Comédie en 4 actes de Christian Rossignol |
Distribution
Aline De Bertignac, Comtesse de son état, mère de Josépha et belle-sœur de Proserpine. C'est une maîtresse femme un peu exubérante et au vocabulaire un peu décalé par rapport à sa position sociale. Elle lutte depuis des années pour sauver le château et le domaine viticole qui va avec. Elle n'a peur de rien et surtout pas des hommes.
Proserpine. Belle-sœur d'Aline, tante de Josépha, chercheuse excentrique et un peu folle à laquelle personne n'a jamais cru. Elle bricole depuis des décennies une machine à explorer le temps. C'est une sorte de Géo Trouvetout au féminin, incorrigible rêveuse mais d'une intelligence rare.
Josépha. Fille d'Aline, c'est une charmante jeune fille un peu chipie qui s'amuse à faire tourner Guylain en bourrique. Tout feu tout flamme, elle aime Guylain sans se l'avouer.
Guylain Dechancourt, séduisant jeune homme de condition modeste, amoureux de Josépha depuis l'enfance mais qui n'a jamais osé le lui avouer. C'est un timide maladif et un peureux congénital dont la langue fourche à la moindre émotion. Ami et cobaye de Proserpine.
Jean-Albert Pindrat. Négociant en vin, c'est un parvenu calculateur et cupide qui se donne de grands airs ridicules en parlant l'anglais avec un accent déplorable. Il veut par tous les moyens s'emparer du domaine de Bertignac.
Irène. Bonne à tout faire du château, plantureuse et provocante, pas très futée mais prête à toutes les bassesses pour satisfaire sa cupidité.
Gertrude. Gouvernante de Josépha qui n'a connu l'amour que dans les livres de messe. Stricte et coincée, niaise et bigote, elle finira un peu névrosée mais réellement amoureuse.
Adémar De Bertignac. Ancêtre d'Aline qui n'entre en scène qu'au deuxième acte. C'est un chevalier sans peur et sans reproche qui a plus l'habitude de hacher menu ses ennemis que de faillir à l'honneur.
Edgar Dunord. Adjudant-chef de gendarmerie. Il connaît Aline depuis la communale. Il se prend pour Sherlock Holmes mais il est loin d'en avoir l'intelligence. Il est vraiment fâché avec la langue française.
Fenouillet. Caricature de l'abruti en uniforme. Gendarme qui obéit aveuglément à son supérieur quand il en comprend les ordres, ce qui est loin d'être fréquent.
Figurants (facultatifs) : Des soldats du Moyen-âge, pillards et soudards de tous les acabits. Des servantes du château, constituant essentiellement le gibier des précédents. Seulement présents au tout début du deuxième acte.
NB : Les personnages se transforment selon l'époque et changent de patronyme mais gardent leurs traits de caractère dominants.
Décor unique mais évolutif
L'action se déroule toujours dans la même pièce d'un château du XIIIème siècle, quelque part aux environs de Périgueux mais à des époques différentes : actes 1 et 4 à l'époque actuelle ; acte 2 en 1450 et acte 3 en 1807. Le décor évolue donc dans le temps mais seulement par quelques éléments, le décor de base, c'est à dire l'essentiel, ne change pas comme le montrent les croquis ci-dessous. Les changements peuvent donc s'effectuer en quelques minutes.
Décor de base : pièce intérieure d'un château fort comportant cinq issues. Au fond, deux colonnes délimitent une large ouverture sur les remparts. Un passage est ménagé, à droite et à gauche entre les colonnes et les remparts.
Côté jardin comme côté cour, deux passages qui sont en fait des portes grandes ouvertes ou fermées.
Décor des actes 1 et 4, les éléments suivants sont ajoutés au décor de base :
- Sur les remparts, la verrière d'une serre moderne de couleur vive et quelques plantes.
- Sur les murs, des placages de fausses boiseries. Des appliques modernes, des armes anciennes, des tableaux dont le portrait d'Adémar (celui du comédien qui tient le rôle si possible.)
- Les portes au second plan sont fermées, l'une donne sur le labo, l'autre sur le boudoir.
- Les portes au premier plan sont ouvertes, l'une laisse apparaître le couloir qui mène aux appartements, l'autre le hall d'entrée.
- Mobilier moderne mais succinct : deux chaises, une table basse au centre ; un guéridon au fond.
Décor de l'acte 2, les changements sont les suivants :
- Les placages de fausses boiseries ont disparu ainsi que les appliques, les tableaux et les armes.
- Sur les remparts, la verrière a fait place à des créneaux.
- Les portes au premier plan sont dissimulées par des tentures.
- Les portes au second plan sont ouvertes, l'une laisse apparaître un passage qui mène au donjon, l'autre au reste du château.
- Aux murs, des fers, des armes, des torches…
- Aucun meuble.
Décor de l'acte 3, les changements sont les suivants :
- Les placages de fausses boiseries sont revenus.
- L'ouverture entre les colonnes est obstruée par un rideau.
- Les quatre portes sont fermées. Côté jardin, au premier plan, une porte inutilisée ; au fond, la porte d'une chambre. Côté cour au premier plan, la porte d'entrée ; au second la porte d'une autre chambre.
- Au mur, des tableaux dont, au fond, le portrait d'Adémar et celui de Napoléon Bonaparte.
Mobilier le plus simple possible : deux fauteuils (Empire si possible).
Note importante : Les disparitions des personnages se font grâce à un effet stroboscopique de quelques secondes (scène dans le noir et éclairage stroboscopique dirigé vers la salle). Il suffit qu'ils soient très près d'une ouverture, entre les colonnes du fond ou près d'une des portes ouvertes par exemple pour qu'ils profitent de l'effet pour sortir de scène.
ACTE I
Au lever du rideau, Guylain est seul. Il a un tout petit bouquet de fleurs à la main.
Guylain. - C'est aujourd'hui que je lui dis ! C'est aujourd'hui ou jamais. Dès que je la vois, je lui dis : Josépha, veux-tu m'ésouper ? Euh !… M'épouser ? Non... Josépha chérie... Non... Josépha, ma Josépha, veux-tu être ma femme ? C'est pas mal ça, non ? (Il se racle la gorge puis, plus fort :) Josépha...
Jo, entrant par la gauche de la serre avec un énorme bouquet de fleurs. - Ah c'est toi Guylain !
Guylain. - Non... Euh ! ... Si !… Josépha… (Il cache son bouquet.) Hum, hum ! Josépha, ma Josépha…
Jo. - Je te l'ai dit cent fois : appelle-moi Jo et pas Josépha. Josépha, c'est d'un ringard !
Guylain. - Ce prénom te va très bien.
Jo. - Dis tout de suite que je suis une vieille breloque !
Guylain. - Oh non ! Tu n'es pas du tout...
Jo, coquine. - Ah non ? Comment me trouves-tu alors?
Guylain, ému. - Très bielle, très bien, je te vroute. Je te trousse. Euh ! Je te trouve tès brelle, très belle.
Jo. - T'es mignon. (Elle l'embrasse sur la joue.) Tu voulais me voir ?
Guylain. - Non… Euh ! Si... Je voulais te dire... Euh !... Je voulais te dire... Bonjour… Et…
Jo. - C'est ma tante Proserpine que tu viens voir ?
Guylain. - Euh ! ... C'est à dire... Euh ! Oui ! Oui, oui, c'est Madame Proserpine que je viens voir.
Jo. - Comme tous les jours. Tu es devenu son disciple, ma parole ?
Guylain. - C'est ça.
Aline, off. - Josépha, viens ici immédiatement, j'ai à te parler !
Jo. - J'arrive, mère ! Je te laisse. Ma tante doit être dans son laboratoire. Bye ! (Elle sort par le couloir.)
Guylain. - Bye !... Et merde ! Je suis vraiment nul. Je n'ai encore pas pu... Bon, allons voir la foldingue. (Il se dirige vers la porte du laboratoire et frappe.) Madame Proserpine ! C'est moi, Guylain !
Proserpine, off. - Ah ! Bonjour mon petit Guylain ! Tu arrives juste à temps pour assister à mon nouvel essai.
Guylain, reculant, apeuré. - Un essai ? Un essai de votre machine ? Vous êtes sûre que...
Proserpine, entrant du labo, vêtue d'une combinaison pour le moins futuriste, excentrique et moulante. - Oui, oui, oui ! J'ai trouvé ! J'ai enfin trouvé ! Ça fonctionne !
Guylain. - Vous êtes certaine qu'il n'y a plus de danger ?
Proserpine. - Absolument certaine. Fais-moi confiance.
Guylain. - La dernière fois que vous m'avez dit ça je me suis retrouvé tout nu, perché dans le tilleul.
Proserpine. - La belle affaire ! C'était à cause du déflecteur moléculaire à basses fréquences qui était entré en distorsion asynchrone avec le générateur ionique de régulation séquentielle. C'est réglé depuis belle lurette, nom d'une éprouvette ! Regarde-moi cette merveille. (Elle tient à la main une pierre rouge.)
Guylain. - Qu'est-ce que c'est ?
Proserpine. - C'est la Pierre de Temps !!!
Guylain. - La quoi ?
Proserpine. - La Pierre de Temps ! C'est ce qui manquait à mon invention pour qu'elle fonctionne. La Pierre de Temps ! Un diamant unique, plus pur que les plus purs.
Guylain. - Fichtre ! Vu sa taille, vous avez là une fortune !
Proserpine. - Penses-tu ! C'est une bouteille de Coca-Cola que j'ai refondue. Mais je l'ai tellement travaillée, taillée, polie que je suis parvenu à la perfection.
Guylain. - A quoi ça sert ?
Proserpine. - A quoi ça sert ? Mais c'est l'élément essentiel de ma machine à explorer le temps voyons ! En bref, c'est un connecteur des espaces-temps expenso-référents.
Guylain, dubitatif. - Une bouteille de Coca ? (Il approche la main de la pierre.)
Proserpine. - Prends garde ! Le simple fait de la toucher te propulserait...
Guylain. - Dans le tilleul, je sais...
Proserpine. - Mais non ! Dans le passé, voyons !
Guylain. - Je ne voudrais pas vous froisser professeur mais... Une bouteille de coca…
Proserpine. - Puisque je te dis que ma machine fonctionne. Je l'ai essayée !
Guylain. - Vous l'avez... ?
Proserpine. - Parfaitement ! Hier, j'ai assisté au déjeuner d'Henri IV et au dîner de Cléopâtre.
Guylain. - Vous avez bien pris vos calmants aujourd'hui, Madame Proserpine ?
Proserpine. - Mais oui ! Ah, c'est agaçant à la fin ! Personne ne veut me croire? Je t'explique. Une fois revêtue de cette combinaison, il suffit que je touche la Pierre de Temps pour que je parte dans le passé, à la date que j'ai programmée sur mon navigateur !
Guylain. - Ben mon vieux ! Et ça fait pas mal ?
Proserpine. - Mais non ! On ne sent rien. C'est fantastique ! Te rends-tu compte que j'ai pu assister au quotidien de personnages historiques ?
Guylain, épaté. - Vous auriez pu discuter avec eux, les toucher ?
Proserpine. - Certes non ! D'une part, eux, ne peuvent, ni me voir ni m'entendre et, d'autre part, si je peux voyager dans le passé, je ne peux que l'observer. Je n'y suis qu'un être virtuel, sans consistance. Une sorte d'hologramme, et ça, grâce à ma combinaison supra-holographique. Viens m'aider, s'il te plaît. J'ai encore quelques réglages à effectuer pour une prochaine tentative. C'est surtout le dyschronosistographe à gravitation modulaire qui me joue des tours.
Guylain, inquiet. - Des tours ?
Proserpine. - Oh, des détails ! Hier, en allant chez Henri IV, j'ai croisé Napoléon dans son bain. J'étais un peu gênée. Viens. (Elle se dirige vers le labo.)
Guylain. - Napoléon ?… Mais bien sûr. (Il la suit.)
Proserpine, off. – Tu vois ce bouton ? Tu appuieras dessus quand je te le dirai. Tu n'as rien à craindre.
Jo, entrant, suivie d'Aline et de Gertrude. – Non, non et non ! Jamais je n'épouserais ce minable !
Aline - C'est bien ce que nous verrons !
Jo – C'est tout vu.
Aline. - Nous n'avons pas le choix. Tu sais très bien ce qu'il en est. Tu dois épouser Pindrat pour sauver Bertignac, le domaine et notre honneur. C'est d'ailleurs un peu le lot des femmes dans notre famille. Moi-même, lorsque j'ai épousé le frère de " Miss Tournesol", ce fut plus un coup de poker qu'un coup de foudre mais Bertignac fut sauvé, du moins pour un temps. Aujourd'hui, c'est à toi Josépha de...
Jo. - De me sacrifier et de passer à la casserole ?
Aline. - Il suffit ! Gertrude, je ne vous félicite pas. Vous êtes sensée avoir éduqué ma fille.
Gertrude – Mais Madame…
Aline. - Vous êtes sa gouvernante oui ou non ?
Gertrude. - Je puis assurer à Madame que je n'ai de cesse d'inculquer à mademoiselle son devoir envers sa famille et envers Dieu.
Aline. - Je ne sais pas ce que vous en pensez, vous là-haut, mais pour la famille, c'est pas le top !
Gertrude. - Oh ! Madame ! Vous blasphémez ?
Aline. - Je ne blasphème pas, je constate ! Vous êtes une incapable.
Jo. - Mère ! Gertrude n'y est pour rien.
Aline. - Tais-toi ! L'obéissance doit être la première vertu d'une jeune fille. Elle aurait dû te l'enseigner.
Gertrude. - Mais je l'ai fait, Madame…
Aline. - Pas assez ! Disparaissez !
Gertrude. - Bien Madame ! (Elle sort par le couloir.)
Aline, sonnant Irène. - Irène ! Irène ! Où est-elle, cette empotée ? Irène !
Irène, entrant par la droite de la serre. - Oui Madame ?
Aline. - Irène, rangez-moi un peu ce capharnaüm, voyons.
Irène. - Bien Madame…
(Boum !!!! Explosion dans le labo, fumée. Proserpine et Guylain entrent dépenaillés et noircis.)
Guylain, toussant. - Rien à craindre, hein ?
Proserpine. - C'est encore ce maudit transpondeur séquentiel qui fait des siennes.
Aline. – Mon Dieu ! Qu'avez-vous encore fait ? Sans doute étiez-vous encore en train de perdre votre temps dans ce que vous appelez votre laboratoire. Et avec ce blanc-bec, comme d'habitude. Ah, vous êtes dans un bel état !
Proserpine. - La science comporte quelques risques et…
Aline. - Tu parles d'une science ! Une suite d'élucubrations plus débiles les unes que les autres. Depuis près de trente ans que vous cherchez à inventer quelque chose vous n'avez encore rien trouvé si ce n'est votre célèbre redresseur de bananes.
Proserpine. - Détrompez-vous. Guylain peut en témoigner, je viens de faire la découverte du siècle. Que dis-je du siècle, du millénaire, de tous les temps !... C'est le cas de le dire. N'est-ce pas Guylain ?
Guylain. - C'est vrai, Madame Proserpine est sur le point de...
Aline. – Vous, silence ! Nous attendons incessamment Monsieur Jean-Albert Pindrat et je…
Proserpine. - Pindrat, ce parvenu ! Que vient-il faire ici ?
Aline. - Il m'a fait une proposition qui s'avère être la seule solution que nous ayons pour sauver le château et le vignoble, figurez-vous, chère belle-sœur.
Proserpine. - Nos finances sont donc si mal en point.
Aline. - Pire que ça ! Vous le sauriez si vous vous intéressiez un peu à ce qui vous entoure. Notre seule chance d'éviter la saisie, voire la prison, c'est d'accepter qu'il épouse Josépha.
Proserpine. - Non ?
Guylain. - Gloup ! (Il en tombe sur un siège.)
Aline. - Si ! Il en est éperdument amoureux. (Faussement douce :) Alors, essayez de reprendre figure humaine avant son arrivée. Quant à toi Josépha, prépare-toi à faire honneur à la famille et mets-moi ce freluquet à la porte s'il te plaît. (Hurlant :) Exécution ! (Elle sort par le hall et Proserpine par le couloir.)
Guylain, se relevant. - C'est vrai ça ? Tu vas épouser ce Pindrat ?
Jo. - Ma mère a contracté envers lui d'énormes dettes depuis des années. Il propose de les annuler si je l'épouse. Dans le cas contraire, il en demandera le remboursement immédiat ce qui signifiera la fin des Bertignac.
Guylain. – C'est terrible !
Jo. – A qui le dis-tu ? Mais je n'ai pas l'intention de me laisser faire sans combattre.
Guylain. - Bravo !
Jo. - Je suis heureuse que cela te plaise car tu fais partie de mon plan de bataille. Je ne pensais pas devoir le mettre à exécution si tôt mais… Irène, laissez-nous, je vous prie.
Irène. - Bien mademoiselle. (Elle sort dans le boudoir.)
Guylain. - Un plan dis-tu ?
Jo. - Oui, et radical… Épouse-moi !
Guylain, manquant de tomber. - Hein ?!!!!!!
Jo. - Ben quoi ? Si tu m'épouses avant lui, je ne serai plus celle qui ne veut pas l'épouser mais celle qui ne peut pas. Ça change tout. Il ne pourra donc pas, du moins je l'espère, mettre ses menaces à exécution… Et puis avec toi, je sais que ce sera pour rire et que je ne risquerai pas de...
Guylain. - De ?
Jo. - Il faut te faire un dessin ? De consommer le mariage !
Guylain. - Non, non, chien mûr… Sien bûr… Bien sûr.
Jo. - Bon. Il faut faire vite et... Attends un peu... (Elle se tait puis va ouvrir subitement la porte du boudoir derrière laquelle Irène était collée.)
Irène, entrant en trébuchant. - Que mademoiselle me pardonne, j'étais en train d'astiquer la poignée et...
Jo. – Eh bien, allez donc astiquer les pare-chocs de la voiture, au fond du parc.
Irène. - Bien Mademoiselle. (Elle sort par le hall.)
Jo. - Je n'ai aucune confiance en elle. Elle m'espionne en permanence. Bref ! Veux-tu être mon mari ?
Guylain. - Ben... C'est à dire que... Oui … Mais tu crois que ta mère acceptera que je t'épouse ?
Jo. – C'est pas gagné mais si tu lui fais une demande officielle, elle sera au moins obligée de réfléchir.
Guylain. - Réfléchir à quoi ? Au meilleur moyen de m'étriper ?
Jo. – Non. Elle sera obligée de prendre ta demande en considération car tu es, toi aussi, un bon parti.
Guylain. - Moi ? Je ne savais pas.
Jo. - Tu n'as pas la fortune de Pindrat mais tu es tout de même très riche et tu as largement de quoi racheter nos dettes. Tu vendrais volontiers quelques biens afin d'avoir les liquidités nécessaires.
Guylain. - Tu te sens bien ? A part ma 4L et mes bouquins, je n'ai rien à vendre pour...
Jo. - Tu ne comprends pas vite. Je ne dis pas que tu es riche à millions, je dis seulement qu'il suffit que ma mère le croit, juste le temps d'écarter Pindrat et de trouver une autre solution. (On entend un bruit de klaxon multi tons.) Oh là là ! C'est sans doute lui ! Vite ! Il faut que tu sois présentable, et là, il y a du boulot. Il faut absolument que tu fasses ta demande avant lui. Suis-moi ! (Ils sortent par le couloir.)
(La scène reste vide un instant puis Irène introduit Jean-Albert suivi d'Aline.)
Irène. - Si Monsieur veut bien se donner la peine d'entrer ?
Jean-Albert. - Un peu que je veux ! Chère amie, je suis absolument ravi de vous revoir !
Aline. - Je vous remercie. Comment allez-vous ?
Jean-Albert. - Very well, très chère, very well. C'est de l'anglais : très bien.
Aline. – J'avais compris.
Jean-Albert. - Quelle belle baraque vous avez là Madame de Bertignac !
Aline, vexée. - Baraque ?!!! Sachez mon cher que vous êtes dans un château dont les parties les plus anciennes datent du XIIIème siècle.
Jean-Albert. - Ah ! Ça commence à faire vieux, non ?
Aline. - Ça commence surtout à mériter le respect. Mes aïeux l'ont construit, réparé, transformé au cours des siècles. Ils y ont vécu, y ont souffert, y ont sans doute été heureux et y sont morts. Ce n'est pas pour entendre le fruit de leurs efforts se faire traiter de baraque !
Jean-Albert. - Excuse-me chère amie. Je ne voulais pas vous offenser.
Aline, se contenant. - Il n'y a pas de mal. C'est moi qui suis trop impulsive.
Jean-Albert. – Mais non, mais non. Parlons plutôt de l'affaire qui nous occupe.
Aline. - L'affaire ? Comme vous y allez ! Il s'agit du mariage de ma fille et de...
Jean-Albert. - Et du contrat qui va avec. Je vous rappelle que j'effacerai toutes vos dettes et que je serai donc le sauveur du domaine de Bertignac. The providential man.
Aline. – Certes ! Mais jurez-moi que vous ferez tout pour que Josépha soit heureuse.
Jean-Albert. - Mais bien sûr ! Avec un homme comme moi, un vrai et la fortune dont je dispose, je ne vois pas comment elle pourrait être malheureuse. Elle aura tout ce qu'elle voudra. All she wants.
Aline. – Soit ! Je vais la chercher. (Elle sort par le couloir.)
Irène, se jetant au cou de Jean-Albert. - Ah, mon Roudoudou ! On les tient !
Jean-Albert. - Presque ma bichette, presque. Elles ont mordu mais il faut encore les ferrer.
Irène. – Tu crois que la vieille se laissera faire ?
Jean-Albert. - T'inquiète. Une fois que j'aurai marié la fille, je vais te l'éjecter la mère De Bertignac et sa folle de belle-sœur. Quant à la Josépha, je te l'ai déjà dit, trois quatre mois de dorlote et après...
Irène. - Un accident fatal !
Jean-Albert. - Imprévisible ! The catastrophe. Elle décède tragiquement en me laissant dans la plus grande tristesse mais avec tous les biens des Bertignac, sans compter la prime d'assurance vie que je n'aurai pas manqué de souscrire avant. On sera les rois du pétrole. Je serai the King et tu seras the…
Irène. - Kong ?
Jean-Albert. – Mais non ! The reine ! Et l'année suivante, tu deviens Madame Pindrat De Bertignac.
Irène. - C'est merveilleux ! (Elle l'embrasse.) C'est merveilleux mais j'ai peur qu'il y ait un os.
Jean-Albert. - Qu'est-ce que tu veux dire ?
Irène. - J'ai vaguement entendu la Josépha tout à l'heure. Je n'en suis pas certaine mais je crois bien qu'elle mijote quelque chose avec le petit Guylain. Paraîtrait qu'il est d'une famille à pognon et peut-être qu'elle le marierait...
Jean-Albert. – Quoi ? !!! Y a pas de peut-être. On peut pas prendre le risque. Il faut l'éliminer et vite.
Irène. - L'éliminer ? Tu vas pas le... Couic ?
Jean-Albert. - Pas maintenant, ça foutrait tout en l'air. Mais on peut lui casser la baraque.
Irène. - Comment ça ?
Jean-Albert. - On va soigner sa réputation. Passons dans un coin plus tranquille que je t'explique.
Irène. - Suis-moi ! Il faut faire vite. (Ils sortent par la serre.)
Jo, entrant avec Guylain. - Bon, tu sais ce que tu as à faire ?
Guylain. - Oui, mais je n'y arriverai jamais. Je ne sais pas mentir.
Jo. - Je t'aiderai mais il faut que tu insistes sur ta fortune. Répète après moi : ton père qui passe pour un capitaine d'industrie, l'hôtel particulier à Neuilly et les vacances à St Trop.
Guylain. - Mon père qui industrie pour un hôtel de passe à Neuilly en particulier et... (Aline entre, suivie de Proserpine qui a passé une blouse et retroussé sa combinaison de manière à ce qu'on croie qu'elle l'a plus.)
Aline. – Ah, Josépha ! Je te cherche partout. Pindrat est… Il est encore là celui-ci ? Je t'avais pourtant demandé de le congédier. Pardonnez-moi jeune homme, mais vous tombez mal. Comprenez-vous ?
Guylain. - Fout à tait !… T'as tout fait !… Tout à fait !
Aline. - Vous êtes certainement le plus charmant des camarades de jeu de ma fille mais voyez-vous, nous recevons en ce moment son futur fiancé. En aucun cas, on ne doit lui laisser imaginer qu'il pourrait avoir un rival.
Jo. - Justement mère. Guylain n'est pas, à proprement parler un rival mais...
Aline. - Mais ?
Jo. - Eh bien... (Elle frappe Guylain.)
Guylain. - Eh biiiieeeenn ! ... C'est à dire que... Josépha et moi… Enfin, moi et Josépha, nous…
Aline. - Stop ! Je n'ose même pas imaginer ce qui vous est passé par la tête. Si toutefois c'est par la tête que ces choses-là passent.
Jo. - Allez Guylain ! Il faut lui avouer notre amour.
Guylain. - C'est ça, j'avoue. Hé, hé ! J'avoue.
Proserpine. - C'est extra ça ! Ah l'amour ! Toujours l'amou...
Aline. – Silence, vieille toquée ! Que vous aimiez ma fille jeune homme, je peux en convenir, elle est charmante, elle tient ça de sa mère, mais je ne peux le tolérer !
Jo. - Mais moi aussi, je l'aime, maman ! Je l'aime !
Aline. - Tu l'aimes, tu l'aimes, tu l'aimes ! Soit ! Et alors ? Je te demande d'épouser Pindrat, pas de lui être fidèle, du moins pas plus de quelques mois.
Jo. - Maman !
Guylain. - Vu comme ça, c'est peut-être possible et...
Jo. - Et quoi ? (Elle le gifle) Goujat ! Tu me vois dans le lit de ce sac à vin pendant des mois ?
Aline. - Oh, des mois, des mois ! Entre les indispositions, les migraines et les voyages, trois mois, c'est pas...
Jo. - C'est impossible !
Aline. - Ma petite fille, ma patience a des limites. Pindrat est ici pour faire sa demande officielle et...
Jo. - Et Guylain aussi. Hein ?
Guylain. - Oui, oui. J'officie aussi tout de suite ce que je me demande officiellement.
Aline. - C'est l'émotion ou il est toujours comme ça et il faut louer un décodeur ?
Proserpine. - C'est merveilleux, fantastique, féerique, épique, nous voici avec deux prétendants. Ô tendre Pénélope ! Tu en avais douze et, décrochant l'arc d'Ulysse tu...
Aline, furieuse. - Silence Einstein ! Tu épouseras Pindrat. Il n'y a pas à revenir là-dessus.
Jo. - Mais, Guylain est largement aussi riche que Pindrat.
Aline, brusquement radoucie. - Ça change tout. Je vous écoute.
Guylain. - Euh ! Oui... J'ai... Enfin mon papa a des usines de poissons à Neuilly et des conserveries de textiles à St Tropez et...
Aline. - Et vous vous payez ma fiole ?
Guylain. - C'est ça ! Non ! C'est...
Jo. - Pas du tout voyons ! Guylain est un fils d'industriel qui...
Aline. - Un fils d'industriel qui vient de Clermont-Ferrand en 4L et qui couche au camping des Joyeux Pinsons sous une canadienne délavée, c'est pas courant. Tu vois, je suis parfaitement renseignée sur tes relations. Adieu jeune homme. Sortez. Je n'ai plus de temps à perdre.
Jo. - Non ! Mère ! Mère, je vous en supplie !
Aline. - Oh ! Ne me fais pas le coup des grandes eaux, s'il te plaît ! Je vais chercher Pindrat. Tâche de te reprendre. (Elle se dirige vers le hall.)
Proserpine. - Guylain, je crois qu'il vaut mieux que tu t'en ailles, mon petit.
Jo, hurlant. - Je suis enceinte !
Guylain. - Hein ?!!!
Proserpine. - Quoi ?!!!
Aline. - Qu'est-ce que tu as dit ?
Jo. - Je suis enceinte... De Guylain !
Guylain. - Hein ?!!!
Jo. – Oui, mon amour. Je voulais te le dire mais...
Aline. - C'est sérieux ?
Jo. - J'ai fait un test ce matin. Il est encore dans ma salle d'eau. Allez le chercher si vous ne me croyez pas.
Aline. - Catastrophe de catastrophe !… Je vais le tuer ! Il faut que je le tue !
Proserpine. - Attention, colère cataclysmique en vue. (Aline trépigne de fureur.) Nom d'un circuit imprimé, ça va barder !
Guylain. - Je vous en prie, madame. Il doit y avoir un léger...
Aline. - Raaaaaaah ! Je vais, lui arracher les yeux et les oreilles… Et autre chose aussi si je peux !
Guylain. - Au secours ! A moi !
Proserpine. - Courage, fuyons ! (Elle sort au labo.)
Jo, s'interposant. - Mère ! Je vous en prie !
Aline. - Laisse-moi l'écorcher vif, l'éplucher menu, le peler jusqu'à l'os ! Viens ici que je t'étripe, sacripant ! (Elle attrape Guylain) que je te dissèque, que je te massacre !
Guylain. - Ah là là !
Jean-Albert, entrant avec Irène. - Qu'est-ce qui se passe ici ? On vous veut du mal très chère ?
Jo. - Non, non !
Jean-Albert. - Ah ! Josépha ! My love ! Je vous retrouve enfin ! Mon ange, mon adorable !
Aline. - Mon cher Jean-Albert, nous avons un petit problème.
Jean-Albert. - Vous avez un souci, j'ai du pognon. Tout doit pouvoir s'arranger. No panique, I am ici pour vous aider. Il n'y a pas de problème sans solution. With no solution !
Aline. - Pas celui-ci.
Jean-Albert. - Diable ! Damned !
Aline. - Josépha va vous expliquer.
Jo. - Voilà... C'est... Enfin… Notre union est impossible car j'aime Guylain et je suis enceinte de lui.
Aline. - Voilà... Hé, hé ! Vous comprendrez que... Je viens de l'apprendre moi-même et...
Jean-Albert, après un temps et à la surprise générale. – No problème. Le coup est rude mais je comprends. Pindrat fait toujours face mais il s'efface. I am un gentleman.
Aline. - Et pour les dettes ?
Jean-Albert. - Un gentleman ne saurait profiter d'une telle situation.
Jo. - Merci ! Votre grandeur d'âme me touche et vous honore.
Aline. - C'est grand. C'est beau.
Jean-Albert. - C'est Pindrat. J'ajouterai même que si, par malheur le sort vous séparait, Jean-Albert Pindrat serait toujours là.
Jo. - Merci, mais Guylain et moi, c'est du solide. Hein ?
Guylain. - Oh là là !
Jean-Albert, malicieux. - Sait-on jamais ! Je vous demande la permission de me retirer.
Aline. - Mais bien sûr. Nous vous prions d'accepter toutes nos excuses.
Jean-Albert. - Adieu ou peut-être, au revoir ! See you later ! (Il sort par le hall.)
Aline. - Alors là ! Il me la coupe. Il remonte dans mon estime. Ce qui n'est pas ton cas. (Elle craque.) Bou hou hou ! Nous sommes perdues, ruinées, et déshonorées ! (Elle sort par le couloir en pleurant.)
Jo, sortant derrière sa mère. – Mère, attendez ! Mère ! On va trouver une autre solution.
Guylain, au public. - Ouf ! J'ai bien cru que j'y passais moi !
Irène, soudain très vamp. - Ben vous alors ! Vous cachez bien votre jeu. Vous êtes un sacré chaud lapin.
Guylain. - Comment ?
Irène. - Attendez que je vous regarde de plus près... Ah si... Oui, oui... Vous êtes terrible !
Guylain. - Moi ?
Irène. - Ouai, vous ! Vachement sexy ! Vous me faites un de ces effets !
Guylain. - Ah bon ?
Irène. - Ouuuiiii ! Tu me plais mon lapin, mon gros lapin !
Guylain. - M'enfin ! Qu'est-ce qui vous prend ?
Irène. - Tiens-moi ça ! (Elle enlève sa coiffe et la lui met dans la poche, puis elle dénoue son tablier.) J'ai chaud ! Terriblement chaud. Pas toi ? Ah ! Mon tigre du Bengale, mon lion, mon...
Guylain. - Lapin ! Lapin, je veux bien mais pas plus.
Irène. - Allez, embrasse-moi ! Fais-moi voir le Kilimandjaro et l'Annapurna !
Guylain. - Moi, vous savez, à part le Duy-de-Pôme… Le Puy-de-Dôme... (Elle déchire sa jupe et son chemisier.) Mais qu'est-ce que vous faites ?
Irène. - Ah, mon bel étalon ! Mon cheval fougueux ! Je te veux !
Guylain. - Bon, si c'est comme ça, moi je vous laisse.
Irène. - Au viol ! A moi ! Au secours !
Guylain. - Mais ça va pas, non ? Vous êtes folle ! Irène, voyons !
Jean-Albert, entre par la serre, derrière lui et l'assomme. - Bravo Irène ! Tu as prévenu les flics ?
Irène. - Oui, oui, ils arrivent. Il est foutu.
Jean-Albert. - Continue à gueuler un petit peu, moi je vais lui alourdir le casier judiciaire à ce Casanova de pacotille. (Il sort par la serre en traînant Guylain.)
Irène. - Au secours ! A moi ! Hou là là ! Au secours ! Au viol ! A moi !
Aline, entrant avec Jo. - Pourquoi ces hurlements ?
Jo. - Irène ! Mon Dieu ! Que vous est-il arrivé ?
Irène. - Oh Madame ! Madame ! Mademoiselle ! C'est affreux ! C'est monsieur Guylain, madame.
Aline. - Quoi monsieur Guylain ?
Irène. - Il m'a... Il m'a !
Jo. - Quoi ?
Irène. - Il m'a... Bou hou hou ! Quelle honte !
Aline. - Guylain vous a...?
Irène. - Oui madame ! Ici même !
Aline. - L'ignoble ! Sous les yeux d'Adémar (Elle montre le portrait de l'ancêtre)
Jo. - C'est impossible ! Guylain est incapable de faire une chose pareille.
Irène. - Je vous jure que c'est vrai. Il a même dit des choses.
Aline. - Quelles choses ?
Irène. - Des choses horribles ! Je n'ose pas les répéter.
Jo. - Parlez voyons !
Irène. - Il a dit… Il a dit que maintenant qu'il avait eu Josépha, il nous aurait toutes… Même la vieille.
Aline. - Même la v... Oh le saligaud !
Jo. - Attends maman ! Cela ne peut pas être Guylain. Irène, êtes-vous tout à fait sûre de vous ?
Irène. - Absolument sûre !
Jo. – Réfléchissez. Peut-être que dans la panique, l'affolement, la pénombre...
Irène. - C'est lui, je vous dis ! Il s'est jeté sur moi, il m'a arraché mon tablier. Il m'appelait son petit lapin, sa tigresse, sa lionne.
Aline. - Zoophile par-dessus le marché ! Ah ! Il est beau le père de mes petits-enfants !
Jean-Albert, entrant de la serre. - On étrangle quelqu'un ici
Aline. - Monsieur Pindrat ? Je vous croyais parti.
Jean-Albert. - J'étais sur le point de monter dans ma Mercedes, 600 SE injection sellerie cuir, quand j'ai entendu des cris terribles, des cris de femme. J'accours ! What happens ? Que se passe-t-il donc ?
Jo. - Irène vient d'être agressée par un rôdeur.
Irène. - Violée ! Violée par monsieur Guylain ! J'en suis certaine !
Jean-Albert. - Il faut appeler la gendarmerie tout de suite. (Il sort son portable) C'est le top ! Sept mille balles, mille soixante-seize Euros mais c'est le top. Allô ! Scotland Yard ? Euh !… La gendarmerie. Venez vite au château de Bertignac, il y a eu une agression sexuelle. Yes, une "violation" ! Ils arrivent.
Aline. - Ça va mieux ?
Irène. - Un peu oui.
Jean-Albert. – Il est dangereux ce jeune homme, dites-moi.
Jo. - Ce n'est pas Guylain. On n'a pas de preuve.
Irène. - Mais puisque je vous dis que c'est lui !
Jo. - C'est impossible ! Jamais Guylain ne…
Edgar, entrant du hall, flanqué de Fenouillet. - Que personne ne bouge ! Adjudant-chef Dunord.
Aline. - Edgar ? Là, tu m'épates ! C'est bien la première fois que je te vois réagir aussi vite.
Jo. - Comment ont-ils fait ? (Fenouillet se place entre les colonnes.)
Jean-Albert, montrant son téléphone. - Je vous l'avais dit, c'est le top.
Edgar. - Silence ! Gendarme Fenouillet déployez-vous. (Fenouillet ne bouge pas) Qu'est-ce qui se passe-t-il ici ?
Jean-Albert. - Une tentative de viol, Adjudant.
Edgar. - Chef ! Adjudant-chef ! Alors Fenouillet, je vous ai dit de vous déployer.
Fenouillet. - Mais vous avez dit aussi que personne ne bouge chef, alors je sais pas quoi faire, chef.
Edgar. - Que personne ne bouge c'était pour eux, pas pour vous. Alors déployez-vous ! (Fenouillet ne bouge toujours pas) Qu'est-ce que vous attendez ?
Fenouillet. - Ben... C'est que je sais pas ce que ça veut dire, chef.
Edgar. - Ça veut dire... Ça veut dire... Et puis zut ! Restez où vous êtes.
Fenouillet. - J'avais juste alors ?
Edgar. - Il m'épuise celui-là. Bref ! La victime a-t-elle une idée de l'identité de son agresseur ?
Irène. – Oui ! C'est monsieur Guylain.
Edgar. - Je note. A-t-on des témoins oculaires qui ont vu les faits de leurs yeux ?
Jo. - Non, évidemment !
Edgar. - Fenouillet ! Inspectez-moi les lieux et "rédactionnez-moi" un rapport.
Fenouillet. - Tout de suite, Chef ! (Il sort un carnet et prend des notes en se déplaçant un peu partout.)
Edgar. - Donc, mademoiselle, vous accusez un certain Guylain de vous avoir fait souffrir des outrages que l'on pourrait qualifier de derniers ?
Irène. - C'est bien ça.
Jo. - Mais enfin, combien de temps est-il resté seul avec vous ? Deux ou trois minutes, tout au plus.
Jean-Albert. - Ça peut suffire.
Irène. - Ça lui a suffi.
Edgar. - Je vois, je vois. Comment est-il d'ordinaire ce Guylain ? Plutôt du genre chaud lapin, coureur de jupons… ?
Jo. - Guylain ? Pas du tout.
Aline. - Il t'a tout de même fait un enfant.
Jo. - Oui... Oh !... Un tout petit.
Gertrude, entrant par la serre, hébétée. - Oh tout ce monde ! Il faut que j'arrose les chaises.
Edgar. - Qui est-ce que c'est-il ?
Jo. - Gertrude, ma gouvernante.
Aline. - Gertrude ! Ça ne va pas ?
Gertrude. - Si, si. Très bien… Bonjour Monsieur. (Puis à Edgar :) Bonjour madame.
Edgar. - Là, ça ne va pas du tout. Qu'est-ce que vous avez ?
Gertrude. - Sais pas… Je me préparais pour la prière du soir et, tout à coup... Ah ! Mon Dieu cela me revient... Aaaaaahhh !
Aline. - Quoi ? Que s'est-il passé ?
Gertrude. - Un homme... Ah ! Mon Dieu… Surgi de je ne sais où... Aaaaaah ! Il m'a… Aaaaah !
Edgar. – Non ? Vous aussi ! Par surprise ?
Gertrude. - Non, par derrière.
Edgar. - Avez-vous vu son visage !
Gertrude. - Ben non. Mais c'était... Oh mon Dieu ! C'était...
Jo. – Qui ?
Gertrude. - C'était Monsieur Guylain !
Edgar. - Encore ! Fenouillet ! Au rapport !
Fenouillet, lisant ses notes. - Trois chaises, une table, deux pots de fleurs... (À adapter selon le décor.)
Edgar. - Mais qui m'a flanqué un abruti pareil ? Bloquez-moi les issues et plus vite que ça !
Fenouillet. - Je me déploie chef ?
Edgar. - C'est ça. Déployez-vous.
Fenouillet. - Bien chef ! (Il va se planter entre les colonnes.)
Edgar. - C'est une affaire de violeur en série.
Jean-Albert. - C'est évident, un sérial violeur. Ce Guylain est un malade, un malade dangereux.
Edgar. - Qui peut donc "rédiciver" à tout moment…
Jo. - Mais enfin Gertrude, comment peux-tu dire que c'est lui puisque tu ne l'as pas vu ?
Gertrude. - Pas vu non, mais dit, dit à moi.
Edgar. - Il vous a dit quelque chose ? Faites un effort de remémoration.
Gertrude. - Il m'a dit... Il m'a dit… Aaaah ! Il m'a dit : "comme ça tu en auras goûté, toi aussi, du Guylain"... Oh ! Que j'ai honte !... Il a même ajouté : "et de trois" !
Edgar. - C'est tout ?
Gertrude. - Non. Il a dit aussi... Il a dit… Oh ! Il a dit… "Il ne me reste plus que la vieille !"
Aline. - Oh ! Cette fois, c'en est trop ! Il faut que je l'écorche de mes propres mains ! (Elle décroche une hache d'arme du mur, près du portrait de son ancêtre.) Prête-moi ça Adémar, je vais émincer le satyre !
Gertrude. - Un satyre ? Il y a des satyres ici ! Mon Dieu ! Au secours ! (Elle sort par le couloir.)
Edgar. - Restons calme ! Madame de Bertignac, je vous ordonne de poser cette hache !
Aline. - Edgar ! Edgar Dunord, on se connaît depuis la Communale et tu es ici chez moi. Et ici, c'est moi qui commande. Laisse-moi passer ou je te fais avaler ton sifflet, ton képi et l'abruti qui est en travers de mon chemin. (Elle sort par la serre.)
Edgar. - Restez ici ! C'est moi qui "conductionne" l'enquête !
Jo. - Je vous en prie, empêchez-la de commettre l'irréparable.
Edgar. - Ne vous en faites pas. Fenouillet, rattrapez la deuxième victime et prenez sa déposition !
Fenouillet. - Sa quoi, chef ?
Edgar. – Sa déposition, déposition !
Fenouillet. - C'est comme si c'était fait, Chef ! (Il sort à l'opposé de Gertrude, par le hall.)
Edgar - Vous monsieur, "protectionnez" l'autre victime à l'envers et contre tout. (Il sort par la serre.)
Jean-Albert. - Venez mademoiselle. (Il sort dans le boudoir avec Irène en riant sous cape.)
Jo. – Mon Dieu, Guylain ! Il faut absolument que je le retrouve avant ma mère. (Elle sort par la serre et la scène reste vide un instant.)
Guylain, entrant par le couloir. - Aïe aïe aïe ! J'ai dû prendre un de ces coups sur la tête, moi !
Aline, entrant par le hall. - Et ce ne sera pas le dernier ! Ah le fourbe ! Le fornicateur, le dépravé, le nuisible ! Je vais le massacrer !
Guylain. - Pitié ! Je vous jure que je n'ai rien fait.
Aline. - Et ça ? (Elle retire la coiffe d'Irène de la poche de Guylain.)
Guylain. - Je ne sais pas ce que c'est !
Aline. - Oh le monstre ! Il aurait la petite culotte de Gertrude dans la bouche qu'il nierait encore.
Guylain. - Hein ? Pourquoi aurais-je une petite culotte dans la... Et celle de Gertrude en plus ?
Aline. - Assez ! Recommandez votre âme à Dieu, si toutefois il en veut encore !
Guylain. - Ah ! Au secours !
Proserpine, entrant avec son navigateur à la main. – Mais il n'y a plus moyen de… Aline ! Lâchez cette hache, voyons. (Elle pose son navigateur et désarme Aline.) Donnez-moi ça ! Calmez-vous.
Aline – De quoi je me mêle ?… Je vais l'écraser ! (Elle prend le navigateur avec une main sur la pierre de temps et s'apprête à le fracasser sur Guylain.)
Proserpine. - Non ! Ne touchez pas la pierre !
Guylain. - Ah ! (Il bloque le geste d'Aline en touchant lui aussi la pierre de temps.)
Boum !!!!!!! Flashes, explosion, fumée, effets stroboscopiques et disparition de Guylain et d'Aline
Proserpine. - Nom d'un logarithme expansé ! Où sont-ils passés ? Non ?... Ils... Ils sont... Non.
Voix off : Alerte ! Alerte ! Deux intrus dans le continuum temporel. Deux intrus dans le continuum temporel. Alerte ! Alerte ! (Le rideau se ferme pendant ce temps et Proserpine se retrouve seule devant. Cette partie de l'acte, rideau fermé, permet d'avoir un peu de temps pour les changements de décors et de costumes sans trop faire attendre le public.)
Proserpine. - Malheur de malheur ! Ils sont partis dans le temps. Essayons de les situer. (Elle s'affaire sur son navigateur.)
Voix off - Localisation spatio-temporelle impossible. Localisation spatio-temporelle impossible.
Proserpine. - Nous voilà beaux ! Plus qu'une solution. Il faut que j'explore le continuum temporel siècle par siècle et peut-être année après année jusqu'à ce que je tombe dessus. Autant chercher un atome d'hydrogène dans une botte de molécules mais je n'ai pas le choix. J'espère que tout fonctionne encore sinon. Bon, tout à l'air prêt. Hou là là ! J'allais oublier ma combinaison holographique ! Vite ! Mais j'y pense, ils n'ont pas de combinaison, eux. S'ils n'ont pas de combinaison, que va-t-il arriver ? Comment le passé va-t-il les prendre en compte ? Que vont-ils devenir ? Miséricorde de miséricorde ! Il faut que je les retrouve au plus vite avant qu'ils ne commettent l'irréparable. Si jamais ils interfèrent aussi peu que ce soit dans le passé, c'est le cataclysme ! Vite, ma combinaison. (Elle passe derrière le rideau.)
Fenouillet, entrant après un temps, par la droite du rideau, suivant Gertrude. - Je vous l'assure, c'est le chef qui l'a dit !
Gertrude. - Laissez-moi ! Suppôt du diable ! Je ne veux pas qu'on me touche ! Je ne veux plus qu'on me touche ! Personne ne me touche ! Arrière satyre !
Fenouillet. - Mais puisque je vous dis que c'est un ordre du chef ! (Il essaie de copier les différentes attitudes de Gertrude.)
Gertrude. - N'approchez pas !
Fenouillet. - Bon, bon, si vous voulez mais arrêtez de bouger alors.
Gertrude. - Qu'est-ce que vous faîtes ? Vous vous moquez de moi ?
Fenouillet. - Non mais comment je fais, moi, pour prendre vos positions si vous bougez tout le temps ?
Gertrude. - Quoi ?
Fenouillet. - Le chef m'a dit de vous rattraper et de prendre vos positions. Arrêtez de bouger.
Gertrude. - A moi ! C'est un fou ! C'est plein de fous ici ! (Elle fuit par la salle.)
Fenouillet. - Mais attendez ! Attendez-moi ! (Il la suit.)
Proserpine, revenant par le rideau sans sa blouse et finissant d'enfiler sa combinaison. - Me voici enfin prête. Voyons, ai-je bien tout réglé ? Il ne s'agit pas de me perdre aussi. Là ! Voilà ! Je pense que je n'ai rien oublié. Pourvu que ça fonctionne ! Attention ! C'est parti !!!
Effets stroboscopiques et disparition de Proserpine par le rideau
Fin de l'acte 1
ACTE 2
Le rideau s'ouvre sur des effets stroboscopiques. On est en pleine cérémonie d'adoubement. Le seigneur du château fait de son écuyer, un chevalier. Cet écuyer n'est autre que Guylain. Présents sur scène : Adémar, Guylain et si possible quelques figurants : hommes d'arme, valets et servantes qui sortiront tous en même temps qu'Adémar, les femmes par le passage et les hommes par les remparts. (Belle occasion de placer pour une fois sous les projecteurs, souffleuses, éclairagistes et autres décorateurs pour peu qu'ils aient un costume simple.)
Adémar. - En ce jour de l'an de grâce 1450, moi, Adémar De Bertignac, Seigneur de ces lieux, clame haut et fort que Ghislain Chantecourt, écuyer de son état, a fait preuve de moult bravoure et noblesse au combat. Son bras jamais ne faiblit et son honneur jamais ne faillit. Ghislain Chantecourt par la collée que voici, je te fais chevalier. (Il lui donne un coup de plat d'épée sur l'épaule.)
Guylain, à genoux et éberlué. - Hein ?
Adémar. - Ce n'est que justice et remerciement pour tout ce que tu as fait.
Guylain. – Ah ?
Adémar. - Mille tourments tu enduras pour accomplir les missions que je t'ai confiées.
Guylain. - Eh den bites bonc… Ben dites donc !
Adémar. - Tu as bien mérité d'être, en ce jour, armé chevalier ! Voici tes éperons d'or et tes armes nouvelles. (Il les lui donne et Guylain s'écroule sous le poids.) Holà chevalier ! Te voilà bien faible. Est-ce ton combat sous nos murailles qui t'aurait laissé quelque navrure ?
Guylain. - Euh !... Oui.
Adémar. - Il faut avouer que ce William De Glouster était fort coriace mais, par ma foi, tu l'as occis de noble manière. Tu l'as fendu du nez jusqu'au jonc d'un seul taillant. Par saint Denis, quel coup ! Tu seras un chevalier de grand estoc ! (On entend le son d'un cor.) Corne-bourrique c'est encore un assaut de ces maudits ! Aux créneaux et ne faiblissons point ! Ghislain, tu me sembles encore souffrant. Reste ici pour l'instant et rejoins-moi quand tu le pourras. (Il sort sur les remparts et off :) Pas de quartier, tue et broie tant que force et que sang !
Guylain. - Ben nom de D... (Il regarde un peu partout, complètement abasourdi.) Ça alors… Alors ça !
Aline, entrant du donjon, richement vêtue et éberluée elle aussi. - Mais....? Mais que s'est-il passé ?
Guylain. - Je n'en sais rien. Il y a eu comme une explosion et cette lumière et puis... Et puis, je me suis retrouvé ici, à genoux devant un type qui a failli m'assommer avant de me congratuler pour avoir étripé je ne sais qui.
Aline. - Et moi, je viens de me surprendre à faire de la tapisserie, moi qui ai horreur du canevas… Étripé dites-vous ? (Menaçante :) En parlant d'étriper, il me semble me souvenir que je devais vous...
Guylain. - Je vous en supplie ! Je crois que la situation est grave et qu'il faut absolument comprendre d'abord pourquoi nous sommes accoutrés de la sorte et savoir où nous nous trouvons.
Aline. - D'accord. Mais quand nous serons sortis d'ici, faites-moi penser qu'il faut que je vous tue.
Guylain. - Hé ! Mais, on dirait que nous sommes encore au château.
Aline. - Mon Dieu ! C'est pourtant vrai ! Je reconnais les colonnes mais… Mais il y avait une porte ici. Et la serre du chemin de ronde... ? C'est impossible, voyons. Il y a deux secondes... Je dois devenir folle. Ou alors c'est un cauchemar et je vais me réveiller. Pincez-moi.
Guylain. - Que je vous...?
Aline. - Non, c'est moi qui vous pince. (Elle le fait sans ménagement.)
Guylain. - Waouille !!!
Aline. - Vous ne rêvez pas ?
Guylain. - Non.
Aline. - Alors, c'est moi qui suis folle à lier. (Irène entre par le passage. C'est la sorcière du château.) Irène ! Vous êtes là, vous aussi ?
Irène. - Oh ! Gente dame, mon nom est Irguedale. Irguedale, la devineresse de Messire De Bertignac.
Aline. - Qu'est-ce que vous dites ?
Irène. - Mais rien que vous ne sachiez déjà. Bien que d'habitude vous m'évitiez, vous devez, de mon nom, avoir bonne souvenance. Bien le bonjour, beau chevalier !
Aline, perturbée. - Bien sûr que je me souviens. C'est ma langue qui a fourché.
Irène. - Ahhh !!! Pas de blasphème ! Seul le Malin a la langue fourchue, comme la queue d'ailleurs.
Aline. - C'est un asile ici ! Bon, ça suffit comme ça ! Arrêtez cette mascarade stupide. Ce n'est pas drôle du tout Irène !
Irène. - Irguedale, Dame Aliénor, Irguedale et non point Irène. Ce nom dont vous m'affublez m'est inconnu. Perdriez-vous l'esprit ou souffrez-vous d'une méchante fièvre ? (Elle sort un couteau.) Je vais prélever un peu de votre sang pour pouvoir en examiner les humeurs malignes.
Aline. - Ça va pas mieux non ? !!!
Irène. - Mais ainsi je pourrai vous préparer un remède et...
Aline. - Arrière Satanas ! (À Guylain :) Aidez-moi, vous !
Guylain. - Euh !... Oui... Arrière ! (Il brandit son épée en la tenant par la lame puis se reprend.) Euh ... Arrière ou je vous... Je vous... Oh là là, je vous ...
Irène. - Tu ne devrais pas me menacer chevalier, moi qui ai pour toi grande affection ! Quant à vous, Dame Aliénor, je sais que vous essayez de me perdre aux yeux du seigneur de ces lieux. Depuis que vous êtes ici, il me délaisse et me rudoie. Mais je ne vous laisserai point faire.
Aline. - Là, c'est du grand guignol ! Sortez !
Irène. – J'obéis noble dame mais craignez mon courroux et… Mes pouvoirs ! (Elle sort par le passage.)
Aline. - Ça alors !
Guylain. – J'y suis ! C'est pas croyable ! La machine a fonctionné !
Aline. - Qu'est-ce que vous dites ?
Guylain. – La machine à remonter le temps, l'invention de Madame Proserpine, ça a marché et…
Adémar, apparaissant entre les colonnes. - Ghislain ! J'ai moult besoin de ta vigueur. Ces maudits Anglois ont décidé de nous assaillir en nombre. La mêlée qui s'annonce va être sanglante. Une belle occasion de baptiser tes éperons.
Aline. - Adémar ?
Adémar. - Ah ! Aliénor, ma mie, vous voici fort joliment apprêtée.
Aline. - Adémar De Bertignac ?
Adémar. - Par Dieu oui ! J'ai changé mon tabard de velours pour mon harnois de guerre mais je suis toujours votre Adémar, énamouré de votre beauté et chanceux d'être aimé de vous.
Aline. - Ah ?
Adémar. - Un geste de vous et mon cœur s'enflamme. (Il lui envoie un baiser.)
Aline. - Oh ! (Bas à Guylain :) Qu'est-ce qu'il raconte ? Qu'est-ce que je dois faire ?
Guylain. - A mon avis, il vaut mieux jouer le jeu pour l'instant.
Aline. - Oh ! (Elle lui renvoie son baiser.)
Adémar. - Me voici comblé. Aliénor, ma tendre Aliénor, si Dieu le veut, nous repousserons encore une fois ces diables d'Anglois et nous pourrons enfin célébrer nos épousailles en grand bobant.
Aline. - Ah ! Nos épousailles !
Adémar. - Je sais que le temps vous presse de nous voir unis. Mais, comprenez que tant que nous sommes assiégés, Monseigneur l'évêque qui doit bénir notre union, ne peut venir en notre château. Mais foi de Bertignac, nous vaincrons. Pas vrai chevalier ?
Guylain. - Oh là là ! Si, si !
Aline, tremblante. - Oh là là !
Adémar. - Vous tremblez mon bel amour ? Ghislain, tout compte fait, reste auprès d'elle et veille sur sa vie comme sur la tienne. Je préfère te savoir à ses côtés. Si par malheur quelques Anglois parvenaient à pénétrer séant, tu serais là pour protéger ma future épouse. (Voix off indiquant le début de l'assaut.) Holà ! Voici leurs premières échelées. Je sais que je peux compter sur ta vaillance. (En sortant :) Hardi ! Hardi ! Taille ! Fends ! Mais jamais ne recule !
Aline. - Alors là ! (Elle s'effondre.) C'est Adémar et il veut m'épouser. Je n'y comprends plus rien.
Guylain. - Plus que moi en tout cas. Vous avez appelé ce forcené par son nom dès que vous l'avez vu. Vous le connaissez ?
Aline. - C'est Adémar De Bertignac. Mon aïeul... Le portrait... Là ... Enfin là quand… Tout à l'heure.
(Effets stroboscopiques et Proserpine apparaît, vêtue de sa combinaison.)
Proserpine. - Enfin ! Enfin je vous retrouve !
Guylain. - Madame Proserpine !
Aline. - Proserpine, qu'est-ce que c'est que ce cinéma ?
Proserpine. - Ce n'est pas du cinéma ma chère. C'est le XVème siècle. Ma machine vous a téléportés en
1450, sous le règne de Charles VII.
Aline. - Charles VII ou Hector premier, on s'en balance. Vous allez arrêter vos imbécillités et nous ramener chez nous immédiatement. Enfin, notre vrai chez-nous.
Proserpine. - Ça risque d'être un peu compliqué mais...
Aline. - Je m'en moque ! Si c'est à cause de vous et de votre satanée machine que nous sommes dans ce pétrin, alors sortez-nous en et vite !
Proserpine. - Calmez-vous. Il faut tout d'abord que vous retrouviez la Pierre de Temps.
Aline. - La quoi ?
Guylain. - La pierre rouge ? Elle est ici ?
Proserpine. - Elle a forcément voyagé avec vous puisque c'est grâce à elle que le voyage dans le temps est possible.
Guylain. - Mais vous alors, comment avez-vous pu nous rejoindre, puisque vous n'aviez plus la Pierre de Temps ?
Proserpine. - Mais elle est toujours là-bas. Elle est à la fois quelque part ici et toujours dans mon laboratoire. C'est un lien temporel. C'est même LE lien temporel.
Aline. - Dès que cette affaire est terminée, je la fais enfermer.
Proserpine. - Je ne suis pas folle.
Aline. - Non, non, bien sûr ! Vous n'êtes pas folle. Vous êtes toquée, cinglée, déjantée, déglinguée, totalement déciboulée, mais vous n'êtes pas folle.
Proserpine. - Essayez de comprendre : après vingt-sept années de recherches acharnées, j'ai réussi à mettre au point une machine qui me permet de voyager dans le temps grâce à la Pierre de Temps et à cette combinaison spéciale. Vous avez touché la Pierre de temps et vous êtes partis dans le passé.
Aline. - C'est à dormir debout mais admettons ! Mais nous n'avons pas de combinaison spéciale, nous.
Proserpine. - C'est ma foi vrai ! Les gens peuvent peut-être vous voir.
Aline. - Je confirme ; ils nous voient. Mon aïeul Adémar qui, en ce moment, tranche du rosbif sur les murailles, me voit parfaitement bien. Il me prend même pour sa future épouse.
Guylain. - Et moi pour un preux chevalier.
Proserpine. - Nom d'un transistor ! Vous êtes entrés en contact avec des gens de cette époque.
Aline. - Évidement.
Proserpine. - Vous leur avez parlé ?
Aline. - Oui.
Proserpine. - Ils ont pu vous toucher ?
Aline. - Ça non.
Guylain, se grattant la nuque. - Si, si.
Proserpine. - C'est fantastique ! Et ils n'ont pas été surpris de votre présence ?
Aline. - Pas le moins du monde.
Guylain. - On dirait qu'ils nous connaissent depuis toujours.
Aline – C'est un cauchemar je vous dis, un cauchemar. Je vais me réveiller.
Proserpine. - Eurêka ! J'ai compris ! Votre maladresse de tout à l'heure est un coup de génie. En touchant directement la Pierre de Temps sans combinaison, la machine vous a téléportés dans le passé mais pas comme de simples voyageurs invisibles. Elle vous a intégrés au passé.
Aline. - Là, je décroche.
Proserpine. - C'est pourtant évident. La machine n'a pas pu vous ajouter au passé, elle vous a… Comment faire simple ? Elle vous a placés à l'intérieur de personnages existants.
Guylain. - Cela veut dire que nous sommes eux.
Proserpine. - C'est ça. Au contraire de moi qui ne suis qu'une image virtuelle que vous seuls pouvez voir puisque vous êtes à la fois du XXIème et du XVème siècle.
Aline. - Si je comprends bien, nous sommes dans la peau de gens morts depuis plus de cinq cents ans.
Proserpine. - Exactement. C'est un peu comme si vos âmes avaient pris la place des leurs. Vous êtes dans les personnages de l'époque qui ont conservé leurs apparences physiques pour leurs contemporains. Pour leurs contemporains, rien n'a changé. Vous par exemple Aline, la machine vous a placée dans le personnage qui vous était le plus proche. Votre ancêtre Adémar vous voit comme il a toujours vu sa fiancée. Une ravissante damoiselle d'une vingtaine d'années.
Aline, flattée. - Ah oui ?
Proserpine. - Si on réfléchit un peu, on s'aperçoit qu'il ne peut pas en être autrement. Eh oui ! Si la machine avait rajouté des personnages dans le passé, le moindre de leurs actes aurait pu changer le cours de l'histoire.
Aline. - Et alors ?
Proserpine. - Et alors ! Mais un petit changement en 1450 peut avoir des conséquences incalculables à notre époque, pouvant aller jusqu'à votre non-naissance. Et si vous ne naissez pas vous ne pouvez pas non plus être ici et c'est la quadrature du cercle, la réaction en chaîne, la fin du temps, l'apocalypse.
Guylain. - Eh ben !
Aline. - Qu'est-ce qu'on doit faire, alors ?
Proserpine. - Suivre le cours des événements tout simplement en attendant de retrouver la Pierre de Temps qui, quand vous la tiendrez tous les deux, vous renverra, je l'espère, en 20 -- (année actuelle).
Aline. - Vous l'espérez ?
(Gertrude apeurée par les combats, entre par le passage, suivie de Jo. Jo est une servante et Gertrude une dame de compagnie.)
Gertrude. - Dame Aliénor ! Dame Aliénor ! Les combats font rage et les Anglois semblent prendre le dessus. J'ai grand effroi.
Aline. - Du calme, Gertrude !
Gertrude. - Gerbaude, Madame, Gerbaude. Vous aussi la peur vous triboule ?
Aline. - C'est ça. Ça me triboule… Ça me chamboule, ça me tourneboule même. Mais que craignez-vous au juste ?
Gertrude. - Mais Dame Aliénor, ignorez-vous ce que ces infâmes linfars font à leurs victimes, et plus particulièrement aux femmes ? Ne savez-vous pas que tout près d'ici, à Echaillac, ils ont violé femmes et fillettes après avoir empalé et rôti les hommes.
Jo, qui était restée sur le seuil. - Moi je n'ai pas peur de ces écorcheurs car je sais que Ghislain nous protégera. N'est-ce pas mon aimé ? (Elle se jette dans les bras de Guylain.)
Guylain, éberlué. - Bien mûr ! Bien sûr.
Gertrude. - Joségonde ! En voilà des manières ! Un peu de tenue !
Aline. - Jo, ma fille ce n'est pas le moment.
Proserpine. - Ce n'est pas votre fille.
Aline. - On ne vous a rien demandé à vous. (Gertrude le prend pour elle.)
Gertrude. - Mais je...
Proserpine. - Ce n'est plus Josépha mais Joségonde.
Aline. - Taisez-vous !
Gertrude. - Bien. Je trouvais malséant qu'une servante se jette au cou d'un chevalier mais…
Guylain. - José... gonde ?
Jo. - Oui mon bel amour.
Guylain. - Euh ! Es-tu bien certaine de m'aimer ?
Jo. - Il me semble te l'avoir prouvé, pas plus tard qu'hier à la vesprée et cette nuit encore.
Aline. - Oh ! Là, ma fille, c'en est trop !
Jo. - Comment ?
Proserpine. - Aïe ! Aïe ! Aïe ! Attention vous dis-je. Vous vous trompez d'époque ! Allez-vous comprendre à la fin ?
Guylain. - Ah oui ! Cette nuit !
Jo. - Encore heureux que tu t'en souviennes. Baise-moi.
Guylain et Aline. - Hein ?!!!
Jo. - Baise-moi vite !
Guylain. - C'est que...
Proserpine. - Elle veut un baiser. Dans le langage du XVème siècle, c'est tout ce que cela signifie.
Guylain. - Ah bon ? (Il l'embrasse longuement.)
Aline. - Eh !
Proserpine. - Ce n'est pas votre fille, je vous le répète.
Aline, haussant le ton, agacée. – Ce n'est vraiment pas facile à admettre !
Gertrude. - Ah ça ! Je suis bien de votre avis Dame Aliénor. Un chevalier et une meschine, une souillon, c'est une mésalliance.
Aline. - Sans doute, sans doute… (Bas à Proserpine :) C'est fou, elles ne semblent pas vous voir.
Proserpine. - Je vous l'ai dit. Elles ne peuvent ni me voir ni m'entendre. Regardez. (Elle fait une démonstration des plus extravagantes pendant que les amoureux continuent à s'embrasser. Gertrude croit qu'Aline s'intéresse à sa robe.)
Gertrude. - Est-ce ma tenue que vous remirez ainsi Dame Aliénor ?
Proserpine. - Vous me croyez maintenant ?
Aline. - C'est formidable.
Gertrude, rougissant. - Merci.
Guylain. - Finalement ! Cette époque me plaît.
Jo. - Pardon ?
Guylain, se reprenant. – Euh !… Cette étoffe me plaît, cette étoffe.
Jo. - Ce n'est pourtant qu'un simple coutil.
Proserpine. - Bon, là, il faut arrêter parce que...
Gertrude. - Voilà un chevalier qui s'intéresse aux apprêts des dames maintenant ? On aura tout vu.
Jo. - Vieille chouette ! Jalouse !
Gertrude. - Oh ! Dame Aliénor, je... Vous devriez sans retard vous réfugier dans votre chambrée.
Aline. - Je ne sais si...
Proserpine. - Allez-y. Vous en profiterez pour commencer à chercher la Pierre de Temps.
Aline. – Et si je la trouve ?
Proserpine. - Surtout ne la touchez pas et appelez-moi.
Gertrude. - Vous la retrouverez sans efforts car je vous y conduis. Suivez-moi. (Aline et Gertrude sortent au donjon.) Il est vrai que ce château est un vrai labyrinthe.
Proserpine, interrompant les embrassades répétées de Guylain et Jo. - Bon, si Messire le chevalier veut bien lâcher prise deux secondes.
Guylain. - Je vous écoute.
Jo, minaudant. - Que souhaitez-vous entendre beau sire ? Combien je vous trouve fier et bacheleux, plaisant de minois et d'estoc ?
Proserpine. - Je retourne au XXIème siècle. Je ne peux rester que quelques minutes à chaque voyage.
Guylain. - Vous êtes sûre de ce que vous faites ?
Jo. - Absolument ! Que se passe-t-il ? Pourquoi ce vouvoiement soudain ?
Proserpine. - Fais-moi confiance ! (Effets stroboscopiques et elle disparaît.)
Jo. - Réponds... Tu restes coi... Ah oui, maintenant c'est un chevalier que j'ai devant moi et non plus un simple écuyer. Un chevalier qui s'en veut de s'être énamouré d'une vilaine servante.
Guylain. - Mais non.
Jo. - Je ne suis pas si sotte et me rends bien compte que le Chevalier Chantecourt m'aime moins fort qu'hier le simple Ghislain.
Guylain. - Mais c'est impossible puisque...
Jo. - Tais-toi. Même tes baisers m'ont semblé moins fougueux. Tu ferais mieux d'avouer que tu t'es joué de moi. (En pleurant :) C'est déjà marmouserie pour une chambrière comme moi de croire en l'amour d'un écuyer, alors d'un chevalier...
Guylain. - Je te jure que je t'aime plus que tout au monde. Et je te jure qu'il en sera encore ainsi dans des siècles.
Jo. - Des siècles, comme tu y vas !
Guylain. - Au moins jusqu'au XXIème, je te le jure.
Jo. - Le XXIème ! Tu es fou ! Tu m'aimes donc vraiment ?
Guylain. - De tout mon être. (Ils vont s'embrasser de nouveau quand :)
Adémar, off. - Ghislain ! Ghislain ! Viens à notre rescousse, nous faiblissons !
Guylain. - Mais vous m'aviez dit de rester près de...
Adémar, apparaissant entre les colonnes. - Aux remparts te dis-je ou nous sommes perdus. Ils nous débordent ! (Il donne un coup d'épée derrière le décor.) ... Raaahhh ! En voilà un qui ne nuira plus. Il y a plus de deux cents Gascons à leurs côtés. A moi mes braves ! (Il ressort.)
Jo. - Va mon chevalier et triomphe. Ton courage va revigorer nos gens.
Guylain, tergiversant. - Bien... Alors j'y vais... Hé, hé ... J'ai bien mon épée, oui. Ma ceinture ? Aussi, oui. Je vais pouvoir y aller alors... Ça, pour y aller, j'y vais ! (Il se dirige vers le donjon.)
Adémar, off. - Vite Ghislain !
Jo. - Pas par ici, mon aimé ! Par-là.
Guylain. - Bien sûr. C'est toi qui me trouble.
Jo. - Bats-toi comme un lion et reviens-moi couvert de sang et de gloire.
Guylain. - C'est ça. Pour le sang ça ne devrait être pas difficile. (Au public :) Pour la gloire ?
Jo. - Va mon aimé ! Je veux avoir un guerrier victorieux dans ma couche, ce soir.
Guylain. - Tu veux ? Dans ta louche… Ta mouche… Ta couche... ? Oh ! Oh ! Oh ! Ce soir ?
Jo. - Oui.
Guylain, transfiguré. - Ah ! Nom de Zeus ! Tu vas voir ce que tu vas voir ! (Il sort sur la droite des remparts en hurlant, l'épée à la main.) Raaahhhhh !!!!
Jo, face public. - Ah mon cher amour ! C'est un preux !
Guylain, passant dans le fond en hurlant avec si possible un figurant anglais à ses trousses. - Aaahhhhh !!!!
Jo, même jeu et sans se retourner. - Un preux qui ne connaît pas la peur.
Guylain, idem mais dans l'autre sens - Aaaaahhhhh !!!!
(Par une des tentures, entrent Irène, Jean-Albert en baron anglais et deux soldats gascons qui ne sont autres que Dunord et Fenouillet. Ils s'emparent de Jo.)
Irène. - Vous voici dans la place, cher Baron, comme promis.
Jean-Albert, avec un fort mais vrai accent anglais. - Je t'en rends grâce, Irguedale. Prends ! (Il lui tend une bourse mais ne la lui donne pas.)
Jo. - Traîtresse ! Tu leur as ouvert le souterrain ?
Irène. - Comme tu vois. J'ai choisi mon camp à temps, celui des vainqueurs. (Elle tend la main.)
Jo. - Crapule ! Ghislain ! Ghislain au secours ! A l'aide !
Jean-Albert. - Tais-toi femelle ! Fenouillet, (Il prononce Fenouillette.) fais taire cette gueuse.
Fenouillet, avec un mauvais accent anglais. - Yes Chef ! (Il s'avance vers Jo et lève son arme pour la tuer.)
Jean-Albert, lubrique. - Mais ne l'abîme pas. Je sens qu'elle pourra encore servir.
Irène. - Comme vous êtes avisé et prévoyant Messire ! (Elle tend la main.)
Jo. - Au secours ! Ghislain ! (Elle se débat et Fenouillet lui met la main devant bouche.)
Guylain, off. - Jo ? C'est Jo ? J'arrive mon amour ! (Il entre et s'entrave avec fracas. Il s'étale aux pieds d'Edgar qui l'assomme sans effort.)
Jean-Albert. - (A ses hommes:) Chut ! Be quiet men. (Râlant:) Ah, c'est vrai que vous êtes Gascons ! Well ! Pas de bruit beaucoup. Il faut conserver l'effet de surprise car gagnée la partie n'est pas encore.
Irène. - Tu devrais rechercher la femme, Baron. (Elle tend la main.)
Jean-Albert. - Quelle femme ?
Irène. - Dame Aliénor, la promise d'Adémar De Bertignac. Quand tu auras cette drôlesse entre les mains, le seigneur de Bertignac tombera sous ta coupe comme un fruit mûr et ton triomphe sera total.
Jean-Albert. - Marvellous ! Tes parlures sont d'argent mais ton esprit est d'or.
Irène. - En parlant d'or (Elle tend la main.)
Jean-Albert, remettant la bourse à sa ceinture. - Quand le château sera mienne, tu l'auras. (Aux soldats :) Trouvez cette femme vous autres et ramenez-la moi. Et en silence ! (Edgar sort au donjon.)
Jo que Fenouillet vient de lâcher pour suivre Edgar. - Au secours ! (Guylain revient à lui.)
Jean-Albert. - Fenouillet !
Fenouillet, reprenant Jo. - Sorry Chef but...
Jean-Albert, menaçant. - But what ?
Fenouillet. - Nothing du tout, chef.
Jean-Albert. - Silence !
Fenouillet. - Yes chef (Mordu par Jo.) Wouaïeeee !!!!
Jean-Albert, plaçant sa lame sur la poitrine de Fenouillet. - Silence ! Silence ou je tranche ton gorge de gascon damné ! (Fenouillet tremble de tous ses membres.) C'est aussi valable pour toi le donzelle. Tu pourras crier tout ton soûl plus tard. Fais-moi confiance, je m'y emploierai. But, pour l'instant, une mot et je t'étripaille. Ce serait dommage de te meshaigner car je te trouve très à mon goût.
Jo. - Merci du compliment, on connaît les goûts anglois !
Jean-Albert. - Silence !
Edgar, revenant avec Aline et Gertrude. - J'ai trouvé chef ! Elles se mussaient dans une chambre, mais je les ai flairées.
Jean-Albert. - Bravo ! Rappelle-moi ton nom, mon brave. Tu n'auras pas à faire à une ingrate !
Edgar. - Saint Lazare Messire, Edgar Saint Lazare.
Jean-Albert. - Bien. Edgar Saint Lazare je ne te t'oublierai point. (À Aline :) Est-ce toi, le future épouse du maître de ses lieux.
Aline. - Écoutez Jean-Albert, je vais tout vous expliquer...
Jean-Albert. - Adonque, vous me connaissez ?
Aline. - Parfaitement, vous êtes Jean-Albert Pindrat, enfin pas tout à fait, pas en ce moment mais...
Jean-Albert. - Not Pindrat, Pinderat (Prononcé "pine de rate"). John-Albert Pinderat !
Irène. - C'est un stratagème. Cette femme est mauvaise. Il faut t'en défier comme du mal noir.
Jean-Albert. - Assez de parlures vaines ! Qu'elle me connaisse ou pas n'a aucune importance.
Aline. - Mais voyons, laissez-moi vous expliquer. (À Guylain :) Dites quelque chose vous !
Guylain, encore groggy. - J'ai mal à la tête. Oh que j'ai mal à la tête !
Jo. - Mon pauvre amour ! Il est presque mat.
Jean-Albert. - La française chevalerie a toujours failli devant les anglaises lances. Ah ! Ah ! Ah ! (Hurlant :) Holà ! Comte de Bertignac !
Fenouillet. - Chut ! (Regard de Jean-Albert) Euh... Sorry désolé very muche, chef.
Jean-Albert. - Bertignac ! Je tiens ton dulcinée belle. Bertignac ! Montre-toi si tu n'es pas une couard !
Adémar, entrant. - Qui se permet de... Aliénor ! Que ?... Ah les maudits !
Jean-Albert. - Calme-toi Bertignac et lâche ta lame si tu veux qu'elle vive.
Adémar. - Aliénor !... (Il lâche son épée.) J'aurais préféré souffrir la malemort plutôt que de vous voir...
Jean-Albert. - Tu connaîtras le trépas bien assez tôt. Ordonne à tes gens de rompre le combat et de déposer leurs armes sur-le-champ, sinon.
Adémar. - Oyez, mes braves ! Oyez ! Rompez et lâchez hasts, masses et tranchants ! Tout est perdu !
Jean-Albert. - Bien ! J'attends de toi une soumission complète. Fenouillet, mets-le aux fers à ce mur pour qu'il puisse voir comment on va fêter le victoire (Fenouillet obéit et Edgar tient les femmes sous la menace de son arme.) et s'amuser un peu avec les prises de guerres ! Ah ! Ah ! Ah !
Adémar. - Je t'interdis, vil pendard ! Je te ferai brancher haut et court, je t'arracherai le cœur si tu touches un cheveu de sa...
Jean-Albert. - Tout doux, tout doux ! Tu n'es plus en position d'interdire quoi que ce soit. Ne te plains pas trop, pour ce jourd'hui tu es encore en vie. J'aurais pu faire occire tout le monde dans de subtils tourments mais pour l'instant, j'ai d'autres plaisirs qui attendent moi. (Il donne la bourse à Irène.) Tiens pour toi !
Irène. - Moult merci Messire !
Jean-Albert. - Les françaises femelles vont goûter à l'anglais étalon. Et par Dieu, elles ne vont pas être déçues ! (A Irène qui lui faisait les yeux doux :) Non, pas toi ! (Aux soldats :) A la ripaille vous autres ! Que chacun se serve ! (Prenant Jo par le bras :) Moi je me réserve celle-ci. Victoire ! Victoire !
Jo. - Lâchez-moi ! Sale fredain !
Edgar et Fenouillet. - Hourra ! Hourra ! A la ripaille !
Edgar. - A moi la dulcinée ! (Il se rue sur Aline qui fuit par les remparts.)
Fenouillet. - Viens un peu ici ma belle ! (Il se rue sur Gertrude qui fuit par le passage.)
Gertrude et Aline, en sortant. - Au secours !
Adémar. - Aliénor ! Soyez maudits ! Aliénor !
Jo. - Ghislain ! Ghislain !
Jean-Albert. - Cornecul ! Vas-tu la fermer ?
Jo, se débattant de plus belle. - Vil linfar ! Malbouche ! Cornard ! Ghislain, au secours !
Jean-Albert. - Je vais te l'occire pour de bon ton Ghislain. Ainsi tu n'auras plus à... (Il lève son arme.)
Jo. - Non ! Pitié !
Irène. - Puis-je te demander une faveur Baron ?
Jean-Albert. - Tout ce que tu veux. Je te l'ai promis.
Irène. - Je voudrais disposer du sort et du corps de ce chevalier. (Elle parle de Guylain.)
Jean-Albert. - Ah ! Ah ! Si tu veux. Il est à toi. Fais-en bon usage mais j'espère pour toi que le bas et en meilleur état que le haut qui me semble un peu mou. Ah ! Ah ! (À Jo.) Viens, toi ! (Il sort au donjon avec Jo. Irène s'occupe de Guylain.)
Irène, très vamp. - Tu peux dire que tu as de la chance dans ta malefortune chevalier.
Guylain. - Non ? Ça ne va pas recommencer ?
Irène. - Recommencer ? Aurais-tu déjà forniqué ce jourd'hui ?
Guylain. - Forniquer ?
Irène. - Peu m'en chaut ! Quand tu seras passé entre mes bras tu verras, tu oublieras toutes les autres.
Aline, revenant poursuivie par Edgar. - Il va me lâcher, lui, oui ? (Magistrale gifle d'Aline.)
Edgar. - Toi ribaude, tu vas apprendre qu'on ne me cingle pas impunément. Foi d'Edgar Saint Lazare, gare à toi, je vais te mener un train d'enfer. Bientôt ce ne sera pas la joue qui te cuira.
Aline. - Plutôt mourir.
Edgar. - Ça viendra aussi. Mais pour l'instant…
(Effets stroboscopiques. Proserpine apparaît.)
Guylain. - Ah ! Vous, enfin !
Irène. - Tu m'attendais donc ? Me voici mon doux chevalier.
Guylain. - Faites quelque chose !
Irène. - Oh ! Oh ! Tout de suite, bel étalon !
Proserpine. - Mais je ne peux rien faire, je suis un hologramme.
Aline. - On s'en fout ! Dépêchez-vous ! Nom d'un chien !
Edgar. - Ah ! Ah ! Te voilà empressée à présent ?
Aline. - Mais non !
Edgar. - Toutes les mêmes ! Tu vas voir ce que tu vas voir !
Adémar. - Attends Linfar ! J'ai moult richesses cachées en ce château. Ne lui fais aucun mal ! Je te donnerai tout ! A commencer par ce joyau qui pend à mon cou.
Edgar. - Ah ? (À Aline en la tenant en respect avec son épée :) Ne bouge pas, toi. (À Adémar :) Montre un peu cette pierraille. Fichtre !
Proserpine. - Nom d'un quartz ! La Pierre ! C'est la Pierre de temps !
Edgar. - Dès que j'aurai besogné ta promise je te délesterai de son poids ! Ah ! Ah ! Ah ! Allez ma jolie ! Montre-moi tes appâts !
Adémar. - Non !!!
Proserpine. - Vite Aline, Guylain, débarrassez-vous d'eux et allez toucher la pierre.
Aline. – Si vous croyez que c'est facile !
Edgar. – Je vais t'aider.
Proserpine. – Vite ! Il faut que vous la touchiez ensemble !
Aline. - Lâche-moi, butor ! (Elle lui administre un coup de genou mal placé.)
Edgar. - Wouhou hou hou !
Guylain. – Toi, dégage ! (Il repousse Irène violemment et elle va s'étaler plus loin.)
Adémar. – Bien joué Ghislain !
Proserpine. - Vite ! (Aline et Guylain se jettent au cou d'Adémar et touchent la Pierre de temps.)
Adémar. - Ah ! Ma mie ! Délivrez-moi que je pourfende ces maudits !
Proserpine. - Prêts ?
Aline et Guylain. - Prêts !
Proserpine. - C'est parti !!!!
Effets stroboscopiques et fermeture du rideau
Gertrude, entrant par la gauche du rideau fermé. - Mon Dieu ! J'ai enfin pu échapper aux griffes de ce diable de gascon ! Ma vertu est sauve.
Fenouillet, off. - Fifille ? Où elle est la fifille ?
Gertrude. - Oh ! Non ! (Elle fuit par la droite du rideau.)
Fenouillet, entrant par la gauche du rideau. - C'est pas beau de se cacher ! (Au public :) Vous avez pas vu la donzelle ? Une belle brune avec une robe bleue ? (Il se dirige vers la droite du rideau.) Où qu'elle est la fifille ?
Gertrude, off. - Elle n'est pas là !
Fenouillet, résigné.- Ah bon ! (Au public :) Ah bon ! Ben alors… C'est l'entracte !
Fin de l'acte 2
ACTE III
Le rideau s'ouvre sur des effets stroboscopiques. Nous sommes en 1807. Guylain, vêtu en femme, est seul, dos au public, il regarde les murs qui ont encore changé. (ATTENTION : Guylain = voix normale ; Guylain = Voix de fausset.)
Guylain. - Mais, mais... Mais nous ne sommes toujours pas dans la bonne époque... (Il se retourne.) Ah ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que c'est que cet accoutrement ? C'est une robe ! Une robe ?!!! La machine ne m'a tout de même pas téléporté dans le corps d'une… ? Je suis une… ? Non ? C'est impossible. (Il regarde dans son décolleté.) Non ? (Il se tâte et, horrifié.) Siiii !!!! Au secours ! Madame Proserpine, Assapairez… Arraipassez… Apparaissez ! Je vous l'hormone… Je vous l'ordonne ! (En pleurant :) Madame Proserpine ! Au secours !
Edgar, entrant, suivi de Fenouillet chargé de bagages. - Est-ce vous mademoiselle De Chancourt qui appelez à l'aide ?
Guylain. - Ah ! Les Anglais. Ça n'a pas marché ! Ils sont toujours là !
Edgar. - Mais de qui parlez-vous Mademoiselle ? Il n'y a jamais eu d'Anglais ici, Dieu merci. (Montrant le portrait de Napoléon :) J'en connais un qui ne serait pas content.
Guylain. - Bien sûr.
Edgar. - Mais… Votre voix… Seriez-vous souffrante ?
Guylain, sans vraiment comprendre mais en changeant sa voix. - Ah non ! Non, non !
Edgar. - Vous êtes ici en parfaite sécurité, je vous l'assure. Est-ce moi qui vous ai fait peur ?
Guylain. - Un peu oui.
Edgar. - Veuillez me pardonner. Tu vois rustaud. Je t'avais pourtant bien dit de faire moins de bruit. Permettez-moi de me présenter : Montparnasse, Edgar Montparnasse, majordome de ce château. Lafenouille et moi-même sommes à votre entière disposition.
Guylain. - C'est cela oui.
Edgar. - Dans quelle chambre devons-nous déposer vos bagages, Mademoiselle ?
Guylain. - Hein... Euh... Dans celle qui convient le mieux.
Edgar. - C'est à dire ?
Guylain, d'un geste le plus vague possible. - Celle-ci.
Edgar. - Celle de gauche ?
Guylain. - Oui, oui.
Fenouillet, gouailleur. - A gauche de quoi ma p'tite Dame ?
Edgar. - Lafenouille ! Un peu de respect ! Tu parles à la demoiselle de compagnie de L'Impératrice Joséphine.
Guylain, bas, au public. - La Dameumeu de L'impépé Joséphi ? Oh là là ! V'là autre chose !
Edgar. - Veuillez lui pardonner Mademoiselle. C'est un homme simple mais dévoué et dur à la tâche.
Guylain. - Ce n'est rien. Ce n'est rien.
Edgar. - Lafenouille ! Range les bagages de Mademoiselle De Chancourt dans la chambre de gauche.
(Fenouillet se gratte la tête.) Et fais vite. Mademoiselle De Chancourt a besoin de repos. Je vous envoie Gervaise pour qu'elle prépare votre lit au plus vite. (Il sort puis revient pour ajouter :) Lafenouille ! La gauche, c'est du côté de ta main qui n'écrit pas. (Il sort.)
Fenouillet, faisant le geste d'écrire. - Ah ?... Oui, vu !
Guylain, en aparté. - Mademoiselle Ghislaine de Chancourt, c'est pas Dieu possible (Il s'effondre dans un fauteuil. Dans ce qui suit Fenouillet ne cesse pas d'hésiter en les deux portes du fond, l'une étant à sa gauche quand les regarde et à sa droite lorsqu'il se retourne pour saisir les bagages.)
Jo, entrant, richement vêtue. – Ouf ! Enfin un peu de calme ! Voyons ces appartements.
Guylain. - Jo... Ségon... Séphine ? Guylain. - Joséphine ?
Jo. - Eh bien oui, c'est moi ! Tu m'as l'air surprise ?
Guylain. - Non, non. Un peu lasse voilà tout.
Jo. - A qui le dis-tu ? Je suis épuisée. Ce voyage, cette poussière ! Et l'accueil des notables du coin qui n'en finissait pas. Le Maire surtout. Il est d'une fatuité à vomir celui-là ! Tu ne trouves pas ?
Guylain. - Si, si. Comment s'appelle-t-il déjà ?
Jo. - Dinderat ou Pleinderat, je crois.
Guylain. - Pinderat ? Encore lui.
Jo. - Tu le connais ?
Guylain. - Non, non.
Jo. - Déshabille-moi s'il te plaît, j'étouffe. (Guylain sourit bêtement au public.) Eh bien ! Qu'attends-tu ? Enlève-moi cette cape voyons.
Guylain, emprunté et maladroit. - Tout de suite, Madame.
Jo. - Madame ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu m'as toujours appelée Joséphine.
Guylain. - Oh ! C'est parce que... Enfin... Je plaisantais.
Jo. – Un rien t'amuse. Ah ! Si je n'avais pas ta bonne humeur et ton sourire, certains jours me paraîtraient bien longs. Surtout quand Napoléon me croit à sa botte comme n'importe quel général.
Guylain. - Ah ça ! Les générals... Guylain. - Raux. Généraux ! Guylain. - Généraux !
Jo. - Ah que tu es drôle ! (Elle l'embrasse sur la joue.) Je t'adore !
Guylain. - Moi aussi. (Lafenouille finit par entrer dans la bonne chambre mais en marche arrière.)
Jo, se laissant tomber sur un siège. - Napoléon me fatigue. J'ai l'impression que je ne suis pour lui qu'un simple objet destiné à assurer sa descendance. Malheureusement, jusqu'à maintenant... Ce n'est pourtant pas faute d'essayer. Chaque fois qu'il le peut, il me rejoue la charge du huitième Hussard. C'est d'un lassant à la longue. Je ne sais plus quoi inventer pour réduire nos moments d'intimité au strict minimum. Mes migraines et mes fatigues ne l'émeuvent plus. C'est l'enfer.
Guylain. - A ce point ?
Jo. - Oui, chère Ghislaine, c'est à ce point. J'aimerais tant qu'il me regarde comme une femme sensible, fragile et non plus comme une reproductrice ! Je le voudrais attentionné, prévenant, languissant, caressant et non plus sévère, brutal et pour tout dire, expéditif.
Guylain. - Expéditif ?
Jo. - Oui, tu vois ce que je veux dire ? (Soupirant) Enfin ! Tel est mon sort. (On frappe.) Attention c'est peut-être lui. Entrez !
Gertrude, entrant avec des draps.- Mes hommages votre Altesse ; Mademoiselle. Je vous prie de pardonner mon intrusion mais on m'envoie préparer votre lit. Quelle chambre avez-vous choisie ?
Guylain. - Euh ? Celle de gauche.
Gertrude. - Excellent choix. Permettez (Elle sort dans la chambre.)
Jo. - J'ai dû, pour ne pas le vexer, accepter ce petit voyage en Aquitaine. Un voyage en amoureux, loin de Paris, m'a-t-il dit, sans suite et sans escorte. Il a seulement consenti à ta présence parce que lui-même ne voulait pas se séparer d'Ali.
Guylain. - Ali ?
Jo. - Un de ses Mamelouks, Ali ! Tu sais bien.
Guylain, faussement. - Ah oui ! Ali.
Jo. - J'ai bien essayé d'exiger une escorte de quarante gendarmes mais il n'a pas voulu.
Guylain. - Ah ça ! Ali et les quarante gendarmes, ça ne se fait pas...
Jo. - Mais pour la tranquillité il l'aurait eu dans le baba.
Guylain. - Ça !
Jo. - Alors que, sans témoins ou presque, il va pouvoir abuser de moi à tout bout de champ. Seule avec lui pendant trois jours, je ne tiendrai pas le coup. Tu vas m'aider, n'est-ce pas ?
Guylain. - Bien sûr ! Mais comment ?
Jo. - J'ai pensé, qu'à une amie telle que toi, ma seule véritable amie, je pouvais… Tout demander.
Guylain. - Évidemment.
Jo. - Je le savais. (Elle l'embrasse. Guylain est troublé.) Tu es un amour. Tu vas m'aider à régler mon problème...
Gertrude, off. - Dehors, malotru ! Goujat !
Fenouillet, off. - Mais je voulais juste t'aider.
Gertrude, off. - Je n'ai pas besoin de toi ni de tes mains baladeuses ! (Bruit de gifle.)
Fenouillet, entrant. - M'enfin Gervaise, je ferais pourtant un bon mari et…
Gertrude, off. - Jamais ! (Elle lui claque la porte au nez.)
Fenouillet. - Elle est un peu. Hein ? Enfin… Je m'excuse de me pardonner… (Il sort de l'appartement.)
Guylain. - Elle, elle l'a réglé le problème. Tu devrais peut-être faire de même. Une bonne gifle et…
Jo. - Tu n'y penses pas ! C'est l'Empereur ! Non mais… Euh !... Peut-être que si tu... Enfin si tu pouvais me l'épuiser un peu de ton côté, mon cher époux serait peut-être moins empressé de m'honorer toutes les cinq minutes.
Guylain. - J'ai peur de mal comprendre.
Jo. - Ne te fais pas plus sotte que tu ne l'es. Tu as très bien compris. Plus Napoléon batifolera avec toi plus j'aurai la paix.
Guylain. - Mais...
Jo. - Ne nous étions-nous pas promis de tout partager ?
Guylain. - Oui mais ça... c'est spécial… Et puis c'est ton mari et…
Jo. – Puisque c'est moi qui te le demande. De toute façon tu n'auras aucune peine à le séduire.
Guylain. - C'est toi qui le dis.
Jo. - Je lui ai déjà laissé entendre que tu étais folle de lui.
Guylain. - Hein ! Tu lui as dit ça ?
Jo. - Oui, et bien d'autres choses encore, plus croustillantes. Je lui ai dit aussi que seule ton amitié envers moi t'empêchait de lui sauter au cou.
Guylain, paniquant. - C'est ça, l'amitié c'est sacré et je...
Jo. - Je t'en supplie. Il y va de ma santé et peut-être de ma vie.
Guylain. - Ben c'est que...
Jo. - Tu n'auras aucune peine te dis-je. Tu verras, c'est une vraie braise. Fais ça pour moi, s'il te plaît. Bon, je te laisse. Il doit me chercher partout. A plus tard. (Elle sort de l'appartement.)
Guylain, au public. - Et moi qui croyais avoir tout vu !
Gertrude, entrant. - Votre chambre est prête Mademoiselle de Chancourt. Avez-vous besoin d'autre chose ? Quelques rafraîchissements peut-être ?
Guylain. - Oui, merci Gertrude.
Gertrude. - Gervaise, Mademoiselle, Gervaise.
Guylain. - Bien sûr, Gervaise. Où avais-je la tête ?
Gertrude.- La fatigue sans doute. Je vous fais porter au plus vite de quoi vous désaltérer, Mademoiselle. (Elle sort en croisant sur le seuil, Aline, vêtue en Mamelouk) Ah ! Vous le Mamelouk, laissez-moi passer !
Aline et Guylain se font face, bouche bée, et se montrent mutuellement du doigt en silence puis :
Aline et Guylain. - C'est vous ?
Guylain. - Ben, elle ne vous a pas gâtée la machine de Proserpine !
Aline. - Elle ne vous a pas raté non plus. Vous êtes en femme et...
Guylain. - Je ne suis pas en femme, je suis une femme et je parie que vous êtes un homme.
Aline. - Hein ?
Guylain. - Un homme avec tout ce qu'il faut, là où il le faut.
Aline. - Qu'est-ce que vous... ? (Machinalement elle porte sa main à l'entrejambe et :) Ah mon Dieu ! Qu'est-ce que c'est que ça ?... Non ?!!!
Guylain. - Si.
Aline. - Mais non ?
Guylain. - Si, si !
Aline. - Mais comment est-ce possible ?
Guylain. - J'ai peur que tout soit possible avec cette satanée machine à voyager dans le temps. Surtout quand elle a des ratés.
Aline. - Nom de Zeus ! (Appelant à la cantonade :) Proserpine ! Ici tout de suite ! Vous m'entendez espèce d'illuminée ! Apparaissez immédiatement… Quoique... (Après un temps de réflexion et un examen de son anatomie.) Elle a peut-être mieux fait les choses que nous ne le croyons, cette machine infernale.
Guylain. - Comment ça ?
Aline. - Je suis un homme et vous êtes une femme, n'est-ce pas ? Vous, une faible femme et moi un homme plutôt costaud, un guerrier redoutable, limite barbare.
Guylain. - Oui, c'est cela.
Aline. - Nous sommes seuls. (Elle prend gauchement des allures de machos.)
Guylain. - Oui.
Aline. - Personne ne peut venir à votre secours.
Guylain. - Pardon ? Je n'ose comprendre.
Aline. - Vous allez comprendre très vite. Je vais pouvoir me venger d'une façon que je n'aurais pas pu imaginer il y a une heure encore. Je vais venger toutes vos victimes en vous faisant subir le sort que vous leur avez réservé, ignoble individu.
Guylain. - Mais enfin ! Reprenez-vous. De quelles victimes parlez-vous ?
Aline. - De toutes celles à qui vous avez fait subir les derniers outrages !
Guylain. - Quoi ?
Aline. - Ah, il ne vous manquait plus que la vieille, hein ?
Guylain. - Vous merdez la paison… Vous perdez la maison… Vous perdez la raison. Et puis d'abord, je suis une homme... Guylain. - Je suis un homme !
Aline. - Pas en ce moment ! Je vais vous faire chanter la Tyrolienne en Javanais et Les Walkyries en contre ut, moi. (Elle se jette sur lui et ils tombent.)
Guylain. - A moi ! Mais lâchez-moi voyons ! Vous êtes folle ?
Aline. - Je voulais vous tuer mais j'ai trouvé un bien meilleur châtiment.
Guylain. - Ne faites pas ça ! Maman ! Maman !
(Effets stroboscopiques. Proserpine apparaît.).
Proserpine. - Ah ! Je vous retrouve enfin !
Guylain. – Madame Proserpine ! Je n'ai jamais été aussi heureux de vous voir !
Aline. - Vous perdez rien pour attendre vous.
Proserpine, affolée. - Mes enfants c'est une catastrophe ! La catastrophe des catastrophes !
Aline. - A qui le dites-vous ? Vous avez vu où nous en sommes ?
Guylain. - Il faut absolument que nous retrouvions le XXIème siècle au plus vite.
Proserpine. - Si c'était que ça !
Aline. - Vous ne trouvez pas que c'est déjà beaucoup ?
Guylain. - Mais enfin, regardez-moi. Votre machine m'a transformé en femme.
Proserpine. - Si ce n'était que ça !
Aline. - Et moi en homme, en Mamelouk !
Proserpine. - Si ce n'était que ça !
Aline. - Vous avez bu ou vous le faites exprès ?
Proserpine. - Il y a bien plus grave ! Laissez-moi vous expliquer.
Aline. - Vite, je sens que mes nerfs sont à bout.
Guylain. - Ça c'est vrai. Vous êtes même un peu... Non, rien.
Proserpine. - Voilà : la machine a téléporté deux êtres vivants de 20-- en 1450, vous et vous.
Aline. - On sait !
Proserpine. - Je l'avais donc programmée pour assurer le retour de deux personnes grâce à la Pierre de Temps mais...
Aline et Guylain. - Mais... ?
Proserpine. - Mais elle a téléporté trois personnes.
Guylain. - Comment ça ?
Proserpine. - Quand vous avez touché la Pierre de Temps en 1450, une troisième personne l'a touchée elle aussi et a été téléportée avec vous.
Aline et Guylain. - Adémar ?
Proserpine. - Exactement. C'est ce qui explique pourquoi vous n'êtes pas revenus en 20--.
Guylain. - Pourquoi ?
Proserpine. - La machine était programmée avec la quantité d'énergie nécessaire pour deux personnes, pas trois, elle n'a pu vous faire faire que les deux tiers du trajet, logique. Nous sommes en 1807.
Guylain. - Et l'erreur de sexe ?
Proserpine. - Là encore, la troisième personne a complètement faussé les paramétrages moléculaires. Il est même curieux qu'elle ait réalisé l'inversion totale.
Aline. - Pardon ?
Proserpine. - Eh bien oui ! Paramétré pour un homme et une femme, le téléportage de deux hommes et une femme aurait dû donner des êtres deux tiers hommes un tiers femme.
Guylain. - Non ?
Aline. - Vous allez finir par nous dire que nous avons eu de la chance.
Proserpine. - En somme, oui. Mais le fait que vous soyez entièrement femme et entièrement homme voudrait dire que la troisième personne, elle, est forcément... (Entrée d'Adémar, vêtu en gentilhomme empire mais avec des tons tirant sur le rose. C'est une folle avec des relents de chevalier du XVème siècle. Il déambule dans la pièce, complètement ahuri.) Moitié, moitié ! Nom d'un quartz de nom d'un quartz !
Aline. - Mon Dieu ! Adémar ?
Guylain. - Saperlipopette ! Ça c'est le bouquet !
Adémar. - Mais qu'est-ce que cette marmouserie ? Enfin, qui a transformé les murs de mon château ? Et les fers qui étaient séant ? Et les tentures ? Qu'est-ce que ces huis ? C'est sorcellerie que tout cela.
Aline. - Calmez-vous Adémar, calmez-vous.
Adémar. - Aliénor ? Non, vous n'êtes pas... Ghislain ? ... Mais ? ... Arrière Satanas ! Belzébuth ! Vous êtes les fruits d'une invention du Malin ! Arrière ou je vous tranche en...? Ma chère épée ? Où est-elle ? Mon harnois ? Mais comment suis-je accoutré ?
Aline. - On va tout vous expliquer.
Proserpine. - Ça ne va pas être simple.
Aline. - Vous, taisez-vous. Adémar, mon cher Adémar, écoutez-moi.
Adémar. - Ne m'approche pas, soudoyé de Satan ! Foi de Bertignac je t'occirai et retrouverai ma mie. Qu'en as-tu fait ? Par saint Denis, ma voix ! Je ne reconnais plus ma voix. C'est celle d'un chapon. Et cette allure, ce port, cette démarche, me voici devenu un mignon. Moi, Adémar de Bertignac un mignon... Je sens que ma raison chancelle. Aaaahhh ! (Il s'évanouit presque et tombe sur un siège à demi conscient.) Moi, un preux, voilà que je me pâme comme une jouvencelle.
Proserpine. - Jamais il ne pourra comprendre.
Adémar. - Est-ce toi Satan ? Quelle est cette armure qui te vêt ? As-tu queue fourchue ? Si c'est le cas alors prends ma vie, prends mon âme mais libère Aliénor et Ghislain de ce maléfice.
Proserpine. - Il me voit, c'est déjà ça.
Adémar. - Certes, je te vois mais qui es-tu ?
Proserpine. - Je ne suis pas le diable, rassure-toi. Mais il s'agit bien d'un maléfice.
Aline et Guylain. - Hein ?
Proserpine. - Il vaut mieux lui expliquer les choses avec des mots et des références de son époque, sinon il va devenir fou. Les gens de son temps croient facilement au merveilleux. Laissez-moi faire. Voilà : une sorcière nous a tous ensorcelés.
Adémar. - Irguedale ?
Proserpine. - C'est ça, Irguedale nous a jeté un sort et nous a projetés dans un autre temps, une autre époque que la nôtre.
Adémar. - La chienne ! La vilaine gueuse ! Que le diable la fornique jusqu'à ce que les yeux lui sortent de la tête ! Si je la retrouve, je lui ferai payer notre malefortune ! Un autre temps, dites-vous ?
Aline. - Même pour nous c'est difficile à comprendre.
Proserpine. - Oui, nous avons fait un bon dans le futur.
Guylain. - Dans le passé.
Proserpine. - Pour lui c'est le futur.
Guylain. - Hein ? Ah oui ! Pardon.
Adémar. - Dans le futur ?
Aline. - Nous sommes en 1807.
Adémar. - L'an de grâce 1807 ? Quel prodige ! Nous avons fait un bond de près de quatre siècles ?
Proserpine. - C'est cela et nous ne repartirons à notre époque que lorsque nous aurons pu mettre la main sur une certaine pierre rouge.
Guylain. - La Pierre de Temps.
Aline. - Qui doit se trouver quelque part dans le château.
Adémar. - Il faut donc la retrouver prestement. Mettons-nous en quête sur-le-champ. Et si je tombe sur cette Irguedale je la ferai empaler ou plutôt écorcher, écorcher vive et saler. Cherchons cette pierre magique comme Perceval chercha le Saint Graal !
Proserpine. - En attendant, il faut absolument que nous fassions croire aux gens de cette époque que nous sommes comme eux. Avez-vous compris ?
Adémar. - Je crois.
Guylain. - Là, il m'épate.
Aline. - Tout le monde n'est pas aussi bouché que vous. C'est un Bertignac !
Guylain. - Pour le moment c'est surtout un paumé, comme nous.
Aline. - Taisez-vous! N'oubliez pas que je n'en ai pas fini avec vous.
Guylain. - Je ne pense qu'à ça.
Aline. - C'est bien ce que je vous reproche, dépravé.
Guylain. - Mais non, ce n'est pas ce que je voulais di... Bon, si on cherchait cette satanée pierre ?
Adémar. - Bien parlé, Ghislain. Ne faiblissons pas.
Gertrude, entrant, collée par Fenouillet. - Voici de quoi étancher votre soif, Mademoiselle.
Adémar. - Gerbaude ?
Gertrude.- Pardon monsieur ?
Aline. - Rien, rien ! Venez Adémar. Passons plutôt dans la chambre et cherchons la pierre. (Elle prend Adémar par le bras et l'entraîne dans une chambre.)
Adémar. - Allons-y prestement, ma douce amie. (Ils sortent dans la chambre de droite.)
Fenouillet. - Eh bé ! C'est du beau !
Gertrude. - Tais-toi, voyons. Désirez-vous autre chose, mademoiselle ?
Guylain. - Non, merci. Laissez-nous, je vous prie.
Gertrude. - Bien, mademoiselle. (Elle sort avec Fenouillet qui la colle toujours lourdement.)
Proserpine. - Très bien. Cherchons !
Guylain. - Moi, il faut que je boive un coup, parce que... (Il va se servir un verre lorsqu'il voit que la Pierre de temps est en fait le bouchon de la carafe.) Nom d'un chien ! Le bouffon de la carache ! Le bouchon de la carafe, c'est la tiers de pan, c'est la Pierre de temps !
Proserpine. - Magnifique ! Aline, Adémar ! Venez vite ! Nous l'avons.
Aline, entrant avec Adémar. - Bravo !
Proserpine. - Vite ! Posez vos mains dessus.
Guylain. – Tous ? Vous n'avez pas peur que… ?
Proserpine. - Non, je règle le navigateur en conséquence.
Aline. - Si jamais vous vous trompez encore, je vous jure que....
Effets stroboscopiques et fermeture du rideau
Gertrude, entrant devant le rideau. – Mais non, enfin. Je vous dis que non ! C'est impossible.
Fenouillet entrant à sa suite devant le rideau. – Impossible, pas français, comme dit le patron.
Gertrude. - C'est comme ça que vous parlez de l'Empereur ? Bravo.
Fenouillet. - Oh, il est pas là pour l'entendre. Y'a que nous deux.
Gertrude. - Ah mon Dieu ! C'est pourtant vrai ! Nous sommes seuls.
Fenouillet. - N'ayez pas peur. Je vous protégerai.
Gertrude. - Mais je n'ai nul besoin d'être protégée. Reculez d'un pas ou deux.
Fenouillet. - Si vous voulez mais alors vous dites oui.
Gertrude. - Jamais de la vie. Laissez-moi !
Fenouillet. - Vous voulez pas ?
Gertrude. - Non ! (Elle part dans la salle et il la poursuit.)
Fenouillet. - Mais attendez. Je veux pas vous faire de mal. Je veux vous faire que du bien.
Gertrude. - Il n'est pas question que vous me fassiez du bien.
Fenouillet. - Attendez ! (Ils sortent de la salle.)
Gertrude, entrant par une autre issue et après un certain temps. – Non, non et non.
Fenouillet, entrant à sa suite. - Mais y'a pas de mal à se promener tous les deux.
Gertrude. - Je ne veux pas me promener. Et surtout pas tous les deux.
Fenouillet. - Mais on pourra cueillir des fleurs dans la campagne, des marguerites, c'est joli les marguerites.
Gertrude. - Certes, mais je n'en n'ai nul besoin et nulle envie. Laissez-moi. (Elle sort par le rideau.)
Fenouillet. - Mais attendez, je sais aussi ou on peut trouver des framboises, c'est bon les framboises. (Il sort à sa suite.)
Gertrude, off. - Allez voir ailleurs si j'y suis.
Fenouillet, ressortant du rideau. – Bon ! Mais où que vous pouvez bien être alors ? (Il se met à chercher dans la salle.)
On peut faire durer cette scène en improvisant un peu afin, là encore, d'occuper le temps nécessaire à la modification du décor et aux changements de costumes.
Fin du troisième acte
Acte IV
Le rideau s'ouvre sur des effets stroboscopiques. Nous sommes à l'époque actuelle. Gertrude est à genoux devant un cardinal qui n'est autre qu'Adémar, lui-même assis dans un fauteuil. Proserpine, toujours vêtue de sa combinaison, observe la scène.
Gertrude. - Monseigneur, pardonnez-moi pour toutes ces pensées indignes d'une bonne chrétienne mais depuis cette sauvage agression, je ne suis plus la même. J'ai des frissons dès que je croise un homme. J'ai peur qu'il se jette sur moi mais le plus grave c'est que… C'est que… Dieu que j'ai honte… C'est que j'ai envie… quelquefois… qu'il le fasse. Oh là là ! Je ne me reconnais plus.
Adémar, se levant. - Moi non plus, femme, moi non plus.
Gertrude. - Comment Votre Éminence, vous aussi ? Mais comment est-ce possible ?
Adémar. - Mais je n'en sais foutre rien !
Proserpine. - Oh là là !
Gertrude. - Mais ? … Ce langage, Monseigneur ?
Adémar. - Je ne me reconnais pas, pas plus que les murs de ce château. Mais…? Je porte l'Écarlate ?
Gertrude. - Eh oui ! Quoi de plus normal pour un Cardinal ?
Adémar. - Cardinal ? Ah oui ! Ça m'en a tout l'air. Ce doit être encore un coup d'Irguedale.
Gertrude. - Pardon, Monseigneur ? Vous vous sentez bien ?
Adémar. - Mieux qu'auparavant en tout cas. Avant j'étais mignon.
Gertrude. - Ah ! Son Éminence fait de l'humour.
Proserpine. - Adémar ! Adémar ! Il faut donner le change.
Adémar. - Hein ?
Gertrude. - Je dis que vous ne manquez pas d'humour mais j'aimerais que nous reprenions la confession, si vous le voulez bien.
Proserpine. - Vous êtes un prélat, confessez-la.
Adémar. - C'est que…
Gertrude. - Oh ! Je sais que vous n'êtes pas venu ici pour cela mais pour bénir l'union de Mademoiselle Josépha et de Monsieur Pindrat.
Proserpine. - Hein ? !!! Faites-la parler Adémar !
Adémar. - Soit ! S'il faut que tu parles, confesse-toi donc. (S'asseyant :) Allez, femme… J'ouis.
Gertrude, sidérée. - Pardon votre Éminence ?
Adémar. - Parle te dis-je, je t'ouis.
Gertrude, soulagée. - Ah ! Eh bien… Je vous disais que je ne pouvais réprimer des pensées malsaines.
Je vois le mâle partout.
Adémar. - Ce n'est pas réellement un péché. Le mal, le bien…
Gertrude. - Moi c'est le mâle avec un accent circonflexe que je vois partout.
Adémar. - Ce n'est pas très grave. Poursuis.
Gertrude. - Il y a pire mais j'ai trop honte… C'est à cause des gendarmes.
Adémar. - Ah méfiez-vous des gens d'armes ! Ces soudoyés sont souvente fois prompts à la gaudriole.
Proserpine. - Ils sont ici ?
Adémar. - Sont-ils séant ?
Gertrude. - Bien sûr, ils ne quittent pratiquement plus le château. Monsieur Pindrat a peur que ce malfaisant de Dechancourt ne revienne gâcher la noce et le chef Dunord et le gendarme Fenouillet veillent sur nous nuit et jour et, justement, leur présence, la nuit, me trouble… Cette nuit encore j'ai rêvé que je cueillais des fleurs dans la campagne avec le gendarme Fenouillet.
Adémar. - Et alors ?
Gertrude. - Et alors, il était tout nu… Et moi aussi… Bou hou hou !
Proserpine. - Bon, abrégez. Pardonnez-la et faites-la parler de ce mariage.
Gertrude. - Oh que j'ai honte !
Adémar. - Point de honte ma fille. Il est normal que tes sens te triboulent. Je parie que tu n'as point encore enfanté ?
Gertrude. - Non Monseigneur.
Adémar. - C'est pour ça. Cherche un époux qui te fera moult enfançons et tu seras guérie.
Gertrude. - Ah bon ? Il faut que je… Et je serai guérie… Et pardonnée ?
Adémar. - Tout à fait.
Proserpine. - Le mariage, le mariage.
Gertrude. - Mais en attendant, que faut-il que je fasse comme pénitence ?
Adémar. - Que sais-je ?… Euh… Tu pourrais marcher sur des braises ou te flageller jusqu'au sang en faisant le tour de ce castel à genoux.
Proserpine. - Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe !
Gertrude, terrorisée. - Comment Monseigneur ?
Proserpine. - Trois Notre Père suffiront.
Adémar. - Ou trois Notre Père suffiront.
Gertrude. - Je préfère. J'en dirai même trente.
Proserpine. - Le mariage, bon sang. Il faut que je sache.
Adémar. - Parle-moi un peu du mariage qui s'annonce.
Gertrude. - Que vous dire que vous ne sachiez déjà ?
Adémar. - Si je dois bénir cette union, il me faut tout savoir.
Gertrude. - Soit. Eh bien en fait… Il s'agit plus d'un mariage de raison que d'un mariage d'amour.
Adémar. - Ah ?
Gertrude. - Oui, Mademoiselle Josépha n'a plus d'autre choix que d'épouser Monsieur Pindrat pour sauver le domaine dont elle a hérité.
Proserpine. - Comment ça, hérité ?
Adémar. - Comment ça, hérité ?
Gertrude. - Vous ne savez pas ?
Proserpine. - Non !
Adémar. - Non.
Gertrude. - Mais si, voyons. Il y a six mois de cela, Madame Aline De Bertignac et sa belle-sœur Madame Proserpine, ont disparu en compagnie de ce scélérat de Dechancourt. La police pense qu'il les a tuées toutes les deux.
Proserpine. - Nom d'un bug de nom d'un bug !
Adémar. - Tu veux dire Chantecourt, Ghislain Chantecourt ?
Gertrude. - Presque, Guylain Dechantcourt, une fieffée canaille celui-ci ! Il a bien caché son jeu. C'est aussi lui qui m'a… Bou hou hou !
Proserpine. - Allons bon ! Continuez à la faire parler. Plus nous en saurons, mieux nous pourrons agir.
Adémar. - Allons, allons, point de larmes et poursuivez.
Gertrude. - Que dire de plus ? La police recherche ce criminel partout. Mademoiselle Josépha n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle est triste à faire peur. Pensez donc, perdre sa mère et sa tante par la faute de celui qui disait l'aimer. Elle n'a plus le goût de vivre. Peut-être ce mariage avec le si gentil monsieur Pindrat lui rendra-t-il le sourire, mais j'en doute.
Proserpine. - Moi aussi. Je suis certaine que c'est ce Pindrat qui a tout manigancé.
Adémar. - Si on lui met la main dessus, il paiera sa forfaiture. On fera rôtir ce fredain à petit feu.
Gertrude. - Ah ça, il est certain que les portes de l'enfer lui sont ouvertes !
Guylain, entrant de la serre, vêtu comme au premier acte. – Madame Proserpine ! Cette fois nous sommes à la bonne époque, vous avez réussi ! Avez-vous vu Jo ? Il faut que je lui parle tout de suite.
Gertrude. - Ah !!!! Lui ? Aaaahh! Le monstre ! Il est de retour ! A moi ! A l'assassin ! (Elle s'évanouit.)
Guylain, essayant de la ranimer. - Elle est molle à scier… Sole à fier… Folle à lier.
Proserpine. - Fuis Guylain ! Fuis ! Si elle revient à elle, elle va ameuter tout le château.
Guylain. - Mais Jo…
Proserpine. - Fuis et cache-toi. Je t'expliquerai plus tard.
Guylain. - Je ne partirai pas tant que je n'aurai pas parlé à Jo.
Adémar. - Bien parlé Ghislain ! Fuir est un déshonneur.
Edgar, entrant du hall, suivi d'Irène et de Fenouillet. - Qu'est-ce c'est que tout ce vacarme ? Nom de D… (Essayant en vain de dégainer son arme.) Fenouillet ! Fenouillet, c'est lui !
Fenouillet. - Qui ça chef ?
Edgar. - L'assassin !
Fenouillet. - Où ça, chef ?
Edgar. - Mais là, imbécile ! On ne voit que lui ! Attrapez-le !
Proserpine. - Fuis Guylain ! (Guylain sort en courant par la droite de la serre.)
Fenouillet. - Je cours chef ?
Edgar. - Évidemment !
Fenouillet. - Bien Chef ! (Il sort en courant derrière Guylain.)
Edgar, soupirant. - Y'a des moments…
Irène. - Mon Dieu ! Il est revenu ! Il faut que je prévienne Monsieur Pindrat. (Elle sort par le hall pendant que Gertrude revient à elle.)
Adémar. - C'était pas Irguedale ça ?
Edgar. - Comment dites-vous ?
Adémar, en furie. - Irguedale ! Traîtresse ! Tu vas payer ta forfaiture ! Taïaut ! (Il décroche une arme d'un mur et sort à la poursuite d'Irène.)
Proserpine, en sortant derrière Adémar. - Aïe, aïe aïe ! S'il l'attrape, il va en faire du hachis.
Edgar, relevant Gertrude. - Dites, vous êtes sûre qu'il a le gaz à tous les étages le Cardinal, parce que…
Gertrude. - Oh ! Un faune ! Vous êtes beau vous aussi… Qu'est-ce que je dis ? Seigneur, j'ai besoin de repos. Il faut que je dorme. Vite. J'ai peur que mes nerfs et mes sens ne prennent le dessus.
Edgar. - Venez vous allonger un instant sur le sofa du boudoir.
Gertrude. - Qu'est-ce c'est que ces propositions indécentes ? Pourquoi pas aller cueillir des fleurs dans la campagne tant que vous y êtes ? Malotru ! (Elle sort dans le boudoir.)
Edgar, étonné, sortant derrière elle. - Qu'est-ce qu'ai- je dit ? (Bruit de gifle et il revient en se tenant le joue.) Mais qu'est-ce qu'ai-je dit ? Où en sommes-t-on ?… Ah oui ! L'assassin. Il est parti par-là. Mais Dunord connaît la musique. Il court, il court le futé. Il est passé par ici. Il repassera par-là… (Il sort par la gauche de la serre en disant :) Je vais le prendre à l'envers. (La scène reste vide un court instant.)
Fenouillet, entrant du hall en poursuivant Guylain. - Arrête ! Mais arrête puisque je te le dis !
Guylain. - Des clous ! (Ils traversent la scène et ressortent par le couloir.)
(Jo, très triste, entre de la serre. Elle a un petit bouquet de fleurs des champs à la main. Elle chantonne tristement. Elle le pose et sort par le couloir. On voit Guylain et Fenouillet passer d'un côté à l'autre de la serre. Jo revient avec un vase qu'elle va poser sur un guéridon, dos au public. Deuxième passage de Guylain et Fenouillet du hall au couloir.)
Jo, se retournant trop tard pour les apercevoir. - Il me faut de l'eau. Je n'ai plus ma tête. (Elle sort au labo puis on voit Guylain et Fenouillet passer d'un côté à l'autre de la serre. Jo revient du labo avec un arrosoir et troisième passage de Guylain et Fenouillet du hall au couloir. Guylain remarque alors Jo et s'arrête juste avant le couloir.)
Guylain. - Jo ! (Il laisse passer Fenouillet.) Je vous en prie. Après vous.
Fenouillet, qui continue sa course. - Merci !
Guylain. - Jo ! Enfin je te retrouve !
Jo. - Guylain ! (Elle lui envoie une gifle magistrale et éclate en sanglots.)
Guylain. - Jo, il faut que je t'explique.
Jo. – Monstre ! Tu oses revenir ici. Tu es l'être le plus abject que je connaisse. Ne m'approche pas !
Guylain. - Jo, je t'en supplie, écoute-moi. (On voit passer Fenouillet d'un côté à l'autre de la serre.)
Jo. - Tu es un assassin. Qu'as-tu fait de maman et de ma tante ?
Guylain. - Mais elles sont ici.
Jo. - Ici ? Tu as ramené leurs dépouilles ?
Guylain. - Leurs dépouilles ? Mais non, voyons !
Fenouillet, entrant. - Cette fois-ci je te tiens.
Guylain. - Ah non ! Vous avez un tour d'avance.
Fenouillet. - Ah bon ?
Guylain. - Sûr.
Fenouillet. - Ah bon. (Il sort par le hall, reprenant sa course en sens inverse.)
Guylain. - Je ne sais pas de quoi on m'accuse mais je te conjure de me croire. Je suis innocent !
Jo. - Je te croirai quand j'aurai serré ma mère et ma tante dans mes bras. Voilà six mois que j'attends qu'on retrouve leurs corps et toi, tu arrives et…
Guylain. - Six mois dis-tu ? Mais j'ai l'impression que notre voyage dans le temps n'a commencé que depuis quelques heures.
Jo. - Qu'est-ce que tu racontes ? Un voyage dans le temps ? Tu es fou ! Tu es un fou et un lâche.
Guylain. - Si tu veux. Je l'avoue.
Jo. - Quoi ? (On voit repasser Fenouillet d'un côté à l'autre de la serre.)
Guylain. - Oui, je suis fou. Fou de toi et j'ai toujours été trop lâche pour oser te l'avouer.
Jo. - C'est un peu facile. Mais qu'est-ce qui me le prouve ? Qu'est-ce qui me prouve que tu n'as pas violé Irène et Gertrude ?
Guylain. - Moi ?
Jo. - Qu'est-ce qui me prouve que tu n'as assassiné ma mère et ma tante ?
Guylain. - Mais enfin…
Fenouillet, entrant par le couloir, à bout de souffle. - Pff ! Pff ! Pff ! Quelle course ! Je n'en peux plus.
Guylain. - Tu veux une preuve. Eh bien regarde ! Holà ! Gendarme ! Je me rends. Arrêtez-moi !
Fenouillet. - Vrai ? Oh merci ! C'est le chef qui va être content !
Guylain. - Les preuves de mon innocence, j'espère que la justice te les fournira. Quant à celles qui concernent mon amour pour toi…
Fenouillet, appelant. - Chef ! Chef ! J'ai arrêté le violeur, on va pouvoir le mettre au violon !
Jo. - Mon pauvre Guylain, tu reviens bien tard. J'épouse Pindrat demain matin.
Guylain. - C'est impossible. Tu lui as dit que tu étais enceinte de moi ?
Fenouillet. - Chef ! Chef !
Jo. - Il y a six mois. Depuis le temps, il a bien vu que mon état ne changeait pas. Maman et tata disparues, je suis la seule héritière du Domaine de Bertignac et je suis le dos au mur. Comme disait maman, c'est à mon tour de me sacrifier pour sauver Bertignac. Je n'ai plus d'autre choix.
Guylain. - Non ! On a toujours le choix. Rappelle-toi ! C'est ce que tu disais toujours.
Edgar, entrant de la serre. – Mais c'est que c'est vrai ! Bravo Fenouillet ! Je suis fier de vous !
Fenouillet. - Moi aussi, chef !
Jean-Albert, entrant du hall. - Bravo Messieurs ! Thank you very much ! Ah ! Le voilà enfin pris ce voyou ! Très chère Josépha. Il ne vous a pas agressée au moins ?
Jo. - Pas le moins du monde. (Elle sort par le couloir.)
Jean-Albert. – Mais attendez-moi voyons my beautiful flower ?
Guylain. - Elle, je ne lui ferais jamais aucun mal, mais vous… (Il se rue sur Jean-Albert.)
Edgar, le stoppant. - Halte ! Plus un geste ou je fais usage de mon arme.
Fenouillet. - Je lui avais pourtant déjà dit de pas bouger, chef.
Edgar. - Silence Fenouillet ! Passez-lui les menottes.
Fenouillet, les donnant à Guylain.)
Edgar. - Donnez-moi ça, abruti ! (Il les met aux poignets de Guylain.)
Jean-Albert. - Voilà un nuisible de moins !
Edgar. - Tu as fini de "nuiser", crapule.
Jean-Albert. - Je l'espère bien. Il a déjà fait assez de mal comme ça. Quand je pense à cette pauvre Madame De Bertignac. Allez savoir comment il l'a trucidée !
Guylain. – Mais elle se porte comme un charme ! Elle est certainement ici ! Je suis innocent !
Edgar. - Ils disent tous ça, au début. Fenouillet, emmenez-le. (Fenouillet sort par le hall avec Guylain.)
Jean-Albert. - Vraiment mon cher Edgar, vous permettez que je vous appelle Edgar ? Votre efficacité mérite d'être saluée.
Edgar. - Merci.
Jean-Albert. - Dites-moi, vous allez l'enfermer à la gendarmerie ?
Edgar. - C'est la procédure réglementairement réglementaire.
Jean-Albert. - Peut-être serait-il plus judicieux de mener d'abord vous-même un interrogatoire, ici même, à chaud.
Edgar. - Pourquoi ça ?
Jean-Albert. - Mais pour le faire avouer. Car, si non seulement vous l'arrêtez mais si, en plus, vous le livrez au juge avec des aveux signés, pour lui c'est perpette et pour vous c'est la gloire mon cher Edgar.
Edgar. - Vous croyez ?
Jean-Albert. - Of course ! Votre hiérarchie sera obligée de reconnaître vos talents et comme j'appuierai fortement, à mon avis… (Il montre l'emplacement de galons)
Edgar. - Vous croyez ?
Jean-Albert. - Et peut-être même… (Même jeu pour une médaille.)
Edgar. - Non ?
Jean-Albert. - Si.
Edgar. - Mais pour que je l'interroge, il faudrait une pièce discrète.
Jean-Albert. - Ce château ne manque pas de pièces discrètes d'où on ne l'entendra même pas crier.
Edgar. - Pourquoi voulez-vous qu'il crie ? Vous me croyez capable de le "torsionner" ?
Jean-Albert. - Non ! Mais…On ne sait jamais. Écoutez, allez le surveiller, je vous rejoins dans un instant avec les clefs des caves du château. Vous verrez, comme cellules on ne fait pas mieux. Un détail à régler et je vous installe.
Edgar, en sortant par le hall. - Vous êtes trop aimable.
Jean-Albert. - Mais non, mais non. It's tout naturel ! (Une fois seul :) Gros ballot ! Une fois que ce Guylain sera enfermé ici, il sera à ma merci. Je te jure qu'il n'aura besoin ni de juge ni de jugement. Un simple trou fera l'affaire. Hé, hé ! Je suis génial ! Je suis le plus fort. I am the best of tout le world entier ! Je suis Jean-Albert le grand ! (Aline entre par la serre.) The big One ! Je suis le Seigneur de Bertignac !
Aline, vêtue comme au premier acte. - Pas encore, mon cher. Pas encore !
Jean-Albert. - Ah ! Hein ? La vieille ? La morte ! Vous n'êtes pas morte ? You are not dead ?
Aline. - Et non.
Jean-Albert. - Ah mais c'est que…
Aline. - Cachez votre joie. Dites-moi, Qu'est-ce que c'est que ces façons de hurler "je suis le seigneur de Bertignac" ? Je suis encore là et vous n'avez pas encore épousé ma fille.
Jean-Albert. - C'est exact, c'est exact… Exactly… Euh… C'est que, comme vous étiez "deadée", enfin, c'est qu'on croyait que vous étiez "deadée"…
Aline. - Quel Dédé ?
Jean-Albert, en sueur. - Deadée é-e…mourue quoi, en anglais ! Du fait de l'assassin… Le sérial violeur… J'avais pensé que l'horrible Guylain vous avait…Et que…
Aline. - Que plus tôt vous épouseriez Josépha, plus tôt vous auriez la main sur Bertignac.
Jean-Albert. - C'est ça. Euh ! Non ! Pas tout à fait…
Aline. - Je crois qu'il faut tout arrêter.
Jean-Albert. - Co, co, comment ? Mais… Notre mariage est prévu pour demain. On ne peut pas…
Aline. - Il n'y a plus de mariage pour l'instant. J'ai besoin de réfléchir à la nécessité de cette union.
Jean-Albert. - Mais c'est qu'elle est absolument nécessaire cette union. Absolutly nécessary l'union.
Aline. - Pour qui ?
Jean-Albert. - Pour moi. Euh ! Pour you ! Hé, hé ! Pour vous ! N'oubliez pas notre marché, vos dettes. Je suis la solution à tous vos problèmes. I am the provi…
Aline. - Je ne crois plus que vous représentiez la bonne solution. Vous ne m'inspirez plus confiance.
Jean-Albert. - Ça alors! Pourquoi ? Et depuis quand ?
Aline. - Depuis le Moyen-âge.
Jean-Albert. - Hein ? Vous avez pris un coup sur la tête ? C'est la faute de ce salaud de Guylain ! Rappelez-vous, merde ! Remember, shit !
Aline. - Qu'est-ce c'est que ce ton ? Où vous croyez-vous mon petit monsieur ?
Jean-Albert. - La ferme, vieille toupie ! C'est moi qui commande. Ça fait des mois que j'attends ce mariage et ce qui va avec. Tout marchait à merveille et il a fallu que vous reveniez. Mais je ne vous laisserai pas foutre en l'air mon plan.
Aline. - Votre plan ? Ainsi donc vous…
Jean-Albert. - Silence ! (Il sort un revolver.) Tu voulais réfléchir, tu vas pouvoir réfléchir autant que tu voudras… Dans les oubliettes du château ! Ha, ha, ha !
Aline. - Vous êtes malade ! Posez cette arme ! (Irène entre du hall, affolée.)
Irène. - Au secours ! Il est cinglé ! C'est un détraqué ! Il m'a attrapée par les cheveux, m'a traînée sur plus de vingt mètres et voulait me faire empaler ou écorcher vive. C'est un malade !
Jean-Albert. - Qui ça ?
Irène. - Le Cardinal !
Aline. - Irène ! Attention ! Il est armé !
Irène. - Vous ? Il a fallu que vous reveniez juste aujourd'hui.
Jean-Albert. - Tu parles d'une guigne.
Aline. - Quoi ? Mais ? Irène ?
Irène. - Oui madame. (Pour toute explication, Irène se blottit dans les bras de Jean-Albert.)
Aline. - Alors vous êtes de mèche ? Comme au temps d'Adémar.
Irène. - Qu'est-ce qu'elle raconte ?
Jean-Albert. - Je ne sais pas. Elle radote.
Aline. - Dites donc !
Jean-Albert. - Tout doux ! J'hésiterai pas à te dégommer s'il le faut.
Irène. - Pas ici ! Tu es fou !
Jean-Albert. - Tu as raison. Pas de bruit. En route pour les oubliettes ma chère ! (Aline veut hurler mais Jean-Albert la bâillonne de la main et l'entraîne.) Irène, ouvre-nous la voie. (Ils sortent par la serre et la scène reste vide un instant.)
Adémar, entrant du hall, suivi de Proserpine. - La chienne ! La traîtresse ! Elle m'a échappé mais je la retrouverai et je l'enverrai au bûcher, cette sorcière.
Proserpine. - Vous savez, de nos jours, on brûle très peu.
Adémar. - C'est un tort.
Proserpine. - Écoutez, il faut avant tout que vous preniez un peu de repos. Tenez, passez dans le boudoir. Mettez-vous à l'aise et essayez de dormir un peu sur le sofa. (Elle le pousse dans le boudoir.) Bon, faisons un peu le point (Réfléchissant à voix haute :) le mariage à empêcher, Guylain à disculper, Josépha à rassurer, les flics à embobiner et ma machine à… Il faut que je retourne au labo. Il faut absolument que mon navigateur soit plus précis. Si je pouvais faire revenir tout le monde au vrai point de départ, la situation serait plus simple. (Un grand cri de Gertrude venant du boudoir.)
Proserpine. - Qu'est-ce que ?
Gertrude, entrant, affolée. - Aaaahhhh !
Adémar, entrant, en caleçons, il n'a plus de Cardinal que la calotte sur la tête. - Gerbaude enfin ! Point tant de tintamarre !
Gertrude. - Jésus Marie Joseph ! Veuillez me pardonner Monseigneur mais j'ai cru que vous alliez me… Dans cette tenue… Me…
Adémar. - Te trousser ? Allons donc, j'ai passé l'âge de culbuter les vilaines.
Gertrude. - Vilaine ? Moi ? Oh !
Proserpine. - Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Adémar, qu'avez-vous fait ?
Adémar. - J'ai jeté bas cette ribaude. J'avais besoin de la couche.
Gertrude. - Vous auriez pu me réveiller plus doucement.
Proserpine. - Au XXIème siècle, on ne jette pas les domestiques sur les descentes de lits, voyons.
Adémar. - Ah bon ?
Gertrude. - Ben oui. Je vous aurais volontiers cédé la place.
Proserpine. - Bon, il faut aller dormir. Demandez-lui de vous montrer votre chambre et suivez-la.
Adémar. - Bien. Montrez-moi ma chambre.
Gertrude. - Avec plaisir Monseigneur, suivez-moi. (Ils se dirigent vers le couloir.)
Proserpine. - Il faut qu'elle aille dormir, elle aussi. Dites-le lui.
Adémar. - Tu es une brave fille. Tu en profiteras pour t'étendre au pied de mon lit et prendre du repos.
Gertrude. - Pardon Monseigneur ! Au pied de votre lit. Mais pourquoi ?
Adémar. - Je suis le seigneur non ?
Gertrude. - Le Seigneur ? Ah ! Je comprends. Votre Éminence représente notre Seigneur. Très bien, Monseigneur, très bien. Je m'allongerai au pied de votre lit et…
Adémar. - Et ainsi je veillerai sur vous.
Gertrude. - Et sur mon âme. Très bien. Je comprends. Suivez-moi. (Ils sortent.)
Proserpine. - Alors là ! Bon, c'est pas tout ça. Il faut absolument que cet appareil soit plus performant sinon… On ne peut le régler qu'à l'année près. C'est insuffisant. Comment faire ? Il faut pourtant empêcher ce mariage à tout prix. Il faut renvoyer Adémar en 1450. Il faut disculper Guylain. On est mal, on est mal ! Je vais y passer la nuit mais il faut que j'y arrive ! (Elle sort au labo en claquant la porte ce qui décroche le portrait d'Adémar du mur. La pénombre se fait sur scène.)
Voix off : "La nuit tombe et les heures passent, passent, passent."
Proserpine, entrant en même temps que la lumière revient. - Une nuit de travail et ça ne fonctionne toujours pas mieux. (Regardant sa montre.) Sept heures quinze… (sursautant :) Sept heures quinze ! Déjà ! Misère de misère ! (Elle est toujours vêtue de sa combinaison.)
Jean-Albert, entrant du hall, suivi d'Irène. - Y a personne ?
Irène, regardant partout et ostensiblement Proserpine. - Non. Nous sommes tranquilles.
Jean-Albert. - Personne n'est encore debout. Nous allons pouvoir peaufiner notre plan. Dans mes bras ma poule. (Ils s'embrassent.) Bon ! Pendant que tu occuperas son gardien, je pourrai régler le compte du beau Guylain et celui de la vieille.
Irène, mimant la gorge tranchée. - Couic !
Jean-Albert. – Non. Je colle l'amoureux dans la même oubliette que la mère De Bertignac et… (Il mime :) Pan ! Pan ! Deux cartouches, deux gêneurs de moins. Et à nous le château de Bertignac !
Irène, lui sautant au cou. - A nous la fortune ! Déjà, avec le coup des viols mis sur le dos de Guylain, tu m'avais épatée mais là, tu es génial mon Roudoudou. Et l'autre folle de Proserpine ?
Jean-Albert. - On ne l'a pas revue celle-là mais si elle se pointe, elle subira le même sort que les deux autres. C'est la seule héritière qui resterait. Et ce ne sont pas ces deux abrutis de flics qui m'en empêcheront.
Irène. - A nous les millions ! A nous la grande vie ! Après la mort de ta future femme, bien entendu.
Jean-Albert. - Quand on aura fait disparaître cette pauvre Josépha dans un tragique accident de voiture, nous serons riches.
Irène. - On donnera de grandes fêtes au château. Des banquets, des bals avec toute la bonne société.
Jean-Albert. - On sera les rois du pétrole. (Jean-Albert et Irène se mettent à valser en chantonnant.)
Proserpine, au public. - Mille millions de molécules ! On ne peut pas laisser faire ça. Et ce maudit navigateur qui ne veut rien entendre. Saleté ! (Elle le jette à terre et, à la surprise générale, Jean-Albert et Irène se figent subitement. Pour eux, le temps vient de s'arrêter. Après quelques secondes :) Nom d'un thermomètre à pédale ! Le temps semble s'être arrêté. Ça alors ? Il y a dû y avoir un court-circuit qui a tout bousillé. (Elle reprend l'appareil et manœuvre quelques boutons.) Plus rien ne marche (À cet instant précis le couple fait deux pas de danse et se fige à nouveau.) Ah si ! Qu'est-ce j'ai touché ? Voyons, voyons. Ah ! Je crois que c'est la molette de réglage de diffraction temporelle. Essayons pour voir. (Elle le fait et le couple danse à l'envers.) Mais ?… Ils valsent à l'envers et pourtant tout à l'heure ils… Mais alors… Essayons de tourner la molette dans l'autre sens. (Elle le fait et le couple valse à l'endroit.) Ça marche ! Dans l'autre sens, voyons. (Le couple valse à l'envers et remonte la scène précédente jusqu'à la réplique d'Irène " Couic" devenue "Ciuoc" évidemment. Scène accélérée et dont les paroles deviennent des borborygmes incompréhensibles.) Stop ! (Elle fige la scène d'un coup de navigateur.) Ben alors là ! Coup de bol ! Oh ! Nom d'un quartz de nom d'un quartz ! Si je peux remonter le temps aussi précisément, je peux peut-être faire d'une pierre deux coups. Oui, oui, ça peut marcher, ça doit marcher. Remontons toute la nuit. C'est parti ! (Elle actionne la molette et Jean-Albert et Irène continuent leur scène à l'envers jusqu'à la pénombre du début. A la sortie du couple, le tableau remonte au mur à l'aide d'un fil de pêche manœuvré de l'arrière du décor.) Voilà ! Il est à nouveau vingt-deux heures. Il faut que je briffe l'Adémar et cette pauvre Josépha. Nous ne serons pas trop de trois. J'ai à nouveau toute la nuit devant moi. Je vais même pouvoir dormir un peu. (Elle sort par le couloir.)
(La scène, toujours dans la pénombre, reste vide un instant pendant lequel on entend une voix off :" Et la nuit retombe et les heures repassent, repassent et repassent" puis sept coups d'horloge.)
Gertrude, entrant par le couloir, en chemise de nuit. - Oh ! Je m'en veux, je m'en veux, je m'en veux ! Il est sept heures du matin et je n'ai pas encore pu fermer l'œil. J'ai compté 75842 moutons, tous des béliers. Je ne sais plus quoi faire. Oh là là là là ! Mon Dieu libérez-moi de ces mauvaises pensées et du feu qui m'envahit. Le jour, il m'est déjà difficile d'y résister mais alors la nuit. Oh la nuit ! Même avec des somnifères. (Elle s'agenouille.) Seigneur aidez-moi. Je deviens folle. Je vous en supplie, faites-moi un signe. Seigneur, dans votre infinie miséricorde, montrez-moi la voie des âmes pures, montrez-moi la lumière. (A ce moment précis, Fenouillet paraît dans la serre, avec une lampe torche d'une main et son arme de l'autre.) Merci Mon Dieu.
Fenouillet. - Gendarmerie nationale ! Qui vive là ?
Gertrude. - C'est moi monsieur Fenouillet.
Fenouillet. - Gendarme. Gendarme Fenouillet. Qu'est-ce que vous stationnez ici à cette heure-ci ?
Gertrude. - Je vous attendais.
Fenouillet. - Moi.
Gertrude. - Oui, vous. C'est la Providence qui vous envoie.
Fenouillet. - Non c'est le chef Dunord. Il a cru entendre des bruits. Alors je fais une ronde pour voir ce qu'il a entendu.
Gertrude, langoureuse. - Ah ? Le Seigneur vous a guidé vers moi.
Fenouillet. - Vous êtes sûre que vous avez assez dormi ?
Gertrude. - Justement non. C'est tout le problème mais vous êtes la solution. Vous êtes ma solution, j'en suis convaincue.
Fenouillet. - Qu'est-ce que c'est que cette histoire de solution ?
Gertrude. - J'ai besoin de vous.
Fenouillet. – A votre service ! Qu'est-ce que je puis-je faire pour vous ?
Gertrude. - Des enfançons.
Fenouillet. - Pardon ?
Gertrude. - Le Cardinal me l'avait déjà dit mais maintenant, c'est le Tout Puissant qui m'éclaire.
Fenouillet. - Pour le moment, je crois bien que c'est ma lampe mais elle est pas si puissante que ça.
Gertrude. - Embrassez-moi.
Fenouillet. - Hein ?
Gertrude. - Embrassez-moi.
Fenouillet. - Pas question ! Pas en service.
Gertrude. - Mais puisque c'est la volonté divine.
Fenouillet. - Qui c'est celle-là ?
Gertrude, hurlant. - Embrasse-moi, idiot ! Embrasse-moi vite ! (Elle lui saute au cou.)
Proserpine, entrant par le couloir, le navigateur à la main, en compagnie d'Adémar. - Qu'est-ce qu'ils foutent ici ceux-ci ? Ils vont tout faire rater. Les deux crapules vont entrer dans moins de dix minutes.
Adémar. - Je me charge de les occire. Hardi ! Taille, fends mais jamais ne faiblis !
Proserpine, en le retenant. - Non, non, Restez tranquille.
Gertrude. - C'est vous Monseigneur ?
Fenouillet. - Mais personne roupille dans ce château !
Adémar. - Tais-toi ribaud !
Fenouillet. - Mais Mon Imminence, Le chef m'a dit de...
Adémar. - Le chef devant Dieu ici, c'est moi.
Proserpine. - Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Stop ! Arrêtez !
Adémar. - Je suis le seigneur de ces lieux, oui ou non ?
Proserpine. - Pas tout à fait.
Adémar. - Comment cela ? Ah, c'est vrai ! Pardonnez-moi. J'ai du mal à…
Fenouillet. - Mais à qui parlez-vous ?
Gertrude. - C'est vrai Monseigneur. A qui parlez-vous ?
Proserpine, quittant le haut de sa combinaison. - Bon, ça suffit. On n'a plus le temps. A moi, c'est à moi qu'il parle. Là ! Vous me voyez maintenant ?
Gertrude. - Ahhh ! Madame Proserpine ! Mais…Il en manque la moitié… Où sont vos jambes ? Aaaahhhh ! (Elle s'évanouit.)
Adémar. - Vous lui avez fait grand effroi.
Fenouillet, halluciné. - Comment c'est possible ? Comment c'est possible ? Si je le vois c'est que c'est possible. Là, faut que je "réflexionne". (Il se prend la tête à deux mains.) Une demi-prof disparue, plus une demi-folle qui veut m'épouser, moins un cardinal entier plus que suspect. Non… Une demi-prof retrouvée, fois une demi-cardinale complètement fou, égal… Non… Un cardisseur suspect qui veut m'épouser, divisé par deux profinal et…Non…Aaaah ! (Il s'évanouit.)
Adémar. - Lui aussi, c'est la peur,
Proserpine. - Non, lui c'est la surchauffe. Il a dû claquer un neurone. On n'avait pas besoin de ça. Bon, Adémar la situation est grave. Avez-vous fait ce que je vous avais demandé ?
Adémar. - Si bien. J'ai sorti Aliénor des oubliettes…
Proserpine, tout en réajustant sa combinaison correctement. - Aline.
Adémar. - Je ne m'y ferai jamais. J'ai sorti Aline et Guylain des oubliettes. Ils vous attendent dans la serre en compagnie de Joségon…Josépha.
Proserpine. - C'est parfait. Sortons d'ici au plus vite et cachons-nous.
Adémar. - Et eux ?
Proserpine. - C'est vrai. Dans la serre aussi, on les ranimera là-bas. Portons-les. Allez, vite ! (Ils sortent en les traînant.)
Proserpine, off. - Posons-les ici. Adémar, allez chercher Dunord. Aline, Guylain, Josépha, venez avec moi. (Les trois entrent de la serre derrière Proserpine.)
Aline. - Allez-vous finir par m'expliquer ce que…
Proserpine. - Chut ! Pas le temps. Cachez-vous derrière la porte du labo et attendez.
Aline. - Attendre quoi ?
Proserpine. – Ce qui va suivre. Faites-moi confiance pour une fois. Attention, ils devraient entrer dans… Maintenant !
Jean-Albert entre avec Irène et ils reprennent leur scène de tout à l'heure à l'identique jusqu'à l'intervention d'Aline. - Y a personne ?
Irène, regardant partout et ostensiblement Proserpine. - Non. Nous sommes tranquilles.
Jean-Albert. - Personne n'est encore debout. Nous allons pouvoir peaufiner notre plan. Dans mes bras ma poule. (Ils s'embrassent et pendant ce temps Proserpine fait entrer discrètement Adémar et Edgar dans le boudoir dont la porte reste entrouverte.) Bon ! Pendant que tu occuperas son gardien, je pourrai régler le compte du beau Guylain et celui de la vieille.
Irène, mimant trancher la gorge. - Couic !
Jean-Albert. – Non. Je colle l'amoureux dans la même oubliette que la mère De Bertignac et… (Il mime :) Pan ! Pan ! Deux cartouches, deux gêneurs de moins. Et à nous le château de Bertignac !
Irène, lui sautant au cou. - A nous la fortune ! Déjà, avec le coup des viols mis sur le dos de Guylain tu m'avais épatée mais là, tu es génial mon Roudoudou. Et l'autre folle de Proserpine ?
Jean-Albert. - On ne l'a pas revue celle-là mais si elle se pointe, elle subira le même sort que les deux autres. C'est la seule héritière qui resterait. Et ce ne sont pas ces deux abrutis de flics qui m'en empêcheront.
Irène. - A nous les millions ! A nous la grande vie ! Après la mort de ta future femme, bien entendu.
Jean-Albert. - Quand on aura fait disparaître cette pauvre Josépha dans un tragique accident de voiture, nous serons riches.
Irène. - On donnera de grandes fêtes au château. Des banquets, des bals avec toute la bonne société.
Jean-Albert. - On sera les rois du pétrole. (Jean-Albert et Irène se mettent à valser en chantonnant.)
Aline, entrant, furieuse - Je vais vous faire valser moi ! Foi de Bertignac, il y a du carnage dans l'air !
Adémar, entrant avec tous les autres. - Bien parlé ma mie ! Tranchons-les menus !
Jean-Albert. - Qu'est-ce…?
Irène. - Hein ?
Proserpine quittant sa combinaison. - Crapules ! Vous êtes pris sur le fait. Réveillez-vous Dunord !
Edgar. - Euh ! Oui… (Il sort son arme.) Au nom de la loi, je vous arrête.
Jean-Albert. – Malédiction, damned !
Irène. - On est foutus !
Aline. - Alors comme ça on voulait estourbir la vieille ? (Elle décroche une arme au passage et Adémar aussi. Ils s'avancent vers Jean-Albert, menaçants.)
Jean-Albert. - Mais non. Je plaisantais.
Aline. - Vous plaisantiez ? Pan, pan, deux cartouches, vous plaisantiez ?
Jean-Albert. - Des petites cartouches, toutes petites, des cartouchettes.
Adémar. - On les fend, on les taille ou on les embroche ?
Irène. - Pitié ! Je t'avais bien dit que c'était un malade ! Pitié !
Proserpine. - Arrêtez ! Épargnez-les et laissez la justice faire son œuvre. Je vous en supplie.
Edgar. - Exactement ! Laissez la justice les "punitionner".
Jean-Albert. - Il a raison. Pitié ! Je vous demande pardon. Pitié !
Adémar. - Il faut un châtiment exemplaire !
Jean-Albert. - Si vous voulez absolument tuer somebody, tuez-la elle. (Il désigne Irène.)
Irène. - Ah, la vache !
Jean-Albert. - C'est elle qui a tout combiné.
Irène. - Immonde salopard ! (Elle se jette sur lui.) Je vais t'arracher les yeux !
Edgar. - Ça suffit ! Plus un geste ou je fais feu.
Aline. - Je crois que la partie est définitivement terminée, monsieur Pindrat.
Guylain. - Alors ces terribles accusations contre moi, c'est fini ? Vous me croyez ?
Aline. - On vous croit.
Guylain. - Vous ne me frapperez plus alors?
Aline. - Mais non. Edgar, menotte-moi ces deux fripouilles.
Edgar. - Oui chef ! Euh… non, c'est moi ça… Euh… Donnez-moi vos poignets vous deux ! (Il menotte Jean-Albert à Irène.)
Jo. - Ouf ! Plus de mariage avec cet ignoble individu ! (Jo et Guylain s'enlacent.)
Aline. - Non… Mais toujours des dettes. Les huissiers eux ne désarmeront pas.
Adémar. - Des dettes ? J'aimerais vous aider. (Il s'agenouille près d'une des colonnes et passe la main derrière.) J'ai caché ici, juste avant que les Godons n'assaillent le château, un trésor fort bel et fort brillant. Peut-être a-t-il résisté à travers les siècles. (Il sort un coffret de bois.) Le voici. (Il le montre et l'ouvre sous les yeux ébahis des autres.)
Proserpine. - Nom d'une éprouvette !
Tous : Waouh !
Guylain. - Et cette pierre rouge, c'est… C'est…
Proserpine. - C'est la Pierre de Temps !
Edgar. - La pierre de qui ?
Proserpine. - Que personne n'y touche ! Nom d'un transistor, que personne n'y touche !
Edgar. - Qu'est-ce que c'est que cette histoire de TSF ?
Aline. - Toi, surveille tes voyous. On t'expliquera plus tard.
Adémar. - Je te donne ce trésor Ghislain. Tu l'as amplement mérité.
Guylain. - Mais je ne peux pas accepter. C'est le trésor de la famille De Bertignac.
Adémar. - Cette fortune fait de toi un gendre acceptable. Si tu épouses Joségonde…
Jo. - Josépha.
Adémar. - Pardon, si tu épouses Josépha, ce trésor ne quittera pas la famille. (Il donne le coffret à Jo.)
Jo. - C'est à dire que… Je ne sais pas si…
Fenouillet, entrant en trombe. - Chef ! Chef ! Le prisonnier s'est évadé ! Le prisonni… (Son entrée bouscule Edgar qui perd son arme au profit d'Irène.)
Irène. - Que personne ne bouge ! À présent, c'est moi qui mène la danse. A moi les pierres précieuses !
Jean-Albert. - Ma bichette !
Irène. - Toi, la ferme !
Jean-Albert. - Mais ma poulette, you are toujours my darling que je love d'amour.
Irène. - Ben voyons ! Il y a deux minutes tu m'aurais laissé découper comme de la mortadelle.
Jean-Albert. - Mais non. C'était pour…
Irène. - La ferme ! J'ai plus rien à perdre. Tous contre le mur. Toi, la pimbêche, apporte-moi ce coffret.
Jo. - Jamais de la vie !
Irène. - Apporte-le moi ou je te truffe de plomb.
Jo, jetant le coffret dont le contenu se répand sur le sol. - Tenez !
Irène. - Tu l'auras voulu. Vous allez comprendre que je ne plaisante pas. (Elle vise et tire sur Jo.)
Guylain. - Non ! (Il se jette sur la trajectoire de la balle et s'effondre.)
Jo. - Guylain ! Non ! Guylain !
Irène. - Pas un geste vous autres ! Tant pis pour lui. Tous contre le mur ! Les bijoux vite ! (À Jean-Albert :) Ramasse-les, toi !
Jean-Albert. - Yes darling, yes, yes ! (On entend une sirène de gendarmerie.)
Fenouillet, perplexe. - Ça, c'est pas les pompiers.
Edgar. - Les collègues ! C'est les collègues !
Aline. - Vous êtes cuite !
Irène. - D'où ils sortent ceux-là ?
Gertrude, entrant. - C'est moi qui les ai appelés. J'ai bien fait, hein mon gendarme d'amour ?
Irène. - On n'a plus le temps de tout ramasser. Prends au moins cette grosse pierre rouge et filons.
Jean-Albert. - Ah ! Mon amour. Tu ne m'en veux plus.
Irène. - J'ai pas le choix (Elle montre les menottes qui les lient.) Amène-toi ! (Ils sortent par la serre.)
Jo. - Guylain ! Mon amour ! Il est mort ! (Elle pleure et les autres baissent tristement la tête.) Il est mort pour moi. Moi qui ne lui ai jamais avoué que je l'aimais. Ce que je m'en veux. J'aurais dû le lui dire depuis longtemps mais ça m'amusait de le faire souffrir. Oh ! Comme j'aurais dû ! Je t'aimais Guylain ! Je t'aimais vraiment ! Pourquoi ne te l'ai-je jamais dit ?
Guylain, revenant à lui. - Mieux vaut tard que jamais.
Jo. - Tu n'as rien ?
Guylain. - Je ne crois pas. Je me suis juste assommé en tombant.
Tous. - Hourra !
Jo. - Et la balle ? Où est passée la balle ?
Fenouillet, tremblant de peur et passant le doigt dans un trou de son képi. - Ah là là ! Ah là là !
Proserpine, voyant Jo et Guylain s'embrasser. - Je crois que nous aurons tout de même un mariage.
Gertrude, sautant au cou de Fenouillet. - Et peut-être deux ! Je crois avoir trouvé l'homme de ma vie !
Aline. - Une petite minute. Il y a quelque chose qui me chiffonne.
Proserpine. - Quoi donc, chère belle-sœur ?
Aline. - C'est bien la fameuse Pierre de Temps que ces deux voyous ont emportée ?
Proserpine. - Oui, tout à fait.
Aline. - Ils sont liés par les menottes, c'est donc comme s'ils la tenaient en main tous les deux ?
Proserpine. - C'est exact.
Aline. - Alors, pourquoi ne sont-ils pas immédiatement partis chez Vercingétorix ou Henri IV ?
Proserpine. - C'est que mon invention est maintenant tout à fait au point. Je la contrôle parfaitement grâce à ceci. Mon navigateur ! Je peux déclencher le voyage quand je le veux en appuyant sur ce bouton et choisir l'époque à la minute près grâce à cette petite molette, voyez-vous. Et, tenez-vous bien, il peut agir quelle que soit la distance qui le sépare de la Pierre de Temps.
Aline. - Ah bon ? Quelle que soit la distance ?
Proserpine. - Oui, oui. C'est extra non ?
Aline. - Donnez-moi ça. (Elle lui arrache le navigateur des mains.) La molette (Elle la tourne frénétiquement.) … Le bouton. (Elle actionne le navigateur, effets stroboscopiques.)
Proserpine. - Qu'est-ce que vous avez fait ?
Aline. – J'ai expédié ces scélérats dans le passé !
Guylain. - Mais où ?
Proserpine. - A quelle époque ?
Aline. - Chez les dinosaures !
Rideau
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