-ce qui vous amène ?
(Madame Duvivier entre dans la pièce).
Mme Duvivier
Bonjour ma petite, heu... Mormicia ? C'est bien ça ?
Morticia
Non, c'est Morticia.
Mme Duvivier
Ah oui, Morticia. Quel drôle de prénom vous ont donné vos parents, tout de même !
Morticia
Quand je suis née, ils adoraient la famille Addams.
Mme Duvivier
Je ne connais pas cette famille. Des amis à vos parents ?
Morticia
Non.
Mme Duvivier
Qu'importe. Votre père est-il ici ? J'aimerais lui parler.
Morticia
Il n'est pas rentré.
Mme Duvivier
Dans ce cas, pourrez-vous lui dire que le lustre dans le petit salon de l'aile gauche est tombé. Il a failli écraser Zouzou, mon petit chihuahua.
Morticia
Je lui dirai si je le vois, mais il est sorti.
Mme Duvivier
Il faut vraiment qu'il réinstalle ce lustre tout de suite. Grâce au ciel, il n'est pas brisé. Mon chien a amorti la chute.
Morticia
Non ! Votre chihuahua a amorti la chute d'un si gros lustre ?
Mme Duvivier
Non, pas lui. Loulou, mon Saint-Bernard. Zouzou était sous Loulou. Heureusement car le pauvre n'aurait pas survécu.
Morticia
Loulou le Saint-Bernard était au-dessus de Zouzou le chihuahua et c'est lui qui a pris le lustre ?
Mme Duvivier
C'est bien ça. Écoutez, je sais que c'est son jour de congé et que c'est l'anniversaire de mariage de vos parents, mais il faut vraiment que votre père répare ça aujourd'hui ! Et que votre mère nettoie tout.
Morticia
Qu'elle nettoie tout ? Je croyais que le lustre n'était pas cassé.
Mme Duvivier
Non, mais Zouzou a eu tellement peur qu'il s'est soulagé sur le tapis.
Morticia
Je leur dirai mais je ne sais pas si ils auront le temps.
Mme Duvivier
Écoutez, je les paie pour ça quand même. Votre père comme homme à tout faire et votre mère comme domestique. Et puis j'ai eu la gentillesse d'héberger toute votre famille dans l'aile droite du château, tout de même !
Morticia
D'accord, je leur en parlerai.
Mme Duvivier
Merci. Au revoir Morvicia.
Morticia
C'est Morticia.
Mme Duvivier
Oui, Morticia.
(Madame Duvivier s'en va par la porte d'entrée).
Morticia
Bon, reprenons.
(Elle remet son nez).« Oh la la la la, j'ai la tête en spaghetti ! Elle me fait guili guili ! Il faut que je prenne un comprimé, poil au nez. Patatra ! »
(Elle retire son nez).Ça commence à ressembler à quelque chose. Bon, je vais aller m'habiller pour mon entretien, moi.
(Morticia part dans le couloir cour, puis Max arrive par la porte de service).
Max
Bonjour la compagnie ! Il y a quelqu'un ? (Il se débarrasse de son manteau). Ouh ouh la famille ! Il faut que je vous parle !
(Troumfette entre par le couloir jardin).
Troumfette
Salut papa.
Max
Ah ! Troumfette. Où est-ce qu'ils sont tous passés ?
Troumfette
Maman cherche sa robe.
Max
Sa robe ? Elle ne la met jamais, elle est tout le temps en survêtement.
Troumfette
Oui, je lui ai dit pareil.
Max
Mais c'est parfait pour ce soir !
Troumfette
Oui ! C'est votre anniversaire de mariage.
Max
Pas seulement ! Ce soir, nous recevons un invité de marque.
Troumfette
C'est qui, Marc ?
Max
Non ! Je veux dire que quelqu'un d'important vient à la maison.
Troumfette
Ça alors ! Comment tu sais que Willy vient ici ? Tu viens d'arriver.
Max
Willy ? C'est qui, Willy ?
(Georgette entre par le couloir cour). Ah ! Maman ! Comment vas-tu ?
Georgette
Je sors des toilettes, donc je peux dire que je vais plutôt bien.
Max
Tu sais, maman, tu n'es pas obligée de me donner ce genre de détail à chaque fois.
Georgette
Au contraire ! A mon âge, il faut que tu fasses attention à mon transit intestinal. Comme je dis toujours : quand la taupe frappe à la porte, il faut qu'elle sorte.
Troumfette
(en aparté) Je ne comprends rien à cette histoire de taupe.
Max
Maman, est-ce que tu sais où sont Maryline et Morticia ?
Georgette
Maryline, elle cherche sa robe.
Max
Oui, Troumfette m'a déjà dit.
Georgette
Et Morticia... Elle est dans sa chambre en train de réfléchir.
Max
Elle réfléchit à quoi ?
Georgette
Tu risques d'avoir une surprise.
Max
Pourquoi ? Elle est normale, maintenant ?
Georgette
Heu, ce n'est pas tout à fait le mot que j'emploierais...
Max
Qu'est-ce qu'elle a ?
Georgette
Elle a son rendez-vous à France Travail et apparemment, elle a enfin trouvé sa voie.
Max
Elle a trouvé sa voie ? Ça veut dire qu'elle laisse tomber son projet de pompes funèbres ?
Georgette
Ah ça, oui ! Je peux dire qu'elle va même complètement à l'opposé !
Max
Et elle veut faire quoi au juste ?
Georgette
Je préfère te laisser la surprise. Je suis impatiente de voir ta tête quand elle te le dira !
Max
En attendant, il faut qu'elle vienne. Et Maryline aussi. J'ai quelque chose à dire à toute la famille. Maryline ! Morticia ! Venez vite !
Georgette
Ce foutu château est trop grand. Il faut leur laisser le temps.
(Morticia entre par le couloir cour, déguisée en clown mais elle a gardé son maquillage gothique).
Max
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Georgette
Nom d'un petit bonhomme !
Morticia
C'est ma tenue pour mon entretien à France Travail.
Troumfette
Tu comptes travailler dans les pompes funèbres habillée en clocharde ?
Max
Mais non Troumfette ! Mamie a dit qu'elle laissait tomber les pompes funèbres.
Morticia
Et c'est un costume de clown, pas de clocharde.
Max
Mais pourquoi tu veux aller à France Travail déguisée en clown ?
Morticia
Parce que je veux devenir clown.
Max
Alors là, c'est la meilleure ! C'est complètement ridicule comme idée.
Morticia
De toute façon, tu n'es jamais d'accord avec moi. Déjà, quand je me suis fait mes scarifications, tu étais contre.
Max
Te taillader le ventre avec un cutter, c'était plutôt idiot.
Morticia
C'était un symbole, pour montrer que la vie est une blessure, avant même de naître.
Max
Oui, eh bien la blessure, on l'a bien sentie passer. Obligé d'aller à l'hôpital pour faire cinquante points de suture. Heureusement que je venais juste de faire ta fausse carte Vitale !
Morticia
Tu t'attaches vraiment à des détails...
Max
En tout cas, ton habit de clown, c'est vraiment débile. En plus, tu n'as même pas le maquillage qui va avec !
Morticia
Hors de question que je touche à mon maquillage gothique. J'ai quand même un peu d'amour-propre.
Max
Ça ne marchera jamais, ton truc. Un clown sans maquillage de clown, ce n'est pas drôle.
Morticia
Papa, regarde sur ta chemise. Tu as une tache.
(Morticia pose son doigt sur le col de la chemise de Max qui baisse la tête. Elle lui donne alors un coup de doigt sur le menton). Pistache.
Max
Qu'est-ce qui te prend ? Pourquoi tu fais ça ?
Morticia
C'était une blague de clown. Pour rire.
Max
Comme tu vois, on est tous morts de rire. Bon les filles, où est votre mère ?
Troumfette
Elle cherche sa robe, je t'ai dit.
Max
Oui, je sais. Maryline ! Viens !
(Maryline entre à nouveau en jogging par le couloir jardin).
Maryline
Voilà voilà, j'arrive !
Max
Ah enfin ! Je croyais que tu mettais ta robe. Tu l'as pas trouvée, finalement ?
Maryline
Si, j'ai fini par mettre la main dessus. Elle était rangée avec les torchons.
Max
C'est bien sa place, tiens ! Et tu ne devais pas la mettre ?
Maryline
Elle avait une grosse tache de gras. Je l'avais mise entre deux torchons pour éponger le gras et puis, je l'ai oubliée ! J'étais en train finir de la nettoyer quand tu as appelé.
(voyant Morticia) Aah ! C'est ça, ta tenue pour France Travail ?
Morticia
Oui. Je veux mettre toutes les chances de mon côté.
Max
Bien, tout le monde est là alors asseyez-vous. J'ai quelque chose d'important à vous dire.
(Tout le monde s’assoit).
Troumfette
Tu as pêché un pigeon avec ton hameçon ?
Max
Ah, Troumfette, tu ne crois pas si bien dire ! Un gros poisson que j'ai bien pris dans mes filets.
Troumfette
C'est plus un pigeon alors ? Et c'est plus un hameçon non plus ?
Georgette
C'est une façon de parler, ma petite. Arrête de bouger la tête. Ton neurone a dû se coincer quelque part.
Troumfette
Ah bon, tu crois, mamie ? Et c'est grave ?
Maryline
C'est sans espoir mais tant pis ! On t'aime comme ça.
Max
Je suis verni,moi, avec toutes ces bonnes femmes. Pas une pour rattraper l'autre. Bon, écoutez-moi toutes. Ce soir, il va falloir être bonnes.
Troumfette
Être bonnes ? Tu veux qu'on fasse toutes le ménage comme maman ?
Maryline
Tais-toi, Troumfette, et écoute ton père.
Max
Je vous explique. Il y a deux semaines, je suis allé au Café de la Chance, comme d'habitude, pour flairer le pigeon. Et je suis tombé sur un phénomène. Jamais vu ça !
Maryline
Qu'est-ce qu'il avait de spécial, ton phénomène ?
Max
Un gars très bavard, un peu naïf tendance con. Il n'arrêtait pas de dire à ses copains que son rêve, c'était de devenir chanteur.
Troumfette
Mais c'est super, ça, de vouloir être chanteur. Moi aussi, je veux être chanteuse. Ou mannequin. Ou influenceuse. Célèbre, en tout cas !
Max
Le gars s'est mis à pousser la chansonnette devant tout le monde et là, je crois que mes oreilles ont saigné. Un vrai carnage !
Maryline
Mais qu'est-ce que tu veux faire avec un type pareil ? Tu veux monter une chorale ?
Max
Non, pas du tout ! Laissez-moi vous raconter la suite. Vous savez bien que je vais dans ce café à chaque fois juste avant le tirage du Loto. Eh bien, croyez-moi ou pas : ce con a gagné le gros lot !
Morticia
Et tu l'as braqué pour lui piquer son fric ? Je croyais que tu étais contre la violence.
Georgette
Si tu as fait ça, je suis fière de toi. Finalement, tu en as peut-être dans le pantalon !
Max
Je ne lui ai fait aucun mal ! Je reste sur mes principes de base. Comme mon idole Albert Spaggiari : sans arme, ni haine, ni violence.
Troumfette
C'est qui ça, Spaghetti ?
Max
Spaggiari ! Un célèbre malfaiteur qui a fait le casse du siècle à Nice en 1972, et dont le slogan était : sans arme, ni haine, ni violence. Un saint homme !
Maryline
Mais alors ça finit comment, ton histoire, si tu l'as pas braqué ?
Max
Le gars, c'est cent mille euros qu'il a gagné au Loto. Alors, vous vous doutez bien qu'il n'a pas retiré ses sous dans le bar-tabac. Je l'ai suivi tout le lendemain, où il est passé à la Française des Jeux récupérer son argent.
Morticia
Et tu l'as braqué pour lui piquer son fric.
Max
Mais non ! On ne donne pas une valise pleine de billets quand on gagne au Loto. On te met ça sur un compte en banque.
Troumfette
Alors tu as braqué la banque où on lui a mis son argent ?
Max
Oh ! Vous me fatiguez, les filles. Je l'ai baratiné un bon moment. Benoît Pichon, qu'il s'appelle, le gars. Je lui ai fait croire que j'étais producteur dans une maison de disques et que je pouvais faire de lui une star. Ça ne lui coûterait que cent mille euros.
Maryline
Et il t'a cru ?
Max
Au début, il était un peu méfiant, mais tu connais mon bagout. Il n'a pas marché, Pichon, il a couru !
Georgette
C'est con, ton histoire. Un producteur, c'est lui qui donne l'argent. Pas le contraire.
Max
Je lui ai parlé de motivation.
Georgette
Comment ça, de motivation ?
Max
J'ai expliqué à mon gogo que faire un premier album, ça me coûtait un million, et que je ne pouvais pas risquer ce million à la première personne qui abandonnerait avant la fin. Donc, ces cent mille euros qu'il me donne, c'est un gage de sa motivation. Une caution en quelque sorte.
Georgette
Si il a cru une connerie pareille, c'est qu'il est vraiment con !
Max
Mais oui ! C'est exactement ça. Mon pigeon est un con !
Maryline
Et qu'est-ce qu'on vient faire là-dedans, nous ?
Max
Je compte conclure l'affaire et récupérer son argent aujourd'hui, avant qu'il ne se doute de quelque chose. C'est pourquoi je l'ai invité à dîner ce soir. Maryline, je pense que ta grâce et ton élégance le séduiront. Et toi maman, une dame de ton âge devrait le mettre en confiance.
Maryline
D'accord, mais les filles, il vaut mieux pas qu'il les voit. Une starlette avec un QI de poisson rouge et un clown zombie, c'est pas ça qui va le mettre à l'aise, ton pigeon !
Max
Complètement d'accord !
(aux filles) Vous, les filles, vous vous débrouillez mais je ne veux pas vous voir.
Troumfette
Moi, ça m'arrange.
Morticia
Moi aussi. Je vais regarder ma série Walking Dead dans ma chambre. Ou alors une émission de cirque.
Max
Très bien. On va pouvoir le cuisiner entre adultes. En plus, quand il va voir le château, il va être bluffé !
Maryline
Mais il est pas à nous, ce château.
Max
Mais ça, il ne le sait pas ! Il va forcément se dire qu'on est des gens sérieux, avec un manoir pareil !
Georgette
Et si la proprio, elle vient sonner chez nous pour vous dire de travailler ?
Max
C'est notre jour de repos à tous les deux. Notre anniversaire de mariage. Elle ne nous dérangera pas.
Morticia
Heu, papa... Mme Duvivier est passée tout à l'heure. Il faut que toi et maman alliez la voir au plus vite. Une histoire de lustre et de chien...
Maryline
C'est quoi, cette histoire de lustre et de chien ?
Morticia
Elle vous expliquera, mais si vous n'allez pas la voir rapidement, elle va revenir.
Max
On n'a pas le temps d'aller la voir. Si elle revient, on improvisera. En attendant, chérie, maman, il va falloir qu'on s'organise. Vous êtes partantes ?
Georgette
Si c'est pour piquer cent mille euros à un gogo, je suis partante !
Troumfette
Moi, je trouve ça dégueulasse...
Maryline
Dégueulasse ? Tu avais moins de scrupules la semaine dernière, quand tu as volé tous ces vêtements dans ce magasin de luxe !
Troumfette
Non ! Ce qui est dégueulasse, c'est que papa veut faire le disque d'un inconnu, un con en plus, alors que pour moi qui rêve de devenir une star, il ne fait rien !
Georgette
Elle a rien compris, celle-là encore.
Maryline
Elle est vraiment pas le couteau le plus aiguisé du tiroir.
Max
Je ne vais pas faire le disque de Benoît Pichon. Je veux juste lui piquer ses cent mille euros !
Troumfette
Pourtant, tu as dit que tu ferais son disque. Je suis pas folle !
Georgette
Il va lui dire qu'il fait son disque, mais il ne va pas le faire, enfin !
Troumfette
Mouais, je ne suis pas convaincue. A la télé, dans les Berrichons à Saint-Tropez, il y a la fille favorite de l'émission qui voulait une Ferrari. Eh bien c'est la fille la plus moche qui l'a eu, alors, hein...
Morticia
Je vous laisse régler vos comptes, j'ai mon entretien de clown, moi.
Georgette
C'est ça, file ! Va chercher du travail ! Pour une fois qu'il y a une personne sérieuse dans la famille.
(Morticia s'en va par la porte de service).
Maryline
On va avoir l'impression d'être des rupins, dis donc ! Je pourrais peut-être me faire passer pour ta domestique plutôt que ta femme. Ça ferait encore plus vrai.
Max
Non, j'ai dit à Pichon que je lui présenterais ma femme. Mais c'est vrai que ton histoire de domestique, c'est quand même pas mal ! Il faudrait qu'on trouve quelqu'un pour jouer ce rôle.
(Il réfléchit puis s'adresse à Georgette). Maman ! Tu ne voudrais pas faire la domestique ?
Georgette
Avec ma patte folle et mes rhumatisme ? Non mais tu m'as vue, mon garçon ?
Max
Ouais, évidemment...
Troumfette
Je vois d'ici mamie mettre une heure à ouvrir les portes et à faire le service !
Maryline
Troumfette ! Toi, tu pourrais faire la domestique !
Troumfette
Quoi ?
Max
Oui, pas besoin d'être très maline pour ça !
Maryline
Sympa pour moi...
Max
Non, mais elle est mignonne, et avec ta tenue, elle serait parfaite !
Troumfette
Mais je vais avoir l'air d'une conne !
Georgette
Ne t'inquiète pas, on a l'habitude ma pauvre fille.
Troumfette
Je refuse de m'habiller en bonne ! Et vous avez dit que je ne serais pas là.
Maryline
Écoute Troumfette, fais un effort. Si on récupère ces cent mille euros, on t'offrira un an d'abonnement dans le salon esthétique de ton choix.
Troumfette
C'est vrai ça ? Le salon de mon choix ? Mouais d'accord...
Maryline
Donc tout est arrangé. Regarde, tu as déjà une robe noire. Tu n'as plus qu'à mettre mon tablier et ma coiffe...
Troumfette
Ah bah non finalement, c'est pas possible.
Max
Et pourquoi c'est pas possible ?
Troumfette
Ce soir, il y a Willy, mon nouveau copain, qui vient passer la soirée ici.
Max
Tu as un nouveau petit ami ? Je ne savais pas.
Troumfette
Je l'ai rencontré pendant ma garde à vue la semaine dernière.
Max
Mmh... Troumfette, méfie-toi des voyous. S'il vient ici, je ne voudrais pas qu'il nous vole des choses.
Troumfette
Ah mais il n'y a pas de risque ! Il est flic.
Max
Quoi ?
Troumfette
C'est le flic qui m'a interrogée. Et ça a tout de suite matché entre nous.
Georgette
Tu as réussi à t'amouracher d'un flic ? Tu nous auras vraiment tout fait !
Troumfette
Ça a été le crush immédiat.
Maryline
Mais comment un flic a pu tomber amoureux d'une voleuse comme toi ?
Troumfette
Il croit que c'est la première fois que je vole. Il a dit que tout le monde fait des erreurs.
Maryline
Mais c'est pas la première fois, loin de là !
Troumfette
Je sais, mais lui, il le sait pas. C'est juste la première fois que je me fais prendre. Vous lui direz rien, hein ?
Max
Bien sûr qu'on ne lui dira rien, simplement parce qu'il ne viendra pas ici. Je ne veux pas de flic chez moi. Surtout avec le pigeon qui vient.
Troumfette
Ah mais c'est trop tard. Il est parti en patrouille et il arrive directement après.
Max
Alors appelle-le pour annuler. S'il se doute de notre plan, on est cuits.
Troumfette
Pfff... Relou...
(Troumfette prend son téléphone, s'isole dans un coin et compose le numéro).
Voix off
Vous avez demandé la police, ne quittez pas...
Troumfette
Allô Willy ? Tu m'entends ? Non ? Ah mince, c'est ton répondeur... Bon, écoute Willy, je voulais te dire...
Voix off
Vous avez demandé la police, ne quittez pas...
Troumfette
Flûte ! Il est vachement rapide, son répondeur ! J'ai même pas eu le temps de laisser mon message. Bon, je recommence. Willy, c'est Troumfette. Pour ce soir...
Voix off
Vous avez demandé la police, ne quittez pas...
Troumfette
Ah ! Je ne vais pas y arriver. Il faut que je parle plus vite.
(accélérant) Willy, c'est Troumfette. Je voulais te dire que pour ce soir, je ne...
Voix off
Vous avez demandé la police, ne quittez pas...
Troumfette
(parlant très vite) Willy, c'est Troumfette. Je voulais te dire que pour ce soir, je ne suis pas dispo. On se rappelle demain. Bisou !
(Elle raccroche). Yes ! J'ai réussi à laisser mon message !
Maryline
C'est bon ? J'espère qu'il écoutera son répondeur. En attendant, essaie donc ma tenue. (Elle lui met le tablier et la coiffe). Bah voilà ! Tu es belle comme ça, ma Troumfette.
Troumfette
Je ne sais pas si j'y arriverai, à faire semblant d'être domestique.
Max
Mais si, tu vas y arriver. Il suffit de savoir un peu jouer la comédie. Tu as bien réussi à te faire passer pour une sainte avec ton flic.
Troumfette
Tu crois, papa ?
Max
Alors pour commencer, en présence de Pichon, ne m'appelle surtout pas papa. Appelle-moi Monsieur.
Troumfette
Monsieur ? Pourquoi Monsieur ?
Maryline
Réfléchis ma fille.
Georgette
Réfléchir ? Tu lui en demandes beaucoup.
Maryline
Ton père, c'est plus ton père ce soir. C'est ton employeur, un riche châtelain.
Troumfette
(à Max) D'accord... Donc je t'appelle monsieur.
Max
Et tu me dis vous. Pas de tutoiement.
Troumfette
Tu veux que je te dise vous ? Délire !
Max
Oui. Allez, on essaie pour voir. Troumfette, apportez-moi un verre de whisky s'il vous plaît.
Troumfette
Parce que toi aussi, tu me dis vous ?
Max
Reste concentrée ! Troumfette, apportez-moi un verre de whisky s'il vous plaît.
Troumfette
Heu... Bien, monsieur. Tu veux... Non. Vous voulez de la glace avec le whisky ?
Georgette
(à Max) Non, c'est pas bon. Il vaut mieux qu'elle te parle à la troisième personne. Ça fait mieux.
Troumfette
Comment ça, à la troisième personne ?
Georgette
Monsieur prendra de la glace avec son whisky ?
Maryline
Ah oui ! Ça fait rupin, ça !
Troumfette
Non mais attendez ! Ça veut dire que je dois apprendre toutes les conjugaisons ? Je n'aurai pas le temps !
Maryline
Attends. C'était quoi, déjà, cette émission de télé-réalité où on enfermait des gens dans un château ?
Troumfette
La Star Ac' ?
Maryline
Non. On prenait des sans-abri, on les mettait dans un château et ils jouaient aux riches pendant une semaine.
Troumfette
Ah ! Les clochards au château ! Trop géniale, cette série !
Maryline
Voilà !
Troumfette
Tiens, d'ailleurs, j'ai vu un des candidats au commissariat. Ça fait tout drôle de voir une star en vrai.
Maryline
Ah bon ? Il est passé signer des autographes au commissariat ?
Troumfette
Non, il était dans une cellule. Il avait des vêtements très sales et sentait l'alcool.
Maryline
OK. Mais ne nous égarons pas. Donc, dans cette émission, tu te souviens comment parlait le présentateur ?
Troumfette
Monsieur prendra un bain ? Je vais chercher le peignoir de Monsieur. Ah ah ! Morte de rire !
Maryline
Voilà ! Eh bien parle comme ce présentateur.
Troumfette
Ah, OK...
Maryline
(à Max) Et au fait, je fais quoi à manger ?
Max
Je sais pas, moi. Tu n'as pas une idée ?
Maryline
Non, pas du tout ! Qu'est-ce qu'on pourrait faire qui sorte de l'ordinaire ?
Max
Qu'est-ce qu'on a en magasin ?
Maryline
Raviolis ou cassoulet.
Max
Ah... C'est pas terrible. Quelle marque ?
Maryline
Premier prix.
Max
Alors fais du cassoulet. En émiettant des biscottes dessus et en le passant au four, on aura l'impression que tu l'as fait toi-même.
Maryline
Bonne idée ! Je vais préparer un repas digne d'un chef étoilé.
Max
Allez, au travail ! Maman, je pense qu'il est temps que tu retournes aux toilettes.
Georgette
Ah ? Toi aussi tu as senti ?
NOIR ET musique de transition
acte II
(Troumfette est en train de se regarder sous toutes les coutures dans sa robe noire. Elle porte aussi son tablier et sa coiffe).
Troumfette
Je suis vraiment trop sexy avec cette robe. Quelle loose de devoir mettre ce tablier et cette coiffe. C'est nul !
(Ça sonne. Troumfette va ouvrir la porte d'entrée. C'est Benoît Pichon. Il est vêtu d'un long manteau et tient un bouquet de fleurs à la main).
Benoît
Bonjour mademoiselle. Benoît Pichon. Je suis attendu par monsieur Carambouille.
Troumfette
(criant à la ronde) Venez ! Voilà le pigeon !
Benoît
Non, Pichon. Mon nom, c'est Pichon.
Troumfette
Heu, oui, excusez-moi.
(à la ronde) Voilà le Pichon !
Benoît
Je ne savais pas que monsieur Carambouille avait des domestiques. Il doit être drôlement riche, dites-moi !
Troumfette
Heu oui, je suis sa domestique.
Benoît
Je peux entrer ?
Troumfette
Oui oui ! Entrez donc !
(Benoît entre dans la pièce).
Benoît
Comment fait-on avec les domestiques ? Je vous donne mon manteau, c'est bien ça ?
Troumfette
Heu, si vous voulez. Enfin, oui ! Donnez-moi votre manteau.
(Benoît lui donne le bouquet pour pouvoir retirer son manteau).
Vous me donnez aussi vos fleurs ?
Benoît
Non, c'est juste le temps que je retire mon manteau.
Troumfette
Ah oui, bien sûr !
(Benoît enlève son manteau, dévoilant une veste de music-hall à paillettes, style Claude François).
Ouaah ! Trop la classe votre costume !
Benoît
Merci. C'est ma veste porte-bonheur.
(Il donne son manteau à Troumfette qui l'enfile, tout en lui rendant le bouquet).
Benoît
Mais pourquoi mettez-vous mon manteau ?
Troumfette
Ben parce que vous me l'avez donné...
Benoît
Non. C'est pour que vous l'accrochiez au porte-manteau.
Troumfette
Ah oui, évidemment ! Je vais le mettre au porte-manteau.
(Troumfette retire le manteau et va l'accrocher au porte-manteau).
Benoît
Ça ne fait pas très longtemps que vous travaillez pour monsieur Carambouille, j'ai raison ?
Troumfette
Oui, je viens juste d'être embauchée.
(Max arrive en courant par le couloir jardin).
Troumfette
Ah ! Papa ! Heu... Papadipam padam papa. Monsieur Carambouille, c'est le pigeon !
Benoît
Pichon, pas Pigeon.
Troumfette
Pardon, c'est le Pichon !
Max
Troumfette ! On ne dit pas « c'est le Pichon », mais « c'est monsieur Pichon ». Retournez à votre travail. Je vous sonnerai si j'ai besoin de vous.
(Troumfette part dans le couloir jardin).
Max
(à Benoît) Excusez-la, monsieur Pichon. Le personnel n'est plus ce qu'il était.
Benoît
Je vous remercie, monsieur Carambouille. C'est déjà un honneur d'être reçu chez vous. Vous avez vraiment une demeure magnifique !
Max
Oh, vous savez. Ce n'est qu'un modeste manoir.
Benoît
Quand même ! C'est très impressionnant. Ça en jette, pour parler vulgairement.
Max
Comme votre costume, monsieur Pichon. Ça en jette ! Je vois que vous avez mis votre tenue d'apparat.
Benoît
Eh bien je me suis dit : puisqu'on doit parler de mon contrat, autant se mettre dans le bain. Et c'est ma veste porte-bonheur, vous savez !
Max
Eh bien, espérons qu'elle nous porte chance à tous les deux.
Benoît
(chantant brusquement très fort « Allumer le feu » de Johnny Hallyday, faisant sursauter Max) « Allumeeer le feu... »
Max
Ouh la !
Benoît
« Allumeeer le feu !
Max
Hé ! Oh ! Vous allez bien ?
Benoît
Qu'est-ce que vous pensez de ma voix, monsieur Carambouille ?
Max
C'est joli ! Très joli. Mais ne nous emballons pas, nous avons la soirée devant nous. Voulez-vous me confier vos fleurs ?
Benoît
Oh non, merci ! Je les offrirai directement à madame Carambouille.
Max
Asseyez-vous, je vous en prie.
(Il lui montre le fauteuil dans lequel Benoît s’assoit).
Benoît
Merci ! Vous savez, depuis que vous m'avez abordé ce matin, je ne pense qu'à notre conversation. C'est mon rêve de devenir chanteur, mais je ne savais pas à qui m'adresser. On peut dire que c'est la providence qui vous a mis sur mon chemin.
Max
Benoît. Je peux vous appeler Benoît ?
Benoît
Bien sûr, monsieur Carambouille ! Et je peux vous appeler Max ?
Max
Non. Je suis votre producteur quand même !
Benoît
Oh, excusez-moi, je ne voulais pas vous froisser.
Max
Je disais donc : mon petit Benoît, ce n'est pas seulement la providence qui m'a mis sur votre chemin. Je sais flairer les talents. Et croyez-moi, dès que je vous ai vu, j'ai su vous étiez une future légende de la chanson.
Benoît
Ça se voit à ce point ?
Max
J'en étais même à me dire : si seulement ce grand homme avait cent mille euros à apporter comme garantie, je pourrai le produire et je ferais de lui une star. Mais je n'y croyais pas, alors quand vous m'avez dit que vous veniez de gagner au Loto...
Benoît
C'est incroyable, quand même ! On se serait croisés quelques jours plus tôt, je n'avais pas cet argent, et mon rêve n'aurait été qu'un rêve.
Max
Et il devient réalité. Grâce à vos cent mille euros ! Vous allez voir. Bientôt, tous les magazines ne parleront que de Benoît Pichon, le nouveau roi de la pop !
Benoît
Vous ne trouvez pas que Benoît Pichon, ça ne fait pas très music-hall ? Il me faudrait un nom d'artiste, non ?
Max
Oui, peut-être... On y réfléchira plus tard.
Benoît
Déjà, on pourrait dire Ben, plutôt que Benoît.
Max
Oui, c'est mieux en effet.
Benoît
Et Pichon, je sens que ce n'est pas idéal. Il faudrait quelque chose comme Johnny ou Eddy Mitchell, non ?
Max
Je ne sais pas, je n'ai pas encore réfléchi à ça.
Benoît
Ben Hallyday ! C'est bien ça, non ?
Max
Ça fait un peu trop copier-coller.
Benoît
Ben Mitchell ?
Max
Ça aussi. Ah ! Je sais, vous vous appelez Pichon, n'est-ce pas ?
Benoît
Oui, ça ne sonne pas bien, hein ?
Max
Ben Pitchell !
Benoît
Ben Pitchell ? Ah oui... ça a de la classe. Vous êtes vraiment un génie, monsieur Carambouille. Ou Max, je peux ?
Max
Non non, Benoît, toujours monsieur Carambouille.
Benoît
Oui, je comprends, monsieur Carambouille. Mais vous pouvez m'appeler Ben, maintenant que je m'appelle comme ça.
Max
Si vous voulez, Ben.
Benoît
Ben Pitchell, ça sonne quand même !
(On sonne à la porte).
Max
Ça sonne.
Benoît
Oui, ça sonne vraiment.
Max
Non, mais ça sonne vraiment ! Troumfette, ça sonne, allez ouvrir !
(Troumfette sort du couloir jardin et traverse la scène).
Troumfette
J'y vais...
(Troumfette ouvre la porte. C'est madame Duvivier).
Troumfette
Qu'est-ce qui vous amène, madame Duvivier ?
Mme Duvivier
J'ai parlé tout à l'heure à votre sœur, Forsythia...
Troumfette
Morticia.
Mme Duvivier
Oui, c'est ça. Il faut à tout prix que je voie votre père car...
(Voyant Max, elle entre dans la pièce). Ah Max ! Vous êtes là. Morticia vous a dit que j'étais passée ?
Max
Oui, mais je suis assez occupé, madame.
Mme Duvivier
Mais c'est très urgent ! Mon lustre est tombé et il faut le remettre en place. Zouzou, mon chihuahua, est complètement traumatisé.
Max
Ça ne peut pas attendre demain ? Je suis en congé.
Mme Duvivier
Je suis désolée. Je le sais mais j'attends du monde. Il ne peut pas rester par terre.
Max
Très bien madame. J'arrive dans un instant.
Mme Duvivier
Ne traînez pas s'il vous plaît, Max.
(Madame Duvivier s'en va et Troumfette referme la porte).
Max
Troumfette, allez me chercher ma caisse à outils dans le couloir, s'il vous plaît.
Troumfette
Hein ?... Ah OK ! Bien monsieur...
(Elle s'en va, renfrognée, par le couloir jardin).
Benoît
C'est qui, cette dame qui est entrée chez vous comme si c'était chez elle ? Elle vous parle un peu sèchement je trouve, pour quelqu'un de votre rang.
Max
Heu, c'est ma tante. Je l'aide régulièrement car elle n'a confiance qu'en moi. Et je suis très bon bricoleur.
Benoît
Votre tante ? Et vous l'appelez madame ?
Max
C'est que, heu, elle est un peu dérangée. Elle est persuadée qu'elle m'emploie comme homme à tout faire. Et je ne veux pas la perturber davantage.
Benoît
Ah, c'est pour ça que vous avez dit être en congé. C'est moche. Pauvre femme !
Max
Vous permettez que je m'absente un quart d'heure ? Je vous promets, je fais au plus vite.
Benoît
Je vous en prie. C'est tout à votre honneur d'aider une vieille tante sénile.
Max
En attendant, Troumfette va vous servir à boire dès qu'elle m'aura apporté ma caisse à outils.
Benoît
C'est bizarre, ce surnom que vous donnez à votre domestique. Troumfette.
Max
Ce n'est pas un surnom, c'est son vrai prénom.
Benoît
Troumfette ? Son prénom ? C'est ridicule comme prénom !
Max
C'est très mignon au contraire. Ça lui va très bien.
Benoît
Monsieur Carambouille, permettez-moi d'en douter. Comment des parents peuvent appeler leur enfant comme ça ? C'est totalement irresponsable !
Max
Vous trouvez ?
Benoît
Sans vouloir être donneur de leçons, je pense que si je les avais devant moi, je leur dirais ce que j'en pense. Entre nous, soit les parents de cette petite sont des provocateurs, soit ce sont des cons.
Max
Vous avez raison mon petit Benoît. Vous n'avez pas à donner de leçons !
(Troumfette revient du couloir jardin avec la caisse à outils).
Troumfette
Voilà, heu, monsieur.
Max
Merci Troumfette. J'y vais. Servez un verre à monsieur Pichon en attendant.
Troumfette
(d'un air pédant) Comme monsieur voudra...
Max
A tout de suite, Ben.
Benoît
A tout de suite, monsieur Carambouille.
(Max s'en va par la porte de service).
Benoît
Il est drôlement serviable, votre patron. Il aurait pu demander à l'un de ses employés de s'en occuper, mais non ! Comme cette dame n'a confiance qu'en lui, c'est lui qui va mettre les mains dans le cambouis.
Troumfette
Bon, je vous sers quoi, monsieur Pigeon ?
Benoît
Pichon. C'est Pichon. Vous n'y arrivez vraiment pas, hein !
Troumfette
Heu oui... Alors, qu'est-ce que je vous sers ?
Benoît
Que me proposez-vous à boire ?
Troumfette
Je sais pas, moi. Qu'est-ce que vous aimez comme boisson ?
Benoît
Alors là, j'avoue que je n'y ai pas réfléchi. D'habitude, je ne bois que de l'eau.
Troumfette
D'accord.
Benoît
D'accord quoi ?
Troumfette
Je vais vous chercher un verre d'eau.
Benoît
Ah oui. Très bien. Allez me chercher un verre d'eau.
Troumfette
Vous savez monsieur, moi aussi je veux devenir chanteuse.
Benoît
C'est une belle passion que nous partageons. Vous connaissez Claude François ?
Troumfette
Jamais entendu parler.
Benoît
Mais enfin ! Cloclo !
(se levant brusquement et se mettant à chanter Alexandrie Alexandra en dansant) « Voile sur les filles ! Toudoudoudou ! Barques sur le Nil ! Toudoudoudou ! »
Troumfette
On voit que vous avez ça dans la peau !
Benoît
Oh, vous savez, j'aimerais tant en faire mon métier. J'y arriverai peut-être avec l'aide de votre patron. Mais attendant, j'ai un travail bien peu passionnant...
Troumfette
Ah ?
Benoît
Oui, je tiens un magasin d'appareils de chauffage.
Troumfette
Ah oui ! Des fours, des gazinières, des micro-ondes...
Benoît
Non, vous n'y êtes pas. Je vends des cheminées, des inserts, des pompes à chaleur...
Troumfette
Ah d'accord !
Benoît
J'ai même des poêles à mazout.
Troumfette
Vous appelez ça une zoute, vous ?
Benoît
Comment ça ?
Troumfette
Vous dites que vous avez des poils à votre zoute.
Benoît
Comment ça, j'ai des poils à ma zoute ?... Ah non ! Ouh la la ! Des poêles à mazout, ce n'est pas ça. Le mazout, c'est une sorte de pétrole. On le met dans un poêle et ça chauffe.
Troumfette
(perplexe) Ah... Je vais chercher votre verre d'eau.
(Troumfette se dirige vers le couloir jardin. Maryline sort du couloir jardin, dans une hideuse robe avec des grosses fleurs).
Maryline
(à Troumfette à voix basse pour ne pas que Pichon entende) Le pigeon de ton père est arrivé ?
Troumfette
Oui ! Il est là, dans le salon. Je vais lui chercher un verre d'eau.
Maryline
Et ton père, il est où ?
Troumfette
Il est chez madame Duvivier. Je crois qu'il l'aide à remettre son chihuahua sur le lustre.
Maryline
Ah bon ? Drôle d'idée. Va lui chercher son verre d'eau en attendant.
Troumfette
Oui.
(Troumfette disparaît dans le couloir jardin et Maryline se dirige vers Pichon en parlant avec emphase et beaucoup de manières).
Maryline
Monsieur Pichon ! Enfin, je fais votre connaissance ! Maryline Carambouille. Mon mari m'a tant parlé de vous !
Benoît
(se levant pour lui faire le baise-main) Mes hommages, madame.
(lui donnant le bouquet) Voici quelques fleurs, qui paraissent bien ternes devant votre beauté.
Maryline
Monsieur Carambouille ! Vous me faites rougir...
Benoît
Alors comme ça, votre mari vous a déjà parlé de moi ?
Maryline
Oh ! Vous n'imaginez pas à quel point il a été conquis par votre charisme. D'après lui, vous êtes le futur Johnny Hallyday !
Benoît
A ce point ? Bon, sans vouloir être prétentieux, c'est vrai que je m'imagine bien comme ça. C'est amusant car tout à l'heure, j'ai chanté du Johnny à votre mari.
Maryline
Ah oui ? En effet, c'est amusant, très cher.
(Elle lui tourne le dos pour mettre le bouquet dans un vase et il lui chante le passage très aigu de « Allumer le feu »).
Benoît
« Il suffiraaaa !!!»
Maryline
Aah !! Putain de bordel de merde !
Benoît
« … d'une étincelle ! »
Maryline
Aïe ! Ça fait mal...
Benoît
J'ai un bel organe, n'est-ce pas ?
Maryline
Heu, oui oui oui. Moi, les miens sont descendus !
(Morticia entre dans le salon par le couloir cour. Elle tient un coussin péteur dans la main).
Benoît
(hurlant en voyant Morticia) Aahh !! Attention !
Maryline
C'est encore du Johnny ?
Benoît
Non ! Derrière vous ! Un clown tueur !
(Maryline se retourne).
Maryline
(en aparté) Mais qu'est-ce qu'elle fiche ici, celle-là ?
(à Benoît) Ah ! Mais non, vous inquiétez pas. C'est ma fill... c'est ma fidèle clown !
Morticia
Désolée, je dérange...
Benoît
Votre clown ? Vous avez un clown ?
Maryline
UNE clown. Eh oui ! Les seigneurs avaient leurs domestiques et leur fou. Nous, nous avons nos domestiques et notre folle.
Morticia
Je ne suis pas folle.
Benoît
C'est incroyable, ça. Je pensais que ça n'existait plus.
Maryline
Nous tenons aux traditions dans notre famille.
Benoît
Mais elle n'a pas l'air très drôle comme clown.
Maryline
C'est parce qu'elle est en mode veille. (à Morticia) Morticia, fais le clown !
Morticia
Pff... D'accord...
(Morticia pose son coussin sur le fauteuil de Georgette, met son nez, puis fait le clown). « Oh la la la la ! J'ai les quilles en compote ! Madame Maryline, retenez-moi ! »
(Morticia se laisse choir devant Maryline qui la retient et la redresse. Puis elle recommence plusieurs fois).
Maryline
Qu'est-ce qui t'arrive, Morticia ?
Morticia
« Mes jambes sont toutes molles ! Elles fondent comme du camembert ! ».
Benoît
(mort de rire) Ah ah ah ! Excellent, son numéro ! J'adore !
(On sonne à la porte. Troumfette arrive du couloir jardin et traverse la scène).
Troumfette
C'est qui encore ?...
(Elle ouvre la porte).
Willy
Salut bébé. Sympa, ta baraque !
Troumfette
Willy ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'as pas eu mon message ?
Willy
Ton message ? Non. Tu as appelé quel numéro ?
Troumfette
Bah j'ai fait le numéro de la police. LE 17. Je suis pas conne !
Willy
Ah non ! Avec le 17, tu ne pourras pas m'avoir. C'est le standard.
Troumfette
Ah flûte ! C'est pour ça que tu es là...
Willy
Dis donc, ton tablier et ton chapeau, c'est marrant ! On dirait une domestique.
Troumfette
Ah ah ! Oui ! A la maison, je mets ça pour ne pas salir ma robe et mes cheveux.
Willy
Pauvre chou, toujours aussi précieuse ! Comme pendant la garde à vue où tu voulais qu'on te rende ton maquillage.
Troumfette
Il faut savoir être croquette !
Willy
Coquette. Pas croquette, ma petite chatte !
Troumfette
Écoute, Willy. Je voulais te dire que pour ce soir, ça ne va pas être possible car je...
(Willy voit alors Maryline et Morticia qui se tiennent. Il sort son flingue et fait une roulade).
Willy
Attention ! Un clown tueur !
(Il arrive jusqu'à elles, les sépare, et vise Morticia avec son flingue). Plus un geste ! Ah ah ! J'ai enfin mis la main sur Zouzou, le clown tueur en série !
Morticia
(retirant son nez) Quoi ?
Willy
Les mains sur la tête !
(Morticia met ses mains sur sa tête).
Morticia
Pfff...
Troumfette
Mais non mon chou. Pas de panique. Ce n'est pas un tueur en série. C'est juste ma...
Maryline
C'est juste Morticia, notre clown d'intérieur.
Willy
Votre clown d'intérieur ?
Benoît
Oui, c'est leur fou du roi. Enfin, leur folle...
Morticia
Je ne suis pas folle.
(remettant son nez) « Oh la la la la ! J'ai eu tellement les chocottes que j'ai encore les guibolles qui flageolent ! »
(Elle retombe dans les bras de sa mère).
Willy
Mouais. Pas terrible comme clown.
(à Benoît) Et vous, vous êtes qui ? Michael Jackson ?
Benoît
Oh non ! Merci de la comparaison, je n'y suis pas encore. Un jour peut-être, qui sait ? Je suis Ben Pitchell, le nouveau roi de la pop !
Willy
Ça ne serait pas le roi du pop-corn plutôt ? Avec ce costard ringard, vous ne faites pas très rock and roll.
Benoît
(chantant Trust) « Antisocial, tu perds ton sang-froid ! »
Willy
Ah oui ! Ça donne envie...
Benoît
N'est-ce pas ?
(Georgette entre dans la pièce par le couloir cour).
Georgette
Il y a beaucoup de monde ici, dites-moi !
Troumfette
Mamie, je te présente Willy, mon copain.
Willy
(faisant un bref salut militaire) Madame.
Benoît
(à Maryline) La grand-mère de votre domestique habite chez vous ?
Maryline
Heu... C'est-à-dire que... Nous avons grand cœur, mon mari et moi. Cette pauvre dame n'avait pas de logement, et comme nous aimons aider les gens dans le besoin...
Georgette
Dans le besoin ! Dans le besoin ! Je n'y peux rien, moi, si j'ai des problèmes gastriques.
Benoît
(à Maryline)
Vous êtes vraiment des bienfaiteurs. On dirait que vous accueillez toute la misère du monde.
(Georgette s’assoit dans son fauteuil, sur le coussin péteur qui fait un gros pet).
Maryline
Georgette ! Ça ne s'arrange pas, vos flatulences !
Georgette
Oups ! En effet, celui-là, je ne l'ai pas senti venir. Ni senti sortir, d'ailleurs. C'est un peu inquiétant.
Morticia
Mais non. Elle n'a rien fait. C'est juste un coussin péteur que j'ai placé sur son fauteuil.
(Georgette retire le coussin de sous ses fesses).
Maryline
Mais pour quoi faire, Morticia ?
Morticia
C'est un tour de clown.
Georgette
(mécontente) Très drôle ! J'ai cru que je devenais incontinente.
Morticia
Si c'est drôle, c'est que j'ai réussi.
Georgette
Oui, eh bien en attendant, va donc faire un tour !
Morticia
Encore ? Un tour de quoi cette fois ? Un tour de magie ?
Georgette
Un tour dehors ! De l'air !
Morticia
Pfff...
(Morticia sort par la porte de service).
Benoît
A ce propos, puis-je vous demander d'utiliser vos toilettes ?
Maryline
Pas de problème ! Au fond du couloir à droite.
Benoît
Je fais vite !
Maryline
Prenez votre temps.
(Benoît part dans le couloir cour).
Georgette
Elle a vraiment un humour de merde, celle-là. Pas sûr qu'elle reste clown bien longtemps !
(Willy reçoit un message sur son téléphone et le lit).
Willy
Oh non ! Le boulot ! Il y a un cambriolage en cours et on me demande de rejoindre les collègues.
Maryline
Ah bah ça pouvait pas mieux tomber, dis donc !
Willy
Pardon ?
Maryline
(faussement déçue) Non, heu... Vous n'allez pas pouvoir rester. Quel dommage ! Mais le travail avant tout. Au revoir Willy !
Willy
Moi qui me faisait une joie de passer la soirée avec toi, Troumfette.
Troumfette
Ah bah oui, c'est trop bête...
Georgette
Nous sommes tous tellement déçus, mais le devoir, c'est prioritaire. Au revoir, Willy !
Maryline
Troumfette était tellement heureuse de vous inviter. Mais bon, c'est comme ça.
Willy
Je suis désolé, ma troutrou. Elles ont raison. Je suis flic, donc je n'ai pas le droit de refuser.
Troumfette
Non, attends ! Tu n'as qu'à faire comme si tu n'avais pas entendu ton téléphone. Tout simplement !
Georgette
(en aparté) Qu'est-ce qu'elle nous fait, là ?
Troumfette
Ou alors, tu n'as pas de réseau. Comme ça, tu restes avec moi !
Maryline
(en aparté) Mais qu'elle est con !
Willy
Dis donc, Troumfette, tu sais que tu es un génie, toi, parfois ?
Georgette
C'est bien la première fois qu'on lui dit ça ! Il ne se rend pas compte, le gars.
Maryline
Ou alors c'est l'huître qui trouve la poule intelligente...
Willy
(faussement dépité) Oh mince... Pas de réseau... Je ne peux pas recevoir de message et donc, je ne peux pas aider les collègues sur le cambriolage.
Troumfette
Hi hi hi ! Tu me fais rire, mon Willy. Allez suis-moi, je vais te faire visiter le parc.
(Troumfette et Willy sortent par la porte d'entrée).
Georgette
Je rêve, ou ta fille vient de convaincre son flic de rester ici ?
Maryline
Mais comment j'ai fait pour avoir une fille pareille ? Moi qui suis si intelligente et raffinée, putain !
(Max revient par la porte de service).
Max
Quelle galère, ce lustre ! Heureusement, j'ai réussi à le remettre rapidement. J'espère que ça tiendra.
(à Maryline) Chérie, madame Duvivier veut que tu ailles nettoyer le tapis.
Maryline
Quoi ? Mais je peux pas y aller avec ma robe de soirée !
Max
Eh bien, va remettre ta tenue.
Maryline
Mais je vais pas m'habiller en soubrette alors que Pichon est là !
Max
D'ailleurs, il est où, Pichon ?
Maryline
Il est aux chiottes.
Max
Il va falloir se la jouer serrée, et que chacun tienne son rôle.
Maryline
Tu sais, on a dû improviser. Les rôles ont un peu changé depuis que tu es parti remettre ce lustre.
Max
Ah bon ? Fais-moi un topo pour voir.
Maryline
Donc, si je résume. Notre fille Troumfette est notre domestique. Quand elle a laissé un message à son copain Willy tout à l'heure, elle s'est gourée de numéro. Résultat : il est arrivé chez nous et a sorti son flingue.
Max
Le flic a débarqué ici ? Avec son flingue ?
Maryline
Ouais, il a voulu jouer les cow-boys. Ensuite, ses collègues l'ont appelé pour une intervention et on s'est dit : Cool ! Il se barre !
Max
Ah ! C'est déjà une bonne chose.
Maryline
Non ! Parce que Troumfette l'a convaincu de rester. Elle a rien compris, celle-là ! Elle lui fait faire le tour de parc !
Max
Mais quelle quiche !
Maryline
Comme tu dis ! Quant à ta mère, c'est la grand-mère de Troumfette.
Max
Oui, eh bien ça, c'est normal. C'est bien sa grand-mère !
Maryline
Alors je devrais dire : c'est la grand-mère de notre domestique, que nous hébergeons dans notre grande bonté. Mais pas du tout ta mère.
Max
Ça se complique, notre histoire.
(Morticia revient par la porte de service).
Morticia
C'est bon, j'ai fait un tour, mais il n'est pas encore au point.
Max
Mais qu'est-ce que tu fais là, toi ? Tu n'es pas dans ta chambre ? Ne me dis pas que Pichon t'a vue...
Morticia
Si. Et je suis votre clown d'intérieur.
Max
Notre clown d'intérieur ?
Georgette
Oui, le fou du roi si tu préfères. On l'a embauchée pour nous détendre.
Max
Mais c'est pas crédible !
Morticia
(mettant son nez) « Oh la la la la ! Pouêt pouêt ! Je vais vous faire rire, les copains et les copines ! »
(Elle retire son nez).
Max
C'est pathétique ! On n'y croit pas une seule seconde.
(Troumfette revient par la porte d'entrée).
Georgette
Ah te voilà, toi ! Tu es toute seule ?
Troumfette
Mouais...
Maryline
Enfin ! Tu es revenue à la raison. Tu lui as dit de se casser ?
Troumfette
Non. C'est lui qui a eu des remords. Il m'a parlé d'un truc, ça s'appelle la conscience professionnelle, je crois. Bref, il a décidé d'aller aider ses collègues.
Maryline
Et ça nous enlève une belle épine du pied. Heureusement qu'il est là pour rattraper tes conneries !
(Benoît revient du couloir cour).
Benoît
Dites donc, je trouve qu'il y a une drôle d'odeur dans vos toilettes. Vous n'auriez pas des remontées d’égout ?
Georgette
Non, désolée. Ce sont mes problèmes gastriques...
(On sonne à la porte).
Maryline
Troumfette !
Troumfette
J'y vais, j'y vais...
(Troumfette va ouvrir la porte d'entrée et tombe sur Willy). Willy ? Tu n'es pas encore parti ?
Willy
M'en parle pas ! Ma voiture n'a pas voulu démarrer.
Max
Voilà autre chose ! Elle est en panne ?
Willy
Je ne sais pas ce qui se passe. Le moteur broute.
Benoît
Vous ne vous êtes pas trompé de carburant ? J'ai déjà eu le problème avec mes poêles à mazout.
Troumfette
Encore ! C'est une obsession chez vous, les poils.
Georgette
C'est quoi, cette histoire de poils ?
Benoît
Non, ce n'est rien. Oubliez.
Willy
En tout cas, c'est pas un problème d'essence. Je ne suis pas un abruti, quand même ! Et puis, j'ai bien réussi à venir chez vous.
Benoît
Si vous voulez, j'ai quelques notions de mécanique. Je peux aller jeter un œil.
Willy
Avec votre costard ? Et puis quoi encore ! Vous allez mettre des paillettes plein mon moteur.
Max
Et puis, vous êtes notre invité, Benoît.
Benoît
Ben, s'il vous plaît.
Max
Oui. Ben. Si vous voulez.
Willy
Monsieur Carambouille, Troumfette m'a dit que vous étiez bricoleur. Vous n'auriez pas des outils à me prêter ? Je voudrais voir ce qu'il a, ce foutu moteur.
Max
Mais oui, bien sûr. Prenez ma caisse, si ça peut vous faire partir plus vite !
Willy
Vous êtes pressé que je m'en aille ? Je gêne ?
Max
Non, pas du tout ! C'est pour ne pas être en retard sur votre intervention.
Willy
Ah oui, c'est vrai.
(Il prend la caisse à outils).
Troumfette
Ne te blesse pas, mon Willy !
Willy
T'inquiète. A la revoyure, bébé !
(Willy s'en va par la porte d'entrée).
Maryline
Et si on passait à table, nous ? Le repas est prêt. Troumfette va nous servir.
Troumfette
Mouais.
Maryline
(reprenant Troumfette) Oui, madame !
Troumfette
Oui, madame.
Maryline
Allez hop ! Dans la salle à manger !
(Ils partent tous par le couloir jardin).
RIDEAU
acte III
(Morticia arrive par le couloir jardin).
Morticia
Quelle galère ! Ça ne marche pas, mes numéros de clown. Il n'y a que Pichon qui est mort de rire. Les autres, ils m'ignorent, comme s'ils ne m'entendaient pas. Je me demande si je devrais pas revenir aux pompes funèbres. Au moins, les morts, c'est normal si ils ne m'entendent pas.
(Willy arrive par la porte d'entrée sans sonner, le visage couvert de cambouis).
Willy
Fait chier ! J'ai pas la bonne clé pour démonter le carbu.
Morticia
Vous pourriez sonner quand même...
Willy
(voyant Morticia) Nom d'un chien ! Zouzou, le clown tueur !
(Il sort son flingue et fait une roulade). Plus un geste !
Morticia
Oh ! Oh ! C'est moi, Morticia ! Pas de panique !
Willy
Ah mince, c'est vrai ! Le clown des Carambouille.
Morticia
Vous avez la gâchette facile, vous.
Willy
Excusez. C'est la police. Vous savez, le stress permanent.
Morticia
Oui, j'imagine. Vous avez dû en voir, des cadavres, vous.
Willy
Tu parles ! Rien du tout. Je n'ai jamais vu un mort de ma vie. A part Gaston, mon grand-oncle. Et encore ! J'avais dix ans.
Morticia
Ça doit être une grande déception.
Willy
Mais je ne désespère pas d'en voir un jour. Avec un peu de persévérance. Un accident est si vite arrivé !
Morticia
Je vous le souhaite en tout cas.
Willy
Merci, c'est sympa. Dites, je suis bien embêté. Pour démonter mon carbu, il me faut une clé de 12. Mais je n'ai qu'une clé de 11 et une clé de 13.
(Morticia soupire, met son nez rouge et sort une grosse clé en plastique).
Morticia
« Tadam ! »
Willy
Qu'est-ce que vous faites ?
Morticia
« Coco, tu cherches une clé ? Je t'offre la clé du bonheur ! »
Willy
Mais c'est n'importe quoi. Je vais pas démonter mon carburateur avec ça !
Morticia
« Non, mais tu peux ouvrir la porte du paradis des petits enfants ! Et des monstres gentils ! »
Willy
Vous êtes sûre que vous allez bien ?
Morticia
« Et si tu es sage, je te cuisinerai du Gloubiboulga ! »
Willy
Bon, arrêtez votre cirque maintenant.
(Il lui retire son nez rouge et elle reprend sa voix normale).
Morticia
Pfff, même vous, ça ne vous amuse pas. Je n'ai vraiment aucun talent...
Willy
Ne dites pas ça. C'est juste que je ne suis pas d'humeur avec ma voiture en panne. Mais je suis sûr que vous êtes très drôle.
Morticia
Vous êtes gentil, vous. Vous m'encouragez au moins. C'est marrant, votre maquillage, il est un peu comme le mien. Vous êtes gothique aussi ?
Willy
Gothique ? Non. Quel maquillage ?
Morticia
Vous avez plein de noir sur le visage, comme moi.
Willy
Ah bon ? Ah ! Ça doit être le cambouis. J'ai dû me passer les mains sur la figure sans faire exprès.
Morticia
On se ressemble un peu, finalement. On aurait sans doute des tas de choses à se dire.
Willy
Heu, ouais, pas sûr...
Morticia
J'aimerais vous proposer une chose qu'on pourrait faire ensemble, tous les deux...
Willy
Ne vous emballez pas ! Je suis maqué avec Troumfette. Et je suis fidèle ! Et puis, je ne peux pas me mettre avec un clown, alors que j'en pourchasse un. Il y aurait conflit d'intérêt ! Zouzou, le clown tueur en série. Vous en avez entendu parler ?
Morticia
Mais je ne veux pas remplacer Troumfette. Je vous propose d'aller tous les deux visiter la morgue. Vous n'avez jamais vu de morts, mais avez-vous pensé à aller là ? Quand on est policier, ça doit être facile.
Willy
Ah OK, j'avais mal compris. Mais je vais vous décevoir, je n'ai même pas le droit d'aller à la morgue. Vous pensez bien que si je pouvais, il y a longtemps que j'aurais été voir le spectacle !
Morticia
Oh, dommage, ça m'aurait fait bien plaisir.
Willy
Écoutez, Morticia. Je dois retourner bricoler ma voiture. Je vais me débrouiller sans clé de 12. Reprenez votre nez.
(Il lui rend son nez rouge).
Morticia
Bon courage.
(Willy sort par la porte d'entrée. Benoît, Max et Maryline reviennent par le couloir jardin).
Benoît
Madame Carambouille, votre cassoulet était un régal ! Il faudra que votre cuisinier me donne la recette.
Maryline
C'est un chef étoilé toulousain, il y a mis tout son cœur. Mais désolée Benoît pour la recette, il garde ses petits secrets.
Benoît
Ben. Appelez-moi Ben s'il vous plaît.
Maryline
Ouais OK, Ben !
Benoît
Et je peux vous appeler Maryline ?
Max
Non. Madame Carambouille s'il vous plaît. C'est la femme de votre producteur quand même !
Benoît
Oh oui, excusez-moi.
Morticia
Elles sont où Troumfette et mamie ?
Maryline
Troumfette débarrasse la table. C'est normal, c'est la domestique. Et SA mamie est aux toilettes.
Morticia
Encore ?
Maryline
Ouais ! Vu ses problèmes de digestion, elle aurait pas dû prendre deux fois du cassoulet...
Max
(prenant Benoît par les épaules) Mon petit Ben, si on parlait maintenant de votre carrière ?
Benoît
Ah oui ! Nous n'avons pas encore abordé le sujet. Nous avons passé tout le repas à parler de tout et de rien. Même si c'était très intéressant.
Max
Il faut bien apprendre à nous connaître si nous voulons nous faire confiance. Je ne savais pas que vous possédiez un magasin de cheminées.
Benoît
Oh, vous savez, ce n'est qu'un petit magasin.
Maryline
Vous êtes trop modeste. Avec autant de cheminées, le père noël, il doit vous gâter !
Benoît
Pourquoi donc ?
Maryline
Bah si il passe dans chaque cheminée pour vous apporter un cadeau, ça fait beaucoup de cadeaux.
Benoît
Ah ah ah ! Oui, je l'ai ! La blague ! Mais vous savez ? Le père noël, cette fois-ci, il s'est appelé Française des Jeux !
Maryline
Oh, mais c'est que vous êtes un marrant, vous aussi !
Benoît
En tout cas, votre clown Morticia, elle est vraiment très drôle ! A mourir de rire !
Maryline
D'habitude, elle est plutôt à mourir tout court.
Morticia
Eh oh ! Je suis là...
Benoît
Et alors, son numéro de ventriloque avec sa poupée d'Halloween, c'est très réaliste ! Comment elle l'appelle, cette poupée, déjà ? Ah oui ! Zombidouille.
Maryline
Vous êtes pas difficile, vous !
Morticia
Je vous entends...
Benoît
Franchement, j'ai vraiment cru que c'était Zombidouille qui parlait.
Maryline
Mais elle est nulle comme ventriloque, on voit ses lèvres bouger tout le temps !
Morticia
Je suis toujours là...
Max
Et si nous reparlions de nos affaires, Ben ? Vous voulez toujours devenir une star de la chanson ?
Benoît
Et comment ! Plus que jamais !
(chantant Daniel Balavoine) « Et partout dans la rue ! J'veux qu'on parle de moi ! Que les filles soient nues ! Qu'elles se jettent sur moi ! »
Maryline
Aïe ! C'est pas la peine de crier, Ben, on vous entend !
Benoît
Je ne crie pas, je chante.
Morticia
Pfff... Je retourne dans ma chambre puisque personne ne m'écoute.
(Morticia part dans le couloir cour).
Max
Nous allons nous occuper de votre contrat, mais il faudrait d'abord nous débarrasser de ce petit détail de cent mille euros.
Benoît
Oui, je comprends. C'est une question de confiance.
Max
Alors on fait le virement ?
Benoît
Il me faut d'abord votre relevé d'identité bancaire. Sans votre RIB, je ne peux rien faire.
Max
Ah oui, vous avez raison. Je vais le chercher.
(Max part dans le couloir jardin).
Maryline
Vous chantez toujours aussi fort, Benoît ?
Benoît
Non, bien sûr ! Ici, c'est juste pour montrer mon organe. Mais je sais faire des chansons douces aussi. Eh ! Je vais même vous dire un petit secret. Il m'arrive de prendre la plume pour écrire mes propres chansons.
Maryline
Ah bon ?
Benoît
Oui ! J'espère que quand votre mari produira mon disque, je pourrai y mettre mes chansons.
Maryline
Ah ça, j'en suis sûre !
Benoît
Tenez, vous voulez que je vous en chante un petit bout ?
Maryline
Heu, je ne voudrais pas vous embêter avec ça...
Benoît
Allons ! Ça me fait plaisir.
(s'adressant au public) Vous voulez que je vous chante une de mes chansons ? (encouragements du public) Bien, je me lance.
(Fredonnez sur la musique de votre choix. Si vous n'y arrivez pas, je peux vous envoyer une mélodie toute prête par mail)
Tu es chaude, mi amor
Comme une cheminée
J'imagine dans ton corps
Un poêle à granulés
Tes yeux sont un foyer
Où brûle tant de douceur
Ta bouche me fait penser
A une pompe à chaleur
C'est rien qu'des compliments
Mais j'les dis sincèrement
Maryline
Ouais, c'est chouette. Vous êtes d'origine espagnole ?
Benoît
Non, pourquoi ?
Maryline
Vous commencez par « Tu es chaude, mi amor »...
Benoît
Ah non ! Je n'ai pas trouvé d'autre rime avec ton corps.
Maryline
Votre petite copine doit adorer cette chanson.
Benoît
Oh, je n'ai pas de petite copine.
Maryline
Sans blague ! Un bel homme comme vous ? Les femmes doivent se battre...
Benoît
Les illusions sont trompeuses. Je n'ai jamais eu de petite amie.
Maryline
Non !
Benoît
Eh si !
Maryline
Comme c'est triste... et étonnant. Mais alors, à qui est destinée cette merveilleuse chanson ?
Benoît
C'est à une fille imaginaire que je m'adresse... Enfin, peut-être pas.
Maryline
Il faudrait savoir ! Elle existe ou pas, cette fille ?
Benoît
Disons que je la destine à Lucette Dugenou, une cliente pour qui j'ai un petit penchant. Mais je ne devrais pas vous raconter tout ça, c'est très intime...
Maryline
Allons, allons ! La confiance, c'est la clé de notre succès.
Benoît
Vous avez raison. Vous en pensez quoi sincèrement, de ma chanson ? Vous croyez que Lucette Dugenou va aimer ces images romantiques ?
Maryline
Elle va adorer ! Surtout la comparaison de sa bouche avec une pompe à chaleur.
Benoît
C'est pour le côté chaud de l'amour.
(Max revient du couloir jardin).
Max
C'est bon ! J'ai le RIB !
Benoît
Ah je suis chaud, moi ! Cette chanson de cheminée m'a donné une de ces suées !
Maryline
Il vous en faut peu...
Max
(lui tendant le RIB) Allez, entrez mon RIB, qu'on avance !
Benoît
Oui, oui, je le fais.
(Il prend le RIB et s'apprête à le saisir sur son téléphone, mais relève la tête). Il faudrait qu'on fasse les photos avant.
Max
Les photos ? Quelles photos ?
Benoît
Ce serait bien qu'on fasse une séance de shooting avec votre téléphone. J'ai peur de ne pas être à la hauteur quand je serai devant un vrai photographe.
Maryline
Voilà autre chose !
Max
Je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire ce soir.
Benoît
Allons ! J'ai mis mon habit de lumière. Il faut en profiter ! Et après, je mets votre RIB sur mon appli bancaire.
Maryline
Fais-le, Max, sinon on va y passer la nuit.
Max
Bon d'accord, mais vous le faites après, hein ?
Benoît
Promis !
Max
(à Maryline) Je ne suis pas très doué pour faire des photos. Chérie, tu ne veux pas t'en occuper ?
Maryline
Tu m'as vue ? A chaque fois que je prends une photo, c'est flou, ou alors on ne voit que les pieds. J'ai pas le talent de Troumfette pour ces trucs-là, avec tous ses lives et ses follo-machins !
Max
Tu as raison.
(appelant au loin) Troumfette !
(Troumfette arrive du couloir jardin).
Troumfette
Me voilà ! Qu'est-ce qu'il y a ?
Maryline
Il faudrait que tu... que vous preniez monsieur Pichon en photo.
Benoît
Ben Pitchell maintenant.
Maryline
Oui, Ben Pitchell.
Troumfette
Le prendre en photo ? Pour quoi faire ?
Benoît
J'ai besoin d'un entraînement de shooting pour le photographe. Vous savez faire des shootings, mademoiselle ?
Troumfette
Évidemment ! Je passe mon temps à faire des selfies.
Max
C'est parfait, Troumfette. Vous voulez mon téléphone ou vous préférez votre propre appareil ?
Troumfette
Je vais prendre mon phone, je le connais.
(Elle sort son smartphone).
Benoît
(raide et crispé) Vous voulez que je prenne quelle pose ?
Troumfette
Plus détendu ! Soyez cool, Ben Pitchell. Relax !
(Elle prend une photo).
Max
Ça y est ? C'est bon ? Vérifiez qu'elle n'est pas floue.
Troumfette
Non mais oh ! Tu m'as vue ? Faire des photos floues, moi ?
Maryline
Surveillez votre langage, Troumfette. C'est votre patron !
Troumfette
Heu, oui, je... Mince, je sais plus comment on fait...
Maryline
Troumfette, repensez à l'émission « Les clochards au château ».
Troumfette
Ah oui ! Comme monsieur voudra ! Monsieur prendra un bain ? Je vais chercher le peignoir de monsieur...
Maryline
Arrêtez de raconter n'importe quoi. Vous faites un shooting photo, Troumfette !
Troumfette
Ah oui, c'est vrai ! Donc, je voulais dire à monsieur qu'un shooting, ce n'est pas qu'une photo. Il faut en faire plusieurs pour pouvoir choisir la meilleure après.
Benoît
Oui. Elle a tout à fait raison, monsieur Carambouille. Vous n'avez jamais assisté à des séances photos avec vos artistes ?
Max
D'habitude, je laisse ça à mes photographes. Il faut en faire combien, des photos ?
Troumfette
Je ne sais pas, moi. Quelques dizaines ou quelques millions, je ne vais pas compter.
Maryline
Des dizaines ou des millions. Dis donc, c'est une sacrée fourchette, Troumfette !
(à Max) Max, je propose qu'on les laisse tranquilles cinq minutes. Comme ça, ils vont faire toutes les photos qu'ils veulent.
Max
Oui, je suis d'accord.
Maryline
Bon shooting, tous les deux !
Benoît
Merci madame Carambouille !
(Max et Maryline partent dans le couloir jardin).
Troumfette
Allez, c'est parti !
(Troumfette se met à mitrailler avec son téléphone).
Troumfette
Prenez des poses différentes, Ben Pitchell.
Benoît
Quel genre de poses ?
Troumfette
Je ne sais pas, moi. Essayez le rockeur.
(Benoît prend une pose ridicule de rockeur).
Benoît
Comme ça, c'est bien ?
Troumfette
Oui, pas mal. Continuez, inventez. Ayez de l'imagination dans votre tête.
(Benoît prend des poses ridicules et Troumfette prend les photos. Pendant ce temps, Georgette est arrivée par le couloir cour et les observe, avant de prendre la parole).
Georgette
Qu'est-ce que vous faites ?
Troumfette
Ah ! Mamie, tu es là. Je prends Ben Pitchell en photo pour sa promo de chanteur.
Georgette
Ah ouais, vous en êtes à ce point-là !
Troumfette
C'est papa qui m'a dit.
Georgette
Tu veux dire que c'est « Monsieur » qui t'a dit.
(Heureusement, Benoît est trop concentré dans ses poses pour avoir entendu).
Troumfette
Heu, oui, c'est Monsieur qui m'a dit.
Georgette
Et ça se passe bien, votre séance ?
Troumfette
Oui. Mais mamie, s'il te plaît, un peu de silence, j'ai besoin de concentration.
Georgette
Oui, je comprends. Pour une fois que tu te concentres. Je vais m'asseoir et ne plus parler.
(Georgette va s'asseoir et le shooting continue).
Troumfette
Allez, Ben Pitchell. De la sensualité. Du désir. Il faut que vos fans aient envie de vous...
(Elle mitraille tandis que Benoît prend des poses suggestives).
Georgette
Vous savez que moi aussi, j'ai fait des shootings dans ma jeunesse ? On n'appelait pas ça comme ça, et c'était pas avec un téléphone, mais c'était pareil.
Troumfette
Mamie ! Silence, on travaille !
(La séance continue). Soyez sexy, Ben Pitchell.
Benoît
Troumfette, vous pouvez m'appeler Ben tout court. Inutile de dire Ben Pitchell à chaque fois.
Georgette
C'était pareil, je vous dis. A part que moi, j'étais à poil dans les shootings.
(Ben est déstabilisé par les paroles de Georgette).
Troumfette
Restez concentré, Ben. Regardez l'objectif de la caméra.
Georgette
Troumfette, ça te dit qu'on se fasse un shooting ? Je suis sûre que j'ai des beaux restes.
Benoît
Madame, nous sommes en plein travail !
Troumfette
(à Benoît) C'est pas grave, Ben Je crois qu'on a assez de photos. Si ça peut faire plaisir à ma grand-mère...
Georgette
Ah ! Super !
(Elle commence à enlever son gilet).
Troumfette
Mais tu restes habillée, mamie !
Georgette
(déçue) Bon, d'accord...
Benoît
Et je fais quoi, moi ?
Troumfette
Je peux vous prendre en photo tous les deux ensemble.
Georgette
Oh oui ! On va le faire à la Stone et Charden.
(Faire un shooting improvisé. Ne pas hésiter à délirer et à trouver les poses les plus ridicules).
(On sonne à la porte).
Troumfette
Ah ! Excusez-moi, je vais ouvrir.
(Troumfette va ouvrir la porte d'entrée à madame Duvivier).
Mme Duvivier
Troumfette, monsieur Carambouille est venu réparer le lustre, mais j'attends toujours madame Carambouille pour ramasser la crotte de Zouzou et nettoyer.
Troumfette
Heu, oui, madame, je lui dirai.
Mme Duvivier
Ce n'est tout de même pas à moi de m'occuper de la crotte de Zouzou !
Troumfette
Ça ne doit pas être très compliqué à retirer, une crotte.
Mme Duvivier
Ce n'est pas la question ! Je ne vais pas m'abaisser à ramasser une crotte, enfin !
Troumfette
OK, OK, je lui dirai de passer la ramasser.
Mme Duvivier
Au fait, vous n'avez pas vu Loulou et Zouzou. Je les cherche depuis un moment, impossible de mettre la main sur mes pauvres toutous.
Troumfette
Ah bah non hein ! Je n'ai pas bougé d'ici.
Mme Duvivier
Et il y a un monsieur qui a la tête dans le capot d'une voiture. Savez-vous qui c'est ?
Troumfette
Oui, ne vous inquiétez pas. C'est Willy. C'est un ami policier.
Mme Duvivier
Un policier ? Qui fait de la mécanique ? C'est curieux. Bon, en tout cas, c'est plutôt rassurant d'avoir un policier dans les parages. Nous sommes en sécurité. Surtout avec ce clown tueur qui rôde...
Troumfette
C'est bon maintenant ? Je suis en plein travail, madame.
Mme Duvivier
Oui, je vous laisse, mais n'oubliez pas de dire à madame Carambouille de passer très vite.
Troumfette
Je lui dirai. Au revoir.
(Troumfette referme la porte d'entrée).
Georgette
Bon, on reprend la séance ?
Benoît
Vous avez peut-être assez de photos, non ?
(Max et Maryline reviennent par le couloir jardin).
Maryline
Alors, ce shooting, c'est fini ?
Troumfette
Ouais, je crois que c'est bon. On a même des bonus avec mamie.
Max
(à Benoît) Vous avez entré le RIB sur votre téléphone ?
Benoît
Je vais le faire.
Max
Vous avez promis après la séance photo !
Benoît
Oui, je le mets...
(Benoît entre le RIB sur son téléphone).
Max
Maintenant, procédons au virement.
Benoît
J'aimerais bien qu'on s'entraîne aussi à faire une interview.
Max
Quoi ?
Benoît
Je n'ai jamais fait d'interview de ma vie. J'ai peur d'avoir l'air bête la première fois.
Max
Mais ça sert à rien ! On ne va pas faire une fausse interview. On n'a même pas commencé à travailler ensemble !
Benoît
C'est juste pour me mettre en confiance. Après, je fais le virement. Promis !
Max
Mais je suis votre producteur, c'est quand même pas à moi de vous interviewer !
Troumfette
Moi, je veux bien faire l'interview ! Je peux, dites ? Hein ? Je peux ?
Benoît
Si vous voulez, Troumfette. On peut essayer.
Troumfette
OK, alors j'y vais. Heu, d'abord, je voudrais savoir pourquoi vous êtes si fier d'avoir des poils à votre zoute.
Benoît
Ah non ! Vous n'allez pas recommencer avec cette histoire de zoute !
Georgette
(à Troumfette) Il t'a parlé de sa zoute ?
Troumfette
Oui, il aime bien en parler. Mais mamie, tu savais que ça s'appelait une zoute, toi ?
Georgette
Bien sûr ! Tout le monde sait ce que c'est qu'une zoute. Et j'en ai connues, des zoutes, dans ma jeunesse. Et même après.
Max
Changeons de sujet enfin ! C'est gênant...
Georgette
Mais comment tu aurais pu voir le jour sans zoute, mon garçon ? Tu n'es pas né dans un chou.
Benoît
Excusez-moi, on peut revenir à mon interview ?
Troumfette
Ah oui, bien sûr ! Alors, cette zoute, que pouvez-vous en dire ? Mes followers veulent savoir.
Benoît
Non ! Arrêtez avec ça ! D'abord, j'ai seulement parlé de poêles à mazout.
Georgette
Et ça vous pose un problème, ces poils ?
Maryline
Quand même, vous êtes gonflé, vous ! OK, Troumfette, c'est pas un perdreau de l'année, mais enfin, ça se fait pas de parler de votre zoute à la première jeune fille venue !
Benoît
On arrête avec ce sujet. Ça me met mal à l'aise.
(à Troumfette) Troumfette, vous êtes gentille, mais je ne crois pas que vous pourrez faire l'interview.
(à Maryline) Madame Carambouille, vous voulez bien le faire , vous ?
Maryline
Moi ? Mais je sais pas quoi vous demander, moi !
Benoît
Ne vous inquiétez pas. J'ai préparé toute une série de questions. Vous n'avez qu'à les lire.
(Il lui tend un bout de papier).
Maryline
Ah bon ? Mais ça sert à rien si vous faites vous-même les questions !
Benoît
Si. Ça va me permettre de poser ma voix. Allez ! C'est parti.
Maryline
Bon, si il le faut, allons-y. Heu, Bonjour Benoît Pichon, merci de m'accorder cette interview.
Benoît
Non, attendez. Quand j'ai rédigé mes questions, je n'avais pas encore mon nom d'artiste. Est-ce que vous pourriez remplacer Benoît Pichon par Ben Pitchell ?
Maryline
OK. Bonjour Ben Pitchell, merci de m'accorder cette interview.
Benoît
Je vous en prie.
Maryline
Votre album vient de sortir et il rencontre déjà un succès aussi important que l'album blanc des Beatles. Comment expliquez-vous cela ?
Benoît
Je pense que c'est un mélange de chance et de talent. Je crois que...
Maryline
C'est peut-être un peu exagéré quand même. Aussi important que les Beatles !
Benoît
Ce n'est pas dans l'interview, ça.
Maryline
Non, c'est une remarque.
Benoît
Ah mais je ne vais pas y arriver si vous ajoutez des choses.
Georgette
En même temps, c'est une bonne remarque. Les Beatles, n'importe quoi ! Et pourquoi pas Frédéric François ou Mike Brant !
Maryline
Bonjour le melon, le gars !
Troumfette
Hi hi hi ! Comment il se la pète grave. J'adore !
Benoît
Non ! Non ! Non ! Vous me déstabilisez. Et madame Carambouille, vous me déconcentrez avec vos remarques. Est-ce qu'il serait possible que vous sortiez tous, et que ce soit votre clown Morticia qui m'interroge avec sa poupée Zombidouille ? Je serais plus à l'aise.
Maryline
Si vous voulez ! Moi, ce genre d'interview, c'est pas mon truc.
Max
(appelant) Morticia ! Viens ici avec ta marionnette !
Troumfette
On doit vraiment s'en aller ? Moi, ça m'éclate !
Georgette
Moi, je me casse, ça m'intéresse pas.
Maryline
Moi aussi. Allez, on s'en va.
(Georgette, Maryline et Troumfette s'en vont dans le couloir jardin pendant que Morticia arrive du couloir cour avec sa marionnette Zombidouille).
Max
Morticia, Benoît veut que tu lui lises les questions qu'il a écrites.
Morticia
Pfff... Pourquoi moi ?
Benoît
Je suis plus à l'aise avec vous. Et surtout si c'est votre marionnette qui parle.
Morticia
Ah... Si vous voulez...
Max
Bien, je vous laisse travailler. Et après, on fait le virement, hein ?
Benoît
Oui, ne vous inquiétez pas.
(Max s'en va dans le couloir jardin).
Morticia
Heu, je ne sais pas comment faire, moi.
Benoît
C'est très facile. Il vous suffit de lire les questions que j'ai écrites sur cette feuille, et de laisser Zombidouille me les poser.
Morticia
Bon, on va essayer.
Benoît
Et surtout, ne m'appelez pas Benoît Pichon ! Désormais, je m'appelle Ben Pitchell.
Morticia
(Elle fait parler sa marionnette avec une voix différente dès que c'est entre guillemets).
Bien. « Bonjour Benoît, heu, Ben Pitchell, merci de m'accorder cette interview ! »
Benoît
Je vous en prie.
Morticia
« Votre album vient de sortir et il rencontre déjà un succès aussi important que l'album blanc des Beatles ! Ouh la la ! Comment expliquez-vous cela ? »
Benoît
Je pense que c'est un mélange de chance et de talent. Je crois que le destin m'a enfin ouvert ses portes.
Morticia
« Mais cette ascension fulgurante a dû être précédée d'une période de vache maigre, non ? Meuh ! »
Benoît
Meuh ? Heu, ah oui, la vache, je n'y aurais pas pensé. Pour vous répondre, je suis resté dans l'ombre pendant des années, mais je n'ai pas été malheureux, puisque je tenais un magasin d'appareils de chauffage qui marchait plutôt bien.
Morticia
« Vous venez de faire le stade de France ! C'est fabuleux ! Quels sont vos projets après avoir atteint de tels sommets ? »
Benoît
J'envisage une tournée mondiale. Dans tous les stades de la planète. J'ai déjà contacté Beyoncé pour lui proposer de faire ma première partie à New-York.
Morticia
Vous ne seriez pas un peu mégalo, là ?
Benoît
Ah non ! Ce n'est pas dans les questions, ça !
Morticia
Non, mais je trouve que vous en rajoutez un peu trop quand même.
Benoît
Ah bon ? Mais c'est beau de rêver. Toutes les nuits, je m'endors en pensant à ce que serait ma vie avec ce statut de star internationale. Alors, depuis que j'ai rencontré monsieur Carambouille, je me suis dit que finalement, tout est possible.
Morticia
Vous risquez de tomber de haut...
Benoît
Comment ça ? Vous entendez quoi par là ?
Morticia
Je veux juste dire que même le plus grand producteur du monde ne pourra pas vous donner ce que vous cherchez.
Benoît
Ah ? Vous croyez ?
Morticia
La vie n'est pas un conte de fées. Au contraire, ce serait plutôt une mare noire et visqueuse au-dessus de laquelle bourdonneraient des mouches affamées et carnivores...
Benoît
Arrêtez, vous me fichez le bourdon.
Morticia
Non, pas des bourdons. Des mouches. Comme celles qu'on voit au-dessus des cadavres en putréfaction qui jonchent la planète à force de désespoir...
Benoît
Arrêtez ! Ça ne m'amuse plus, cette interview.
Morticia
On a fini alors ?
Benoît
Oui.
Morticia
(appelant) Monsieur Carambouille ! C'est fini !
(Max, Maryline, Troumfette et Georgette reviennent du couloir jardin, un peu trop précipitamment).
Max
Ah ! Ça y est ! Nous allons maintenant pouvoir passer aux choses sérieuses.
Benoît
Oui, vous avez raison. Finis, les préparatifs. Je suis pressé de commencer ma nouvelle carrière maintenant !
Max
Commençons par faire le virement des cent mille euros. Comme ça, on part sur une bonne base, celle de la confiance.
Benoît
D'accord, allons-y !
(Benoît prend son téléphone pour faire les manipulations, puis finalement relève la tête). J'aurais besoin d'aller aux toilettes avant.
Maryline
Encore ! Georgette vous a contaminé ?
Benoît
Je suis désolé. C'est sans doute un TOC chez moi, mais avant chaque décision importante, il faut que je me libère de... enfin, vous voyez ?
Georgette
Moi, je vois bien, mais je n'attends pas une décision importante pour ça.
Benoît
C'est extrêmement gênant, mais je sais que si je n'y vais pas, je ne serai pas serein.
Max
Bon, allez-y ! Mais après, on avance !
Benoît
Je reviens au plus vite.
(Benoît part dans le couloir cour).
Maryline
Il commence à me courir sur le haricot, le gugusse. Je sais pas quand il va les cracher, ses cent mille euros.
Georgette
Moi, je comprends. Une décision comme ça, ça travaille les intestins. Si tu n'avais pas fait toute ta petite mise en scène, on n'en serait pas là. On aurait dû le braquer simplement. A l'ancienne.
Max
Non. Pas de violence. Je refuse de m'abaisser à ça.
(Benoît revient du couloir, mais personne ne le voit).
Maryline
Elle a raison, Georgette. Tous tes trucs pour lui piquer son fric, ça marche pas.
Georgette
Et il me fatigue, ce type, avec sa voix insupportable.
Troumfette
Je le trouve marrant, quand même.
Maryline
Marrant, je sais pas. Mais très con, ça, c'est sûr !
Troumfette
Oh non, je sais pas. Je le trouve pas si con.
Georgette
Troumfette, sans vouloir te vexer, tu n'es pas la mieux placée pour juger de l'intelligence de quelqu'un.
Troumfette
Pourquoi tu dis ça, mamie ?
Morticia
Elle veut dire que ton araignée au plafond, elle est plus maline que toi.
Troumfette
Qu'est-ce que tu me parles d'araignée, toi ? N'importe quoi !
Max
En tout cas, le Pichon, il fait mal aux oreilles, mais il fait aussi mal aux yeux. Vous avez vu son costume ?
Maryline
Ah ! Ah ! Ah ! Horrible ! Aucun goût vestimentaire, le type !
Morticia
C'est vrai qu'il faut des lunettes de soleil pour le regarder. Même Zombidouille a la migraine.
Georgette
Les soldats devraient s'en servir comme arme. Il ferait fuir l'ennemi !
Maryline
Et comment il se prend pour une star ! Il doute de rien, l'abruti.
Max
Il est à fond dans son truc. C'est pour ça qu'on va y arriver à lui piquer son fric. Dès qu'il revient des toilettes, il fait le virement et bye bye ! On disparaît dans la nature.
Georgette
Le temps qu'il se rende compte qu'il s'est fait avoir, on sera loin.
Troumfette
Et je pourrai avoir mon abonnement de soins esthétiques.
Maryline
Ah, mon Maxou ! Ça sera notre meilleur coup. Et avec toute la famille ! Toi et moi, ta mère et nos deux filles.
(Benoît, sort du couloir cour et s'avance).
Benoît
(livide) Vous vous êtes bien moqués de moi.
Max
Benoît ! Ça fait longtemps que vous êtes là ?
Benoît
Suffisamment pour avoir tout entendu.
Maryline
Vous avez fait vite aux toilettes, dites donc !
Benoît
Ça sentait tellement mauvais que je n'ai pas pu y entrer.
Georgette
Désolée, toujours mes problèmes gastriques...
Benoît
Ici aussi, ça sent mauvais. Mais c'est une odeur d'arnaque.
Max
Mais non, Benoît ! On plaisantait. Bon, d'accord, vous ne serez pas le nouveau Johnny Hallyday, mais je vais quand même faire de vous un grand chanteur.
Benoît
Je suis peut-être naïf, mais je ne suis pas non plus complètement débile. J'ai bien failli me faire avoir.
Max
Asseyez-vous, on va discuter.
Benoît
Vous savez que mon métier, c'est vendre des cheminées ? On appelle ça un cheministe.
Maryline
Et alors ? Qu'est-ce que ça vient faire là-dedans ?
Benoît
Mais vous ne le savez peut-être pas. Celui qui installe les cheminées, ça s'appelle un fumiste. Si si ! Vous pourrez vérifier, c'est bien ça.
Maryline
Mais pourquoi vous nous racontez tout ça ?
Benoît
Je peux vous dire que des fumistes, j'en côtoie tous les jours. Et pourtant, vous, je ne vous ai pas vus venir...
Troumfette
Je ne comprends pas trop ce qu'il dit. Il parle encore de ses poils ?
Georgette
Laisse tomber, Troumfette. Cette conversation te dépasse.
Benoît
Vous savez quoi, vous tous ? Le plus important, ce n'est pas que vous ayez voulu me voler cent mille euros. L'argent, ça reste de l'argent. Je m'en suis très bien passé jusqu'ici. Non, ce qui fait le plus mal, c'est que vous avez brisé mon rêve.
Troumfette
Monsieur Pichon, ne le prenez pas comme ça...
Benoît
Pourtant si, Troumfette, je le prends comme ça. Imaginez la petite robe dont vous rêvez depuis des années, Troumfette. Vous la voyez derrière la vitrine et vous aimeriez tellement que votre mère vous l'offre. Vous la voyez, là ?
Troumfette
Oh oui, je la vois bien.
Benoît
Un jour, vos parents vous font entrer dans le magasin et vous disent qu'elle est à vous maintenant. Vous pleurez de joie. Et puis finalement, ils vous disent que c'était une plaisanterie, que vous ne la méritez pas, que jamais vous ne l'aurez, et vous repartez sans la robe. Imaginez votre colère et votre tristesse.
Troumfette
Oh oui, j'imagine bien. Je retournerai dès le lendemain pour la voler !
Benoît
Mais moi, je ne peux pas voler mon rêve. Finalement, vous avez peut-être raison. Je suis un grand rêveur, mais en aucun cas un grand chanteur.
(silence gêné des Carambouille)
Vous ne dites rien ? Bien. Je vais donc retourner à ma petite vie, dans mon petit magasin, avec mes petites cheminées. Vous avez de la chance, je suis aussi un grand gentil. Le policier dehors en train de réparer sa voiture, je ne vais rien lui dire. Je me dis qu'il y a peut-être encore du bon en vous. Maintenant je m'en vais. Je vous laisse réfléchir. J'espère que ce que je vous ai dit vous inspirera de la rédemption.
(Il s'apprête à ouvrir la porte mais derrière lui, Georgette lui donne un grand coup de canne sur la tête et Benoît tombe par terre, évanoui).
Max
Maman ! Qu'est-ce que tu as fait ?
Georgette
Assez de parlotte ! Je ne vais quand même pas passer à côté de cent mille balles !
NOIR et musique de transition
acte IV
(Max, Maryline, Morticia et Georgette sont dans la pièce. Benoît est attaché sur une chaise. Max triture le téléphone de Benoît en réfléchissant).
Benoît
Mais pourquoi vous avez fait ça ? Je vous pardonnais, moi !
Max
Disons qu'il y a eu un coup... de théâtre qui nous a fait changer d'avis.
Georgette
Ah oui ! Un coup ! C'est drôle, ça, mon fils !
Benoît
Je vous préviens, vous faites une grave erreur. Je connais des gens hauts placés !
Maryline
Hauts placés ? Ça m'étonnerait.
Benoît
J'ai un cousin gendarme. Il va envoyer le GIGN.
Maryline
Max, tu es sûr que c'est bien prudent d'avoir ce type ligoté chez nous ? Avec le flic dans le parc...
Max
Ne t'inquiète pas, Maryline. J'ai dit à Troumfette de le surveiller. Il n'a d'yeux que pour elle. Elle s'arrangera pour qu'il ne vienne pas.
Maryline
Je suis pas tranquille quand même. J'espère qu'il va vite parler, le Pichon !
Max
Vous savez, Benoît, il suffit juste que vous me donniez le mot de passe de votre application bancaire et vous êtes libre.
Benoît
Alors ça, jamais !
Maryline
Pourtant, dans votre blabla, vous avez dit que l'argent, c'était pas si important. Faudrait savoir !
Benoît
C'est ça, fichez-vous de moi !
Georgette
Max, il faudrait le torturer. Je suis sûre que si je m'en occupe, il va parler en moins de cinq minutes.
Max
Ah non ! Ni haine, ni violence.
Morticia
J'ai peut-être une idée. Je reviens.
(Morticia part dans le couloir cour).
Georgette
Qu'est-ce qu'elle va nous trouver, celle-là ?
Maryline
Je m'attends à tout avec Dracula...
Georgette
Peut-être qu'elle va ramener son lit pour le mettre dedans.
Benoît
Vous n'êtes vraiment pas bien, vous ! Vous espérez que votre petite-fille me mette dans son lit pour me convaincre ? Vous n'avez aucune morale.
Georgette
Ah ! Ah ! Ah ! T'y es pas, mon pote ! Si Morticia te met dans son lit, ça sera pas pour des galipettes. Son lit, c'est un cercueil.
Benoît
Un cercueil ?
Maryline
Ouais. C'est son côté morbide. Et en plus, il y a même le couvercle, alors crois-moi, quand on l'aura fermé sur toi, tu feras moins le malin !
Benoît
Vous ne m'impressionnez pas. Et vous êtes vraiment une famille de dégénérés !
(Morticia revient du couloir cour avec sa poupée Zombidouille dans la main).
Georgette
Qu'est-ce que c'est que cette horreur ?
Morticia
C'est Zombidouille. Mamie, je vais profiter de mes talents de clown pour le faire parler.
Georgette
Avec ça ?
(Morticia s'approche de Benoît et se lance dans son numéro de ventriloque).
Morticia
« Monsieur Pitchell, vous me reconnaissez ? C'est moi, Zombidouille. Je vous propose de continuer notre interview.»
Benoît
Vous êtes ridicule ! Je sais bien que Zombidouille n'existe pas.
Morticia
« Ben Pitchell, votre carrière est désormais bien lancée. Quel effet ça vous fait et quel est le code secret de votre application bancaire ? »
Benoît
Ce n'est pas Zombidouille qui parle. Je vois vos lèvres bouger !
Morticia
« Répondez, Ben Pitchell. C'est pour l'interview. »
Benoît
N'importe quoi ! Vous croyez que je vais me faire berner si facilement ?
Morticia
« Benoît Pichon, si vous ne donnez pas ce code, je reviendrai hanter vos nuits avec les pires cauchemars... ».
Benoît
Vous ne me faites pas peur, Zombidouille !
(Troumfette revient par la porte d'entrée).
Maryline
Qu'est-ce que tu fais là, toi ? Tu devais surveiller ton Willy !
Troumfette
Il a besoin d'une clé de 12. Papa, tu n'aurais pas une clé de 12 ?
Max
Je l'ai perdue. Loulou, le Saint-Bernard de la Duvivier, il me l'a bouffé l'autre jour.
Troumfette
Il ne vous a toujours pas donné son code, le pigeon ?
Max
Non. Il y a certainement un moyen pour déverrouiller cette fichue appli.
Benoît
Vous pouvez toujours courir. C'est hyper-sécurisé ! Ça ne s'ouvre qu'avec mon mot de passe ou avec la reconnaissance faciale !
Georgette
Avec quoi ? C'est quoi ce machin facial ?
Troumfette
La reconnaissance faciale, mamie. On se met devant le téléphone et il reconnaît la personne, et ça ouvre l'appli.
Georgette
Je connaissais pas. On n'arrête pas le progrès.
Max
Eh bien voilà ! La reconnaissance faciale ! On a juste à mettre son téléphone devant son visage !
(Max s'approche de Benoît).
Benoît
Non, vous n'avez pas le droit...
(Max place le téléphone devant Benoît qui fait une grimace le rendant méconnaissable pour le téléphone).
Georgette
Qu'est-ce qu'il fait ? Un AVC ?
Max
Ah mince ! Il fait une grimace. Le téléphone ne le reconnaît pas.
(Max éloigne le téléphone de Benoît).
Benoît
(reprenant un visage normal) Vous ne m'aurez pas si facilement. Je suis le roi de la grimace !
Max
C'est ce qu'on va voir.
(Max approche à nouveau le téléphone du visage de Benoît qui fait une autre grimace).
Maryline
C'est vrai qu'il est doué en grimace !
(Max laisse retomber le téléphone. Benoît reprend un visage normal).
Max
On ne va pas y arriver.
Georgette
Il faut le torturer, que je dis !
Max
Non. Spaggiari a toujours obtenu ce qu'il voulait sans violence. Il suffit simplement de...
(Max se retourne brusquement vers Benoît en brandissant le téléphone. Benoît fait spontanément une nouvelle grimace).
Maryline
Dis donc, il est vachement rapide !
Benoît
Le roi de la grimace, que je vous dis.
Maryline
Laisse-moi essayer.
Max
(lui tendant le téléphone) Vas-y, mais ça sera la même chose.
(Maryline approche le téléphone de Benoît qui refait une grimace).
Maryline
Merde ! J'y arrive pas non plus.
Morticia
Vous voulez que je fasse une blague de clown ? Ça va peut-être le décrisper...
(Elle met son nez de clown)
Georgette
Il va se marrer. Quand il rigole, il fait des grimaces.
Maryline
Troumfette, t'es pas bien maline mais tu connais ce genre de gadget avec tes réseaux sociaux. Tu veux pas essayer ?
Troumfette
Je ne vois pas le rapport, mais si tu veux.
(Troumfette prend le téléphone et l'approche de Benoît qui refait une grimace).
Pareil...
Georgette
Qu'on lui casse les jambes et il va le donner, son code !
Benoît
(à Georgette) Ah madame ! Vous aimez ça, la torture, non ?
Georgette
C'est mon péché mignon...
Benoît
Vous avez mal quand je chante, hein ?
Georgette
Ah ça oui ! C'est insupportable !
Benoît
(chantant Notre-Dame de Paris) « Il est venu le temps des cathédraaaleuuu... ! »
Georgette
Oh, c'est horrible !
Benoît
(chantant la Reine des Neiges) « Libérééé ! Délivrééé ! »
(Trouver éventuellement d'autres chansons pour faire durer la souffrance).
Maryline
(à Max) Mais fais-le taire, c'est horrible !
(Max met un bâillon sur la bouche de Benoît).
Georgette
Ouf ! On respire.
Max
Attends, j'essaie encore. Maintenant qu'il est bâillonné, il ne peut plus faire de grimace.
(Max brandit le téléphone devant Benoît).
Maryline
Ouais ! Bonne idée !
Max
Ça ne marche pas mieux. Pourtant, il ne fait pas de grimace. J'y comprends rien à ces smartphones, moi !
(Ça sonne à la porte).
Maryline
C'est bien le moment ! Qui ça peut bien être ?
(Elle va ouvrir la porte d'entrée et tombe sur madame Duvivier, livide). Oh bonsoir madame Duvivier. Vous n'avez pas l'air bien. Je suis désolée, je n'ai pas eu le temps de passer nettoyer le caca de votre Loulou.
(Madame Duvivier fond en larme).
Mme Duvivier
Ce n'est plus le problème, maintenant ! Puis-je entrer ?
Maryline
C'est pas trop le moment, on est assez occupés, là.
Mme Duvivier
Merci.
(Madame Duvivier entre dans le salon).
Maryline
(renfrognée) Bon, eh bien allez-y.
(Madame Duvivier voit Benoît attaché et bâillonné).
Mme Duvivier
Oh mais qui est-ce? Pourquoi est-il attaché ?
Georgette
C'est mon neveu ! Nous jouons à un jeu.
Mme Duvivier
Un jeu ? Quel jeu ?
Georgette
Nous jouons à... Il essaie de battre le record de chatouilles.
Mme Duvivier
Attaché ?
Georgette
Oui, pour ne pas craquer trop vite.
Mme Duvivier
Mais pourquoi est-il bâillonné ?
Max
Pareil ! Pour ne pas être tenté de dire d'arrêter.
Mme Duvivier
Mais c'est terrifiant. Comment savez-vous le moment où il n'en peut plus ? Où il veut vraiment s'arrêter ?
Maryline
Heu... Il tape du pied quand il veut qu'on arrête.
(Benoît se met à taper frénétiquement du pied).
Mme Duvivier
Je pense qu'il veut arrêter, là.
Maryline
C'est pour ça qu'on ne le chatouille plus.
Mme Duvivier
Alors détachez-le, le pauvre homme !
Georgette
Non, on va faire une nouvelle partie.
(Benoît tape du pied de plus belle, alors Max s'assoit sur ses genoux).
Max
Il a une crampe à la jambe. Je dois m'asseoir dessus pour la soulager.
Troumfette
Vas-y, Morticia. Recommence tes chatouilles de clown.
(Morticia s'approche de Benoît qui a toujours Max sur ses genoux).
Morticia
« Oh la la la la ! On reprend les guili guili ! Ouillouillouillouille ! Ça chatouille ! »
(Elle chatouille Benoît qui se tortille).
Mme Duvivier
Mais... qui est ce clown ? On dirait... C'est vous, Patricia ?
Morticia
(retirant son nez) Morticia !
Maryline
Mais dites, madame Duvivier, pourquoi vous venez nous voir au juste ? C'est pas pour notre concours de chatouilles, hein ?
(Madame Duvivier se remet à pleurer).
Mme Duvivier
(à Max) Le lustre a chu !
Max
Le lustre a chu ?
Mme Duvivier
Oui ! Le lustre que vous avez remis en place, il a encore chu !
Max
Comment ça, il a chu ?
Mme Duvivier
Il est tombé si vous préférez.
Max
Ah bon ? Pourtant je pensais avoir fait du travail solide.
Mme Duvivier
Eh bien non ! Et il est retombé sur mes deux toutous.
Morticia
Heureusement que Loulou le Saint-Bernard est un chien costaud.
Mme Duvivier
Non ! Cette fois-ci, c'est Loulou qui était en-dessous, et Zouzou, mon chihuahua, qui était sur son dos !
Morticia
Ah oui ! J'ai oublié...
Mme Duvivier
Oublié quoi ?
Morticia
A France Travail, ils m'ont dit que si je voulais devenir clown, il fallait que j'apprenne des tours. Alors en rentrant, j'ai vu Zouzou, le chihuahua, sous Loulou, le Saint-Bernard. Je me suis dit que c'était pas très intéressant, alors j'ai voulu apprendre l'équitation à Zouzou.
Mme Duvivier
L'équitation ?
Morticia
Oui, j'ai posé Zouzou sur le dos de Loulou.
Mme Duvivier
Comment ?
Morticia
Bon, au début, il tombait tout le temps, il fallait le remettre dessus. Mais au bout d'un moment, il tenait très bien. Je crois qu'il avait peur de tomber, alors, il s'accrochait bien avec ses petites griffes.
Mme Duvivier
Mais mes chiens ne sont pas des chiens de cirque !
Morticia
Bref, je crois qu'en partant, j'ai oublié de remettre Zouzou par terre.
Mme Duvivier
C'est donc pour ça qu'il était sur son dos quand le lustre a chu ?
Morticia
En effet.
Mme Duvivier
Il a été écrasé entre le lustre et le dos de Loulou. Il est mort sur le coup !
(Elle pleure à nouveau).
Maryline
Ah bah dis donc ! Ça doit pas être beau à voir.
Mme Duvivier
C'est horrible ! Il a les pattes écartées, plat comme une crêpe, complètement incrusté dans le dos de Loulou !
Max
C'est triste. Toutes mes condoléances, mais qu'est-ce qu'on peut faire, madame Duvivier ?
Mme Duvivier
Il n'y a plus rien à faire maintenant ! C'est trop tard par votre faute ! La seule chose à faire, c'est de ranger toutes vos affaires, et demain matin, vous et votre famille, vous quittez mon manoir. J'ai été vraiment trop bonne avec vous, et comme on dit : trop bonne, trop... Je n'ose le dire. Je ne veux plus jamais vous revoir !
(Elle s'en va en claquant la porte d'entrée).
Max
Bien, retournons à notre Pichon.
(Il remet le téléphone devant Benoît sans plus de succès). Même sans grimace, ça ne fonctionne pas. Je n'y comprends rien...
Troumfette
C'est normal, il est bâillonné. Ça ne peut pas marcher si il a un truc sur la bouche.
(Elle prend le téléphone et retire le bâillon).
Benoît
Vous êtes des voyous ! Je ne vais pas me laisser intimider !
Maryline
Le téléphone ! Maintenant !
(Troumfette pointe rapidement le téléphone sur Benoît qui refait une grimace).
Troumfette
Encore raté !
Benoît
(chantant Charles Trénet) « Je chante ! Je chante soir et matin ! Je chante sur les chemins ! »
Georgette
Aah ! Remets-lui son bâillon, Troumfette ! J'agonise !
Troumfette
Oui, mamie. C'est vrai que c'est assez horrible.
(Troumfette remet le bâillon à Benoît).
Georgette
Au fait, Troumfette, tu ne devais pas surveiller ton flic ? S'agit pas qu'il débarque ici maintenant avec le pigeon attaché.
Troumfette
Oups ! Je n'y pensais plus, à lui. Je vais voir ce qu'il fait.
(Troumfette se précipite vers la porte d'entrée, mais quand elle l'ouvre, Willy est derrière. Elle la referme brutalement).
Troumfette
Il est derrière la porte !
Georgette
Et merde...
(Willy ouvre la porte).
Willy
Troumfette, qu'est-ce qui te prend de me claquer la porte au nez ?
Troumfette
J'ai cru que c'était un cambrioleur...
Willy
Ouais, OK... Tu as trouvé une clé de 12 ?
Troumfette
Heu, non, pas encore, mais retourne à ta voiture, je t'apporte ça tout de suite.
(Willy voit Benoît attaché).
Willy
Mais qu'est-ce que vous faites tous ? Qu'est-ce que cet homme fait attaché et bâillonné ?
Georgette
Il essaie de battre un record de chatouilles.
(Benoît fait non de la tête et tape du pied).
Willy
Un record de chatouilles ? Et puis quoi encore ! Ça ressemble plutôt à une séquestration.
Max
Non, ce n'est pas ce que vous croyez.
(Max s'avance vers Willy qui sort son arme et fait une roulade jusqu'à Benoît).
Willy
Ne bougez plus ! On va s'expliquer gentiment quand j'aurai détaché ce monsieur.
Troumfette
Willy, ne te mets pas en colère, s'il te plaît.
(Il retire le bâillon de Benoît).
Benoît
Au secours monsieur ! Ces gens ont cherché à me tendre une embuscade. Ils en veulent à mon argent ! Comme j'ai vu clair dans leur jeu, ils m'ont attaché et torturé !
Max
Il est gonflé, lui. Ni haine, ni violence...
Willy
J'ai l'impression que je tiens là une sacrée bande de malfaiteurs.
(à Troumfette) Troumfette, c'est ta famille, tout ça ?
Troumfette
Bah oui ! Alors il y a mon père, ma mère, ma grand-mère et ma sœur Morticia.
Morticia
'jour.
Willy
(tout en détachant Benoît) Eh bien elle est pas bien jolie ta famille !
Troumfette
Tu ne vas quand même pas les mettre en prison, dis ?
Willy
La loi, c'est la loi, poulette. Toi, à part les vêtements de luxe que tu as volés, tu es pure comme la rosée du matin, mais eux tous, m'ont l'air d'être honnêtes comme un âne qui recule !
Benoît
Aidez-moi, monsieur le policier, je suis terrorisé !
Willy
Mais bien sûr que je vais vous aider. C'est mon boulot. Alors tout le monde va mettre les mains sur la tête.
Troumfette
Même moi ?
Willy
Oui si tu veux bien. Ça fera mieux rangé. Mets les mains sur la tête, mon cœur.
Troumfette
Mais je mets les mains sur la tête de qui ?
Willy
Sur la tienne enfin ! Parfois, je me demande s'il ne te manque pas deux minutes de cuisson, toi !
Georgette
Monsieur le policier, vu mon grand âge, je peux peut-être être dispensée ?
Willy
D'accord, vous n'avez pas l'air bien violente.
Benoît
Non ! C'est la pire de tous !
(On sonne à la porte).
Willy
Restez tranquilles ! Vous attendez quelqu'un ?
Maryline
Non, personne.
Willy
(désignant Maryline) Vous ! Allez ouvrir. Et je vous conseille de ne rien tenter.
(Maryline va ouvrir la porte d'entrée pendant que Willy se cache. Madame Duvivier est derrière la porte).
Mme Duvivier
J'oubliais. Je veux que vous vous occupiez de Zouzou avant de quitter les lieux. Je ne veux pas que mes invités le découvrent.
Maryline
Zouzou ? Mais on n'a pas trop le temps, là !
Mme Duvivier
Je vous ai payé assez cher ! Alors, ne discutez pas. Occupez-vous de Zouzou, puis partez au plus vite. On ne se verra plus jamais !
Willy
(sortant de sa cachette) Zouzou ! Vous êtes donc sa complice. Les mains sur la tête !
Mme Duvivier
Plaît-il ?
Willy
J'ai trouvé beaucoup mieux qu'une séquestration. La cheffe de tout un gang, dont fait partie Zouzou, le clown tueur !
Mme Duvivier
(se rapprochant de Willy) Mais que racontez-vous comme âneries ?
Willy
N'approchez pas ! Et les mains sur la tête.
Mme Duvivier
J'en ai assez de ces plaisanteries. Je suis la châtelaine de ces lieux, si vous croyez que ça m'amuse ces...
Willy
Les mains sur la tête ou je tire !
Mme Duvivier
Aah !
(Madame Duvivier met les mains sur la tête).
Willy
Châtelaine, mon cul ! J'appelle les collègues pour qu'ils viennent. J'ai besoin de renforts.
(Willy prend son téléphone et le regarde). Mince ! J'ai pas vu que j'avais un nouveau message... Oh putain !
Troumfette
Quoi ?
Willy
C'est les collègues. Ils me disent que les cambrioleurs du casse se sont enfuis, mais qu'ils ont abandonné leur butin. Une belle somme apparemment. Les copains sont en train de se le partager.
Troumfette
Ah bon ?
Willy
Merde ! Il faut que j'y aille. Quand c'est comme ça, on partage entre nous, enfin, si on est là !
Troumfette
C'est une tradition dans la police ?
Willy
Ouais, si on veut. Il ne faut pas que je traîne !
(s'adressant à l'assemblée) Vous avez de la chance ! Je dois me rendre sur une affaire urgente. Mais vous ne perdez rien pour attendre !
Mme Duvivier
(baissant les bras) Tout de même ! Je commençais à avoir des crampes.
Willy
Toi la rombière, je t'embarque !
Mme Duvivier
Comment ?
Willy
Je ne vais pas laisser filer la cheffe du gang.
Mme Duvivier
Mais je ne suis pas...
Willy
La ferme !
(s'adressant aux autres) Et vous, les petites mains, je m'occuperai de votre cas plus tard. (à Max) Vous, donnez-moi les clés de votre voiture. La mienne est en rade.
(Max lui donne ses clés).
Benoît
Mais... Et moi ?
Willy
(à madame Duvivier) Avance, la vieille. Et ne tente rien, je t'ai à l'oeil !
Mme Duvivier
C'est... C'est scandaleux !
(Willy s'en va par la porte d'entrée en menaçant madame Duvivier de son arme).
Benoît
Mais... Il m'a oublié ?
Maryline
Il a oublié Pichon !
Benoît
Bien. Dans ce cas, je pense que je vais les rejoindre...
(Benoît se rapproche progressivement de la porte d'entrée).
Maryline
(s'interposant) Ah non ! On reste ici, Pichon !
Benoît
Et vous comptez m'obliger comment ?
Maryline
Max, aide-moi. Il faut l'empêcher de sortir !
Max
Mais, heu... Je suis non-violent, moi...
Maryline
C'est ça ! Je dirais plutôt lâche...
Benoît
Vous êtes vraiment une bande de bras cassés ! Je m'en vais, et croyez-moi, je passe au commissariat sur mon chemin pour porter plainte. Vous allez tous finir derrière les barreaux.
(Il s'apprête à ouvrir la porte, mais Georgette, qui était derrière lui, lui donne à nouveau un coup de canne sur la tête, et Benoît tombe par terre, assommé).
Max
Qu'est-ce que tu as encore fait, maman ? J'avais dit pas de violence !
Georgette
Vous êtes vraiment tous des empotés ! Qu'est-ce que vous feriez sans moi ?
Maryline
En tout cas, vous l'avez bien mis KO, Georgette ! Qu'est-ce qu'on va faire de lui maintenant ?
Morticia
C'est peut-être le moment de montrer son visage à son téléphone. Pour déverrouiller l'appli.
Max
Dis donc, Morticia ! Il y a des jours où tu m'impressionnes.
(Max met le téléphone devant Benoît).
Maryline
Alors ? Ça marche ?
Max
Yes ! C'est déverrouillé ! Je vais faire un virement immédiat vers mon compte. Ça va apparaître instantanément sur mon téléphone... Heu, Troumfette, tu peux m'aider ? J'y comprends rien, à ces engins.
Troumfette
Facile. Fais voir.
(Max donne le téléphone à Troumfette qui fait des manipulations dessus).
Maryline
C'est dingue, quand même. Elle est con à bêcher de la flotte, mais dès que tu lui mets un de ces appareils dans les mains, elle est presque intelligente.
Troumfette
(tendant le téléphone à Max) Voilà papa. Tu peux vérifier et appuyer sur Valider.
Max
(lisant son téléphone) Cent mille. Et c'est bien mon RIB. Parfait. Valider !
Morticia
Je crois que le mort se réveille.
(Benoît ouvre les yeux et marmonne).
Benoît
Qu'est-ce qui s'est passé ? Où suis-je ?
Maryline
Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
Benoît
(regardant autour de lui) Mais vous êtes qui, tous ? Qu'est-ce que je fais ici ?
Troumfette
Vous ne vous rappelez de rien ?
Benoît
Je ne sais pas trop. J'ai mal à la tête...
Max
C'est quoi, votre dernier souvenir ?
Benoît
Je ne sais pas. Après avoir fermé mon magasin de cheminées, je suis allé boire un jus de fruit au Café de la Chance. Après ça, je ne vois pas...
Max
La Française des Jeux, ça vous parle ?
Benoît
Évidemment ! J'aimerais bien y aller une fois dans ma vie. Ça voudrait dire que j'aurais gagné beaucoup d'argent au Loto. J'y joue toutes les semaines, vous savez ?
Morticia
Et Zombidouille, ça vous parle ?
Benoît
Zombi quoi ?
Maryline
Vous devriez partir maintenant monsieur.
Benoît
Heu, oui. Mais je ne comprends vraiment pas pourquoi je suis ici, par terre.
Maryline
Ah bah nous non plus, on comprends pas. Vous avez sonné chez nous. On a ouvert. On vous a vu avec votre costume à paillettes. Et puis vous êtes tombé par terre.
Benoît
(se regardant) Mon costume à paillettes ? Ah tiens, c'est la tenue que je mets quand je chante tout seul chez moi. Veuillez m'excuser pour le dérangement. C'est la première fois que ça m'arrive. C'est très bizarre. Je vous laisse.
Troumfette
(prenant le téléphone des mains de Max) Et n'oubliez pas votre téléphone, monsieur Pigeon !
Benoît
Non, Pichon. Mon nom, c'est Pichon. Ça, je m'en souviens. Mais comment vous savez comment je m'appelle ?
Georgette
Elle n'en sait rien. La preuve, elle vous a appelé Pigeon !
Benoît
Ah oui, c'est vrai. Il se passe vraiment des choses bizarres dans ma tête.
(Troumfette lui donne son manteau).
Troumfette
Et votre manteau !
Benoît
Mon manteau ? Mais qu'est-ce qu'il faisait accroché chez vous ? Vous dites que vous m'avez vu avec ma veste à paillettes.
Maryline
On comprend pas tout non plus. Ça doit être le choc...
Benoît
Je m'en vais. Je n'y comprends rien...
(Benoît s'en va avec son téléphone par la porte d'entrée).
Max
Yes !
Maryline
On est riches !
Georgette
Et en plus, le pigeon ne se rappelle de rien. Ça ne va même pas lui manquer, ses cent mille euros !
Troumfette
A moi les soins de beauté !
Morticia
Heu, moi, j'aimerais bien un lit pour dormir. Mon cercueil, j'ai l'impression que ça me coupe l'inspiration pour mon travail de clown.
Max
Attendez ! Je regarde sur mon téléphone. Je veux voir de mes yeux ces cent mille euros sur mon compte !
(Il regarde son téléphone).
Maryline
Alors ? Alors ? Ça fait quel effet ?
Max
Attends. Je ne comprends pas. Je vois un virement de 10 centimes au nom de Pichon. Troumfette, tu as bien fait un virement de cent mille euros ?
Troumfette
Bah oui, évidemment ! Je ne suis pas conne. Et puis, tu l'as bien vu.
Max
Alors, comment tu expliques que ça ait viré 10 centimes ?
Troumfette
J'en sais rien. Je ne suis pas ingénieuse ! Ou alors, c'est peut-être la virgule, mais j'y crois pas trop...
Maryline
Comment ça, la virgule ?
Troumfette
Mon doigt a dérapé sur la virgule avant d'écrire cent mille euros.
Maryline
Hein ? Mais ça a écrit quoi exactement ?
Troumfette
Je crois que ça a écrit « virgule un zéro zéro zéro zéro zéro ». Ne vous inquiétez pas. Ça affichait bien cent mille après la virgule. Cinq zéros, comme tu m'as dit !
Max
Mais après la virgule, les cent mille, c'est comme si c'était un !
Troumfette
N'importe quoi ! Cent mille, c'est cent mille.
Maryline
Mais non ! Après la virgule, cent mille, c'est un.
Max
Et je l'ai pas vue, cette virgule ! C'est pour ça qu'on n'a que dix centimes !
Troumfette
C'est un ou c'est dix ? Faudrait savoir !
Georgette
Mais c'est pas possible ! Jusqu'au bout, celle-là ! Alors elle, pour vider un vase, il faut lui dire que le mode d'emploi, il est en-dessous !
Troumfette
Ah bon ?
(Elle prend le vase sur la table, le retourne pour regarder et donc, verse les fleurs et toute l'eau par terre. - Mettre plus ou moins d'eau dans le vase en fonction de la capacité de la troupe à assumer le dégât des eaux sur scène, et éventuellement arroser un des comédiens -).
Georgette
Aah ! Mais quelle cruche !
Troumfette
C'est pas une cruche, c'est un vase. Et je ne vois pas de mode d'emploi.
Maryline
Allô ? Allô ? Ça clignote mais le train ne passe pas, ma pauvre !
Max
Tout ces efforts pour dix centimes !
Georgette
Il faut rattraper Pichon !
(Georgette se met devant la porte d'entrée pour sortir).
Maryline
Oui ! Rattrapons-le avant qu'il fiche le camp !
Morticia
Attendez. Je laisse Zombidouille.
Troumfette
Attendez-moi !
Maryline
Avancez plus vite, Georgette !
Georgette
Oh ! Tu me parles autrement, je fais de mon mieux !
Morticia
La voiture de Pichon démarre.
Max
Et voilà ! Tout ça pour ça...
(Ils sont tous gênés par la démarche lente de Georgette et finissent par sortir péniblement en se plaignant tandis que la musique de fin commence).
rideau
pour toute question, ne pas hésiter à m'envoyer un mail à etesstheatre@gmail.com