La L’Elle

Résumé de la pièce
Dans la France de 1933, Léon, adolescent de 19 ans, ressent bien des difficultés à admettre puis à tenter de vivre ses différences, au sein d’une famille française noble. Amoureux du château de sa famille, son âme de poète reste incomprise par un père plutôt rigide et matérialiste. Très soudé à sa mère qu’il adore, il sera confronté néanmoins à l’incompréhension générale, quand l’arrivée d’un personnage inattendu déclenchera chez lui une passion amoureuse pleine de fraîcheur, inappropriée à l’époque au regard des siens et du monde en général. Sous l’influence de sa grand-mère très croyante, il prendra des décisions radicales qui le conduiront, entre souffrance et utopie, à se morfondre dans le doute, jusqu’au dénouement imprévisible de ce drame sentimental, qui bouleversera son existence.
Rédigés en vers légers puis en alexandrins plus dramatiques ensuite, les dialogues évoluent vers le drame au fil des actes. L’essentiel de cette pièce est inspiré d’une histoire vraie où presque tous les personnages ont existé.

Synopsis :

Le premier acte en deux tableaux, (cuisine puis salle à manger) décrit cette vie de 1933 où l’on découvre petit à petit tous les personnages qui gravitent autour de Léon, dit “La l’Elle, ses deux frères Hubert et Hugues, sa gouvernante Henriette, si aimante, sa mère Marie-Louise qui le chérit comme sa fille, sa grand-mère Valentine qui lui montre le sens du devoir, son père Henri qui semble mépriser ses goûts d’artiste ; tout se résume à montrer l’ambiance de cette vie de château où tout semble si simple et si tragique à la fois. Coup de théâtre : l’annonce de l’arrivée du cousin Axel, ancien amoureux de sa mère. Léon demande à celle-ci des précisions sur leur ancienne idylle, mais elle le rabroue de façon inhabituelle ; se sentant si mal aimé et si peu compris par son entourage, animé de désirs intimes ambigus qu’il combat, il confie à la lune son mal-être plein de poésie.

Le deuxième acte en trois tableaux (cuisine-salle à manger- jardins) montre la vie des domestiques, l’arrivée du petit Victor employé comme jardinier par la grand-mère Valentine, et enfin la découverte du cousin Axel. Celui-ci aime les garçons et jette son dévolu sur le jeune Victor, mais les poèmes de Léon le subjuguent et un amour sincère et progressif va naître entre eux au gré de leurs soirées dans les jardins du château. Léon a beaucoup de mal à admettre son attirance pour Axel, mais au bout de quelques jours il finit par céder au charme de son amant. Coup de théâtre : Sylvia, la dame de compagnie de la comtesse Valentine, sa grand-mère, amoureuse d’Axel, les surprend dans leurs ébats sans équivoque et leur adresse un chantage odieux : Qu’Axel l’épouse ou elle dira tout. Devant le refus des garçons de se séparer, parlera-t-elle ? Les deux amoureux se jurent fidélité, quoi qu’il advienne.

Le troisième acte en trois tableaux (salle à manger-chambre de Valentine- bord de l’étang) devient dramatique ; Sylvia les a dénoncés et le comte Henri somme son fils de quitter le château dès le lendemain ; sa mère, la comtesse Valentine s’oppose à lui au prix d’une colère épuisante. Et malgré les suppliques de sa femme qui ne peut se passer de Léon, il maintient sa décision. Le jeune homme prépare ses affaires de voyage et brûle tout ce qui le caractérise : les robes qu’il confectionne et ses sculptures en bois ; il veut aussi brûler son carnet de poèmes qu’il cherche en vain ; Henriette, ne pouvant supporter l’idée qu’il soit chassé par son père décide de quitter les lieux. Marie-Louise informe Léon qu’il sera pardonné s’il accepte de se faire soigner en Suisse. Mais Léon reste fidèle à son serment et accepte de s’en aller ; après une explication houleuse avec Marie-Louise, Axel part sur le champ en abandonnant Léon ; Coup de théâtre :Valentine se sentant mourir, convoque Léon d’urgence et au prix d’une déchirante insistance, elle lui fait promettre de refuser de vivre son homosexualité et de rentrer dans les ordres. Il promet, désespéré et s’enfuit. On le recherche, en pleine nuit et on craint qu’il ne tente de se noyer dans l’étang. Son père et ses frères, partis à sa recherche, le retrouvent à temps ; Henri pose les armes et serre son fils dans ses bras pour la première fois.

Le dernier acte en un tableau se déroule dans l’église, le jour du mariage de Hubert 4 ans plus tard. Axel a été invité et une explication devient nécessaire entre les deux anciens amants. Si Léon, devenu séminariste, ne l’aime plus car trop déçu par sa lâcheté, Axel l’aime toujours mais doit se marier ; il lui apprend le secret que Marie-Louise lui avait avoué 4 ans auparavant : Hubert, frère de Léon, était son fils ! Il devenait donc impossible pour eux de rester amants, ce qui explique son abandon. Coup de théâtre quand Victor entre et vient lui rendre son carnet de poèmes qu’il avait sauvé des flammes en le dérobant ; mais il lui annonce non seulement la mort d’Henriette que Léon n’avait jamais revue, mais aussi les dispositions que Valentine avait prises à son égard, où elle stipulait que si Léon ne pouvait tenir sa promesse d’entrer dans les ordres, alors qu’il se rapproche de lui, Victor, dont elle connaissait la moralité. Enfin il avoue à Léon son homosexualité et qu’il l’aime depuis le premier jour où il est arrivé au château, sans croire à une quelconque issue possible de liaison durable vu leur différence de milieu ; devant ce triple coup de tonnerre , Léon ne sait plus que faire et appelle Jésus à son secours, perdu entre chagrin, sacerdoce et amour naissant.

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Décor (1)

La L'ElleActe IPremier tableau : La cuisine du château : sortie salle à manger côté jardin, sortie extérieure côté cour Une cuisinière, 1 table, un buffet 4 chaises, une glaceDeuxième tableau : La salle à manger du château : sortie extérieur et cuisine côté cour, sortie chambres côté jardin Une table, 7 chaises, 2 fauteuils, 1 cheminéeActe IIPremier tableau : Retour à la cuisineDeuxième tableau : Retour à la salle à mangerTroisième tableau : Les jardins : arrivée côté cour 1 banquette et une chaise de jardinEntracteActe IIIPremier tableau : Retour à la salle à mangerDeuxième tableau : La chambre de Valentine : entrée côté cour 1 lit, 1 prie-Dieu, 1 crucifix, 1 bouquetTroisième tableau : Au bord de l'étang côté jardinActe IVDans l'église entrée côté cour 1 prie-Dieu, 1 chaise, 1 ChristEpoque :Idéal 1933-1938, mais possible jusqu'à 1974

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Acte I

Premier tableau

Scène 1

Dans la cuisine

(Hugues entre un livre à la main côté cour, suivi de peu par Hubert, son couteau de chasse plaqué contre sa ceinture. Soudain, ils entendent chanter ; aussitôt complices, ils se dissimulent derrière les chaises tandis que Léon entre côté jardin, un chapeau à plumes de faisan entre les mains ! Il s'approche de la glace afin d'ajuster ce couvre-chef ! Rapidement, les deux frères le surprennent. Léon pousse un cri de sopraniste légèrement ridicule, ce qui fait éclater de rire ses frères qui lui imposent force chatouilles. Tout à coup, des éclats de voix annoncent la venue imminente des deux dames au service de la maison.

Les garçons se ruent sur la coupe de fruits pour y dérober chacun une pomme et se cachent furtivement sous la table.)

Henriette : (entre côté cour)

Marguerite, nous avons les pommes à éplucher !

Marguerite : (depuis côté jardin)

J'arrive Mademoiselle Henriette !

(Henriette se saisit du panier de pommes et remarque qu'il en manque quelques-unes ; légèrement contrariée, elle va chercher les couteaux réservés à cette tâche. Prête à s'impatienter de la lenteur de Marguerite, elle tousse intentionnellement, tandis que l'antique servante lui répond)

.

Oui! Je me hâte !...

Me voici !

(La gouvernante sort du placard un saladier, un pot de miel et une pâte déjà préparée)

Henriette : Tu auras mis l'temps!... Miel du rucher,

Fruits du jardin, génie, sont mes décors de pâte !

Allons ! A la besogne, si nous voulons la tarte

Parée pour le dîner ! Monsieur Henri rugit

Si on le fait attendre !

Marguerite : Patientez donc qu'il parte

Renifler la bécasse !

Henriette : Avec toi au logis,

Nous sommes déjà servis ! Non, Monsieur chassera

Sans doute un peu plus tard ; chasser est son métier !

Et quand il rentrera, Dieu sait l'heure qu'il sera !

Marguerite : (elle s'assied à table et prend un couteau)

Pour sûr qu'il est tenace !

Henriette : C'est un vrai bécassier !

Marguerite : Vous me glacez les os ! Ne parlons plus des bêtes,

Qui bien innocemment périssent sur nos tables !

Si Madame la Comtesse...

(Distraite, elle épluche à côté du saladier, laissant tomber les peaux par terre ! Henriette, très agacée la rabroue, d'autant que Marguerite ne sent jamais bien bon)

Henriette : Mais voyons, tu arrêtes !

Garde tes épluchures !... Hum ! Et c'est en étables

Que tu aurais dû naître !

Marguerite : Oh oui ! Comme Jésus !

Henriette : Mais non, mais non, vieille bique ! Et ton goût de paillasse

Encombre ma narine !

Marguerite : Moi ?

Henriette : Oui toi ! Au surplus,

Là, tu n'as de tes doigts pas même ôté la crasse !

Marguerite : Ne me brusquez pas tant, Mademoiselle Henriette !

Vous m'oppressez, je vais finir par me souiller...

Henriette : Souillon !

Marguerite : Vous me rendez la vie si dure !

Henriette : (lui tend un torchon) Serviette ?

(Les garçons, dissimulés sous la table, ont bien du mal à retenir leurs rires ! N'y tenant plus, Hugues se met à caresser doucement la jambe de Marguerite, protégée par une longue chaussette noire. il se rapproche doucement du genou, quand la vieille dame, très surprise, regarde Henriette avec une malice interrogative, tout en se grattant comiquement)

Marguerite : Henriette, voyons !

(Hubert, d'un seul coup, se met à la pincer virilement, ce qui la fait hurler, sollicitant l'infirmité de la pauvre dame qui, s'étant "oubliée", fond en larmes)

Ça-y-est !

Henriette : (furieuse) Au lieu de tout mouiller,

Sauve-toi vite, vieille sale ! Vieille rosse, vieux tableau ! Coche !

Marguerite :(sort côté cour en hurlant)

Je vais dire à Madame !

Henriette : Incontinente !

Scène 2

Henriette : (elle se penche) C'est vous ?

(Les garçons sortent de dessous la table)

Hugues : Nous ? Non !

Hubert : N'y pense pas !

Léon : Attends qu'on se rapproche !

Henriette : (fait mine de se sauver en contournant la table)

Mes doux agneaux, sages ! Sages ! Non, lâchez-moi !...Voyous !

(Tous les trois se saisissent d'elle et la portent sur leurs épaules mâles, ils se mettent à chanter successivement au rythme de leur improvisation)

Hugues : C'était une fillette...

Hubert : Qui n'avait point d'amant...

Léon : Car elle était trop laide...

Hugues : Car elle était idiote !

Hubert ; Parce qu'elle ignorait le moindre compliment...

Léon : Car enfin de l'amour...

Hugues : elle était l'antidote !

(Ils la reposent)

Henriette : Ah! Bandits ! Assassins ! Si vous saviez pourquoi,

Au moins, je reste fille, sales petits vauriens,

Vous éviteriez là de prononcer sur moi

De si dures paroles, aux tons épicuriens !

Hugues : (se précipite à la porte côté cour)

Rien ! Rien ! Rien ! L'horizon reste livide !

Hubert : (vers la porte côté jardin) Nul mâle

Au lointain n'apparaît ! L'Elle, ma sœur L'Elle, au moins

Ne vois-tu rien venir, qui déclenche son râle

Et l'engage à sourire ?

Léon (A la fenêtre, donc face au public, sachant qu'il s'agit de lui)

Ce ne sont que sainfoins

Partout, où de nos vaches, ils sont le pâturage !

Et la plus rosse à vendre se trouve entre nos mains !

Qui voudrait des ses bras goûter à l'entourage ?

Hugues : Quel courage il faudrait !

Hubert : Quels efforts surhumains !

Henriette : Combien à vous haïr j'aurais de vrai plaisir,

Si je ne vous aimais autant !

(Léon lui embrasse ses joues, et prend en main ses cheveux désordonnés)

Léon : Pardonne-nous

Tous ces enfantillages et laisse-moi saisir

Répugnante tignasse ! Tu vaudras quelques sous

De plus après qu'enfin, je l'ai vue mieux tressée !

Attends-moi un instant, je vais, pour te coiffer,

Chercher mes ustensiles... (il sort côté jardin)

Henriette : Mais vite ! Je suis pressée !

Hubert : Tu aimes nos misères et à te rebiffer,

Tu t'obstines toujours !

Hugues : C'est une masochiste !

Henriette : Vous m'en faites tant voir que j'en perdrai ma place,

Le jour où vos parents verront ce qui m'attriste !

(Léon revient et commence à la coiffer)

Léon : Tiens-toi tranquille !... Suffit !... Laisse-moi cette glace !

Tu te verrais à "c' t' heure" que tu te ferais peur,

Ma pauvre !

Henriette : L'Elle, ma Chérie, vous me faites du bien !

Vous Hubert et vous, Hugues...

Léon : Tais-toi donc vieille horreur,

Ou bien je fais de toi un rasé galérien!

Henriette : Dieu m'en préserve!"

Hugues : Vas-y!

Henriette : Laissez ma chevelure !

Hubert : Cessons de rire!"

Hugues : Dommage! Elle peut encore servir !

Léon : Mais comment démêler ce crin, cette fourrure ?

Henriette : Votre père entendrait, qu'il saurait bien sévir !

Hugues : Henriette, raconte-nous encore toute l'histoire

De ta venue ici... J'aime tant à l'entendre !

Henriette : Mais vous n'étiez point né Monsieur Hugues !


Hubert : A te croire,

On te dirait aïeule ! Mais moi, à l'âge tendre

Je me trouvais déjà !

Henriette : Vous étiez si petit

Et vous encore au ventre ! On m'avait engagée

Juste pour accueillir Mon Léon ! L'appétit !

Déjà vous dévoriez ! Je n'étais guère âgée

Pour la tâche accomplir, mais en quatorze, la guerre

Fit au front le cadeau de tant de militaires!...

Mon Cœur y succomba ! Mon âme touchait terre,

Quand je vis de vos jours les effets salutaires,

Mon Léon. Et mes larmes priaient sur vos genoux,

En rêvant des enfants qu'il n'avait pu m'offrir...

Faute de temps... ce temps qui tuait les époux...

Quand les mamans choyaient leurs fils pour moins souffrir,

Ces seuls représentants du masculin appât !

Toutefois, mon Léon, votre mère esseulée

Et cependant enceinte, réduite au célibat,

Chérit durant neuf mois d'une fille l'idée :

Quand on parlait de vous, déjà vous étiez "Elle",

Celle qu'on attendait et qui était promise !

Par malheur, la nature lui refusa la belle,

Montrant de l'androcée l'évidente surprise !

Vous étiez un garçon, bien gros, bien gras, tout rond,

A force de gâter votre appétit sans faille !

Votre mère voulut alors, pour son second,

Espérer qu'il l'aimât, tout blotti comme caille,

Comme une fille, enfin, qu'on lui refusait ! Or,

Vous la savez têtue et du surnom de L'Elle

Ainsi vous baptisa ! L'Elle ! Un bon gros trésor !

"Il est ma fille !" Pour moi, qui vécut la nouvelle,

Quoi de plus naturel que vous nommer ainsi !

Vous êtes une chérie, bien sûr !

Hugues : Et notre sœur !

Quoi de plus évident !

Hubert : Mais notre frère aussi !

Léon : Donnez-moi le surnom que dicte votre cœur !

Je suis original... Je suis hermaphrodite...

D'appellation !

Hugues : Sans doute !

Hubert : Sait-on jamais, bambins !

Léon : J'en ai pour un instant et je vous prémédite

Un spectacle un peu fou...pour vous...mes chérubins !

(il sort côté jardin)

Scène 3

Henriette : Avec tout çà, je n'ai rien fait de mon ménage !

Que Madame la Comtesse investisse les lieux

Et c'en est fait de moi !

Hubert : Ne te mets pas à nage,

Tu peux compter sur nous !

Hugues : Demande ce que tu veux !

Hubert : On t'envoie Marguerite !

Hugues Non! Pas elle ! Par pitié

Mes amours !

Henriette : Si jamais vous craignez la famine,

Laissez-là où elle est !... Et c'est par amitié

Que je crains sa venue !... Ça ! Elle sent la vermine

Et mange comme ogresse !

Hugues : Et de plus elle engraisse

La dévote !

(entre Marguerite côté cour)

Marguerite : Puis-je entrer ? Je n'ai pas terminé

Mon ouvrage !

(Hugues et Hubert s'interposent)

Hugues : Dehors ! Ouste ! Oui ! Du vent, femme épaisse !

Hubert : Belette putoisée !

Hugues : Vieux portrait buriné !

Marguerite : (sanglotant à moitié)

Je vais le dire... le dire... à Madame la comtesse !

J'étais bien mieux traitée du temps où j'étais bonne

Chez Monsieur le Curé ! Je préparais sa messe...

Hubert : Et surtout ses burettes !

Hugues : Je sers et je canonne !

Marguerite : Vous me faites trop de peine ! (elle sort côté cour)

Henriette : Et nous n'avançons pas

Dans la besogne !... Enfin !

(Hugues, la saisit par la taille et la dirige vers le fauteuil)

Hugues : Reste là et raconte !

Henriette : Mais quoi encore ?

Hugues : Raconte, juste avant ce repas,

Pourquoi donc notre père, de Léon, a-t-il honte ?

Hubert : Pourquoi de sa présence semble-t-il se passer

Volontiers ? Quel est donc ce cliché qui le hante ?

Quel souvenir funeste refuse à trépasser ?

J'hérite son sourire et son humeur plaisante,

Tandis qu'en la forêt, où tout buisson giboie,

Nous puisons de la chasse la force élémentaire,

La tendance primaire, l'originelle joie...

Et quand de la bécasse, l'impensable repaire

Se sent trahi...

Hugues Et oui !... Nous connaissons la suite :

Du paternel accord tu jouis au fond des bois.

Ça ne l'empêche pas de craindre ta conduite :

Il te prend pour un sot, un cancre, tout à la fois,

Et préfère à ta force l'intelligence neuve

Qui touche à ma personne et la caractérise !

(Henriette et Hubert pouffent de rire)

Henriette : Ah! Je me gausse !

Hubert : Tais-toi, moustique !

Hugues : J'en veux pour preuve

L'attention qu'il accorde, eh oui, quoi qu'on en dise,

A mes études, brillantes, je vous l'accorde !

Hubert : Le fouet !

Henriette : De vos crêtes l'aspect me semble bien dressé,

Coquelets bagarreurs, petits ergots fluets !!!

Je vais répondre enfin, sur un ton... oppressé,

Car nous parlions de L'Elle, n'est-ce-pas ?

Hugues : Oui, c'est de L'Elle...

Hubert De Léon...

Hugues : ...Qu'il s'agit !

Henriette : Et comment l'oublier !

Monsieur le Comte partit défendre la Moselle

En mille-neuf-cent-quatorze : Plus question de gibier !...

(Léon entre déguisé en femme, très chic ; il entend les mots d'Henriette, sans se montrer)

Au retour, il ne vit qu'un enfant de quatre ans,

Que quatre ans de gavage avaient rendu obèse !

Songez à tant de filles, toutes en manque céans,

De l'affection virile ! Léon était un dièse

Pour l'époque endeuillée... Qu'il fut doux à choyer !...

Qu'il fut tendre aux baisers, qu'un village de femmes

Lui adressaient sans cesse ! Le comte, loin du foyer

Par ces ans de misère, le rejette ! Oh ! L'infâme !

Car il ne crut jamais les fidèles aveux

Que votre mère, en vain, le suppliait d'entendre !

Dans ma chambre, blottie par ces mots douloureux

Que j'entendais rugis, il me fallait attendre

Qu'un écho amoureux fît choir... oui... en ivresse

Charnelle, sa jalousie impitoyable...Pourtant

De vous trois, c'est Léon qui détient sa noblesse !

Il en est le portrait... Il lui ressemble tant !

Léon : (terrible) Non !... Il n'est pas mon père !

Hugues : Pourtant nous sommes frères !

Hubert : Tout à fait similaires !

Hugues : C'est à n'en pas douter !

(Ils enlacent tous trois Léon)

Henriette : Allons ! Suffit ! Parlons de sujets moins austères,

Ma Chérie ! Oubliez ! Cessez de redouter

Un père qui vous aime mais ne sait vous le dire...

Et montrez à vos frères le nouvel équipage

Dont vous vous attifez... Voyez-la donc sourire !

Scène 4

(entre Marie-Louise côté jardin)

Hugues : Ah ! Maman !

Henriette : Mon couvert !

Hubert : Mère, nous aidons Henriette

A préparer...

Marie-Louise : Je vois !... Je vous trouve soudain

L'âme bien généreuse ! Quelle humeur guillerette

Vous conduit à servir et à sembler mondain ?

(en voyant Léon)

Oh! Ma L'Elle ! Ma Chérie !... Oui, tombez dans les bras

D'une mère attendrie de vous revoir ainsi !

Quelle superbe toilette ! Et tous ces falbalas

Qui, par vos soins et puis votre talent aussi,

Savent de quelques hardes agrémenter l'idée,

Rendre plus efficace le pli des entournures...

Oh ! Ma Chérie, vous êtes… une fille rêvée !

Tournez-vous ! Parfait ! Oui ! Parfait pour les coutures...

Léon : Voyons Maman, calmez un peu votre faconde !

Et tournez-vous aussi que je puisse admirer

Le goût de vos toilettes, l'esprit qui le féconde !

Vous êtes une beauté qui ne peut qu'empirer !

Hubert : Où va-t-il donc chercher ses mots ?

Hugues : C'est un poète !

Henriette : Un artiste !

Léon : Déplacez un peu votre chapeau...

Là ! Voilà !... C'est bien... Oui ! Vous voici bien mieux prête!...

Veniez-vous de la ville ?

Hugues : Seulement du château !

Hubert : Pour traverser la cour et aller chez Grand-Mère,

Maman, en taffetas, se vêt comme à la messe !

Hugues : L'hypocrisie unit la bru et la douairière !

Derrière ces mimiques, il n'est point de caresse !

Marie-Louise : Hugues, je vous interdis !

Hubert : Laissez ! Il vous adore,

Maman ! Un benjamin peut compter sur des droits

Que l'état de gamin lui autorise encore !

Qu'il taquine sa mère par des mots maladroits !

Hugues : Traite-moi de petit, de blanc-bec...

Hubert : ...de moustique !

Henriette : Il sera bientôt l'heure de dîner ! Ouste ! Au diable !

Allons tout préparer !

Léon : Il reste à ma tunique

Un seul effet à joindre !

Marie-Louise : Vous êtes insatiable !

Allons, souffrons Henriette un retard légitime

Qui nous sera payé de joie, d'hilarité !

Hubert : Vous lui pardonnez tout ! Enfin !

Hugues : En tout il prime

A vos yeux !

(les 3 garçons sortent, Léon et Hugues par jardin et Hubert par cour)

Henriette : Sot langage et si peu mérité !

Marie-Louise : Laissez Henriette, laissez !... Voyons, c'est dérisoire !

Ces enfants rient d'un jeu tout à fait emprunté,

Et d'un masque jaloux tirent la vaine gloire...

Ils adorent L'Elle ! Je crois qu'ils envient son doigté,

Une fois pour toutes !

Henriette : Madame, vous êtes Vérité

Qui fait d'Ici la force... J'écoute vos musiques,

Soumise à vos désirs... à votre autorité !

(elle sort par jardin)

Scène 5

Marie-Louise :

Combien de temps encore ce cri des Domestiques

Retentira céans ? La politique veule

Verra le bout de liens cependant insécables !

Que vivront nos gens, seuls... et réduits à l'éteule ?

Ignorant de la faim les maux abominables,

Ils vivent en nos murs aujourd'hui la confiance,

Ourlée de l'affection d'une auguste famille...

Ils servent nos lignées depuis leur tendre enfance...

Ce sont gens de Maison ! Mais quand de la faucille,

Ils subiront les coups, quand le rouge serment

Ils iront rallier, que sera la quiétude

Qui les avait vus naître ? Ils renieront dûment

Clémence patronale... et de l'ingratitude

Se nourriront alors ! Invincible destin

Aux lubriques appâts et dont je hais la mine,

Tu changeras le monde, du chef à l'intestin,

L'inondant de la pourpre, teinte que j'abomine !

Noir

Acte I

Deuxième tableau

La salle à manger

Scène 6

(Henriette entre avec Sylvia par cour)

Henriette : Madame la Comtesse, là se trouve la demoiselle

Dont Madame la Comtesse voit la nécessité !

Marie-Louise : Laissez-nous, Henriette ! Allez en sentinelle

Avertir notre mère, avec joie, célérité,

Puisque c'est son service qui demande jeunesse,

En fait !... Mademoiselle ?

Sylvia : Sylvia Dubois, Madame !

Marie-Louise : C'est joli, très sylvestre ! C'est avec la comtesse

Que vous aurez affaire. Ma Mère vous réclame

Pour animer sa vie, égayer l'entourage,

Dire durant des heures les plus grandes lectures,

Et de sa surdité, ouïr ferme langage...

Supporter de son coq les assauts, les blessures,

De son jars le clairon... et la charge! Ce faisant,

Vous souffrirez aussi du dindon les coups d'ailes,

Des trois chiens la balade... Ceci est très plaisant,

Vous verrez !

Sylvia : Mais Madame...

Marie-Louise : Elle aime aussi ses aigles !

Sylvia : Madame la Comtesse , vous m'épouvantez car...

Marie-Louise : Ceux de ses armoiries ! Mais elle est bonne et seules,

Toutes ces fantaisies en font un cauchemar !

Sylvia : Traits caractéristiques ! Le propre des aïeules,

Aux fidèles manies, aux égoïstes lois

Et cependant si frêles, si riches en héritage...

Marie-Louise : Héritage ?

Sylvia : Culturel, Madame, oui ! Culturel !

Les vieillards me fascinent ! Je me joue de leur âge !

Trouvez-vous mon langage vraiment inhabituel ?

Marie-Louise : Ma fille, je crains pour vous la personnalité

Dont vous auriez bien tort de négliger la force !

Je crois au dévouement, mais à la vérité,

Préservez-vous des coups d'une bien rude écorce !

Ceux que vous défendez sont d'une autre nature !...

Sylvia : Madame, je parviendrai, je crois, à la détendre,

En sondant de son cœur la vraie température...

Marie-Louise : La voici !

Sylvia : Bien ! Merci ! Je suis prête à l'entendre !

Scène 7

(entre Valentine par jardin ; Sylvia fait la révérence)

Valentine : Eh bien ! Relevez-vous mon enfant ! Je devine

En vous, au bon aspect de votre révérence,

Toutes les vraies vertus d'une visitandine !

La pudeur, sur vos joues trahit votre conscience !

Allons ! Point tant de rouge ! Voilà bien la couleur

Des faibles ! Quand on ignore la diaprure, la nuance,

Quand le blanc, le pastel riment avec pâleur,

Comment ne pas aimer le rubis, la garance,

Ces teintes incarnates dont s'inonde le sang ?...

Tous ces sangs innocents et versés à grands jets

Pour défendre le blanc de leur drapeau...Leur rang

Les mettait dès l'enfance, afin qu'ils fussent prêts,

Au service du Pays, de l'Honneur et de Dieu...

Et l'éclat de la neige échauffant leur ardeur,

Ils se fussent servis promptement de l'épieu

Pour soutenir la Foi... et notre Roi ! Splendeur !

Époque évanouie ! Dieu quitte ce logis,

Mais non ma résidence ! Mon fils est sacrilège

Et ma bru mécréante ! En tout ça, quel gâchis !

Marie-Louise : Non ma mère, seulement athée !

Valentine : Quel privilège !

Et quel raffinement de rhétorique !

Sylvia : Madame,

Je me propose ici de suivre vos désirs...

Valentine : Il n'est pas que désirs, ici, que je réclame !

Ce sont déjà des ordres !

Marie-Louise : Devinez vos plaisirs !...

Je reviens tout de suite ma Mère, pour le souper !

Valentine : Très bien, Madame ! Somme toute, soyez encore absente

Au bénédicité ! Vous ne sauriez duper

Ma vigilante Foi d'une moue impatiente !

Marie-Louise : A quoi bon vous répondre, si vous me détestez !

(Elle sort par jardin)

Valentine : Elle n'eut qu'un seul mérite : celui de me donner

Léon !

Sylvia : Et cependant là, vous la molestez !

Valentine : Ainsi me fais-je craindre, à tant la sermonner !

La femme prend le fils et non point la maison !

J'entends venir le monde ! Je vous dirai plus tard

Combien j'aime Léon, quelle en est la raison,

Pourquoi pour les deux autres mon cœur a du retard,

Et comment en ces lieux, j'entends vous posséder !

Sylvia : Me posséder, Madame ? Quelle horrible...

Valentine : ...expression ?

Oui, je sais ! Votre orgueil sur le point d'abcéder

Vous fait mal ! Vous avez la vivace impression

Que j'abuse de vous et de votre jeunesse !

Je voulais seulement parler d'emploi du temps !

Sylvia : Mais à votre service, Madame la Comtesse !

Valentine : Voyez, vous y venez tout à fait librement !

Sylvia : Pardonnez-moi, Madame, autant de maladresse !

Scène 8

(entrent Marguerite et Henriette côté cour)

Henriette : Marguerite, sauve-toi ! Tu ne peux du repas

Empester l'atmosphère !

Marguerite : Mais c'est notre maîtresse

Qui m'a dit de rester ! Voilà !

Henriette : Quel embarras !

(Entre Marie-Louise côté jardin)

Marie-Louise : Au galop du cheval j'ai reconnu le comte !

Mon époux se prépare à la croule, à la passe,

Sans doute... Mais soyons prêtes à lui donner son compte

De dîner ! Il sera pressé pour la bécasse !

Marguerite, au lieu de contempler cette assiette

Qui vous sert de bavoir, appelez les garçons !

Valentine : (vexante)

Malgré son impotence, vous resterez muette ?

Choyez votre opulence mais souffrez mes leçons :

Si l'organe vous manque, j'en userai pour vous !

(elle sort par jardin)

Marguerite : (à part)

Bien fait pour la tigresse ! (haut) Tiens ! Voici notre Maître !

(entrent Hubert et Henri par cour)

Hubert : Père, ce soir, je vous tiens et je parie mes sous

Que je tuerai l'oiseau !... Vous pensez me connaître...

Henri : Ah pour ça, oui, mon fils, je te connais ! Je sais

Que, dès le crépuscule, tu n'y verras plus guère !

Hubert : Père, vous exagérez !

Henri : Et puis tu trembles ! Ouais !

Je l'ai vu !... Et comment traquer la Forestière

Avec tant de mollesse ?

Hubert : Père, je suis aussi dur

Que vous ! Ce soir, je veux que votre idée s'écroule :

Le bois sera témoin, et dans le clair-obscur,

Dès que vivra Vénus, je gagnerai la croule !

Marguerite : Laissez voler ces bêtes !

Henri : Taisez-vous Marguerite !

Vous empestez déjà à l'état immobile,

Imaginez la chose dès que l'on vous irrite :

Le remugle ranci d'une graisse fossile !

Marie-Louise : Henri, je vous en prie !

(on s'installe à table ; Valentine en bout, Henri puis Sylvia et Hubert à sa droite, Léon, Marie-Louise et Hugues à sa gauche)

Henriette : Monsieur, craignez ses eaux !

Vous savez que ses pleurs libèrent aussi ses reins !

Marguerite : (à Valentine)

Madame ! On me torture ! Je retourne aux fourneaux !

Valentine : J'eusse admiré, mon fils, des élans plus sereins !

Et votre charité dans tout ça ?

Marie-Louise : Mais ma Mère...

Valentine : Mais ma Mère ! Mais ma Mère ! Il suffit ! Trois erreurs !

Vous commettez trois fautes, de façon coutumière :

Premièrement du "Mais", je renie les valeurs...

Vous êtes un peu tendre, ma bru, pour me dire : Mais !...

Le "Ma" ne convient pas ! Oui ! Mon fils vous est vôtre,

Mais pas moi ! Enfin "Mère"! Je ne le puis jamais !

Marguerite : Oh si, Madame ! Ça oui ! Vous êtes bien la nôtre !

Vous êtes si humaine, si bonne et si gentille,

Si tendre pour les chiens, si douce aux animaux !

(entre Hugues par jardin)

Hugues : Et dont tu fais partie !

Marguerite : Je suis une brindille !

Hubert : Un tronc !

Marguerite : ...Sur qui se perchent tous vos petits oiseaux...

Henri : Taisez-vous ! Il ne sort de vous que pestilence !

Hugues : Mais l'oiseau ne sent rien, il voit ! Il n'est pas myope !

Il a plutôt du mal à l'éviter !

Henri : Silence !

Marguerite : Excusez-moi ! Pardon !

Hugues : (regarde sous la jupe, elle s'est oubliée)

Trop tard ! Oh ! La salope !

Marie-Louise : Hugues, je vous interdis un tel vocabulaire !

Vous entendez ? Jamais !

Marguerite : Qu'ai-je fait du mouchoir ?

Henriette : Il est tombé par terre ! Sauve-toi au vestiaire !

Henri : Ce n'est pas une femme ! Tout juste un urinoir !

Marie-Louise : Mais Henri !

Henri : Sujet clos ! Enfin ! Que fait Léon ?

Marie-Louise : Il veut nous réserver une surprise !

Henri : Surprise ?

Hubert et Hugues : On se doute !

Henriette : (aux garçons) Taisez-vous !

(entre Léon par jardin, déguisé en femme du monde)

Hugues : Le Chevalier d' Éon !

Marie-Louise : Oh ! Ma chérie !

Henriette : Ma L'Elle, voyez comme elle est mise !

Léon Suis-je tout à fait beau ?

Henri : On ne peut plus comique !

Cependant, il est temps de vous alimenter

A l'heure protocolaire de la vie domestique !

Marie-Louise : Vite ! Ma Chérie ! A table ! Allez vous déganter...

(à Sylvia) Enfin, Mademoiselle, ne soyez pas surprise !

Je vous présente ici ma fille... ma fille unique !

Henri : C'est quand même un garçon !

Marie-Louise : En tout, elle improvise...

Valentine : La poésie, la mode, la couture, la musique...

Marie-Louise : Voyez-vous, Demoiselle, mon époux et moi-même

Avons été séduits par un feu réciproque...

Sylvia : Comment en douterais-je, Madame ?

Marie-Louise : Sublime...suprême...

Henri : Taisez-vous Marie-Louise ! Vous voyez qu'elle s'en moque !

Marie-Louise : Souvenez-vous Henri...Les rondes...Les blanches...Les noires...

Sylvia : Quel éclectisme !

Marie-Louise : Les croches...

Hugues : ...les doubles croches....

Hubert : ...les triples...

Marie-Louise : Les pauses et les silences...

Sylvia : La merveilleuse histoire !

Monsieur était ardent, avec des goûts multiples !

Marie-Louise : Nous vibrâmes tous deux à l'unisson des dièses...

Valentine : Aujourd'hui, c'est le son d'un bémol qui vous meut !

Henri : Le clavier et l'archet furent les "Parenthèses"

De notre vie !

Henriette : (entrant avec le plat) Perdrix au chou ! En prend qui veut !

Hugues : Encore !

Valentine : Vous savez bien, mon petit, que ce père

Que vous admirez tant, détruit la moindre vie

Osant montrer visage : c'est une gibecière,

Qui cache trop son cœur, son âme !

Hubert : Je vous envie

Mon Père et je serai comme vous !

Henri : A copier

Toujours, tu oublieras de la pensée l'usage...

Apprends donc, mon garçon, à être l'ouvrier

De tous tes arguments ; c'est de loin le plus sage !

Marie-Louise : Bref Mademoiselle, bref ! Le chant nous a unis...

La musique nous repose...

Hugues : ... souvent nous indispose !

Marie-Louise : Je fais naître au piano Mozart ou Rossini...

Henri joue du violon : c'est une apothéose...

Hugues : Chacun se décompose aux sons des virtuoses !

Léon : Je chante dans mon cœur la céleste Aria !

Hubert : Chacun devient morose !

Hugues : On souffre l'ecchymose !

Hubert : Je m'agenouille enfin pour l'Ave Maria...

Marie-Louise : Ce sont les seuls instants où le comte est lui-même !

Henri : Vous me flattez beaucoup...

Marie-Louise : Il laisse s'épancher

Le meilleur de son cœur : une tendresse extrême

Qu'il réserve à ses cordes et puis à son archet.

Vous l' allez écouter !

Sylvia : Bien volontiers Madame !

Valentine : (à Sylvia) Ce sont les seuls instants où elle est supportable !

Sylvia : Le Comte est si brillant, si altier !

Valentine : C'est son drame

A trop souvent confondre l'allure avec le Diable !

Tous sortent côté jardin pour le concert

Musique off

NOIR

Scène 9

(Tous reviennent par jardin pour achever le repas)

Marie-Louise : (une lettre à cachet de cire en main)

Henriette, pour la nouvelle : A tous, je vous annonce

L'arrivée au château de mon cousin Axel !

Valentine : Axel de la Basiole ?

Marie-Louise : Il a donné réponse

A mon invitation cet après-midi !

Valentine : Bel

Et noble cousinage avec certains Bourbons,

Au moins ceux dont l'Histoire n'a pas lieu de rougir !

C'était un beau parti !

Henri : Mais un de ces bourdons

Que votre mère a fuis pour devant moi fléchir !

Marie-Louise : Oh non ! Ne croyez pas Monsieur cette version

Des faits ! Oui, je l'aimais avant de vous connaître...

S'achève ainsi l'histoire, car une autre passion

Voulut qu'il étouffât l'amour qui devait naître...

Quelle secrète raison lui permit de trahir

Le contenu d'un cœur disposé à lui plaire ?

Henri : Ne laissez au passé l'art de vous envahir,

Et plutôt que rêver, vous devriez vous taire ! (il se lève)

(à Hubert) Viens-tu ? Allons rejoindre en la sylve endormie,

La Divine, la bécasse, au plumage des bois !

Sylvia ! Femme des bois ! De notre grande amie

Vous êtes synonyme !

Hugues : (à Sylvia) C'est flatteur, cette fois !

(les hommes sortent par cour, les domestiques sont en cuisine, Sylvia les rejoint par cour)

Scène 10

Marie-Louise : Comme il fait froid soudain ! Il serait préférable

De rallumer ce feu...

Léon : (malicieux) De rallumer ce feu ?...

Maman, comment était Axel ?

Marie-Louise : Mais, très aimable...

Pourquoi ?

Léon : Était-ce amour, ou seulement un jeu ?

Marie-Louise : Il était un cousin, l'ami, tout simplement !

Mais enfin ma Chérie, pourquoi cette question ?

Valentine : Supposeriez-vous donc qu'il pensât autrement ?

L'aurez-vous, non, jamais, traité en vrai garçon !

(elle sort par jardin)

Marie-Louise : Soit, vous êtes ma fille, mais avant tout un homme !

Vous ne sauriez comprendre...

Léon : Je suis de votre peau !

Marie-Louise : Suffit ! C'était Axel, un point c'est tout, en somme !

Léon : (très affecté)

Je voulais seulement savoir... s'il était... beau !

(révolté, il va à la fenêtre, face au public et voit la lune)

Ô toi, Astre glacé, redonne-moi l'Espoir...

Tu calmes mon chagrin en irisant mes choix,

Toi qui combats si bien les fantômes du soir,

Fais en sorte, ma belle, que jamais je ne chois.

Donne-moi le courage de combattre mon mal.

Et soustrais ma hantise au pouvoir de ces ombres,

Qui animent en moi le désir animal,

Et les chimères nues qui m'assaillent en nombres.

Que ta tunique pure abrite mes épaules.

La nuit est le linceul dans lequel, tantôt pleine,

Tantôt croissantée, là, tu viens charmer les saules.

Je m'endors parmi eux. Le feuilleté de joncs

Sublime les ténèbres, où je te revois Reine,

Et tu disparaîtras, fugace, parmi les troncs..."

Rideau

Fin de l'acte I

Acte II

Premier tableau

(Dans la cuisine)

Scène 1

Marguerite : Henriette, dépêchez-vous ! Bientôt, le Duc Axel

Sera là, parmi nous... Je chouchoute sa chambre !

Henriette : Et moi, je lui prépare légumes en Duxelles,

Tous frais cueillis du jour ! Il est blond comme l'ambre,

Nous a dit la comtesse avec admiration !

Marguerite : C'est un viking !

Henriette : Suédois ! Marguerite, du courage

Et un peu moins d'idées... moins d'imagination !

Tu ne seras jamais d'un duc le doux otage,

Et puis il est trop tard !

Marguerite : Henriette se trompe !

Soixante ans, c'est très bien encore ! Axel est duc

Et nous le recevons gaiement, en grande pompe,

Mais il n'est plus jeune homme et son cheveu caduc

Déjà, paraît-il !

Henriette : Chère, si chez lui la toison

Semblerait déjà choir, chez toi, ce sont les seins !

Marguerite : Il vaut mieux les avoir bien pendants à foison

Que disparus ! (elle sort par cour, véxée)

Henriette : La sotte ! Elle a si mal aux reins

Qu'elle devrait comprendre que les actes d'amour

Sont parfois périlleux !!!

Scène 2

Pierre-Marie : (les coudes sur la table, avec une radio contre l'oreille) J'écoute la nouvelle,

Taisez-vous que j'entende !

Henriette : Pierre-Marie, tu m'ennuies !

Le jardin fournit peu, mais bien trop la prunelle !

Tu es là, avachi ! Tiens, du poêle les suies

Nous environnent, mais toi, tu ne bougeras pas !

Pierre-Marie : Mais Henriette, tais-toi ! Oui ! Mouvements populaires,

Congés payés, ça, toi, tu t'en moques ! Le repas

De ce cher duc vaut mieux que nos droits, nos salaires !

Henriette : Mais enfin, tu es bien ici ! Aucun souci,

Nos Maîtres sont honnêtes...

Pierre-Marie : Nos Maîtres !

Henriette : Et ils nous aiment...

Ils nous respectent... Allez ! Va donc !

Pierre-Marie : Démocratie !

Henriette : Vieux radoteur !

Pierre-Marie : Allons, tiens ! Déjà ! Elles essaiment

Les garces !... A surveiller...Vérifions leur trajet !

J'imagine l'une d'elles sur nez de duc assise :

Piqu'ra ?... Piqu'ra pas... ? Toc ! Blaire auguste est sujet

De ses plaisanteries... et l'abeille indécise,

Démangée par son dard si prompt à la piqûre,

Fait loucher le regard de cet illustre prince !!! (il rit)

Henriette : Vas-tu cesser d'en rire ? Tu railles sa figure

Sans l'avoir jamais vue ! Allez, va ! Je t'évince !

(il sort par cour)

Mon Dieu, où allons-nous ? Il entend trop de choses

Bien mal intentionnées !... Madame, pour nous si bonne,

En voudrait succomber ! Toi, Pierre-Marie, tu oses

Te rallier aux loups !... C'est l'époque qui tonne !

Et cette Marguerite qu'elle a prise en pitié !

L'autre jour, elle voulut la placer en maison

Pour qu'on se charge d'elle...! Elle mourut à moitié

En se croyant chassée, pleurant comme mousson...

Tant que notre Madame l'a ramenée ici !

Scène 3

(Marguerite, entre par cour en hurlant)

Marguerite : On a tué l'Kaiser !... Monsieur a tué l'Kaiser !

Henriette : Mon Dieu !... Mon Dieu !... Que faire ? Si la comtesse apprend,

Elle le tue ou en meurt !

Marguerite : C'est certain, son Kaiser !

Henriette : Il me piquait les cuisses...

Marguerite : Silence ! Madame descend !

(entre Valentine par jardin)

Valentine : Vous parliez du Kaiser, Marguerite ?

Marguerite : Un malheur !

Henriette :

Ses eaux ! Ses eaux Madame ! Marguerite est sensible !

Il a piqué sa main !

Valentine : Sa main ? Votre agresseur,

Ma fille, est un petit calibre !

Henriette : C'est une cible

De choix, Madame !

Valentine : Une cible ? Enfin, Henriette, un coq

De l'allure du Kaiser ne se peut point viser,

Chez moi ! Remettez-vous de ces craintes, de ce choc,

Et laissez cet oiseau vous ridiculiser !

Je m'en vais de ce pas chérir votre tyran,

Et sonder la panique que votre état inspire ! (elle sort par cour)

Henriette : Nous devrions tantôt subir un ouragan,

Quand la crête gisante lui dira qu'elle expire !...

Marguerite : Madame va mourir !

Henriette : Allons ! A nos cuisines !

Marguerite : (à la fenêtre, face au public)

J'aperçois Pierre-Marie !... Il est accompagné

Du superbe jeune homme !... Quand il verra nos ruines !

Henriette : Qui est-ce ?

Marguerite : C'est le nouveau ! Le petit a gagné !

Il a touché le cœur de Madame ! Est-elle bonne !

C'est un adolescent qui traîne sa misère

De village en village...

Henriette : Plus rien ne nous étonne

Venant d'elle ! Ah ça, non ! Voilà qu'il exagère !

Il l'amène aux cuisines !

Marguerite : Parions qu'ils viennent boire !

Les travaux du jardin usent aussi la langue !

C'est au moins ce que l'homme essaie de faire croire !...

Henriette : Regarde sa démarche !... Oh ! Ça tangue... Ça tangue !

Marguerite : Vrai ! C'est-t-y un exemple à donner à c't'enfant !

Henriette : Et toi donc !

Scène 4

(Pierre-Marie entre avec Victor)

Pierre-Marie : Entre-là, mon garçon ! Assied-toi !

Salue les cantinières !

Henriette : Les cantinières ? Tordant !

Pierre-Marie : Ça, c'est la chambrière, Marguerite, qui nettoie

Toute la literie : Un Maître Traversin...

Henriette :

Tais-toi donc Pierre-Marie !

Pierre-Marie : Un coup pour le gosier,

Femmes ! Le jeune gars Victor mérite du bon vin !

Presse-toi, vieux jupon, ou je deviens grossier !

Marguerite : Mais enfin Pierr...

Pierre-Marie : Silence, femmes blanches ! Laissez parler

L'Homme ! Oui ! Car lui, le Rouge, n'est pas des hypocrites

Comme toutes ces dames, prêtes à avaler

Tout ce qui vient des Maîtres !

Henriette : Tais-toi, tu nous irrites

Vieux soûlard !

Marguerite : Ne dis-rien de nos Maîtres !

Pierre-Marie : Mais je gronde !

Petit, il faut toujours choisir son camp, ses frères...

Avec tous ces gens-là, on n'est pas du même monde...

On n'est pas du même rang ! La comtesse douairière

Nous le fait remarquer ! On la dit charitable,

Mais en réalité, elle achète nos voix,

Et malgré ses bontés, elle règne à sa table !

Elle ordonne ! Et au comte, elle oppose la croix !

Victor : Mais cependant, Monsieur, seule parmi ce village,

Elle daigna sourire à mon humble requête...

Et me voilà ce jour...

Pierre-Marie : Tout au plus un otage !

Tu verras, Petit ! Oui ! Tu seras sa conquête !

Victor : Je doute, sincèrement, Monsieur le Jardinier...

Pierre-Marie : Pierre-Marie !

Victor : Pierre-Marie, de votre certitude...

J'ai toute confiance, je ne peux le nier,

Je me prépare ici à vivre en servitude !

Henriette : C'est bien parlé, Victor !

Pierre-Marie : Impensable de nos jours,

Et en pleine jeunesse, plier et se soumettre

Avec tant d'illusions ! On ne rit pas toujours

Aux pieds de la comtesse !... Il faudra t'en remettre !...

Il va presque pleurer, le goujon !... Eh petit !

Souris !...Adore-la si tu veux ta Maîtresse !

Je t'ai coupé la langue ?

Victor : Tout juste l'appétit !

(Pierre-Marie sort par cour)

Scène 5

Marguerite : Dès souper, il faudra chasser cette détresse :

L'Hôte de la Baltique laissera de bons restes,

Et nous, dans la cuisine, après la révérence,

Nous comblerons nos ventres de gâteries digestes !...

Henriette : Un peu plus de travail et moins de conférence,

Marguerite ! Tiens, Petit, pour un premier service,

Tiens-moi de la coquelle et la queue et le toit !

Marguerite : Mais c'est trop lourd !

Victor : Je suis costaud, pour un novice,

Et je la pose où ?

Henriette : Là !

Marguerite : Musclé, on s'aperçoit !

(Pierre-Marie entre par cour, choqué par la scène)

Pierre-Marie : Ne laisse pas aux femmes le soin de t'asservir !

Tu risquerais de perdre le goût de les comprendre...

Peut-être même aussi celui de les ravir !

La maison a déjà son compte d'âme tendre !

Allez ! Viens !

Marguerite : Pierre-Marie, ne soit donc pas si dur !

C'est un enfant, voyons !

Victor : Mais j'ai seize ans, Madame !

Henriette : Et alors ! Sont-ce là les mots d'un être mûr ?

Reste jeunet longtemps et ménage ton âme...

Marguerite : Est-il doux au toucher ! En duvet au menton !

C'est un ange, Henriette, un petit lapin rose !

Il est de notre crèche le candide santon !

Henriette : Ma biche, prends-moi ce fouet ! Tu touilles et puis j'arrose !

C'est vrai qu'il est charmant ! Tu es charmant, Victor !

J'espère qu'en ces murs, tu vives la douceur...

Pierre-Marie : Que fais-tu là, Henriette ? Que fais-tu donc encore ?

Henriette ; N'écoute pas ce fou ! (à l'homme) Tu n'es qu'un vieux farceur !

Pierre-Marie : Ça ne vous suffit pas ? Car vous avez, en somme,

Usé Monsieur Léon depuis son plus jeune âge !

Victor est un garçon et ce sera un homme !

Henriette : Pourquoi me parles-tu avec autant de rage ?

Que me reproches-tu avec Monsieur Léon ?

J'ai sacrifié ma vie à son contentement !

Oui ! Je t'ai tout donné, ma L'Elle ! Je t'aime !...

Pierre-Marie : (à Victor) C'est bon !

Henriette : Avec acharnement !

Pierre-Marie : C'est ça, acharnement !

Marguerite : Enfin, nous l'aimons tous ! Pourquoi tous ces reproches ?

Pierre-Marie : Gardez votre sourire et bonne conscience !

Nourrissez sa paresse de baisers, de brioches !

Pourvu que je me trompe !

Henriette : Tu uses patience !

Pierre-Marie : Vous l'avez tué...à trois ! La L'Elle !!!

(les deux hommes sortent par cour)

Marguerite : Nous l'aurions tuée ?

Vous avez l'impression de l'avoir tuée, la L'Elle ?

Moi, au contraire...

Henriette : Arrête, je suis exténuée !..

Et va-t-en Marguerite ! Lave-toi ! Fais-toi belle...

Marguerite : Mais de quoi parle-t-il ?

Henriette : Va-t-en ! Laisse-moi seule...

(Marguerite sort par cour)

Dis-moi, ma L'Elle ! Chérie !.. Je ne t'ai pas fait mal ?

Comment te faire du mal ?

Scène 6

(entre Hubert par cour)

Hubert : (à Henriette) Pourquoi fais-tu la gueule ?

Mais tu pleures, la maudite ?... Allez, réponds, vieil animal !

Henriette : Monsieur Hubert, non ! Non ! Laissez-moi, s'il vous plaît !

Hubert : Très bien ! Mais réponds-moi d'abord : est-il chasseur ?

Est-il un bécassier ?

Henriette : Mais nul ne le connaît !

Hubert : Axel verra Maman comme une simple sœur...!

Le coquin ! Qu'aperçois-je ? Sylvia et Maître-chien !

Oui, je vais l'envoyer en balade, cet homme,

Pour mieux considérer la beauté et le bien

De cette jeune fille, et qu'après... je consomme !

(entrent Léon puis Hugues par jardin)

Léon : Ah Henriette ! Sais-tu si....

Henriette : Ma L'Elle ! Regardez-moi !

Regardez-moi en face ! Chassez-moi ces yeux tristes,

Et souffrez d'Henriette la tendresse et l'émoi !

Vous convenez bien mieux au jeu des humoristes...

Léon : Qu'ai-je donc au regard qui t'inquiète et te ronge ?

Mais comme à l'ordinaire, je souris et je chante...

Hugues : Il est surexcité par la venue...

Léon : Mensonge !

Hugues : Du duc...du duc...du duc...

Léon : Suffit !

Hugues : Ce qui le hante !

Léon : Hugues, tais-toi !

Hugues : Mais on sait qu'Axel est ton idole !

Léon : Idole ! Ce qui me plaît, c'est le ton du roman...

Le mystère de l'idylle !

Hugues : Eh bien, moi, je rigole !

Léon : Cette liaison fugace qu'il eut avec Maman...

Hugues : Après tout, je m'en moque : ils se sont beaucoup plu,

Mais n'eurent point d'enfant ! C'est tout à fait heureux,

Car sinon de nos jours, nous ne parlerions plus !

Je ne te verrais point et ce serait affreux !

Mais laissons à Maman le soin de le séduire

En tout bien, tout honneur, par l'hospitalité !

Et de tout mon propos, il n'est rien à déduire :

Elle le reverra dans la légalité !

Hubert : Mais il n'était vraiment pas question d'autre chose !

Et d'où vient ce besoin de réveiller les morts ?

Je vous défends d'en rire, car cette affaire est close !

Scène 7

(entrent Sylvia et Victor par cour)

Hubert : De me faire languir, je vous donne les torts,

Chère Sylvia ! Oui ! Souffrez qu'avec vous je m'éloigne,

Afin de vous chérir, aussi secrètement

Que vous le désirez... A vos yeux, je me soigne...

A vos lèvres me hisse... contre vous, vaillamment,

Je me...

Sylvia : Allons Monsieur ! Cessez de prononcer

Tous ces mots galvaudés, tirés de vos recueils !

A ce jeu dérisoire, veuillez donc renoncer !

Vous devriez plutôt tirer les écureuils,

Puisque c'est dans le crime que vos joies s'assouvissent !

Hubert : Sylvia, vous dépassez le ton et la mesure !

Que vous regarde-t-il que ces tirs me ravissent ?

Sylvia : Ils vous ravissent aussi les mots et la carrure...

Hubert : Mon Père saurait mieux vous traduire l'élan

Qui nous pousse à pister, à forcer, puis à vaincre !

Hugues : Il tire tous gibiers, du cerf à l'ortolan !

Henriette : Vous ne pourrez jamais tous les trois le convaincre !

Victor : Je m'en vais reconduire la meute à ses quartiers.

Merci Mademoiselle de votre gentillesse...

Sylvia : Merci Victor ! Cueillez aussi des noisetiers

Les coques admirables, dont s'éprend la comtesse...

Allons Hubert, venez ! Restons-en au prologue,

Et allons admirer le parc et la nature...

Hubert : Oui, quelle joie ! Quel plaisir...

Sylvia : Il n'est rien d'analogue !

Hubert : Mais vous me comblez d'aise, vraiment, je vous assure !

(ils sortent par cour)

Hugues : Il va se faire avoir, l'idiot !

Léon : Quelle volontaire,

Ce petit bout de femme... Sous un masque de muse,

Elle cache des griffes !

Henriette : Voulez-vous bien vous taire,

Car voici Marguerite !

(entre Marguerite par cour)

Marguerite : Croyez que je m'amuse !

Notre Dame est mourante du chagrin de sa bête,

Et le comte rugit sous l'assaut des reproches !

Qu'allons-nous devenir si Madame s'entête

Et si Monsieur insiste ?

(elle sort par cour)

Léon : Quand deux êtres si proches

Combattent pour l'honneur ou pour calmer leur peine,

On peut s'attendre au pire !

Hugues : Grand-Mère le provoque !

En tout, elle le juge !

Henriette : Ici, elle est la Reine !

Léon : C'est une situation tout à fait équivoque :

Elle eût été un homme qu'il se fût mieux soumis !...

Il a peu de respect pour les éclats de femme,

Qui ne sont à ses yeux que caprices émis...

Face à l'être viril... dont trop il se réclame !

Hugues : Tu l'aimes toujours autant !

Henriette : C'est vrai ! L'Elle, un jeune homme

Tel que vous peut sonder de nos cœurs féminins

La réelle nature ! C'est Léon que je nomme :

Meilleurs amant du siècle, aux attraits léonins !

Hugues : C'est un aveu d'amour ?

Henriette : C'est un aveu d'amour !

Oh oui ! Mais quel amour ! C'est le petit garçon

Que la vie me refuse : Pur, avec rien autour !

Comme mère, je t'aime et de toute façon !

(Nul n'a perçu les pas de Marie-Louise, entrée par jardin, laquelle a distingué la fin des propos de la gouvernante qu'elle juge déplacés. Elle intervient, cinglante)

Marie-Louise : C'est un peu trop, peut-être, et laissez m'en ce soin !

Henriette : Pardonnez à un cœur que le destin mutile,

Ces excès de tendresse dont il a tant besoin !

Marie-Louise : Quittons là ces propos et rendez-vous utile !

(Henriette sort par cour, confuse)

Scène 8

Marie-Louise : Je suis dans un état de surexcitation,

A l'idée que le duc, en ces lieux arrivant,

Puisse vivre l'orage, les vociférations,

Et ne voir ici même aucun d'eux survivant !

Je ne supporte plus cette austère demeure

Où, sous de faux prétextes, l'orgueil, l'autorité

Emprisonnent les vies !... Plût à Dieu que je meure...

Que je m'en aille aussi, aussi loin que l'été...

Cet été scandinave où, durant tout le jour,

Le soleil est le roi... et berce l'horizon...

Hugues : Reprenez vos esprits ! C'est un été fugace,

Une sommaire ivresse, une courte saison !...

C'est la venue d'Axel qui autant vous agace ?

Et vous devriez taire une telle critique :

Papa n'est pas facile, cela, je vous l'accorde !...

Le duc vous trouble encore et vous rend très lyrique !

Marie-Louis e : Hugues, remontez chez vous ! De ma miséricorde

N'abusez point toujours, et vos jeunes années

Ne donnent aucun droit à autant d'insolence !

Léon : Obéis, je t'en prie !

(Hugues sort par jardin en toisant sa mère)

Léon : Ces salves spontanées

Sont le reflet brutal d'une tendre innocence...

Il vous aime, Maman, mais ne pourrait souffrir

Un écart ! Quant à moi, je vous sens anxieuse...

Je comprends, ô combien, que l'on aime à mourir...

Marie-Louise : Mais, que votre allusion semble vile, odieuse !

Alors, vous aussi, vous...

Léon : Mais Maman, cessez donc !

Vous mentez à vous-même ! Vous ne pûtes jamais,

De vous voir éconduite, édulcorer l'affront !

Pourquoi, Maman ?... Pourquoi ?...Vous... si belle ! Désormais,

Enterrez ce mystère... Il y va de vos joies !

Marie-Louise : Que sans vous, ma Chérie, la vie serait factice !

Vous ne sauriez comprendre les chaotiques voies

Que mon cœur emprunta...

Léon : Il vous manque un indice !

Scène 9

(Henriette et Marguerite reviennent par cour, le coq inerte dans les bras)

Henriette : Madame, prenez courage ! Parez-vous pour l'assaut !

Marguerite : Madame est moribonde et Monsieur cramoisi !

Marie-Louise : Je renonce à me battre et recule à défaut.

(Elle sortent par jardin ; entrent Henri et Valentine par cour)

Henri : Sacré milliard de Dieux ! Vous dépassez, ma Mère,

Les limites classiques qu'un fils peut supporter !

Votre sensiblerie de petite fermière

Nous pèse ! Vous devriez beaucoup plus escorter

Votre vie de raison ! Est-il possible enfin,

Que d'un coq, la survie vous soit tant salutaire ?

L'harmonie de céans réclamait ce tremplin !

Souffrez que vos vieux jours me voient contestataire !

Valentine : Vous n'avez plus d'égard ni pour moi, ni pour Dieu !

Vous n'avez pour personne la moindre compassion,

Rien pour la moindre vie qui résiste, à vos yeux !

La venue de notre hôte veut que nous dépassions

Les mots bien malheureux que là, vous prononçâtes !

Soit, une rude enfance vous marquera toujours,

Vous faisant renoncer aux lois aristocrates...

Vous n'avez comme amis, que faucons et autours,

Vos compagnons de chasse, votre unique maîtresse,

Hideuse...

Henri : Enfin Madame, chasser est mon métier !

J'ai mes bois à gérer, autant que ma richesse...

Valentine : Où vous abandonnez votre cœur en entier !

(entre Marguerite par jardin)

Marguerite : Madame ! Monsieur Axel est entré dans la cour...

Au salut de vos mains il attend de répondre !

Henri : Je m'en vais l'accueillir ! Croyez bien qu'à mon tour,

Je regrette vos larmes, non point la bête à pondre !

(il sort par jardin)

Marguerite : Protégez-vous, Madame !

Valentine : (s'installe près de la fenêtre, demi-face au public)

Le Soleil au couchant

Adresse sa prière, offrant de sa chasuble

Les teintes empourprées... Et tout en s'approchant

Du berceau d'obsidienne, repère indissoluble

Des puissances divines, il offre au crépuscule

La grande voie céleste conduisant à nos âmes,

Cette voie blanche et sûre, inscrite en minuscule

Entre la Vérité et les bûchers infâmes !...

(entre Henriette par jardin ; à Marguerite)

Henriette : Que fait-elle ?

Marguerite : Mais Madame fait sa prière à Dieu,

Et comme chaque soir, au coucher du soleil !

(la comtesse émet un râle épouvantable)

Henriette : Que vous arrive-t-il, Madame ?

Marguerite : Est-ce un Adieu ?

Valentine: Conduisez ma fatigue à l'ultime sommeil,

Pour peu que le Seigneur entende ma supplique !

Et puisque tout m'accable, je fuirai désormais

Vers ces lieux impalpables, Divine Basilique,

Où je répondrai, seule, de mes actes... à jamais !

Enterrez le Kaiser !... Qu'on le laisse dormir !

(elle sort par jardin, soutenue par Henriette. Marguerite chante une comptine, tout en berçant la dépouille du Kaiser)

Marguerite : Madame a dit dormir, doux oiseau de son cœur !...

Tu étais agressif !... Tu ne dois plus gémir !...

C'est pour un long sommeil !... Mais voyons ! N'aies pas peur !

NOIR

ACTE II

Deuxième tableau

Scène 10

(tous rassemblés autour du dessert, salle à manger)

Axel : ...Soudain, vous vous sentez envahi de mystères ;

Là, les Monts de Norvège tachetés de névés,

Là, le soleil arctique, aux mœurs adultères,

En boudant de la nuit l'appel inachevé,

Pour quelques mois... De brume, la terre enfin se pare,

Comme une confiture voit sa coiffe chancir !

Et le jour cramoisi, à mourir se prépare,

Superbe, évanescent et prêt à s'obscurcir.

Tout autour, les moustiques aux desseins venimeux,

Troublent de maléfices cette vision grandiose...

Les oiseaux... les insectes... les horizons brumeux,

Goûtent tout de concert l'irremplaçable osmose !

Là, vous vous sentez pris de craintes frissonnantes,

Quand du loup la hurlée subvertit ce mirage.

Partout, les ruisselets, en damier deltaïque,

Se pressent à la mer en tétant son rivage...

Le Nord, étincelant, chatoie de mosaïque.

C'est le feu perpétuel du soleil de minuit,

Somptuaire miracle de l'été scandinave,

Où la nature est reine et le renne produit !

C'est une passacaille, joie dont je suis esclave !

(tous restent étonnés)

Ne me voyez pas tous avec tant d'insistance,

Qu'ai-je...

Henri : C'est très bien dit !

Marie-Louise : Comme toujours, le verbe

Habille vos pensées de charme, de nuance

Et le moindre détail devient, chez vous, superbe.

Valentine : Dieu créa la beauté, le poète l'augmente !...

Léon, vous devriez lire votre sonnet

Devant votre cousin. Rimer aussi le tente.

Léon : Pardonnez-moi, Grand-Mère, je n'ai pas mon carnet,

Et je crains que mes vers paraissent ridicules,

Après la verve sûre qui vient de nous ravir...

Axel : Ne vous dépréciez pas ! Souvent, les crépuscules

Conviennent mieux aux rimes... Ce sera un plaisir

De vous entendre... plus tard ! Je le ferai savoir !

Léon : Merci Monsieur ! Merci !

Hubert : Vous chatouillez l'orgueil

D'un garçon de talent, mon cher duc !

Henri : Promouvoir

Ce talent me déplaît ! Ce n'est pas son recueil

Qui le nourrira ! Oui, il serait temps, mon fils,

De songer aux finances, de devenir un homme,

Et sans t'enjuponner... et sans chanter l'office !

Si tu deviens curé, je crois que je t'assomme !

Valentine : Si Dieu vous abandonne, n'en privez pas Léon !

Henri : Ne me tourmentez pas avec bondieuseries !

Car j'ai besoin d'un homme, pas d'un caméléon !

Arrêtez de vanter son art, ses broderies !

Il me pèse de voir sa vie se contenter

Des futiles ardeurs dont se grisent les femmes !

Marie-Louise: (à Axel)

Il est un peu ma fille !

Henri : Cessez de raconter

A qui veut bien l'entendre, qu'il joue à la madame !

Vous êtes ridicule de le traiter ainsi !

(Léon s'enfuit dans sa chambre par jardin)

Marie-Louise L'Elle, ma Chérie, venez ! Votre père plaisante !

Hugues : Je n'en suis pas certain !

Valentine : Léon a mal !... Aussi,

Trouvé-je mon enfant, la leçon révoltante,

Car depuis dix-neuf ans, vous trouvez acceptable

Que sa mère l'affuble de termes androgynes !

Marie-Louise : Mais voyons, c'est pour rire !

Valentine : C'est pourtant regrettable !...

Toujours coi vous restâtes au son des pseudonymes,

Indifférent, absent de sa vie, de son goût ;

Etait-il nécessaire qu'en présence d'un duc,

Vous le traitassiez là, avec tant de dégoût ?

Plutôt que l'humilier, devenez un viaduc

A sa vie. Tolérante, je comprends ses désirs,

Ses artistes penchants... je l'aime et le lui prouve !

Henri : Voulez-vous dire, par là, qu'il faille à ses plaisirs,

Céder en permanence ?

Hubert : Bien trop Maman le couve !

Marie-Louise : Hubert, cela suffit ! Encore un peu de thé,

Axel ?

Axel : Non Marie-Louise ! Non, merci !

(Henriette entre par cour avec une part de dessert et sort par jardin)

Sylvia: La Norvège,

Selon votre récit, ce mystérieux été,

Incite à voyager... De votre privilège,

Vous me voyez jalouse ! Puissiez-vous me permettre,

Si mes pas m'y conduisent, d'aller gaie, radieuse,

Rejoindre votre cour !...

Valentine : Mais, je ne puis admettre

Que vous osiez, Sylvia...

Axel : Laissez Comtesse ! Joueuse,

Téméraire, efficace, Sylvia l'opportuniste

Essaie de s'envoler !

Henri : Eh bien, moi, je m'en vais

Guetter quelque perdreau... Suivez le violoniste !

(Il se lève ; Valentine gagne l'un des fauteuils pour se reposer)

Hubert : Attendez, je vous suis ! Le temps n'est pas mauvais !

Sylvia, vous devriez accompagner nos pas ;

Père saura vous surprendre... Vous pourrez nous comprendre.

Et je vous bloquerai tout au fond de mes bras...

Vous pourrez vous étendre... Je saurai vous entendre !

Sylvia : Monsieur Hubert, non ! Non ! Je ne puis ! J'ai promis !

Madame la comtesse souhaite me dicter

Une correspondance... Restons au compromis !

Henri : Accompagnez-nous, Duc... Je vous prie d'accepter !

Marie-Louise : Axel est de nature paisible, contemplative...

Je doute qu'il assiste à ces condoléances

Qu'adressent les oiseaux, des cailles à la grive...

Axel : Souffrez que je réponde : de toutes ces souffrances,

Je crains les témoignages... Toutefois, mon cher Comte,

Vraiment je l'eusse fait pour votre compagnie...

Mais le climat français réclame son acompte

Et je suis épuisé.

Hubert : Pas de cérémonie

Entre nous, cher cousin !

Hugues : Moi, je vous accompagne !

(les trois hommes sortent par cour)

Scène 11

Marie-Louise : C'est parfait ! Tout ce calme, soudain, saura vous plaire.

Recouvrez la santé ! Respirez la campagne

Et prenez ce fauteuil, il sera salutaire !

(entre Henriette par jardin)

Henriette, débarrassez ! Laissons se reposer

Notre hôte et notre ami.

Henriette : La L'Elle vous réclame !

Marie-Louise : Oh! La pauvre Chérie ! Je vais lui proposer

De me faire une robe... et ce n'est pas un drame !

(elle sort par jardin ; Axel s'installe dans l'autre fauteuil. Valentine s'est assoupie ; entre Victor)

Axel : Qui êtes- vous ?

Victor : Victor, Monsieur ! Un jardinier !

Madame la Comtesse...

Axel : Marie-Louise ?

Victor : Oui Monsieur !...

Désire orner la pièce d'un effet printanier,

Afin de mieux fêter...

Axel : Ma venue ! Délicieux!

Vos fleurs sont magnifiques... votre bouquet superbe...

Votre musculature est fort équilibrée...

Vos cheveux un peu fous... votre visage imberbe,

Sont autant de mérites. La Beauté célébrée

Par autant d'allégresse me fait un peut rager :

Je suis jaloux de vous et de votre jeunesse,

Victor !

Victor : Monsieur le Duc, que semble présager

Toute cette indulgence et tant de politesse ?

Axel : Je vous admire, c'est tout ! c'est votre punition :

On ne peut être beau et refuser de plaire !

Victor : Je ne mérite pas toute cette affection.

Je dois aller chercher de l'eau... je dois le faire !

Valentine : Victor, attendez-moi! Aidez à relever

Ce corps handicapé par les ans et les maux !

Laissons le duc, Victor et venez achever

Ce bouquet chez moi ! Oui, les fleurs, les animaux,

Savent chasser ma peine et ouïr ma solitude...

(ils sortent par jardin)

Scène 12

(Au moment où Axel se baisse pour récupérer son papier, Léon entre par jardin. Axel reprend sa pose endormie. Léon, considérant le billet tombé sur le sol, le ramasse et puis, après une hésitation, le lit. Puis il entend du bruit et glisse le billet dans le tiroir du secrétaire et s'éclipse discrètement par cour.

Axel n'a pas le temps de réagir : Sylvia entre par jardin et regarde l'homme avec admiration, puis elle s'approche du secrétaire)

Sylvia: La comtesse m'a dit dans le premier tiroir...

Une enveloppe rose... C'est une exactitude.

(Elle ouvre le tiroir, elle en tire le billet)

Tiens ! Que fait ce billet derrière ce miroir ?

Je ne dois pas le lire... Je ne regarderai

Que la calligraphie... Je ne la connais pas...

Elle est grande... Elle est belle, optimiste, sincère... Vraie !

Je ne l'ai jamais vue et suis dans l'embarras !

(Elle se met à fouiller dans le tiroir et ressort la lettre à cachet de cire que la comtesse avait reçue du duc quelques mois auparavant, et là, elle constate que l'écriture semble identique)

Mais... C'est votre écriture, cher Axel, cher Amour !

Tu as vu de ma flamme l'intention brûlante

Et tu m'écris... si vite et sans autre détour !

Je ne résiste plus ! Que tout cela m'enchante !

(elle lit le billet)

« J'aime trop votre allure et ne puis plus me taire.

Je veux un entretien afin de vous entendre.

Mais vous êtes si jeune et moi célibataire !

Il faut que je vous voie... Vous pourrez tout attendre... »

Quel homme singulier ! Quel garçon enflammé !

«... J'aime votre carrure aux muscles bien saillants.

Rejoignez-moi ce soir, vous serez acclamé...»

"é...e"! Il fait des fautes ! «... Au jardin et vaillant !»

Curieuse description, mais j'y viendrai, mon cœur !

Et reprenez des forces... Je suis peu accessible !

Il faut livrer un siège pour gagner ce bonheur !...

Regrettez votre fougue, car je suis impossible !

(elle sort par jardin)

NOIR

ACTE II

Troisième tableau

Dans les jardins

Scène 13

(un banc et deux chaises dans le jardin ; Axel est assis sur le banc ; il reconnaît la silhouette de Victor qui entre par cour ; le garçon marche rapidement. Axel l'interrompt)

Axel : Victor ? Mais quelle hâte vous conduit en ces lieux ?

Sans but et sans dessein ?

Victor : Chaque soir, j'ai mission

D'éteindre toutes torches...

Axel : Des sources jusqu'aux Dieux

Ainsi courrez-vous donc, sans autre passion ?

(Léon arrive par jardin et Victor se sauve par cour)

Léon : Je savais retrouver dans ce jardin des odes,

L'auteur de ce billet qui me fut adressé.

Ce fut pour moi le signe, une sorte de code.

Il fallait que je vinsse aussitôt et pressé !

(Axel est contrarié et Léon ouvre son recueil de poèmes et lit)

"L'oiseau de feu, d'azur, a jeté ses regards

Sur l'onde reposée de l'étang assoupi.

Pas une seule ride ne berçait les milliards

De graviers vagabonds sur ses rives ; accroupi

Sur un piquet fortuit, il guettait le passage

D'une ablette, d'un goujon, sur qui il irait fondre.

Seule, la bise endiablée glaçant le paysage,

Savait dresser ses plumes en huppe prête à tondre !

La faim l'avait figé sur ce pieux noir et sec,

Quand une ombre surgit sous les flots en miroir !

Là, le martin-pêcheur alla briser son bec,

Oubliant un instant la glace diabolique.

Aurai-je même sort si, pour l'amour d'un soir,

Mon cœur devient l'otage d'un charme bucolique ?"

Comment le trouvez-vous ?

Axel : Euh! Quoi ? Qu'est-ce-que vous dites ?

Léon Mon sonnet !... Mon poème !

Axel : Quelle sensibilité !

Léon : Non ! Il ne vous plaît pas !

Axel : Soit, il a des mérites...

Léon : Mais Monsieur, quel silence ! Que de rigidité !

Si je vous importune, je puis ne plus venir !

Votre billet, loquace, me permettait d'attendre

Un peu plus d'enthousiasme, un peu plus de plaisir !

Axel : Léon, pardonnez-moi ! Demain sera plus tendre...

(Léon sort par jardin, vexé)

Ton sonnet remarquable sait trop bien me séduire !

Ce mot n'aurait pas dû entre tes mains se mettre !

Je ne puis avancer... Je ne puis te détruire...

Marie-Louise, au moins ça, je puis te le promettre !

Scène 14

(entre Sylvia par cour)

Sylvia : Il était imprudent de m'attendre à la lune,

Monsieur ! Était-ce ainsi qu'on convoque les dames ?

Axel : Sylvia, votre insolence devient très importune !

Sylvia : Embrassez-moi, voyons !

Axel : Ne créons pas de drame !

Le billet que vous lûtes ne vous concernait pas !

Vous vous êtes trompée sur mes intentions !

Que cette confusion soit menée à trépas !

Dormez-mieux, Demoiselle !

Sylvia : Quelle humiliation !.

(elle sort par cour)

Noir

Scène 15

(Léon seul lit un autre poème ; entre Axel, sans se faire remarquer )

Léon : "L'aurore ouvrait à l'aube un sentier d'infortune,

Comme l'éclair annonce un tonnerre à venir.

La nuit, mes rêves sombres me poussent à gémir

Sur des rives de sable, ces dunes que Neptune

Amoncelle au devant de ma jeunesse trouble.

Jamais je ne pourrai chasser ces folles ombres

Qui poussent ma vertu à désirer mon double.

Puisse ma volonté en terrasser le nombre,

Afin que de l'amour, j'épuise le délice,

Afin que pour toujours, j'en puise la valeur,

Et que le goût des femmes me tende le calice,

Contenant l'élixir qui ôte leur pâleur !"

(Puis voyant Axel)

Depuis une semaine, je vous vois chaque soir...

Chaque jour, plus encore, je me sens attaché...

Vous êtes, près de moi, le seul à vous asseoir

Pour entendre ce cœur que d'autres ont gâché !

Axel : Léon, ne soyez pas aussi mélancolique !

Nous sommes des poètes... C'est une communion !

Léon : Ces mots venant de vous ont une symbolique...

Quand vous serez parti, l'amène trait d'union

Restera votre voix... Je la mettrai en cage !

Axel : Léon, vous m'amusez ! Vous serez malheureux

Car trop sentimental !

Léon : Je suis beaucoup trop sage

Pour mon âge, dit-on !

Axel : Etre mystérieux...

On ne vous voit jamais au bras de jeune fille...

Seriez-vous un timide ?

Léon : Je ne puis vous répondre !

Axel : Vraiment ?

Léon : Vraiment !

Axel : Léon, je suis de la famille...

Tu peux me raconter au lieu de te morfondre !

Léon : Il ne m'est pas possible, ce soir d'être loquace !

C'est un sujet pénible... Je le repousse en vain...

Axel : Tu peines à m'en parler ?

Léon : Une honte tenace...

Un impossible aveu !

Axel : Ose !

Léon : Peut-être demain !

Noir

Scène 16

(Tandis que Léon vit son monologue, Axel apparaît et reste silencieux)

Léon : Dans mes retranchements intimes et secrets,

me voici prisonnier. Hésitante posture,

Entre le pieux silence qui me sert de masure,

Et les aveux malsains, osés et indiscrets,

Qui de l’Être sublime pourraient me séparer.

(entre Axel par jardin ; il écoute sans se faire voir)

Le choc en son esprit, sans doute briserait

Cette affection naissante et qui le heurterait

Alors ! Ne dois-je pas cesser de m'égarer ?

Ne dois-je pas cesser d'animer en nos cœurs,

Une flamme perdue, un inutile espoir,

Qui saisissent nos âmes chaque jour, chaque soir,

Afin de les conduire vers l'indicible leurre ?

Il me faut, de l'Ami, protéger la constance,

En adossant ma vie à tout ce qui est Bien.

Je m' irai taire enfin, couché sur mon destin,

Tout les mots, les plus tendres dont je sens l'insistance,

Éteindre de mes rêves les douceurs interdites.

Diabolique mission que rompre avec ses sens,

Et condamner en vain désirs en contresens.

Pourrai-je alors survivre aux folies contredites ?

Axel : Ca, le crois-tu vraiment ? C'est là ton amitié ?

Mais qui suis-je à tes yeux pour ainsi te sauver ?

Léon : Mais je ne puis rien dire... à personne ! Supplicié

Par moi-même !... Un dégoût !... Un enfer à couver,

A l'abri, bien au chaud...

Axel : Constat illégitime !...

Je pouvais te comprendre ! Tu n'aimes pas les filles !

Léon : Disons que leur attrait ne m'est pas très intime !

Je suis un monstre, n'est-ce-pas ?

(entre Victor par cour, sans se faire remarquer ; il observe la scène, allant de surprise en surprise)

Axel : Tu te recroquevilles

En tous sens, tel un ver !... Calme-toi... En conscience,

La chose délicate, pudique, que tu avoues,

Fait du bien à mon âme...

Léon : Je n'ai pas d'expérience !

Axel : Car je suis comme toi !

(Léon le regarde, horrifié)

Léon : Vous ? Non !... Surtout pas vous !

Axel Regarde-moi ! Regarde ! C'est donc ça ta vaillance ?

Allez ! Va jusqu'au bout, au fond de tes pensées !

Puisque tu les ignores, quelle est ta vraie tendance ?

Accepte ton secret !

Léon : Chimères insensées !

Axel : Tu aimes les gar...

Léon : Non ! Vous n'avez pas le droit

De me tyranniser... Je me vaincrai moi-même,

Avec la volonté !

Axel : Volonté !

Léon : Plus tard !

(Léon veut s'enfuir mais Axel le retient par le bras)

Axel : Soit,

Tu crois changer le monde...Tu es lâche ! Mais... Je t'aime !

(Victor s'enfuit par cour, épouvanté ; Axel embrasse Léon, lequel, paniqué, accepte)

Noir

Scène 17

(Axel et Valentine se promènent dans le jardin)

Valentine :

Il y a quelques mois, Léon nous a fait peur.

C'est Hugues qui m'apprit la nature des maux

Qui le minent. Je suis seule à savoir ce malheur !

Il dissuada son frère de trouver dans les eaux

L'ultime délivrance, le salut sans ressource.

Léon souffre d'un mal secret, rédhibitoire,

Dont j'ignore le sens, mais en connais la source.

Face à ce mal de vivre, mon aide est dérisoire,

Mais vous, mon cher ami, qui montrez, par vos vers,

Les mêmes efficiences, songez à mon bonheur

En lui donnant conseils qui ne soient à l'envers

De ce qu'attend sa vie, dans le Bien et l'Honneur.

Axel : Je ferai beaucoup plus, si le temps m'autorise

A le connaître mieux ; mon cœur s'attache à lui

Chaque jour un peu plus ; que je le valorise

Est une douce tâche et non quelconque ennui,

Madame !

Valentine : Prenez bien garde à ne point égarer

Son jugement fragile, par des mots bien trop tendres.

Il s'agit seulement d'apprendre à séparer

Le bon grain de l'ivraie, de rien d'autre n'attendre !

Noir

Scène 18

(Axel est assis sur le banc, Léon près lui)

Léon : C'est la première fois, et ne sais point m'y prendre !

Je suis prêt, aujourd'hui et je veux vous aimer ;

Tant d'heures pour l'accepter !

Axel : Viens contre moi t'étendre !

Léon : Regardez les étoiles ! Qu'ont elles à exprimer ?

Elles scintillent, criant des phrases inaudibles.

Comme nous, des mots doux et que nous devons taire...

Comme nous, dès le jour, elles fuiront, illisibles...

Elles se cacheront afin de se soustraire

Au monde ! Axel, Maman, l'avez-vous désirée ?

Axel : C'était une jolie femme... intelligente...

Léon : Et quoi ?

Axel : Altière...

Léon : Répondez-moi ! Fut-elle déshonorée ?

Axel : Oui !... Je l'ai regretté ensuite !

Léon : Embrassez-moi !

(puis il se lève et lit son poème)

"La Hulotte a quitté mon cœur, asservi

Jusque là par un sort qui me clouait au sol.

De son hululement froid, hurlé en plein vol

Habituellement, elle attristait ma vie.

Mais aujourd'hui, perdue entre les cimes noires,

Elle a cédé sa place à d'augustes sourires,

Qui de mes maux anciens repoussent bien les ires.

Et mon âme, enchantée par toutes vos victoires,

Cède à votre plaisir ; je confie à mes mots

Le soin de vous ravir, afin qu'au soir enfin,

J'apporte à vos désirs la douceur d'un couffin,

Des mèches à saisir. Vivons pianissimo,

Là, notre amour naissant ; montrons à l'entourage

Un semblant de tenue ; (il pose son carnet) mais à la lune fière,

Donnons le doux spectacle de nos cœurs en prière,

De nos corps libérés et de notre courage :

Au plus profond de moi, se noient deux sentiments :

Le premier est le vœu de vous appartenir !

(il se met torse nu)

Le second est la crainte de vous voir repartir.

Alors ce soir, enfin, je me donne en amant,

J'enlève ma tunique et tous mes artifices,

J'offre ma nudité en cadeau de fiançailles.

( puis déshabille Axel)

N'est-elle pas ici la plus pure médaille ?

Vos baisers bâtiront, de l'Amour, l'édifice !"

(il s'enlacent)

Scène 19

(entre Sylvia par cour, scandalisée)

Sylvia : Ainsi, Monsieur le Duc, comprends-je mieux vos craintes !

Car comment vous suffire, si c'est par ce jeune homme

Que naissent vos désirs !... Les femmes sont contraintes

De vous souffrir ainsi... Je puis le faire, en somme !

Ma peine et ma surprise disparaîtront, un jour...

Mais je suis amoureuse et prête à vous aider !

Ce que je viens de voir n'a pas détruit l'amour !

Léon : Il ne vous aime pas !

Sylvia C'est un cas à plaider !

Axel : Sylvia, je ne ferai aucune concession !

Quittez ce sanctuaire où notre âme séjourne.

Sylvia : Mais voyons ! Me chasser devient une obsession !

Je défends la victime, le fils que l'on détourne !

Léon : Je ne suis la victime que de l'amour ! Oui ! Libre !

Enfin libre de vivre ! Exister... à hurler !

Et je veux protéger ce nouvel équilibre !

Sylvia : Soyez plus raisonnable, car je pourrais parler...

Je doute que le comte apprécie ce caprice,

D'autant que celui-ci concerne ceux qu'on raille !...

(à Axel) Resterez-vous muet ?

Axel : Vous êtes une actrice

Très douée, très pernicieuse ! Votre plan a sa faille :

Vous négligez l'amour ! Celui-ci est de force

A combattre les rires, à rire des menaces !

Sylvia : Sans doute ! Mais le courroux d'un père vaut un divorce !

Épousez -moi, Axel !

Axel : Vous ? La reine des rapaces ?

Sylvia : Vous me surestimez ! Je vous laisse l'Amour...

Donnez-moi la duchesse !

Axel : Jamais !

Léon : Sylvia, pitié !

Pour ma famille ! Mon père, lui, sera sans contour

Et je serai chassé, ou tué à moitié !

Sylvia: Duchesse !

Axel : Non, je ne puis ! Et seule Marie-Louise

Aurait pu y prétendre !... Et maintenant, sortez !

Sylvia : Vous l'aurez donc voulu ! Votre joie s'amenuise

Et l'heure du retour vient de sonner !

Axel : Partez,

Et que Dieu vous pardonne !

Léon : Sylvia, ne dites rien !

Sylvia : Croyez que je regrette ce fruit de l'amertume,

Qui pousse à révéler vos vices, pour votre bien !

(elle sort par jardin)

Léon : C'est une catastrophe !

Axel : Il faut que je l'assume !

Noir

Scène 20

(Sur le banc)

Axel : A présent, du courage et de la bienséance !

A sauver ton honneur, il faut nous efforcer,

Et je prendrai sur moi les torts, la déchéance !

Léon : Axel, nous nous aimons ! Laissez-moi m'en bercer...

Axel : Léon, je suis adulte et toi mineur...

Léon : Qu'importe !

Axel : Mais il y a la loi ! Et la loi interdit

Les amours marginales, ce que cela comporte !

Ils invoqueront Dieu pour te rendre maudit !

Léon : Vous resterez divin en mon âme éplorée...

Oui !... Car si Dieu existe, il a votre visage...

Qu'importe d'entrevoir ma vie déshonorée,

Si c'est auprès de vous que je naîtrai, volage !

Je suis prêt à subir toutes les réprimandes,

Fidèle à un serment que je veux prononcer !

Seulement, il suffit que tu me le demandes ;

Pour ça, je te tutoie...Je vais te l'énoncer...

Axel : Léon, c'est impossible ! Je n'en ai pas le droit !

Léon : Il n'est rien d'invincible ! Et avant qu'ils n'arrivent,

Ne perdons plus de temps... C'est un peu maladroit

Mais tellement sincère... des mots qui nous motivent.

« Je t'aime et t'aimerai toujours, quoi qu'il advienne !...

Je le jure ! » A ton tour, je veux l'entendre, à toi !

Axel : Écoute ! Sois raisonnable ! Il faut que je m'abstienne...

Léon : Dis-le !

Axel : C'est ridicule ! Je ne...

Léon : Jure-le moi !

Axel : Non ! Non !... Mais comprends-moi ! C'est l'emprisonnement

Que l'on offre en étrennes aux hommes de mon âge !...

Il n'y a plus d'amour : C'est un détournement !...

Pour quelqu'un de mon rang, c'est du dévergondage !

Léon : Prononce ce serment, puisque tu m'aimes encore !

Je ne suis qu'une loque, sujette à la luxure !

(il s'écroule)

Axel : Lève-toi !

Léon : Donne-moi un peu de mandragore,

Puisque je dois te perdre...

Axel : Sottises !... (il le relève) Allons !... Je jure !

Rideau

Fin de l'acte II

Entracte


Acte III

Premier tableau

Scène 1

(Tous présents dans la salle à manger)

Henri : Mes amis, un malheur vient de frapper ma vie !

Il se vit sous mon toit ! Je vous ai convoqués

Pour l'Exemple... la Confiance... Si, en Scandinavie,

On admet les remous qui se voient provoqués

Par des mœurs bizarres... de terrible nature,

Il ne sied pas de même à notre esprit français,

Monsieur le Duc ! Jamais une telle imposture

Franchira mon perron ! Jamais je ne pensais

Subir un tel affront ! Mademoiselle Sylvia...

A regret, d'un aveu tout à fait salutaire,

Vient de me révéler les vices d'un paria !...

D'un paria... que l'on aime !

(Léon s'avançe vers lui)

Je te prie de te taire !...

Ne parlons pas de vous, mon Cousin ! Un départ

Avancé chez les Baltes calmera mon mépris !

Je pouvais vous le dire en vous voyant à part !

Mais parlons de Léon, dont tous sommes épris !

Henriette : La L'Elle ?

Henri : C'est çà ! La L'Elle ! Ça lui va comme un gant !

Valentine Je m'en vais me coucher !

Henri : Restez, il y a pire !

Valentine : Et pourquoi resterais-je ? Pour vous voir haranguant ?

Henri : J'ai de bonnes raisons...

Valentine : Pour vous entendre dire,

Devant cet hémicycle, qu'il aime les garçons ?

Marie-Louise : Les garçons ?

Henriette : Pas la L'Elle ?

Valentine : Vous l'avez voulu fille !

Pourquoi tous ces regrets ? Il apprend les leçons !

Et face à votre morgue, l'enfant se déshabille :

Il revêt sa peau d'homme... et des désirs de femme !...

Vous savez mes pensées, mes pieuses angoisses.

J'ignore les raisons qui font jour à sa flamme...

Je me tais... car je l'aime !... Mais vous, que les paroisses

Ont chassé très longtemps, vous, ma bru, cœurs livides,

Ce n'est pas le chagrin du Bon Dieu qui vous hante,

Mais l'orgueil... et la peur ! Ils vous rendent arides!...

Qu'allez-vous exiger ?... Eh bien ?...Qu'on l'ensanglante ?

En lui reprochant tous des rêves incompris ?

Souffrez que je me prive de votre mise en scène !

Je vais prier pour lui et ses secrets meurtris...

Vous me ferez mourir de honte ! Et même un chêne,

Tel que vous, devrait choir, ou ployer, pour un jour...

En roseau se soumettre au vent de sa nature !...

Vous ne pouvez saisir le sens du mot : Amour !

Faites votre Devoir !... jetez-le en pâture !

(elle sort par jardin, anéantie)

Henri Et maintenant, Léon, oui, tu vas me jurer

Que cet égarement n'est qu'un enfantillage,

Une curiosité qui ne saurait durer...

Et... si je suis ton père, pare à ce gaspillage !

Léon : Si je suis votre fils, aimez-moi donc ainsi !

Marie-Louise : Je ne connaissais pas chez vous tant d'insolence!

Léon, par quel démon, là, vous sens-je transi ?

Hubert : Mais dis-moi que c'est faux !

Hugues : Comprends sa différence !

Henri : J'attends un démenti !

Marie-Louise : Effacez-nous ce doute !

Axel : Voyons, Henri...

Henri : Silence ! Je ne vous connais plus !

Je respecte le duc, mais l'homme me dégoûte !

Tenter de le revoir est un désir exclu !

Une dernière fois, Léon, je le demande !

Hubert : Déments, et vite !

Hugues : Dis-lui ! Il ne peut te comprendre !

Choisis mentir plutôt qu'un exil en Finlande !

Marie-Louise : Allons, ma L'Elle !

Hubert : Léon !

Axel : Léon, il faut te rendre !

Léon : Je l'aime... et l'aimerai toujours ... quoi qu'il advienne !

(surprise générale)

Henri : Puisqu'il en est ainsi, il devient préférable

Que tu partes d'ici ! Mieux vaut que je m'abstienne

De tout autre discours... car tu es incurable !

Marie-Louise : Il ne partira pas ! Non! Je vous en conjure !

Et même si...

Henriette : La L'Elle restera là !

Marie-Louise : Henriette,

Je suis sa Mère, et vous, une simple doublure !

Henriette : Il est mon fils aussi, traité comme mauviette...

Marie-Louise : Taisez-vous !

Henriette : Non Madame ! Je ne le pourrai point !

Léon : Arrêtez ! A quoi bon vous faire autant de mal ?...

J'obéirai au comte : je partirai demain !

Henri : Marie-Louise, suivez-moi !... Son état anormal

Exige sa rançon !... Et puisque, par malheur,

Je n'ai plus que deux fils, mandez-moi le notaire !

(il sort par cour, suivi successivement par tous, soit par cour ou jardin)

Marguerite Prévenons la comtesse ! (elle sort par jardin)

Hubert : Qu'as-tu fait de l'honneur ?

Et plutôt que renier, tu aurais pu te taire ! (il sort par cour)

Henriette : Vous ne partez pas seul !... Demain, nous serons deux !

(elle sort par cour)

Sylvia Je ne voulais pas çà ! Pardonnez-moi, quand même !

(elle sort par jardin)

Victor : Pauvre Monsieur Léon ! (il sort par cour)

Pierre-Marie : C'est-y-pas scandaleux !

(il sort par cour)

(Hugues lui prend la nuque sans rien dire et sort par jardin)

Axel (à Léon) Quoi qu'il advienne !

Léon : Bien sûr !... Redis-le moi !

Axel : Je t'aime !

Noir

Scène 2

(Valentine entre par jardin avec Marguerite et s'assoit dans un fauteuil avec peine)

Valentine : Ma bonne Marguerite, qui nous avez servis

Depuis tant d'années, oui, de nuit comme de jour

Quand l'exigeaient nos soins, écoutez : la survie

Vient de livrer mon corps à son dernier tambour,

Vous savez, quand du cœur la cadence s'essouffle...

Je ne songe enfin plus qu'à votre devenir

Dans cette maison triste où rien ne se camoufle,

Où même les secrets n'ont aucun avenir.

J'ai pris disposition pour qu'en cette maison,

Vous puissiez, comme moi, achever votre tâche.

Je le veux et mon fils en fera sa raison.

Vous resterez ici et sans que l'on vous lâche.

Je vous confie ce pli, mais ne le lisez point.

Dans les mains de Victor veillez à ce qu'il tombe,

Afin que l'avenir, qui guette son déclin,

Pare à tous ses besoins. Ce devoir vous incombe.

Allez rejoindre ceux qui aident ce château

A vivre d'illusions, qu'un avenir menace.

Laissez à mon repos l'instant de grâce, cadeau

Ultime, avant la mort qui peu à peu me glace.

(Marguerite sort par jardin)

Scène 3

(Valentine s'endort dans le fauteuil ; Marie-Louise et Henri entrent par cour mais ne s'aperçoivent pas de sa présence)

Marie-Louise : Jamais vous ne pourrez m'éloigner de la L'Elle !

Je ne vois plus en vous le tuteur idéal !...

Un Commissaire Priseur qui estime, interpelle !

Léon n'a jamais su devenir un féal,

Dévoué à vos causes, à l'image d' Hubert !

Et vous l'avez toujours rejeté... humilié !

Henri : Car il n'est pas mon fils !

Marie-Louise : Mais je vous l'ai offert !

Henri Il était impossible qu'ainsi, je le conçusse !...

Jamais, dans ma famille, une pareille tare

Ne s'est manifestée !... Eh bien ! Quoique je fusse

Un peu ferme avec lui, tout net, je le déclare :

Ces vices luxurieux sont d'une autre origine !

On ne saurait douter de ma virilité !

C'est vous qui lui donnâtes une si tendre mine

En le traitant de fille et sans brutalité !

Marie-Louise : Voulez-vous insinuer que je suis seule en cause,

Et que, en quelque sorte, je suis la responsable ?

(Valentine, épuisée, s'éveille )

Dosez-vous l'étendue du mal qui nous oppose ?

L'orgueil vous étouffe !... Oui !... Oui, l'orgueil vous accable !

Moi, indulgente, j'avoue ne pas comprendre !... J'avoue

Avoir favorisé un penchant un peu pâle !...

J'avoue avoir cédé... Parfois je le secoue...

Je n'ai pas réussi à en faire un vrai mâle !...

Mais vous, vous ne voyez qu'un sombre préjudice

A votre personnage, votre virilité,

Et votre jugement n'est qu'un fond d'artifice,

Vous flattant du panache de votre hérédité.

Moi aussi, très longtemps, j'ai refusé de lire...

Pourtant, depuis toujours, j'ai su sa différence...

J'ai refermé les yeux... j'ai vécu mon délire

Afin de fuir un fait qui frise la démence !...

J'entendais, interdite, les rires indescriptibles,

Au sortir du collège, qui devaient dénoncer,

En des termes vulgaires... ses goûts déjà visibles...

Il était traité de... je ne puis l'énoncer !...

Il ne répondait rien à l'insulte suprême !

Il n'avait rien de noble qui pût l'en délivrer !...

Il préférait pleurer, replié sur lui-même...

Je ne vous ai rien dit... Pourquoi vous le livrer ?

(elle éclate en sanglots)

J'abhorre son état ! Moi aussi, sans comprendre,

Je me suis inquiétée du peu de demoiselles

Qu'il aime fréquenter... Que sert-il de s'étendre

Auprès de ces gens-là !... Voilà pourquoi Axel

A repoussé ma main... Je fus contre son corps

Victime, et puis... martyre... Et pour se mieux mentir,

Il "s'essaya" sur moi, puis m'a jetée dehors !...

Quel dégoût de ma peau a-t-il dû ressentir ?...

Ainsi fus-je violée par l'homme délicat

Que je pensais connaître... Inquiet de l'impulsion

Qui risquait de faillir au cours de ce combat

Qu'il livrait à lui-même, il hâta sa mission...

Et je restai maudite à ses yeux... à mon cœur !

Je mesure aujourd'hui le poids de son refus,

Mais aussi ses bienfaits !... Ne lui faîtes plus peur,

Et puis, pardonnez-lui !... Je le sens si confus !

Valentine : Pour la première fois, ma bru, je vous admire

Et je vous félicite ! Tant d'amour, tant d'ardeur

Et tant d'abnégation !... C'est Dieu qui vous inspire...

Quant à vous, mon enfant, je hais votre laideur :

Vous confondez toujours honneur et vanité !

Je sais votre courage, dont mon frère, l'Amiral,

A su tôt vous doter... Avec amour, bonté,

Il remplaça le père dont la mort vous fit mal.

Je me souviens de vous, traversant la forêt,

A neuf ans, téméraire, le falot en avant,

Le poignard sur le cœur, tremblant, suant, mais prêt

A vous en servir !... Oui !... Et là... là... droit devant,

Vous affrontâtes, fier, le regard de ce loup,

Ce loup qui marquera votre petite enfance...

Après cette rencontre, vous fûtes tout à coup

Propulsé en héros : ce rare loup de France

Vous fit don de sa force, du talent de chasseur,

Mais vous mangea le cœur !... Alors, dur comme un roc,

Comment vous demander d'émonder sa douleur ?

Léon souffre, je l'assure !... Et ce fut tout d'un bloc

Que je l'ai entendu sangloter dans sa chambre...

Henri : Il partira ! J'ai dit !... Je ne veux plus le voir !

Valentine : Je vous renie aussi ! Contre vous, je me cambre !...

Vous, que tout sentiment ne saurait émouvoir !

Marie-Louise : Ma Mère, ménagez-vous...

Valentine : Taisez-vous donc, ma bru !

(à Henri qui sort par cour)

Vous n'eûtes pour Léon, que de longues absences,

Méprisant ce talent auquel vous n'avez cru !...

Vous n'avez pas compté durant son innocence !

Marie-Louise : (voyant Valentine s'affaiblir)

Henri !

Valentine : Mais entre lui, acceptant sa nature

Avec humilité, fraîcheur et illusion,

Et vous, qui préférez d'un père la rupture,

C'est lui l'Aristocrate ! A vous la dérision !...

(Henri sort par cour suivi de Marie-Louise ; entre Sylvia par jardin pour l'aider)

Vous, ne me touchez plus ! Point de Judas, céans !

Et faites vos valises ; mon état m'autorise

Encore quelques minutes à vivre ce néant

Dans lequel je me noie ; Dehors ! Je vous méprise !

Noir

Scène 4

(Léon jette ses oeuvres dans la cheminée ; entre Victor par cour avec un bouquet)

Victor : Que faites-vous, Monsieur Léon ? Et pourquoi immoler

Votre art, les vêtements nés de votre plaisir ?...

Cessez de vous détruire ! Préférez somnoler

Pour guérir cet affront et parler d'avenir...

Léon : Merci Victor ! Merci ! Je ne sens que nausée !

Je ne puis me résoudre à laisser de moi-même

L'empreinte et les idées, l'ire que j'ai causée...

Me séparer d'Axel me rend tellement blême !...

Je préfère survivre comme un elfe, inhumain.

Cette mue s'accompagne de la nécessité

D'oublier qui je fus pour exister demain.

Victor : Quel horrible dessein ! C'est une atrocité

Que ce maudit exil ! Vous allez nous manquer !

(Au moment où Léon fouille dans son sac pour déposer les derniers objets dans les braises, Victor, se saisit du recueil de poésies et le dissimule derrière son dos)

Ne partez pas trop vite !

(il sort par jardin au moment où Pierre-Marie arrive par cour)

Pierre-Marie : Allez mon gars ! Courage !

La mauvaise conduite vous fera décamper.

Ne regrettez-vous pas d'avoir semé la rage ?

(il sort par cour; entre Marie-louise par jardin)

Marie-Louise : L'Elle, approchez-vous vite ! Grand-Mère est au plus mal !

Votre père est à bout et ses propos la tuent !

Léon : C'est à cause de moi, car je suis immoral !

Marie-Louise : Son état est fatal... Près d'elle, ses gens se ruent !

Écoutez :

Léon : Laissez-moi l'embrasser... pour toujours !

Marie-Louise : Il est trop tôt, ma L'Elle, ce sera progressif...

Serrez-moi, ma Chérie ! Oublions tous ces jours,

Toutes ces fantaisies... ce dépit affectif !

Léon : Mais Maman, il est beau ! Je voudrais votre avis...

(la comtesse le gifle)

Et je l'aime...

Marie-Louise : Non ! Jamais ! ... je dois vous l'interdire !

(entre Axel par jardin)

Léon : Quoi qu'il...

Marie-Louise : (tombe à ses genoux) Ma L'Elle, pardon ! Jurez-moi, sur ma vie,

Que ce n'est pas ma faute !...

Léon advienne !

Marie-Louise : (en larmes) Tu dois le dire !

(Axel et Léon se regardent ; Axel baisse la tête)

Noir

Scène 5

(Léon observe en fond, Axel qui s'explique avec Marie-Louise dans la pièce voisine en mode muet, puis il s'assied sur la table et s' écroule sur le dos ; il se trouve assailli de remords comme s'il entendait des voix ; elles proviennent des coulisses)

Voix de Hubert :

Que j'ai honte pour toi et pour notre maison !...

C'est toute notre enfance qui bascule ce jour !...

Et que dois-je penser de nos jeux de saison ?

Où était l'innocence ?... Ah ! Quel maudit séjour,

Car, en plus, tu choisis quelqu'un de nos familles !...

Mais je garde confiance : ce n'est qu'une passade...

Voix de Hugues :

Je ne sais quoi te dire... Tu n'aimes pas les filles,

Alors tant mieux pour moi, qui suis ton ambassade :

Je leur expliquerai... en les faisant rougir,

Qu'il y a intérêt à me tourner autour !!!

Voix d'Henriette :

Mais ma L'Elle, ce n'est rien... ce n'est qu'un mauvais rêve

Et Dieu y pourvoira... Il fera bien en sorte

Que vous puissiez aimer, tel un Adam, une Eve !

On ne vous mettra pas, comme un chien, à la porte !

Voix de Marguerite :

L'était pas comme les autres, la L'Elle ? Qui l'aurait cru ?

Voix de Sylvia :

Pardonnez-moi, Léon ! Je suis si malheureuse !

Voix de Pierre-Marie :

J'avais bien toujours dit, moi l'ivrogne, le bourru,

Qu'on n'élève pas un p'tiot en le rendant précieuse !

Même dans vos familles, on trouve des erreurs.

Voix de Victor :

Le comte est en colère et son humeur éclate...

Ce n'est pas mon problème, je m'occupe des fleurs...

(les voix se rapprochent et s'entrechoquent en augmentant d'intensité jusqu'à disparaître à peine audibles)

Voix de Marie-Louise :

Ma L'Elle, écoutez-moi !

Voix de Hugues :

Sois un peut diplomate !

Voix d'Henriette :

Allons, L'Elle ! Un sourire !

Voix de Pierre-Marie :

C'est-y pas une chiffe molle !

Voix de Sylvia :

Pardon !

Voix de Victor :

Et mon bouquet ?

Voix d'Henri :

Va-t-en, tu me fais peur !

Voix de Marie-Louise :

Ecoutez-moi, mon coeur !

Voix de Hubert :

Mon frère n'est qu'une folle !

Voix de Pierre-Marie :

Le petit salopard !

Voix d'Henriette :

Ma Chérie !

Voix de Marguerite :

Quelle horreur !

Voix de Hugues :

Mon frère !

Voix de Hubert :

La honte !

Voix de Henri :

Dehors ! Tu me dégoûtes !

Scène 6

(Léon est réveillé par Marie-Louise qui entre par jardin)

Marie-Louise : Ma l'Elle ! Que faites-vous ? Je vous parle, voyons !

Réveillez-vous !... C'est mieux ?

Léon : Oh oui ! On ne peut mieux !

Tout est serein, clément !... De l'amour, les embryons

Sont condamnés à cœur, Et en chœur : bien plus vieux,

Un homme de surcroît !

Marie-Louise : Taisez-vous, s'il vous plaît !

C'est faux !... C'est une erreur, un mal dont rien n'approche !...

Vous vous illusionnez... La femme vous déplaît

Car vous en avez peur...

Léon : Elle est de moi si proche,

Si vous saviez combien !

Marie-Louise : J'essaie de vous comprendre...

Cependant, évitez ce genre d'allusions...

De cet homme libertaire, cessez de vous éprendre...

Ces désirs invertis sont veules illusions !

Léon : Comment pourriez-vous lire, en ma chair affligée,

L'amour, la honte, le vice, la tendresse, l'abandon,

Mieux que moi ?... Dites-moi, êtes-vous obligée

De culpabiliser un sentiment si bon ?...

Je peine à mériter l’Être qui me possède,

Qui me rend monstrueux, sacrilège... Mon martyre,

Le flou de ma nature, ce trouble qui m'obsède,

Vous ne sauriez l'entendre... Suis-je un ange ?... Un satyre ?

Marie-Louise : Non ! Ne m'entraînez pas vers tous ces marécages...

Immondes appendices de songes égarés...

Mais je vous aime, ma L'Elle !... Je sais que vos blocages

Peuvent se guérir !... Oui ! Nous sommes préparés,

Votre père et moi-même, à vous faire soigner,

En Suisse, certainement... car vous êtes malade,

Ma Chérie ! Rien de plus !... Il faut vous éloigner

Un temps !...Vous n'êtes pas l'autre Marquis de Sade,

Mais un convalescent... Ma L'Elle, c'est à ce prix

Que votre père accepte de vous voir, vous aider !

Je sais, c'est une épreuve ! C'est votre crucifix,

Comme dirait Grand-Mère ! Je vais encore plaider

Votre cause à vos frères... Hugues a bonne nature,

Mais Hubert est si fier !... Il se sent offensé...

Léon : Oh! Maman ! J'ai si mal !

(entre Axel par jardin)

Marie-Louise : Vous n'êtes point mature,

Pour votre âge ! Tiens, Axel ! Je vous sais dispensé

De revoir mon fils, seul ! Aussi, assisterai-je

A l'entretien !

Axel : Très bien ! Et je m'y soumettrai !

Léon : Axel ! Vous !... Enfin !

Marie-Louise : Non !

Léon : Je suis pris dans un piège...

On me dit très malade... Jamais, je n'admettrai

Que vous aimer...

Marie-Louise : Axel !

Axel : Nous n'allons plus nous voir...

Et il est nécessaire de m'oublier... Adieu !

Je suis désolé... oui... vraiment, Léon ! Bonsoir !

Léon : Axel ! Et le serment !!!... "Quoi qu'il advienne"!... Mon Dieu !

(entre Marguerite par jardin)

Marguerite : Monsieur Léon, venez !... Madame la Comtesse...

Léon : Eh bien, Marguerite ! Parle !

Marguerite : Mourante !... Tout est perdu,

Mais elle vous réclame !... Nous perdons notre Altesse !

Léon : Et si c'est par ma faute, oh ! Que je sois pendu !

Noir

ACTE III

Deuxième tableau

Scène 7

(dans la chambre sur le lit de Valentine ; Victor, effondré, dispose le bouquet et sort ; Léon est assis auprès d'elle))

Valentine : Je ne veux, pour mourir, que ce bouquet de fleurs,

Et mes rares amis que sont mes chats, mes chiens !...

Ces admirables bêtes ont conscience des pleurs :

Elles ne quittent plus ma couche... Ce sont des liens

Incorruptibles... La-haut, je m'en vais supplier

Le Divin Créateur : qu'elles puissent me rejoindre

Jusqu'à mon Purgatoire... oui, je m'en vais prier,

Afin qu'elles aient une âme... Sentez mes mains se joindre...

L'approche de la mort qui sur moi veut s'étendre,

Les aimante !... Et je tremble...non point de ma douleur...

Non plus d'affolement... Ce que tu dois entendre

A de quoi me glacer ! Je ne vois que pâleur

Et je quitte ce monde ; ma voix agonisante

N'a que le temps de dire combien pour toi, j'ai peur...

Je t'ai toujours suivi, discrète et vigilante...

Je te savais fragile, porté à la candeur,

Toutes ces qualités aux vrais hommes fatales...

Je présumais, qu'un jour, tu viendrais à souffrir

De cette anomalie des joies fondamentales !

Léon : Oh ! Grand-Mère, calmez-vous ! Pourquoi ne pas dormir ?

Valentine : Dormir ! Mon petit-fils, je vais bientôt... Écoute :

Je ne reproche pas les desseins de ton cœur !

Tu n'es pas responsable de son choix, de sa route...

Tu ne peux repousser leur naissance, leur odeur...

Mais tu dois refuser leur application !

Tu ne peux pas les vivre !... Dieu condamne ton monde,

Mais conçoit ta douleur !... Mystification

De l'impossible amour et non point de l'immonde !

Si tu tombes une fois, tu glisseras encore

Jusqu'aux salves de gloire des œuvres démoniaques !

Léon, tu vas promettre...

Léon : Grand-Mère, je vous implore,

Ne me réclamez pas...

Valentine : Ta vie, dans un cloaque,

Finira par se perdre, brandissant ta faiblesse...

Pourtant, si tu résistes aux appels de ton corps

En souffrant du Seigneur...les routes... d'allé...gresse...

Léon : Que demandez-vous là ? Ma vie ou bien ma mort ?

Valentine : Souviens-toi ! Tout petit, tu récitais la messe,

Paré des ornements, et amoureux de l'orgue !

Approche-toi... de moi... Fais-moi une promesse...

Léon : Je l'aimerai toujours !

Valentine : Piétinez cette morgue

Qui vous fait refuser... cette épreuve... du... Maître...

Léon : Non, Mamée ! Je ne puis ! Je n'ai votre grandeur !

(Elle s'agrippe à lui; elle n'a que le temps de lui souffler un mot à l'oreille et rend dans ses bras son dernier soupir.

(hurlant) "Noooooon !"

(il se saisit du crucifix à bout de bras)

Je promets ! Je renie ce que tu as fait naître !

(puis il le lance sur la défunte ; il déchire violemment sa chemise jusqu'à se mettre torse nu ; se tournant vers le ciel, face au public, il présente ses bras tendus comme un crucifié et adresse des suppliques ultimes à Dieu,entre colère et sanglots)

Puisque mon cœur est mort, prends aussi ma pudeur !

(tous entrent et considèrent Léon ; devant leurs regards de reproche, il se sauve par cour)

Noir

ACTE III

Troisième tableau

Scène 8

(faisceau côté jardin, au bord de l'étang)

Léon : (anéanti) J'ai brûlé de moi-même jusqu'à mes sentiments.

Je pensais qu'un serment devait se protéger

Beaucoup plus que soi-même. Un Être, trop léger

Mais follement aimé au gré des firmaments,

A trahi ma confiance en fuyant comme un lâche.

Il a conduit mes actes vers toutes les outrances.

J'ai semé le malheur avec mes inconstances,

Dans ce château des rêves, et sans aucun panache.

Mais j'ai vu à quel point , tous, je vous indiffère !

Personne ne comprend les rêves qui m'animent.

Personne ne sait gré aux désirs qui se griment,

Afin de disparaître au regard mortifère.

Et puisque tout ici n'offre que réprimandes,

Puisque ma Vérité offusque vos principes,

Je meurs à mon enfance et je tue mon Œdipe,

Afin que cette audace devienne mon offrande.

Adieu la lune ! Adieu! Je ne rêverai plus

De tes tons irisés et jaspés par mes larmes,

Quand, depuis mon cachot, priant parmi les Carmes,

Depuis les profondeurs où je vivrai, reclus,

Je tenterai en vain d'accrocher de mes mains,

Tes faisceaux doux, blafards, devenus froids et lisses...

Je m'en irai prier au fond de ces coulisses

Qui donnent à nos âmes un pouvoir surhumain.

Elles forgent la vertu et tuent tout ce désir

Que le corps a fait naître depuis la puberté.

Je donne à Dieu ma vie, je perds ma liberté,

Pour guérir à vos yeux et gagner ce Nadir,

Où je noierai, enfin, mes tendres espérances,

Invisible, lapidé, vidé de tous sarments...

Ainsi respecterai-je les deux maudits serments

Qui détruisent mes joies pour guider mes errances.

Adieu, jardin béni ! Adieu, mon lac d'amour,

Qui écoutez si bien l'airain du désespoir !

Oui ! Adieu, mes racines et mon noble manoir...

Je confie à cette onde un chagrin sans retour...

(il s'écroule)

Noir

Scène 9

(Faisceau sur côté cour ; musique ; on aperçoit Victor et Henriette qui partent tristement avec leurs valises. Marguerite les rattrape et confie à Victor le pli de la comtesse en lui glissant un mot à l'oreille et ressort. La musique s'arrête, entrent les 3 hommes par cour, lampes à la main)

Hugues : Léon a disparu ! Certainement enfui !

Il a gagné l'étang pour y chercher secours

De ce maudit refuge, il a cherché l'appui...

Henri : Rattrapons la folie qui nourrit ses amours !

Tâchons de raisonner son esprit égaré,

Afin que tout demeure, ici même ou ailleurs,

Dans la douce unité dont ce lieu s'est paré

Tant de temps. Mais au moins, ne soyons pas railleurs

De son appartenance au monde inattendu...

Je dois de mes principes atténuer l'exigence,

Et les pleurs de ma mère ont enfin détendu

Cette rigidité dont naît l'intolérance.

Le retrouver vivant, souriant et candide

Est bien l'unique vœu...

Hubert : Soyez en exaucé !

Hugues : Votre nouveau discours emploie un ton splendide.

De mon admiration, vous voici rehaussé !

Noir

Scène 10

(Au bord de l'étang ; Henri, Hugues et Hubert tirent Léon de l'eau ; ils se regardent ; Henri le prend dans ses bras et craque en sanglots ;

il lui chuchote à l'oreille)

Henri : Je t'aime, mon fils ! Vraiment ! Comme tu m'as fait peur !

Léon : Pour me faire ce cadeau, il vous fallut vingt ans !

Toute ma vie durant, j'ai attendu cette heure,

Merci mon Père !... Papa !

Henri : J'ai retrouvé l'errant...

Jamais je n'aurais cru à la virilité

Dont tu viens de montrer la force et puis l'esprit !...

Au diable les reproches et la sexualité !

Rentrons près de nos mères. C'est pour elles que l'on prie !

Rideau

FIN DE L'ACTE III

Acte IV

5 ans plus tard

Scène 1

Noir

Dans l'église

(toutes voix off)

Prêtre : Vicomte Hubert de Vidard, acceptez-vous de prendre pour épouse Roselyne de Riteaut ?

Hubert : Oui je le veux !

Prêtre : Roselyne de Riteaut, acceptez-vous de prendre pour époux le vicomte Hubert de Vidard ?

Roselyne : Oui, je le veux !

Prêtre : Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage !

(son des cloches et sortie à l'orgue)

Lumière

(Léon, en séminariste, à genou sur un prie-Dieu Arrêt de l'orgue.

On entend parler Hugues, Axel et Marie-Hélène en off )

Hugues : Décidez-vous, Axel ! Annoncez-nous le vôtre !

Marie-Hélène : Un mois prochain ! Chéri, c'est de l'enfantillage.

Et pourquoi taire ainsi la date qui est nôtre ?

Criez notre bonheur ! Dites à la famille

Ce que vous me promîtes... hier ! Je suis heureuse !

Axel : Tout comme dans la brise se berce la brindille,

Vous sautillez de joie ! N'êtes-vous point peureuse ?

Marie-Hélène : De quoi aurais-je peur ?... Vous semblez si lugubre

Tout à coup !... Qu'y a-t-il ?

Axel : Ce projet vous fait rire ?

Pas moi !

Marie-Hélène : C'est un futur parfaitement salubre...

Ne pensez plus à rien...

Axel : Souffrez que je respire !..

Je dois me confesser auprès du jeune abbé !

Restez avec les autres et je vous rejoindrai !

Marie-Hélène : Souriez !... Si pour moi votre cœur a flambé,

Ne me laissez pas seule... trop longtemps !... J'attendrai !

(entre à l'église Axel par cour ; il observe Léon, sans mot dire ; Léon ne le regarde pas)

Léon : Êtes-vous bien certain de ne pas la détruire ?...

Ne tendons pas de piège aux cœurs de nous si proches !

Axel : Je ne puis vous répondre et ne dois point lui nuire...

Écoutez-moi, Léon, et gardez vos reproches...

Vous revoir me tourmente et une confession

S'impose...

Léon : Axel, je crains...

Axel : Je vous prie de m'entendre !...

Je vois : je vous inspire une vraie répulsion !...

Votre âme consumée, trop fragile ou trop tendre...

Léon : Non! Parlons d'autre chose !

Axel : Ne fuyez pas vous-même,

Puisque vous me traitez de lâche en ayant fui !...

Par eux, par vous, sur moi se jette l'anathème !...

Je dois vous expliquer... Offrez-moi votre appui !

(Léon se retourne enfin vers lui et lui met une main sur l'épaule, puis se tourne côté public)

Léon : Je serai toujours là pour tenter de comprendre...

J'ai trouvé près de Dieu, la Joie et le Symbole

Qui donnent le courage de ne jamais se rendre !

Ainsi tins-je en respect cet amour que j'immole,

Pour conserver l'honneur et fuir la décadence,

Pour gagner les hommages et des hommes, et du Ciel,

Pour éviter de choir en parfaite impudence !

Je vous ai oublié, Monsieur ! C'est l'essentiel !

J'ai fait ce sacrifice !... J'ai tenu ma promesse

En entrant dans les ordres !... Je ne veux plus souffrir...

Axel : Qui vous a demandé une telle prouesse ?

Léon : Un vœu de ma Grand-Mère, au moment de mourir !

Axel : Fûtes-vous inconscient ?... Quel pesant mausolée

Exigea votre aïeule !... Perpétuelle allégeance !

Accepte-t-on jamais pareil serment, d'emblée ?

Vous avez présumé de votre résistance !

Resterez-vous candide quand, de son magistère,

Vous subirez la charge, de plus en plus pesante,

Festonnée de lumière, de bougies, de mystère,

De l'odeur de l'encens... mais ô combien glaçante !

Privé des affections tellement légitimes

Que votre esprit vaillant prétend escamoter,

Vous serez assoiffé de caresses intimes,

De moins en moins sagace !...Je vous sens grelotter...

Léon : Poursuivez donc, Axel ! vous ne sauriez atteindre

L'ineffable sagesse dont je suis habité !

C'est vaine tentative que me pousser à geindre !...

Je suis prêt à souffrir pour vous... et pour la Vérité !

Axel : Je ne vois plus de vous qu'un jeune prosélyte,

Que les pires aveux n’excorient qu'à demi !

Écoutez le malheur dont je suis l'acolyte :

Marie-Louise m'apprit, quand j'étais votre ami,

Il y a cinq ans donc, qu'après notre liaison

D'avant son mariage, elle enfanta Hubert !

Votre frère est mon fils !... Comprenez la raison

Qui me dit de m'enfuir pour éviter l'enfer,

Qui me fit répudier vos serments pubertaires !...

L'incestueux message, par mes sens entendu,

Réclamait son obole : Je devais me soustraire

A votre séduction... puis je vous ai perdu...

Il me fallait mourir pour que vous puissiez vivre !

Léon : Hubert, votre fils ?... Dieu !... Qu'ai-je failli commettre !

Axel : Je vais me marier, Léon ! Je dois poursuivre

La lignée de mes pairs...Je ne puis rien omettre !

Léon : Saurez-vous l'assumer ?

Axel : Avec la Volonté !

Nous n'épousons tous deux que des illusions !

Tout contribue à vaincre notre cœur indompté !

Il nous reste le choix de nos évasions.

Pourrons-nous naître un jour ?... Sans doute... un peu trop tard !... Condamnation des hommes ?... Condamnation de Dieu ?...

Qui est censeur ?

Léon : Votre question m'égare ! Prier reste le principal,

Axel : Merci "mon Père" ! Adieu !

Léon : (de loin, voulant le retenir)

Mon malheur fut ma mère !

Axel : Non ! Ne l'accablez pas !

Quelqu' autre eussiez-vous eue qu'ainsi vous songeriez !

On vous traita de fille depuis vos premiers pas,

Ignorant le sentier qu'enfin vous longeriez !...

Une mère possessive ? Un père trop absent ?

Voyons ! Hubert et Hugues en eussent aussi souffert !...

Léon, réfléchissez ! Acceptez cet accent,

Cachet de la nature par erreur entrouvert,

Dont le sceau est Amour, Musique et Poésie!...

C'est une différence dont nul n'est responsable,

Pas plus la parenté que votre comédie !

Évitez de chercher le petit grain de sable !

Et seul, vous vous blottîtes en les bras d'une mère

Disposée à vous plaire en son précieux giron !

Allons, séminariste, ne soyez pas sévère

Avec la vie ! Priez, bien plus que de raison !

(il sort par cour et croise Marie-Louise)

Scène 2

Marie-Louise: L'Elle, ne venez-vous pas nous rejoindre au château ?

Chacun compte sur vous, car c'est un jour de joie.

Pensez à vous y rendre avant que le gâteau

Ne soit servi. Allez ! laissez là votre Foi !

Léon : Axel va se marier, et votre amour est mort !

Marie-Louise : Léon, qu'entendez vous par là ? Bien entendu,

Et depuis vingt-sept ans !

Léon : Vous l'aimâtes à tort !

Marie-Louise : Mais enfin ma Chérie...

Léon : Vous m'avez pourfendu

En cachant que mon frère est son fils, une aurore

Pour vos beaux sentiments, ceux qui vivent de chair !

Marie-Louise : Axel vous a confié ce secret que j'adore,

Pour mieux vous consoler de votre amour à taire,

Qu'il a fallu cacher pour l'avenir des nôtres

Et de notre famille. Sans y être obligé,

Vous avez décidé de prier en apôtre,

Et de vous transcender pour guérir érigé.

A présent, assumez votre choix...

Léon : Disparaître

A vos yeux, en effet, prive les vérités

D'atteindre le donjon dans lequel votre maître

Entend bien vous soustraire à ces réalités !

Vous, l'athée de toujours qui ne croyez en rien,

Que préfériez-vous donc ? Que je devinsse qui ?

Un prêtre bien médiocre ? Un mari comédien ?

Un amoureux de l'homme que mon cœur a conquis ?

Marie-Louise : Je vous croyais guéri de toutes ces misères !

Léon : Mais on ne guérit pas des vœux de la nature !...

Même la volonté ne m'épargnerait guère...

Marie-Louise : N'exigez pas de moi de vivre en filature

De vos choix et instincts, et l'homme que j'aimais

S'est envolé, voilà ! Cessons cet entretien

Qui mène on ne sait où, sinon à...

Léon : Désormais,

Souffrez de me réduire à ces mots de Chrétien :

Je pardonne à ce monde d'exiger mon exil,

Afin que mon silence enfouisse le scandale...

Je verrai la colombe ériger l’Évangile,

Quand de ma tombe enfin, on scellera la dalle.

Adieu, ma Mère !

Marie-Louise : Sachez que je vous aime !

(elle sort à regret ; Léon reste de glace et s'agenouille)

Scène 3

Retrouverai-je un jour, l'alliance magique

Entre corps et esprit, en toute plénitude ?

Pourquoi rendre coupable une étrange attitude,

Si de l'amour divin, elle est autre logique ?

Depuis l'adolescence, en mes nuits, s'entrechoquent

Mes plus chastes pensées et mes folles chimères...

Les premières me guident plus loin que l'outremer...

Les secondes se rient de ce qu'elles provoquent !

Tantôt je joins mes mains pour prier à genou ;

Tantôt je les soumets aux caresses magiques !

Ainsi vogué-je troublé, entre Dieux et tragiques,

Entre l'amour coupable et celui qui renoue.

(il se relève)

La puissance des Croix apporte la liesse...

Elle hisse mon front jusqu'à celui du Roi

Du Ciel ! Mes yeux ruissellent de semences de Foi...

Je me sens ressaisi, grandi de hardiesse.

(comme coupable)

La jouissance des proies, cueillies dans la détresse,

Me glisse jusqu'au fond des plus sombres endroits

De fiel ! Mes yeux ruissellent de hontes hors-la-loi.

Je me sens dessaisi de tout, de ma noblesse...

(soudain regardant le ciel)

Et pourtant, je pourrais aussi bien imager

Le contraire, et pleurer la vertu assassine !

Je pourrais inverser la fleur et la racine,

Naître comme un vieillard, ou mourir en viager !

Et mon âme rirait des valeurs du plaisir

Que l'amour offre en gage à la fidélité ;

Jouir des lois physiques et de sexualité,

Ajoute une vertu à qui loue le désir !

Tandis qu'en la demeure du Dieu qui me refuse,

Des larmes destructrices atteignent le surmoi,

Rongeant tout dans leur chute, le courage et l'émoi.

Elles sèment le doute où le remord infuse...

(au pied du crucifix)

Aussi, ne sais-je plus guider mon devenir,

Entre l'airain des cloches et celui de l'amour.

Alors, si par bonheur, mon rêve voit le jour,

Si à ma vérité, Dieu veut bien consentir,

(il revient au centre, plein d'espoir)

A l'ombre du soleil et tout nacré de lune,

Je m'en irai frémir de son doux artifice...

Si c'est par un garçon que naît le maléfice,

J'accepte de noyer mon cœur en sa lagune !

A moi, Astre de vie ! Perpétuelle envie !

Résonne d'espérance ! Délivre ma pudeur !

Je meurs à la tristesse et rit de la rumeur !

Je lui offre sans peur ma jeunesse meurtrie !...

Scène 4

(entre Victor par cour)

Léon : Victor ! quelle surprise ! Aurais-tu besoin d'aide ?

Victor : Je viens souvent prier sur la tombe altière,

Un but, où mes bouquets échoient et se succèdent,

Comme avant, auprès d'elle, comme c'était hier.

Et là, j'ai rencontré votre petit frère, Hugues.

Il m'a mis au courant de toutes les nouvelles,

Surtout du mariage, qui bien sûr vous subjugue

Aujourd'hui : et alors, à travers piloselles,

J'ai couru vous rejoindre, afin de confesser

Trois actes que j'ai tus, pour nos biens réciproques :

Le premier, je l'avoue, ne vaut pas de fesser

Celui qui, de vos flammes, sauva sans équivoque,

Votre recueil maudit, toute votre œuvre aussi...

J'ai lu tous vos poèmes et j'en suis imprégné,

Tant l'aisance a de poids, tant le style m'a conquis.

Je vous rends vos secrets et vos vers égrainés.

Léon : Oh Victor, quelle joie ! J'ai souvent regretté

Ce feu du diable, croyant qu'il avait disparu

Au milieu de mes robes !

Victor : Vous me l'avez prêté,

Voilà tout !

Léon : Ah! Merci ! Mon plaisir est accru,

Victor : Le deuxième acte pèse à mon cœur ; mon devoir

Oblige vérité, risque de vous briser.

Henriette recueillit, dès le tout premier soir,

L'adolescent enfui, sans culpabiliser.

Elle m'a accueilli dans son giron si doux

Qui souffrait de vous voir aussi anéanti.

Elle a beaucoup pleuré ces suites du courroux

Qui l'ont poussée au pire, au drame pressenti.

Car vous abandonner fut sa douleur finale !

Elle avait accepté de vous rendre à la mère

Qui vous a engendré, ce fut là sa morale :

Disparaître à vos yeux en souffrances amères !

Vous ne pouviez avoir deux mamans identiques...

Elle comprit les mots dictés par la comtesse

Avec vigueur ; elle tut ses larmes romantiques...

Elle mourut de langueur et d'immense tristesse,

Et sur son lit de mort, supplia de me taire,

Afin que, plus jamais, vous ne pensiez à elle...

Je n'ai pu lui promettre ce silence, ce sanctuaire,

Car vous deviez apprendre cette triste nouvelle.

(Léon s'effondre sur les dalles)

Léon : Henriette est morte ? Mais non ! Oh ! Ce n'est pas possible !...

Mais comment voulait-elle que j'oublie sa présence ?...

Depuis ma tendre enfance, elle est comme une bible,

Victor !... Son sacrifice fut vain ! Quelle sentence !

Victor : Monsieur Léon, courage ! Elle est auprès de Dieu

A poursuivre son œuvre, à couver votre vie...

Léon : Mais je n'ai plus de vie, Victor ! Tu vois, ce lieu

Détruit mes illusions et toutes autres envies !

A présent, laisse-moi ! J'ai besoin de prier

Pour me rapprocher d'elle et demander pardon...

J'ai besoin d'être seul et je veux supplier

Que mon amour coupable maudisse Cupidon !

(Victor se dirige vers la sortie, hésite puis se retourne)

Victor : Dernier acte, je vous dois secret de la comtesse.

(Il aide Léon à se relever et l'entraîne sur un prie-dieu, puis lit le mot que la Comtesse avait confié à Marguerite).)

"Victor, mon cœur se meurt et je vous abandonne.

Je confie au Seigneur le sort qu'il me réserve,

Et charge Marguerite de ce que je vous donne.

Faites-en bon usage afin qu'il vous préserve,

Et quittez ce château avant qu'on ne vous chasse.

Moi seule avais pour vous le regard d'une mère.

Et je sens aujourd'hui, que la mort me terrasse.

Vos bouquets chérissaient mes plaisirs, éphémères...

Je trouvais en vos yeux la pureté de l'âme,

Et je vous remercie. Devant l'éternité,

Ces instants de délice compenseront le drame.

Ne sachez gré de rien ! Par votre humilité,

J'ai découvert enfin ce qu'est la vraie richesse.

Jamais je ne pensais l'entrevoir ici-bas.

Mais avant que les ans ne vous ôtent jeunesse,

Veuillez ouïr un vœu. C'est un peu délicat..."

(Victor approche une chaise qu'il dispose à l'envers contre le prie-Dieu , comme un confessionnal ; noir progressif et éclairage juste sur la comtesse Valentine qui apparaît comme dans un songe au ras des coulisses ; la comtesse poursuit seule)

"Il me fera promesse ; et s'il ne peut pas vaincre

Les absurdes élans de ses sens invertis,

Il ira sublimer sa vie, et aussi craindre

De l'Enfer les assauts pour tous les pervertis...

Alors, il deviendra séminariste, puis prêtre,

Ou pourquoi pas évêque ? Il offrira à Dieu,

En plus du célibat, toute sa douleur d’Être

Ainsi ; je prie pour lui avant de dire Adieu !...

(Victor n'ose plus lire la suite et tend le mot à Léon ; la suite est dite au début par Léon puis progressivement par Valentine qui réapparaît )

Mais, s'il n'en a l'audace et non plus le courage,

Dites-lui que je l'aime et libère ses actes ;

Qu'il oublie ce serment, et vive sans carnage,

Un désir détourné, obéissant aux pactes

Des vraies fidélités. Et si Dieu n'est qu'Amour,

Alors, à ce niveau de Foi, hors des velléités,

Il pourrait entrouvrir Sa Cape à ce détour,

Et bénir ce désir né sans hérédité.

Après, vous serez seul à vous charger de lui...

Aimez-le comme moi et délivrez sa peine,

En révélant ces mots tirés de l'agonie.

Quoi qu'il puisse me promettre, que sa vie soit sereine.

Je ne sais pas encore s'il m'en fera serment

A cette heure...»

(Victor s'agenouille sur la chaise en face de Léon qui sanglote. Il reprend à son compte la fin du message, doublé comme précédemment par la comtesse))

Toutefois, j'ai repéré chez vous

La candeur identique et le même ferment...

La pareille nature et le semblable goût

Pour la virilité...

(Léon regarde Victor.)

Je me trompe sans doute,

Mais si ce n'est le cas, dans vos bras, enlacé,

Je veux qu'il s'abandonne, et devenez sa route !

Adieu ! Victor ! Adieu ! Le temps m'est effacé !...»

(Les deux garçons se dévisagent ; Léon dépasse son chagrin ; le spectre de la comtesse a disparu)

Victor La comtesse recueillit au château un enfant

Chassé de son foyer ; il venait d'avouer

Son penchant pour les hommes à un père étouffant !

Léon : Grand-mère n'aurait nullement rabroué

Cette quête d'asile. Oh oui ! Qui que tu fusses,

Elle aurait de son cœur, épanché le secours.

Victor : Je n'avais que seize ans !... Depuis que, sous Vénus,

J'avais vu, malgré moi, le ton de vos amours

Dans le petit jardin, je m'étais vite enfui,

Le cœur battant d'envie de remplacer Axel !

Depuis mon arrivée, c'est vous qui, jour et nuit,

Inspirez des douceurs dont vous êtes le sel...

(Léon est abasourdi)

Je vous ai tu ceci, car jamais je ne crus

Au pouvoir de mes vœux sur des gens de noblesse !

Alors, devant la grille, j'apparais en intrus !

Pardon, mais je vous aime, en silence, en caresse

Intérieure ; et veillez à ce que le bonheur

Montre sa voie limpide...

(Victor s'apprête à quitter la chaise)

Léon : Donne tes lèvres pures !

(Victor hésite jusqu'au au dernier moment, il se lève en fixant Léon)

Tes paroles suffisent à glorifier ton heure,

Et je crois que je t'aime !

(Victor court et disparaît par cour ; Léon se relève et hurle dans sa direction)

Et même j'en suis sûr !

(il se précipite vers la sortie puis recule comme épouvanté ; alors il s'agenouille sur le prie-dieu et s'adresse à l'organiste)

Léon : Pardon ! Et maintenant, Dame Joëlle, à l'orgue !

Offrez-moi un concert ! Donnez sur le plein jeu !

Chassez cette tristesse, l'ambiance de morgue !

Jouez une musique qui m'approche de Dieu...

Voix d'Axel en off

Privé des affections tellement légitimes, vous serez assoiffé de caresses intimes.

Voix de Valentine en off :

Dans vos bras enlacé, je veux qu'il s'abandonne, et devenez sa route.

(Léon se redresse comme un fou et hurle en se dirigeant vers la sortie)

Léon : Attends !...Attends, Victor !

(la gorge nouée) Tu vois bien que je t'aime!

(puis il revient)

Pardonne-moi Seigneur ! Souffre que je l'embrasse !

Puis-je vraiment le suivre ? N'est-ce pas un blasphème ?

(il se tourne vers le crucifix, suppliant)

Mais Jésus ! Parle-moi ! Que veux-tu que je fasse ?

(il s'agenouille à ses pieds, très affecté)

Comment suivre ses pas sans te décomposer ?

(Victor réapparaît ; Léon se retourne et le regarde avec adoration ; il lève ses bras à la fois vers le ciel et vers Victor qui s'approche et le serre par derrière en l'embrassant ; Léon semble paralysé)

Je confie notre Amour aux visions de Cassandre... (en pleurs)

Je vous aime tous deux, pourquoi vous opposer ?

(se tournant vers Victor)

Car si tu es Eros, je serai Alexandre !

(envolée de l'orgue )

rideau

Fin de l'acte IV

Fin de la pièce


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