La nuit de la corneille blanche

Dans une maison isolée, entourée d’un jardin fantastique, coincée entre deux lignes de train au fin fond d’une lointaine banlieue, une nuit glaciale voit se retrouver les protagonistes d’une histoire tragique : deux soeurs clandestines sans papiers, un inspecteur de police qui les traque depuis vingt ans, responsable de l’expulsion mortelle de leurs parents, et les esprits de ces derniers, régulièrement
appelés par la soeur aînée, adepte de spiritisme. Les événements se déroulent sous le regard rougeoyant de la corneille blanche, fidèle habitante de ces lieux.

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Scène 1

Dans la maison. Nathalia ravive le feu qui crépite dans la cheminée. On entend souvent un train qui passe rapidement non loin de la maison, avec parfois un sifflement. La corneille croasse. Nathalia rapproche la table de la cheminée et s'y assied. Elle prépare une séance de spiritisme et dispose différents objets sur la table.

Nathalia : Voilà. Les tarots, les verres, les boules en cristal, le tapis de feutre.

La corneille croasse.

Nathalia : Chut ! Tu dois faire silence à présent.

La corneille croasse.

Nathalia : Ah oui, les photos, bien sûr. Là et là.

La corneille croasse.

Nathalia : Chut ! Tais-toi je ne veux plus t'entendre. Je dois me concentrer.

Un temps.

Par les tarots des quatre soleils, par les boules de cristal aux quatre coins, je vous appelle, êtes-vous avec moi ?

Je mets les verres au centre du tapis. Par la transparence je vous demande si vous êtes là, répondez-moi !

La table bouge et tape trois fois.

Nathalia : Maintenant je mets les boules sur les portraits.

Esprit de mes parents, esprit de ma chère maman, esprit de mon cher papa, êtes-vous là ?

La table bouge et tape trois fois.

Nathalia : Je suis avec vous, moi Nathalia, maman, papa, êtes-vous ici?

L'esprit du Père : Là où nous sommes nous n'avons pas de repos.

L'esprit de la Mère : Un vent glacial nous ronge les os.

Nathalia : Je suis avec vous, je vous écoute, parlez-moi.

L'esprit du Père : Tant que la menace pèse nous continuerons d'errer dans les champs des morts et les forêts si sombres.

L'esprit de la Mère : Des morts, il y en a tant, il y en a eu tant, il y en aura encore.

L'esprit du Père : Fais bien attention à toi, la menace rôde.

Nathalia : Quel est ce danger ?

L'esprit de la Mère : Le monstre ne lâche jamais sa proie.

L'esprit du Père : Comme un loup enragé.

L'esprit de la Mère : Pourquoi es-tu revenue ici, tu n'es pas en sécurité.

L'esprit du Père : Fais bien le feu, fais bien attention à lui.

La corneille, par un croassement, trouble la communication.

Nathalia : Chut ! Esprit de mon père, esprit de ma mère êtes-vous là ?

La corneille croasse.

Nathalia : Tais-toi donc idiote, à cause de toi je les ai perdus !

La corneille croasse.

Nathalia : Quoi, qu'y-a-t-il ? Stupide bavarde, j'aurai dû t'enfermer !

La corneille croasse.

Nathalia : Oui j'entends bien, le vent souffle, la cheminée fume, et …

On frappe à la porte. Plusieurs fois. Nathalia rassemble en vitesse son matériel, se lève puis se dirige vers l'entrée, hésite. On frappe à nouveau. Elle ouvre la porte.

Scène 2

Nathalia : Youlia ?

Youlia : Salut soeurette !

Un temps.

Youlia : Quoi ? Tu me laisses dehors en pleine nuit ?

Nathalia : Entre. D'où viens-tu ?

Elle referme la porte derrière sa soeur.

Youlia : Ah ! Le feu dans la cheminée, la nuit est glaciale, putain ça fait du bien !

Nathalia : Tu étais où ?

Youlia : On ne se voit plus depuis deux ans et c'est la première question que tu me poses !

Nathalia : J'en ai une autre : Qu'est-ce que tu viens faire ?

Youlia : Qu'est-ce que je viens foutre ? Tu vois bien, je me suis paumée, alors je me suis souvenue de la maison et de ma gentille soeur aînée.

Nathalia : On ne se voit jamais par hasard.

Youlia : Je vois je t'ai dérangée en pleine séance de magie noire, tu pratiques toujours la sorcellerie ? Accueillants tes pentacles à l'entrée ! T'as toujours été cinoque toi ! Déjà quand t'étais petite, tu parlais toute seule avec tes poupées.

Nathalia : Toutes les petites filles font ça !

Youlia : Peut-être mais toi tu leur peignais des signes bizarres sur le corps, leur enfonçais des aiguilles et les enterrais dans des fourmilières.

Et avec qui tu parlais cette fois ?

Nathalia : Avec papa et maman.

Youlia : Ben tiens, papa et maman, rien que ça. T'es dingue ! Et ils disaient quoi ?

La corneille croasse.

Youlia : Putain de merde, la trouille ! C'est quoi ça un corbeau ?

Nathalia : Une corneille.

Youlia : Tu l'as peinte en blanc ma parole, dis-donc tu martyrises les animaux ? Tu vas lui faire quoi d'autre à celle-là ? Lui greffer une tête de Mickey?

Nathalia : C'est une corneille albinos.

Youlia : Merde pourquoi elle me fixe comme ça avec ses yeux rouges, elle me fout la mort ta bestiole !

Nathalia : Tu es pleine de frissons, ça va ? Viens assieds-toi près du feu.

Tu grelottes ma parole. Enlève ton blouson je vais te réchauffer. Mais tu n'as qu'un débardeur, pas étonnant !

Youlia : On... on m'a tout chouravé... au... squat... ils m'ont tout embarqué... tout... putain de putain... j'suis gelée...

Nathalia : Enlève ça je vais te frotter avec des huiles. Tu ne mets toujours pas de soutien-gorge, t'en a jamais mis je me rappelle, tu disais que c'était pour les pouffes...

Nathalie frictionne le torse de Youlia.

Youlia : Pour la drague et la baise c'est mieux...

Nathalia : Tu fais toujours... « ça » ?

Youlia : ... la came ça coûte, j'me démerde avec « ça » comme tu dis... j'suis glacée dedans... j'ai la trouille Nathalia, regarde... j'ai des bêtes dans mon dos, non ? Une « pute »... avec des bêtes qui me courent dessus !

Nathalia : Merde t'es en manque Youlia, t'as pas arrêté ?

Youlia : Il faut que tu me donnes quelque chose... on a une vie de merde non ? Moi dans des squats, la dope, et toi à te planquer ici avec tes esprits de malheur... ils ont pris mes chiens, tous les trois, ils hurlaient à la mort... j'étais complètement stone, j'pouvais rien faire, j'les entendais gueuler... le dernier il a trois mois à peine, on m'a dit qu'ils les avaient égorgés, mes trésors, j'ai pu que ça, pu que ça...

Nathalia : Tiens, mâche ça, lentement, ça va t'apaiser. Et mets ce gros pull. C'est pas possible comme t'as maigri !

Youlia : C'est comme ça depuis que papa et maman sont morts.

Nathalia : Tu avais un an, Youlia, et moi deux.

Youlia : Pourquoi on est obligées de fuir tout le temps, j'en ai marre, j'en peux plus !

Nathalia : Reste avec moi, ici ! C'était notre maison, non ? Pourquoi t'es pas venue avec moi ?

Youlia : C'est pas ma vie, ça, planquée bien au chaud entre deux lignes de chemin de fer, au fond d'une banlieue pourrie. Faut que je m'éclate la tête, que j'me défonce, c'est comme ça que je sens moins la douleur ! Dis, c'est efficace ton chewing-gum aux herbes de Provence...

Nathalia : Nos parents nous ont aimées ici, nous sommes nées là devant la cheminée, maman accroupie et papa qui la soutenait.

Youlia se lève.

Youlia : En cachette toujours en cachette ! Et puis toi avec tes esprits, tes élixirs ! Jamais je ne te supporterais, tu le sais bien, ma soeurette, ma grande soeur encore vierge, si pure, qui cultive son jardin magique, et moi la débauchée dégoûtante ...

Youlia se dirige vers la porte du jardin.

Nathalia : Non ! Pas la porte du jardin, Youlia !

Youlia : Et pourquoi donc ? Tu ne la fermes jamais à clé, si je me souviens bien.

Lorsque la cadette ouvre la porte du jardin, un souffle violent et des gémissements inquiétants se font entendre.

L'esprit du Père : Youlia, Youlia reste avec nous !

L'esprit de la Mère : Ma si petite, mon ange, écoute ta soeur !

Youlia referme brusquement la porte du jardin. Les bruits disparaissent.

Youlia : Ouf ! Toujours aussi effrayante ta jungle !

La corneille croasse plusieurs fois.

On frappe alors fortement à la porte d'entrée.

Scène 3

Nathalia : Merde ! Tu es venue avec quelqu'un ? On t'a suivie ?

On frappe à nouveau.

Youlia (troublée) : Non, non, enfin je crois pas, j'ai longé les voies ferrées, depuis la Cité des Lumières. Impossible !

Nathalia fait quelques pas puis ouvre la porte.

L’inspecteur : Bonsoir... heu... mesdemoiselles. Pourriez-vous m'accorder l'hospitalité ? Excusez-moi mais la nuit est glaciale et il se met à pleuvoir, alors si je pouvais... permettez...

Il entre et ferme la porte.

L’inspecteur : Je vous remercie.

Nathalia : Qui êtes-vous ?

L’inspecteur : Ah ! Ce bon feu ça réchauffe, j'avais bien vu de la fumée. Un voyageur. J'étais dans le train.

Nathalia : Il n'y a pas de gare ici.

L’inspecteur : Oui je m'en suis aperçu. Lorsque le train, dans lequel j'étais, s'est arrêté pour une raison que j'ignore – technique je suppose - je dormais. Je pensais être arrivé, alors dans un demi-sommeil je suis descendu, puis le train est reparti. Là j'ai compris qu'il n'y avait pas de gare. C'est idiot n'est-ce pas ! Perdu dans cette zone de banlieue, j'ai longé les voies et j'ai aperçu au bout d'un moment de la lumière et de la fumée en contrebas. Alors je suis descendu pour demander de l'aide.

Nathalia : Jolie histoire. Il n'y a que des grandes lignes qui passent, vous voyagez sans bagages ?

L’inspecteur : Je vois que vous êtes observatrice. Et bien non, enfin si ! Mais dans mon affolement je les ai oubliés, c'est bête je le reconnais bien volontiers.

Youlia : Et que comptez vous faire ?

L’inspecteur : Je ne sais pas du tout où je suis, alors je me disais que ce serait bien si je pouvais attendre le jour.

Nathalia : C'est une bonne idée en effet. Vous pourriez vous installer dans le fauteuil pour la nuit, c'est tout ce que je peux vous proposer.

Youlia : Mais Nathalia...

Nathalia (à Youlia) : Chut !

La corneille croasse.

L’inspecteur : Ainsi vous vous appelez Nathalia, c'est charmant!

Nathalia (troublée) : Heu... vous… vous avez mal entendu, « Nathalie », je m'appelle Na-tha-lie !

L’inspecteur : Ça me rappelle la chanson de Bécaud (il fredonne) « Elle avait un joli nom, ma guide, Nathalie ! » Ah ! Les pays de l'Est, la nostalgie, et ce bel accent slave que gardent les immigrés !

Nathalia : Heu... je vais faire une tisane. Vous prendrez bien une tisane, ça va vous réchauffer, quelle idée de voyager si léger.

Youlia : Oui une tisane, ma soeur est une spécialiste, vous verrez, elles sont délicieuses.

La corneille croasse.

Scène 4

L’inspecteur : Ainsi vous êtes soeurs, je me disais aussi, malgré vos couleurs de cheveux, vous avez bien quelque chose en commun, dans la voix ou dans le regard, celui d’un pays lointain. Vous ne devez pas avoir une grande différence d'âge, deux ans, voire un an peut-être ? Vous êtes un peu, comment dire, typées, non ? Intéressant.

Nathalia : Je vous sers, je vous l’ai faite bien serrée, elle réchaufferait un mort. Vous allez voir, le premier goût est un peu difficile mais après vous allez vous sentir mieux. Bien mieux.

L’inspecteur : Merci. Dites-donc, votre maison est bien planquée, avec toute cette végétation luxuriante autour ! Ah ! Effectivement cette amertume... Pas évident pour vous trouver.

Nathalia : Et qui voudrait nous trouver ?

L’inspecteur : Ah ben je ne sais pas, vous n'avez pas des amis, ou même vos parents, vous n'avez pas de parents ? Dites-donc la tisane, ce picotement, là, c’est normal ?

Youlia : Méfiez-vous ma sœur est peut-être une empoisonneuse…

Nathalia : Youlia !

La corneille croasse.

L’inspecteur : « Youlia », vous vous appelez Youlia !

Nathalia : Non non, pas du tout, elle s'appelle Julie, Ju-lie !

L’inspecteur : Ah ! Décidément je deviens sourd ! Ou c’est votre tisane…

Nathalia s’éloigne dans la chambre voisine.

Nathalia : C’est normal, surtout buvez-la jusqu’au bout, vous n’allez pas tarder à vous sentir mieux.

La corneille croasse.

L’inspecteur (à Youlia) : Youlia… heu je veux dire Julie bien sûr, la bestiole, là, qui me fixe depuis tout à l’heure, c'est bien une corneille blanche, n'est-ce pas ? Un phénomène rare que vous avez là, mais très répandu dans les pays de l'Est, étonnant, très étonnant !

Youlia : Vous êtes ornitho… machin chose ?

L’inspecteur : Disons que je pratique certaines recherches. Des disparu-es. Je veux dire des espèces, particulières qui disparaissent jeunes et qu'on retrouve parfois des années plus tard. Ah ! Je commence à me sentir mieux. Je suis en forme tout à coup, et léger, si léger.

 

Nathalia, depuis sa chambre diffuse une musique slave, entraînante. Puis elle entre dans la pièce. Elle est vêtue d’un costume de danse qui découvre son ventre nu ainsi qu’un décolleté provoquant.

Nathalia : Et cette musique-là, ça vous intéresse aussi ?

Youlia : Mais « Natha…lie » qu’est-ce qui t’arrive ? Ce costume de danse, tu… tu es presque nue…

L'inspecteur : J’ai… j’ai la vision qui se trouble, la fumée peut-être ?

Nathalia (aguicheuse) : Et alors ! C’est une honte peut-être de montrer son ventre et son décolleté à un invité exceptionnel qui est venu se perdre jusqu’à nous, qu’en penses-tu monsieur l’inconnu voyageur ?

L’inspecteur : C'est-à-dire… je… j’ai la tête qui tourne… je… je ne vois pas bien… oui oui vous êtes très… excitante….

Nathalia (entraînante) : Allez ! Allez viens danser monsieur le voyageur, danse avec moi, ce sera la plus belle nuit du monde ah ! ah ! Une nuit de délivrance et de révélation !

L’inspecteur (se lève) : Qu’est-ce… qu’est-ce que vous voulez dire ?

Nathalia : Ah ! Ah ! Allez, de la tisane, « Ju-lie » ! Encore de la tisane magique pour notre hôte, bois monsieur l’inconnu bois et oublie ! Oublie ! Oublie !

L’inspecteur : Je vois des nuages, des nuages multicolores !

L'esprit du Père : La danse ! La danse de la réconciliation !

L'esprit de la Mère : Comme à nos fiançailles ! Le bonheur comme récompense !

L’inspecteur : J’entends des voix maintenant !

Nathalia (elle l'entraîne) : Danse, danse monsieur l'égaré ! Ah ! Ah ! (à Youlia) Va te coucher Youlia, tu me relaieras au petit matin.

Youlia : Ouais, c’est ça, je ne vais pas tenir ta chandelle ma belle !

Scène 5

L'inspecteur est ficelé au fauteuil. Youlia lui chatouille le cou de la pointe d'un couteau.

La corneille croasse.

Youlia : Coucou monsieur l'inspecteur, on se réveille... le soleil se lève...

L’inspecteur : Hum... hum...

Youlia : Ah ! Ça chatouille ! La pointe du couteau, allez on ouvre les yeux !

L’inspecteur : Qu'est-ce... qu'est-ce que vous faites ? Hé attention !

Youlia : Pas bouger ! Surtout pas un geste brusque sinon couic ! La dague pénètre la peau et la carotide pissera tout ton sang !

L’inspecteur : Mais vous êtes dingue, pourquoi vous m'avez ficelé comme ça, je ne sens plus mes mains ni mes pieds ?

Youlia : Nathalia sait y faire, pas envie que vous lui échappiez, peut-être qu'elle va vous soumettre à certaines de ses expériences, c'est une vraie sorcière ma soeurette !

L’inspecteur : Pitié je vous en prie je ne suis qu'un simple voyageur !

Youlia : Arrête tes conneries monsieur l'inspecteur enfoiré ! Ah ! Tu ne lâches pas tes proies, tu n'as rien d'autre à foutre dans ta putain de vie, tu crois que tu mérites d'être encore vivant ?

L’inspecteur : Je.. je ne sais pas de quoi vous parlez je... aïe !

Youlia : Et ta carte de police, c'est quoi, des faux papiers ? Après avoir fait expulser nos malheureux parents il y a près de vingt ans, tu t'es mis à la chasse de leurs deux petites filles qu'ils avaient eu le temps de cacher, Nathalia et Youlia et tu nous as retrouvées, enfin ! Ça a dû être excitant toutes ces années, non ? Vingt ans ! Salopard !

L’inspecteur : Je.. je voulais vous aider, j'vous assure... à l'époque je ne voulais pas vous laisser aux mains des réseaux mafieux... je l'avais promis à vos parents, il y avait de grandes chances que vous finissiez droguées et... aïe !

Youlia : Putes ! C'est ça que tu veux dire, connard !

L’inspecteur : Vous.. vous êtes en manque... je … je peux vous aider vous savez, j'ai.. j'ai ce qu'il faut pas loin... venez avec moi, je vous laisserai tranquille je vous le jure... je vous donnerai ce qu'il vous faut...

Youlia : Et tu nous aurais livrées, même gamines, pieds et poings liés comme nos parents aux bourreaux fascistes de notre beau pays de l'Est !

L’inspecteur : Votre… la famille qui vous a cachées, votre famille adoptive est en danger...

Youlia : Quand on a senti ta traque se rapprocher, on s'est enfuies de chez elle.

L’inspecteur : La mafia les menace, si elle les trouve... vous devez m'aider à les protéger... aïe ! Arrêtez avec votre couteau...

Youlia : J'ai envie, j'ai envie de voir cette artère, là, ce pouls qui bat si fort qui veut vivre encore, il paraît qu'en quelques minutes on se vide de tout le sang... tu as de la dope enfoiré... et qui me dit...

L’inspecteur : Coke, héroïne, crack, extasy, subu... dans ma bagnole, je vous la donne et vous ne me reverrez plus !

Youlia : Pas confiance dans un flic, jamais confiance, des proxénètes, des dealers, j'ai trop envie d'appuyer là pour voir, juste pour voir, oui je suis une défoncée barge et j'en finirai avec toi, avec tous...

L’inspecteur : A... attendez je sais pour vos chiens !

Youlia : Quoi ? Dis connard, dis, vite !

L’inspecteur : Ils... il sont vivants, ils les ont vendus à un labo, il y a un trafic sur les squats, je sais tout ça, je sais où ils sont, dans un hangar, en attente ...

Youlia : Tu vas m'y emmener enfoiré, tu vas m'emmener immédiatement, et t'as pas intérêt à me raconter des bobards, je te libère et on file là-bas tu m'entends ! Et si tu déconnes je t'égorge sur le champ sale bâtard !

Youlia rompt les liens avec sa lame.

L’inspecteur : Oui, allez-y, coupez, je vous jure je disparaîtrai, attention avec la lame allez-y mollo... là... voilà... ah je respire... et... maintenant petite conne c'est toi qui va me suivre !

Une bagarre éclate au cours de laquelle L'inspecteur tente de saisir le couteau. La corneille croasse, affolée.

Youlia : Putain enfoiré, non... !

Mais Nathalia intervient et retourne la situation en sa faveur.

Nathalia : Hé ! Lâche-la salaud ! Lâche-la !

L’inspecteur : Bordel ! Ha !

Nathalia : Et tiens-toi à distance, j'te jure ou je te plante à l'instant, recule, allez recule, encore, encore !

Il y a vingt ans, quand t'as expulsé nos parents, tu savais qu'ils étaient condamnés, que les milices fascistes leur tomberaient dessus à l'aéroport ! Je ne te dis pas quel a été leur martyr !

L’inspecteur : Putains de sorcières, vous êtes coincées, je ne vous lâcherai plus, vous n'irez pas loin, vous êtes bonnes pour l'expulsion à votre tour ! Ah! Ah ! Vingt ans que j'attends ce jour ! Je vous ai retrouvées mes petites salopes sans papiers !

Nathalia : C’est ça ouais, en attendant c'est toi qui va foutre le camp et rapidos, mec, rapidos ! Là, derrière-toi, le jardin, la porte est ouverte, dégage ! Allez dégage !

Youlia : Mais...

Nathalia : Chut !

La corneille croasse.

Scène 6

L'inspecteur erre dans le jardin à la recherche d'une issue. Par moments, on entend des sifflements, soupirs, gémissements, des sons comme ceux d’une jungle...

L'inspecteur : Des p'tites connes, vraiment des p'tites connes, elles pensent qu'elles vont s'en tirer comme ça. Aïe ! Merde, putain de ronces, jamais elle l'entretient son carré ! Je vais te les expédier vite-fait dans leur pays moi ! Putain mais c'est la jungle ici, aïe ! (bruits) Hé c'est quoi ces bestioles, ça grouille, merde j'y vois que dalle, ça s'enfonce ici, chiotte, putain un marigot, c'est pas possible, par où je passe là, elles crèveront elles crèveront comme leurs parents, bordel, c'est où la sortie, bordel de brouillard, je suis trempé, mais je tourne en rond là, je suis où, chiotte de chiotte j'arrive pas à avancer, ces foutues lianes, (bruits) ah ! un serpent, c'est un serpent ! Enorme ! Hé ! Au secours ! Y a quelqu'un ?...

Dans la maison, près du feu, les soeurs se préparent à une séance de spiritisme.

Nathalia : Ah ! Ah ! Tu pensais vraiment que j'allais coucher avec lui ?

Youlia : Ben, vu ta tenue t'étais bien partie pour ça, non ? Ça a dû t'effleurer quelque part ?

Nathalia : Le jour n'est pas encore arrivé où j'offrirai ma fleur, soeurette. Bon, les tarots, il faut les mettre aux quatre coins du tapis de feutre, comme ça, et les boules de cristal sur les photos de nos parents.

Youlia : Ça me fout la peur ton truc ! T'es sûre que ça va marcher ?

Nathalia : Détends-toi, tu ne risques rien, papa et maman vont être heureux de t'entendre.

Youlia : Et l'autre, là, tu crois qu'on en a fini avec lui ?

Nathalia : Oh pour ça oui ! Avant qu'il ne trouve la sortie, il va errer des années et des années, au moins vingt ans ! S'il ne meurt pas de trouille avant !

On entend l'inspecteur hurler de frayeur dans le jardin.

La corneille croasse.

- FIN -


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