Le salon d’un appartement parisien. Ambiance bohème. Sur un petit bureau une vieille machine à écrire et quelques dossiers. Arrive Alexandre, écrivain dans la soixantaine ou plus, vêtu avec une décontraction étudiée. Il tient à la main une corde munie d’un nœud coulant. Il regarde vers le plafond, puis monte sur une chaise, cherchant apparemment un endroit pour accrocher la corde. Il semble ne rien trouver de satisfaisant et descend de la chaise. Il s’assied au bureau et pousse un soupir de lassitude. Il ouvre un tiroir, prend un paquet de cigarettes et en porte une à sa bouche. Au lieu d’allumer la cigarette, il la repose sur le bureau et sort du tiroir un pistolet. Il regarde l’arme longuement. On entend frapper légèrement à la porte. Perdu dans ses pensées, il n’entend pas. Il plaque le canon du pistolet sur sa tempe. On entend à nouveau frapper, légèrement plus fort. Il n’entend toujours pas. Il semble hésiter à appuyer sur la gâchette. Il ferme les yeux... C’est alors qu’une jeune femme surgit devant lui. C’est Madison, étudiante, qui peut être âgée de vingt ou trente ans, vêtue de façon plutôt classique.
Madison (hurlant) – Non !
Surpris, Alexandre sursaute. Il se lève d’un bond et pointe son arme sur Madison.
Alexandre – Un geste et vous êtes morte !
Madison – Ne tirez pas, je vous en supplie !
Alexandre – Les mains en l’air !
La jeune femme lève aussitôt les bras.
Madison – Voilà, vous voyez, je ne suis pas armée... Maintenant, je vous en prie, baissez votre arme.
Voyant que la jeune femme a l’air inoffensive, il baisse son pistolet.
Alexandre – Qu’est-ce que vous foutez là ? Et comment vous êtes entrée, d’abord ?
Madison – Je vais tout vous expliquer... Laissez-moi reprendre mon souffle...
Alexandre – Mais vous êtes dingue ! J’ai failli mourir d’une crise cardiaque !
Madison – Je suis désolée, la porte était entrouverte et...
Alexandre – Et vous avez pris ça comme une invitation à entrer chez moi...?
Madison – Non, mais...
Alexandre – Qu’est-ce que vous voulez ? Me voler ? Il n’y a rien de valeur, ici, croyez-moi.
Madison – Je suis votre voisine.
Alexandre – La voisine d’à côté ? Elle a quatre-vingts ans...
Madison – La voisine d’en face... (Désignant une fenêtre imaginaire côté public) La fenêtre, là, c’est celle de mon appartement.
Alexandre – En face ? C’est inoccupé depuis des années.
Madison – Plus maintenant.
Alexandre – Bon... Et alors ?
Madison – J’ai perdu mon chat... Vous ne l’auriez pas vu, par hasard... Ou même recueilli chez vous... S’il était entré lui aussi sans y être invité...
Alexandre – Eh bien non, voyez-vous. Votre chat est mieux éduqué que vous, apparemment...
Elle semble très affectée.
Madison – Il y a deux jours qu’il a disparu. J’ai mis des annonces partout dans le quartier avec son nom et sa photo. Vous ne les avez pas vues ?
Alexandre – Je sors très peu... et je ne regarde jamais ce genre d’annonces. D’ailleurs je suis pas très physionomiste en ce qui concerne les chats...
Elle fait quelques pas dans la pièce.
Madison – Tofu ! Tofu !
Alexandre – Mais qu’est-ce qui vous prend de hurler comme ça ? Vous êtes malade ?
Madison – Il s’appelle Tofu.
Alexandre – Votre chat s’appelle Tofu ? Vous vous foutez de moi...
Madison – Mais pas du tout. Pourquoi ?
Alexandre – OK, votre chat s’appelle Tofu, et il n’est pas rentré à la maison depuis deux jours. Ce n’est pas si grave que ça, non ?
Madison – Bien sûr que c’est grave ! Si je n’arrive pas à le retrouver rapidement, il va mourir... C’est un chat d’appartement, vous comprenez, il n’est pas fait pour vivre en liberté dehors...
Alexandre – Eh bien c’est tout à fait regrettable. De mon temps, les chats, c’était à la campagne. Ou quand on avait un grand jardin, à la rigueur. Ils passaient leur temps à chasser les souris, et ils revenaient seulement à la maison quand ils étaient bredouilles, pour qu’on leur donne à bouffer, qu’on les caresse un peu et qu’on les laisse dormir sur le canapé...
Madison – Oui, eh bien ce chat-là ne mange pas de souris. Il est végétarien.
Alexandre – Pardon ?
Madison – Je ne mange pas de viande, et mon chat non plus.
Alexandre – Qu’est-ce qu’il mange, alors ?
Madison – Des croquettes ! Des croquettes aux légumes, comme moi.
Alexandre – Vous aussi, vous mangez des croquettes ?
Madison – Ça m’arrive, oui. Enfin, pas les croquettes du chat, évidemment.
Alexandre – Un chat végétarien... Je ne savais même pas que ça existait... Et c’est pour ça qu’il s’appelle Tofu...?
Madison – Oui... et aussi parce qu’il est un peu tout fou.
Alexandre – Et j’imagine que de ne plus manger de viande, c’est un choix personnel de sa part, bien sûr...?
Madison – En tout cas, il ne s’est jamais plaint.
Alexandre – Et... vous croyez que maintenant dans les cirques, aux tigres ou aux lions, on leur file aussi à bouffer des croquettes aux légumes ?
Madison – Je ne sais pas... De toute façon, je suis contre les animaux de cirque...
Alexandre – Mais pas contre les chats d’appartement...
Madison – J’en conclus que vous n’avez pas d’animaux domestiques...
Alexandre – Non, je déteste le concept d’animal domestique. Et le concept de domestication en général, d’ailleurs. (Avec un air menaçant) Moi-même, je suis resté un sauvage...
Nullement impressionnée, elle jette un regard circulaire sur la pièce.
Madison – Donc, vous n’avez pas vu mon chat ?
Alexandre – Non, je n’ai pas vu votre chat végan. Et si vous me permettez, je pense que cette conversation absurde a assez duré.
Elle se fige soudain.
Madison – Taisez-vous !
Alexandre – Je vous demande pardon ?
Madison – Vous n’avez pas entendu miauler ?
Alexandre – Miauler ? Non, absolument pas. Mais vous savez, je commence à être un peu sourd. Vous verrez quand vous aurez mon âge, ça n’a pas que des inconvénients. Surtout quand on a des voisins bruyants...
Madison – Je ne fais aucun bruit, je vous assure. D’ailleurs, j’habite l’appartement juste en face du vôtre depuis plus d’un mois, et vous pensiez qu’il était encore inhabité.
Alexandre – D’accord, je n’ai pas remarqué votre présence, et je souhaite que ça continue comme ça. Alors si vous n’avez rien d’autre à me dire, je vous propose de me laisser vaquer à mes occupations et de retourner chercher votre chat...
Madison – Très bien, je ne vais pas vous déranger plus longtemps...
Alexandre – Merci.
Elle fait mine de partir, mais se ravise.
Madison – Mais... ça m’ennuie de vous laisser comme ça.
Alexandre – Comment ça, comme ça...?
Madison – Ben... Quand je suis arrivée, vous étiez en train de...
Alexandre – De quoi...?
Madison – Ça n’avait pas l’air d’aller très fort, si ?
Alexandre – Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
Madison – Vous aviez un pistolet sur la tempe.
Il regarde le pistolet qu’il a encore dans la main, surpris.
Alexandre – Ah, ça... Et alors ?
Madison – Ben... vous avez l’air un peu... déprimé, non ?
Alexandre – Déprimé...? Écoutez, mademoiselle, quand j’avais votre âge, la devise de notre génération, c’était vivre vite, mourir jeune, et laisser un beau cadavre, ça vous dit quelque chose ?
Madison – James Dean...
Alexandre – On baisait sans capote, on faisait de la moto sans casque, et on absorbait toutes sortes de substances prohibées, dont croyez-moi personne ne connaissait la composition exacte... Cinquante ans après, les quelques vieillards comme moi qui ont survécu à cette époque bénie défilent dans la rue parce qu’ils ont peur de se faire vacciner... Et vous voudriez que je ne sois pas déprimé ?
Madison – Je comprends...
Alexandre – Je ne crois pas, non... Mais si vous avez le malheur de vivre jusqu’à mon âge, vous verrez. La vieillesse est un naufrage.
Madison – De Gaulle...
Alexandre – Chateaubriand l’avait dit avant lui... Mais vous avez raison. Vieillir, c’est passer de La fureur de vivre aux Mémoires d’outre-tombe.
Madison – C’est joliment dit.
Alexandre – Oui... Le problème c’est qu’à notre époque, les jeunes se comportent déjà comme des vieux.
Madison – À toutes les époques, la jeunesse a voulu changer le monde, non...?
Alexandre – Celle d’aujourd’hui ne veut pas changer le monde, elle veut seulement sauver la planète. Et c’est plutôt mal barré...
Madison – Et vous, vous avez réussi à changer le monde ?
Alexandre – Non, mais au moins, on se sera bien marré.
Madison – Vous n’avez plus l’air de vous marrer beaucoup...
Alexandre – Apparemment, vous non plus... Sinon vous ne seriez pas en couple avec un chat...
Madison – Au moins, je ne suis pas seule...
Alexandre – Et vous pensez sérieusement pouvoir sauver la planète... en nourrissant ce pauvre carnivore qui n’a rien demandé avec des croquettes aux légumes ?
Madison – Je ne sais pas... Mais pour changer le monde, il faut commencer par sauver la planète, non ? À quoi ça servirait de faire la révolution sur le Titanic ?
Alexandre – Quoi qu’il en soit, j’envie tous ceux de ma génération qui sont morts avant l’âge de trente ans. Vous imaginez Jimi Hendrix et Janis Joplin dans une maison de retraite, en train de disserter sur l’éventuelle dangerosité d’un vaccin, entre deux parties de scrabble... Plutôt crever que de voir ça...
Madison – Allez ne dites pas cela...
Alexandre – Malheureusement, la littérature, ce n’est pas très rock and roll. Et le plus souvent les écrivains meurent dans leur lit.
Madison – Vous êtes écrivain ?
Alexandre – Ça ne vous regarde pas... Je ne sais même pas pourquoi je parle de tout ça avec vous, je ne vous connais pas... Et d’ailleurs, qu’est-ce que vous faites encore là ?
Il range le pistolet dans un tiroir.
Madison – Vous auriez pu vous blesser...
Alexandre – J’aurais pu aussi vous tuer... Quand on s’introduit chez les gens par effraction, c’est toujours un risque... J’aurais plaidé la légitime défense, je n’aurais même pas été condamné... (Elle semble avoir un début d’étourdissement, il le remarque et s’en inquiète.) Ça va ?
Madison – Excusez-moi, ça va passer... Vous auriez un verre d’eau ?
Il hésite un instant.
Alexandre – Asseyez-vous deux secondes, je vais vous chercher ça...
Il sort. Elle reprend vie aussitôt et en profite pour examiner la pièce du regard. Elle prend sur le bureau un portrait de femme dans un cadre, et l’examine. Puis elle le repose à la hâte alors qu’il revient avec un verre d’eau, qu’il lui tend.
Madison – Merci...
Elle prend le verre et le vide d’un trait.
Alexandre – Ça va mieux ?
Madison – Oui, merci...
Il fait un effort pour se radoucir un peu.
Alexandre – Désolé de vous recevoir comme ça... Je n’ai plus trop l’habitude de voir du monde...
Madison – Alors vous vivez seul, vous aussi ?
Alexandre – Ça se voit tant que ça.
Madison – D’après ce que vous venez de me dire, j’imagine que vous n’avez pas d’enfants non plus.
Alexandre – Qu’est-ce qui vous fait penser que je n’ai pas d’enfants ?
Madison – Vous en avez ?
Alexandre – Non... Et quand je vois le monde aujourd’hui, je me réjouis de ne pas en avoir...
Madison – Oui...
Alexandre – Si vous voulez sauver la planète, il faudrait commencer par arrêter de faire des enfants, non ?
Madison – En même temps... est-ce que c’est en arrêtant de faire des enfants qu’on sauvera l’Humanité ?
Alexandre – Et quand on pense que la France est probablement le pays où on vit le mieux au monde...
Madison – Oui, c’est pour ça que j’ai décidé de venir m’installer dans votre pays...
Alexandre – Vous n’êtes pas française...?
Madison – Je m’appelle Madison. Je suis américaine.
Alexandre – Pourtant vous parlez parfaitement notre langue, et sans aucun accent...
Madison – Ma grand-mère était française. C’est elle qui m’a appris la langue de Molière. Je suis venue à Paris pour étudier la littérature à la Sorbonne.
Alexandre – Et c’est donc un pur hasard si je vous trouve aujourd’hui sur ma route... Madison.
Madison – Vous vous appelez Alexandre, n’est-ce pas ?
Alexandre – Comment le savez-vous ?
Madison – J’ai vu votre nom sur une boîte aux lettres, en bas. Alexandre Delacroix... Vous êtes parent avec...
Alexandre – Avec le peintre ? Non, pas du tout.
Madison – Avec l’écrivain !
Alexandre – Vous êtes américaine et vous connaissez Alexandre Delacroix... dont personne en France ne se souvient déjà plus.
Madison – Vous exagérez... Tout le monde connaît Alexandre Delacroix. Et sa notoriété a largement dépassé les frontières de l’hexagone. Parmi ceux qui s’intéressent à la littérature, en tout cas. Alors ?
Alexandre – Oui... C’est bien moi.
Madison – Non ? Alexandre Delacroix, cet auteur mythique qui a signé plusieurs chefs-d’œuvre de la littérature du vingtième siècle !
Alexandre – Si vous le dites...
Madison – Un écrivain mystérieux qui vit désormais en reclus, qui n’a plus rien publié depuis des années, et qui refuse toutes les interviews... C’est vraiment vous ?
Alexandre – Quelque chose me dit que vous le saviez déjà avant d’entrer chez moi en forçant ma porte, je me trompe ?
Elle hésite un instant.
Madison – Non, je l’avoue...
Alexandre – Alors c’est pour essayer de décrocher une interview que vous avez inventé cette histoire de chat...
Madison – Pour le chat, c’est vrai, je vous le jure... Mais c’est vrai aussi qu’en venant habiter juste en face de chez vous, j’avais une idée en tête.
Alexandre – Vous avez délibérément loué un appartement en face de chez moi pour pouvoir m’espionner ?
Madison – Vous espionner ? Mais pas du tout ! Je suis une grande admiratrice de votre œuvre. En arrivant à Paris, j’ai cherché à vous joindre. Mais votre agent m’a fait dire que vous ne vouliez voir personne.
Alexandre – Et qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans cette phrase ?
Madison – J’ai traversé l’Atlantique dans l’espoir de vous rencontrer. Je cherchais un appartement. Celui d’en face était à louer, j’ai sauté sur l’occasion...
Alexandre – Vous êtes complètement folle ! Je vous préviens, si vous ne me laissez pas tranquille, je porterai plainte pour harcèlement. Et puis qu’est-ce que vous attendez de moi, d’abord ? Vous êtes journaliste ?
Madison – Je suis étudiante, je vous l’ai dit. J’ai fait mon mémoire de maîtrise sur votre œuvre, à New-York. Et puis j’ai décidé de venir à Paris pour continuer mes recherches, puisque cette ville sert de décor à la plupart de vos romans. Vous savez, pour les Américains, Paris est la ville la plus romantique du monde.
Alexandre – Et c’est avec ce genre de clichés que vous pensez éclairer la signification cachée de mon œuvre ?
Madison – Vous voulez savoir le titre de ma thèse ?
Alexandre – Non.
Madison – « La figure de l’absence dans l’univers romanesque d’Alexandre Delacroix. »
Alexandre – Vous avez tout compris... Ce que je préfère chez la plupart des gens, à commencer par vous, c’est leur absence. C’est pourquoi je vous demande de partir.
Madison – Quand on a la chance de travailler sur un auteur vivant, on a envie de le rencontrer, c’est normal. Pour le connaître un peu mieux. Et en connaissant un peu mieux sa vie, mieux comprendre son œuvre.
Alexandre – C’est un tort, je vous assure. Il vaut mieux se contenter d’étudier l’œuvre en ignorant tout de son auteur. Beaucoup de grands écrivains étaient de très petits personnages dans la vie. Quand ce n’était pas des salopards finis. Et ça vaut pour les artistes comme pour les scientifiques. C’est comme ça. Les génies gagnent rarement à être connus... Même si, rassurez-vous, je ne me prends pas pour un génie...
Madison – Je comprends votre modestie, mais tout de même... Un entretien exclusif avec l’auteur des Chroniques du Quartier Latin viendrait couronner mon travail de recherche.
Alexandre – Vous l’avez lu ?
Madison – C’est ce roman qui m’a convaincue de venir étudier à Paris. Pour moi, c’est votre meilleur livre.
Alexandre – Ce n’est pourtant pas celui qui s’est le mieux vendu...
Madison – J’imagine que ce roman est largement autobiographique.
Alexandre – Je vous l’ai dit... Ça n’a aucun intérêt pour le lecteur...
Madison – Sans parler de ce mystérieux manuscrit sur lequel vous travaillez depuis des années...
Alexandre – Je n’écris rien du tout. C’est une légende entretenue par mon éditeur pour qu’on ne m’oublie pas complètement, et que mes anciens livres continuent à se vendre un peu. Quoi qu’il en soit, je ne donnerai aucune interview. Ni à vous ni à personne. (Il s’approche d’elle avec un air menaçant.) Maintenant sortez !
Au lieu de sortir, elle lui fait front.
Madison – Non !
Il semble surpris par sa détermination.
Alexandre – Comment ça, non ?
Madison – Je ne vous laisserai pas vous suicider avant de m’avoir accordé cet entretien. J’aurais pu traverser l’Atlantique à la nage pour l’obtenir !
Alexandre – Retournez d’où vous venez en pédalo, si ça vous chante, ce n’est pas mon problème...
Elle est à nouveau sur le point de défaillir.
Alexandre – C’est la deuxième fois que vous vous pâmez devant moi... Vous lisez trop de romans à l’eau de rose, mademoiselle. Aujourd’hui, à part au théâtre, les femmes ne s’évanouissent plus comme ça à tout bout de champ dès qu’on les contrarie...
Madison – Je ne fais pas semblant, je vous assure.
Il semble hésiter.
Alexandre – Vous voulez que j’appelle une ambulance ?
Madison – Non, mais j’ai besoin de m’asseoir un instant.
Alexandre – Et après vous partirez ?
Madison – C’est promis.
Elle s’assied et reprend son souffle.
Alexandre – Je vous ai déjà donné un verre d’eau... Vous voulez un verre de cognac ?
Madison – Vous cherchez à m’achever, c’est ça ?
Alexandre – C’est trop tard, hélas. J’aurais dû vous tirer dessus tout de suite, j’aurais plaidé la légitime défense. Maintenant je ne pourrais plus nier la préméditation...
Madison – Pourquoi gardez-vous un pistolet chez vous ?
Alexandre – Au départ, c’était pour éloigner les gêneurs. Apparemment, ça ne suffit pas...
Madison – Même si vous êtes un peu misanthrope, comme beaucoup d’écrivains... On a tous besoin de compagnie, non ?
Alexandre – Je sens que vous allez me suggérer de prendre un chat... Vous voulez vous débarrasser du vôtre, c’est ça ?
Madison – Ça ne vous pèse pas, la solitude ?
Alexandre – La solitude... C’est comme le café... Au début, c’est un peu amer. Après on s’y fait. Ensuite on y prend goût. Et finalement, on ne peut plus s’en passer.
Madison – Vous devriez écrire un recueil d’aphorismes. Je suis sûre que ça se vendrait très bien.
Alexandre – Et puis c’est quoi, ne pas être seul ? Vivre en couple et ressasser les mêmes banalités à longueur d’année ? Voir sa famille ou ses amis de temps en temps en prenant soin d’éviter tous les sujets importants qui pourraient fâcher ? Croiser les voisins dans l’escalier et disserter sur la météo ? Parler à son chat en faisant comme s’il vous comprenait ?
Madison – Quand vous écrivez, pourtant, vous vous adressez à quelqu’un.
Alexandre – C’est bien pour ça que j’ai arrêté d’écrire.
Madison – Je ne vous crois pas.
Alexandre – Je ne vous demande pas de me croire. Je vous demande de me laisser tranquille...
Madison – Alors vous ne voulez pas m’accorder cet entretien ?
Alexandre – Je n’ai plus rien à dire. Pire encore, je n’ai plus personne à qui parler. Et il y a des jours où je n’ai même plus envie de m’adresser la parole.
Madison – C’est triste...
Alexandre – C’est la vie... Et d’une façon ou d’une autre, la mienne touche à sa fin...
Madison – La mienne aussi, peut-être...
Alexandre – Vous avez quarante ans de moins que moi. Je pourrais être votre père.
Madison – Ou même mon grand-père.
Alexandre – Merci pour cette précision, c’est très aimable à vous. Quoi qu’il en soit, votre vie ne fait que commencer.
Madison – Oui... Mais elle pourrait s’achever bientôt...
Alexandre – Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Madison – J’ai une maladie de cœur. Les médecins ne me donnent que quelques années à vivre. Quelques mois, peut-être. C’est pourquoi je suis venue en France pour réaliser un dernier rêve. Vous rencontrer...
Il est évidemment secoué par cette sortie.
Alexandre – Comment ça, une maladie de cœur ?
Madison – Je suis née avec une malformation cardiaque. Mon cœur est trop fragile. Il peut lâcher d’un moment à l’autre.
Alexandre – Et c’est la raison de vos moments de faiblesse ?
Madison – À la moindre contrariété, mon cœur s’emballe, et il peut s’arrêter de battre.
Il a un moment d’hésitation.
Alexandre – Ne me dites pas que vous avez inventé cette histoire pour m’obliger à ne pas vous contrarier... et donc à accepter cet entretien.
Madison – Hélas, non...
Alexandre – Je suis désolé pour vous.
Madison – Ce n’est pas de votre faute.
Alexandre – Non, mais quelle ironie. Je suis vieux, je n’ai plus envie de rien, j’envisage d’en finir... Vous êtes jeune, vous avez la vie devant vous, et c’est votre cœur qui vous trahit...
Madison – Je ne peux rien y changer, alors à quoi bon me révolter ?
Alexandre – Et en plus, vous gardez le sourire...
Madison – Je me dis que les mois qui me restent à vivre seront peut-être les plus beaux de mon existence.
Alexandre – Votre joie de vivre me déprime. Vous ne doutez jamais de rien ?
Madison – Je n’ai plus le temps pour le doute. C’est pour ça que j’ai forcé votre porte...
Un temps.
Alexandre – Et il n’y a vraiment aucun espoir ?
Madison – Si, une greffe. Encore faut-il trouver un donneur...
Alexandre – Je pourrais vous offrir mon cœur, je n’en ai plus l’utilité... Je me suicide, et je vous fais don de mes organes...
Madison – Je crains que ce ne soit pas aussi simple. Surtout pour un cœur. Ce n’est pas comme pour ces organes que nous avons en double. Les reins, les poumons...
Alexandre – Les testicules...
Madison – Pour le cœur, il faut que le donneur soit en mort cérébrale...
Alexandre – En mort cérébrale ? Parfois je me demande si je ne le suis pas déjà. Comme beaucoup de gens autour de moi, d’ailleurs...
Madison – Il faut que le donneur soit mort, que son cœur soit en bon état, et qu’on puisse le prélever assez rapidement. Ce qui arrive très rarement, hélas. Et la liste des malades qui attendent une greffe est très longue...
Alexandre – Il paraît qu’en Chine, on prélève les organes sur les condamnés à mort. C’est beaucoup plus pratique, évidemment. On commence par fixer la date de la transplantation, et on exécute le condamné le jour même.
Madison – Mais c’est affreux...
Alexandre – Oui, mais comme ça... le receveur a le temps d’arriver tranquillement en avion depuis l’Europe ou les États-Unis. Certains en profitent pour faire un peu de tourisme. Bien sûr, ça n’est pas gratuit. Je ne sais pas dans les combien ça va chercher, un cœur, en Chine. Vous vous êtes renseignée ?
Madison – Non...
Alexandre – Vous devriez trouver ça facilement sur internet...
Madison – Merci.
Alexandre – Désolé, je ne devrais pas plaisanter avec ça... et surtout pas avec vous. En même temps, l’humour, c’est tout ce qui nous reste, non ?
Madison – Oui...
Alexandre – Même si ce que je viens de vous raconter est tout sauf une plaisanterie...
Madison – Je préférerais mourir que de vivre avec le cœur d’un condamné à mort, même le vôtre... Alors ?
Alexandre – Alors quoi ?
Madison – Aurez-vous la cruauté de me laisser partir sans avoir réalisé mon rêve ?
Alexandre – Vous êtes du genre obstinée, vous...
Madison – Je prends ça pour un compliment.
Alexandre – Mais qui me dit que vous ne mentez pas ?
Madison – Qui pourrait bien inventer une histoire pareille ? Seulement pour obtenir un entretien avec un écrivain que tout le monde a déjà oublié...
Alexandre – Vous reconnaissez enfin que tout le monde a déjà oublié Alexandre Delacroix.
Madison – Alors c’est oui ?
Alexandre – Dès que vous m’aurez montré un dossier médical pour me prouver que vous ne mentez pas.
Madison – Désolée, je ne l’ai pas sur moi.
Alexandre – Vous habitez juste en face... Allez le chercher...
Madison – Je pensais que vous pourriez me croire sur parole. Je vous avoue que je suis un peu déçue.
Alexandre – Si je vous accorde cet entretien, ce n’est qu’un début, croyez-moi. Je suis quelqu’un de très décevant, vous verrez.
Elle se lève et examine la pièce. Son regard s’arrête sur une vieille machine à écrire.
Madison – Vous écrivez encore à la machine ?
Alexandre – C’est en effet sur cette machine que j’ai écrit tous mes romans. Mais n’essayez pas de me piéger. Je vous ai dit que je n’écrivais plus depuis des années.
Madison – Pourquoi ?
Alexandre – Les mots, c’est comme les billets de banque, à trop en mettre en circulation, ils perdent de leur valeur... Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux aujourd’hui. Tout le monde se fend de son petit billet d’humeur dix ou vingt fois par jour. Sur tous les sujets. Une inflation de fausse monnaie qui a dévalorisé la vraie. Les mots ne veulent plus rien dire.
Madison – On ne peut pas empêcher les gens de bavarder. Avant c’était au café, aujourd’hui c’est sur Facebook. Mais il aura toujours de grands auteurs, comme vous.
Alexandre – Les grands auteurs, on ne les lit plus. On les cite. À tort et à travers. Toujours les mêmes citations, reprises encore et encore jusqu’à les vider complètement de leur sens... Le copier-coller a remplacé la pensée... et les émoticônes ont remplacé les sentiments.
Madison – M’autorisez-vous à vous citer dans la conclusion de ma thèse ?
Alexandre – On me taxera d’élitisme. On me fera dire que seule une minorité d’élus a le droit de s’exprimer, et que les autres n’ont qu’à se taire et à écouter. C’est faux. Je pense que nous devrions tous nous taire.
Madison – Que proposez-vous ? Une minute de silence ?
Alexandre – Une minute, non. Une année entière. Un siècle. Un millénaire de silence. Peut-être ainsi nos mots retrouveraient-ils un sens après cette diarrhée verbale qui a déferlé ces dernières années sur les réseaux sociaux.
Madison – C’est une analyse intéressante, mais on dit aussi que vous avez cessé d’écrire à la suite d’un chagrin d’amour ?
Alexandre – On dit ce qu’on veut...
Madison – Mais vous ne démentez pas non plus...
Alexandre – Cela ne veut pas dire que c’est vrai...
Elle reprend la photo posée sur le bureau.
Madison – Qui est cette femme, sur la photo ?
Alexandre – Ça ne vous regarde pas.
Madison – Elle est belle.
Alexandre – Même si vous êtes vraiment malade, cela ne vous autorise pas à fouiller dans ma vie privée.
Madison – J’ai tout de suite remarqué ce portrait en entrant chez vous tout à l’heure... et j’avais l’impression que ce visage m’était familier.
Il lui reprend la photo et la regarde, avant de la remettre en place.
Alexandre – C’est une femme que j’ai aimée il y a très longtemps...
Madison – Du temps où vous étiez un hippie ?
Alexandre – En fait, je n’étais pas tellement un hippie... J’étais ouvert aux idées nouvelles. Et je fumais un joint de temps en temps. Mais je prenais soin de ma santé et je pensais déjà à ma carrière. On a besoin d’un certain confort pour écrire, vous savez ? Pour devenir un grand écrivain, il faut parfois rester un petit bourgeois...
Madison – Et elle ?
Alexandre – Elle, c’était une femme libre. Elle ne pensait qu’au moment présent. Elle vivait au jour le jour.
Madison – Où l’avez-vous rencontrée ?
Alexandre – Sur le palier... Elle habitait l’appartement d’en face. Celui que vous occupez aujourd’hui. Enfin elle le partageait avec des amis de passage. Des gens qui venaient du monde entier. Des musiciens, des artistes... Cet appartement, c’était un peu comme la Maison Bleue de Maxime Le Forestier. La porte était toujours ouverte.
Madison – Et comme la porte était ouverte, un jour elle en a profité pour partir. Comme mon chat...
Alexandre – Elle voulait faire le tour du monde. Vivre de nouvelles expériences. Faire de nouvelles rencontres. Le couple traditionnel, à l’époque, ce n’était pas vraiment notre idéal de vie. Ce n’était pas le sien, en tout cas.
Madison – Mais elle vous aimait...
Alexandre – Oui. À sa façon, je crois. Même si elle n’aimait pas que moi...
Madison – L’amour libre...
Alexandre – On ne voulait pas ressembler à nos parents, et on avait raison. Mais on ne savait pas très bien quoi inventer d’autre. Quelque chose qui puisse durer un peu... On vivait le moment présent. On n’avait pas prévu de vieillir... Et de fait, ceux qui ne sont pas morts avant trente ans ont très mal vieilli. Vous avez déjà rencontré un vieux beatnik ? Ce n’est pas beau à voir, je vous assure...
Madison – Donc, vous l’avez laissée poursuivre seule son voyage...
Alexandre – Je ne pouvais la retenir... et je n’en avais pas le droit. Un beau matin, elle est partie...
Madison – Où ça ?
Alexandre – En Afghanistan. Ça paraît surréaliste aujourd’hui mais à l’époque, c’était une destination très prisée pour les babas cool. Le haschisch était en vente libre et très bon marché. En travaillant un an ici, on pouvait vivre pendant un an là-bas. Et puis il y avait cette fascination pour l’Orient. Vu de France, pour les hippies, l’Afghanistan, c’était le paradis.
Madison – Mais vous, vous êtes resté...
Alexandre – Je pensais déjà à mon avenir... Et j’avais compris que mon avenir, ce n’était pas l’Afghanistan.
Madison – Vous auriez pu l’accompagner quand même. Par amour...
Alexandre – Bien sûr... Et elle m’aurait sans doute laissé partir avec elle... Mais son rêve, ce n’était pas un voyage en amoureux. Encore moins un voyage de noces. L’Asie, c’était un voyage initiatique. Qu’on faisait à plusieurs. Très loin des schémas petits bourgeois de l’amour à deux...
Madison – Alors vous êtes resté à Paris... mais vous ne l’avez jamais oubliée.
Alexandre – J’espérais qu’elle reviendrait un jour... Ou au moins qu’elle m’enverrait un signe... Une carte postale... Mais je ne l’ai jamais revue...
Madison – Vous n’avez pas essayé de la retrouver ?
Alexandre – Internet n’existait pas encore... Quand quelqu’un choisissait de disparaître de votre vie, il disparaissait vraiment. Et puis les années ont passé...
Madison – Vous pourriez essayer de la retrouver maintenant.
Alexandre – À quoi bon ? Elle est peut-être morte aujourd’hui. Ou bien elle est mariée, elle a cinq gosses, et elle pèse cent vingt kilos.
Madison – Ou bien elle est vivante, c’est encore une belle femme, et il lui arrive de penser à vous, parfois.
Alexandre – Dans le doute, je préfère ne pas savoir... et garder l’image de cette belle jeune femme que vous voyez sur cette photo. Vous imaginez le choc, quarante ans après ? On ne se voit pas vieillir soi-même, mais les autres, on voit très bien quand ils ont vieilli, croyez-moi.
Madison – Je ne suis pas sûre que moi, je me verrai vieillir...
Alexandre – Désolé, je n’aurais pas dû dire ça.
Un temps.
Madison – Vous n’avez pas entendu miauler ?
Alexandre – Non... Toujours pas...
Madison – Il est peut-être caché quelque part ici...
Alexandre – J’espère que non.
Madison – Promettez-moi que si je meurs, vous vous occuperez de mon chat.
Alexandre – Mais enfin, vous n’allez pas mourir ! Et puis votre chat mourra sûrement avant vous. Enfin, je crois... Ça vit combien de temps, un chat ?
Madison – Une quinzaine d’années.
Alexandre – Et le vôtre a quel âge ?
Madison – Deux ans.
Alexandre – Ah oui...
Madison – Alors ? Vous accepteriez de l’adopter ?
Alexandre – Je vous rappelle que quand vous êtes entrée ici, j’avais un pistolet sur la tempe.
Madison – Justement, cela vous donnerait une raison de ne pas vous suicider...
Alexandre – Si j’avais à nourrir un chat avec des croquettes aux légumes et à changer sa litière tous les jours, vous voulez dire ?
Madison – Si vous deviez prendre soin de quelqu’un, oui. Si quelqu’un tenait à vous, avait besoin de vous, vous attendait à la maison quand vous rentrez le soir.
Alexandre – M’attendre ? Je ne sors presque plus de chez de moi, encore moins le soir...
Madison – Vous vouliez vraiment en finir avec la vie, tout à l’heure, ou c’était un appel au secours ?
Alexandre – En tout cas cas, je ne me souviens pas vous avoir appelée...
Madison – J’ai dû entendre votre appel malgré tout.
Alexandre – C’est vrai, j’ai de plus en plus de mal à trouver des raisons d’espérer.
Madison – Vous voulez m’en parler ?
Alexandre – Compte tenu de votre situation personnelle, j’aurais quelques scrupules à vous infliger la liste de mes sujets de déprime.
Madison – Continuer à se battre alors qu’on sait que la guerre est déjà perdue... N’est-ce pas ça le vrai courage ?
Alexandre – Je n’ai jamais dit que j’étais courageux. J’aimerais l’être autant que vous.
Madison – Je ne suis pas courageuse. Je n’ai pas le choix, c’est tout. Contrairement à vous.
Alexandre – Moi ? Je n’ai plus le choix qu’entre la corde pour me pendre et le pistolet pour me brûler la cervelle...
Madison – Vous avez raison... Vous êtes vraiment déprimant...
Alexandre – Je vous avais prévenue, je suis un vieux con. Je ne sais pas si cette époque est pire que celle de ma jeunesse. C’est peut-être seulement que je suis plus lucide. Et la lucidité, en général, ça ne rend pas optimiste.
Madison – Finalement, je prendrais bien un verre de cognac.
Alexandre – Vous êtes sûre ?
Madison – Il faut bien mourir de quelque chose.
Il sert deux verres de cognac. Ils trinquent.
Alexandre – À votre santé ! Pardon, je crois que j’ai encore gaffé...
Elle sourit. Ils vident leurs verres.
Madison – Ça réveillerait un mort.
Alexandre – Je ne bois plus depuis une dizaine d’années. Je ne sais pas depuis combien de temps la bouteille est là. Mais l’alcool, ça vieillit bien, non ? Mieux que les alcooliques, en tout cas...
Madison – Tout de même, il a un drôle de goût. Vous êtes sûr que c’est du cognac ?
Il regarde la bouteille.
Alexandre – Je crois... Mais je ne me souviens plus très bien quel goût ça a, le cognac...
Madison – J’aurais aimé connaître le jeune homme que vous étiez.
Alexandre – Quel jeune homme ?
Madison – Celui qui était amoureux de cette femme, sur la photo. Et qui avait encore la fureur de vivre...
Alexandre – Je ne sais pas s’il vous aurait plu.
Madison – Il était sans doute plein d’enthousiasme et plein d’espoir.
Alexandre – Plein d’ambition, en tout cas.
Madison – Vous n’avez vraiment plus d’amis ?
Alexandre – Je ne supporte pas les vieux, alors j’évite au maximum de fréquenter les gens de mon âge. Je n’ai pas envie qu’on me tende en permanence un miroir pour contempler ma décrépitude.
Madison – Je suis sûre que vous n’avez pas cessé d’écrire, pendant toutes ces années.
Alexandre – C’est pour ça que vous m’avez fait boire ? Dans l’espoir que je vous ferais des confidences...
Madison – Un écrivain, c’est fait pour écrire.
Alexandre – D’accord, c’est vrai. J’ai continué à écrire... Mais je ne publierai plus rien...
Madison – Pourquoi ?
Alexandre – Je vous l’ai dit. Je n’écris plus pour être lu. Ou alors par les générations futures. Aux lecteurs d’aujourd’hui, je n’ai plus rien à dire.
Madison – Même à moi ?
Alexandre – Je ne vous connais pas. Qu’est-ce qui vous fait penser que j’ai quelque chose à vous dire ?
Madison – Nous avons peut-être plus en commun que vous ne le pensez...
Alexandre – Hormis le fait que nous sommes tous les deux condamnés à brève échéance ?
Madison – Dites-moi au moins quel est le sujet de votre livre...
Il hésite un instant.
Alexandre – C’est un roman... très personnel.
Madison – Autobiographique, donc...
Alexandre – Disons une autofiction, comme on dit aujourd’hui.
Madison – C’est pour ça que vous ne voulez pas le publier ? Parce que c’est trop personnel ?
Alexandre – Je préfère considérer ce manuscrit comme un journal intime. Je n’aime pas l’exhibitionnisme. Si je publie ça, on dira que sur le tard, je suis devenu un auteur de romans à l’eau de rose...
Madison – Je pensais que vous vous fichiez de ce qu’on pensait de vous.
Alexandre – Il faut croire que je n’en suis pas encore tout à fait arrivé à ce stade de sagesse.
Madison – Parce que c’est impossible.
Alexandre – Ne perdez pas votre temps à faire une thèse sur moi. Ça n’en vaut pas la peine, croyez-moi.
Madison – Pour moi, c’est important.
Alexandre – Mais pourquoi ? Vivez votre vie, bon sang ! Surtout si elle peut s’arrêter d’une minute à l’autre... D’ailleurs, je ne vous crois pas, et vous ne m’avez toujours pas montré ce dossier médical.
Madison – Si vous ne me croyez pas, pourquoi avoir accepté de me parler malgré tout ?
Alexandre – Je me suis dit que pour inventer une histoire pareille, vous deviez avoir une bonne raison. Laquelle ?
Madison – C’est un peu compliqué...
Alexandre – Donc vous mentiez. Et votre cœur va très bien.
Madison – Disons que... mes problèmes de cœur sont plutôt de l’ordre du symbolique.
Alexandre – Pourquoi m’avoir raconté ça ?
Madison – Pour vous apitoyer, j’imagine. Vous vouliez me jeter dehors...
Alexandre – Je pourrais le faire maintenant...
Madison – Mais vous ne le ferez pas.
Alexandre – Et pourquoi cela ?
Madison – Parce que je vous intrigue...
Alexandre – Vous dites que vos problèmes de cœur sont d’ordre symbolique. Vous voulez dire... un chagrin d’amour ?
Madison – En quelque sorte... Comme vous, j’ai souffert de l’absence d’un être aimé.
Alexandre – Et qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ?
Madison – Je vous le dirai bientôt, c’est promis. Mais auparavant, j’aimerais vous demander une faveur.
Alexandre – Dites toujours...
Madison – Je voudrais lire ce manuscrit.
Alexandre – Pourquoi je vous le confierais ?
Madison – Parce qu’au fond de vous-même, vous avez envie que quelqu’un le lise, et vous donne son avis. Un auteur écrit toujours pour être lu... et reconnu. Pour être aimé...
Alexandre – La seule personne dont j’aurais voulu me faire aimer... elle a disparu de ma vie il y a plus de quarante ans.
Madison – Où est ce manuscrit ?
Il montre un dossier sur son bureau.
Alexandre – Il est là...
Madison – Je peux le voir ?
Elle fait un geste pour le prendre, mais il l’en empêche.
Alexandre – Non !
Elle hésite un instant. Une lueur de tristesse passe dans son regard.
Madison – Finalement, c’est vous qui avez raison. Vous êtes vraiment un vieux con. Je vous laisse vous apitoyer sur vous-même...
Elle s’apprête à partir.
Alexandre – Attendez...
Il hésite, puis il prend le manuscrit et lui tend.
Alexandre – Je vous autorise à le lire, à une condition.
Madison – Je vous écoute.
Alexandre – Ce manuscrit ne sortira pas d’ici.
Madison – Vous craignez que j’en fasse une copie, et que je le publie sans votre autorisation ?
Alexandre – C’est à prendre ou à laisser.
Elle prend le dossier et le soupèse.
Madison – Ça va me prendre un peu de temps.
Alexandre – Je ne suis pas pressé. Et vous ?
Madison – Moi non plus.
Alexandre – J’ai une chambre d’ami, si vous voulez. Je ne l’utilise plus guère. Tous mes amis sont morts...
Madison – Merci de votre hospitalité.
Alexandre – Je vous laisse à votre lecture...
Il sort. Elle se plonge dans la lecture du manuscrit.
Noir.
Assise dans un fauteuil, Madison est toujours en train de lire le manuscrit. Elle tourne la dernière page. Elle referme le dossier, et reste pensive un instant. Elle se lève, et regarde du côté de la fenêtre d’en face, côté public. Alexandre arrive avec deux tasses de café. Il en pose une devant elle.
Alexandre – Tenez... Je vous préviens, c’est du déca. Ne comptez pas là-dessus pour vous réveiller.
Madison – Merci.
Alexandre – Alors, vous n’avez pas réussi à aller jusqu’au bout...
Madison – Je viens de le finir...
Alexandre – Déjà ? Ce n’est pas possible, vous avez dû sauter des pages...
Madison – Non, je vous assure...
Alexandre semble un peu inquiet du silence qui suit.
Alexandre – Ne vous sentez pas obligée de me dire ce que vous en pensez... Surtout si vous n’avez pas aimé...
Madison – Je l’ai dévoré de la première à la dernière page. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.
Alexandre – Bon... Ça me rassure un peu... Mais je ne pensais pas avoir écrit un roman à suspense...
Madison – C’est votre meilleur livre. Il en ressort une humanité qui manquait à tous les autres.
Alexandre – Du coup, je ne sais pas si je dois prendre ça comme un compliment... Pour ce qui est du reste de mon œuvre, en tout cas.
Madison – Vos autres romans étaient brillants. Celui-là est bouleversant.
Alexandre – Et vous avez remarqué ? Le sujet est tout à fait en rapport avec le sujet de votre thèse.
Madison – Ma thèse...?
Alexandre – « La figure de l’absence dans l’univers romanesque d’Alexandre Delacroix. » Vous avez déjà oublié ?
Madison – Non, bien sûr. Et vous avez raison. L’histoire de cet homme qui à vingt ans choisit de vivre avec pour seule compagnie le fantôme d’un amour de jeunesse...
Alexandre – On n’oublie jamais son premier amour. Parce qu’on a la nostalgie de sa jeunesse, justement. La nostalgie de toutes ses premières fois... On doit rester fidèle à son premier amour. Même si on ne peut pas toujours rester fidèle à la première femme qu’on a aimée.
Madison – Oui, mais on prend un risque. Celui de vivre dans le passé...
Alexandre – En tout cas, il ne faut jamais renoncer à ses rêves. Alors vous pensez que je devrais le publier ?
Madison – Si je vous dis oui, vous le ferez ?
Alexandre – Vous êtes une spécialiste de mon œuvre, après tout.
Madison – Je suis sûre que ce roman peut relancer votre carrière littéraire... Pour moi, il mérite un Goncourt.
Alexandre – N’en faites pas trop quand même. J’apprécie que vous vouliez me remonter le moral. Mais il faut que ça reste crédible...
Madison – Je suis tout à fait sincère, je vous assure.
Alexandre – Et parfaitement objective, bien sûr.
Madison – Vous en doutez ?
Alexandre – Je ne sais pas... Quelque chose me dit que vous n’êtes pas seulement venue à Paris pour faire une thèse sur un écrivain passé de mode.
Un temps.
Madison – En effet. Je ne vous ai pas dit toute la vérité.
Alexandre – Vous n’êtes pas malade du cœur. Vous n’avez pas de chat. J’imagine que vous n’êtes pas étudiante non plus...
Madison – Ce qui est vrai, c’est que je suis américaine, et que je venue en France pour vous rencontrer.
Alexandre – Vous habitez l’appartement d’en face depuis plusieurs semaines déjà... Pourquoi maintenant ?
Madison – Hier matin, par la fenêtre, je vous ai vu accrocher cette corde au plafond. Puis sortir ce pistolet.
Alexandre – Je n’ai pas trouvé d’endroit pour accrocher la corde.
Madison – J’ai eu peur pour vous. Peur que vous disparaissiez avant que je puisse vous connaître. Je me suis précipitée chez vous... et j’ai improvisé.
Alexandre – C’était très réussi. Vous devriez faire du théâtre... Mais vous savez, dans la vie comme au théâtre, il faut se méfier de ce qu’on voit derrière les rideaux. Ce n’est parfois qu’une illusion. La projection de nos propres fantasmes...
Madison – La corde, ce n’était pas pour vous pendre ?
Alexandre – Et si je voulais seulement... accrocher un lustre ?
Madison – Et le pistolet ?
Il sort l’arme du tiroir.
Alexandre – Cela pourrait être un jouet. Une arme factice pour impressionner les cambrioleurs... Ou encore un simple briquet... (Il appuie sur la gâchette et une flamme sort du canon.) Un briquet qui ne me sert plus à rien, d’ailleurs. J’ai tellement peur de mourir que j’ai arrêté de fumer. Mais je garde toujours un paquet de cigarettes à portée de la main, pour me prouver que je suis capable de résister à la tentation. J’ai aussi arrêté l’alcool, et même la caféine. C’est dire si je prends soin de ma santé...
Madison – Alors vous n’aviez pas le projet de mettre fin à vos jours ?
Alexandre – Le projet, pas encore. L’envie peut-être. À vrai dire, c’est la seule envie qui me reste encore. L’envie d’en finir. Mais pour se suicider, il faut du courage... Et je n’ai pas ce courage-là. Ou bien je ne suis pas encore assez désespéré. Et puis à quoi bon ? J’attendrai mon tour, comme tout le monde...
Madison – Alors notre rencontre serait le fruit d’un simple malentendu ?
Alexandre – J’ai du mal à croire qu’on puisse traverser l’Atlantique seulement pour interviewer un écrivain comme moi. Et je ne crois pas au hasard. Alors pourquoi êtes-vous là ?
Madison – Je vais vous le dire, mais tout d’abord, merci de m’avoir fait l’honneur d’être la première lectrice de ce manuscrit.
Alexandre – Ça vous a vraiment plu ?
Madison – C’est un chef d’œuvre. Mais je vais vous faire une petite critique.
Alexandre – Nous y voilà... Ça m’étonnait, aussi... Je vous écoute.
Madison – Je n’ai pas trouvé la fin tout à fait convaincante...
Alexandre – Vous avez raison... C’est une histoire inachevée... Comme s’il manquait un épilogue...
Madison – Je pourrais vous aider à le trouver...
Alexandre – Vous écrivez, vous aussi ? Vous êtes venue me proposer une collaboration ? C’est vrai, je commence à manquer un peu d’inspiration, mais je vous préviens, je n’en suis pas encore à chercher un nègre pour écrire mes livres à ma place.
Madison – Non, je ne suis pas venue pour ça...
Alexandre – Et cette histoire de thèse est aussi une invention. Ce n’est donc pas pour avoir le privilège d’une causerie littéraire avec moi que vous m’avez joué cette comédie...
Madison – Non. Pas seulement...
Alexandre – Alors pourquoi ?
Madison – Je crois que la réponse est dans le manuscrit que je viens de lire. La fenêtre d’en face... Pourquoi ce titre ?
Alexandre – La fenêtre d’en face... c’est celle de l’appartement que vous habitez aujourd’hui. C’est là où vivait cette femme que j’ai aimée autrefois.
Madison – Et qui hante vos pensées depuis qu’elle est partie.
Alexandre – J’ai souvent rêvé qu’elle revenait. Qu’un jour elle pousserait ma porte, comme vous l’avez fait vous-même aujourd’hui...
Madison – C’est pour ça que vous la laissez toujours ouverte...
Alexandre – Parfois, il me semblait apercevoir une ombre derrière les rideaux de la fenêtre d’en face. Quand vous vous êtes installée, et que j’apercevais de la lumière, la nuit, j’imaginais que c’était elle...
Madison – Ce n’était que moi.
Alexandre – Vous lui ressemblez un peu... C’est pourquoi en vous voyant pour la première fois tout à l’heure, j’ai eu un mouvement de recul. Pendant un instant j’ai cru que c’était elle. À vingt ans. Et puis je me suis souvenu qu’aujourd’hui, elle aurait à peu près le même âge que moi...
Madison – C’est vrai, je lui ressemble.
Alexandre – Ne me dites pas que vous êtes son fantôme.
Madison – Non, je suis bien réelle.
Alexandre – Mais il y a autre chose, n’est-ce pas ?
Madison – Oui.
Alexandre – Pourquoi avez-vous dit que son visage vous était familier ?
Un temps.
Madison – Je suis sa petite-fille.
Silence.
Alexandre – Sa petite-fille...?
Madison – Quand elle est partie pour l’Afghanistan, elle était enceinte. Elle s’en est rendu compte peu après son départ.
Alexandre – Enceinte... de moi ?
Madison – Oui.
Alexandre – Pourquoi ne m’a-t-elle rien dit ?
Madison – Vous l’avez dit vous-même. C’était une autre époque. Elle n’a pas voulu vous imposer cet enfant. Elle a pensé qu’elle pourrait l’élever toute seule. Et c’est ce qu’elle a fait.
Alexandre – Je n’en ai jamais rien su.
Madison – Moi non plus, jusqu’à il y a peu en tout cas.
Alexandre – Quand l’avez-vous appris ?
Madison – Il y a quelques années. Quand j’ai eu dix-huit ans, ma grand-mère m’a raconté cette histoire. Votre histoire d’amour...
Alexandre – Alors vous seriez ma petite-fille.
Madison – Oui. Je suis votre petite-fille. (Un temps) Vous ne me croyez pas ?
Alexandre – Si... Curieusement, après tous les mensonges que vous m’avez racontés, je n’ai aucun doute là-dessus.
Madison – Je comprends que ce soit assez difficile à entendre. Prenez votre temps. Vous ne me devez rien. Si c’est ce que vous souhaitez, je partirai comme je suis venue, et vous n’entendrez plus jamais parler de moi.
Alexandre – Restez, je vous en prie.
Madison – Je suis là.
Un temps.
Alexandre – Je peux comprendre qu’à l’époque, elle ne m’ait rien dit. Mais après ?
Madison – Je vous le répète. Elle n’a pas voulu vous imposer cette paternité. Et après elle avait perdu votre trace.
Alexandre – Peu après son départ, j’ai quitté cet appartement. Je ne supportais plus d’avoir tous les jours devant les yeux cette fenêtre qui me rappelait son absence.
Madison – Elle vous a envoyé une lettre il y a très longtemps. La lettre lui est revenue avec la mention « n’habite plus à cette adresse ».
Alexandre – Je suis revenu habiter ici il y a quelques années. Pour écrire ce livre, justement. Comme pour exorciser le passé.
Madison – Mais son fantôme n’a pas cessé de vous hanter...
Alexandre – J’ai connu d’autres femmes, bien sûr. Mais toute ma vie j’aurai vécu dans le souvenir de ce premier amour. Je n’ai jamais aimé personne d’autre...
Madison – Elle ne savait pas si vous étiez marié. Si vous aviez fondé une famille de votre côté.
Alexandre – Ce n’était pas le cas.
Madison – Elle a entendu parler de vous quand vous êtes devenu un écrivain célèbre.
Alexandre – C’est aussi dans l’espoir de la reconquérir que j’ai tout fait pour réussir dans le monde littéraire. Et aussi pour qu’elle puisse retrouver ma trace plus facilement grâce à ma notoriété. Elle aurait pu me contacter à ce moment-là.
Madison – Vous auriez pensé que c’était par intérêt qu’elle revenait vers vous, alors que vous étiez devenu un auteur à succès... C’est en tout cas ce qu’elle craignait...
Alexandre – Alors j’ai une fille...
Un temps.
Madison – À propos de ma maladie aussi, je ne vous ai qu’à moitié menti. C’est ma mère qui avait le cœur fragile. Elle est morte peu après ma naissance, sans même savoir qui était son père.
Alexandre – Je suis désolé de l’apprendre.
Madison – C’est ma grand-mère qui m’a élevée. Et quand j’ai atteint l’âge de la majorité, elle a voulu que je sache qui était mon grand-père. Mais elle n’a pas osé reprendre contact avec vous.
Alexandre – Alors vous avez décidé de le faire à sa place. En venant à Paris.
Madison – Je ne me voyais pas vous raconter ça dans une lettre ou au téléphone. Je voulais vous rencontrer avant. Vous aviez la réputation d’être un ours. Si je ne vous avais pas trouvé sympathique, je ne vous aurais rien dit. Et je serais repartie à New-York.
Alexandre – Mais je vous ai tellement bien accueillie que vous avez décidé de m’adopter...
Madison – Et surtout j’ai lu ce manuscrit. J’ai compris que vous n’aviez jamais oublié cette femme. Ma grand-mère...
Alexandre – Vous avez bien fait de venir... et de me raconter la fin de cette histoire.
Madison – Ce n’est pas encore tout à fait la fin... (Alexandre accuse le coup.) Ça va ?
Il choisit l’humour pour cacher son émotion.
Alexandre – Je déprimais déjà sur mon âge, et vous m’annoncez que je suis grand-père.
Madison – Cela ne vous fait pas plaisir ?
Alexandre – Si bien sûr... mais j’apprends en même temps que j’ai une fille, et qu’elle est morte.
Madison – Mais je suis là... Je n’ai presque pas connu ma mère. Je retrouve un grand-père.
Alexandre prend le manuscrit.
Alexandre – Je publierai ce livre. Je le dédicacerai à cette fille que je ne connaîtrai jamais. Et à cette petite-fille qui un jour a débarqué chez moi sans prévenir en forçant ma porte...
Madison – La porte était ouverte...
Alexandre – Mais il faut encore que je trouve une vraie fin pour ce roman.
Madison – Pour cela, je vous peux vous aider, je vous l’ai dit.
Alexandre – Je ne sais pas si mon cœur va tenir très longtemps si vous m’annoncez encore d’autres surprises.
Madison – Il reste une dernière chose, en effet.
Alexandre – Allez-y. Au point où j’en suis...
Madison – Ma grand-mère est bien vivante.
Alexandre – Et où vit-elle aujourd’hui ?
Madison – À New-York.
Alexandre – Alors vous l’embrasserez tendrement de ma part...
Madison – Vous pourrez le faire vous-même.
Alexandre – Vous me ramenez en Amérique avec vous ?
Madison – Ma grand-mère est venue avec moi. Elle est dans l’appartement d’en face.
Un temps. Il est évidemment décontenancé.
Alexandre – Là, je commence à avoir vraiment peur...
Madison – C’est encore une très belle femme... et elle ne vous a jamais oublié. Elle a lu tous vos livres...
Alexandre – Mais elle n’a pas eu envie de connaître la vie de l’auteur.
Madison – Vous disiez que c’était sans importance...
Alexandre – L’absente de ce roman, c’est elle.
Madison – Oui, mais elle ne l’a pas encore lu... Elle ne savait pas si vous vous souveniez encore d’elle... Si vous l’aimiez encore...
Alexandre – Je l’aime encore... Ce livre en est la preuve...
Il regarde en direction du public, vers la fenêtre d’en face.
Madison – Alors ? Je lui dis de venir ?
Alexandre – Elle a traversé l’Atlantique pour me retrouver. Je peux bien traverser le couloir pour aller la rejoindre...
Alexandre embrasse Madison.
Madison – Je vous laisse y aller seul. Vous verrez. Presque rien n’a changé derrière la fenêtre d’en face. Et la porte est toujours ouverte...
Il sort. Madison reste là et regarde vers la fenêtre.
Noir
Fin