Scène 1 : Eugénie / Léontine
Léontine / Alors ? Elle est t'y réveillée ?
Eugénie / Toujours pas.
Léontine / T’as essayé d’la secouer !
Eugénie / Y’a rien à faire.
Léontine / En plus, elle ronfle. Et ça réveille tout l’monde.
Eugénie / Si ça s’trouve, elle fait semblant d’dormir.
Léontine / Si on m'laissait faire, moi, c'est avec un seau d'eau que j'te la réveillerais.
Eugénie / C’est pas d’sa faute
Léontine / C’est pas d’sa faute ! Tous les matins, mad'meuselle fait la grasse mâtinée. Résultat, on attend mad'meuselle, et après, on s'couche à pas d'heure.
Eugénie / C’est vrai que nous, on n’a pas l’temps d’dormir.
Léontine / Déjà qu'y faut qu'on s'lève avant l'coq.
Eugénie / Elle croit qu'un «pince» charmant va v'nir la réveiller. Ah les filles, c'est qu'c'est bête à c't'âge là.
Léontine / Moi, j'rêve souvent d'un pince charmant. Même quand j'dors pas.
Eugénie / Moi, j'rêve le moins possible.
Léontine / Un prince charmant, c'est joli à r'garder. c'est bien habillé, ça a un cheval, ça a des sous, ça fait plein d'enfants et après ?
Eugénie / Ça fout rien du tout.
Léontine / Des princes charmants, dans la région, doit pas y'en avoir des tonnes. (Elle regarde le public)
Eugénie / (Elle regarde aussi) En même temps, quand tu vois la tête des princes charmants du coin, t'as pas envie de t'réveiller.
Léontine / Surtout qu’y’en a qu’ont une tête à dormir debout.
Scène 2 : Eugénie / Léontine / Médecin
Médecin / (Un médecin entre) Bonjour mesd'moiselles ! (Le médecin est myope)
Léontine / T'as entendu ? Il m'a app'lé mad'meuselle.
Eugénie / Et ben la d'meuselle, y'a longtemps qu'elle a perdu.. son..
Léontine / Ses illusions !
Eugénie / Et maintenant, elle a plus grand chose à perdre.
Médecin / Vous savez. Pour moi, vous faîtes jeune. Alors, c’est normal que j’vous appelle comme ça.
Léontine / Ben quand même, ça fait toujours plaisir.
Eugénie / Tu sais Léontine, on s’rait vielles, et bien il nous appellerait pas.
Médecin / Lui.. Euh.. Je viens pour voir la jeune marquise.
Léontine / Vous êtes t'y un pince charmant ?
Médecin / Est-ce que j'ai l'air d'un prince charmant ?
Eugénie / J'peux pas dire, j'en ai jamais vu.
Médecin / Je suis médecin. Et je viens pour examiner la jeune marquise.
Léontine / Et vous allez l'examiner où ?
Médecin / Dans sa chambre.
Eugénie / A cette heure, c'est qu'ça dort encore.
Médecin / Je viens justement pour ça.
Léontine / Vous êtes au courant
Médecin / Sinon je n’serais pas là.
Eugénie / Faut quand même qu’on vous dise ! Y’en a plein qui sont v’nus avant vous. Et ben il sont r’partis comme ils sont v’nus.
Médecin / On me l’a dit.
Léontine / Faut dire que mad’meuselle, c’est un cas
Eugénie / Un grand cas !
Médecin / Oui.. Euh.. Avant, j'aimerais visiter les lieux.
Léontine / Vous voulez visiter ?
Médecin / En effet, connaître l'endroit où vit le malade est primordial lorsque l'on désire identifier les symptômes dont souffre le patient.
Léontine / Qui qu'y dit ?
Médecin / Savez-vous que souvent, l’endroit où on habite a une influence sur la santé. Par exemple, si vous êtes né dans un pays froid, vous serez moins sensible aux basses températures. Et si vous êtres né dans un pays chaud, vous supporterez mieux la chaleur.
Eugénie / J'comprends rien à son charabia.
Médecin / Tout cela est très simple. Par exemple, sans noisettes, les écureuils mourraient de faim. Et donc, ils habitent près des noisetiers.
Eugénie / Vous voulez des «nouésettes» ?
Médecin / Non. Il s'agit d'une métaphore.
Léontine / Une méta quoi ?
Médecin / Une métaphore.
Léontine / Ça s'soigne t'y ?
Médecin / Une métaphore, une formulation poétique pour dire en simples mots la complexité des choses dont nous nous entretenons.
Léontine / Qui qu'y dit ?
Eugénie / J'en sais rin. Mais j'vas prév'nir madame. En attendant, t'y fais voir tout c'qui y'a à voir, mais ça m'étonnerait qu'y trouve des écureuils. (Eugénie quitte la pièce)
Scène 3 : Léontine / Médecin
Médecin / Cette pièce n'est elle pas un peu fraîche ?
Léontine / Ça c'est sûr, et l'hiver, c'est comme dans la glacière. Heureusement qu’on fait du feu.
Médecin / Bien sûr...
Léontine / Et pourtant, on est nées dans l’coin.
Médecin / Bien sûr. Et vous n’avez pas chaud
Léontine / Sauf quand on va chercher l'bois, on n'a pas l’temps de r'froidir.
Médecin / Et les autres pièces ? Sont-elles aussi froides ?
Léontine / Ça dépend. Des fois, on a chaud.
Médecin / Vous avez chaud quand ?
Léontine / L’été.
Médecin / Bien sûr..
Léontine / Et des fois, on a tiède.
Médecin / Savez-vous que l'écart de température peut être très embarrassant pour la jeune marquise ?
Léontine / Ah bon ?
Médecin / Tout à fait ! Il y a eu des recherches
Léontine / Ils ont trouvé quelque chose ?
Médecin / Ils ont trouvé les causes de la situation. L’écart entre le chaud et le froid.
Léontine / Ah bon ? Alors, si mademoiselle dort, c'est pac'qu'elle a trop chauffé pis qu'elle a trop r'froidi ?
Médecin / C'est possible. Il faut faire attention aux coups d'froid comme aux coups d'chaud.
Léontine / Ma mère, chaque fois qu'elle a eu un coup d'chaud, neuf mois après, on était un d'plus !
Médecin / Je vois.. Et pour la nourriture, la jeune marquise mange quoi ?
Léontine / Elle, on lui donne du lapin.
Médecin C’est bien, le lapin.
Léontine / Pardi qu’c’est bien. Nous, c’est surtout des carottes.
Elle baille
Médecin / Vous baillez ?
Léontine / C'est pac'que j'me lève tôt.
Médecin / Peut-être le mal de mademoiselle la Marquise est-il contagieux. Je vais vous examiner.
Léontine / Pas question que j'me déshabille ! Ma parole, on s'croirait dans l'pavillon du garde-chasse
Médecin / Le garde-chasse ? Il est médecin ?
Léontine / Non, mais il connaît plein de remèdes de bonne femme
Médecin / Un charlatan ! Évidemment. Allons, laissez-moi vous regarder dans la bouche. Ouvrez !
Léontine / Je préférerions la fermer.
Médecin / Ouvrez vous-dis-je. (Léontine ouvre la bouche. Le médecin regarde dedans). Fermez ! .. Je ne vois rien d'anormal là d'dans. .. Maintenant dîtes Ah.
Léontine / Ah.
Médecin / Bien. Faîtes voir vos yeux. (Léontine ouvre grand les yeux) .. Les yeux ont l'air bien. (Il va vers le public et regarde ceux des spectateurs. Improviser en conséquence) Normalement, y'a toujours un p'tit quelque chose dans les yeux qui dit s'ils sont bons ou pas. Comme une lueur d'intelligence.. (Regardant le public) Y'en a pas partout.. .. Laissez-moi vous jeter encore un œil.
Il s'approche à nouveau de Léontine, Eugénie entre.
Scène 4 : Léontine / Médecin, Eugénie
Eugénie / J'voudrais point vous déranger dans vos travaux, mais la fille de madame réclame aussi des soins.
Médecin / C'est que votre amie ne m'a pas l'air très bien.
Eugénie / Elle est jamais bien ! C'est son état normal.
Léontine / Depuis que j'vous ai vu, docteur, j'crois bien que je suis tombée malade.
Médecin / Il faudrait qu'elle s'allonge.
Léontine / C'est ça, faut que j'm'allonge.
Eugénie / Elle a qu'à aller dans la chambre jaune. Moi rien que de m'y allonger dix minutes, ça m'requinque pour la semaine.
Léontine / J'y vas. Et j'vas dormir à toute vitesse pour rev’nir te donner un coup d’main.
Léontine quitte la pièce
Médecin / Alors.. Voyons si vous n’auriez pas quelque chose à r‘garder d’plus près.
Eugénie / Vous voulez r’garder quoi ?
Médecin / La bouche. Ouvrez !
Eugénie / Faut-il payer ?
Médecin / Nullement ! Je veux seulement être sûr que vous allez bien.
Le médecin s’approche de Léontine d’une façon un peu insistante.
Scène 5 : Médecin / Marquis / Eugénie
La marquise entre
Eugénie / Euh.. Monsieur !
Médecin / Vous ne voyez pas que je travaille ?
Marquise / Hum hum !
Eugénie / Madame la Marquise, monsieur.
Médecin / Euh.. Oui. (Il se retourne) Madame la Marquise !
Marquise / Ah, mon ami. Je vous espérais tellement.
Médecin / Madame, lorsque j'ai su, je n'en dormais plus.
Marquise / Vous aussi ?
Médecin / Madame, j'ai juré de soigner, et même de guérir.
Marquise / On m'a rapporté que vous vouliez aussi examiner l'ameublement ?
Médecin / Oui madame. C'est très important l'ameublement. Vous n’imaginez pas comme peut se propager une maladie. Par exemple, cela peut provenir d'une chaise ou d'une cuillère, on ne se méfie pas assez des cuillères.
Marquise / Ou du lit.
Médecin / Bien sûr madame. Savez-vous que beaucoup de gens meurent dans leur lit. Quand on y pense, cela fait peur.
Marquise / Et moi qui me couche tous les soirs ! C'est très inquiétant.
Médecin / (Il aperçoit des épées) Oh ! Tous ces trophées, ces épées.. (Ou autres objets)
Marquise / Il faut bien que les hommes s'occupent. Ils ne vont pas faire de la dentelle.
Médecin / Madame. Je m’ébahis devant tant d'exotisme. (Le médecin baise la main de la marquise puis s'essuie la bouche avec un mouchoir).
Marquise / Mais que faîtes vous ?
Eugénie / Pour qué qu'y fait l'ménage ?
Médecin / N'y voyez aucune malice, mais tant que je ne saurai d'où vient le mal qui encombre votre fille, je me dois d'observer les précautions d'usage.
Marquise / Je ne pense pas que ma fille soit contagieuse. Savez-vous que son père était ainsi.
Médecin / Son père. Il dormait tout le temps ?
Marquise / Il ne quittait pas le lit. Il y a passé sa vie.
Médecin / Le pauvre homme ! Il a dû beaucoup souffrir.
Marquise / Beaucoup moins que ses servantes.
Eugénie / Ça c'est sûr.
Médecin / Il réclamait beaucoup de soins.
Eugénie / Jour et nuit.
Médecin / Mais pour votre fille, peut-être est-ce seulement un empêchement qu'elle aurait dans la tête.
Eugénie / Ou ailleurs..
Médecin / Oh ! Tous ces objets, c'est très tropical. Je vois ici de l'espagnol, de l'égyptien, de l'asiatique..
Marquise / Notre famille est très voyageuse. Nous ramenons toujours des souvenirs.
Médecin / Ou des maladies. Madame, avez-vous vous déjà entendu parler de la mouche Tsé-tsé ?
Marquise / La mouche Tsé-Tsé ? Quel drôle de nom pour une mouche !
Médecin / N'est-ce pas. Il suffit que l'un d'elles vous pique, et vous êtes alors gagnée par une sorte de langueur qui vous rend tout à fait molle.
Marquise / Mais quelle mouche aurait piqué ma fille ?
Eugénie / Ça dé être une grosse mouche...
Scène 6 : Médecin / Marquis / Eugénie / Prince charmant / Léontine
A ce moment, un prince charmant entre
Prince charmant / Euh.. Si je puis me permettre ?
Marquise / Mais ? Comment ? Qui êtes-vous ?
Prince charmant / Madame, pardonnez mon intrusion. Mais dès que j'ai appris pour mademoiselle votre fille, aussitôt j'ai accouru.
Marquise / Vous avez accouru ?
Prince charmant / Je ne pouvais perdre une minute.
Marquise / Nous ne sommes pas à une minute près. Depuis le temps que ça dure..
Prince charmant / Pour moi, c’est une éternité. Aussi me suis-je empressé jusqu’ici, et vos gens m'ont mené directement à la chambre.
Marquise / Pardon ? Vous êtes entré dans la chambre de ma fille ?
Prince charmant / Il le fallait.
Marquise / Et vous l'avez..?
Prince charmant / Bisée. Un seul baiser. (Au public) En général, un seul baiser suffit.
Marquise / Vous avez embrassé ma fille ?
Prince charmant / Dans son intérêt madame. Et s'il le fallait, je suis prêt à recommencer.
Marquise / Mon Dieu ! Vous étiez dans sa chambre avec ma fille !
Prince charmant / Et je l’ai réveillée ! Je suis très bon au réveil.
Marquise / Vous l’avez réveillée !
Prince charmant / On peut dire cela.
Léontine / (Léontine entre) Que madame m'excuse, mais c'est moi qu'il a réveillée. C'est parce que j'étais dans la chambre vu que j'avais eu une attaque de flemmingite "assoupissommante". Et hop, j'étais à peine allongée, que j'fermais les yeux.
Prince charmant / Comment ? Cette personne ne serait pas la bonne ?
Eugénie / Ben justement si. C'est la bonne.
Prince charmant / Quelle horrible méprise !
Léontine / Horrible ? Il s'est pas r'gardé !
Marquise / Suffit, Léontine !
Médecin / C'est très intéressant.
Prince charmant / Je vous prie de m'excuser madame, mais je ne savais point.
Marquise / Confondre ma fille avec une servante ! Quelle honte ! Monsieur ? Vous êtes un.. ?
Prince charmant / Un prince charmant. Toute l'année, j'arpente des contrées sauvages, et c'est ainsi que j'ai appris qu'une jeune marquise était frappée par cette mollesse extrême qui fait que ces demoiselles ne veulent plus quitter la chambre, et ne consentent à faire quelque chose que si ça peut se faire couché.
Marquise / Mon Dieu ! Alors vous êtes un de ces spécialistes..
Prince charmant / J’ai cet avantage..
Médecin / Madame ! La médecine. La science.
Marquise / Merci. Je suis au courant.
Prince charmant / C’est comme un don
Marquise / Intéressant.. Mais ? N'êtes vous pas un peu jeune pour être prince charmant ?
Prince charmant / Madame, j’ai suivi des cours.
Marquise / Vous avez suivi des cours..
Prince charmant / Et j’apprends vite.
Marquise / Dans ce cas, peut-être pourrez vous me faire également quelque chose ? Le simple fait qu'elle dorme m'empêche de dormir.
Prince charmant / Madame, s’il le faut, pour vous réveiller, j’y passera la nuit.
Médecin / Madame, la médecine est tout à fait capable de s’en occuper.
Marquise / (Au médecin) Savez-vous embrasser, monsieur ?
Médecin / Je pratique très peu cette médecine, mais peut-être pourrais-je m'y essayer ?
Il se rapproche de la Marquise avec un petit air lubrique. Celle-ci s'éloigne.
Marquise / Voyons monsieur.. Ce n'est point l'heure de vouloir m'examiner.
Médecin / Madame, je ne puis plus longtemps vous laisser souffrir..
Marquise / Vous êtes bien aimable, mais ce jeune homme semble s'y entendre. Alors, puisque nous avons un prince charmant de passage, ce serait dommage de ne pas en profiter.
Prince Charmant / Madame, je ferait le maximum.
Médecin / Et vous en avez réveillé beaucoup ?
Prince charmant / J'en ai réveillé trois depuis le début de l’année, mais des fois, je rechigne.
Marquise / Vous rechignez ?
Prince charmant / Parfois, je les laisserais bien dormir. Mais ce ne sera pas le cas avec votre fille. Madame, rien qu'à vous contempler, j'en déduis que votre fille mérite qu'on la réveille tous les jours.
Marquise / Vous voyez, docteur ? Déjà, rien que ces mots, ça réveille..
Médecin / Madame, un bon mot ne suffit pas pour soigner de mauvais maux.
Prince charmant / Madame, vous servir est mon plus cher désir.
Marquise / Oui... Mais.. Comprenez-moi, je ne peux décemment laisser entrer n'importe qui dans la chambre de ma fille.
Prince charmant / Bien sûr madame. Il y va de sa réputation.
Marquise / Et de la mienne.
Prince charmant / Madame, tant de jeunes filles nous espèrent ; un prince charmant se doit d'avoir un comportement exemplaire.
Marquise / Et vous m'assurez l'efficacité de votre méthode ?
Prince charmant / Il ya très peu de gâchis.
Marquise / Parce que.. Voyez-vous.. Lorsque monsieur le Marquis entreprend de me réveiller, savez-vous que j'ai tendance à m'assoupir.
Prince charmant / Madame. Désirez-vous que je vous bise ?
Marquise / Mais ? Je ne dors pas.
Prince charmant / Oui, mais je peux aussi vous empêcher de dormir.
Marquise / M'empêcher de..? Je m'égare, je m'égare ! Pensons à ma fille.
Prince charmant / Naturellement ! Et où donc se situe t'elle ?
Marquise / Dans son lit. D'ailleurs, je vais vous y conduire.
Médecin / Au cas où, je peux venir ?
Marquise / Plus tard mon ami. Plus tard. Vous constaterez le résultat.
Médecin / Bon. Et bien, pendant ce temps là, je vais jeter un œil à cette chambre. Peut-être y trouverais-je la cause de l'endormissement de votre enfant. (Il regarde à l'intérieur) Oh la la. Cela ne m'inspire rien de bon. Quel bazar ! (Ils quittent la pièce, sauf Eugénie et Léontine)
Scène 7 : Eugénie / Léontine
Eugénie / Alors ? C'est l'pince qui t'a réveillée ?
Léontine / Oui. Et y réveille drôlement ben.
Eugénie / Et alors ?
Léontine / Et ben c'est tout. Il n'a fait que m'réveiller.
Eugénie / C'était bien la peine d'être couchée.
Léontine / Pourtant, au début, j'ai fermé les yeux pour voir jusqu'où qu'il pouvait aller pour me réveiller.
Eugénie / Il est allé jusqu'où ?
Léontine / Il est pas allé loin.
Eugénie / C'est peut-être un prince charmant, mais c'est surtout un roi fainéant.
Léontine / Ceci dit, y réveille moins bien que l'garde-chasse.
Eugénie / Oui, mais faut bien changer d'temps en temps.
Léontine / Et l'médecin ! Tu l’as vu, l’médecin ? Rien qu'à l'voir, tu tombes malade
Eugénie / C'est sûr qu'avec un médecin comme ça, faut mieux être en bonne santé.
Léontine / Attends ! Je crois bien qu'y r'vient. On va faire comme si qu'on dormait.
Eugénie / Mais on n'a pas d'lit.
Léontine / T'occupes. Tu fais comme si tu dormais d'bout.
Scène 8 : Eugénie / Léontine / Médecin
Ils ferment les yeux. Le médecin entre. Elles semblent dormir
Médecin / Et bien. Que se passe t-il ? (Il s'approche) Oh la la. Ça doit être une épidémie. Voyons voir..
Le médecin s'approche ; elles ouvrent les yeux et poussent un cri
Eugénie / Oh. Vous m'avez fait peur, docteur !
Léontine / Et moi alors ! C'est pas des choses à faire !
Médecin / Je pensais que vous aussi, vous aviez attrapé cette curieuse maladie.
Léontine / C'est encore la fatigue, docteur.
Médecin / Et c'est moi qui vous a réveillées !
Eugénie / Ça doit être à cause de votre haleine
Médecin / Mon haleine ? Qu'a donc mon haleine ?
Léontine / Elle est pas gentille.
Eugénie / P't'être même qu'elle serait mauvaise.
Médecin / Mais ? Comment ? Soyez plus précis
Léontine / On s'croirait dans une écurie.
Eugénie / P't'être que ça donne une santé d'cheval (Elles rient)
Médecin / J’ignorais que je pouvais guérir ainsi.
Léontine / Moi, je vous conseillerais des bains d’bouche, docteur.
Eugénie / Et p’t’être même de s’laver les dents.
Médecin / En tout cas, cela vous a réveillées. Comme quoi, l'homme de science peut tout guérir.
Eugénie / De toutes façons, on n’aurait pas dormi longtemps.
Léontine / Madame ne nous laisserait pas dormir
Eugénie / On bosse comme des malades.
Médecin / Comme des malades.. C'est très intéressant.
Eugénie / C’est pas si intéressant qu’ça.
Médecin / Et pour ce qui est de la jeune marquise, a t-on du nouveau ?
Eugénie / Il faudrait demander à madame. (Elle appelle la Marquise) Madame ?
Scène 9 : Médecin / Marquise / Léontine / Eugénie
Marquise / (Elle entre) Et bien ? Que signifie ? On m'appelle comme une servante ?
Léontine / C'est que madame, on s'inquiète.
Marquise / Ah oui ! Bien sûr.. (Elle va se placer derrière la porte de la chambre et écoute)
Médecin / Et bien, madame, que faîtes vous donc ?
Marquise / Taisez-vous mon ami. J'écoute.
Médecin / Vous écoutez ? Vous écoutez quoi ?
Marquise / Ce jeune homme est enfermé avec ma fille dans la chambre, je me dois de savoir.
Médecin / A mon avis, un simple baiser ne suffit pas.
Léontine / Moi, il m'a réveillée du premier coup.
Marquise / (Elle écoute toujours à la porte) Je me demande ce qu'ils fabriquent.
Médecin / Vous auriez pu rester dans la chambre.
Marquise / Surtout pas. Il paraît que cela le déconcentre.
Médecin / Mais vous ne craignez pas que ce jeune homme profite de la situation
Marquise / ll s'agit d'un prince charmant ! Un prince charmant ne profite jamais de la situation !
Eugénie / Ah bon ?
Médecin / Oui, mais votre fille ?
Eugénie / (En aparté) C'est qu'elle pourrait profiter..
Marquise / Voyons monsieur ! Ça se termine toujours bien avec les princes charmants.
Médecin / Vous ne voulez pas que je m'en occupe ?
Marquise / Vous ? Lui donner un baiser ?
Médecin / Madame, je viens à l'instant de dés-endormir vos servantes.
Marquise / De toutes façons, elles ne sont jamais très éveillées.
Léontine / Qui qu'elle dit ?
Eugénie / Dit rin, sinon on ira coucher dehors.
Scène 10 : Médecin / Marquise / Léontine / Eugénie
Fille de la Marquise / (La fille entre) Bonjour mère. Monsieur. Pardonnez moi si je baille encore.
Marquise / Ma fille ! Vous êtes enfin réveillée.
Fille de la marquise / Et oui. Et je peux le dire, je me sens en pleine forme.
Médecin / Vous êtes guérie ?
Léontine / (A Eugénie) Tu vé qu'ça marche.
Marquise / Vite, courez prévenir monsieur le curé. C'est un miracle !
Fille de la Marquise / Un miracle, oh non. C'est juste un homme.
Marquise / Il vous a embrassée ?
Fille de la Marquise / Oui. Et quand j'ai ouvert les yeux, je l’ai vu aussitôt.
Marquise / Il s’agit d’un prince.
Fille de la Marquise / Ah bon ?
Marquise / Il va bien ? Nous pourrions peut-être le voir ?
Fille de la Marquise / Vous pouvez, mais je crois qu'il va rester un bon moment au lit..
Marquise / Il va rester ? Vous allez vous marier ? Vous serez heureux et vous aurez beaucoup d'enfants !
Fille de la Marquise / Ah non ! Je suis beaucoup trop jeune pour ces enfantillages.
Marquise / Ma fille, auriez vous perdu la .. ?
Fille de la Marquise / La tête ! Ah non. Pas la tête.
Marquise / Pas la tête ? Mais que s'est-il passé ?
Fille de la Marquise / Il dort.
Médecin / Il dort ? Ainsi, il vous donne un baiser, et il attrape une maladie. C'est très intéressant.
Marquise / Docteur ? Vous croyez que ma fille serait.. contagieuse ?
Médecin / Je ne peux l'affirmer, mais il faudrait peut-être la laver, et bien frotter.
Marquise / Et le prince ?
Médecin / Le prince aussi.
Marquise / Justement, nous avons une baignoire. Nous pourrions le passer au savon.
Léontine / Faut-y que j'allions chercher la brosse au ch'val ?
Fille de La Marquise / C'est inutile. Je sais ce qu'il a.
Médecin / Vous savez ? Mais comment savez-vous que vous savez ?
Fille de la Marquise / C'est à cause de moi. Parce que quand il m'a donné un baiser, ça m'a fait un choc.
Médecin / Rien ne vaut un grand choc pour vous remettre sur pied !
Fille de la Marquise / Alors, j'ai ouvert les yeux..
Marquise / Et vous avez vu un prince charmant.
Fille de la Marquise / J'étais encore un peu endormie. Alors, je dois dire, quand je l'ai vu, j'ai cru que c'était un cauchemar ! Je l'ai pris pour un crapaud ! Mais, après la gifle que je lui ai envoyé, il n'est pas prêt de s'réveiller !
Médecin / Le malheureux. Nous ne pouvons le laisser dans cet état.
Marquise / Bien sûr. Nous devons l'examiner.
(Ils ouvrent la porte et regardent à l'intérieur
Scène 11 : Médecin / Marquise / Léontine / Eugénie / Prince charmant / Fille de la Marquise
Eugénie / C'est si mignon quand ça dort.
Léontine / Ça devrait pas grandir.
Eugénie / S'il faut embrasser, moi, je suis volontaire.
Marquise / Voyons Eugénie, je pense pouvoir le faire moi-même
Médecin / Malheureusement, je crains qu’il faille beaucoup plus qu’un baiser.
Marquise / C’est à dire..?
Eugénie / Dans c’cas là, j’passe mon tour !
Fille de la Marquise / J'ai une idée !
Marquise / Une idée ? Vous, ma fille ?
Fille de la Marquise / Si on chantait.
Médecin / Chanter ? Quelle drôle d'idée !
Fille de la Marquise / C'est sûr que ça va l'réveiller ! Mais alors, il faut chanter très fort.
Léontine / Ouvrir le clapet à fond.
Eugénie / Oh ben ça, la Léontine, elle connaît.
Marquise / Il faudrait une chanson.
Eugénie / J'en connais, moi des chansons ! «La boulangère a des écus.. !»
Marquise / Voyons Eugénie !
Léontine / Mé aussi, j'en connais. Sauf que ça donne plus envie de se coucher que d'aller au boulot.
Marquise / Voyons. Un peu de tenue ! Et réveillons ce jeune homme.
Fille de la Marquise / J'en connais une ! Mais je vous préviens, c'est une chanson moderne
Marquise / Mais nous sommes modernes. Allez, ma fille. Chantez.
La fille chante puis la chanson est reprise par les comédiens et le public
Fille de la Marquise / Aux marches du palais... Aux marches du palais.. Y'a une tant belle fille Lonla.. y'a une tant belle fille...
Tous reprennent la chanson et dansent
Tous / Elle a tant d'amoureux, elle a tant d'amoureux
Qu'elle ne sait lequel prendre Lonla, qu'elle ne sait lequel prendre
C'est un p'tit cordonnier, c'est un p'tit cordonnier
Le prince charmant entre
Prince charmant / Qu'a eu la préférence, lonla, qu'a eu la préférence.
Léontine / Il est réveillé !
Marquise / C'est merveilleux !
Médecin / Il faut continuer à chanter ! Une bonne chanson vaut une bonne infusion !
Tous reprennent la chanson et font la révérence à la fin
Tous / La belle si tu voulais, la belle si tu voulais
Nous dormirions ensemble, nous dormirions ensemble
Dans un grand lit carré, dans un grand lit carré
Couvert de toiles blanches, couvert de toiles blanches
Nous y pourrions dormir, nous y pourrions dormir
Jusqu'à la fin du monde, jusqu'à la fin du monde
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