La fontaine miraculeuse

Dans les années 60, Belle Fontaine est un petit village qui se meurt, au grand désespoir du maire et
de ses administrés. Lorsque survient Max Fratelli, un journaliste, critique culinaire égaré, Maryline et
les membres de sa troupe décident de mettre leurs talents d’acteurs au service de la commune en
faisant croire à leur visiteur que leur fontaine possède des pouvoirs incroyables. Dès lors chacun va
jouer sa partition afin de retenir le journaliste peu enclin à vouloir s’attarder dans ce trou perdu.
Céline va jouer la guenilleuse à qui la fontaine va donner la richesse, Éric va faire le ravi du village et
découvrir l’intelligence qui lui manquait quant à Félix qui s’est présenté en faisant l’aveugle, grâce
aux vertus supposées de la fontaine, c’est tout naturellement qu’il recouvrera la vue. Max Fratelli
promet de revenir le lendemain pour mener une enquête plus approfondie sur cette fontaine
miraculeuse et ses effets thérapeutiques ; tous commencent à se rendre compte qu’ils sont allés trop
loin dans la mystification mais comment revenir en arrière ? Cette chronique théâtrale truffée de
références de l’époque fera revivre de manière humoristique le contexte des années 60.

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Décor (1)

Une place de villageUne place de village. Un banc public, une fontaine.

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ACTE 1

Sur un banc, Victor et Thérèse. Victor lit le journal, Thérèse tricote.

Thérèse- Et voilà ! J’ai fini mon rang… Il va peut-être falloir rentrer mon Victor. J’ai mon repas à préparer.

Victor- Attends un peu Thérèse, je finis mon article… Je n’en ai pas pour long.

Thérèse- Et qu’est-ce qu’il te dit ton article ?

Victor- Ils disent que les Beatles (Il prononce Beuatlés) vont faire leur dernier concert à San-Francisco.

Thérèse- Les beuatlés ? C’est qui ceux-là ? On les connait ?

Victor- Ce sont des gaziers qui font de la musique…   Des anglais, avec des cheveux longs. Tu ne vois pas ?

Thérèse- Avec des cheveux longs ? Mais ils ont tous les cheveux longs ! Je ne sais pas quelle idée, ils ont, tous ces jeunes !

Victor- C’est sûr que ce ne sont pas eux qui vont enrichir les coiffeurs. C’est bien simple, y en a, tu les vois de dos, tu ne sais même pas si ce sont des gars ou des filles.

Thérèse- Que veux-tu… Ils doivent trouver ça bien.

Victor- Tous ces gars aux cheveux longs, des sacrés zozos… S’ils continuent à vouloir garder leurs cheveux longs, tu verras qu’ils finiront par pisser accroupis... J’en connais qui feront moins les malins quand ils feront leur service militaire. Ils vont se retrouver la boule à zéro, ça va leur faire tout drôle.

Thérèse-   Dis-moi, Victor…C’est où, ça, San-Francisco ?

Victor- C’est dans les Amériques.

Thérèse- C’est tout ce qu’il raconte ton journal ? Il te donne des nouvelles des Amériques mais chez nous ? Qu’est-ce qu’il se passe chez nous ?

Victor- Chez nous, il ne se passe rien. Je te rappelle que nous sommes en été… Ils sont tous en vacances. Notre président est à Colombey les deux églises comme

 

d’habitude et il parait que Pompidou est du côté de Fouesnant.

Thérèse- Ils sont tous en train de se la couler douce alors que nous, des vacances, on ne sait même pas ce que c’est… C’est vrai, ça… Des vacances, on n’en a jamais pris. Pourtant, des fois, j’aurais bien aimé partir quelque part, moi aussi.

Victor- Pour aller où ? A San-Francisco ?

Arrivée d’Aline qui arrive, trainant des pieds.

Victor- Tiens, voilà Aline ! Dis Aline, tu les connais, toi, les Beuatlés ?

Aline- Qui ça ?

Victor- Les Beuatlés ! Tiens ! Regarde ! Il lui montre le journal.

Aline- Ce ne sont pas les Beuatlés, ce sont les Beatles ! Oui, évidement ! Tout le monde les connaît !

Thérèse- Ah oui ! Les Beatles, moi aussi, je connais ! Je les ai entendus à la radio. Tu vois Victor, tu ferais mieux de garder ton argent plutôt que d’acheter ton journal, non seulement ils ne t’apprennent rien mais en plus, ils ne sont pas fichus d’écrire correctement le nom des chanteurs.

Victor- Dis donc Aline, ça ne va pas ? Tu n’as pas l’air en forme.

Aline ne répond pas et hausse les épaules.

Thérèse- Tu ne vois pas que tu l’embêtes avec tes questions. On ferait mieux de se lever parce que je te rappelle que j’ai à faire.

Victor- C’est vrai, tu fais bien de le rappeler, l’heure tourne vite et on a à faire.

Thérèse- Qu’est-ce que tu dis ? Tu veux venir m’aider ? Ce serait bien la première fois.

Victor- Je n’ai pas dit cela mais je dois passer voir quelques vieux copains pour préparer la réunion des anciens combattants.

Thérèse- Ah ! Je me disais aussi… Monsieur préfère comme d’habitude s’arsouiller avec ses copains… le jour où Monsieur voudra donner un coup de main à la maison, crois-moi Aline, ce sera certainement la semaine des quatre jeudis ou

 

lorsque les poules auront des dents.

Victor- Ah ! Thérèse ! Ne commence pas à dénigrer les anciens combattants.

Thérèse- Allez ! Va ! Je préfère ne pas discuter.

Elle sort côté Jardin tandis que Victor sort côté cour. Aline s’assied sur le banc, les bras croisés, boudeuse. Arrivée d’Éric.)

Éric- Ah Aline ! Je te cherche partout. Que fais-tu là, toute seule comme une pauvre orpheline ?

Aline- Il y a des moments, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux que je le sois.

Éric- Que tu sois quoi ?

Aline- Ben orpheline ! Au moins je n’aurais plus de compte à rendre, ni à la famille, ni à personne.

Éric- Toi, mon petit doigt me dit que tu t’es encore disputée.

Aline- Comment as-tu deviné ?

Éric- A voir ta tête des mauvais jours, ce n’est pas difficile à comprendre.

Aline- Qu’est-ce qu’elle a ma tête ? Elle ne te plait pas ?

Éric- Mais si, au contraire, elle est très bien ta tête, elle me plait beaucoup. Tu sais bien que je l’adore ta tête. Calme-toi, je n’ai rien dit de mal.

Aline- Encore heureux ! Parce que vois-tu, aujourd’hui, ce n’est pas la peine d’en rajouter.

Éric- Raconte-moi donc tes petites misères ! Vas-y, tu peux y aller, je ne suis pas pressé.

Il s’assied à côté d’elle.

Aline- C’est à cause de ma mère. Elle me prend toujours pour une gamine. … Figure-toi que ce matin, elle m’a interdit de porter la mini-jupe que je venais d’acheter. Tu te rends compte ! Elle me l’a in-ter-dit !

Éric- Ah ouais, c’est pas sympa !

 

Aline- Elle m’a dit : « Tu porteras ta mini-jupe lorsque tu iras à Paris, mais dans le village, il n’en est pas question.. »

Éric- C’est dommage. Je suis sûr que ça t’irait bien.

Aline- Je lui ai dit : Maman, réveille-toi ! Nous sommes au 20 ième siècle, en 1966 pas en l’an 40. Je te rappelle qu’à partir de 21 ans, on est considéré comme étant majeure, comme tu peux le constater, ça fait un moment que je n’ai plus cet âge, alors cesse de vouloir me commander mais elle me l’a redit : Pas de mini-jupe ici ! Du coup, moi je suis sortie en claquant la porte.

Eric- (Chantant) « Mini mini mini. Tout est mini dans notre vie » Tu sais qui chante ça ? C’est un nouveau chanteur, Il s’appelle Jacques Dutronc. Il chante aussi

« Et moi et moi et moi ». Tu as dû l’entendre à la radio, en ce moment, à « Salut les copains » ils ne passent que ça. « 700 millions de chinois, et moi et moi et moi » Ne me dis pas que tu ne connais pas… Moi, je l’aime bien, ce Dutronc, il m’a l’air d’être un sacré rigolo.

Aline- Rigolo, peut-être mais je ne suis pas sûre qu’il soit très romantique. Question romantisme, je préfère de loin mon petit Salvatore Adamo.

Éric- Ah oui ! « Laisse mes mains sur tes hanches » (Il joint le geste à la parole.)

Aline- (se dégageant) Ça ne va pas !

Éric- Ben quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? « Ne fais pas ces yeux furibonds. »

Aline- Ca ne se fait pas. On pourrait nous voir.

Éric- Et alors ? Je peux bien laisser mes mains sur tes hanches. Tu m’as bien laissé faire l’autre soir, derrière chez toi, alors pourquoi pas ici ? Comme tu l’as dit

toi-même, nous ne sommes plus au moyen âge, nous sommes en 1966.

Aline- Ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi sur la place publique… Tu sais, ce n’est pas parce que je veux porter une mini-jupe qu’il faut me prendre pour une fille facile.

Éric- Je n’ai pas dit cela.

Aline- Alors range tes mains baladeuses et ne viens plus m’importuner. Ce n’est

 

vraiment pas le jour. J’en ai marre de ce bled pourri ! Marre ! Marre ! Plus que marre !

Éric- Ne te fâche pas, mon p’tit cœur et surtout n’oublie pas que dans ce bled pourri, il y a moi. Moi qui t’aime à la folie. T’en connais un autre qui serait capable de te dire : « Biche oh ma Biche, lorsque tu soulignes au crayon noir tes jolis yeux, biche oh ma biche, moi je m'imagine que ce sont deux papillons bleus »

Aline- Ça suffit ! Lâche-moi, toi aussi ! Je ne suis pas d’humeur à plaisanter. Si c’est pour t’entendre faire le Jacques, je préfère m’en aller.

Éric-« Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant

 

Aline- C’est ça ! Continue à faire le juke-box.

(Elle sort.)

Éric- Aline ! Aline. Ne te fâche pas ! Aline !

(Éric, après être allé à la poursuite d’Aline jusqu’en coulisse, revient en trainant les pieds puis s’assied sur le banc en se tenant la tête entre ses mains. Arrivée, côté jardin de la Maire.)

La maire- Et bien Éric, tu m’as l’air abattu, que se passe-t-il ?

Éric- « Et j’ai crié, crié Aline pour qu’elle revienne. »

La maire- Oui, et alors ?

Éric- Ben alors, elle n’est pas revenue.

La maire- Ca ne m’étonne pas. Moi si on me crie dessus, je ne suis pas sûr que ça me donne envie de revenir… Alors si je comprends bien, tu t’es fâché avec Aline ? Qu’as-tu donc fait pour la contrarier ?

Éric- Je lui ai mis les mains sur les hanches, vous savez, comme dans la chanson.

(Il chante.) « Laisse mes mains sur tes hanches. »

La maire- Éric, si tu veux un conseil, écoute-moi bien.   La prochaine fois, garde

 

les mains dans le fond de tes poches, ça t’évitera les fâcheries.

Éric- Vous savez Madame la Maire, je ne pensais pas à mal, ça me fait de la peine de m’être disputé avec Aline. J’espère que ce n’est pas pour toujours. Et si ça l’était ? Comme dit Johnny : « Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir, oui gris c’est gris et c’est fini ? » Non, ce n’est pas fini, n’est-ce pas ?

La maire- Mais non, voyons, bien sûr que ce n’est pas fini.

Éric- Parce que si c’était le cas, je n’aurais plus qu’à me noyer dans la fontaine, moi et mon chagrin.

La maire- Ne fais pas cela malheureux, tu risquerais de la polluer. Maintenant écoute-moi au lieu de pleurnicher. Si tous les habitants de ce village se suicidaient après chaque dispute conjugale, crois-moi qu’il n’y aurait plus aucune place dans le cimetière depuis bien longtemps.

Éric- Vous croyez ?

La maire- Si je te le dis !

Éric- Merci, c’est gentil de me remonter le moral. Je vais pouvoir retourner au boulot. Au fait, vous l’avez entendu le nouveau succès d’Henri Salvador ? (Il chante.) « Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver, les prisonniers du boulot ne font pas de vieux os… »

(Il sort, tout en continuant à chanter, côté cour tandis que côté Jardin arrive Félicie. Elle porte un cabas.)

Félicie- (Elle crie) Éric ! Éric ! Attends-moi ! Éric !

La maire- Inutile de t’égosiller, Félicie. Tu vois bien qu’il est déjà parti. Il ne t’entend pas.

Félicie- Il ne m’entend pas ou il fait semblant de ne pas m’entendre. Je le connais l’animal, ce n’est pas lui qui viendrait aider sa vieille mère à porter les provisions.

La maire- Allons, allons Félicie, ne sois pas trop injuste, tu sais bien que ton fils est un brave garçon.

Félicie- Brave peut-être mais ça ne l’empêche pas d’avoir un poil dans la main. La

 

preuve, tu l’as entendu comme moi chanter cette chanson idiote.

La maire- Tu ne vas tout de même pas reprocher à ton fils d’avoir le cœur gai.

Félicie- Aux innocents les mains pleines. Facile d’avoir le cœur joyeux quand c’est la mère qui s’occupe de tout.

La maire- Tu sais, Félicie, depuis le temps que je le connais, je peux te l’assurer, Éric est un garçon sensible, très sensible… Il peut passer du rire aux larmes très rapidement… En fait, ton fils, il est un peu comme Christophe Colomb. Lui aussi, il a des états d’âmes, Éric.

Félicie- Je ne comprends rien à ton charabia.

La maire- Ce n’est pas grave, je veux juste te dire que si tu étais arrivée cinq minutes avant, tu l’aurais trouvé pleurant comme un veau égaré. Le pauvre était inconsolable.

Félicie- Allons bon ! Que lui était-il arrivé à ce petit bichon pour qu’il soit si chagriné ?

La maire- Il venait de se disputer avec sa petite amie.

Félicie- Ah la belle affaire !

La maire- Je peux comprendre qu’il soit peiné… Vois-tu, Félicie, déjà qu’il n’y a plus beaucoup de belles filles dans le village, si ton fils commence à s’embrouiller avec celles qui restent, il n’aura plus qu’à se faire moine, c’est moi qui te le dis.

Félicie- Ne parle pas de malheur, j’en ai besoin au restaurant. Si tu crois qu’on est assez de deux. Je peux t’assurer qu’on ne chôme pas, c’est bien pour ça qu’il faut que j’y aille, je ne voudrais pas me mettre en retard.

La maire- Félicie, je ne te laisserai pas partir avant de connaitre le menu de ce midi. Qu’y aura-t-il à la carte aujourd’hui ?

Félicie- J’ai réussi à avoir des giroles avec le petit Laurent, donc ce midi, ce sera rôti de veau aux giroles.

La maire- Et ton veau, il vient d’où ?

 

Félicie- D’où veux-tu qu’il vienne ? De chez Blanchard, comme d’habitude. Qu’est-ce que tu croyais ? Qu’il avait pris l’avion pour venir jusqu’à chez moi ?

La maire- Et il y aura des pommes de terre ?

Félicie- Bien sûr qu’il y aura des pommes de terre. De la belle de Fontenay si tu veux tout savoir.

La maire- Tu mettras du romarin, n’est-ce pas ?

Félicie- Evidement et aussi du thym et de la fleur de sel.

La maire- Ah Félicie ! Je te l’ai déjà dit, tu mériterais de figurer dans les meilleurs guides touristiques. Tu gâches ton temps et ton talent dans un trou perdu comme ici. Si tu t’installais, à la ville, crois-moi, il ne faudrait pas un an pour que tu sois enfin reconnue.

Félicie- A quoi ça sert d’être reconnue si toi-même tu ne reconnais pas les autres ? Qu’est-ce que c’est que cette idée de vouloir me faire déménager. Si ça t’embête que je sois là, dis-le tout de suite… Tu ne trouves pas qu’il y a déjà bien assez de commerces fermés sur la commune ?

La maire- Si je te parle d’installation à la ville, c’est parce que tu le vois bien, ici, nous sommes tous en train de crever à petit feu, le village se meurt, il n’y a plus d’avenir…Depuis que l’usine a fermé, beaucoup sont partis… Bientôt nos commerces déclineront les uns après les autres. Que pourrons-nous y faire ?

D’après nos chers technocrates, ce n’est que le début de la fin, je me demande bien dans cinquante ans ce qui restera de notre ruralité.

Félicie- Délaisser notre belle campagne pour aller m’enfermer dans un clapier en béton au milieu des gaz d’échappement, merci bien ! Tu m’entends ? Il n’en est pas question.

La maire- Ne te méprends pas, ma chère Félicie, je ne souhaite nullement que tu quittes le pays mais quand on a goûté à ta merveilleuse cuisine, on aurait tellement envie que tu la fasses découvrir à d’autres et pourquoi pas aux touristes.

Félicie- Les touristes ? Pour ce qu’ils savent apprécier… J’ai entendu dire que les américains adoraient manger leur steak haché entre deux tranches de pain et qu’ils

 

faisaient la queue pour acheter cette nourriture.

La maire- Oui, j’en ai aussi entendu parler, il parait même que chez eux, il existe des centaines de magasins qui proposent ce genre de sandwiches. Ils appellent ça du nom de leurs propriétaires, des Mc Donald, je crois… Enfin rassure-toi, Félicie, nous autres avons trop de respect pour la gastronomie pour que cette mode arrive chez nous.

Félicie- A ta place, je ne serais pas si catégorique, après la guerre, ils ont bien réussi à nous refiler leurs chewing-gums et leur cigarettes, tu verras qu’un jour, ils nous forceront à manger leurs saloperies et personne n’y trouvera rien à redire.

(Arrivée côté cour de Maryline.)

Maryline- Bonjour, bonjour ! Bonjour Félicie ! Bonjour Albertine ! Alors ? On profite du soleil ?

La maire- Bonjour Maryline ! Comme tu le vois. Après tout, c’est l’été, on peut bien en profiter un petit peu, n’est-ce pas Félicie ?

Félicie- Parlez pour vous ! Si vous croyez que j’ai le temps de me dorer la pilule.

Maryline- Félicie, ce sera la pensée du jour : « qui ne se dore pas la pilule reste blanc comme un cachet » N’oublie pas de la marquer sur ton ardoise.

Félicie- je vais plutôt écrire qu’il vaut mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche, ça évite de dire des bêtises. Sur ce, je vous laisse cancaner, j’ai du travail.

La maire- A ce midi ! N’oublie pas de me réserver ma table habituelle.

Maryline- Moi aussi, j’ai réservé. Je viendrai avec quelques membres de la troupe, du moins ceux qui ne sont pas partis en vacances.

Félicie- En tous les cas, soyez ponctuels parce que je vous rappelle que dans mon restaurant, si parfois vous attendez, le rôti, lui n’attend pas.

(Elle sort.)

Maryline- Elle a l’air en forme, notre Félicie. Toujours un sacré caractère.

La maire- Que veux-tu, depuis le temps qu’on la connait, on ne la changera pas.

 

Maryline- J’avoue que ce n’est pas pour me déplaire. Il est temps que les femmes expriment leur tempérament, tu ne crois pas ?

La maire- Mouais.

 

Maryline- Comment cela « Mouais » ? Te rends-tu compte que cela fait seulement un an que dans un couple, l’homme n’est plus « le chef de famille », cela fait seulement un an que la femme peut exercer une profession et ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari… Il aura fallu attendre 1965 et toi, tout ce que tu trouves à dire, c’est « Mouais » ?

 

La maire- Tu sais, j’ai dit mouais mais tu sais bien que moi je n’ai rien contre.

Maryline- Il est plus que temps que nous les femmes, relevions la tête, dans ce pays. Tu n’es pas d’accord ? Tu n’es pas d’accord ? Et bien dis-le ! … A force de bousculer les mentalités, tout cela finira bien par changer… Tu verras, je suis sûre qu’un jour, il y aura des femmes « chef de gouvernement ».

La maire- Ben, voyons ! Et pourquoi pas des footballeuses professionnelles ?

Maryline- -- Bien sûr ! Je dirais même plus : « Et pourquoi pas une coupe du monde féminine » ? De toute façon, elles feraient au moins aussi bien que les garçons. Tu as vu à la dernière coupe du monde, nous n’étions même pas qualifiés et cette année, nous ne sommes pas sûrs de passer le premier tour. Crois-moi, avant que nos petits footeux nous ramènent le trophée, j’ai l’impression qu’il va falloir patienter quelques années.

La maire- Tu t’intéresses au sport à présent ?

Maryline- Bien sûr ! Je sais même que le tour de France va passer pas loin d’ici dans deux jours.

La maire- Oui, mais ce n’est pas pour cela que les coureurs vont traverser le village.

Maryline- Et la caravane publicitaire ? Tu penses qu’elle passera par ici ? Comme dit Papa : « Ce serait bath »

La maire- N’y pense même pas, le parcours a déjà été défini et ce ne sera pas demain la veille qu’on parlera de notre village et pourtant s’il était plus connu…

 

Un magnifique plan d’eau, une superbe usine désaffectée, un restaurant sublime et un boulanger qui nous fait du pain qu’on dirait du gâteau. Avoue qu’il y aurait de quoi attirer des investisseurs, mais pour cela il faudrait un miracle.

Maryline- Un miracle ? Pourquoi pas. La vie est parfois si imprévisible.

Arrivée de Céline et Felix, ce dernier a des lunettes noires et se dirige avec une canne.

Maryline- Tiens, voilà deux de mes acteurs. Et bien Felix, à quoi joues-tu ?

Felix- (repartant dans la direction opposée en brassant l’air avec sa canne.)

Qu’est-ce que c’est ? On me parle ?

Céline- On voit qu’il ne fait pas du théâtre pour rien. Même quand la saison est terminée, il ne peut s’empêcher de faire l’acteur.

Maryline- Quel cabotin ! Ça ne m’étonne pas !

Céline- Moi non plus, toujours à faire le guignol et il croit que ça fait rire.

Maryline- Pitoyable !

Céline- Lamentable ! Quel pantin !

Felix- (s’arrêtant de brasser l’air avec sa canne. Il tend l’oreille.) A qui sont destinées toutes ces médisances ? Ce ne sont tout de même pas de si charmantes personnes qui profèrent de telles insanités ? (Soudain lyrique) « Eh bien ! Filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »

Maryline- Felix ! Arrête de faire ton parano… Mais si, on t’aime, tout le monde t’aime… C’est bon ? Te voilà rassuré ? Tu sais, nous aussi, on a bien le droit de plaisanter. Dis-nous plutôt pourquoi tu fais l’aveugle ?

Felix- Vous avez vu les filles, j’ai retrouvé la canne de mon grand-père dans mon grenier.

Céline- Tu veux dire dans le grenier de chez tes parents.

Felix- C’est pareil, c’est chez moi.

 

Céline- Non, c’est chez tes parents. A ton âge, tu continues à habiter chez tes parents et ça n’a pas l’air de te gêner.

Felix- Ben non, pourquoi ?

Céline- Monsieur a pris racine, remarque, à force d’en déclamer, ça ne m’étonne pas, et lui, il trouve cela normal

Felix- Je suis bien à la maison, pourquoi veux-tu que je m’en aille ? Maman me prépare le repas pendant que je bois l’apéro avec papa. Que demander de mieux ? Je partirai lorsque j’aurai trouvé une gentille petite femme et fais-moi confiance, je n’aurai aucun mal à en trouver une moins méchante que toi. Elle, au moins ne sera pas à me dénigrer toutes les cinq minutes.

Céline- Oh ! Pauvre petit chat ! J’oubliais qu’il faut toujours le caresser dans le sens du poil sinon Felix le chat n’est pas content. Reste donc manger ta pâtée chez papa et maman puisque cela te satisfait mais ne t’étonne pas de rester vieux gars toute ta vie.

Felix- Cesse donc de m’appeler Félix le chat, cela m’horripile ! Au fait j’y pense… A propos de célibataire…J’ai l’impression que c’est l’hôpital qui se moque de l’infirmerie… Alors puisque nous sommes sur le sujet, que répondrais-tu si je te disais comme certains : « Dis-moi Céline… Les années ont passées… Pourquoi n’as-tu jamais songé à te marier ? »

Céline- Dis donc ! Espèce de gros curieux ! Ma vie privée ne te regarde pas.

Felix- La mienne non plus ! Fallait pas commencer !

La maire- (à Maryline) Y a de l’ambiance dans votre troupe. C’est toujours comme ça ?

Maryline- Bien sûr ! Surtout entre ces deux-là. Ils adorent se chambrer mais ne t’inquiète pas, s’ils se charrient autant, c’est tout simplement parce qu’ils s’apprécient.

Céline- C’est vrai, il a beau être pénible mais on arrive encore à le supporter, et puis « qui aime bien châtie bien. » n’est-ce pas mon petit chat ?

Félix- « Va, je ne te hais point. »

 

La maire- C’est marrant… A vous disputer ainsi, vous me faites penser à un vieux couple.

Maryline- Sur scène, cela a souvent été le cas. Je ne compte plus les fois où ils se sont retrouvés mari et femme.

Felix- Mari trompé, mari jaloux. Le vaudeville m’a fait tout jouer.

Céline- A chaque fois, j’ai adoré te cocufier.

Félix- Il n’empêche, malgré le ridicule de l’emploi, je préfère jouer les maris crédules plutôt que les amants sans scrupules. Ma claustrophobie, je l’avoue, a toujours mal supporté les attentes dans les placards.

Céline- Et moi ? Crois-tu que je suis satisfaite de jouer les potiches et de m’écrier :

« Ciel mon mari ! » dès que j’entends : « Madame est-elle là ? »

La maire- Si ce n’est pas indiscret, puis-je vous demander ce que vous comptez nous préparer pour la saison prochaine ?

Maryline- Justement, c’est pour cela que nous nous réunissons ce matin. Notre choix n’est pas encore arrêté, nous avons sélectionné plusieurs textes et il va nous falloir trancher.

Céline- Ras le bol des vaudevilles, moi, j’aimerai bien qu’on joue cette année une comédie plus moderne : « la bonne planque » par exemple… Vous savez, c’est cette pièce avec Bourvil et Pierrette Bruno.

Maryline- A propos de Bourvil, j’ai appris qu’il préparait un film avec Louis De Funès. Ça sort à la rentrée. Je crois que cela va s’appeler « la grande vadrouille »

Félix-Sans faire d’oracles, avec un titre pareil, ça ne risque pas de faire un grand succès …Je vous parie qu’après quinze jours à l’affiche, tout le monde l’aura oubliée, cette grande vadrouille.

Céline- Voilà qu’il se prend pour Nostradamus à présent ! Remarque, avec ta canne et tes lunettes, on voit tout de suite que tu es un garçon clairvoyant.

(En coulisse, on entend un bruit de moteur suivi de coups de klaxon.)

La maire- Allons bon ! Quel est donc ce raffut ?

 

Felix- Chut ! Taisez-vous ! Ecoutez ! (Il tend l’oreille.) DS 21 Citroën. 4 cylindres, suspension hydropneumatique, 100 chevaux sous le capot, Non ! Je n’y crois pas ! Une DS 21 ? Ici, au village ?

Céline- Comment tu sais ça, toi ?

Felix- Tu sais bien, les bagnoles, c’est ma passion.

Maryline- Il est peut-être aveugle notre Felix, en tous les cas, il n’a pas l’air d’être sourd.

(Arrivée, côté jardin de Max. Il tient une carte routière à la main.)

Max- Ah ! Enfin, je trouve du monde dans ce patelin. Je commençais à me demander s’il était réellement habité. Bonjour Messieurs-dames. Vous allez pouvoir me renseigner.

Felix- C’est à vous la DS 21 ?

Max- Comment savez-vous que c’est une DS ?

Felix- Parce que seule une merveille de ce genre peut prodiguer une aussi belle sonorité. Je peux la voir ? J’adorerais !

Max- La voir ? Mais… Cette canne… Ces lunettes… Il semblerait que vous soyez… Comment dire…

Felix- Mais oui, aveugle. C’est une évidence qui crève les yeux, n’est-ce pas ? Mais vous savez, un aveugle voit tout autant avec ses oreilles comme j’ai pu à l’instant vous le démontrer. Et puis, le temps que j’arrive jusqu’à votre voiture, peut-être aurai-je alors retrouvé la vue. Sait-on jamais ?

Max- Ecoutez, on verra… Pour le moment, j’aimerais bien savoir où je suis exactement. Une déviation m’a fait quitter la route nationale et finalement je me suis perdue sur toutes ces routes de campagne. (Dépliant la carte.) Alors montrez-moi… Où sommes-nous ? (Félix se penche sur la carte.) Mais non ! Pas vous ! (Dirigeant la carte vers les autres) Pouvez-vous me renseigner ?

La maire- Bien sûr ! Toutefois permettez-moi de me présenter. Albertine Legrand, je suis la maire de Belle-Fontaine et oui, le charmant village où vous vous trouvez

 

se nomme Belle-Fontaine. .

Max- Belle-Fontaine ? Tu parles d’un nom… Montrez-moi où se trouve votre fameux Belle-Fontaine… Si toutefois il est bien marqué sur la carte.

La maire- Mais certainement, Monsieur… ?

Max Ah oui… Max Fratelli. Je suis journaliste à la RTF.

Céline- La RTF ? La radio-télévision française ?

Max- C’est cela. La télévision, vous connaissez ? Vous l’avez dans votre village ?

Maryline- Oh ben non ! Pensez-vous ! Nous sommes bien trop occupés à tailler des silex et à peindre des mammouths sur les murs de nos grottes. Alors la télévision, vous pensez bien qu’on ne sait pas ce que c’est.

Max- Ne vous vexez pas, je ne voulais pas vous…

Céline- Bien sûr que nous avons la télévision. Naturellement, tout le monde ne possède pas un poste mais entre voisins, on s’invite quand il y a quelque chose d’intéressant…Pour voir « Intervilles » ou « La piste aux étoiles » par exemple… Même que ce mois-ci, nous avons vu une pièce de théâtre. Qu’est-ce que c’était chouette. J’ai entendu dire que l’expérience allait être reconduite. C’est vrai ?

Max- Oui ma petite dame. Ça s’appellera « Au théâtre ce soir » mais je ne suis pas sûr que ça intéressera beaucoup de gens.

Céline- En tous cas, moi j’ai adoré, à tel point que j’ai même retenu le nom du décorateur et du costumier.

Maryline- Tu dois bien être la seule. Je doute que beaucoup s’en souviennent.

Céline- Ca, je ne sais pas… Si ça se trouve, d’autres que moi auront retenu leur nom.

Max- Bon alors ! Voyons un peu cette carte… Comment je fais pour rejoindre la nationale ?

La maire- C’est bien simple, vous traversez le bois-joli, vous roulez 15 kilomètres jusqu’à l’étang Chabot puis vous tournerez à gauche, après à peu près 20

 

kilomètres, vous prendrez sur la droite puis vous roulerez trois ou quatre kilomètres pour rejoindre la grande route.

Max- Tu parles d’une expédition. (Repliant sa carte) Je m’en souviendrai de ce voyage.

Felix- Vous êtes venu faire du tourisme dans la région ?

Céline- Ne dis pas n’importe quoi ! Tu vois bien que monsieur n’a pas une tête de touriste.

Félix- Mais non, justement je ne vois pas. Je te rappelle que je suis aveugle, je ne peux donc pas deviner la tête qu’a ce monsieur.

Céline- Là tu commences à devenir lourd. Arrête un peu ton cinéma ! (À Max) Il faut que je vous explique… (Désigne Félix) Mossieur adore se faire remarquer mais Mossieur n’est pas…

Maryline- Plus tard Céline, tu veux bien ? (À Max) Dites-nous plutôt ce que vous êtes venu faire dans la région.

Max- Je suis critique gastronomique à la télévision et je fais une émission sur les restaurants haut de gamme des villes étapes du tour de France. Je viens toujours en repérage un ou deux jours avant l’équipe de tournage afin de préparer l’entretien avec le restaurateur … Ce matin, je me rendais à l’auberge du Cheval blanc, vous avez dû en entendre parler. C’est m’a-t-on dit la meilleure table du département…

La maire- La plus chère assurément mais pas la meilleure.

Max- Pas la meilleure ? Comment cela ?

La maire- Parce que la meilleure table, elle est chez nous, pas vrai les filles ?

Maryline- Ca, c’est clair. On ne peut pas trouver mieux.

Céline- Ce n’est peut-être pas servi dans des assiettes en porcelaine.

Maryline- On ne va pas vous mettre des couverts en argent.

La maire- Quand on y va, c’est pour manger pas pour se faire prendre en photo.

Felix- Et ça se trouve à 50 mètres d’ici. Pas besoin de carte routière pour s’y

 

rendre.

Max- Vous êtes bien gentils mais vous savez, cela fait très longtemps que j’ai perdu l’habitude de manger dans des cantines, sur des nappes en toile cirée, je ne pense pas que c’est aujourd’hui que je vais commencer.

La maire- Je vous assure que Félicie cuisine vraiment très bien et que son restaurant mériterait d’être connu.

Max- Mais oui, bien sûr, bien sûr… Dites, vous auriez un téléphone parce qu’après toutes ces péripéties, j’ai pris du retard, il me faudrait prévenir l’auberge du Cheval blanc.

Céline- Vous y mangerez ce soir si ça vous chante à votre Cheval blanc en attendant vous devriez venir manger chez Félicie puisqu’on vous dit que vous ne serez pas déçu.

Max- Je viens de vous dire que cela ne m’intéresse pas, n’insistez pas, je vous prie.

Céline- Vous n’êtes vraiment pas curieux. Avouez que c’est tout de même bizarre pour un journaliste. Je n’ai jamais vu votre émission, à tous les coups, elle doit être nulle.

Max- Dites donc ! Je ne vous permets pas !

Céline- Et bien moi je me permets.

Max- Je ne vais certainement pas user mon temps et ma salive à discuter avec n’importe qui. Madame la maire, je vous ai demandé si vous aviez un téléphone, et bien ?

La maire- Venez avec moi. Je vais vous ouvrir la mairie. Vous pourrez téléphoner… Vous êtes vraiment certain de ne pas vouloir déjeuner ici ?

Max- Faut-il vous le dire en mandarin ?   Je vous répète que je suis attendu.

(Ils sortent côté cour.).

Céline- Vous l’avez entendue ce prétentieux ? Sa voiture a peut-être 100 chevaux sous son capot mais elle a surtout un bel âne à son volant. (À Félix) Et toi, arrête un peu de faire le mariole. On ne t’a jamais dit que les plaisanteries les plus courtes

 

étaient les meilleures ? Enlève-moi ces lunettes !

Felix- Vos désirs sont des ordres, Madame. Je vais donc me résoudre à me laisser éblouir par votre lumineuse beauté, dussè-j’en perdre la vue.

Maryline- Non, non. Garde-les, pour le moment. Il sera bien le temps de les enlever lorsque le parisien reviendra.

Céline- Ah non, Maryline, tu ne vas pas commencer à donner raison à Felix. Tu ne vois donc pas comme il est ridicule.

Maryline- Il est peut-être ridicule mais, en attendant, il a tout de même réussi à persuader le journaliste qu’il était non-voyant, n’est-ce pas ?

Céline- Oui mais où veux-tu en venir ?

Felix- J’avoue que moi-même, j’ai du mal à te suivre. (À Céline) Remarque pour un aveugle, avoir du mal à la suivre, c’est normal.

Céline- Arrête ! Tu m’énerves !

Maryline- Ecoutez-moi, vous allez comprendre… Pas plus tard que tout à l’heure, la maire me disait qu’il faudrait un miracle pour redynamiser notre village et bien nous allons lui en donner du miracle. Après tout, puisque nous avons l’habitude de faire du théâtre, nous pouvons bien jouer la comédie. A partir de maintenant le village est notre scène, ce journaliste sera notre public et nous allons tout faire afin qu’il ne s’en aille pas avant la fin de la représentation.

(En coulisse, voix d’Éric) Voix d’Éric- Mirza ? Mirza ? (Arrivée d’Éric.)

Éric- « Z’ avez pas vu Mirza ? Oh la la la la la… Où est donc passé ce chien ?

Je le cherche partout, Où est donc passé ce chien ? Il va me rendre fou » Ah ! Vous êtes là ? Dites-moi, z’avez pas vu Mirza ? Il a mangé une assiette de saucisson alors Félicie l’a chassé à grands coups de balai, pauvre chien, il a eu tellement peur qu’il s’est enfui et maintenant il est introuvable… Décidément ce matin, tout le monde veut partir, avant c’était Aline, maintenant c’est Mirza.

 

Maryline- Et si nous perdons trop de temps, il y en a un troisième qui risque de déguerpir, alors essayons d’être efficaces. Dis-moi Éric, ce n’est pas toi qui m’as dit un jour que t’aimerais faire du théâtre ?

Éric- Je préférerais être chanteur mais acteur, oui pourquoi pas ? Un de ces jours, j’aimerais bien essayer.

Maryline- Tu sais que tu as de la chance ? Figure-toi que c’est maintenant que tu vas faire un essai.

Éric- Maintenant ? Mais je ne peux pas, il va falloir que j’aille mettre le couvert au restaurant. Si je traine de trop, je n’ai pas fini de me faire enguirlander.

Céline- Tu n’auras qu’à dire que tu cherchais Mirza. Maryline, explique-nous plutôt ce que tu attends de nous.

Maryline- Ecoutez-moi bien. Voilà comment nous allons procéder.

(Ils se rapprochent autour de Maryline et se mettent en cercle pour écouter ses confidences.)

Noir

Fin de l’acte 1

 

Acte 2

(La place du village est vide. Arrivée de Victor et Thérèse.)

Thérèse- Ben non… Il n’y a personne… On t’a raconté des histoires.

Victor- Je n’ai pas rêvé… J’ai bien entendu la Maryline et la Céline parler d’un parisien. Tu crois qu’il serait déjà parti ?

Thérèse- Que veux-tu qu’il reste faire chez nous, il n’y a rien à faire, il n’y a rien à voir. Ici, ce n’est pas comme à Paris…A Paris, il y a des lumières, il y a des magasins… Oh dis, Victor, avant qu’on finisse dans le trou, tu ne voudrais pas m’emmener visiter Paris ?

Victor- Et pourquoi pas Thérèse mais tu sais, si on y va, il faudra faire tout comme eux… Je les ai bien observés, les parisiens, si on y va avec la deux-chevaux, nous aussi, on klaxonnera, dès qu’on verra une voiture, tu me feras penser à klaxonner.

Thérèse- Ah bon ? Et pourquoi ?

Victor- Parce que c’est comme ça, le parisien, il faut qu’il klaxonne, sinon il est perdu............. Même quand il vient chez nous, c’est plus fort que lui, il faut qu’il

klaxonne. T’as envie de lui dire : « Vive les mariés, tellement il klaxonne ! Après, il faut que tu saches que si nous allons à Paris, il faudra courir.

Thérèse- Il faudra courir ?

Victor- Oui, dès qu’on descendra de l’auto, on continuera à faire comme le parisien, on commencera à courir, on courra parce que quelqu’un qui ne court pas, on voit tout de suite que c’est un provincial, alors il faut courir même si tu ne sais pas où tu vas, tu cours, à l’instinct.

Thérèse- Tu crois qu’on saura faire ?

Victor- Ah Dame ! Ce n’est pas toujours facile… Je ne te l’ai pas raconté mais la fois où j’ai voulu aller au salon de l’agriculture, je me suis dit, je vais le faire à la parisienne, à l’instinct… J’ai vu une pancarte : Champs Elysées… Nom de d’là, si les champs sont par-là, le salon doit être à côté que je me suis dit, alors j’ai foncé mais pas plus de salon que de bigouden en coiffe sur leur Champs Elysées. Fumier de poule ! Là, je me suis fait avoir.

 

Thérèse- Avec tout ce que tu me racontes, du coup je ne suis plus très sûre d’avoir envie d’aller à Paris.

Victor- C’est vrai que le parisien, il est fort pour les blagues mais tu sais, si un jour il en venait un à venir séjourner chez nous par hasard, je lui montrerais que moi aussi, je peux en faire des petites blagues. Une petite tonne à lisier versée discrètement sous sa fenêtre, il pourrait le découvrir le bon air pur de la province.

Thérèse- Ah mon Victor ! C’est vrai que toi aussi, tu es un sacré blagueur.

Victor- Bon ! S’il n’y a pas plus de parisien que de beurre en branche, rentrons chez nous, ma Thérèse.

(Ils sortent côté jardin. Arrivée côté cour de la maire et de Max)

Max- Madame la maire, il ne me reste plus qu’à prendre congé. Encore merci d’avoir ouvert la mairie pour me permettre de téléphoner.

La maire- Revenez dans six mois et vous verrez une magnifique cabine téléphonique sur la place de ce village, du moins si notre demande est acceptée. La cabine téléphonique, quelle merveilleuse invention ! Si ça se trouve dans cinquante ans, il y aura des cabines téléphoniques partout où nous irons.

Max-Mais peut-être que dans l’avenir nous n’aurons plus besoin de cabines, nous aurons tous des téléphones sans fil qui nous permettront de téléphoner n’importe quand, n’importe où.

La maire- Oui mais là, monsieur, permettez-moi de vous le dire, vous êtes en pleine science-fiction…Bientôt vous allez m’annoncer qu’un jour nous marcherons sur la lune et que les trains rouleront à 300 km/heure.

Max- Et pourquoi pas ? Cela me semble parfaitement possible.

La maire- Vous êtes un sacré rigolot… Remarquez, vous êtes journaliste, vous nous vendez du rêve, c’est normal, je ne peux pas vous en vouloir de raconter n’importe quoi, mais revenons à aujourd’hui… Le tour de France, vous le suivez ? Dites, pour une fois que Jacques Anquetil abandonne, vous croyez que Raymond Poulidor a une chance de gagner ?

Max- Quelle importance ! Croyez-moi, même s’il ne gagne pas, les gens

 

retiendront son nom plus encore que le nom du vainqueur de cette année. Bon ! Il faut que je me sauve… Madame la Maire. (Il lui sert la main.)

La maire- Vous ne voulez vraiment pas rester ? Vous verrez, notre village possède plus d’un atout et mérite d’être découvert. Si vous pouviez nous faire un petit reportage…

Max- Madame la Maire, je ne vais pas vous mentir, des villages comme le vôtre, il y en a des centaines, franchement, je ne vois pas qui cela pourrait intéresser.

(Arrivée côté jardin de Maryline, suivie de Céline. Toutes deux portent une sorte de toge confectionnée avec des draps. Maryline a dans une main un plat à paella et dans l’autre une louche. Elle rythme leur incantation.)

Maryline- (tout en tapant) Oula ! Oula ! Oula la !

Céline- Oula oula ! Oula la, Oula oula oula la…

Maryline- Fontaine, belle fontaine, fais-nous profiter de tes richesses, apporte nous l’abondance et guéris les maux de tes adorateurs. Oula oula oula la !

Céline- Oula oula oula la. Oh source de joie, inonde-moi de tes largesses, laisse s’écouler les flots de la générosité et reçois en retour notre reconnaissance éternelle

Maryline- Oula oula oula la !

Céline- Oulà oula oula la !

Elles se dirigent vers la fontaine. Maryline tend la louche à Céline qui la prend.

Maryline- portant à bout de bras le plat à paella. - Oh fontaine ! Belle fontaine ! Sois généreuse avec cette pauvre femme dans le besoin.

Céline- Oh oui, Belle-Fontaine, sois généreuse avec moi qui suis dans le besoin.

Céline plonge la louche dans la fontaine et la ressort emplie de colliers, et autres bijoux.

Céline- Après avoir mis les bijoux dans le plat à Paella, elle s’en empare. Merci fontaine chérie, merci fontaine bienfaitrice. Une fois que j’aurai vendu ces bijoux, je pourrai enfin donner à manger à mes petits-enfants maigrelets qui ne cessent de

 

crier famine, je pourrai acheter des médicaments pour soigner mes pauvres parents et ainsi contribuer à les guérir de la tuberculose, de la gale, de la lèpre et de la myxomatose qu’une vie misérable leur a offert en cadeau. Mais qui vois-je venir à l’horizon ? N’est-ce pas Éric, le ravi du village que la nature n’a pas épargné.

Arrivée côté jardin d’Éric. Il marche les pieds à l’intérieur en manifestant de nombreux tics.

Maryline- Fontaine, oh fontaine bien aimée, ne crois-tu pas qu’il est temps de soulager la souffrance de ce pauvre innocent ? (À Éric) Éric ! Viens mon garçon, approche ! N’aies pas peur.

Éric- avance en claudiquant, le visage ravagé par les tics. Bonjour Madame.

Maryline- Approche te dis-je ! Dis-moi mon garçon, n’en as-tu pas assez d’être l’objet de tous les quolibets lorsque tu traverses le village ? N’es-tu pas lassé d’entendre railleries et gloussements à chacune de tes apparitions ? Et bien réponds !

Éric- continuant à prendre un air abruti. - Bonjour Madame.

Maryline- Je te le répète, mon garçon, te plairait-il de changer d’apparence, là, dès maintenant grâce aux bienfaits de notre fontaine ?

Éric- toujours niais- Bonjour Madame.

Maryline- Pauvre âme égarée dans les brumes de l’innocence. As-tu seulement compris le sens de mes questions. Comprends-tu ce que je te dis ?

Éric- Non Madame.

Céline- Bon ! On ne va pas y passer la nuit. La Madame te demande si tu veux changer ton air abruti contre un air plus intelligent. Ça te va ? Alors, répète après moi : Oula oula oula la ! Oula oula oula la !

Éric- Ca va faire mal ?

Céline- Mais non, pourquoi ?

Éric- C’est parce que vous dites : Oula la.

 

Céline- Non, ça ne va pas faire mal ! Maintenant répète après moi : Oula oula oula la !

Eric- Oula oula oula la.

Céline- Encore !

Eric- Oula oula oula la.

Céline- C’est bien ! Maintenant bois ! (Elle plonge la louche dans la fontaine et la ressort pleine d’eau.) Tiens !

Éric- Qu’est-ce que c’est ?

Céline- Tu vois bien, c’est de l’eau.

Éric- Je n’aime pas l’eau.

Céline- Ca, j’avais remarqué. T’aimes pas l’eau et tu ne dois pas aimer beaucoup le savon non plus, tu sens la frite.

Éric- C’est à cause du restaurant. C’est Maman qui me dit…

Céline- énervée – Bois !

Éric- Vous n’auriez pas plutôt un petit coup rouge parce que je vous l’ai dit, moi, l’eau…

Céline- De plus en plus énervée. - Bois que je te dis !

Éric- Oui Madame !

Il s’exécute. Tout de suite après avoir bu, son corps est secoué de soubresauts pendant quelques instants avant de s’apaiser. Peu à peu, Éric reprend une apparence normale. Il se tâte les membres. Vous avez vu ? C’est incroyable ! Plus de tics ! Et je marche normalement ! C’est un miracle ! Tout cela grâce à cette fontaine ! Attendez ! Je vais en reboire !

Maryline- Non ! Cette eau est précieuse. Point trop n’en faut. A chacun selon son dû, ni plus, ni moins. Prenons garde à ne pas tarir la source.

Éric- Je cours annoncer la nouvelle... Allez, mes jolies jambes, emmenez-moi à la

 

maison !

Il part en courant.

Max- Dites-moi, Madame la maire, vous qui cherchiez à me retenir pourquoi ne m’avez-vous pas parlé de cette extraordinaire fontaine. C’est dingue !

Expliquez-moi !

La maire- Vous expliquer ? Que vous dire… Moi-même, je suis toute… Toute…

Maryline- l’interrompant Toute émue comme nous tous devant tant de miracles accomplis… On a beau être habitués, c’est toujours aussi émouvant, n’est-ce pas madame la maire ?

La maire- Euh… Je… Oui, bien sûr.

Max- Néanmoins, je m’interroge… Si cette fontaine peut apporter fortune ou santé pourquoi cette dame qui semblait être dans la précarité a-t-elle attendue aussi longtemps, pourquoi ce pauvre garçon semblait en ignorer les vertus ?

Maryline- Parce que la fontaine ne déverse pas tous les jours ses bienfaits. Ce n’est qu’à certaines périodes que la magie opère, ainsi aujourd’hui la conjonction des planètes nous est favorable. Vénus et Jupiter nous regardent avec bienveillance, c’est pourquoi ce jour est propice.

Max- Mais… Comment saviez-vous précisément qu’aujourd’hui était le bon jour ?

Maryline- Parce que je l’ai lu dans les astres, cher monsieur. Depuis ce matin, les forces cosmiques se rassemblent pour énergiser notre fontaine. Vous avez de la chance parce que, croyez-moi, ce n’est pas tous les jours que l’on peut assister à ce genre de phénomène.

Max- Et cela arrive souvent ?

Maryline- Je ne peux vous en dire plus… Je ne souhaite pas attirer les foudres du ciel sur notre village.

Max- Remarquez… Vous avez raison… Il ne sert à rien de s’emballer prématurément… Avant d’officialiser ce genre d’histoire, il faudrait recenser plus de témoignages… Et puis… (Soudain suspicieux) Voir s’il n’y aurait pas une

 

quelconque machination là-dessous… Vous, par exemple… Si ça se trouve, vous aviez caché ces bijoux dans le seul but de vouloir m’éblouir.

Maryline- Voyons Monsieur ! Pourquoi ferions-nous cela ?

Max- Je ne sais pas… Peut-être pour m’impressionner…Si c’était le cas, le but a été atteint, je dois l’avouer que vous m’épatâtes

Céline- Patate, toi-même ! Il est incroyable ce petit monsieur ! On lui montre deux jolis miracles et il continue à faire la fine bouche. Je ne sais pas ce qu’il lui faut de plus. Qu’il aille au diable !

Arrivée de Félix.

Félix- Holà ! Quelles sont ces invectives qu’il me semble discerner. Pour qui sont ces propos proférés avec emportement ? Céline, j’ai reconnu ta voix, dis-moi quel est l’unique objet de ton ressentiment ?

Céline- Laisse tomber, ça n’en vaut pas la peine.

Félix- Mais si ! On ne se fâche jamais sans raison. Il me tarde de connaitre le pourquoi de ton courroux.

Max- Madame ne semble pas apprécier les sceptiques.

Félix- Sceptique par rapport à quoi ?

Max- Par rapport à cette fontaine, soi-disant miraculeuse.

Félix- Cher monsieur, je ne peux que vous approuver. Moi-même, je n’ai jamais cru à cette vieille légende… en fait, il faudrait que je le vois pour le croire et comme vous pouvez le constater, ce n’est pas facile.                                     Alors oui, comme vous, je pense que toutes ces histoires que l’on raconte autour de cette fontaine ne sont que billevesées, sottises et fariboles.

Maryline- Félix, au lieu de dire n’importe quoi, ne préfèrerais-tu pas recouvrer la vue ?

Félix- Non, je ne crois pas que cela puisse m’intéresser. Le monde que j’imagine est certainement plus beau que celui que vous me proposez, alors dites le moi, quel intérêt aurais-je à regarder toute la misère du monde ?

 

Céline- Tous les paysages sont loin d’être cauchemardesques (faisant la coquette, elle soulève sa poitrine.) Certaines visions valent largement le coup d’œil. Ah !

Pauvre Félix ! Si seulement tu avais aimé les femmes…

Félix- Ah… S’il s’agit de se rincer l’œil… Dans ce cas là… Mais… je peux aussi me contenter du toucher. (Il cherche à caresser Céline.)

Céline- Bas les pattes, vieux cochon ! On ne touche pas, on regarde seulement.

Maryline- Bon Félix, tu te décides ? Que veux-tu ?

Félix- D’accord ! Comme au poker, je mise… pour voir.

Maryline- Approche ! (Elle le guide vers la fontaine.) Donne-moi ta canne et tes lunettes et répète après moi : Oula oula oulala !

Félix- Oula oula oula la !

Maryline- Encore !

Félix- Oula oula oulala !

Maryline- Maintenant, vas-y ! Plonge ta tête ! N’aies pas peur ! Allez ! Toi qui voulais te rincer l’œil, c’est le moment.

(Félix plonge la tête dans la fontaine et en ressort en écarquillant les yeux.)

Félix- dévisageant tout le monde, il s’arrête sur Céline. - Ah !

Céline- Qu’est-ce qu’il y a ?

Félix- C’est toi Céline ?

Céline- Ben oui, c’est moi.

Félix- C’est drôle… Je t’imaginais plus jolie

Céline- Espèce de mufle ! Je te conseille de remettre la tête dans la fontaine, avec encore un petit miracle, tu pourras espérer avoir un cerveau tout neuf qui t’évitera de dire des bêtises.

Max- (à Félix) – Sérieusement… C’est vrai que vous voyez. ?

 

Félix- Bien sûr ! Vous, je vous reconnais. Vous êtes l’homme à la DS.

Max- C’est cela.

Félix- désignant Céline- Nous aussi, nous avons notre déesse. (Il lève le coude comme pour boire.)              Elle consomme tout autant que la vôtre. Ah si ! Elle tête bien… Mais en ce qui concerne la carrosserie, il y aurait peut-être quelques retouches à envisager.

Céline le gifle.

Félix- Aie !

Céline- Celle-là, tu ne l’as pas volée. Tu n’es qu’un goujat !

Elle sort.

Félix- Céline ! Attends ! C’était pour rire.

Maryline- Ah bon ? C’était de l’humour ? On n’avait pas remarqué.

Félix- Aie ! Aie ! Pauvre de moi !

Max- Cessez donc de gémir sur votre sort. A présent, vous n’êtes plus aveugle, vous devriez être content, n’est-ce pas, Madame La Maire ?

La maire- Heu… Je… Je ne sais pas…

Max- Comment cela ? Vous ne savez pas ? Vous avez l’air encore plus surprise que moi par toutes ces sortes de miracles… Pourtant j’imagine que vous devez être habituée, ne me dites pas que c’est la première fois que vous observez un tel phénomène.

Maryline- Madame la Maire est troublée parce qu’elle-même est une ancienne miraculée.

Max- Ah bon ? Comment cela ?

Maryline- Ca s’est passé il y a bien longtemps, il n’empêche, ici, tout le monde s’en souvient… C’était par une belle matinée de printemps, notre maire rendait visite à un de ses administrés qui habitait un petit hameau éloigné du village ; comme elle avait déjà beaucoup marché, elle a voulu raccourcir son trajet en

 

coupant à travers champs mais hélas, elle est tombée sur Archibald.

Max- Archibald ?

Maryline- Oui Archibald, un taureau reproducteur, le plus beau de la région, trois fois médaillé au concours du comice agricole.

Félix- En voyant la maire dans le champ, Archibald a commencé à s’exciter.

Maryline- On ne sait pas exactement ce qui lui ait passé par la tête, toujours est-il que Madame la Maire s’est fait encorner par Archibald.

Max- Non !

Maryline- C’est comme je vous le dis. La pauvre a eu les cornes dans le dos. Félix- Je me demande ce qu’il vaut mieux, les avoir dans le dos ou sur la tête. Max- Et alors ?

Félix- Et alors ?

Max et Félix- Et alors ? (Ils chantent.) Zorro est arrivé !

Maryline- Détrompez-vous, personne est arrivé, ce n’est que vers midi qu’on l’a retrouvée à moitié agonisante.

Max- Et alors ?

Félix- Et alors ?

Max et Félix- Et alors ?

Maryline- C’est bon ! Vous n’allez pas me la refaire à chaque fois. Alors, on a emmené Madame La Maire jusqu’à la fontaine sans savoir si c’était un jour favorable, On l’a plongée sans se poser de questions et elle est ressortie aussi vaillante qu’avant sa promenade. Pas vrai, Madame la Maire ?

La maire- Heu… Oui… Peut-être… Je ne sais pas.

Maryline- à Max- La pauvre ! Même vingt ans après, elle est encore sous le choc.

Arrivée de Félicie.

 

Félicie- Dites donc, vous autres ! Vous n’auriez pas vu Éric ?    Sacré vaurien ! Ça fait une heure que je le cherche. Où peut-il être ?

Maryline- Il y a deux minutes, il était encore avec nous. Tu ne l’as pas croisé ?

Félicie- Il y a dix kilos de pomme de terre à éplucher et monsieur se croit en vacances. Quelle « faignasse », ce gosse ! Et dire que c’est moi qui l’ai pondu. J’aurais mieux fait de me casser une patte, ce jour-là.

Maryline- Voyons Félicie, Tu le sais comme moi qu’Éric est un brave garçon. A quoi bon l’accabler ? Même s’il est en retard, je suis sûre qu’il va venir t’aider... Pourquoi s’énerver pour si peu ? Tes pommes de terre ne vont pas s’envoler.

Félicie- C’est ça, continue à le défendre, ce gros paresseux. On verra si tu diras la même chose lorsque je te servirai des patates crues, tout à l’heure.

La maire- Justement, à propos Félicie, laisse-moi te présenter Monsieur Max Fratelli qui est critique gastronomique à la télévision. Je lui disais que ce serait bien qu’il vienne dans ton restaurant.

Félicie- Pour quoi faire ?

La maire- Je viens de te le dire, Félicie, Monsieur est critique gastronomique.

Félicie- Et bien qu’il aille ailleurs. Chez moi, on ne critique pas, on mange.

Max- Ecoutez chère madame, si cela peut vous rassurer, je n’ai nullement l’intention de venir me restaurer chez vous donc vous n’avez aucune crainte à avoir.

Félicie- Pourquoi je devrais avoir peur ? Et de qui ? De vous ? Sachez mon petit monsieur que celui qui voudra me faire peur n’est pas encore né.

Félix- à Max- Remarquez, elle n’a pas tort… Parce qu’on la connait notre Félicie. Pour l’impressionner, Il faudrait se lever tôt, avoir de beaux biscoteaux mais… (Sur l’air de Félicie)

Même si vous en aviez

Il faut que vous le sachiez…

 

Maryline, La maire et Félix- Félicie aussi !

Félix- Même si vous êtes à l’aise Même si vous êtes balèze

Maryline, La maire et Félix- Félicie aussi !

Félix- Vous avez des arguments Des réponses tout le temps

Maryline, La maire et Félix- Félicie aussi !

Félix- Et si vous pensez que vaincre Est plus facile que convaincre

Maryline, La maire et Félix- Félicie aussi !

Max- D’accord, d’accord… Je ne voudrais surtout pas vous contrarier, maintenant il faut vraiment que je m’en aille. Des obligations m’attendent au Cheval blanc mais je serai ravi de pouvoir revenir vous voir dès demain.

La maire- Oui, je pourrai vous faire visiter la commune, comme je vous le disais, nous sommes ouverts à toute implantation commerciale et…

Max- Madame la maire, ce qui m’intéresse et intéressera nos téléspectateurs, c’est uniquement votre fontaine magique. Vous rendez-vous seulement compte que votre village grâce à ses miracles peut devenir aussi célèbre que Lourdes ou Fatima ?

La maire- Vous vous méprenez, il n’y a jamais eu d’apparition divine ici.     (Se tournant vers les autres.) Mes amis, assez plaisanté, dites-lui qu’il n’y a jamais eu de miracle.

Maryline- Ben… C’est-à-dire… On pourrait peut-être en reparler demain.

Félix- Oui, c’est cela. Nous en reparlerons demain.

Max- (à Félicie) Chère Madame. Je vous souhaite une bonne continuation et peut-être à demain mais rassurez-vous pas dans votre restaurant puisque j’ai cru comprendre que je n’y serais pas le bienvenu… Si je reviens, je demanderai aux

 

cuisiniers du Cheval blanc de me préparer un panier pique-nique. Dites… Éric, c’est bien votre garçon ?

Félicie- Oui, pourquoi ?

Max- J’ai eu le privilège d’assister à sa transformation. C’était absolument saisissant. Vous risquez d’être étonnée lorsque vous le reverrez.

Félicie- Qu’est-ce que vous me racontez ? Je ne comprends pas. Expliquez-vous.

Max- Vous verrez par vous-même. Une surprise dévoilée n’est plus une surprise. Au revoir Madame.

Félicie- Oui, c’est ça…. Au revoir… En attendant mes patates, elles ne vont pas s’éplucher toutes seules.

Elle sort côté cour tandis que Max se dirige côté jardin.

Félix- (à Max) Attendez ! Je vais vous accompagner. J’aimerais bien la voir votre DS 21. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’admirer des automobiles présidentielles. (À Maryline) Ben oui ! Le grand Charles a la même.

Maryline- Dis donc ! Un peu de respect ! Ce n’est pas le grand Charles, c’est monsieur De Gaulle. Tout de même !

Max- Sans vouloir faire le prétentieux, je voudrais vous faire remarquer que la voiture présidentielle est une DS 19, c’est un beau véhicule mais il lui manque la noblesse mécanique de la DS 21 qui est nettement plus performante.

Félix- Et bien ! Allons voir ça.

Maryline- Je vous accompagne. Tu viens Albertine ?

La maire- Non, allez-y sans moi. Max- A demain Madame La Maire. La maire- Oui, c’est cela, à demain. Ils sortent.

La maire- Ce n’est pas possible… Qu’est-ce qu’ils ont encore été inventer ! Une

 

fontaine miraculeuse ! Je t’en ficherai des miracles ! Ils ne se rendent pas compte ces inconscients ! Et moi qui n’ai même pas démenti… Si demain, la télévision débarque pour filmer ces fameux miracles, on aura l’air malin. Ce n’est pas vrai ! Comment faire pour sortir de ce bourbier ?

Entrée d’Aline. Elle a observé la maire pendant ses dernières répliques.

Aline- Ca va bien, Madame La Maire ?

La maire- Ah Aline, tu es là. Oui, oui, tout va bien.

Aline- C’est parce que je vous voyais soucieuse.

La maire- Oh des soucis ! Tu sais, on en a tous dans la vie.

Aline- A qui le dites-vous ! Et même quand on n’a pas de soucis, on traine son ennui comme un boulet de bagnard.

La maire- Quels sont ces raisonnements ? Tu ne vas pas jouer les désabusées, à ton âge !

Aline- A mon âge ? Figurez-vous qu’on en a marre, à mon âge, de ce vieux monde dirigé par des adultes qui passent leur temps à nous culpabiliser et à nous seriner « Ah ! si, comme nous, tu avais connu la guerre et ses privations, »

La maire- Ce n’est pas faux si t’avais mangé des rutabagas tous les jours, tu serais sûrement moins exigeante.

Aline- Oui, je suis exigeante ! J’exige de la compréhension, de la considération et du respect et même si je n’ai pas connu les sols en terre battue, les toilettes au fond du jardin et les tickets de rationnement, j’exige le droit à la parole, le droit d’exprimer une opinion personnelle et surtout le droit au plaisir, ce plaisir de vivre que nos parents n’ont pas toujours connu mais est-ce une raison pour nous en priver ?

La maire- Le droit au plaisir ! Je t’en ficherai du droit au plaisir. Evidemment, vous les jeunes, depuis que vous êtes nés, on ne vous a jamais serré la ceinture.

Aline- Et alors ? On ne nous a pas serré la ceinture mais on n’arrête pas de nous remonter les bretelles ! Il y en a marre ! Vous verrez, je ne suis pas la seule à

 

penser ça… Dans pas longtemps, je suis sûre que la jeunesse va se révolter parce qu’elle aussi veut faire sa place dans cette société avec des idées novatrices, utopiques peut-être, mais est-il interdit de vouloir rêver à un monde meilleur ?

Est-il interdit d’essayer d’imaginer que sous les pavés des villes et des villages, on peut y trouver la plage ?

La maire- Ben dis- donc ! Quelle virulence !

Aline- Je ne voulais pas vous choquer mais c’est vrai qu’ici, on crève d’ennui, il ne se passe jamais rien dans notre village.

La maire- Jamais rien ? Tout dépend à quelle heure.

Aline- Pourquoi dites-vous cela ?

La maire- Parce que pas plus tard que tout à l’heure, nous avons eu la visite d’un journaliste parisien.

Aline- Non ? Ici, à Belle-Fontaine ? Je n’y crois pas.   ... Que venait-il faire dans notre village ?

La maire- En fait, il s’était perdu.

Aline- Ah, là, je comprends mieux… Il a dû être ravi de découvrir notre village et sa vie trépidante… Vous auriez dû lui conseiller de revenir un soir en semaine.

Ah ! Belle-Fontaine by night, ça vaut le détour. A 21 heures, plus un chat, plus une mobylette dans les rues. Tout le monde cric-crac dans la baraque. Il aurait adoré, le parisien.

La maire- Je te sens légèrement sarcastique.

Aline- Avouez que je n’ai pas de bol, pour une fois qu’il y a un peu d’inattendu, je le rate.

La maire- Si ça t’intéresse, demain il y aura une séance de rattrapage.

Aline- Comment cela ?

La maire- Parce que ce monsieur revient demain. Hélas !

Aline- Pourquoi dites-vous hélas ?

 

La maire- Ce serait trop long à t’expliquer.

Arrivée d’Éric. Il arrive, essoufflé.

Éric- apercevant Aline- Ah ! Tu es là ! Dites… Z’avez pas vu Mirza ?

Aline- Ton Mirza, je l’ai enfermé dans mon garage, de peur qu’il ne se perde. Il avait l’air affolé.

Éric- Ca ne m’étonne pas. Il s’est pris des coups de balai avec Félicie. Tu connais ma mère, lorsqu’elle est en colère, elle n’est pas toujours tendre.

La maire- A propos, il n’y a pas qu’après ton chien qu’elle est furieuse. J’ai cru comprendre qu’il y avait du boulot qui t’attendait. Tu ferais bien de te dépêcher.

Aline- Pour ce qu’elle te paie, ta mère. Pour une fois, tu pourrais la laisser travailler.

La maire- Alors là, Aline, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Éric- Moi non plus, alors j’y vais…

Aline- C’est cela ! Cours vite dans ton panier ! Va faire le Mirza chez ta mère. Allez cours ! Va faire le toutou puisque tu aimes ça.

Éric- Aline ? On se voit tout à l’heure, d’accord ?

Aline- Je ne sais pas. J’ai déjà un chien dans mon garage, je ne suis pas certaine d’en vouloir un deuxième.

Elle tourne les talons et s’en va furieuse.

Éric- Criant- Aline ! Aline ! Elle est fâchée, n’est-ce pas ?

La maire- Ca m’en a tout l’air.

Éric- Qu’est-ce que je dois faire ? Vous auriez un conseil à me donner ?

La maire- Vas donc éplucher tes patates et si tu trouves quelques oignons, épluche-les aussi comme ça tu sauras pourquoi tu pleures. Parce que si tu commences à chialer à la moindre contrariété, tu n’as pas fini de te faire du mouron. Maintenant laisse-moi, j’ai d’autres soucis autrement plus importants à

 

régler.

Éric- Alors vous aussi, vous êtes fâchée ?

La maire- criant- Cours éplucher tes patates ! Non mais !

Éric sort en trainant les pieds.

Éric- « Et maintenant, que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie… »

Arrivée côté jardin de Maryline et Félix.

Félix- Tu as vu Maryline ? Ça, c’est de la bagnole. Dommage qu’il était pressé, le parisien sinon je lui aurais demandé de prendre le volant. Faire le tour de

Belle-Fontaine dans une DS 21, j’aurais adoré.

Maryline- Et tu aurais été fier de parader ainsi dans tout le village ?

Félix- air satisfait- Ben oui !

Maryline- Changeras-tu donc jamais ? Toujours à vouloir faire le coq à la moindre occasion.

Félix- Pfft ! De toute façon, vous, les bonnes femmes,   je sais bien que vous n’y connaissez rien aux voitures.

Maryline- Mon petit monsieur, faut-il te rappeler que j’ai obtenu mon permis de conduire du premier coup et que je conduis tous les jours.

Félix- Je le sais. C’est bien pour cela que lorsque je te vois arriver en face de moi, je change de trottoir.

Maryline- Ah les hommes et la bagnole ! Il faut toujours qu’ils se croient supérieurs et j’ai comme l’impression que ce n’est pas prêt de changer.

La maire- Alors ? Vous êtes contents de vous ?

Félix- Ben oui, pourquoi ?

La maire- Cette ridicule histoire de fontaine miraculeuse, qui en a eu l’idée ? C’est toi Maryline ?

Maryline- Oui c’est moi. Il fallait bien essayer de le retenir ce journaliste.

 

La maire- Le retenir, oui… Mais de là, à inventer cette histoire délirante ! Vous avez perdu la raison ?

Félix- Tu as vu ? La troupe de théâtre de Belle-Fontaine a assuré, tu ne trouves pas ?

La maire- Ah c’est sûr que vous étiez parfaits… Plus vrais que nature …Et maintenant, vous avez pensé à la suite ?

Félix- La suite ? Quelle suite ?

La maire- Lorsqu’il va revenir demain et qu’il va te proposer à toi et à Éric de vous soumettre à toute une batterie de tests médicaux, lorsqu’il va vouloir interroger la population pour approfondir cette histoire, vous avez pensé à ce que vous allez lui dire ?

Félix- On verra bien… On improvisera.

La maire- On n’improvisera rien du tout. On dira simplement la vérité à ce monsieur pour mettre fin à cette pitoyable mascarade.

Félix- Et si nous le faisons, comment crois-tu qu’il va réagir le journaliste ? Eh bien, je vais te le dire… Vexé d’avoir été berné, il s’en ira, il nous vouera aux Gémonies et ne manquera pas d’en raconter le détail à ses collègues journaleux qui s’empresseront à leur tour de raconter l’anecdote et nous deviendrons ainsi la risée de toute la région.

La maire- Mais alors ? Que faire ?

Maryline- Je pense avoir une idée…   Nous allons lui faire constater que les pouvoirs de notre fontaine sont très éphémères, les guérisons et les bienfaits ne durent pas, donc il ne servirait à rien de rameuter la terre entière pour des résultats insignifiants.

Félix- Mais oui ! C’est une excellente idée et comme cette fois, il sera moins pressé, nous aurons tout le loisir de lui faire visiter notre village et peut-être découvrira-t-il matière à faire un reportage.

Maryline- Mais pour cela, il va te falloir rejouer à l’aveugle et convaincre Éric, notre nouvelle recrue théâtrale de bien vouloir jouer les prolongations dans le rôle

 

du simplet.

La maire- Soit ! Continuons donc à faire les zozos puisque nous n’avons guère le choix… Mais je me demande bien où cette histoire va nous mener.

Maryline- En tous les cas, pour le moment, elle n’est pas terminée. Albertine, ne fais pas cette tête. Tu verras, tout finira par s’arranger. Allez ! Pour te redonner le moral, j’offre l’apéro chez Félicie, nous allons y retrouver Éric et Céline et après le repas, nous aurons tout le temps de peaufiner notre scénario.

La maire- Quelle idée nous avons eu de vouloir le retenir ! Si nous l’avions laissé partir tranquillement, nous n’en serions pas là.

Félix- Qui ne tente rien n’a rien. Ne t’inquiète pas, le journaliste ne va pas regretter son retour… Tu vas voir qu’on va réussir à lui faire aimer notre village.

La maire- J’aimerais pouvoir te croire mais pour cela… Il faudrait un miracle.

NOIR

 

ACTE TROIS.

Sur scène, Éric, Maryline et Céline

Éric- Ce que vous me demandez n’est pas possible, j’y ai réfléchi toute la nuit… Je ne peux pas continuer.

Maryline- Tu étais absolument parfait dans ton rôle pourquoi veux-tu arrêter maintenant ? Franchement, je ne comprends pas.

Éric- Moi, j’ai fait ça pour rigoler mais hier c’était hier… Vous ne croyez tout de même pas que je vais faire le ravi de la crèche toute ma vie.

Céline- Personne ne te demande de jouer les idiots du village pour l’éternité. On te demande de le faire juste le temps de la venue du journaliste. Dès qu’il sera parti, on arrête de jouer, promis.

Éric- Et si Félicie ou Aline me tombent dessus pendant que je fais le mariole ? Déjà qu’elles sont toutes les deux en colère contre moi.

Maryline- Veux-tu que je leur explique ? Après tout, il s’agit de l’intérêt du village, elles comprendront.

Éric- Elles ne comprendront rien du tout. Quand elles sont en colère, elles n’écoutent plus rien, ce sont de vraies furies. Si elles me voient faire le simplet, elles n’ont pas fini de me tomber dessus.

Céline- Ne me dis pas que, parce qu’elles t’effraient, tu serais prêt à nous lâcher ? Tu entends cela Maryline ? Ce petit monsieur qui hier, après sa prestation, voulait rentrer dans la troupe maintenant se dégonfle ? Et ça prétend vouloir faire du théâtre ? (À Éric) Dis-moi mon petit bonhomme, si tu commences à avoir peur de jouer devant deux spectatrices, explique-moi comment tu feras lorsqu’il faudra jouer devant une salle entière ? Tu y as pensé à ça ?

Éric- Non, mais là, ce n’est pas pareil…Je n’ai pas envie de me ridiculiser.

Maryline- Ecoute-moi Éric. Lorsqu’on incarne des personnages, ce sont presque toujours des rôles de composition, certes, nous y mettons parfois une part de notre propre vérité mais le véritable plaisir d’un comédien est de pouvoir construire un personnage, souvent très éloigné de ce qu’il est dans la vie réelle. Ce n’est pas

 

parce que tu vas rejouer les simplets qu’on va s’imaginer que tu l’es.

Éric- Oui, mais, ici, ce n’est pas comme dans un théâtre.

Maryline- Peu importe l’endroit, un comédien doit pouvoir jouer n’importe où.

Arrivée de la maire

Maryline- Et puis si tu ne le fais pas pour nous, (désignant la maire) fais-le au moins pour elle.

La maire- Que se passe-t-il ? Il y a un problème ?

Céline- désignant Éric- Monsieur ne veut plus de son rôle. Monsieur veut nous lâcher en plein milieu de la représentation.

La maire- Tu ne peux pas faire ça Éric ! Il en va de la réputation du village. Si tu te présentes comme tu es, le parisien va continuer de croire au miracle, il te fera examiner par des tas de spécialistes qui tous concluront à la supercherie, c’est cela que tu veux ?

Éric- Ben… Non.

La maire- Comme tu le vois, nous n’avons guère le choix. Tout comme toi, je déplore cette situation, je l’ai d’ailleurs dit à Maryline, c’était une fausse bonne idée mais que veux-tu, c’est fait, c’est fait… Essayons juste de limiter les pots cassés.

Éric- Oui mais si ma mère ou Aline me voient faire l’innocent, vous imaginez leur réaction ?

La maire- Quand vas-tu arrêter de te soucier du regard de l’autre ! Dis-toi que c’est ta vie et non celle des autres.

Maryline- Éric, une seule question… As-tu ressenti du plaisir à faire l’acteur ?

Éric- Bien sûr ! C’était formidable.

Maryline- Et bien alors ?

Éric- Bon d’accord … Je veux bien continuer à faire le guignol… Mais il ne faudra pas qu’il s’attarde de trop, le parisien parce que, je vous préviens, pas question de

 

faire des heures supplémentaires.

La maire- Je l’ai bien vu hier, seule la fontaine semblait l’intéresser ; lorsqu’il aura constaté les limites de ses bienfaits, crois-moi, je ne pense pas qu’il s’attardera.

Arrivée de Félix. Il a repris sa canne et ses lunettes.

Félix- A vous êtes là ! Je vous avais perdu de vue mais maintenant, je vous ai à l’œil.

Céline- Tiens ! Revoilà Ray Charles et ses blagues Carambar.

Félix- Rejouant à l’aveugle- Qu’est-ce que c’est ? Quelqu’un me parle ?

Céline- Et voilà ! C’est reparti !

Maryline- Félix, tu n’es pas obligé de rentrer en scène tout de suite, tu vois bien que notre spectateur n’est pas encore arrivé.

Félix- L’échauffement c’est important. Si je veux réaliser une interprétation de qualité, je dois commencer à intérioriser mon personnage.

Céline- Si tu veux que je te crève les yeux pour mieux ressentir le rôle, n’hésite pas à me le demander, je me ferai un plaisir de te le faire.

Félix- Je reconnais bien là ta grande mansuétude. Merci ma petite chérie.

Maryline- Ah non ! Vous n’allez pas commencer à vous chamailler tous les deux. Ce n’est pas le moment ! (Elle regarde sa montre.) Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il ne devrait pourtant pas tarder.

Félix- Chut ! Ecoutez !

Bruit de moteur de voiture qui tourne un moment avant de s’arrêter.

Félix- Tiens ! Il a changé de voiture ? (Il dresse l’oreille.) Non ! Ce n’est pas possible ! Si je ne me trompe pas, c’est le bruit de la Lincoln Continental 1961. Il faut à tout prix que je vois ça !

Il s’apprête à aller à la rencontre de Max.

Maryline- Félix ! Je te rappelle que tu es aveugle.

 

Félix- Ah oui ! C’est vrai, mais rendez-vous compte ! John Kennedy avait la même… La sienne était rallongée et…

Céline- On s’en fout ! Vite ! Sortons avant qu’il arrive.

Ils sortent côté cour tandis qu’arrive Max, côté jardin. Il porte un panier pique-nique.

Max- Madame La maire ! Je vous avais bien dit que je reviendrais. Si vous croyez que je vais oublier un aussi joli village.

La maire- Bonjour Monsieur Fratelli, comment allez-vous ?

Max- Très bien, très bien… Je ne reste pas longtemps, je dois accueillir mon équipe technique cet après-midi… Mais avant… (Il sort de son sac une gourde.) Je vais prélever un peu d’eau de votre fontaine magique et l’envoyer à analyser… Ah… Il me faudrait aussi consulter les actes de décès de votre commune… Avec une eau pareille, vous devez avoir un maximum de centenaires. Bande de veinards !

La maire- Détrompez-vous ! Nous n’en avons pas plus qu’ailleurs.

Max- Bien sûr que je vais vous croire… Dites-moi tout, Madame la Maire, je vous sens réticente…Vous avez peur d’épuiser la nappe phréatique si tout le monde venait y boire ? Ne vous inquiétez pas, il vous suffira de réguler le débit et de faire payer au gobelet… trois francs les dix centilitres, cela me semble un prix raisonnable, qu’en pensez-vous ?

La maire- J’en pense que je n’ai nullement l’intention, de taxer l’eau de cette fontaine pour la simple et unique raison que, si je le faisais, ce serait du vol.

Max- Du vol ? Vous plaisantez ! Vous connaissez les vertus de cette fontaine, reconnaissez que les pouvoirs de cette eau sont exceptionnels ! Reconnaissez-le !

La maire- Exceptionnels, j’en conviens mais hélas ces pouvoirs sont non durables, bien trop limités dans le temps. Après quelques heures, un jour tout au plus, les effets bénéfiques s’estompent puis disparaissent définitivement.

Max- Que me chantez-vous, là ? Vous-même, vos administrés me l’ont dit, vous avez été guérie grâce à cette eau miraculeuse. Vous avez bien été encornée, n’est-ce pas ?

 

La maire- La légende mon ami, la légende, il faut bien l’entretenir si on veut passer pour un être d’exception et continuer à se faire élire mais de vous à moi, cet

« encornage » ne m’a valu qu’un blouson déchiré et une très légère éraflure dont je ne garde même plus trace aujourd’hui.

Irruption de Céline. Exagérément théâtrale, elle déclame avec de grands gestes la première réplique du célèbre monologue d’Harpagon dans l’Avare.

Céline- « Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier, justice, je suis perdue, je suis assassinée ! On m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. »

La maire- Céline ! Que se passe-t-il ?

Céline- Les bijoux que la fontaine m’avait offerte hier, ils ont disparu, envolés, volatilisés ! (Elle crie.) Au voleur ! Au voleur !

Arrivée de Maryline.

Maryline- Quels sont ces cris ? Y aurait-il près d’ici un pauvre animal qu’on égorge ?

Céline- Redisant la réplique d’Harpagon. « Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier, justice, je suis perdue, je suis assassinée ! On m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. »

Maryline- Ma pauvre fille ! Lorsque tu as reçu l’offrande de la fontaine, ne savais-tu pas que les effets magiques étaient éphémères ?

Céline- Mais comment vais-je faire à présent pour nourrir mes petits-enfants affamés ? Comment faire pour soigner mes pauvres parents souffreteux ?

Maryline- Il t’aurait fallu convertir tes bijoux en argent dès hier, aujourd’hui, c’est hélas trop tard.

Céline- Menteuse ! Je ne te crois pas ! C’est toi qui m’as dérobé mes bijoux ! Rends-les-moi !

Maryline- Je ne les ai pas te dis-je ! Tout ceci n’est pas de ma faute, moi je n’ai fait que lire dans les astres ! Ah les astres ! Quel désastre !

 

Céline- « Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier, justice, je suis perdue, je suis assassinée ! On m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. »

Maryline- (à Céline, tout bas) Oui, c’est bon ! Celle-là, tu l’as déjà dite.

Arrivée côté jardin d’Éric. Il marche les pieds à l’intérieur en manifestant à nouveau de nombreux tics.

Éric- air niais- Bonjour Mesdames !

Maryline- Ah mon petit Éric ! Comment te sens-tu ?

Éric- Ca va bien mais je cours beaucoup moins vite qu’hier. Vous pourriez me redonner de l’eau, comme ça je pourrais courir comme hier ?

Maryline- Hélas mon garçon, trois fois hélas ! Tu auras beau avaler toute l’eau de cette fontaine, elle ne pourra te rendre tes jambes d’hier. Il faut te rendre à l’évidence, à présent le charme est rompu.

Éric- Ben moi, je vais quand même boire un coup parce que j’ai soif. Avant, je ne buvais que du pinard mais hier j’ai découvert que l’eau, finalement ce n’était pas si mauvais, alors, laissez-moi, je veux boire un coup.

Maryline- A quoi bon ? Mon pauvre garçon puisque je viens de te dire…

Éric- Laissez-moi boire un coup !

Il écarte tout le monde et plonge la tête dans la fontaine. Il ressort, la tête trempée, et s’ébroue comme un chien mouillé.

Éric- Au début, elle est froide mais après elle est bonne.

Max- A la maire- Vous avez vu ? Il ne s’est rien passé.

La maire- C’est exactement ce que je m’efforce de vous expliquer depuis tout à l’heure. Il n’y a plus de miracle.

Max- Mais c’est affreux !

Céline- Oui, c’est affreux ! Ainsi c’est donc cela ? Je n’ai pas été volée, seul le destin est la cause de mon tourment. Comment survivre après une telle tragédie ? Adieu monde cruel, je préfère m’en aller.

 

Elle sort.

Éric- Attends-moi Céline ! C’est l’heure de l’apéro. Avant, je craignais l’eau ; depuis que j’y ai goûté, d’accord ça ne m’a pas arrangé, mais, tu sais quoi ?

Maintenant je n’ai plus peur d’en boire ! Je vais essayer d’en mettre dans mon pastis… Attends-moi !

Il sort à son tour.

Max- Alors là ! Si je m’attendais… C’est une histoire de fous, cette histoire ! Mais

… J’y pense subitement… Et l’aveugle ? Ne me dites pas que même l’aveugle…

La maire- Et oui Monsieur, même l’aveugle.

Maryline- C’est comme vous le dit Madame la Maire, Félix, notre pauvre aveugle était inconsolable, et comme il se croyait guéri de sa cécité, il avait jeté aux orties sa canne et ses lunettes. Il a fallu que je l’aide à les retrouver. Vous verriez dans quel état il est ! Aujourd’hui, il n’a même plus ses yeux pour pleurer.

Max- A la maire- Vous auriez pu me le dire que les effets bénéfiques de votre fontaine « magique » étaient limités, cela m’aurait évité un déplacement supplémentaire… Si vous croyez que j’ai que ça à faire !

La maire- Personne ne vous a forcé à revenir que je sache, en tous cas, pas moi… Monsieur, au revoir, je ne vous retiens pas.

La maire sort vers la mairie.

Max- Complétement ahurissante cette histoire ! Et vous ? Vous le saviez depuis le début que les bienfaits de cette fontaine ne dureraient pas, alors pourquoi contribuer à donner de faux espoirs à tous ces pauvres gens ?

Maryline- Parce que nous sommes tous pareils, on aime croire au miracle et on se dit : si ça a marché une fois, pourquoi ça ne marcherait pas plus longtemps ? Prenez l’exemple de la loterie nationale, on sait pourtant qu’on ne gagne pas à tous les coups mais vous croyez que cela nous empêche de jouer ou de rejouer ? Vous n’êtes pas d’accord ?

Max- Ouais… Je ne sais pas… Peut-être.

 

Maryline- Dites… Maintenant que nous voilà plus tranquilles, ça vous dirait que je vous fasse visiter notre village ?

Max- Vous savez, dès que j’arrive quelque part, sous prétexte que je travaille à la RTF, on cherche toujours à me faire la promotion du lieu en espérant en retour un reportage ou je ne sais quoi, alors vous êtes bien gentille mais comme je l’ai déjà dit, je n’ai malheureusement pas que ça à faire.

Maryline- Monsieur Fratelli, vous connaissez les difficultés du monde rural ? Comme vous l’avez constaté, les grandes villes ne sont pas proches de chez nous et tout le monde n’a pas la chance d’avoir une jolie voiture comme la vôtre. Depuis que notre usine locale, principal employeur de la commune a fermé, la vie n’est pas simple, surtout pour les jeunes alors c’est vrai que si vous parliez de nous à la télévision…

Max- Qu’est-ce que vous croyez ! Je ne suis ni ministre du travail ni directeur des programmes donc soyons clair, je ne peux rien pour vous et si je le pouvais, encore faudrait-il que votre village ait une spécificité, une particularité qui le rende attractif, et pas seulement une pauvre fontaine qui vous fait des miracles à deux balles.

Arrivée d’Aline

Aline- Bonjour ! Vous n’auriez pas vu Éric ?

Maryline- Éric ? Il était là, il n’y a pas deux minutes. Il est parti avec Céline.

Aline- à Max- Et vous, vous devez être le journaliste de Paris… C’est vrai que vous travaillez à la télévision ?

Max- C’est exact.

Aline- Dites, vous les avez déjà rencontrés Sylvie et Johnny ?

Max- Oui, cela m’est déjà arrivé.

Aline- Et Sylvie qui est enceinte jusque-là ! (Elle fait le geste d’arrondir son ventre.) Je crois que c’est pour bientôt… Alors, d’après vous, ce sera quoi, une fille ou un garçon ?

 

Max- Je ne suis pas certain d’être doué pour les prédictions parce que si j’avais pu prévoir, déjà je ne serais pas ici.

Aline- ignorant l’intervention de Max. - Moi j’espère que ce sera un garçon, ça ferait tellement plaisir à Johnny que ce soit un garçon… Et puis ça pourrait ressouder le couple parce que j’ai cru comprendre qu’il y avait de l’eau dans le gaz, non ?

Max- Ah, ça je ne sais pas.

Aline- Faut dire qu’ils ont une vie de patachon tous ces artistes. Vous savez où il est Johnny en ce moment ? Il est à Londres. Il parait qu’il veut embaucher un jeune guitariste qui s’appelle Jimmy Hendrix, vous connaissez ?

Max- Non, je n’en ai jamais entendu parler.

Aline- Avec toutes les jolies filles qui trainent là-bas, la Sylvie, elle doit être verte de rage. Moi, mon Éric, il regarde une autre fille, c’est bien simple, je le tue. (À Max) Éric, c’est mon fiancé, alors c’est vrai comme Sylvie et Johnny, des fois, on se dispute mais après très vite on se réconcilie, En fait, souvent je fais semblant de m’énerver mais après je lui pardonne parce que ce n’est pas tous les jours qu’on peut fréquenter un garçon beau et intelligent… (à Maria) Si vous étiez avec Maryline, alors vous aussi, vous avez dû le croiser mon Éric ?

Max- à Maryline- Éric, c’est bien celui qui… (Il fait toute une série de tics en direction de Maryline.)

Maryline- Oui, c’est bien lui.

Aline- à Max Alors ? Vous l’avez trouvé comment ? Il est pas mal, vous ne trouvez pas ?

Max- Ah ça, effectivement… Pour être pas mal, il est pas mal.

Aline- Il faut que je vous laisse, je vais retrouver Éric avant que Céline ne lui fasse du gringue parce que je la connais, la Céline. Elle serait prête à accaparer tout ce qui ne lui appartient pas.

Maryline- Aline, attends-moi ! Ça ne sert plus à rien que je m’attarde ici. Quand c’est cramé, c’est cramé. On ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir essayé…

 

En tous les cas, on aura bien rigolé… (À Max) Pas la peine de chercher à vous expliquer, vous ne pourriez pas comprendre. Allez ! Rentrez bien et si vous voyez Guy Lux et le gros Léon, saluez-les de ma part.

Elles sortent.

Max- Je ne sais pas si c’est le climat qui veut ça mais ils m’ont l’air tous à moitié ravagés dans ce village. Et quand je repense à la fan de Johnny, elle trouve son petit copain mignon ? Mais, ce n’est pas possible ! Elle doit avoir de la choucroute dans les yeux… Tiens, en parlant de choucroute, avant de partir, il faudrait peut-être que je casse une petite croûte. Voyons un peu ce qu’au Cheval blanc, ils m’ont préparé.

Il s’installe sur un banc et commence à ouvrir son panier. Arrivée de Félicie qui, elle-même porte un panier repas.

Félicie- Vous êtes encore là, vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ?

Max- Rassurez-vous, je ne vais pas m’attarder. Je fais juste une petite pause

pique-nique avant de reprendre la route. Et vous-même, vous n’êtes pas dans votre restaurant ?

Félicie- Aujourd’hui c’est jour de congé. A chaque fois qu’il fait beau, je me fais un panier repas pour venir le manger sur ce banc. Je ne reste pas dans mon restaurant, j’aurais l’impression d’être au boulot. Vous allez bien me faire une petite place sur MON banc ? Pas vrai ?

Max rassemble ses affaires et se lève précipitamment.

Max- Bien sûr… Je ne souhaitais pas vous déranger.

Félicie- Ne vous sauvez pas comme ça ! Vous voyez bien qu’il y a de la place pour deux. (Il s’assied, se décale puis tapotant le banc de sa main.) Venez donc par-là ! Je ne vais pas vous manger. Dites-moi plutôt qu’est-ce qu’ils vous ont donné ?

Max- Eh bien… Je découvre en même temps que vous… Voyons…Il y a même un joli menu qui détaille le contenu du panier. Si vous voulez, je vous le lis… Tout d’abord … « Mise en bouche potagère. »

Félicie- C’est quoi, ça ?

 

Max- Ce doit être la salade de betterave et de concombre.

Félicie- Mise en bouche potagère, c’est certain que ça fait plus chic que salade de betterave.

Max- Ensuite, nous avons « la surprise du jardinier » alors… (Cherchant dans le panier) Ah ! Ce doit être cela !

Félicie- Faites voir ! (Elle se penche.) Votre surprise du jardinier, ce sont des carottes râpées avec une rondelle de citron. Ah ben oui, pour une surprise, c’est une sacrée surprise. Il ne s’est pas foulé le jardinier.

Max- Après… Qu’avons-nous… « Délice de l’escargot. » ça, c’est facile, ce doit être la laitue.

Félicie- « Délice de l’escargot », fallait déjà avoir de l’imagination… Comme l’escargot, ils ont dû en baver pour trouver un titre pareil… Dites-donc, ils vous ont pris pour un lapin ou quoi ? Ça, c’est bien pour grignoter mais à manger, qu’est- ce qu’il y a ?

Max- Après, nous avons des suprêmes de volailles.

Félicie- Faites voir ! Il m’a l’air un peu sec votre blanc de poulet. Ils n’ont pas été fichus de vous mettre une sauce avec, ou au moins quelques cornichons, ah ! Les radins ! Et en dessert ? Je parie que vous avez du fromage blanc.

Max- Exactement. Comment avez-vous deviné ?

Félicie- C’est facile, c’est le même menu qu’à l’hôpital… Et ils appellent ça comment, au Cheval blanc ?

Max- Ca, c’est le panier repas diététique.

Félicie- Moi j’appellerais plutôt ça : « Le panier repas de l’arnaqueur. » J’espère que ça ne vous a pas coûté trop cher parce que moi, il faudrait me payer pour avaler des trucs pareils.

Max- Il ne faut tout de même pas exagérer. Et vous ? Qu’avez-vous de bon dans votre panier ?

Félicie- Vous voulez comparer ? Heureusement que vous ne l’avez pas emmené

 

avec vous, le cuistot du Cheval blanc parce qu’il aurait été vexé et serait reparti direct à l’écurie.

Max- Montrez-moi donc.

Félicie- Alors moi, je ne vais pas vous parler de surprise du chef ou de délice de machin-chose pour vous dire ce que je vais manger, mais tout ce qui est contenu dans ce panier, je sais ce qu’il y a dedans et je sais d’où ça vient... Tenez, par exemple, j’ai des asperges vertes, c’est mon voisin qui les cultive, elles n’ont pas fait dix heures de camion pour venir dans ma casserole… Maintenant, ce n’est pas le tout d’avoir un bon produit, encore faut-il savoir le cuisiner. Je ne sais pas si vous faites à manger ou si vous ne faites que critiquer, en tous les cas, je vous le dis, ces asperges-là, il faut les cuire cinq minutes de moins que les blanches, un quart d’heure maximum, compris ? Et n’hésitez pas, avant de les égoutter, à les plonger dans un bain d’eau glacée si vous voulez qu’elles restent vertes. (Regardant dans son panier.) Qu’est-ce que j’ai d’autre… (Elle sort une tranche de pain et une terrine.) Tiens vous allez me goûter ça ! (Tout en parlant, elle étale la tranche sur la tartine.) Terrine de lapin au serpolet. Tenez !

Max- Non merci… C’est très gentil de votre part mais…

Félicie- Goûtez que je vous dis ! Parce qu’une terrine comme celle-là, vous n’êtes pas prêt d’en remanger.

(Un peu à contrecœur, Max prend la tartine et commence à manger, peu à peu son visage s’éclaire pour exprimer la satisfaction.

Max- Mais… C’est excellent !

Félicie- Puisque que je vous le dis ! Qu’est-ce que j’ai d’autre ? (Elle regarde dans son panier.) J’ai des œufs mimosa, c’est facile à faire et ça se mange sans faim. Les œufs, ils sont frais, il n’y a pas plus frais. Ce matin, ils étaient encore au cul de la poule… C’est mon fils, Éric qui les a ramassés.

Max- Ah oui, c’est vrai que c’est votre fils.

Félicie- Mais oui, rappelez-vous ! Vous l’avez rencontré hier… D’ailleurs je n’ai pas compris lorsque vous m’avez dit que j’allais être surprise en le revoyant.

 

Max- Et… Vous l’avez revu, hier ?

Félicie- Bien sûr que je l’ai revu.

Max- Et vous ne l’avez pas trouvé transformé ?

Félicie- Transformé en quoi ? En andouille ? Pas la peine, il l’est déjà.

Max- Se parlant- Les effets bénéfiques n’ont vraiment pas duré longtemps. Pauvre garçon !

Félicie- Pourquoi vous dites : Pauvre garçon ?

Max- Non… Je veux dire…. Ce n’a pas dû être évident tous les jours… A cause de sa différence.

Félicie- Différence de quoi ?

Max- Vous voyez bien… Il n’est pas tout à fait comme les autres.

Félicie- Ah c’est sûr, des comme lui, il n’y en a pas deux. Mais attention, n’allez pas croire que j’en dis du mal de mon gamin, moi je peux parce que je suis sa mère mais le premier qui cherche à le débiner, je lui arrache les yeux.

(Entrée de Félix. Il a toujours ses lunettes et sa canne.)

Félix- Comme le disait le philosophe : « L’affection aveugle la raison. » Mais faut-il, sous prétexte de clairvoyance, rejeter les cabossés de l’existence et les pauvres d’esprit ? Faut-il, au seul motif qu’ils ne sont pas rentables, repousser l’innocence qui s’invite à notre table ?                                                 Alors oui, puisqu’on nous force à voir l’intolérance, restons aveugles à la bêtise et à la méchanceté de notre monde impitoyable.

Félicie- Ah, c’est toi Félix ! Mais dis-moi, à quoi joues-tu ?

Félix- Laisse-moi Félicie. Je ne peux pas t’expliquer mais peut-être pourras-tu comprendre qu’il vaut mieux parfois rester aveugle plutôt que de devoir observer le cynisme de notre monde contemporain.

Félicie- Te voilà encore avec tes grandes phrases et tes idées bizarres. Tu ferais mieux d’aller bosser au lieu de vouloir toujours faire le guignol.

 

Félix- Plus tard, Félicie mais laisse-moi deux minutes, si tu veux bien, parler bagnoles avec Monsieur.

Félicie- Tu veux peut-être que j’aille manger ailleurs pendant que tu y es ?

Félix- Non, ton silence me suffira, mais peut-être est-ce déjà trop te demander ?

Félicie- Ça tombe bien, c’est l’heure de manger et tu as de la chance, je n’aime pas parler la bouche pleine.

Elle commence à fouiller dans son panier et mangera sans rien dire pendant les répliques de Max et Félix.

Félix- Alors ? Si j’ai bien entendu, vous êtes revenu avec une Lincoln Continental 1961.

Max- Tout à fait, je vois que monsieur est connaisseur.

Félix- Moi aussi, les belles voitures c’est ma passion. Celle-là, comment l’avez-vous eue ?

Max- Elle n’est pas à moi mais je fais partie d’un club de collectionneurs, propriétaires de belles voitures. De temps en temps, lorsque je passe dans les régions, je contacte les membres et nous faisons des échanges.

Félix- Moi, ce qui me passionne, ce sont les voitures présidentielles. Savez-vous que dans le village, nous avons l’heureux propriétaire d’une

Torpédo-Rochet-Schneider, la même que celle utilisée par Raymond Poincaré qui fut le premier président à utiliser une voiture officielle en 1913.

Max- Non !

Félix- Si je vous le dis !

Maria- Je serais vraiment curieux de la voir… Vous croyez que c’est possible ?

Félicie- Arrêtant de manger- Ce n’est pas vous qui ne deviez pas vous attarder ?

Félix- Ah oui… C’est vrai… On m’a dit que vous aviez une émission à préparer. Je ne voudrais pas que par ma faute…

Max- Eh bien, ils attendront ! De vous à moi, je vais vous faire une confidence, si

 

vous saviez comme j’en ai marre de ces émissions culinaires, Ras le bol de la cuisine et de la gastronomie ! Moi, ma vraie passion, ce que j’adore le plus, ce sont les véhicules de collection.

Félix- Tout comme moi ! Savez-vous que depuis tout petit, j’ai développé un don ? Il suffit que j’entende une seule fois le bruit d’un moteur pour identifier, presqu’à tous les coups, le véhicule. Etonnant, non ?

Max- Oui, … Je sais que de nombreux aveugles ont des capacités d’audition largement au-dessus de la norme… Dans votre cas, cela ne me surprend pas.

Félix- (enlevant ses lunettes) Mais si je vous disais que je ne suis pas aveugle, peut-être seriez-vous un peu plus surpris ?

Max- Non ! Vous voyez ?

Félix- Mais oui cher ami, je vous vois tout à fait distinctement.

Max- Alors… Si je comprends bien… La fontaine… Elle est vraiment miraculeuse ?

Félix- N’allez surtout pas croire cela. Vous étiez si pressé…    Il fallait bien trouver un moyen de vous retenir, comme nous faisons tous du théâtre dans la troupe du village, nous vous avons joué la comédie.

Max- Je n’y crois pas ! Vous voulez dire que le fils de Madame… Lui aussi, il jouait ?

Félix- Éric ? Bien sûr ! Et je peux vous assurer que dans la vraie vie, ce brave garçon est loin d’être simplet.

Félicie- Je confirme ! Fainéant comme ce n’est pas permis, un peu bête sur les bords mais pas simplet.

Max- Et la fille ? Céline, c’est cela ?   J’imagine à présent que ses enfants ne sont pas aussi affamés qu’elle le prétendait.

Félix- Oui, surtout qu’elle n’en a pas. Elle est célibataire.

Max- Si je comprends bien, vous vous êtes carrément fichus de ma poire en me faisant gober cette histoire ridicule. Merci ! C’est agréable.

 

Félix- Lorsque vous avez cru au miracle, nous nous sommes rendu compte que nous étions allés trop loin, nous qui voulions simplement vous faire découvrir notre beau village, on s’est retrouvés à ne plus savoir que faire et notre maire nous a fait prendre conscience des conséquences de notre petite plaisanterie, c’est pourquoi ce matin, nous avons repris nos rôles avant que vous n’alertiez la presse et la télévision... Vous nous en voulez encore ?

Max- Bien sûr que je vous en veux… Le seul moyen que vous auriez pour vous faire pardonner, ce serait de me montrer cette fameuse Torpédo qui se trouve dans votre village.

Félix- Je vous y conduis tout de suite, si vous voulez et après, je peux même vous montrer une autre petite merveille.

Max- Vous m’intriguez, qu’est-ce donc ?

Félix- La Reinastella, vous connaissez ?

Max- Bien évidemment. Fabriquée en 1929 par Renault… 8 cylindres en ligne… Un vrai bijou !

Félix- Elle aussi, voiture présidentielle, utilisée par Paul Doumer et Albert Le brun en 1931.

Max- Une voiture comme celle-là, cela vaut une fortune.

Félix- Et bien, cette fortune est en train de moisir sous une bâche, dans une grange à quatre kilomètres d’ici. C’est un vieux châtelain qui la possède… Un héritage familial dont il ne veut pas se débarrasser mais dont il ne sait que faire.

Max- C’est dingue ! Vous avez des trésors à portée de la main et personne ne peut les apprécier.

Félix- Et pourtant, nous aurions des locaux pour les exposer, nous pourrions faire un musée de l’automobile et plus précisément un musée des véhicules présidentiels français et étrangers.

Max- Génial ! C’est une excellente idée, le concept est novateur, je suis sûr que plein de gens seraient intéressés… Voyons, nous avons déjà trois véhicules que l’on pourrait exposer et mon carnet d’adresses est suffisamment fourni pour que

 

très rapidement l’histoire se concrétise… Dites-moi mon cher, vous parliez de locaux ?

Félix- Nous avons une usine désaffectée qui conviendrait parfaitement. Et à proximité, nous pourrions même installer un circuit pour organiser des compétitions automobiles.

Max- C’est un superbe projet ! Croyez-moi, je ne me trompe jamais. Vous allez me montrer tout cela, je sens très bien la faisabilité. Ah ! Comme j’ai bien fait de m’égarer par ici ! J’ai comme l’impression qu’à présent, je ne suis pas près de repartir.

Arrivée furieuse d’Aline qui traverse la scène d’un pas rapide, suivie de près par Éric.

Éric- Aline, ne fais pas la tête ! « Love me please love me ! Je suis fou de vous » tu le sais bien…. Si tu veux, je t’emmène au bal : » Ce soir, tu seras la plus belle pour aller danser. »

Aline- Fiche-moi la paix !

Éric- Tu ne veux pas aller danser ?

Aline- Non !

Éric- Si tu veux avant, on peut aller au cinéma.

Aline- Non !

Éric- Ou alors, on peut aller prendre un verre.

Aline- Non !

Elle sort.

Éric- Aux autres- Vous avez vu ? « C’est une poupée qui fait Non, non, non, non, toute la journée, elle fait non, non, non. »

Félicie- Qu’est-ce qu’il y a ? Vous avez encore réussi à vous disputer ?

Éric- Je ne sais pas… J’étais dans le parc, près du bac à sable à discuter tranquillement avec Céline qui m’a demandé si je savais dessiner. Alors, je lui ai

 

dit que oui. « J’avais dessiné sur le sable son beau visage qui me souriait, puis il a plu… » Et Aline est arrivée et, je ne sais pas si c’est à cause de la pluie mais à elle, ça n’a pas plu du tout, elle est partie furieuse.

Félicie- Et alors ? Qu’est-ce que t’as fait ?

Éric- Ben comme d’habitude, j’ai crié, crié Aline pour qu’elle revienne, mais c’est une sacrée caboche, elle n’a rien écouté… Pourtant, depuis le temps, elle devrait savoir que je la trouve formidable. Je n’arrête pas de lui dire : « You are the one for me, for me, formidable, you are my love, very, very, véritable. » Maintenant je ne sais plus quoi faire... L’amour, c’est trop compliqué pour moi… Si je revois Aline, je crains de devoir lui dire : « Même si tu revenais, je crois bien que rien n’y ferait, notre amour est mort à jamais, je souffrirais trop si tu revenais. » Oui, c’est décidé… Fini d’être amoureux !

Max- Ne soyez pas aussi désabusé, croyez-en plutôt ma vieille expérience, l’amour, ça s’en va et ça revient, un peu comme une chanson populaire… Tiens il faudra que j’en parle à Clo-Clo, ça pourrait peut-être l’intéresser… Ce que je veux simplement vous dire, mon garçon, c’est qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. »

Pendant les répliques d’Éric et de Max, la maire est arrivée.

La maire- Ca commence à bien faire ! Il va falloir arrêter maintenant avec vos histoires de fontaine. Je vous l’ai déjà dit qu’elle n’avait rien de miraculeuse, cette fontaine ! Et puis d’abord, qu’est-ce que vous faites encore là ? Je croyais que vous étiez pressé ?

Max- Madame La Maire, je vous fais le serment de ne plus parler de fontaine en votre présence, en revanche, je dois m’entretenir de toute urgence avec vous, à propos de votre usine.

La maire- En quoi notre usine peut vous intéresser ?

Max- Parce que (désignant Félix) mon associé et moi-même avons de grands projets.

Félix- Ah bon ? Je suis associé ?

 

Max- C’est une évidence mon ami ! Vous m’avez démontré que vous étiez un spécialiste de la question et vous habitez ici, vous êtes donc la personne idéale. Vous gérerez sur place pendant que je chercherai des mécènes pour financer le musée.

La maire- Un musée ? Mais de quoi parlez-vous ?

Félix- Tiens-toi bien Albertine ! Bientôt sur ta commune surgira le plus beau musée du monde consacré aux véhicules présidentiels dans l’Histoire. Apprêtez-vous à accueillir des milliers de visiteurs.

La maire- Quelles sont ces histoires ? (À Éric et Félicie) Vous êtes au courant, vous autres ?

Éric- Ben non, je suis comme vous, je l’apprends. Et toi M’man, tu savais quelque chose ?

Félicie- Si tu crois que je prête attention aux bavardages. Moi, à c’t’heure, je n’écoute que mon ventre, il est bien plus important que toutes les fadaises qu’on cherche à me faire entendre.

(Arrivée de Maryline et de Céline.)

Maryline- Ah ! Vous êtes là ! Nous vous cherchions.

Félix- Maryline, Céline ! J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Avec mon nouvel associé ici présent, nous allons restaurer et aménager l’usine désaffectée pour en faire, devinez quoi ?

Céline- Une usine de fabrication de croquettes, bravo Félix le chat !

Félix- Non, tu n’y es pas du tout… Je vais vous aider... A part le théâtre, connaissez-vous ma deuxième passion.

Maryline- Ben oui, facile ! C’est la voiture.

Céline- Depuis le temps que tu nous bassines avec ça, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas le savoir.

Félix- Nous allons créer un musée de l’automobile consacré aux véhicules qui ont transporté des présidents de la république.

 

Max- Et naturellement nous inviterons le chef de l’état pour l’inauguration.

La maire- Si le président de la république se déplace, il va falloir mettre les petits plats dans les grands, n’est-ce pas Félicie ?

Félicie continue à manger comme si de rien n’était.

Maryline- Cela me semble un beau projet… Si ça se trouve, d’ici quelques années, Belle-Fontaine sera aussi connu que le Mont St Michel et toi Félicie, tu auras la même renommée que la mère Poulard. Qu’en dis-tu ?

Félicie- Moi je dis qu’il ne faut pas manger la poule avant de l’avoir plumée.

La maire- Bien sûr que cela demande réflexion mais si votre projet aboutissait, cela pourrait être une belle opportunité pour notre village.

Maryline- Cela créerait des emplois… Et si ça rapporte de l’argent à la commune, on pourrait construire une jolie guinguette avec une belle estrade. Nous pourrions y faire des représentations.

Céline- On pourrait inviter des orchestres qui nous feraient danser

Éric- Et si notre village devient vraiment très connu peut-être que des vedettes de la chanson viendront nous voir.

Maryline- D’autant qu’il y en a des choses à voir chez nous : Belle-Fontaine, charmant petit village de caractère, son musée de l’automobile, son clocher, son four à pain, son étang…

Éric- Et surtout sa magnifique fontaine.

Céline- (moqueuse) Une fontaine aux vertus thérapeutiques. Il ne faudra pas oublier de le signaler.

Max- à Céline et Éric – Vous deux, je vous retiens. Vous vous êtes bien fichus de moi.

Maryline- Ne soyez pas rancunier, avouez qu’ils sont épatants mes petits acteurs.

Éric- Reprenant ses tics et son air niais. C’est vrai que nous sommes épatants, n’est-ce pas ?

 

Max- Ah ça ! Je n’en doute pas !

Maryline- Éric, comme je te l’ai dit hier, ton essai est concluant. Bienvenue dans la troupe !

Éric- Tu te rends compte M’man, je vais faire du théâtre.

Félicie- Il faisait déjà assez de cinéma comme ça, si en plus il va faire du théâtre, ça promet.

Céline- En tous les cas, moi ça me fait rudement plaisir que tu viennes jouer avec nous. Félicitations ! Tiens, je vais te faire un bisou.

Entrée d’Aline.

Aline- à Éric – Eh bien Éric, qu’est-ce que tu fais ? Je t’ai attendu. Tu ne me cours plus après ? Ça c’est nouveau ! Ah je vois, Monsieur préfère rester se faire câliner par d’autre que moi.

Céline- Il ne sert à rien de t’exciter comme ça Aline. Tu n’as rien à craindre de moi, ton Éric, il est sympathique et je me réjouis de le voir rejoindre notre troupe mais il faut que je te le dise, moi, mon préféré, mon partenaire de toujours… C’est Félix. (Elle se fait cajoleuse.)

Félix- Il t’en aura fallu du temps pour faire ta déclaration.

Céline- Mais non, je rigole !

Félix- Tu as bien raison parce que dans la vie, il ne faut surtout pas oublier de rigoler, n’est-ce pas les amis ?

Tous- (sauf Aline et Félicie) Ouais !

La maire- Ah Félicie ! Si tu savais comme je suis heureuse pour toi ! Le monde entier va enfin pouvoir découvrir ta délicieuse cuisine. N’est-ce pas merveilleux ?

Félicie- Ça se voit que ce n’est pas toi qui te casses le dos au-dessus des gamelles, mais je vois que la nouvelle a l’air de tous vous réjouir alors pour fêter cela, je vais ré-ouvrir le restaurant et on va boire un coup.

Tous- Sauf Aline. Ouais ! Bravo ! (Ils applaudissent.)

 

Félicie- à Félix- Tiens, maintenant que tu vois clair, tu vas pouvoir porter mon panier, on finira les restes au restaurant.

Max- Moi aussi, j’ai un panier, je peux l’amener ?

Félicie- Bonne idée ! On mettra votre « suprême de volaille » dans la gamelle de Mirza, parce qu’à part lui, je ne vois pas qui peut manger ça.

La maire- Et bien, allons-y ! Félicie, nous te suivons.

Ils s’apprêtent à sortir, arrivée de Victor et Thérèse. Une valise à la main.

Victor- Ah Madame la Maire ! Vous êtes là ! Nous sommes venus vous dire au revoir.

La maire- Où diable partez-vous comme ça ?

Thérèse- On monte à Paris. Vous rendez-vous compte ? Je vais visiter Paris pour la première fois de ma vie et aussi faire la connaissance des parisiens.

Victor- Mais rassurez-vous, nous n’allons pas y rester des mois.

Thérèse- Ben non ! Surtout s’il faut courir toute la journée comme eux, je ne sais pas si j’en serais capable très longtemps.

Max- Ne vous inquiétez pas, si vous souhaitez connaitre les parisiens, vous n’aurez pas à courir vers eux puisque bientôt ce sont eux qui courront vers vous.

Victor- Que voulez-vous dire ?

Maryline- Bellefontaine va bientôt devenir un lieu touristique.

Félix- Et des parisiens, vous allez pouvoir en observer toute la journée.

Céline- Si vous n’êtes pas pressés, on va vous expliquer tout ça, venez donc boire un coup chez Félicie, c’est elle qui invite.

Victor- C’est vrai, Félicie ?

Félicie- Bien sûr, mais je ne le dirai pas deux fois, si vous voulez venir c’est maintenant.

Victor- Nous ne sommes pas aux pièces, Paris peut bien attendre un peu, qu’en

 

penses-tu Thérèse ?

Thérèse- Toi, dès qu’il s’agit de s’humecter le gosier, tu es toujours partant.

Victor- Faut bien prendre des forces avant de prendre la route.

Ils sortent sauf Aline qui reste bouder sur le banc. Éric qui était sorti, revient sur ses pas.

Éric- Tu viens Aline ? Félicie paie sa tournée. On y va ? Tu ne vas pas rester bouder toute la journée.

Aline- D’accord mais après, promets-moi que tu arrêteras de regarder d’autres filles que moi.

Éric- Et toi, promets-moi d’arrêter de faire ta jalouse à tout bout de champ.

Aline- Je veux bien essayer de faire un effort à condition que ce soir, tu m’emmènes danser.

Éric- Bien sûr et si tu le veux, je danserai toute la nuit avec toi et pendant que tu seras dans mes bras, j’en profiterai pour regarder toutes les autres jolies filles.

Aline- Tu n’es qu’un vilain garçon mais à ta place, je ne ferais pas trop le malin parce que, ce soir, je suis sûre que c’est plutôt moi qu’on risque de regarder.

Éric- Voyez-vous cela, le village n’est pas encore célèbre qu’elle se prend déjà pour la star.

Aline- Et sais-tu pourquoi c’est moi qu’on va regarder ? Parce que, que ma mère le veuille ou non, j’ai décidé de mettre ma mini-jupe.

Éric- Pour aller au bal ? Oh ben non ! Tu n’y penses pas !

Aline- Bien sûr que j’y pense, je ne pense même qu’à ça, mon petit chéri. Et dis-toi bien que ce soir, c’est moi qui serai la plus belle pour aller danser.

Elle sort.

Éric- Attends ! Tu ne peux pas faire ça ! Aline ! Aline !

Il part la rejoindre tandis que retentit l’air de « La plus belle pour aller danser. »

 

 

 

FIN


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