Ce texte est une réécriture de CENDRILLON OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRE de Charles Perrault, on y retrouve l'histoire et certains personnages en filigrane. En outre, les titres des scènes font directement référence au conte original.
1. Aujourd’hui, il n’y a pas que la mort qui sépare
(Salon, petit déjeuner, Hélène en déshabillé ; bruit de sonnette)
Hélène :
Oui
Sandrine :
Bonjour
Je
Alexandre est là
Hélène :
Vous êtes
Sandrine :
Il est là ou pas
Hélène :
Pas très polie visiblement
Sandrine :
Pardon
Sandrine
Hélène :
Sandrine
Sandrine :
Sa fille
Hélène :
Sa fille
Sandrine :
Oui
Hélène :
Ah
Sa fille
Bonjour
Je suis Hélène
Sandrine :
Hélène
Hélène :
Oui
La femme de votre père
Sandrine :
Ah oui
Mais
En fait
Je ne savais pas votre prénom
Je ne l’ai jamais su
Hélène :
Je me doute
Sandrine :
Ah oui
Hélène :
Filtre maternel
Sandrine :
Heu
Hélène :
Entrez
Alexandre est dans la salle de bain
Sandrine :
Oh vous en êtes encore au p’tit-dej’
Je suis désolée si j’avais su
Hélène :
Je vous en prie
Un petit-déjeuner un dimanche à dix heures c’était très peu probable
Sandrine :
désolée
Hélène :
Poulet
Tu peux venir s’il te plait
Sandrine :
Je suis confuse
Hélène :
Faut pas
Sandrine :
J’aurais dû téléphoner
Hélène :
Ça effectivement
Sandrine :
Mais c’est un peu compliqué en ce moment
Hélène :
De téléphoner
Sandrine :
Non
De faire des choses
Tout court
Hélène :
Ah
Sandrine :
Donc voilà
Hélène :
Poulet
Voix d’Alexandre :
Salle de bain
Hélène :
Je sais poulet mais là ça me semble important que tu viennes
Sandrine :
Je tombe mal
Hélène :
Pensez-vous
Voix d’Alexandre :
C’est quoi le problème
Hélène :
Trois fois rien
Sandrine :
Il ne doit pas s’attendre à me voir
Hélène :
Il s’en remettra
Voix d’Alexandre :
Si c’est trois fois rien ça devrait pouvoir attendre
Hélène :
Viens quand même
(Alexandre râle ; il apparaît en serviette)
Alexandre :
Alors c’est quoi
Sandrine :
Bonjour Papa
(Un temps)
Alexandre :
Comment elle est entrée
Sandrine :
Moi aussi je suis contente de te voir
Hélène :
Elle a sonné comme n’importe quelle personne civilisée
Sandrine :
Papa bonjour
Alexandre :
Et tu lui as ouvert toi
Hélène :
Bah j’ai ouvert simplement comme on ouvre quand ça sonne
Tu voulais quoi
Sandrine :
Bonjour
Alexandre :
Mais tu ouvres à n’importe qui
Ça serait un cambrioleur tu ouvrirais grand la porte
Hélène :
Poulet je pense que tu recommences avec le déni digressif
Sandrine :
Heu
Je suis là
Alexandre :
N’importe quelle greluche débarque en disant je ne sais quoi et toi tu ouvres
Comme ça
Sandrine :
Greluche
Alexandre :
Tu veux pas lui offrir un panier garni aussi
Hélène :
Non mais tu vas te calmer
Je n’y suis pour rien
Ça sonne j’ouvre c’est tout
Pas de quoi se mettre dans cet état
Sandrine :
Hello
Alexandre :
Mais quel état merde
Tu me fais venir à poil pour ça
Hélène :
Ecoute je crois vraiment que c’est pas le moment de parler de ça
Alexandre :
Mais si justement c’est le moment
On est tranquille
On est dimanche
Tu traînes en déshabillé avec ton thé au jasmin et moi je suis à poil dans la salle de bain et toi tu ouvres et tu fais entrer cette cette
Sandrine :
Cette
Hélène :
Excusez-le Sandrine il est dans un processus psycho-régressif tout à fait courant
Sandrine :
Vous êtes psy
Hélène :
Non
Styliste
Alexandre :
Allez moi je retourne dans ma douche et toi tu lui dis de foutre le camp
Sandrine :
Papa on s’est pas vu depuis dix ans tu pourrais pas
Alexandre :
Et dis-lui de fermer sa gueule
Sandrine :
Maman est morte
(Un temps)
Hélène :
Poulet
Si tu veux utiliser tes bras noue d’abord ta serviette
Sandrine :
La semaine dernière
Incinérée cette semaine
(Elle sort une urne de sa valise)
Elle est là
Maman je te présente Hélène
Hélène :
Bonjour madame
Sandrine :
Et tu te souviens de Papa
Hélène :
Poulet
Tu dis bonjour
Alexandre :
C’est quoi ce bordel
On peut même pas se reposer le dimanche
Sandrine :
Oui Maman il n’a pas changé
Hélène :
Ça
Je vous le certifie
Alexandre :
Impossible
Im
Po
Ssible
Hélène :
Toutes mes condoléances au fait
Sandrine :
Merci
Alexandre :
Impossible de se poser quoi
Hélène :
Vous voulez un café
Sandrine :
Ça ira
Alexandre :
Mais pourquoi t’es là
Sandrine :
Papa
Maman est morte
Hélène :
Oui Poulet c’est évident
Sa mère est
Alexandre :
Oui c’est bon j’ai entendu
Hélène :
Bon
Alexandre :
Mais pourquoi
Tu es
Là
Tu pouvais pas
Sandrine :
Appeler
Alexandre :
Par exemple
Sandrine :
T’aurais répondu
Alexandre :
Non
Sandrine :
Bah voilà
Hélène :
Bon bah moi je vais finir mon petit-déjeuner dans la cuisine
Alexandre :
Tu finis rien du tout dans la cuisine
Tu finis ici
Tu t’affales sur le canapé car c’est dimanche et qu’on se repose
Je retourne à poil dans la douche et après on ira
On ira
Hélène :
On ira
Alexandre :
On ira en forêt
Sandrine :
Toujours alors
Hélène :
En forêt
Avec ce temps
Alexandre :
Je dois prendre l’air
Hélène :
Et si simplement tu t’asseyais et que tu écoutais ce que Sandrine
Ta fille
Et
Ce qu’il reste de ton ex-femme
Ont à te dire
Sandrine :
Ça serait cool
Alexandre :
Pourquoi t’es venue putain
Tu connais pas les faire-part de décès
Ou même les mails
Les cartes électroniques
Les
Les
Les e-faire-part
Hélène :
Ça existe pour les décès
Sandrine :
Non je ne connais pas les e-faire-part
Je connais mes pieds qui sont venus jusqu’ici et qui pourraient bien finir dans tes fesses
Alexandre :
Non mais tu as vu comment elle me parle
Hélène :
Oui si vous commencez à le menacer là je ne suis plus d’accord
Alexandre :
Mais bon sang
Ta mère est morte
OK
Je suis désolé
OK
Mais c’était
Une
Enfin
Sandrine :
Une connasse
Alexandre :
Voilà
Sandrine :
Ecoute
Tu as remarqué je t’ai pas invité aux funérailles
Je voulais pas
Si c’était pour entendre ça je voulais pas
Mais j’ai un autre problème
Alexandre :
Oui tu as un problème
Et il est enfermé dans une petite boîte en ferraille
Sandrine :
La proprio m’a expulsé
Hélène :
Oh je suis désolée
Alexandre :
La garce
Sandrine :
J’ai nulle part où aller
Alexandre :
La salope
Hélène :
Poulet
Le langage
Sandrine :
J’ai pas trop réfléchis
J’ai fait mon sac
Quelques vêtements
Ma trousse de toilette
Et Maman bien sûr
Alexandre :
Putain c’est pas vrai
Sandrine :
Je me suis dit que peut-être
Maintenant que Maman est morte
On pourrait
Enfin
Je le fais pas de gaité de cœur
J’ai personne
Je vois pas ce que je peux faire d’autres
Alexandre :
Et juste bosser et te payer un appart
Tu as trente balais tu ne fais rien dans la vie
Sandrine :
C’est compliqué de bosser en ce moment
Hélène :
On comprend
Alexandre :
Non on comprend rien
Putain
Même après sa mort elle arrive à me faire
Hélène :
Langage
Alexandre :
Suer
Sandrine :
Ça sera pas pour longtemps
Je suis seule
Perdue
Et
(Elle se met à pleurer en marmonnant des choses incompréhensibles)
Hélène :
Mais bien sûr qu’on va vous accueillir
Alexandre :
Hors de question
Hélène :
Mais si
Alexandre :
Et où
Hélène :
Bah ici
Le canapé est suffisamment grand
Alexandre :
Mais enfin
Hélène :
C’est décidé
Tu ne vas pas la laisser à la rue
Alexandre :
Mais Poupoule
Hélène :
Y a pas de poupoule qui tienne
C’est ta fille
Elle est en train de pleurer et de geindre sur ton ex-femme dans notre salon
Tu crois qu’on va la laisser tomber
Alexandre :
Bon
Hélène :
Allez
File sous la douche
C’est décidé
(Alexandre sort en grommelant)
Sandrine :
Merci
Hélène :
Seule au monde hein
Sandrine :
Oui
Hélène :
À d’autres
Y a toujours une pote avec un sofa
Tu viens pas pour ça
Sandrine :
Mais madame
Hélène :
Hélène
Sandrine :
Pardon
Hélène :
Tu veux quoi en fait
Sandrine :
Renouer
Hélène :
Je me doute
Alors c’est d’accord
Mais attention
Je veille au grain
Si tu caquettes trop fort je te vole dans les plumes et exit du poulailler
Capito
Sandrine :
Capito
(…)
Voix de Mamy :
Oui Alexou c’est Mamy
C’était pour te dire que j’ai eu ton message mais j’ai pas tout compris tu sais à cause de mes machins dans les oreilles ils ont des piles et faut les remplacer et là ça marche plus
Alors j’ai pas tout compris tu disais que Sandrine est chez toi
C’est sans doute pas ça mais si tu as des nouvelles tiens-moi au courant
Ça sert à rien de m’appeler cet après-midi je serai avec Maryvonne au scrabble jusqu’à six heures et après je débranche le téléphone parce que même si je l’entends pas j’ai toujours peur de l’entendre quand même et si ça me réveille après je peux plus me rendormir
Allez à bientôt mon petit Loulou
(…)
2. La meilleure personne du monde
(La nuit, Sandrine dort sur le canapé ; silence ; la porte d’entrée s’ouvre, entrent Hélène, éméchée, et Alexandre, totalement ivre ; ils gloussent et chuchotent)
Hélène :
Chut poulet
Faut pas réveiller Sandrine
Alexandre :
Sandrine
M’en fous de Sandrine
Sandrine c’est une
Hélène :
Langage
Alexandre :
Elle t’a bien eu
Elle squatte le canap’ pour un bon bout de temps
Hélène
Poulet
Chut
Viens on va dans la chambre
Alexandre :
Mais pourquoi
Je suis chez moi
Je fais ce que je veux
Je peux m’asseoir sur le canapé et regarder la téloche
Hélène :
Poulet non
(Il s’assied, Sandrine sursaute sous le poids de son père et crie ; tumultes, Hélène allume la lumière)
Sandrine :
Mais ça va pas non
Alexandre :
Oh
Elle dort pas la petite
On t’a pas réveillée j’espère
Sandrine :
Mais si je dormais figure-toi
Hélène :
Excuse-nous Sandrine
Il est tard et on a un peu bu
Alexandre :
Moi j’ai pas bu
Hélène :
Mais oui Poulet
Sandrine :
Bon je peux dormir
Hélène :
Bien sûr
Alexandre :
Mais bien sûr que tu peux dormir
Dors ma toute petite
Fais pas attention à nous on regarde juste un peu la télé
Sandrine :
Quoi
Mais non Papa je dors là
Hélène :
Poulet
Viens
Laisse ta fille dormir
Alexandre :
Ma fille peut dormir
Je ne l’en empêche pas
Hélène :
Poulet
Sandrine :
Papa
Tu veux bien aller dans ton lit et me laisser dormir
Là je peux pas
Alexandre :
Oh non
(Il se met à pleurnicher)
Je laisse pas ma fille dormir
Méchant papa
Sandrine :
Mais j’ai pas dit ça
Hélène :
Cherche pas il est cuit
Alexandre :
Ma fille
Ma fille
Méchant papa
Ma fille a perdu sa maman et moi je veux regarder la télé
Sandrine :
Papa
Hélène :
Allez Poulet
Viens
On va dormir
Alexandre :
Mais non
Je peux pas dormir
Ma fille est triste
Je dois la consoler
T’inquiète pas ma chérie pour ta mère
C’était une salope
Elle ira tout droit au paradis des salopes
Hélène :
Alexandre
Ça suffit
Sandrine :
Laisse puisqu’il est bourré
Alexandre :
La salope
Tu fais moins la finaude dans ton bocal en acier hein
Toi qui fumais pas buvais pas te voilà cuite
(Il ricane)
Sandrine :
Papa
Je sais ce que tu es en train de faire
Tu essaies de me provoquer
Mais ça sert à rien
Alexandre :
T’es trop intelligente
Tu le sais qu’on se parle pas alors tu sais que quand je parle c’est pour voir si tu veux me parler
T’as fait des études toi
Sandrine :
Oui Papa
Alexandre :
Ma fille elle a fait des études
Poupoule
Tu as entendu
Hélène :
Oui mon Poulet
Sandrine :
Il est déchiré
Hélène :
Quelles études tu as faites
Sandrine :
Beaux-arts
Hélène :
Ah
Formidable
Sandrine :
Mais ça rapporte que dalle
Je sais peindre mais j’ai pas un rond
(Alexandre recommence à pleurnicher)
Alexandre :
Ma fille elle est pauvre
C’est une pauvre
Elle doit faire la pute comme sa mère pour gagner du blé
Hélène :
Poulet
Sandrine :
Laisse il continue la provoque il a toujours été comme ça
Alexandre :
Sa mère la pute
Hélène :
Oui mais bon
Je suis navrée
Sandrine :
Faut pas
Alexandre :
Ma fille la pute
Sandrine :
Bon la pute voudrait dormir
Hélène :
Allez Poulet
Ça suffit maintenant
Tu viens de suite
Alexandre :
Même ma femme elle crie
Tout le monde crie
Mais pour dire quoi
Sandrine :
Oh non
Pas le philosophe
Alexandre :
Pour dire de la fermer
Et si j’ai pas envie de la fermer moi si j’ai envie de l’ouvrir on fait comment on doit forcément la fermer quand on demande de la fermer ou on peut l’ouvrir on est en dictature du fermage et pas le droit à l’ouvrage
(Il ricane)
Ça rime
Sandrine :
Le poète maintenant
Alexandre :
Ouvrage et fermage sont les deux mamelles de ta mère
Sandrine :
C’est pas vrai
Hélène :
Bon
Chacun sa croix
Pour une fois c’est pas mon mari c’est ton père
Moi je vais au lit
Sandrine :
Attend c’est ton mec pas le mien tu assumes là il dégage d’ici
Alexandre :
Ma fille veut que je dégage
Hélène :
Hé doucement
On t’accueille déjà donc je crois que tu peux nous respecter un minimum
Sandrine :
Mais je vous respecte
Mais là il me gonfle
Hélène :
Tu débarques dix ans plus tard et tu croyais que tout serait simple
Sandrine :
Bien sûr
Alexandre :
Ma fille
Hélène :
Mais enfin comment tu peux penser ça
Sandrine :
Bah je sais pas c’est normal il nous a abandonné et après il a eu des années pour réfléchir
Hélène :
Comment ça abandonné
Tu crois que c’était facile
Alexandre :
A
Ban
Do
Nné
Sandrine :
Oui c’est facile
Il est parti et voilà
Hélène :
Bon on est tous fatigués donc on va aller se coucher et on en parlera demain
Alexandre :
Non
On parle maintenant
Hélène :
Poulet
Tu es cuit
Alexandre :
Rôti je suis
Poulet rôti
Sandrine :
Je suis trop fatiguée là
Alexandre :
On parle maintenant
Ta mère c’est une salope
Hélène :
Tu vois pourquoi il faut attendre demain
Sandrine :
Fait chier
Alexandre :
Sa
Lope
Hélène :
Allez
Tout le monde au lit
Sandrine :
Papa
Lève-toi de ce canapé
Demain on parle
Juré
Alexandre :
Sa
Lo
Peu
Ta mère
Tout est de sa faute
Elle t’a accaparé
Elle a tout manigancé
J’ai perdu ma petite toute belle
La garce
Qu’elle crève
Qu’elle crève
Qu’elle crève
Sandrine :
T’inquiète Papa
C’est fait
(…)
Voix de Mamy :
Allô
Allô
Ça marche ce truc
Allô Alexou
Bon
Je sais pas si tu auras mon message c’est Mamy mais en tout cas c’est pour savoir comment ça se passe avec Sandrine
J’ai raconté à Maryvonne pour sa mère elle en croyait pas ses oreilles hein
J’ai lu un article dans le journal parce que je le recevais plus c’était des manouches ou des cloches qui me le chipaient dans la boîte mais maintenant le nouveau maire a mis des flics partout et plus un qui traîne ça fait plus propre quand même
Donc j’ai lu qu’ils ont des techniques de crémations moins chères au Portugal elle aurait dû la faire incinérer là-bas tu lui diras pour la prochaine fois hein
Et puis tu embrasses Hélène pour moi
Bon allez mon p’tit Loulou c’était Mamy
(…)
3. La tête comme une citrouille
(Matin, Sandrine est assise, pensive ; entre Hélène avec un mal de tête)
Hélène :
Déjà levée
Sandrine :
Oui
Pas possible de dormir
Hélène :
Ce n’est pas assez confortable
Sandrine :
Le canapé ou cette situation
Hélène :
Ah
Désolée
Pas simple
(Un temps)
Vous devriez parler
Sandrine :
Ouais bah pas facile
Hélène :
Non c’est sûr
Pas facile
Mais pas plus pour l’un que pour l’autre si je comprends bien
Sandrine :
Quoi
Hélène :
Tu vois même pas ce que je veux dire car en fait tu viens pleine de
Certitudes
Tu crois tout savoir
Pourquoi ton père est parti
Comment ça se passait avec ta mère
Etc
Sandrine :
Plutôt bien oui
Hélène :
C’est là que tu te goures
Quand je dis que vous devriez parler c’est pas vous raconter des souvenirs de vacances ni pour qu’il s’excuse
C’est pour qu’il te raconte la vérité
Ce qui s’est vraiment passé
Qui était ta mère
Et toi tu débarques en exigeant des excuses
Sandrine :
Oui je veux des excuses
J’ai vécu des années sans lui sans son soutien à m’occuper seule de Maman et
Hélène :
Et quoi
Pendant toutes ces années ton père n’a rien pu faire
Ni du bien
Ni du mal
Tes problèmes c’était avec ta mère
Maintenant si tu es prête à voir les choses autrement
Bienvenue chez nous
Sinon
Tu dégages
(Hélène sort ; un temps ; entre Alexandre avec un gros mal de tête)
Alexandre :
Oh
Sandrine :
Ah
La gueule de bois
Alexandre :
Déjà réveillée toi
Sandrine :
Eh oui
(Un temps)
Alexandre :
Écoute pour hier je suis désolé
Sandrine :
Non
M’en fiche
T’as raison en fait
Maman c’était une garce
Alexandre :
Mais non
Juste un peu manipulatrice
Sandrine :
Écoute
On se trompe de sujet
Enfin moi
Moi je me trompe
En fait
Maman c’était Maman
C’est le passé
Mais y a que le présent qui compte
Moi je veux vivre
J’ai l’impression d’avoir rien fait
C’est un miracle que j’ai pu faire des études
Mais rien
Je veux peindre mais j’arrive pas j’ai l’impression d’être vide
J’ai trente balais
Rien fait
Rien vécu
Presque pas baisé
Presque aucun mec qui m’a prise sauvagement un soir de beuverie
Alexandre :
Heu
Tu es sûr que tu veux parler de ça
Sandrine :
Quoi
Ça te gêne
Toi qui voulais toujours passer pour l’homme moderne
Alexandre :
L’homme moderne oui mais le père il est plutôt vieux jeu je crois
Sandrine :
Aha tu veux pas qu’on parle de sexe Papa
Alexandre :
Ça non
Sandrine :
Allez Papa
On est des adultes
On peut parler de tout
Alexandre :
On va s’arrêter là
Sandrine :
On peut parler de la fièvre de nos moments intimes
Alexandre :
Je n’entends rien
(Il se bouche les oreilles)
Lalalalala
(Il sort ; Sandrine ricane ; Hélène entre)
Hélène :
Il lui prend quoi là
Sandrine :
Il veut rien savoir de mes histoires de cul
Hélène :
Aha
Le répulsif à Papa
Sandrine :
Ouais
Le sexe c’est le répulsif des parents coincés
Hélène :
Impitoyable
Sandrine :
La citronnelle des pères-moustiques
Hélène :
Sauf que chez les moustiques y a que la femelle qui pique
Sandrine :
T’en sais des choses pour une styliste
Hélène :
Tu crois quoi
Que je sais juste m’extasier devant un défilé de mode
Tu te goures encore une fois
Ça fait combien de temps que t’as pas bossé
Sandrine :
Heu
Hélène :
Franchement
Sandrine :
Jamais
J’ai jamais bossé
Maman avait toujours un problème
J’étais toujours empêchée
Hélène :
Il va falloir reprendre ça en main je crois
Sandrine :
Ouais
Parce que là
J’ai plus rien
Et franchement
Ma vie elle pue
(Un cri, elles se figent ; Alexandre entre avec l’urne)
Alexandre :
Qu’est-ce que ta mère foutait dans le frigo
Sandrine :
Maman a toujours adoré être au frais
Alexandre :
Ça
Avec toutes les saloperies qu’elle a faites
Elle aurait été mieux à l’ombre
Hélène :
Poulet
Vas-y mollo
Sandrine :
Nan c’est bon
Je sais bien en plus
Mais c’est un réflexe
Je veux toujours le mieux pour Maman
Alexandre :
Le mieux ça serait aux chiottes
Hélène :
Ah non
Sandrine :
Merci pour le soutien
Hélène :
C’est pas ça
Ça bouche les canalisations
Sandrine :
Bon bah moi je vais me doucher
Alexandre :
C’est ça
(Sandrine sort ; un temps)
Hélène :
Poulet
Alexandre :
Oh je connais ce poulet-là
Je sais quand tu dis poulet comme ça ce que ça veut dire
Tu vas me demander un truc chiant
Hélène :
Ta fille
Elle a beaucoup morflé
Alexandre :
Bah oui
T’as vu sa mère
Hélène :
Faut laisser tomber avec sa mère
Faut aller de l’avant
Faut vivre
Faut lui donner envie de vivre
Et faut lui montrer l’homme formidable que tu es
Faire des efforts
Être aimant
Alexandre :
Mais Poupoule moi je saurai pas faire ça
Hélène :
Mais pourquoi
Alexandre :
Parce que c’est ma fille
C’est la personne au monde avec laquelle je suis le plus nul
Hélène :
T’es pas croyable toi
Alexandre :
J’ai fui je te rappelle
Hélène :
Tu as fui du bocal oui
On fait tous des conneries mais on peut se racheter
Alexandre :
Ah oui et comment
Hélène :
Bah là on peut l’aider
Alexandre :
Je réitère ma question
Comment
Hélène :
D’abord tu pourrais la fermer ça nous ferait à tous beaucoup de bien
Alexandre :
Ah si tu m’agresses moi j’arrête je rentre pas dans le business
Hélène :
C’est ta fille
Pas une marchandise
Alexandre :
Les enfants c’est une marchandise comme les autres mais avec deux défauts
Hélène :
Lesquels
Alexandre :
Ils sont casse-couilles mais en plus on doit les aimer quand même
Hélène :
Jolie sentence
Alexandre :
Sans rire on peut faire quoi
Hélène :
On peut
On peut
On peut l’aider
À trouver du boulot
Et quand elle aura du fric et la confiance elle se trouvera un appart et voilà
Elle va pas squatter ici indéfiniment
Autant je suis pour tendre la main quand c’est nécessaire autant j’aime pas qu’on me prenne pour une vache à lait
Alexandre :
OK alors on va bien séparer les tâches
Hélène :
Oui je sais
Toi tu gères le boulot pour Sandrine et moi je te gère toi
Alexandre :
T’as tout compris
(…)
Voix de Mamy :
Oui mon p’tit Loulou c’était Mamy
Je suis bien contente d’avoir écouté l’appel de Sandrine elle m’a appelé j’ai pas entendu sonner mais elle m’a laissé un message je reconnaissais à peine sa voix
Elle me dit que vous allez l’aider pour trouver du travail c’est dingue quand même avec toutes ces écoles les jeunes y foutent rien
Nous on travaillait ton grand-père il avait même pas le certificat d’étude et il a commencé à quatorze ans et il a fini contremaître c’est vraiment n’importe quoi avec tous ces gens qui ne foutent rien tu crois pas qu’ils feraient mieux de travailler
A la place ils touchent des sous des sous et qui est-ce qui paie c’est nous en plus tu crois pas que Sandrine elle pourrait aller travailler un peu
Enfin moi je dis ça tu fais comme tu veux hein moi je sais pas hein
Tout ça c’est pas mes affaires
Bon allez mon petit Loulou Alexou
Grosses bises de Mamy
Mais
Comment ça se ferme ce machin
C’est éteint là
Pourquoi ça clignote
C’est fermé là
Je sais pas
Allô
Je sais pas
(…)
4. Le cul dans les cendres
Sandrine :
Comment ça peindre
Alexandre :
Bah peindre peindre tu sais peindre oui ou non
(Elle s’adresse à l’urne)
Sandrine :
T’entends ça Maman
Papa il veut m’obliger à peindre
Alexandre :
Ne mêle pas ta mère à ça
Sandrine :
Peindre
Peindre
Un mur
Des murs
Non mais tu m’as regardé
Alexandre :
Minute Botticelli
En attendant que le Guggenheim te passe commande je te cherche juste du boulot
Sandrine :
J’ai fait les beaux-arts pas peintre en bâtiment
Alexandre :
Bah pinceaux peinture c’est quoi la différence
Si tu veux je te fournirai les mêmes rouleaux que Picasso
Sandrine :
Te fous pas de ma gueule Papa
Tu passes assez de temps dans des pince-fesses à mater des croûtes avec des clients pour savoir que ça n’a rien à voir
Moi je te demande pas de faire du porte-à-porte avec de la camelote à la place de faire signer tes gros contrats avec du champagne alors pourquoi je devrais juste peindre
Alexandre :
Mais y a rien
Pas de boulot pour toi
Comment tu gagnes ta vie
Comment tu fais
Sandrine :
Je sais pas mais je suis une artiste
Y a pas moyen que je fasse ça moi
Alexandre :
T’es pas une artiste
T’es juste chiante
Je veux t’aider et toi tu refuses
Sandrine :
Je t’ai rien demandé Papa
Juste un toit pour quelques temps
Pas un boulot de merde
(Hélène entre avec des coupures de tissus)
Hélène :
Oh la la
Ambiance
Il se passe quoi là
Alexandre :
Elle veut pas bosser
Hélène :
Comment ça
Alexandre :
Je lui trouve un job et
Sandrine :
Peintre
Un job de peintre
En bâtiment
Imagine on te demande de faire des ourlets dans un atelier
Alexandre :
Mais faut bien gagner du fric
Hélène :
Poulet
Ta fille est une artiste
Alexandre :
Ah c’était sûr que tu serais de son côté
Vous les
Artistes vous faites la fine bouche sur le boulot
Hélène :
Poulet
Arrête
Tu sais comment ça va finir cette histoire
Alexandre :
Quoi
Tu vas bouder
Hélène :
Non
Je vais te mettre une tarte dans la gueule
Alexandre :
Bon bah débrouillez-vous
(Il sort)
Hélène :
Tu veux pas bosser
Sandrine :
Non
Enfin
Pas faire ça
Hélène :
Tu vas pas rester là tout le temps le cul dans les cendres de ta mère
Sandrine :
Quoi
Hélène :
C’est ça que t’es en train de faire
Voix d’Alexandre :
Exactement
Sandrine :
Mais
Hélène :
Je comprends tu veux t’épanouir et c’est normal mais comment tu reprends une vie active
Hein
Faut bien commencer
Voix d’Alexandre :
C’est ce que je disais
Sandrine :
Oui mais je suis pas compétente
Je sais faire qu’une chose dans la vie c’est peindre
De l’art
Le reste je sais pas faire
Hélène :
Ce n’est que temporaire pour te remettre en route
Voix d’Alexandre :
Tout à fait
Sandrine :
Arrête Hélène
Tu sais très bien que c’est impossible
C’est du blabla
Dans la vie on ne peut pas se forcer à faire n’importe quoi
Toi-même tu n’y arriverais pas
La vie c’est juste pour tenter d’être un peu bien alors si on fait des trucs qui nous vont pas on se sent toujours nul
Voix d’Alexandre :
N’importe quoi
Hélène :
Tu as raison
Voix d’Alexandre :
C’est ça
Heu
Quoi
Hélène :
On peut pas se forcer à faire n’importe quoi
Il faut que tu fasses ce que tu sais faire
Il faut que tu peignes
Voix d’Alexandre :
Mais Poupoule
Hélène :
Je te propose un marché Sandrine
Sandrine :
Quel marché
Hélène :
Contre quelques tâches ménagères on te garde ici mais tu dois peindre
Voix d’Alexandre :
Poupoule
Hélène :
Ferme-la Poulet
Sandrine :
Peindre quoi
Hélène :
Des œuvres
Des tableaux
Tu peins
On veut un résultat
Et en échange tu passes le balai
Tu nettoies
Sandrine :
Tu veux que je sois la bonniche
Hélène :
Non
Je veux que tu participes
J’ai pas envie d’avoir une larve de trente ans qui squatte mon canap’ ad vitam
Sandrine :
Eh doucement si la larve elle vous gêne elle se casse
Hélène :
J’ai pas dit ça
Pas du tout
J’ai dit que tu restes si tu fais quelque chose
Et ce quelque chose c’est faire les vitres
Laver le sol
Et le linge
Voix d’Alexandre :
Et elle repasse
Hélène :
Et tu repasses
Sandrine :
Mais
Mais
Hélène :
Quoi
Tu lavais jamais chez ta mère
Sandrine :
Non
Au moins Maman ça elle le faisait
Hélène :
Super
Il n’est jamais trop tard pour apprendre
Sandrine :
Non mais t’as cru que j’étais à ton service
Hélène :
Non
J’ai cru que tu nous rendrais service
Comme on te rend service
Tu comprends le principe
De réciprocité
Donc tu peins mais tu laves
Est-ce que je suis claire
Sandrine :
Vous avez pas de femme de ménage
Hélène :
Si mais on va la renvoyer
C’est toi la femme de ménage maintenant
Voix d’Alexandre :
Et ça nous fera des économies
Sadnrine :
C’est vaiment vicieux
Vous avez pas besoin de moi pour ça
Vous avez déjà votre bonne
Hélène :
On en n'a pas besoin mais visiblement toi tu en as besoin
Voix d’Alexandre :
Ouais
Sandrine :
Tu la fermes toi
Hélène :
Alors
Tu en dis quoi
Voix d’Alexandre :
Tu as intérêt à dire oui
Sandrine :
C’est d’accord
(…)
Voix de Mamy :
Oui décidément on arrivera pas à s’avoir aujourd’hui
C’est quoi cette histoire j’ai pas bien suivi j’ai des nouvelles piles et j’entends moins bien qu’avec les anciennes Sandrine va faire le ménage c’est ça
Non mais c’est le monde à l’envers
Tu me diras au moins elle fait quelque chose
Tu sais moi j’ai une dame noire qui est venue de l’agence là pour nettoyer ici
Hé ben elle était très efficace
Alors j’ai rappelé l’agence pour leur demander la même noire pour la prochaine fois
Si Sandrine travaille bien elle pourrait entrer dans une agence
Je vais t’envoyer le nom de la mienne pour elle
Attends
Ça sonne
Bon je te laisse
Bisous Loulou
(…)
5. De lézard en laquais
(Alexandre est juché sur un petit tabouret et porte une robe, visiblement une création d’Hélène faites avec les coupures qu’elle avait en entrant dans la scène précédente ; celle-ci travaille sur la robe, met des aiguilles, teste des effets avec le tissu)
Hélène :
Poulet
Arrête de bouger
C’est pas possible on va pas y arriver là
Alexandre :
Mais pourquoi je dois me taper ça
Tu peux pas le faire sur des mannequins
Hélène :
Mais non ça rend pas pareil
Alexandre :
Et puis ça gratte ce truc
Hélène :
Ce truc c’est pour ta fille je te ferai dire
Alors arrête de gigoter s’il te plait
(Court silence)
Tiens marche un peu avec pour voir
Alexandre :
Comment ça marche avec
Hélène :
Bah descend de là et marche
(Alexandre descend en râlant et commence à marcher)
Plus de grâce
Déhanche-toi un peu
(Alexandre se crispe mais s’exécute ; il marche en se déhanchant, prend du temps ; Sandrine entre avec des sacs de courses ; elle s’arrête devant l’image de son père en robe qui marche)
Voilà
Voilà
Sandrine :
Heu
Salut
(Alexandre et Hélène sursautent)
Alexandre :
Tu m’as fait peur
Hélène :
On ne s’y attendait pas
Sandrine :
Désolée
Hélène :
Alors
Comment tu la trouves
Sandrine :
Heu
Virile
Hélène :
La robe
Sandrine :
Ah
Jolie
Alexandre :
Vaudrait mieux
Hélène :
Elle est pour toi
Sandrine :
Oh merci
Mais
Papa va pas me l’élargir
Alexandre :
Non mais oh
Hélène :
Mais pas du tout
C’est en chantier
J’ai prévu de la réduire après
Sandrine :
C’est chouette deux pour le prix d’une
Alexandre :
Au lieu de faire la maligne va donc ranger tes courses au frais
Sandrine :
Oui oui t’inquiète princesse
Hélène :
Et après tu dois passer le balai
Sandrine :
Oui oui
(Elle sort ; Alexandre remonte sur le tabouret ; Hélène travaille silencieusement ; puis Sandrine entre avec un balai et commence à balayer le sol ; de temps en temps elle regarde son père)
Alexandre :
Qu’est-ce que t’as à me mater toi
Regarde ce que tu fais
Sandrine :
C’est bon là
Balayer c’est balayer
Je peux bien te regarder
Hélène :
Fais donc le ménage correctement
La robe on verra plus tard
Sandrine :
Vous êtes vraiment chiants
Vous voulez que je nettoie
Je nettoie
Mais laissez-moi faire comme je veux
Hélène :
La dernière fois il restait des miettes partout
Cet engagement c’est pas de la blague
Alexandre :
Ouais
T’es nulle comme bonne
Sandrine :
Mais normal c’est pas mon job
Alexandre :
Mais ton job c’est tenir un pinceau
Tu nettoies mal et tu peins pas
Tu sers à rien en fait
Sandrine :
Non mais comment tu crois que je peux prendre
Hélène :
Stop
Poulet tu la boucles
Sandrine tu nettoies
Sandrine :
Mais vous me traitez comme une esclave et moi je dois rien dire
Hélène :
Tu dois laver et peindre
Tu laves
Oui
Pas terrible
Mais oui
Tu peins
Non
Il en est où le contrat là
Sandrine :
Peindre c’est pas comme laver c’est pas sur commande
Alexandre :
N’importe quoi
Hélène :
Non ça c’est vrai
Alexandre :
Pff
Sandrine :
Bon alors
Je peindrai quand je serai inspirée
Alexandre :
C’est ça
Inspire un grand coup
Et gaffe à l’asphyxie
Sandrine :
Et toi t’expires quand
Alexandre :
Tu veux me voir crever c’est ça
Sandrine :
Ouais pour toucher ton blé
Hélène :
Non mais ça va pas non
Alexandre :
T’as entendu des années sans nouvelle et elle me parle d’héritage
Hélène :
Absurde
Et de toute façon c’est moi qui toucherai tout
Sandrine :
Quoi
Alexandre :
Tu me vois déjà mort c’est ça
Hélène :
Je plaisante
Vous voyez comme vous êtes
Allez
Un peu de silence
Comment peut-on se concentrer sans cela
(Sandrine continue son ménage mais jette souvent un œil sur son père ; au bout d’un long moment d’hésitation, elle finit par aller chercher son chevalet et commence à peindre)
Alexandre :
Tu fais quoi là
Sandrine :
Je sais pas
Une inspiration
Alexandre :
Mais tu peins quoi là
Hélène :
Poulet ça se demande pas ça
Sandrine :
Pas de soucis
Je peins Papa
Alexandre :
Dans cette tenue
Hélène :
Il y a un problème avec ma robe
Alexandre :
Non mais
Je sais pas si
Hélène :
Si
Alexandre :
Si ça me met en valeur
Sandrine :
Au contraire
C’est très inspirant
(Sandrine est toute excitée, elle commence à peindre fiévreusement ; Alexandre la regarde stupéfait, puis Hélène, voyant l’expression d’Alexandre, se tourne pour observer Sandrine à l’ouvrage)
Alexandre :
Hé ho doucement
Hélène :
Chut
Elle crée
Alexandre :
Et alors
Hélène :
Créer c’est comme être somnambule
Alexandre :
Si je la réveille elle meurt
Hélène :
Non
Elle s’urine dessus
(Alexandre se vexe et bougonne ; il regarde toujours Sandrine avec méfiance, qui, elle, peint avec de larges traits de plus en plus vite ; Hélène essaie de rester concentrée sur la robe mais a du mal car elle sent l’agitation de Sandrine ; finalement les deux regardent la peintre bouche-bée car Sandrine est de plus en plus agitée, elle peint violemment, pousse des petits cris aigus et inspire largement comme dans un acte voluptueux ; longue ascension quasi-mystique qui débouche sur un soupir et un geste final, Sandrine s’effondre presque au sol en respirant nerveusement ; Les deux se précipitent)
Alexandre :
Ça va
Hélène :
Sandrine
Sandrine :
Arrêtez
Ne regardez pas
Ce n’est pas terminé
Hélène :
Tu es sûre
Alexandre :
Qu’est-ce que tu en sais
Hélène :
Je sais pas je le sens
Sandrine :
Heu
Je
Heu
Bah si en fait
Elle a raison
Hélène :
Tu vois
Alexandre :
Et on peut voir
Sandrine :
Je sais pas
Jamais produit un truc pareil
Hélène :
C’est comme tu veux
Alexandre :
Un tableau c’est fait pour être vu
Hélène :
Ça il a pas tort
Sandrine :
Bon
Alors
D’accord
(Les deux se précipitent et s’arrêtent en regardant le tableau ; long silence, on ne voit du tableau que leur regard éberlué, ils cherchent quoi dire)
Sandrine :
Alors
Alexandre :
Heu
Hélène :
C’est
Alexandre :
C’est moi
En robe
Sandrine :
Certes mais
Ça vous raconte quoi
Alexandre :
Ça me raconte moi en robe
Sandrine :
Comme émotion
Hélène :
C’est
Vertigineux
Alexandre :
Ah bon
Hélène :
Tu n’y connais rien
C’est
La fusion
Du père et de la mère
Alexandre :
Ça expliquerait pourquoi elle m’a représenté avec cette putain d’urne dans les mains
Hélène :
Faudrait trouver un mot
Alexandre :
Pourquoi
Hélène :
La fusion
Papa
Maman
Une Paman
Alexandre :
Ou un Mapa
Sandrine :
Comme un gant
Hélène :
On dirait la Sainte Famille
Alexandre :
Sauf que je suis tout seul
Hélène :
A la place de l’Enfant une urne
Alexandre :
Et à la place de la Vierge un travelo à moustaches
Sandrine :
Ça vous plait
Hélène :
Oui bien sûr
Alexandre :
Je n’aurais jamais cru que la robe pourrait si bien m’aller
Hélène :
Bravo
Sandrine :
Papa
Tu m’inspires
Tu es le plus beau des travelos
Hélène :
Je n’aurais jamais pensé te dire ça un jour mais c’est vrai tu es un travelo superbe Poulet
Alexandre :
Ça j’aurais jamais pensé non plus
(…)
Voix de Mamy :
Oui Alexou c’est Mamy je te rate tout le temps j’espère que c’est le bon numéro parce que j’entends pas ton message de répondeur tu sais j’entends pas très bien hein alors merci beaucoup pour la photo du tableau
Maryvonne m’a aidé à la voir sur internet tu sais elle est drôlement dégourdie avec ce machin moi je comprends rien du tout elle a tapé tout un tas de choses sur les lettres là et hop j’ai vu la photo et ben ça j’aurais pas cru les jeunes ont de ces idées
Tu crois que c’est élégant de te voir en robe avec ton ex-femme dans son bocal là non mais
Et Sandrine a fait une école d’art
Tu m’étonnes qu’elle trouve aucune place nulle part quand on peint ça moi je mettrais pas ça chez moi hein
C’est quand même rigolo car je dois avoir une photo de toi déguisé quand tu étais petit avec une de mes vieilles robes de bal c’est tordant si je la retrouve je te l’envoie par internet je demande à Maryvonne
Allez bisous
(…)
6. De souris en cheval
(Sandrine balaie nerveusement, Alexandre essaie de lire un journal sur le divan ; scène muette où elle le dérange en balayant sous ses pieds, lui râle)
Alexandre :
Bon tu arrêtes de balayer juste là où je suis
Sandrine :
Je balaie là où y a besoin
Alexandre :
Je lis
Sandrine :
Et moi j’attends
Alexandre :
Pourquoi tu appelles pas
Sandrine :
Elle répond pas
Alexandre :
Bah elle devrait plus tarder
Sandrine :
C’est long
Long
C’est trop long
Alexandre :
T’inquiètes c’est sûrement positif
Sandrine :
T’en sais quoi
T’es voyant
Alexandre :
Je suis pas voyant je veux juste lire mon journal
Sandrine :
De toute façon ça a toujours été comme ça tu n’as aucune empathie tu t’en fous de moi tu ne penses qu’à toi tout ce que je fais t’est égal tu t’imagines être au centre du monde le nombril le nombril du monde de ton monde le monde de Papa qui ne pense qu’à lui et à ses désirs qu’il faut faire passer avant ceux des autres et rien à foutre des autres et surtout rien à foutre de moi de ta fille de ce que je pense de ce que je suis de ce que j’espère de ce en quoi je crois de mes projets de ma carrière de tout ce sur quoi j’ai misé pour être un peu heureuse une fois dans ma putain de bordel de salope de vie
(Un temps)
Alexandre :
D’accord
Balaie où tu veux
Sandrine :
Merci
(Silence, elle balaie ; puis entre Hélène)
Hélène :
Ah tu es là
Je suis désolée j’avais oublié mon portable
Sandrine :
Pas grave
Alors alors alors
Hélène :
Alors il a adoré
Sandrine :
Oh
Trop bien
Alexandre :
Félicitations
Ma
Petite
Fille
Hélène :
Il veut ton tableau pour l’expo dans un mois
Sandrine :
Oh la la
Alexandre :
Attends comment ça son tableau
Celui où je suis en robe
Hélène :
Oui
Pour l’exposition
Sandrine :
Oh j’y crois pas
Alexandre :
Mais attends je n’ai pas donné mon accord pour ça moi je croyais que le type il regardait le tableau il disait oui ou non et que Van Gogh nous en peignait un autre spécialement pour l’occasion
Hélène :
Mais non pas du tout
Sandrine :
Tu crois que peindre ça sort comme ça
Alexandre :
Je crois que peindre quand on a fait les beaux-arts c’est pas non plus trop demander
Hélène :
Poulet
Tu te rends compte de l’opportunité pour ta fille
Sandrine :
J’y crois pas j’y crois pas j’y crois pas
Alexandre :
Je me rends compte que tout le monde va me voir avec cette robe et cette urne
Funéraire
Et que je vais être
Enfin
Voilà quoi
Hélène :
Mais n’importe quoi
On va te voir dans la robe
Celle que ta fille va porter
Et on verra la filiation
Et le génie de ta petite chérie
Sandrine :
Putain de bordel c’est trop bien
Alexandre :
Mais Poupoule
Hélène :
Ecoute Poulet
J’ai eu un mal fou à le convaincre de regarder le travail de ta fille car je suis une femme du monde de la mode et lui une vieille tarlouze ringarde du monde de l’art moderne
J’ai insisté plus que je n’ai jamais insisté pour que ta fille puisse avoir cette opportunité
Tu te souviens on a promis de l’aider
Et alors qu’on y arrive
Qu’on est à deux doigts de faire vivre à ta fille l’existence qu’elle a attendu tant d’années parce que sa conne de mère l’a vampirisée jusqu’à la dernière minute de sa vie sordide
C’est ce moment-là que tu choisis pour faire ta diva
Tu en connais beaucoup des filles qui peignent leur père sur un tableau toi
Alexandre :
Non j’en connais pas
Et encore moins qui peignent leur père en robe avec les cendres de leur mère dans une urne entre les mains du modèle
Hélène :
Ben justement
Ça c’est original
Sandrine :
Papa
Tu te rends compte
On va être célèbre
Mon tableau on va le voir partout
Alexandre :
Quoi
Hélène :
Là ma petite faut savoir la boucler pour rester persuasive
Alexandre :
Hors de question
Sandrine :
Mais Papa
Enfin
Tu peux pas m’empêcher de faire ça
C’est mon tableau
Tu vas faire quoi
Me coller un procès
Alexandre :
Pourquoi pas
Avec tout ce que ta mère m’a sucé comme pognon en pension alimentaire je pourrais en récupérer
Sandrine :
T’es vraiment le roi des cons
Alexandre :
Si je suis le roi des cons t’es la princesse des connes
Hélène :
Excusez-moi
La reine des connes pourrait intervenir là
Alexandre :
Que dalle pour le tableau tu m’entends
Je vais le trouver et le brûler moi ce truc
Sandrine :
Essaie toujours et je te crame la gueule
Hélène :
Hey les pyromanes ça suffit
Alexandre :
Essaie donc petite garce
Sandrine :
Je vais me gêner
Et quand j’en aurai fini avec toi on verra plus tes cheveux blancs
Hélène :
Non mais bordel vous allez la fermer oui
(Silence)
Alexandre :
Mais c’est elle
Hélène :
Ta gueule Poulet
Sandrine :
Tu vois t’es même pas capable
Hélène :
Hey la squatteuse
Tu la boucles
Vous commencez à me courir tous les deux
Vous vous comportez comme des ados
On parle beaux-arts et business et vous voyez comme vous êtes
Donc c’est décidé
Le tableau ira à l’expo
Sandrine :
Yes
Alexandre :
Mais Poupoule
Hélène :
Y a pas de Poupoule
C’est ce qu’il faut
Comment on la fait sortir d’ici sinon
Sandrine :
Quoi
Hélène :
Quoi quoi
Sandrine :
Comment ça sortir
Hélène :
Quoi tu croyais que c’était pour tes beaux yeux
On te cherche du boulot pour que tu t’émancipes
Sandrine :
Alors tout ça c’était pour vous débarrasser de moi
Hélène :
Mais non
Pas du tout
Poulet dis-lui
Alexandre :
Alors quand tu as besoin de moi c’est Poulet dis-lui
(Sandrine s’adresse à l’urne qui est installée quelque part dans le salon)
Sandrine :
T’entends ça Maman
Ils veulent pas de nous
Prépare tes affaires
On se casse d’ici
Hélène :
Sandrine
Attends
On s’est mal compris
Sandrine :
Non non
Je suis pas chez moi ici
Chez moi c’est nulle part
Je suis juste une pauvre artiste ratée sans toit sans ami et sans famille
Alexandre :
Y a toujours ta mère
Sandrine :
Exactement
Elle s’est toujours occupée de moi elle
Elle me traitait pas comme une esclave
Alexandre :
Ah oui t’es sûre
Hélène :
Je comprends pas Sandrine
On était d’accord pour tout ça
Quelques temps ici contre un peu de ménage
On fait jouer nos relations
Et dès que c’est possible tu quittes le nid
Sandrine :
Mais en fait vous voulez pas de moi je veux dire vous voulez pas m’aider vraiment vous vous sentez juste obligés
Alexandre :
C’est pas tout à fait vrai Sandrine
Y a que Hélène qui se sent obligée
Hélène :
Poulet
Sandrine :
Moi je me casse direct
Hélène :
Sandrine
(Sandrine sort)
C’est malin hein
Merci
Alexandre :
Mais quoi
C’est la vérité
Hélène :
Comment on aide ta fille si elle s’en va
Elle va revenir par intermittence et là mon coco tu l’as sur le dos cycliquement jusqu’à la fin de ta vie
(Sandrine revient avec sa trousse de toilette, va vers sa valise, prend l’urne et boucle le tout)
Sandrine :
Hop
Ma trousse de toilette
Mes vêtements sont déjà dans la valise parce que de toute façon j’étais là temporairement
Et Maman que je prends
Et je
Me
Casse
Hélène :
Ecoute c’est trop bête
Il fait froid dehors
Sandrine :
On est en plein été
Hélène :
Tu ne connais personne
Sandrine :
Tous mes collègues des beaux-arts
Hélène :
Mais on veut t’aider
Sandrine :
Je ne veux pas qu’on m’aide
Hélène :
Eh bien on veut t’aider malgré toi-même
Sandrine :
Ça sert à rien
J’ai cru que tu serais mon amie
Mais en fait t’es juste une styliste de merde
Hélène :
Quoi
Sandrine :
Tes robes sont moches
T’as aucun goût
T’es qu’une snobinarde pathétique
Hélène :
Ecoute petite conne
Ça suffit les caprices
J’ai commencé à seize ans en bossant comme une folle
J’ai étudié pendant des années
J’ai été le larbin de tout ce qui a compté dans ce putain de milieu
J’ai en bavé pour arriver là où je suis et une petite paumée qui n’a jamais rien fait viendrait me parler sur ce ton
T’as un talent fou mais t’es trop idiote pour le laisser s’exprimer
Alors fais comme tu veux
Va pleurnicher sous les ponts mais ne crois pas que quiconque te tendra les bras
A part moi personne n’essaiera une seule seconde de te sauver et même on t’appuiera sur la tête pour que tu te noies plus vite que prévu
La seule chose que tu peux faire pour sauver ta vie minable c’est te mettre au boulot croire en toi et arrêter de nous casser les burnes
(Un temps)
Alexandre :
Techniquement tu n’as pas
Hélène :
La ferme
(Un temps)
Sandrine :
Bon
C’est vrai
C’était le deal
Vous m’hébergiez
Et dès que possible
Je prenais mon envol
(Un temps)
Alexandre :
Cui-cui
(Elles le regardent)
(…)
Voix de Mamy :
Mon p’tit Alexou c’était Mamy j’ai eu ton message écoute je suis bien contente pour Sandrine parce que vu son machin là son tableau c’était pas gagné
Mais bon c’est ça ça se passe comme ça l’art aujourd’hui ça doit être ça ta femme est bien chiffonnière là ou couturière je sais jamais d’ailleurs j’ai vu le couturier là à la télé comment il s’appelle Jean-Pierre Gaultier là non mais tu l’as vu
Une tapette
Il se tortille avec son pull marin
Oh la la non mais c’est pas possible ça c’est normal que ces gens-là ils aiment le tableau avec toi en robe ils attendent que ça tu sais c’est ce qu’ils veulent que tous les hommes soient en robe voilà
Non mais
Enfin si ça peut servir à Sandrine elle a bien raison
Allez mon petit Alexou ça serait bien qu’on arrive à s’avoir quand même hein
Allez
Gros bisous mon Loulou
(…)
7. La fée qui file
(Alexandre est installé dans le canapé comme un spectateur, il y a l’urne posé à côté de lui ; Hélène se tient debout)
Hélène :
Mesdames et Messieurs
Chers spectateurs
Soyez prêts à accueillir chaleureusement la plus belle fille de toute la contrée
Elle porte ce soir un modèle haute couture sur mesure de la styliste la plus en vogue de Paris
J’ai nommé la princesse du jour
La belle et talentueuse Sandrine Ilion
(Alexandre et Hélène applaudissent en huant joyeusement, et il en profite pour brandir l’urne et la secouer ; Sandrine entre dans la robe que son père essayait mais elle est cette fois-ci totalement achevée)
Sandrine :
Merci merci
Merci à tous je vous aime
Je voudrais adresser une pensée toute particulière ce soir à ma mère qui n’est plus
À mon Père qui est toujours
Et à ma
Belle
Belle-mère
Qui a conçu cette merveille que j’ai l’honneur de porter
Si avec ça je chope pas le prince charmant ce soir
Je sais pas ce qu’il faut
Hélène :
Tu sais Sandrine
J’en ai bavé pour la faire cette robe
Pour qu’elle te ressemble
Qu’elle mette à jour ta beauté
Rêche
Ça a été dur
Tu es teigneuse et j’ai dû faire preuve d’abnégation pour accepter cette
Situation
Mais il me semble que c’était la chose à faire
Et ce soir c’est le grand soir
Cette robe te raconte
Et pour couronner le tout
Ton père a une petite surprise pour toi
(Alexandre se lève fièrement et adresse une boîte à chaussures ornée d’un nœud à Sandrine ; toute excitée elle l’ouvre et en sort une magnifique paire de chaussures ; éblouie, elle laisse échapper quelques sons tout en les mettant rapidement)
Sandrine :
Papa
Je les adore
Elles sont parfaites
Alexandre :
Ma petite chérie
Tu vas pouvoir aller au bal
Mais attention
Ne rentre pas trop tard
Hélène :
Trop mignon Poulet
Sandrine :
Vous êtes vraiment sûrs de ne pas venir
Hélène :
On en a déjà parlé avec ton père
C’est ta soirée
Il faut que tu voles de tes propres ailes
Alors tu y vas
Et nous on t’attend là
Et quand tu rentres tu nous racontes tout
D’accord
Sandrine :
Oh la la c’est le plus beau jour de ma vie
Je crois que je vais pleurer
Hélène :
Après une heure de maquillage
Hors de question
(…)
Voix de Mamy :
Oui mon Loulou c’est Mamy c’est pour te dire que je suis toute enrhumée je peux pas parler j’ai plus de voix je peux même pas t’appeler tellement j’ai plus de voix alors je te laisse ce message tu diras à Sandrine que je l’embrasse fort mais j’ai plus de voix je peux plus parler je te rappellerai demain pour te le dire hein
Gros bisou Alexou
(…)
8. Des oranges et des citrons
(Hélène et Alexandre patientent sur le canapé ; Hélène lit calmement, Alexandre est nerveusement sur son téléphone)
Hélène :
Poulet pourquoi tu gigotes
Alexandre :
Je ne gigote pas
J’ai juste hâte qu’elle rentre
Hélène :
Moi aussi mais je ne m’agite pas pour autant
C’est parce que ta fille prend son envol c’est ça
Alexandre :
Heu bah oui
Je suis tout excité oui
Hélène :
Sacré Poulet
(Bruits de pas)
Alexandre :
Ah
C’est elle ça
(Sandrine entre, euphorique)
Alors alors
Sandrine :
Bonsoir
Hélène :
Toute souriante
Alexandre :
C’était comment
Sandrine :
Fan
Tas
Tique
Hélène :
Ah
Alexandre :
Raconte
On l’a acheté
Combien
Hélène :
Mais attends
Laisse-la dire
Sandrine :
C’est bien simple j’ai eu plein de compliments
Des moments extatiques
Des questions
Tout le monde voulait savoir pourquoi l’homme en robe et pourquoi l’urne et les couleurs et la matière
Hélène :
Bravo
Alexandre :
Et du coup il a été acheté
Sandrine :
Un jeune homme m’a questionné longuement
Il était scotché à mon tableau
Hélène :
Formidable
Alexandre :
Ah tiens
Sandrine :
Et du coup je suis partie à un moment et quand je suis revenue la vieille tarlouze avait collé une pastille orange ou jaune sur l’étiquette du tableau
Alexandre :
C’était l’heure de jouer aux gommettes
Sandrine :
Mais non
C’est un code
Ça veut dire que c’est vendu
Hélène :
Ouah
Alexandre :
Bravo ma petite fille
Sandrine :
Je n’en reviens pas
Certainement ce type assez jeune qui l’a acheté
C’est tellement
Tellement
Dingue
J’avais vraiment besoin de ça pour me mettre en route
Hélène :
Je suis très heureuse pour toi
Alexandre :
Oui c’est très bien ma chérie
Je suis très fier de toi
Sandrine :
Merci Papa
Hélène :
File te démaquiller tu en as pour un bout de temps
Après on fête ça
On ouvre le champagne
Sandrine :
Merci beaucoup à vous deux
Je sais pas comment j’aurais fait sans vous
(Elle sort ; Alexandre prend un air triomphant et malin, Hélène se replonge dans sa lecture)
Alexandre :
Poupoule
Hélène :
Mmm
Alexandre :
C’est qui le meilleur papa de la terre
Hélène :
Heu
Quoi
(Elle lève la tête et le regarde)
Oh je connais ce regard
Qu’est-ce que tu as fait
Alexandre :
Devine
Hélène :
Certainement une connerie
Alexandre :
Mais non n’importe quoi
J’ai fait ce que tout père doit faire
Hélène :
C’est-à-dire
Alexandre :
Ne le dis pas à Sandrine hein
Hélène :
Quoi
Alexandre :
Le tableau
Hélène :
Oui
Alexandre :
Devine qui l’a acheté
Hélène :
Attends tu déconnes
Alexandre :
Eh oui
Tu peux me féliciter
Hélène :
Tu n’as pas fait ça
Alexandre :
Oui je sais c’est incroyable mais si
Je l’ai fait
La gommette orange ou jaune
C’est moi
Hélène :
C’est toi qui as acheté le tableau
C’était ça ton coup de fil dans la cuisine tout à l’heure
Alexandre :
Exact
Alors
Fier de ton Poulet
Hélène :
Non mais t’es vraiment le roi des chapons
Alexandre :
Quoi
Hélène :
Tu as acheté le tableau de ta fille
Mais ça fout tout en l’air
Comment tu as pu faire ça
Alexandre :
Mais pas du tout
Il fallait lui donner confiance en elle
Suffisamment pour qu’elle prenne son envol comme tu disais et qu’elle se barre d’ici
Hélène :
Oui mais pas en faisant les choses à sa place
T’es pas un de ces oiseaux qui prémâche la nourriture avant de nourrir ses petits
Alexandre :
Mais je prémâche rien
Ce tableau me plait
Je l’achète
Et elle ça lui donne confiance
Tout le monde y gagne
Hélène :
C’est pas possible d’être aussi bête
Alexandre :
Hey mollo les compliments là
Hélène :
C’est comme si elle n’avait rien vendu
Il fallait que ce soit un inconnu qui achète pour que ça signifie quelque chose
Tu te rends compte de ce qu’elle va dire quand elle va s’en rendre compte
Alexandre :
Mais non justement
C’est là que mon plan est génial
Il ne faut pas lui dire
Acheteur anonyme
Hélène :
Ah oui
Et quand tu vas accrocher le tableau dans le salon elle ne pas s’en rendre compte peut-être
Alexandre :
J’avais plutôt prévu de le planquer à la cave
Hélène :
C’est ça la mise en confiance de ta fille
Acheter son tableau et le cacher
Et quand elle le découvrira un jour par hasard il se passera quoi
Alexandre :
Merde j’avais pas pensé à ça
Bah y a pas d’autres solutions
Faudra le détruire
Hélène :
Mais ça va pas
Le premier vrai tableau de ta fille
T’es vraiment un père horrible
Alexandre :
Hey
Je fais comme je peux
Je voudrais t’y voir moi
Tu crois que ça a été simple avec sa folle de mère
J’ai fait comme j’ai pu
Et puis ce tableau est pas non plus facile pour moi
Hélène :
Hein
Non mais attends
En fait c’est pas que pour rendre service
Tu veux pas que le tableau soit vu en fait
Alexandre :
Mais qu’est-ce que
Hélène :
Mais oui c’est ça
Tu veux garder le tableau pour toi
Tu veux le garder secret pour que personne te voit en robe avec l’urne de ton ex
Alexandre :
Mais n’importe quoi
Hélène :
Si si
C’est ça qui te ronge jusqu’à l’os
T’as peur d’avoir honte
Alexandre :
Mais pas du tout
Hélène :
Tu comprends pas qu’au contraire ce tableau c’est la plus belle chose qui puisse vous arriver à tous les deux
Ce tableau c’est une réconciliation
C’est la famille réunie avec l’acceptation du deuil
Alexandre :
C’est surtout moi en putain de robe
Hélène :
Ah tu vois tu avoues
Alexandre :
Oui bah oui voilà c’est comme ça
Hélène :
C’est malin
On fait quoi maintenant
On a ta fille sur les bras pour l’éternité c’est sûr
Ça va marcher un temps
Elle va découvrir l’embrouille
Elle va s’effondrer
Et ça sera reparti pour un tour
Alexandre :
Font chier ces gosses
Peuvent pas se débrouiller seuls
Hélène :
Vu les parents ça m’étonnerait
Alexandre :
Qu’est-ce que t’en sais toi
T’as eu des enfants toi
T’as une idée de ce que c’est d’avoir un être qui sort de toi qui est ta chair et qui t’échappe qui disparaît qui vit sans toi
Qui vit d’autres choses
Qui a le droit de s’en foutre de toi
Hélène :
Non mais j’observe
Et depuis plusieurs semaines je me rends compte de quelques trucs
Et surtout qu’avoir un enfant c’est facile
Quelques minutes de plaisir
Dans le meilleur des cas
Et il est là prêt à bondir hors de l’utérus de sa mère
Alexandre :
Super image
Hélène :
Ouais bah tu veux que je te parle de la conception
Alexandre :
Non ça ira
Hélène :
Donc l’enfant est là
C’est un enfant
Un être vivant
Un humain
Pas un canari
Ou
Ou
Alexandre :
Un hamster
Hélène :
Voilà
Pas de cage
Pas de roue
Pas de mangeoire
Mais tout comme toi
Faut tout
Des vêtements
Des jouets
Des meubles
Et surtout
T’en prends pour perpèt’
Pour toujours t’auras cette personne-là dans ta tête ou pendue à ton bras
C’est ça être parent en fait
Ça veut dire accepter de t’occuper de lui
Mais pas n’importe comment
Même les animaux ils ont droit au respect
Nos mômes encore plus
Parce que c’est nos mômes
C’est nous plus tard
C’est nous quand on sera mort et ils diront nos mômes pour leurs mômes et ainsi de suite
Alexandre :
Non mais je suis pas idiot
Je sais tout ça
Hélène :
Non tu sais rien
Je t’ai toujours défendu
Toujours été d’accord avec les histoires d’ex qui sont des garces
Mais n’empêche que tes enfants
S’ils veulent être dans ta vie
Et qu’ils te respectent un minimum je dis pas
Bah t’as pas le choix
Tu dois pas être un bon parent
Tu dois être un parent
Qui déchire
Un parent
Exceptionnel
Pas le choix
C’est pas ton bon vouloir
Alexandre :
Ah ouais
Et on fait comment
C’est quoi le mode d’emploi
Hélène :
Je sais pas
C’est pas moi le père
Alexandre :
Écoute
T’as raison
Mais je fais quoi là
T’entends Hélène
J’ai besoin de toi
Je sais pas quoi faire
Être père j’avais plus cru ça possible
J’avais mis ça de côté
Elle avait disparu
Sortie de ma vie
Et là faut que je sois parfait
Mais je sais rien faire
Je sais juste tenter des trucs
Et la plupart du temps
Ça foire
La vie c’est un peu de la merde parfois
Y a de la casse
Je veux bien réparer mais je fais comment
Hélène :
Y a pas trente-six solutions
Parler
Alexandre :
Oh non
Je peux pas lui dire que j’ai encore échoué
Hélène :
On fait comment alors
Alexandre :
On fait
On fait
Tu peux pas lui parler toi
Hélène :
Ah non
Alexandre :
Ma petite poupoule qui caquette à moi
Hélène :
Alexandre arrête
Alexandre :
Je sais que tu peux rien me refuser quand je te demande gentiment d’être une bonne poupoule
Hélène :
Arrête
Je suis pas une pondeuse
Alexandre :
Tu ne veux pas m’aider
Hélène :
J’y gagne quoi
Alexandre :
Plus tôt on règle ça
Plus tôt elle s’en va
(Entre Sandrine)
Sandrine :
Alors
On le boit ce champagne
(…)
Voix de Mamy :
Oui c’est pour te dire que j’ai toujours pas de voix mais je voulais quand même te le dire et savoir comment s’était passé la soirée là le vernis de Sandrine
Savoir si quelqu’un avait voulu acheter son tableau parce que c’est pas le tout de peindre mais faut aussi vendre faut bien gagner sa croûte hein d’ailleurs Maryvonne m’en a dit une bien bonne elle est drôle Maryvonne elle a dit Sandrine elle a dit Sandrine
Attend
Elle a dit quoi déjà
Ah oui
Elle a dit
Elle a dit
Sandrine elle gagne sa croûte en vendant ses croûtes
Qu’elle a dit Maryvonne
On a rigolé comme deux bécasses
Bon
Je peux pas parler je te rappelle plus tard car j’entends rien en plus
Allez mon p’tit Loulou c’était Mamy
(…)
9. Grandement embarrassée
(Le lendemain, Sandrine rêvasse sur le canapé ; entre Hélène)
Hélène :
Coucou
Sandrine :
Oh salut
Bien dormi
Hélène :
Heu
Oui
Et toi
Sandrine :
Divinement
Hélène :
Tant mieux
Je suis contente
(Un temps)
Tu as un moment
Sandrine :
J’ai tous les moments que tu veux
Hélène :
Super
Alors
Bon
Voilà
Tu sais
Ton père
Enfin
Non
On va pas commencer par ça
On va commencer
Sandrine :
Il y a quoi là
Hélène :
Tu sais
Moi
Je t’aime pas beaucoup
Sandrine :
Tu es sûre que ça commence comme ça
Hélène :
Oui c’est pas terrible
Je veux dire
Je t’aime bien
Enfin
Je te tolère
Sandrine :
Atroce
Hélène :
Oui je ne suis pas en verve
Bon
Heu
Je suis ta belle-mère
Ça c’est bon
Sandrine :
Ça explique le fait que tu ne m’aimes pas beaucoup
Hélène :
Voilà
Heu
Non
C’est pas ça
Ça explique que la priorité c’est pas toi
Pour moi
C’est pas toi
C’est
Ton père
Sandrine :
Heu
OK
Hélène :
Je veux dire
Ton père
Je m’en préoccupe plus que de toi
Donc je cherche comment te parler
Et comment
Le
Protéger
Sandrine :
Il a fait quoi encore
Hélène :
Tu vois
C’est exactement ça
Il a fait comme il a pu
Pas forcément bien
Certes
Sandrine :
Complètement connement oui
Hélène :
Tu sais Sandrine
C’est pas facile là
Je fais tout pour te ménager et ménager ton père
Lui c’est un gros balourd OK
Mais toi t’es une petite chieuse
Sandrine :
C’est ça que tu veux me dire
Hélène :
Oui
Enfin non
Pas du tout
Ça c’est un fait
Mais c’est pas
L’objet de la discussion
Sandrine :
Alors accouche Hélène
Hélène :
Bah non justement
Moi j’accouche pas
Je veux dire
J’ai pas accouché
Pas d’enfant moi
Libre comme l’air
Mais je me retrouve entre ton père et toi et c’est pas simple
Tu sais Sandrine
On est à deux doigts
A deux doigts d’être les meilleures amies du monde et à deux doigts que je t’étrangle
Sandrine :
Mais
Hélène :
Non je suis lancée là alors écoute
T’as débarqué
J’ai fait la gentille
La compréhensive
Le tampon
Tout ce que tu veux
Mais moi
Tu sais ce que je veux vraiment moi
Moi je veux que tu partes
Pas parce que je t’aime pas
Mais parce que je veux que tu prennes ton envol
Et que tu te démer
Heu
Que tu te débrouilles
Et hier soir
J’étais sûr que c’était bon
Sandrine :
Mais c’est bon
Première soirée
Première toile achetée
Je vais plus rester longtemps
Bientôt ciao
Hélène :
Bah ça c’est pas sûr justement
Sandrine :
Comment ça
Hélène :
Tu sais comme ton père t’aime
Sandrine :
De son fion il m’aime
C’est quoi l’embrouille là
Hélène :
Il t’aime et il veut tout pour toi
Enfin
Le meilleur
Il croit bien faire
Sandrine :
Il se goure
Hélène :
Oui
Voilà
Il se goure
Il fait comme il peut
Et il se goure
Souvent
Et là aussi
Il s’est gouré
Sandrine :
Il a fait quoi
Hélène :
Il a
Acheté
Ton tableau
Sandrine :
Hein
Hélène :
Hier soir
La tarlouze
La pastille
C’était ton père
Sandrine :
Mais non
Il était pas là
Il a pas pu
Hélène :
Par téléphone
Sandrine :
Mais pourquoi
Hélène :
Parce qu’il t’aime
Sandrine :
Mais c’est idiot
Hélène :
Certes
Mais
Il a cru bien faire
Sandrine :
Des conneries oui
Il a fait
Des conneries
Encore
Putain mais je lui ai fait quoi pour qu’il soit toujours à me faire
Hélène :
Hey
Mollo
Je prends des pincettes et toi tu plonges direct dans les insultes
Il a cru bien faire
Il s’est planté
C’était un geste d’encouragement
C’était très con
Mais il l’a fait
Sandrine :
Et je fais quoi maintenant
Tout est à recommencer
C’est comme si j’avais rien fait
Hélène :
Je sais
Mais tu sais
Etre père c’est pas facile
Sandrine :
Parce que c’est facile pour moi d’être sa fille
Hélène :
Pourquoi tu es revenue
Pourquoi tu as repris contact si c’était si dur
(Un temps)
Tu vois
Tu réponds rien
C’est dur tout court
Pour tout le monde
Mais toi tu peux vivre ta vie
Disparaître
Dire merde à tout
Ton père
C’est ton père
Un jour où l’autre sa paternité le rattrape
Être parent c’est pour la vie
Facile pour toi de faire la dédaigneuse
Encore plus facile de venir exiger de l’aide et après ciao
Oui je veux que tu partes
Que tu te casses
Mais pas que tu t’évapores encore
Ton père c’est ton père
Il veut te revoir
Avoir un lien
T’as compris que c’est pas ton chien
Que tu dois lui accorder ce lien
Sandrine :
Et pourquoi je devrais faire ça
Je sais même pas encore qui je suis
Je sais pas où je vais
Je suis plus très jeune mais encore paumée comme une ado
Et en plus je dois être compréhensive
Hélène :
Oui
Rien n’est perdu
On peut réparer
On peut annuler la vente
Tu peux y retourner
Sandrine :
C’est trop bizarre
T’es trop gentille
Mais pourquoi
Pourquoi tu me mets pas à la porte direct
Hélène :
Crois-moi j’en ai envie
Mais je pense d’abord à Alexandre
Ton père
Pour toi c’est un gros con
Pour moi c’est le prince charmant
Sandrine :
T’as vraiment des goûts de merde
(…)
Voix de Mamy :
Oui mon Alexou tu ne m’as pas rappelé
Je suis toute mal foutue alors rappelle-moi pour que je te raconte
Bisous mon loulou
(…)
10. Encore plus parée
(Soir ; Sandrine enfile sa robe pour sortir, Alexandre et Hélène entrent timidement)
Hélène :
Tu es prête
Alexandre :
Oh la belle fille
(Sandrine met ses chaussures silencieusement)
Tu mets tes belles chaussures
(Un temps)
Hélène :
Tu fais encore la tête
Sandrine :
Je sais même plus
Je vais me couvrir de ridicule
Je vais dans une galerie vide en robe du soir pour rattraper l’irrattrapable
Hélène :
Hey
Un peu d’enthousiasme sinon c’est même pas la peine
Tu vas certainement rencontrer quelqu’un d’intéressé par ta peinture
Sandrine :
Mouais
Alexandre :
Mais si ma chérie c’est sûr
Sandrine :
Toi je te parle pas
Alexandre :
Au moins je me ferai pas insulter
(Elle saisit l’urne)
Hélène :
Tu emportes ta mère
Sandrine :
Oui
Alexandre :
Tu vas pas prendre ce truc avec toi
Sandrine :
Tu diras à ton mari que ce truc est ma mère et accessoirement son ex-femme et que je l’emporte où je veux
Hélène :
Ce truc est sa mère et accessoirement
Alexandre :
Ça va Hélène hein
Mais c’est n’importe quoi
Non seulement tu porteras la même robe que moi sur le tableau mais aussi ta mère
C’est plus une filiation là c’est une performance d’actrice
Hélène :
Ça va pas faire bizarre
Alexandre :
Fais gaffe qu’on te confonde pas avec une œuvre et qu’on essaie pas de t’acheter
Sandrine :
Si tu pouvais tu le ferais
M’acheter
Et je prends Maman avec moi car elle m’a jamais trahi ni menti
Ni quoi que ce soit d’ailleurs
Alexandre :
Tu oublies tout ce qu’elle a inventé à mon sujet et comme elle t’a accaparé et culpabilisé toute ta vie
Sandrine :
Ça c’est ta version
Hélène :
Ah non
Ne commencez pas
Alexandre :
Hélène
Tu nous laisses
(Un temps)
Hélène :
Je t’en prie ne t’engueule pas avec elle
Alexandre :
Ça dépend pas de moi
(Hélène sort)
Sandrine :
Inutile
Je te parle pas
Alexandre :
C’est pour ça qu’on avance pas
On parle jamais
Faut que je sois saoul ou toi bien lunée
C’est pour ça qu’on se déteste
Sandrine :
Je te déteste pas
Alexandre :
On dirait pourtant
Sandrine :
Tu me détestes toi
Alexandre :
Non
Sandrine :
Alors tu vois
C’est pas la raison
Alexandre :
C’est quoi la raison
Sandrine :
Sais pas
Alexandre :
Ta mère
Le temps
L’éloignement
Sandrine :
Un peu tout
Alexandre :
Ça va prendre encore des années
Si j’avais pu
Je ne serais jamais parti
Mais pas le choix
Sandrine :
On a toujours le choix
Alexandre :
Ah oui
Et toi t’a eu le choix
De venir me voir pour comprendre
Tu l’as eu le choix
Mais t’es pas venue
(Un temps)
C’est injuste
T’attends tout de moi mais rien de toi-même
Mais là c’est ta vie
Ton avenir
Alors faut te bouger
Dans la vie on est toujours seul
Sandrine :
Toi t’as Hélène
Alexandre :
C’est vrai
Elle est merveilleuse
C’est une fée
Mais ça ne change rien à ce sentiment âpre que j’ai quand je repense à ma vie loin de toi
Ou même avec ta mère
C’était horrible
Elle m’a fait passer pour un salaud
Un monstre
Et elle pour une victime
Tu sais ce que ça fait l’impression d’être accusé de quelque chose qu’on a pas fait
Ça sert à rien d’essayer de te convaincre de toute façon elle est morte c’est fini
Mais moi j’ai ma vie
Et j’ai pas l’intention de la gâcher
Et toi
Sandrine :
Moi
Je sais pas
Je sais rien
(…)
Voix de Mamy :
Bah c’était Mamy je me demande si tu entends mes messages
Si tu appelles tout à l’heure n’oublies pas qu’il y a mon feuilleton donc je décroche pas sinon je comprends plus rien après
A tout à l’heure peut-être si tu penses encore à m’appeler
(…)
11. Retour boiteux
(Hélène est toujours sur le canapé, Alexandre s’agace avec son téléphone)
Alexandre :
Bon sang mais elle peut pas répondre
Hélène :
Plus de batterie un classique Poulet
Alexandre :
Mais il est minuit
Elle ne donne aucune nouvelle
Elle est chiante
Hélène :
Ça oui
Mais t’inquiète pas
Elle doit juste s’amuser
Alexandre :
Oui mais je voudrais savoir si elle l’a vendu moi son tableau
Ta tarlouze de marchand d’art il disait que ça se vendrait le premier soir
Hélène :
C’est pas si grave Poulet si elle vend pas ce soir
C’est déjà très bien tu sais
Faut laisser le temps au temps
Alexandre :
Putain
Tu fais chier avec tes proverbes à la con des fois Poupoule
Hélène :
Tu veux faire quoi
Paniquer
Inutile
Elle va bientôt rentrer et tout nous raconter
Alexandre :
Elle va prendre une raclée oui
Hélène :
Poulet
Elle a trente ans
Pas douze
Alexandre :
Ouais bah quand elle avait douze ans j’étais plus là
Alors je me rattrape
Et je te garantis qu’elle va être privée de sortie
Hélène :
Je sais pas si tu es mignon ou pathétique
(On entend des pas dans le couloir qui résonne, ils sont lents et indiquent un boitement)
Ah
C’est sûrement elle
Alexandre :
Vaudrait mieux
(Il s’adresse à la cantonade)
Sandrine Ilion
Il est minuit passé
Voix de Sandrine :
Je sais
(Entre Sandrine dans un sale état : décoiffée, sa robe est déchirée, couverte de cendres et il lui manque une chaussure)
Allexandre :
Oh la la mais qu’est-ce qu’il s’est passée
Hélène :
Sandrine
Mais
Ça va
Sandrine :
Bof
Je me sens pas très bien
Alexandre :
Attends viens t’asseoir
Hélène :
Dans quel état tu es
Sandrine :
Oui
J’ai eu quelques petits problèmes
Alexandre :
Tu t’es faite agresser
Sandrine :
Oh non
Y avait le mec d’hier soir
Il était charmant
Il était même plus que charmant
Hélène :
Mais alors pourquoi tu es
Comme ça
Sandrine :
Comme ça
Bah
J’ai pas vu l’heure passer
Alexandre :
C’est pour ça que tu es dégueu la robe déchirée avec une chaussure en moins
Hélène :
Poulet
Laisse-la dire
Sandrine :
Quand j’ai vu qu’il était si tard
Je suis vite descendue dans la rue
Mon talon s’est coincé dans une grille d’égouts
J’ai trébuchée
J’ai déchirée ma robe
Et j’ai fait tomber Maman
Enfin
L’urne
Qui s’est ouverte
Et là
Un coup de vent
Et je me suis tout pris
Alexandre :
Attends tu veux dire
Sandrine :
Oui
J’ai tout Maman plein sur moi
Hélène :
Dé
Gou
Tant
Sandrine :
Mais le problème c’est que je savais que le mec qui a aimé mon tableau était pas loin alors je me suis relevée hyper vite pour pas le croiser tellement j’avais honte j’ai pris le premier taxi et laissé ma chaussure sur la grille d’égouts
Hélène :
C’est pas grave
Je te fais pas de câlin mais le cœur y est
Alexandre :
Tu rigoles
Elles m’ont couté bonbon ces godasses
Hélène :
C’est tout ce que tu trouves à dire
Sandrine :
Je suis désolée Papa
Je suis un boulet
La plus belle soirée de ma vie je la gâche
Pas moyen de rien faire
Hélène :
Mais non on s’en fiche
Tu es exposée c’est ça qui compte
C’est le plus important
Alexandre :
Oui
Tu vas pouvoir partir
(Hélène hoche automatiquement la tête ; Sandrine les fusille du regard)
Je veux dire
T’émanciper
Si tu commences à vendre
A des inconnus
(Sandrine pleurniche)
Sandrine :
Mais pour vendre il faut peindre
Et à part ce mec personne ne regardait mon tableau
Et je suis pas sûr d’y arriver encore
A peindre
Quand j’arrive à quelque chose je panique et vous voyez le résultat
Et j’ai pas d’inspiration
Alexandre :
Mais enfin c’est ton boulot
Hélène :
Poulet
Si elle n’a pas d’inspi elle n’a pas d’inspi
Sandrine :
Comment je fais
La dernière fois c’était un hasard
L’alignement des planètes
Le sujet parfait
Alexandre :
Oui ça se voyait tout de suite
Sandrine :
C’est impossible à provoquer un moment pareil
Les sujets ne tombent pas du ciel
Alexandre :
C’est sûr je ne mets pas de robes tous les jours
(Elles le regardent)
Pas moyen
Vous oubliez
Je recommence pas
Hélène :
Écoute
Déjà tu exposes celui-ci
Ensuite
On verra
D’accord
Sandrine :
Désolée pour la chaussure Papa
Alexandre :
Pas grave j’ai juste vendu un rein pour les acheter
Hélène :
Dommage que tu n’aies pas vendu ta langue plutôt
Sandrine :
Bon
Bah
Y a plus qu’à aller me coucher maintenant
Hélène :
Peut-être te laver d’abord
Sandrine :
Oh non
J’ai Maman sur moi
Je vais dormir comme ça pour passer un dernier moment avec elle
Alexandre :
Oh non il va y avoir ta mère plein les coussins du canap’
Hélène :
C’est vrai c’est pas très hygiénique
Tu veux pas plutôt aller te doucher
Sandrine :
Ma petite maman
On est bien peu de chose
Je suis pleine de cendres
Je suis rentrée du bal en boitant
Tu parles d’une princesse
(…)
Voix de Mamy :
Allô
Allô
Allô
(…)
12. La pantoufle
(Sandrine, toujours en robe déchirée, somnole vaguement sur le canapé ; entre Hélène)
Hélène :
Allez on se réveille ma petite
Faut se mettre au boulot
Sandrine :
Mmm
Hélène :
Allez
Sandrine :
Sert à rien
Peux pas peindre
Hélène :
Ça si tu ne te mets pas devant ton chevalet il ne va rien se passer
Sandrine :
De toute façon je suis nulle
Hélène :
Allez c’est un peu pénible ce défaitisme
Ça fait deux jours là
Ça devient gonflant
Allez dépêche-toi de te lever
Et va te changer
Sandrine :
Encore un peu Maman avec moi
Hélène :
Deux jours sans douche à pleurnicher ça commence à devenir dégueu
Si tu continues comme ça tu seras nulle
Et puante
Sandrine :
Je pue comme ma vie qui pue
La merde
Hélène :
Mais quelle vilaine bougonne
(Entre Alexandre avec un colis postal)
Alexandre :
Hey Sandrine
Du courrier
(Il jette le colis sur Sandrine qui beugle et râle tout en se tortillant)
Hélène :
Bon ça suffit
Si tu ne te lèves pas je vais
Attends
C’est quoi ce colis
Alexandre :
Sais pas
Ouvre
Hélène :
Sandrine
Sandrine :
Certainement de la merde pour m’enduire de merde et sentir la merde
Alexandre :
Joli projet
Hélène :
Ouvre-le
C’est peut-être en rapport avec l’expo
Sandrine :
Pff
Vous me faites chier là
Je voudrais juste dormir
(Elle grommelle tout en ouvrant le colis qu’elle déchire négligemment ; elle s’arrête net en voyant le contenu, sourit et en sort la chaussure perdue)
Sandrine :
Incroyable
Hélène :
C’est dingue
Alexandre :
Bah qu’est-ce qu’elle fait là celle-là
Hélène :
Y a un mot
Sandrine :
Pour la plus belle des peintres qui a du talent et des talons
Alexandre :
Un poète
Hélène :
Mais c’est qui
Sandrine :
Le type de l’autre soir
Il a dû trouver la chaussure en sortant de la galerie
Alexandre :
Trop fort le plan drague
Hélène :
Hyper romantique
Sandrine :
Oh la la
Il écrit aussi qu’il a acheté mon tableau
Hélène :
Oh
Alexandre :
Non
Fait voir
Hélène :
Je suis si heureuse
Alexandre :
Ma chérie
C’est vendu
(Moment de liesse, hurlements et embrassades)
Hélène :
Tu sais Sandrine tu devrais aller te laver te changer et tenter de rencontrer ce jeune homme
Sandrine :
Tu crois
Alexandre :
Te laver c’est sûr
Hélène :
Parfois dans la vie il faut juste rencontrer la bonne personne
Alexandre :
Ou coincer son talon dans une bouche d’égout
Hélène :
Éventuellement
Sandrine :
Je fais quoi alors
Hélène :
T’en penses quoi
Sandrine :
Bah j’ai envie d’y aller
Alexandre :
Alors tu fonces
Sandrine :
Bon
OK
Je fonce
(Toute excitée elle sort)
Alexandre :
On va peut-être réussir à s’en débarrasser finalement
Hélène :
Poulet
T’arrête d’être cynique oui
Alexandre :
Moi
Je veux que son bien
Hélène :
Toi
Tu voulais même pas lui parler
Alexandre :
Parler ça sert quand on sait faire
Sinon vaut mieux la fermer
Hélène :
Ça Poulet c’est de la philo
(…)
Voix de Mamy :
Oui mon petit Alexou c’est Mamy
Je n’arrive pas à t’avoir décidément
On va y arriver oui
Sandrine a vendu je suis bien contente
Mais j’ai pas bien compris ton histoire de chaussures
Tu sais ça me rappelle une histoire là
Avec un type
Et la fille ne doit pas faire je sais plus quoi
Oh la la je perds la boule moi
Tu sais si je me souviens je te rappelle ça va me revenir
(…)
Épilogue.
(Les trois au public)
Hélène :
Le problème
Dans les histoires
Les fables
Les contes
Bref
Le problème
C’est comment ça se finit
Parce que si on vous colle une morale c’est pas terrible
Alexandre :
C’est chiant surtout
Sandrine :
Et puis personne n’a envie de la recevoir
La morale
Alexandre :
Mais pourtant pour celle-ci
Je veux dire
Pour cette histoire-ci
Y en a une
Hélène :
De quoi
Alexandre :
Bah de morale
Hélène :
Ah oui
Alexandre :
La morale
C’est qu’il faut toujours obéir à son papa
Sandrine :
Pff n’importe quoi
La morale c’est pas ça
Hélène :
Non
La morale
C’est qu’il faut aller au bout de ses rêves
Sandrine :
Mouais
Un peu facile
Alexandre :
Alors tu suggères quoi
Sandrine :
Pourquoi pas
La morale
De cette histoire
C’est qu’il n’est jamais trop tard
Hélène :
Non
C’est pas vrai
Regarde ta mère
Alexandre :
Ah oui
Ta mère
Elle aurait pu se bouger pour s’excuser
Sandrine :
Alors je sais pas
Hélène :
Moi non plus
Alexandre :
Et moi non plus
On est bien avancé
Hélène :
Z’inquiétez pas
On va pas vous laisser partir sans morale
Alexandre :
On va bien finir par trouver
Sandrine :
Oh
Attendez
Vous pensez quoi de
La vie de famille c’est cool
Hélène :
Bof
Alexandre :
Et puis c’est faux
La famille c’est de la merde
Sandrine :
Alors
On peut réparer le passé par nos actes présents
Hélène :
Limite biblique là
Sandrine :
Bah proposez alors
Alexandre :
Ça va t’énerves pas
Hélène :
Carpe diem
Alexandre :
N’importe quoi
Sandrine :
Attendez
Je sais
Veiller sur quelqu’un
C’est lui offrir les bonnes chaussures pour qu’il marche toute sa vie
(Les trois se regardent puis regardent le public en souriant)
- Voix de Mamy :
Mon petit Alexou c’est Mamy
Je me souviens de toute l’histoire
Une fille qui perd sa chaussure dans une soirée et après le type la retrouve en lui faisant essayer
C’est Maryvonne qui a retrouvé
C’est dans un épisode de Côte Ouest