Le 20ème Convoi

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Cette histoire est tirée de faits réels.
Youra et Choura sont deux frères juifs. La Belgique est envahie et les lois contre les Juifs se succèdent. Les premiers convois partent vers une destination inconnue à l’Est. Face à cette injustice, une idée folle naît : celle d’arrêter un convoi de déportés.
De l’idée, à sa mise en œuvre et jusqu’aux conséquences, c’est l’histoire de quelques héros qui décidèrent d’agir pour changer le cours de l’Histoire.

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Liste des personnages (13)

Youra LivchitzHomme/Femme • Jeune adulte • 178 répliques
Youra est positif, souriant, chahuteur et plein d’esprit. Il est engagé et convaincu. Il amène un vent de fraîcheur, de dynamisme et de positivité même sur des sujets graces. Bien qu’ouvert à la discussion et réfléchi, son engagement le déborde lors de la scène avec Mauritz. Les scènes de départ pour l’Angleterre avec Rachel et d’échange avec son frère en prison laissent transparaître toute la tendresse et l’amour qu’il a pour eux. Tendresse et amour qu’il n’a aucun mal à partager. Ses yeux pétillent de respect pour son frère. La scène de son exécution est teintée de tristesse, mais on ressent surtout la fierté de ce qu’il a accompli.
Alexandre Livchitz dit « Choura »Homme • Adulte • 100 répliques
(1911-1944) - 32 ans Homme d’action et sympathisant marxiste, Choura était posé, courageux et intelligent. Toujours discret sur ses actions, il était fiable et on pouvait compter sur lui. Après échange avec Youra avec lequel il se mit d’accord que ce dernier devait rester auprès de sa mère, il participa serein à la guerre d’Espagne contre Franco puis devint un membre important de l’armée des partisans sous le nom de commandant Jean. Mince, beau, de grande taille, et plein de charme, Choura avait du succès avec les femmes. Bien que fiancé à Irène Gromberg, assistante sociale au Judenrat, il tomba amou-reux de Willy.
Rachel Livchitz dite "Saps"Femme • Senior • 31 répliques
(1889-1982) - 54 et 75 ans Née Rachel Mitschnick à Kichinev en 1889 d’une des plus riches familles de Bessarabie, propriétaire terrien et d’un haras en Russie. Elle avait 12 frères et sœurs, tous éduqués dans l’anticonformisme et dans l’ouverture au monde. Une gouvernante française s’occupa d’elle pendant son enfance. Rachel partit faire ses études dans différents pays d’Europe (France, Russie, Angleterre, Suisse). Elle se maria à un russe, Schelma Livschitz qui étudiait la médecine en Allemagne. Réquisitionné pendant la guerre, ils échouèrent à Kiev en 1917. En 1927, elle quitta son mari ne tolérant pas ses infidélités. Elle partit pour Bruxelles avec ses 2 enfants. Elle fut membre d’une communauté théosophique. Femme de caractère, très cultivée et très chaleureuse, Rachel était grande aux traits marqués, aux yeux d’un bleu éclatant et à la lourde chevelure qu’elle relevait sur le haut de sa tête. Elle parlait couramment anglais, français, allemand et russe. Elle avait beaucoup de classe et était décrite comme une personne remarquable par toutes les personnes qui la rencontraient. Elle avait l’esprit libéral et éduqua ses enfants dans la doctrine théosophique de l’égalité de toutes les religions et volontairement refusa de les élever dans la tradition juive. Elle était assistante sociale dans la communauté israélite et œuvra à cacher des enfants pendant la guerre.
Jean FranklemonHomme • Adulte • 34 répliques
(1917-1977) - 26 ans Membre du parti communiste. Mince et grand, son allure à la chevelure longue trahissait sa fibre artistique. De caractère joyeux, il était coutumier de remarques ironiques et de plaisanteries en tout genre. Engagé contre l’opprimé, il s’engagea dans la guerre d’Espagne. Il abandonna ses études de mathématiques pour étudier à l’Académie de La Cambre. Il fit partie de la troupe des « comédiens routiers » avec Jacques Huisman et répétait fréquemment au 2e étage de l’atelier de Marcel (notamment « les parents terribles » de Jean Cocteau). Après ses répétitions, il aimait venir écouter Marcel évoquer l’occupation allemande. Jean et sa troupe parcoururent le pays pour y jouer le plus souvent du classique parsemé d’allusions à la domination allemande. Excellent pianiste, on le retrouvait souvent dans un café place Flagey pour y mettre de l’ambiance au piano en fin de soirée. Excellent organisateur, il était également joueur et amateur de jeux de cartes. Il fut arrêté à un arrêt de tram le 7 août 1943 par la ges-tapo, dénoncé par Romanovitch. Il fut conduit à Breendonk où il retrouvait Youra. Il fut transféré dans le camp de concentration de Sachsenhausen puis d’Oranienburg. Il survécut aux marches de la mort. A son retour, après la Belgique, il partit s’installer en République Démocratique Allemande, où il mourut en 1977.
Robert MaistriauHomme • Adulte/Jeune adulte • 33 répliques
(1921-2008) - 22 ans Physiquement solide, Robert était équilibré, intelligent et prudent. Il avait la farouche volonté de s’engager contre l’occupation allemande. Pendant la guerre, il vivait chez sa mère, avenue Molière à Bruxelles. Il fréquenta l’athénée d’Uccle avec Youra. Engagé, il suivit la naissance du groupe « G » et en fut un membre actif. Il devint rapidement membre du quartier général du groupe « G », puis responsable de l’organisation et du recrutement du cercle dirigeant du maquis. Il participa à de nombreux actes de sabotage, mais avait la phobie des sangsues ce qui l’empêcha un jour de réaliser une mission de sabotage d’une écluse en plongeant dans l’eau. Il échappa de peu à une arrestation en août 1943, dénoncé par Romanovitch. Quelques semaines plus tard, après un nouvel acte de sabotage, il fut arrêté, mais il s’échappa. Il fut de nouveau arrêté en mars 1944, et interné à Breendonk puis déporté à Buchenwald à la mi-44. De Buchenwald, il fut ensuite affecté au camp annexe de Dora pour fabriquer des V2. Début avril 1945, il attra-pa une pneumonie qui l’envoya à l’infirmerie d’Harzungen. Le passage par l’infirmerie vous condamnait à une mort certaine. Le lendemain, le 5 avril 1945, l’ordre d’évacuation du camp fut proclamé. Par chance, il échappa aux marches de la mort, et fut envoyé en train à Bergen-Belsen. Le 15 avril, le camp fut libéré, il ne pesait que 39 kilos. En 1949, il partit au Congo pour essayer d’oublier ces démons. Il planta 200 hectares de forêt en zone aride. Après 40 ans en Afrique, il revint dans la région Bruxelloise pour y mourir à l’âge de 87 ans.
Marcel TerfveHomme • Adulte/Senior • 19 répliques
(1907-1978) - 37 ans Membre du PCB et de l’équipe dirigeante de l’armée des partisans. Il fut arrêté par les allemands le 22/06/1941, puis s’évada le 25/08/1941. Il participe à la constitution du front de l’indépendance à partir de septembre 41. En 1943, il en devient un des hauts responsables. Il mena après-guerre une grande carrière politique, et fut nommé au poste de ministre de la reconstruction en 1946. Personnage sec, pratique et sans détour. Il a une droiture militaire. Il laisse peu de place aux sentiments dans ses décisions. Direct, exigeant, analytique, réfléchi et précis, il donne l’impression fausse de froideur et de détachement. C’est une personne particulièrement fiable.
Yvonne JospaFemme • Adulte/Senior • 57 répliques
(1910-2000) - 34 ans Née le 3 février 1910 à Hava Groisman à Popouti, dans une famille bessarabe juive aisée. Elle décède à Bruxelles, le 20 janvier 2000. Yvonne Jaspar était son pseudonyme pour la résistance belge. Très belle femme au doux accent russe à la parole facile. Elle avait naturellement les cheveux noirs lissés qu’elle transformait en boucles blondes aux épaules dans la clandestinité. Elle se maria à Hertz en 1933 à Ixelles (commune bruxelloise). Ils furent engagés ensemble politiquement pour les opprimés et les défavorisés. Jeune sociologue, marxiste convaincu comme son mari, ils étaient tous les 2 membres du parti communiste, et travaillait en tant qu’assistance sociale dans le Borinage (région la plus pauvre de Wallonie). Elle participa à l’hébergement d’enfants réfugiés à la suite de la guerre civile espagnole et contribua à l’organisation de filières secrètes pour faire rallier l’Espagne aux volontaires belges des brigades internationales. En 1942, avec Hertz, ils fondent le CDJ et organisent le service « Enfance » du CDJ qui plaça plus de 1000 enfants dans des familles. Elle parcourait la campagne, les couvents, les pensionnats pour trouver des familles prêtes à héberger les enfants juifs. Sa gentillesse faisait qu’elle ne rencontrait quasiment aucun refus. Yvonne et Hertz ont dû se séparer de leur fils Paul lors de leur passage dans la clandestinité et le confièrent à une famille belge. Yvonne se cachait parfois dans la rue pour espionner son fils sans être vue. En 1964, elle cofonde l’Union des Anciens Résistants Juifs de Belgique dont elle assurera la présidence d’honneur jusqu’à sa mort. Elle sera également l’une des fondatrices de l’aile belge du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples fondé à Paris en 1949. Le mouvement sera rebaptisé en 1966 : Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Depuis janvier 1993, une rue porte son nom à Bruxelles.
Hertz JospaHomme • Adulte/Senior • 65 répliques
(1904-1966) - 40 ans Il avait les yeux noirs, était souriant, à l’écoute. Il était respecté et renommé dans différents milieux. Directeur scientifique du laboratoire d’une entreprise pharmaceutique de Bruxelles. Marxiste, fondateur avec sa femme et Chaim Perelman du Comité de Défense des Juifs. Pendant l’occupation, il faisait également parti des personnalités dirigeantes du parti communiste belge. Couple engagé, ils ont aidé les opposants au régime de Franco venant de l’Europe de l’est à traverser la Belgique, depuis 1936, ils ont été actifs au sein de la ligue contre le racisme et l’antisémitisme. Son nom de code était « Joseph ». Orientation pour le comédien : Hertz est empathique. Il est comme un buvard à la détresse des autres. Il est particulièrement mal et soucieux, (sans aller jusqu’à la tristesse), quand il veut agir pour arrêter les convois. Actif et raisonné lorsqu’il cherche à sauver Youra et Choura, mais son empathie lui fait prendre conscience de la conséquence de ce départ pour les 2 frères. Son lien avec Yvonne est naturel et limpide comme s’ils ne faisaient qu’un. Ils se ressemblent beaucoup.
Mauritz BolleHomme • Adulte/Senior • 57 répliques
(1888- ?) - 56 ans Il portait des lunettes et un certain embonpoint, amateur de la vie, il avait un faible pour le café. Originaire des Pays-Bas. Il eut une fille Hélène qui fit des études de médecine avec Youra. Avant l’occupation, il était homme d’affaires et aidait les réfugiés juifs à passer clandestinement la frontière vers la France. Il avait un réseau pour fournir de fausses cartes d’identité et des tickets de rationnement. Hertz Jospa le recruta pour faire partie du comité de défense des Juifs. Il travailla alors pour la résistance et détenait une résidence bourgeoise avenue Lepoutre à Bruxelles. Orientation pour le comédien : Mauritz a un côté maladroit et décalé qui le rend attachant. Il a des convictions qu’il est difficile pour lui à remettre en cause. Du coup, les conversations avec lui sont souvent enflammées. Néanmoins sa bonhommie et sa gentillesse, permettent de sortir rapidement du conflit. Il peut se fâcher et dans la seconde d’après tout pardonner.
Wilhelmine Cohen-Baudoux dite "Willy"Femme • Jeune adulte/Adulte • 33 répliques
(1913- ?) - 31 ans Wilhelmine Cohen-Baudoux, de son diminutif « Willy » avait pour nom de jeune fille Cohen. Bien que juive, elle était mariée à un belge et était inscrite dans le registre de la gestapo sous l’intitulé « couple mixte » qui la protégeait de la déportation. C’était une amie proche de Minnie Minet. Elle était brune, grande opulente, aux traits réguliers, et s’habillait pour mettre ses formes en valeur. Bien que mariée, Willy était volage et indifférente aux femmes qu’elle cocufiait. Elle tomba amoureuse de Choura. Orientation pour la comédienne : Willy est une femme de caractère qui se moque bien de ce que peuvent penser les autres. Séductrice de la gent masculine, elle est tout à fait à l’aise avec son corps. Elle est amoureuse de Choura, mais garde néanmoins une certaine retenue, du fait (et c’est paradoxal) justement de l’affection qu’elle a pour lui. Les scènes avec Choura sont empreintes de fierté et de l’amour avec retenue qu’elle a pour lui. Femme forte, elle va jusqu’à lui dire adieu dans sa cellule avant son exécution pour lui témoigner de son amour et de son soutien.
Officier SSHomme • Adulte/Senior • 15 répliques
Le chauffeurIndifferent • Age indifferent
Des déportésIndifferent • Age indifferent

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Préambule

Un officier SS arrête un juif dans le public qui patiente avant l’ouverture de la salle.

Voix off. – L’histoire qui vous est présentée ce soir est tirée de faits réels. Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé est purement souhaité et ne peut pas être le fruit d’une pure coïncidence. Je le sais. J’en ai été le témoin !

 

Scène 1 - Les lettres

Rachel Livchitz vieille, puis Choura, puis Youra puis Youra, Jean, Robert, Jacqueline.

Juillet 1964 puis 1944 – Appartement de Rachel puis prison, puis bureau du CDJ. Elle prend un livre, laissant apparaître des lettres qu’elle regarde fixement, puis les prend. 

Rachel. – Ces lettres, mes lettres, sont les choses les plus précieuses qu’il me reste au monde. Elles racontent, à elles seules, les cicatrices non refermées de ma vie ; la blessure la plus profonde que peut avoir une mère. Ces lettres m’accompagneront jusqu’à ma dernière respiration. Ce sont celles de mes 2 fils, Alexandre Livchitz surnommé Choura et de mon petit dernier Youra Livchitz. Choura a écrit cette lettre, il y a 20 ans, le 9 février 1944 en prison.

Choura([1]). –  Saps([2]) ma chère mère, frérot, ma tendre Willy, mes amis, depuis deux heures, j’ai la certitude d’être exécuté demain à huit heures. Encore un tour de cadran par la petite aiguille et je serai enfin libre. Je suis calme, et quand on m’a lu la confirmation de ma condamnation ainsi que le rejet de mon recours en grâce, je n’ai pas bronché. Et je crois même que dans la chambre, où cette cérémonie a eu lieu, ces messieurs se sont sentis les vrais coupablesJe suis ému, mais moins que le jour où l’on est venu chercher Youra sans savoir que je n’allais plus le revoir. Je serai fusillé, c’est quand même plus beau que d’être pendu, mais j’irai au poteau la tête haute, sans regret, si ce n’est d’avoir causé

Rachel et Choura. – L’arrestation de personnes que j’ai aimées. J’ai la conscience tranquille

Rachel. – d’avoir essayé de faire de mon mieux pour lutter pour une vie meilleure… Demain, je passerai par la grande porte, on verra après… Willy, je crois que finalement je ne découvrirai jamais New York avec toi. Saps, Youra, Willy, prenez soin de vous. Je vous embrasse de tout mon cœur. (Au public) Ces lettres me replongent inexorablement au 247 avenue de Brugmann à Bruxelles, en 1943…

 

Scène 2 - Les Livchitz

Rachel, Youra, Choura.

11 avril 1943([3]), appartement de Rachel.

Rachel, chantant J'ai deux amours.
Mon pays et Paris([4])
Par eux toujours
Mon cœur est ravi. (Youra surprend sa mère) Youra ! Un jour, tu feras sauter mon cœur.

Youra. – Saps, tu chantes toujours !

Rachel. – Je chantais, ne vous déplaise.

Youra. – Vous chantiez ? j'en suis fort aise : et bien ! dansez maintenant.

Rachel. – Tu es fou mon fils ! Mon fils est fou !

Youra. – En réalité, je suis juste heureux. Qui comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Rachel. – Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,

Youra. – Vivre avec sa daronne…

Rachel. – Youra !

Youra. – le reste de son âge ! Je sais que tu détestes que j’apporte ma touche personnelle aux textes originels.

Rachel. – « Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »  Ne pas respecter le texte originel, c’est ne pas rendre…

Youra. – Hommage aux auteurs de ces proses.

Rachel. – Je radote tant que ça ? Toi ! Si tu rentres seulement, c’est que Jacqueline était présente ?

Youra. – Comment es-tu au courant ?

Rachel. – Il n’y a qu’à voir tes yeux qui pétillent quand tu entends son nom.

Youra. – Tu serais une espionne parfaite.

Rachel. – Il est si doux de te voir rieur et rêveur.

Youra. – Toi aussi tu l’es non ?

Rachel. – Pour moi, les rêves se sont évanouis et les rires se sont tus.

Youra. – On rit toujours !

Rachel. – Ce n’est plus la même chose.

Youra. – On rêve toujours !

Rachel. – Ce n’est plus la même chose.

Youra. – Tu es bien sombre maman, cela te ressemble si peu.

Rachel. – J’ai peur pour vous deux, même si vous aimer c’est aussi l’accepter.

Youra. – Qu’est-ce qui te tourmente à ce point ?

Rachel. – Hier soir, deux amis de ton frère se sont faits arrêter.

Youra. – Par les SS ou la gestapo ? Maman, par les SS ou la gestapo ?

Rachel. – La gestapo.

Youra. – Bon sang, leur torture délie n’importe quelle langue !

Choura. – Vous en faites un boucan !

Youra. – Choura ! La gestapo va te chercher ! Il faut que tu te caches !

Choura. – Justement, je me planquais super bien dans le fond de mon paddock. Ça sent bon !

Youra. – C’est quoi cette histoire d’arrestation ?

Choura. – Des macaronis à la sauce tomate ! Hier, deux de mes amis avec qui j’ai attaqué le poste de police de Molenbeek([5])  se sont fait arrêter.

Youra. – S’ils te dénoncent ?

Rachel. – Choura m’a certifié qu’on ne connaît ni son vrai nom, ni notre adresse.

Youra. – J’espère…

On frappe à la porte.

Choura. – Tu attends quelqu’un ?

Rachel. – Ne bouge pas, ne te montre pas. Oui, oui, j’arrive.  Je dois m’occuper du petit David. A tout à l’heure les enfants, je tâche de faire vite.

 

Scène 3 – Youra & Choura

Youra, Choura.

Appartement de Rachel.

Choura. – C’était quoi ça ?

Youra. – On confie à Saps des enfants juifs. Elle les prend en charge pour leur trouver de nouvelles familles belges, principalement à la campagne([6]).

Choura. – Comment sais-tu ça ?

Youra. – Je vis encore ici au cas où cela t’aurait échappé.

Choura. – Elle est incroyable !

Youra. – Ce que tu fais aussi Choura.

Choura. – Prendre les armes ne demande pas tant de courage.

Youra. – Que comptes-tu faire maintenant ?

Choura. – Je ne sais pas. Rester ici quelques jours et après je verrai. Et toi ?

Youra. – J’ai prévu de rencontrer le Comité de Défense des Juifs demain.

Choura. – A propos de ta théorie sur les convois ? (Youra fait signe que oui) Tu penses qu’ils te croiront ?

Youra. – Je ne sais pas. Je me dis que si j’ai réussi à te convaincre…

Choura. – Tu les vois à quelle heure ?

Youra. – A 18h dans les bureaux du CDJ.

Choura. – Je serai là mon frère. Avec toi.

 

Scène 4 – Le CDJ

Youra, Hertz, Yvonne, Mauritz.

Bureau du CDJ([7]), le 12 avril 1943.

Youra Livchitz écoute la radio russe. Il prend quelques notes sur un petit calepin qu’il sort de sa poche.

Youra. – Bonjour Yvonne, Hertz.

Hertz. – Youra. Tu as voulu rencontrer le comité de défense des Juifs, je me suis permis d’inviter un 3ième membre que je vais te présenter…

Youra. – Mauritz ! Comment va ta fille ?

Mauritz. – Bien, je te remercie.

Hertz. – Vous vous connaissez ?

Mauritz. – Youra a fait ses études de médecine avec ma fille.

Youra regarde par la fenêtre.

Yvonne. – Ça ne va pas ?

Youra. – Pardon. Choura devait m’accompagner et il n’est pas là.

Yvonne. – Il est certainement en retard.

Youra. – Choura est toujours ponctuel.

Yvonne. – Ne t’inquiète pas, son retard doit s’expliquer. Ils ont intensifié les contrôles ces derniers temps.

Hertz. – Cela ne te ressemble pas de nous demander un entretien formel.

Youra. – Je voulais une rencontre solennelle. Ce que j’ai à vous dire est de la plus haute importance.

Hertz. – De quoi s’agit-il ?

Youra. – Je ne sais pas par où commencer sans que vous ne me preniez pour un fou.

Yvonne. – Tu peux tout nous dire tu sais.

Mauritz. – On aime les choses directes.

Youra. – Pour faire bref, je pense que les Allemands sont en train de nous exterminer.

Mauritz, moqueur. – Ah oui, en effet c’est direct ! Mais, je ne comprends pas ce que tu veux dire.

Yvonne. – Qu’entends-tu par « exterminer » ?

Youra. – Pas plus que ce que je viens de dire. A l’est, les Juifs sont rassemblés dans des camps pour y être exécutés.

Mauritz. – Voyons Youra, c’est de bien mauvais goût !

Yvonne. – Certes les Allemands sont durs, mais de là à parler d’extermination. Qu’est-ce qui peut te faire dire ça ?

Mauritz. – Si c’était le cas, nous en aurions déjà entendu parler !

Youra. – Mais, on en a entendu parler. Le 9 juin 1942 à la BBC, monsieur Sikorski([8]) annonce qu’il y a eu entre 700 000 et 800 000 Juifs exécutés ! Il y a deux mois, le 12 février, radio Londres et radio New York annoncent que les nazis massacrent 6 000 Juifs journellement. Hier soir, la radio russe fait ²état de l’existence de camps d’extermination en Pologne. 19 convois sont déjà partis de Belgique. La France a envoyé plus de 50([9]) convois vers l’est. C’est le cas dans quasiment tous les pays d’Europe. Comment peut-on faire fi de tous ces faisceaux d’indice ?

Mauritz. – Ces convois ne sont un secret pour personne. Il s’agit de main d’œuvre pour les usines allemandes.

Youra. – Peut-être que tu as raison, mais… peut-être pas.

Mauritz. – Nous voilà bien avancés ! P’têtre ben que oui, p’têtre ben que non !

Youra. – Le génocide est la seule réponse logique aux questions que je me pose.

Yvonne. – Quelles sont ces questions Youra ?

Youra. – Pourquoi existe-t-il autant de décrets visant la population juive ? Pourquoi n’y a-t-il quasiment que des Juifs dans ces convois ? Pourquoi personne n’est en revenu ? Sur les dizaines de milliers, nous n’en connaissons pas un seul qui ne soit revenu !

Mauritz. – Les réponses sont simples. Si je le réprouve, je ne trouve pas étonnant tous ces décrets. C’est la guerre, les Allemands veulent restreindre nos libertés. Et puis, il n’y a pas que des Juifs dans ces convois, il y a également des hommes politiques, des résistants, même des Tziganes. Et puis sur le fait que personne n’en soit revenu, je te rappelle juste qu’ils ne doivent pas y être en vacances et que ce n’est pas parce que nous n’en connaissons pas que cela n’existe pas.

Youra. – Cela ne colle pas. Chaque réponse est cohérente en soit, mais la somme de tes réponses ne me convainc pas. J’ai l’impression qu’il s’agit d’autre chose.

Mauritz. – Alors ça, les impressions ! Moi aussi, j’en ai ! J’ai souvent l’impression que les pigeons volent bas, ou alors j’ai l’impression d’être un génie ; cela ne veut pas dire que c’est le cas.

Youra. – En effet, oui !

Mauritz. – Quoi ?

Yvonne. – Youra !

Youra. – Je te prie d’accepter mes excuses, je reconnais que j’ai pris un peu facilement le bâton que tu m’as tendu. Ce dont je veux vous faire part est que j’ai un doute, un doute raisonnable. En ce sens, il faut l’entendre comme une réalité potentielle.

Mauritz. – Pour ma part, je n’ai aucun doute.

Youra. – En imaginant encore que tu aies raison, que toutes tes objections soient valides, pourquoi enverrait-on dans les convois des bébés et des vieillards ?

Yvonne. – Ce n’est pas le cas.

Youra. – Il y a actuellement à Maline un centenaire et un bébé de quelques jours([10]).

Yvonne. – Je l’ignorais. Tu le savais Hertz ?

Mauritz. – C’est vraisemblablement pour ne pas les séparer de leurs familles.

Youra. – Tes réponses ne sont plus cohérentes entre elles. D’un côté, tu me dis que c’est la guerre, qu’il est normal de restreindre nos libertés, que les déportés partent travailler dans des usines sans discontinuer, toi-même tu as dit qu’ils n’y étaient pas en vacances, et de l’autre, tu me dis que les Allemands se soucieraient du bien-être des Juifs alors même que les conditions de vie à Malines sont désastreuses ?

Mauritz. – Pourquoi pas ?

Youra. –  Je crois que même si je t’amenais la preuve d’une centaine de morts, tu me répondrais que c’est un accident et qu’un accident arrive. Après tout nous sommes en guerre, non ? Yvonne, quelle est ton intime conviction ?

Yvonne. – Je ne sais pas. A vrai dire, je ne sais plus. Tout ce que tu dis est entendable Youra, et les arguments de Mauritz aussi. Disons que j’étais plutôt de l’avis de Mauritz mais que ta certitude ébranle la mienne. Hertz qu’en dis-tu ? Hertz ? Tu ne dis rien.

Hertz. – Je suis de l’avis de Youra. Je pense qu’il a énoncé la stricte vérité.

Mauritz. – Comment ça ? Que veux-tu dire ?

Hertz. – La même chose que ce que vient de dire Youra, à savoir, je pense qu’il se passe des événements terribles à l’Est.

Mauritz. – Quoi ? Je ne comprends plus.

Yvonne. – Si c’était le cas pourquoi ne pas m’en avoir parlé avant ?

Hertz. – Youra l’a bien dit, ce n’est qu’un mauvais goût dans la bouche, juste le sentiment qu’il se passe quelque chose d’anormal. Alors j’attendais d’avoir des preuves avant d’en parler. Et puis… J’essayais de me convaincre que mon imagination me jouait des tours, mais je n’y arrive pas. Je n’y arrive plus.

Yvonne. – Ce ne sont donc pas tes douleurs de dos qui t’empêchent de dormir ?

Hertz. – Non.

Mauritz. – Mes amis, mes amis ne nous emballons pas, pour le moment, il n’y a aucune preuve.

Youra. – Et les messages à la radio ?

Mauritz. – Ce ne sont pas des preuves. Cela pourrait être de la propagande.

Hertz. – Je dois reconnaître que tu as raison. Nous n’avons aucune preuve.

Mauritz. – Et bien ?

Youra. – Ce n’est pas parce que nous n’arrivons pas à le prouver que cela n’existe pas !

Mauritz. – Ça ne rend pas non plus de tels actes crédibles.

Youra. – De tels actes ont toujours existé ! Il y a 30 ans, l’empire ottoman exterminait les Arméniens. Il y a quelques années pendant la guerre d’Espagne, le pays a eu son lot de massacres.

Yvonne. – Et il y a 10 ans, Staline procédait aussi à une épuration massive de son pays.

Youra. – Tout à fait ! Alors, pourquoi cela ne se reproduirait-il pas ?

Mauritz. – Tous ces faits ne sont pas prouvés !

Youra. – Mon frère aurait été là, il aurait au moins pu te parler de ce qu’il a vu de ses yeux en Espagne.

Mauritz. – C’était une guerre ! Comme aujourd’hui !

Youra. – On y revient ! Sous le couvert de la guerre, on peut donc commettre des atrocités ? Pas la peine donc de s’inquiéter si tous les Juifs se font exterminer !

Mauritz. – Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Youra. – Alors qu’as-tu dit ?

Yvonne. – S’il vous plaît, calmez-vous, ce n’est d’aucune utilité de nous énerver. Et toi Hertz, tu ne dis rien ?

Hertz. – J’ai conscience qu’une telle théorie demande des preuves.

Yvonne. – Je te connais, tu n’as pas pu rester ainsi.

Hertz. – En effet, il y a un mois de ça, j’ai envoyé un ami à moi là-bas([11]).

Youra. – Où… Où l’as-tu envoyé ?

Hertz. – En Pologne. Sous couvert d’un projet autorisé par les Allemands, sa réelle mission était de récolter des témoignages et de voir de ses yeux la stricte vérité sur ces camps de travaux.

Yvonne. – Et ?

Hertz. – Il a été arrêté par la gestapo, il y a quelques jours de ça. Je n’ai plus de nouvelles.

Yvonne. – Ce n’est pas vrai !

Youra. – A-t-il pu en avoir la confirmation ? Hertz ? A-t-il pu en avoir la confirmation ?

Hertz. – Juste des témoignages. Il n’a pas eu le temps de voir les camps de ses yeux.

Yvonne. – Et que disaient ces témoignages ?

Hertz. – Que les hommes en bonne santé sont mis aux travaux forcés…

Mauritz. – Ah, tu vois !

Hertz. – Et que les femmes, les enfants, les vieillards sont tués dès leur arrivée et qu’une fumée noire, épaisse et nauséabonde s’échappe des cheminées des camps.

Sonneries de téléphone.

Yvonne. – Allo… Oui… Oui, il est là… Comment as-tu… Bien sûr. Je te le passe. Youra, c’est pour toi. C’est Willy Baudoux.

Youra. – Willy([12]) ? Allo Willy ? Qu’est-ce qui se passe ? … Quoi ! C’est sérieux ?... J’arrive tout de suite… Merci Willy.

Il raccroche.

Youra. – Choura s’est fait tirer dessus, je dois partir.

 

Scène 5 – Choura blessé

Youra, Choura, Willy.

Salon de Willy.

Willy. – Youra, merci d’être venu si vite !

Youra. – Bonjour Willy, comment va-t-il ?

Willy. – Il a perdu beaucoup de sang.

Youra. – Mon frère ! C’est la seule astuce que tu aies trouvée pour venir rendre visite à Willy ?

Choura. – P’tit frère, je ne sais pas si dans mon état, j’apprécie beaucoup ton humour.

Youra. – As-tu des compresses et un désinfectant ?

Willy. – Je te rapporte ça, ainsi que l’eau que je viens de faire bouillir.

Youra. – Tu es parfaite ! Tu ne perds pas le nord. Avec Minnie la semaine dernière, avec Irène hier, avec Willy aujourd’hui([13]) !

Choura. – Willy est une amie([14]).

Youra. – Oui, oui, oui. N’hésite pas à me dire si je te fais mal.

Choura. – Je ne suis pas une choch… Aaaaah...

Willy. – Alors ?

Youra. – Ce n’est pas très beau([15]) ! Sois courageux frangin, ça va faire un peu mal.

Choura, se tordant de douleur – No pasarán !

 

Scène 6 – L’idée

Hertz, Yvonne, Mauritz.

Bureau du CDJ, le 14 avril 1943.

Yvonne. – Tu es bien silencieux depuis deux jours. Cela te ressemble si peu. Tu repenses à notre conversation avec Youra ?

Hertz. – On ne peut rien te cacher. (Hertz regarde à la fenêtre) Dame ! Qu’est-ce que … ?

Mauritz. – On nous a donné !

Yvonne. – Mon dieu non.

Hertz. – Ils rentrent chez les Roth !

Yvonne. – Ce n’est pas possible !

Mauritz. – Les enfants ! Il y a un bébé ! Ils emmènent un bébé !

Yvonne. – Toute la famille ! Ils emmènent toute la famille([16]).

Hertz. – Tous ces convois qui partent sans que rien ne change ! Ça me rend fou !

Yvonne. – Nous faisons ce que nous pouvons chéri.

Hertz. – C’est si peu !

Mauritz. – Nous sauvons des vies quotidiennement. Si ce soir, 3 enfants de plus ont été emmenés, il ne faut pas oublier qu’Yvonne œuvre pour en sauver d’autres tous les jours.

Hertz. – Chérie, sur ce carnet, où tu consignes les vies d’enfants que tu mets en sureté, combien en as-tu inscrites ? Une centaine ? C’est à peine le nombre d’enfants([17]) présents dans chaque convoi.

Yvonne. – A t’entendre, on dirait que cela ne sert à rien.

Hertz. – Pardon chérie, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. C’est déjà énorme ce que tu fais par ton engagement, mais je voudrais tellement que l’on fasse plus.

Yvonne. – Oui, mais quoi ?

Hertz. – Je n’en ai pas la moindre idée. Je n’en dors plus.

Mauritz. – Ne désespère pas mon ami ! Nous trouverons la solution ensemble.

Hertz. – Je suis fatigué, fatigué de perdre des amis, fatigué de lutter contre un tel raz de marée, fatigué de notre impuissance. Fatigué de voir partir ces convois sans qu’on ne puisse rien faire !

Mauritz. – La solution, c’est de t’arrêter un peu et de te libérer l’esprit en faisant totalement autre chose. Tu vois, moi, je me suis mis aux mots croisés.

Hertz, illuminé. – Qu’as-tu dit ?

Mauritz. – Que je me suis mis aux mots croisés.

Hertz. – Non avant ça.

Mauritz. – … Qu’il fallait faire autre chose ?

Hertz. – Oui, mais avant ça.

Mauritz. – Alors là, je ne sais plus.

Hertz. – Tu as dit quelque chose comme « La solution c’est d’arrêter et de libérer ».

Mauritz. – De s’arrêter et de libérer son esprit. Oui. Et ?

Hertz. – C’est ça la solution !

Mauritz. – De libérer son esprit ?

Hertz. – Je ne parle pas de ça !

Mauritz. – Je ne comprends rien !

Yvonne. – Mauritz n’est pas le seul à ne pas te suivre.

Hertz. – Les convois !

Yvonne. – Quoi les convois ?

Hertz. – La solution ! C’est d’arrêter les convois et d’en libérer les déportés.

Mauritz. – Bon sang ! Mais, tu es… enfin je suis un génie. J’aurais dû m’y faire penser tout seul.

Hertz. – On parle de libérer plusieurs centaines, voire un millier d’humains.

Yvonne. – Il faudrait arrêter le train et en ouvrir les portes avant que les Allemands ne puissent intervenir.

Hertz. – Comment procéderait-on pour arrêter le train ?

Mauritz. – Eh !

Yvonne. – Je ne sais pas. Un arbre coupé, une panne, un incendie sur la voie…

Mauritz. – Eh ! Stop ! Non mais vous n’êtes pas bien ! Vous parlez de ça, comme si c’était un petit train électrique ! On ne parle pas de faire un gâteau ou de se mettre à la natation là !

Yvonne. – Nous savons tout cela Mauritz.

Mauritz. – Ne rêvez pas trop, sinon la déception risque d’être encore plus forte. Je prendrais bien un petit verre, ça m’a donné soif d’avoir eu une telle idée([18]).

Hertz. – Il n’y a qu’une organisation qui pourrait le faire.

Yvonne. – Le front de l’indépendance !

Hertz. – Il faut qu’on les rencontre au plus vite !

Mauritz. – Vous ! Quand vous avez une idée en tête !

Yvonne. – Tu devrais appeler Pierre, il dirige l’organisation non ?

Hertz. – Excellente idée mon amour, je l’appelle pour lui demander de passer.

 

Scène 7 – Willy veille

Choura, Willy.

Salon de Willy.

Willy veille sur Choura qui somnole.

Willy. – Bonjour. Comment te sens-tu ?

Choura. – Faible, mais ça va. Combien de temps ai-je dormi ?

Willy. – Deux jours !

Choura. – Quoi ! Deux jours ! Il faut que…

Willy. – Doucement. Youra a soigné ton pied, par contre, il faudra t’amener à l’hôpital pour extraire la balle de ta cuisse.

Choura. – Où est Youra ?

Willy. – Il ne devrait pas tarder, il passe matin et soir pour te voir. C’est à peu près son heure.

Choura. – J’ai rêvé que tu avais passé ton temps à veiller sur moi.

Willy. – C’est sans doute la fièvre qui t’a fait faire des cauchemars.

Choura. – Ce n’était pas des cauchemars. Ça me paraissait tellement réel.

Willy. – Tu as besoin de reprendre des forces. As-tu faim ? Je vais te chercher quelque chose à manger.

Choura. – Willy ?

Willy. – Quoi ? Tu ne vas pas bien ?

Choura. – Si ! Merci Willy. Si ! Merci, de veiller sur moi.

Willy. – C’est normal.

Choura. – Non, non, je ne crois pas. Je suis sérieux Willy, ce que tu fais est dangereux et courageux. Ce que tu fais…

Willy. – Oui ?

Choura. – Peu de personnes l’aurait fait.

Willy. – C’est à nous de rendre le monde meilleur, non ?

Choura. – Peut-être, mais merci ! Je voudrais…

Willy. – Oui ?

Choura. – Non rien. J’ai toujours rêvé d’aller à New York.

Willy. – Cela doit être magnifique !

Choura. – A la fin de la guerre, j’irai. J’aimerais bien y aller accompagné.

Willy, gênée. – Je vais te chercher quelque chose à manger.

Choura. – Tu viendrais avec moi Willy ?

Willy. – Je suis mariée Choura.

Choura. – Tu viendrais avec moi ?

Willy, acquiesçant après un temps. – Alors tu as faim ?

Choura. – J’ai une faim de loup !

 

Scène 8 – Le front de l’indépendance

Hertz, Yvonne, Mauritz, Pierre Terfve([19]).

Bureau du CDJ.

Hertz. – Merci Pierre d’avoir pu te libérer si rapidement

Marcel. – Ton message m’indiquait de venir au plus vite. Ce n’est pas habituel de ta part.

Yvonne. – Connais-tu notre ami Mauritz Bolle ?

Mauritz. – Je ne crois pas que nous nous soyons déjà croisés.

Marcel. – Je ne le pense pas non plus. C’est un honneur de rencontrer réunis trois des membres influents du CDJ. A vous voir si solennels, je suppose que le message est de la plus haute importante.

Hertz. – As-tu lu le flambeau ?

Marcel. – Il est difficile à trouver.

Mauritz. – C’est un peu le problème de tous les journaux clandestins. Ils sont clandestins([20]).

Hertz. – Tiens. C’est la dernière édition.

Marcel. – Que dois-je y trouver ?

Yvonne. – Regarde l’article intitulé « Je suis un évadé » en troisième page.

Marcel. – « Le train du 19ème convoi qui devra l’emporter en Pologne est en marche. Les portes sont fermées et toutes les cinq minutes, un projecteur éclaire la route. La déportation est en train de se réaliser. Il décide de s’évader. Voilà la vitre de la portière abaissée et d’un bond son corps prend contact avec la terre froide. Minuit. Il reste allongé jusqu’à l’aurore. L’évadé est rentré chez lui avec un bras fracturé. Un cas isolé ? Non, à chaque départ, des dizaines de déportés se mettent ainsi en face de la mort. » Et ?

Hertz. – Je l’ai rencontré.

Marcel. – Qui donc ?

Mauritz. – L’évadé pardi([21]).

Marcel. – Excusez-moi, je ne vois pas où vous voulez en venir.

Yvonne. – Hertz dort mal depuis des mois. Il y a deux jours, il nous a convaincu de l’atrocité qui se déroulait à l’arrivée de ces convois.

Mauritz. – Depuis, il n’arrête pas de nous parler de ces trains qui partent.

Marcel. – On dit tout et son contraire sur ces convois.

Hertz. – Lit ce que j’ai entouré en 5ème page dans l’article intitulé « Pologne ».

Marcel. – « En Pologne, les nazis ont massacré plus de 800 000 Juifs, hommes, femmes, vieillards et enfants. Un témoin oculaire, un belge, revenant de Varsovie nous fait savoir que sur les 500 000 Juifs qui furent concentrés dans le ghetto de Varsovie, il n’en reste plus que 30 000. » Excusez-moi, je ne vois toujours pas où vous voulez en venir ?

Mauritz. – Personne ne revient de ces convois et le 20ème convoi s’apprête à partir. Nous ne pouvons pas laisser les choses se faire.

Hertz. – Il est possible de s’évader Pierre ! Cette nuit-là, ils ont été plus de 60 à le faire. D’autres pourront le refaire, nous devons les y aider.

Yvonne. – Il faut attaquer ce convoi. Arrêter le train. Leur donner l’opportunité et le temps de sauter.

Mauritz. – Les projecteurs seront tournés vers les assaillants, des partisans pourraient même les aider à ouvrir les portes depuis l’extérieur.

Hertz. – Notre comité de défense n’a ni les hommes, ni les moyens pour le faire. Le front de l’indépendance est la seule organisation à pouvoir réaliser une telle opération. Voilà pourquoi nous souhaitions te parler.

Marcel. – Rien que ça ! Si je m’attendais…

Mauritz. – Qu’en dites-vous ?

Marcel. – Il faudrait engager le combat avec l’escorte allemande… Une vingtaine de partisans, équipés de fusils, de grenades… On risquerait un bain de sang.

Yvonne. – Un bain de sang sans commune mesure avec le nombre de vies à sauver.

Hertz. – Je te connais Pierre. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Mauritz. – Vous n’avez pas les hommes, ni l’équipement ?

Marcel. – Si.

Mauritz, satisfait – Ah !

Marcel. – Mais…

Mauritz, interrogateur – Ah ?

Marcel. – Je suis d’accord avec vous, on ne peut laisser ces hommes, ces femmes et ces enfants sans aide.

Mauritz, affirmatif – Ah !

Yvonne. – Alors, qu’est-ce qui coince ?

Marcel. – Trop osé et trop dangereux([22]). Je vais devoir vous dire non.

Mauritz. – Comment, mais…

Hertz. – Ne soit pas gêné, tu en as tout à fait le droit.

Marcel. – Nous avons été décimés ces dernières semaines. Nous ne pourrions faire face à une nouvelle opération manquée.

Mauritz. – Il n’y a qu’à la réussir !

Yvonne. – Les convois circulent la nuit, vous agirez sous le couvert de l’obscurité et par surprise.

Marcel. – Le mode opératoire n’est pas celui que nous pratiquons : nous frappons, nous disparaissons. Là, c’est tout le contraire, il faudrait aider des centaines de personnes à s’échapper. Non, plus j’y pense, plus ma décision est irrévocable.

Hertz. – Merci de ta franchise.

Marcel. – Je vous engage à prendre contact avec d’autres groupes de résistants.

Yvonne. – Merci d’être venu.

Marcel. – Je vous souhaite de tout cœur la réussite de votre opération. Je suis désolé.

 

Scène 9 – Le réveil de Choura

Youra, Choura, Willy.

Salon de Willy.

Youra. – Ohé du bateau !

Willy. – Bonjour Youra !

Youra. – Comment va le naufragé ?

Willy. – Il a repris la mer.

Youra. – Il ne me semble pas prêt à mettre les voiles.

Choura. – Excellent moussaillon, pour une fois que ton humour me fait sourire !

Youra. – Tu vas mieux mon frangin ?

Choura. – Bien frérot !

Youra. – Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?

Choura. – Je ne sais pas, je dormais. Tu te souviens de cet enculé de Cortin ?

Youra. – Le commissaire de police ?

Choura. – Oui, le collabo !

Willy. – Avec mon beau-frère([23]), ils avaient projeté de l’assassiner.

Choura. – Ça a mal tourné, il n’était pas seul. Ça a commencé à tirer de tous les côtés alors que je n’avais pas encore sorti mon arme. Nous avons été pris en sandwich et 2 balles m’ont atteint.

Youra. – C’est incroyable que tu aies pu t’enfuir avec de telles blessures !

Choura. – Sans le beau-frère de Willy, j’y serais resté !

Willy. – Il n’y a que des bonnes choses.

Choura. – Des bonnes et des jolies choses !

Youra. – Tu te fais chouchouter, à croire que tu l’as fait exprès.

Choura. – Ton humour est parfois digne du 3ème Reich !

Youra. – Je suis content que tu sois là.

Willy. – Moi aussi.

 

Scène 10 – Qui peut le faire ?

Hertz et Yvonne Jospa, Mauritz Bolle.

Bureau du CDJ.

Mauritz. – Non, mais tu l’as entendu ? « Je vous souhaite de tout cœur la réussite de votre opération ». Non mais tu l’as entendu ? Tu parles d’un front de l’indépendance ! L’indépendance de ne rien faire oui !

Yvonne. – Il ne faut pas lui en vouloir Mauritz.

Mauritz. – Sans eux, ça tombe à l’eau ! « Celui qui sauve une seule âme est comme celui qui a sauvé le monde entier ». Il devrait relire le Talmud !

Hertz. – Il a la responsabilité de vies humaines. Il a pris une décision de chef.

Mauritz. – On ne peut quand même pas y aller nous. Toi avec ta jambe folle et moi, je tirerais sur les arbres en pensant que ce sont des Allemands.

Yvonne. – Et moi ?

Hertz. – Quoi ? Toi ?

Yvonne. – Je pourrais y aller moi !

Hertz. – Tu n’es pas sérieuse ?

Yvonne. – Et pourquoi pas ?

Hertz. – Tout le réseau de sauvetage des enfants dépend de toi. S’il venait à t’arriver quelque chose…

Yvonne. – On me remplacerait ! Saps ou d’autres pourrait prendre ma place !

Hertz. – Tu as un réseau que les autres n’ont pas pour trouver des caches aux enfants. Le reconstituer prendrait trop de temps. Et puis… s’il venait à t’arriver quelque chose, je ne m’en relèverai pas

Yvonne. – Alors, je connais quelqu’un qui le fera !

Mauritz. – Qui ? Quelle organisation ?

Yvonne. – Il fait partie du groupe G([24]), il refuse toute entrave idéologique et toute hiérarchie militaire. C’est l’homme de la situation. Il est jeune, convaincu, autonome, intelligent, passionné.

Hertz. – Ne confierais-tu pas des enfants à cacher à sa mère ?

Yvonne. – Sa mère est aussi une femme de confiance.

Hertz. – Son frère a pris les armes contre le franquisme. C’est une famille engagée comme peu d’autres.

Mauritz. – Il n’aurait pas parfois un foutu caractère ?

Yvonne. – Uniquement lorsqu’il fait face à des personnes têtues. Alors vous trouvez que c’est une bonne idée ?

Hertz. – Fantastique !

Mauritz. – Je crois que c’est la meilleure idée que j’ai eue, juste après celle d’attaquer le convoi.

Hertz. – Il ne reste qu’à le convaincre…

Mauritz. – Cela mérite bien un petit verre.

Mauritz. – A Youra !

Yvonne et Hertz. – A Youra !

 

Scène 11 – Qui accompagnera Youra ?

Youra, Choura, Willy, Robert, Jean.

15 avril 1943, salon de Willy.

Youra. – Quel temps ! Bonjour Willy. Comment va le grand blessé ce matin ?

Willy. – Il va bien mieux. Après trois jours ici, il commence déjà à parler de ressortir.

Youra. – Tu ne tiens plus en place !

Choura. – Je me sens tellement inutile. Que te voulaient Mauritz et Hertz([25]) ?

Youra. – Ils ont en tête d’attaquer le prochain convoi pour en libérer les déportés.

Willy. – Quoi ?

Choura. – C’est pas con comme idée. Dangereux, mais pas con !

Youra. – C’est ce que je leur ai dit.

Willy. – Ils ont trouvé une organisation pour le faire ? Le front de l’indépendance ?

Choura. – Non ! Ne me dis pas qu’ils te l’ont proposé ? Non ! Ne me dis pas que tu l’as accepté ! Le con ! Tu n’as jamais tenu une arme dans tes mains !

Youra. – Il y a un début à tout.

Choura. – Laisse-moi le faire.

Youra. – Regarde-toi ! Tu as encore une balle dans la cuisse ! Et le prochain convoi est sur le point de partir.

Choura. – Quand ?

Youra. – Certainement d’ici quelques jours.

Willy. – Tu en as parlé au groupe G ?

Youra. – Je suis allé les([26]) voir. Ils sont en train d’en parler. Ils vont appeler ici pour me faire part de…

Choura. – A quoi penses-tu ?

Youra. – Aux personnes qui pourraient m’accompagner en cas de refus du groupe G.

Choura. – Tu as des noms en tête ?

Youra. – Le premier qui me vient à l’esprit est le russe blanc.

Choura. – Qui ça ?

Youra. – Pierre Romanovitch.

Choura. – Je ne le connais pas.

Willy. – Moi non plus.

Youra. – Je l’ai rencontré récemment, seulement 2 fois pour être juste, mais c’est un résistant courageux et tête brûlée. C’est sûr qu’il acceptera.

Choura. – Crois-en mon expérience, ne fais pas appel à de vagues connaissances pour une telle opération. Il te faut quelqu’un de fiable à 100%. Que penses-tu par exemple de ton ami Rzepkowitcy([27]) ?

Youra. – Il aurait été parfait, mais il a été arrêté, il y a 2 jours de ça. Il est sur la liste du prochain convoi.

Choura. – Merde !

Sonneries de téléphone.

Willy. – Allo… Bonjour… Oui, il est là… Je te le passe. (A Youra) C’est le groupe G pour toi.

Youra. – J’espère qu’ils ont de bonnes nouvelles. Youra à l’appareil... Ah (déceptif)… Je comprends… Je n’ai pas l’intention d’abandonner… Dis toujours… Richard ?... Ah ! Et ? … Merci… Au revoir.

Choura. – Trop dangereux pour eux aussi ?

Youra. – Moyens trop limités et trop peu d’hommes expérimentés dans le maniement d’armes. Il en parlé à Richard, mais il n’a pas encore pris sa décision. Il n’y aurait pas mieux dans le maniement d’armes.

Willy. – Richard Altenhoff ? (Youra fait signe que oui) C’est effectivement quelqu’un de bien !

Choura. – Qui d’autres pourraient t’accompagner ?

Youra. – J’ai pensé à…

Choura. – A qui ?

Youra. – Robert Maistriau.

 

Dans la rue, rencontre avec Robert.

Youra. – Bonjour Robert !

Robert. – Youra ! Tu voulais me parler ?

Youra. – Ce que j’ai à te dire est assez délicat. Je voudrais te proposer de m’accompagner pour une mission.

Robert. – Quoi comme mission ?

Youra. – Je compte libérer des déportés en attaquant le prochain convoi. Je recherche des partenaires pour m’aider à le faire.

Robert. – T’as pensé à moi ?

Youra. – Oui.

Robert. – Ce sera dangereux je suppose ?

Youra. – Oui.

Robert. – Et tu comptes faire ça quand ?

Youra. – Dès que le convoi part, d’ici un mois tout au plus.

Robert. – Vous êtes combien ?

 

Retour chez Willy.

Choura. – Alors ?

Youra. – Je peux compter sur lui.

Choura. – Fantastique !

Youra. – Je suis soulagé. L’opération devient réalisable.

Choura. – Tu peux compter sur lui ?

Youra. – A 100%

Willy. – Tu as pensé à qui d’autre ?

Youra. – A l’un de mes meilleurs amis : Jean Franklemon.

 

Dans un parc([28]).

Youra. – Bonjour Jean !

Jean. – Youra ! Ça me fait plaisir de te voir.

Youra. – Ce que j’ai à te dire est assez délicat. Je voudrais te proposer de m’accompagner pour une mission.

Jean. – Une mission ?

Youra. – J’ai décidé d’arrêter le prochain convoi de déportés pour en libérer un maximum. Je recherche des partenaires pour m’aider à le faire.

Jean. – Ah oui quand même ! Je suppose que ce sera dangereux ?

Youra. – Oui.

Jean. – J’ai besoin d’y réfléchir. Je peux te donner une réponse demain ?

Youra. – Bien sûr.

Jean. – Vous êtes combien pour le moment. A demain.

 

Retour chez Willy.

Choura. – Alors ?

Youra. – Il est intéressé, mais il me donnera une réponse demain.

Choura. – Je le valide complètement. On a combattu Franco ensemble, il est l’homme de la situation.

Youra. – Pourvu qu’il accepte ! Je l’aime bien, en plus on a la même sensibilité artistique.

Choura. – S’il veut faire un ou deux croquis pendant l’attaque, ce sera l’homme de la situation.

Youra. – Je ne sais pas si je t’ai déjà dit que j’aimais beaucoup ton humour.

Choura. – En tout cas, vous voilà à 3.

Willy. – Pourquoi tu comptes 3 ?

Choura. – Youra et Robert, ça fait deux, je compte Richard et Jean pour une moitié chacun puisqu’ils ne sont pas sûr. Ça fait 3 !

Youra. – Cela ne te viendrait pas à l’esprit de dire que nous serons entre 2 et 4.

Choura. – Chacun sa façon de compter !

Youra. – Pourvu que Jean et Richard acceptent.

Willy. – Et si je vous accompagnais ? Ou si on proposait à mon beau-frère ?

Youra. – Merci Willy, mais c’est déjà réalisable sans vous. Et puis, je pense que Choura a besoin de toi en ce moment. Il va falloir surveiller que cela ne s’infecte pas.

Choura. – Et maintenant ?

Youra. – Préparons le plan ensemble. Je serai bientôt fixé pour l’équipe.

 

Scène 12 – La décision

Youra puis Robert puis Jean.

18 avril 1943 – Bureau du CDJ.

Youra. – Merci Robert.

Robert. – De quoi ?

Youra. – D’être simplement là.

Robert. – On attend quelqu’un d’autre ?

Youra. – Peut-être… J’en ai parlé à Jean et à Richard, mais je ne sais pas encore s’ils doivent…

Youra. – Si ce n’est pas Jean, je veux bien être fusillé ! Non, ne tirez pas ! Je plaisante.

Robert. – Maouste, j’ai failli tâcher mon slip !

Jean. – Tu en es aussi Robert ?

Youra. – Je suis content que vous soyez là ! Nous ne serons que 3([29]), Richard ne viendra pas.

Robert. – Il t’a donné une explication ?

Youra. – Aucune, juste ce paquet.

Jean. – Ah la vache !

Robert. – Quoi ?

Jean. – Un pistolet ?

Robert. – J’vois que c’est un pistolet !

Jean. – Je veux dire que je n’avais pas imaginé que nous pourrions en avoir besoin.

Robert. – Ça s’ra plus efficace qu’une sarbacane avec des boulettes en papier. M’enfin il ne vaudrait mieux pas que nous ayons besoin de nous en servir, parce qu’avec un seul chargeur, ça risque de faire léger !

Youra. – Mes amis, si je nous ai réunis, c’est pour que nous décidions de réaliser l’attaque ou non.

Jean. – L’attaque ?

Robert. – Oui l’attaque ! Comment tu appellerais ça ?

Jean. – Euh je ne sais pas, mais un terme moins… violent.

Youra. – L’assaut ?

Robert. – L’arrêt ?

Jean. – Ah oui, je préfère !

Youra. – Je disais donc que nous devions décider en âme et conscience d’attaqu… d’arrêter le train.

Robert. – Ben moi ouais, j’suis partant.

Jean. – M… Moi aussi.

Youra. – Ne te sens pas obligé Jean.

Jean. – Non, non, c’est bon pour moi.

Youra. – Bien !

Robert. – C’est quoi le plan alors ?

Jean. – Oui, quel est le plan ?

Youra. – Avec Choura, nous avons repéré l’endroit idéal pour l’attaq… pour l’arrêt du train. Peu après Boortmeerbeek, la voie fait une courbe, le train ralentira et les soldats de queue ne pourront pas voir la tête du train.

Jean. – Ah ouais, une courbe c’est bien !

Youra. – C’est dans une forêt, elle nous aidera à nous dissimuler.

Jean. – Ah ouais, une forêt c’est bien !

Robert. – Dis, on n’y va pas pour ramasser des champignons.

Jean. – Une forêt, c’est bien quand même, nan ?

Youra. – Je peux continuer ? C’est à quelques kilomètres de la gare de Haecht. Nous leur remettrons à chacun un billet de 50 francs. Ils pourront ainsi prendre un ticket de tramway pour Bruxelles. Nous disposerons cette lampe sur la voie ferrée. Le conducteur du train s’arrêtera lorsqu’il apercevra le signal rouge.

Jean. – Et s’il ne le voit pas.

Youra. – Il le verra.

Jean. – Et s’il ne s’arrête pas.

Youra. – Il s’arrêtera.

Robert. – Et s’il est aveugle ?

Jean, à Robert – Tu blagues ?

Robert. – Je m’occupe de la lampe !

Youra. – Je serai positionné à l’orée de la forêt pour vous couvrir en cas de besoin. Vous aurez comme mission d’ouvrir le maximum de portes et d’encourager les gens à descendre du train.

Robert. – Ça me botte. Sur le papier, c’est tranquille.

Sonneries de téléphone.

Youra. – Allo ! Hertz ? … Dis toujours. (A Jean et Mauritz) C’est pour demain à 22 heures ! (A Hertz) Ce n’est pas une si mauvaise nouvelle que ça…. Ah ! Ce n’est pas vrai !

Jean. – Qu’est-ce qu’il y a ?

Youra, à Jean et Mauritz – Il y aura des soldats allemands également en tête de convoi. (A Hertz)  … Ah !

Jean. – Qu’est-ce qu’il y a ?

Youra, à Jean et Mauritz – Les déportés voyageront dans des wagons à bestiaux pour éviter que des personnes sautent du train comme lors du dernier convoi. (A Hertz) Merci Hertz. (Il raccroche) Jean, tu as l’air tourmenté ?

Jean. – Ils risquent d’être nombreux non ? Et sacrément armés ! Pour tout vous dire, je suis excité et mon envie est immense de réaliser quelque chose d’important. Mais…

Youra. – Mais ?

Robert. – Tu veux plus en être ?

Jean. – Ce n’est pas ça.

Youra. – On se connaît suffisamment pour tout se dire, non ? Jean ?

Jean. – Je suis tétanisé de peur. Le train, les portes qui seront toutes fermées, les projecteurs, les Allemands qui seront des 2 côtés, un seul chargeur… J’ai le ventre tordu. Je suis en train de réaliser ce que nous allons faire.

Robert. – Nous ?

Jean. – Il n’est pas question que je vous laisse vous promener en forêt sans moi.

Robert – Oh putain camarade ! Je n’en mène pas large non plus !

Jean. – J’amènerai des tenailles si on a besoin de forcer les portes. Nous pourrons commencer par ouvrir les portes du milieu.

Robert. – Ça me botte.

Jean. – Si nous sommes au milieu du convoi, les Allemands mettront plus de temps pour nous…

Youra. – Les amis ?

Jean et Robert. – Quoi ?

Youra. – Vous êtes épatants ! Je suis fier de vous, fier de ce que nous allons essayer de faire.

Robert. – Moi aussi.

Jean. – Moi aussi.

Youra. – Vous êtes bien conscients que l’on risque d’y rester ?

Robert. – Ouais.

Jean. – Oui.

Robert. – Tu nous couvriras des boches avec ta Joséphine ?

Youra. – Tu as toujours eu de la chance Robert ! Tu es né sous une bonne étoile, tu n’en auras pas besoin. Mais au cas où, je vous couvrirai.

Robert. – Alors ça me botte.

Jean. – A moi aussi.

Youra. – Dernier point. A partir de maintenant, nous prenons nos noms de résistants.

Jean. – Entendu Georges([30]) !

Youra. – Bien, rendez-vous demain soir à 19h30.

Robert. – Ça me botte. Quoi ?

Jean. – Tout te botte à toi non ?

Robert. – Que veux-tu, je ne suis pas très compliqué comme gars !

Youra. – A demain alors !

 

Scène 13 – Au revoir Rachel

Youra, Rachel.

19 avril 1943 - Appartement de Rachel.

Youra. – Maman, je viens te dire au revoir.

Rachel. – Je craignais qu’un jour tu viennes me dire cette phrase avec cet air si sombre. Je suppose qu’il n’est pas la peine de te demander où tu vas.

Youra. – En effet.

Rachel. – Ton frère est au courant ? C’est idiot, mais ça me rassure.

Youra. – Je dois le faire.

Rachel. – Je sais. Avec le temps, je me suis fait une raison à ces sentiments contradictoires

Youra. – De quels sentiments parles-tu ?

Rachel. – Avoir des enfants, c’est leur donner à manger et craindre qu’ils aient faim, c’est leur apprendre à marcher et craindre qu’ils ne tombent, c’est les élever pour être autonome et redouter qu’ils ne partent, c’est leur donner la vie et craindre qu’ils la perdent.

Youra. – Maman !

 

Scène 14 – l’attaque

Youra, Robert, Jean, des figurants.

19 avril 1943, 20h00 – à Malines.

Des voix allemandes pressantes, des cris, des pleurs, des bruits de portes de wagons qu’on ferme. Puis, un train qui démarre.

19 avril 1943, 22h00 – Dans les bois.

Robert allume la lampe tempête rouge et la dépose sur la voie ferrée. Le train freine et s’arrête.

Robert va ouvrir une porte du train.

Robert. – Sortez, sortez !

Quelques ombres passent. Des coups de feu retentissent. D’autres ombres traversent. Robert tente d’ouvrir une autre porte, la pince dans les mains, la lampe torche dans sa poche. Les coups de feu se rapprochent. Voix allemandes. Robert s’enfuit. Nouveaux coups de feu. Silence.

 

Scène 15 – le temps passe

Rachel, Youra, Choura, Jean Franklemon

20 avril 1943, chez Rachel.

Rachel est assise chez elle. Un café sur la table. Elle est fatiguée et semble attendre. On frappe à la porte. Elle passe la main dans ses cheveux, tire sur ses vêtements pour s’apprêter, se regarde dans le miroir rapidement. Elle ouvre la porte et reste figée, sa main sur sa bouche. Youra entre. Elle se jette dans ses bras.

21 avril 1943, chez Rachel

Youra prend le petit-déjeuner avec sa mère. Youra est assis sur la chaise, Rachel est debout lui sert son café. Un bol sur la table.

21 avril 1943. Au café de la place Flagey.

Youra prend son imperméable et sort. Il rencontre Jean. Ils se prennent dans les bras.

23 avril 1943. Chez Rachel.

Youra prend le petit-déjeuner avec sa mère, Choura rentre grimaçant avec une canne et un bandage tâché de sang à la cuisse. Youra se lève et l’aide à marcher. Ils s’assoient, Rachel prend la cafetière et sert ses fils.

24 avril 1943, dans la rue.

Changement de lumière. Youra prend son imperméable et sort. Il va à la rencontre de Robert. Il attend, mais Robert ne vient pas… Sans doute a-t-il été arrêté.

8 mai 1943, chez Rachel.

Youra prend le petit-déjeuner avec sa mère, Choura rentre avec un léger boitement. Choura s’assoit. Rachel prend la cafetière et leur sert à tous les deux un bol de café. Elles les regardent comme si c’était le dernier moment de bonheur ensemble.

 

Scène 16 – la trahison

Youra, Rachel, puis Yvonne, Choura & Hertz.

15 mai, appartement de Rachel.

Rachel. – Tu ne veux pas te calmer ?

Youra. – Tu as raison. Qu’est-ce qu’il peut bien faire ? Cela fait plus de deux heures qu’il est parti !

Rachel. – Ne t’inquiète pas. Tu sais qu’il doit rester extrêmement prudent.

Youra. – Alors ? Yvonne ! Hertz ! Qu’est-ce que…

Rachel. – Qu’est-ce qu’il se passe ?

Yvonne. – Jacqueline et sa famille viennent de se faire arrêter([31]).

Youra. – Jacqueline ? Non ce n’est pas possible ! Je dois aller les aider.

Choura. – Tu ne peux pas Youra !

Youra. – Si je peux.

Hertz. – Cela ne servirait à rien.

Yvonne, calme – C’est trop tard Youra. Ils doivent déjà être à Malines ! Elle a été dénoncée par une de tes connaissances. Et visiblement, vous êtes les prochains sur la liste. Vous ne pouvez pas rester ici !

Rachel. – Ce n’est pas vrai !

Choura. – Je vais faire les valises.

Youra. – Qui est-ce ? Qui est le traître ?

Hertz, calme – Ton ami, le russe blanc !

Youra. – Pierre Romanovitch ? Tu te trompes ! C’est idiot, c’est un résistant, il n’aurait jamais fait ça !

Hertz. – C’est bien lui Youra. Des interrogations me laissaient trop de questions sans réponses à son sujet. Personne ne le connaissait dans le milieu de la résistance. Et comme tu le sais, mon réseau est assez étendu. Cela m’a semblé étrange. Je l’ai fait suivre.

Youra. – Et ?

Hertz. – On n’a pas attendu longtemps. La filature est sans appel, il s’est rendu au siège de la gestapo, on l’a même vu discuter et rire avec quelques-uns de ses membres. La conclusion est malheureusement sans équivoque.

Yvonne. – C’est un délateur qui s’enrichit en dénonçant des Juifs et des résistants.

Youra. – Ce n’est pas vrai ! C’est moi qui lui ai présenté Jacqueline !

Rachel. – Tu ne pouvais pas savoir !

Choura. – Ce n’est pas toi le responsable. C’est lui !

Youra. – Je vais le tuer ! Il ne peut pas s’en sortir comme ça ! Où est-il ? Où est-il ? Je vais lui faire la peau à cette ordure ! Combien en a-t-il dénoncé ? Non ! Ce n’est pas possible. Il faut l’arrêter. Ce n’est pas vrai ! Jacqueline ! Ses parents ! Je les ai envoyés à une mort certaine !

Hertz. – Tu ne peux plus mettre les pieds dehors. Ton visage est affiché sur toutes les colonnes Morris de Bruxelles. Tu te ferais arrêter au premier coin de rue. Si la situation de Choura n’est pas aussi risquée, il est aussi concerné. Les SS cherchent désormais les frères Livchitz. Nous devons vous faire quitter Bruxelles.

Youra. – Ma vie ne vaut plus grand-chose, elle n’aura plus aucun sens si je ne puis me venger ([32]).

Yvonne. – Il serait trop dangereux que tu te fasses arrêter. Tu connais trop de monde.

Rachel. – Ecoute Hertz et Yvonne. C’est la voix de la sagesse.

Choura. – Youra, nous sommes assez grands pour risquer nos vies, mais ne risquons pas celles des gens que l’on aime.

Hertz. – Pour tout vous dire, j’ai pris des dispositions pour vous faire partir d’ici quelques jours vers l’Angleterre.

Youra. – Vers l’Angleterre ?

Choura. – Il faut se faire une raison frérot. Ce n’est pas si mal l’Angleterre après tout ! C’est mieux que l’Allemagne, non ?

Youra. – Vous avez raison.

Hertz. – En attendant, nous allons vous cachez quelques jours dans nos bureaux ([33]) et on hébergera Rachel.

Yvonne. – Je t’accompagne faire ta valise.

 

Scène 17 – les adieux à Saps

Youra, Choura, Saps puis le chauffeur.

26 juin 1943, Bureau du CDJ.

Youra bouquine, son frère vient lui prendre le livre des mains, Youra se lève, ils se chamaillent. Youra récupère son livre, Choura attrape son frère par le cou et lui frotte les cheveux avec sa main libre

Rachel, au public – Les jours passèrent, interminables pour mes deux fils. Leur complicité depuis toujours se renforçait dans cette adversité. Ils se soutenaient, jouaient, se chamaillaient comme toujours depuis leur enfance. Choura était l’aîné et veillait sur son frère, mais Youra protégeait aussi son frère. C’était sans doute le fait de ne pas avoir eu de père qui faisait que chacun d’eux remplissait ce rôle pour l’autre. Pour ma part, je les croyais indestructibles. Leur combat, notre combat, les rapprochaient plus encore.

Le chauffeur rentre derrière Rachel. Il reste en retrait 2 pas derrière elle. Elle s’avance vers ses fils.

Youra se lève, se jette dans ses bras et se met à pleurer. Rachel le serre. Elle prend sa tête et la recule pour le regarder dans les yeux. Elle l’embrasse. Youra va prendre sa valise.

Choura se lève. Youra passe devant sa mère et va rejoindre le chauffeur, il se retourne et attend son frère. Choura prend sa valise, commence à sortir, puis subitement lâche sa valise et va prendre sa mère dans ses bras. Elle lui passe une main sur sa joue. Il reprend sa valise, rejoint son frère. Le chauffeur et Youra sortent, Choura se retourne une dernière fois et fait un sourire à sa mère avant de sortir.

 

Scène 18 – l’Angleterre

Youra, Choura, le chauffeur.

Nuit du 26 au 27 juin 1943, en voiture.

Le chauffeur s’installe devant, Youra et Choura à l’arrière, de dos au public. La route est longue. Youra dort sur l’épaule de son frère.

Puis une lumière fixe de plus en plus forte les éclaire. La voiture s’arrête. Ils se redressent et lèvent leurs mains à contre-nuit.

 

Scène 19 – les Interrogatoires

Youra, Choura puis 1 officier SS.

Cellule du fort de Breendonk.

Youra. – Tu penses à Saps ?

Choura. – A elle, à Willy et à tous les autres.

Youra. – Tu penses aussi à ceux-là ? (Choura rit) Tu vois que finalement tu es sensible à mon humour.

Choura. – T’es con ! (Silence) Tu redoutes les interrogatoires ?

Youra. – C’est peu de le dire.

Choura. – Oui, il faudrait être maso pour ne pas les redouter.

Youra. – Si tu as moyen de te suicider, tu le ferais ?

Choura. – Je ne sais pas. Tu y penses ?

Youra. – Je pense à l’idée, mais je n’aurais pas le courage.

Choura. – Le courage ou la lâcheté ?

Youra. – Dans notre cas, le courage.

Choura. – Sans penser au suicide, je préférerais mourir en tentant de m’échapper plutôt que de dévoiler quelques noms.

Youra. – Pour l’évasion, je crois qu’il ne faut pas rêver, nous sommes dans un véritable bunker, et ils sont nombreux à chaque déplacement.

Choura. – Merde.

Youra. – Bon courage mon frère.

 

Youra, Officier SS.

Officier SS. – Je veux juste un nom. Vous finirez par parler monsieur Livchitz.

 

Choura, Officier SS.

Officier SS. – Qui fait partie de votre réseau ?

Choura. – De quel réseau parlez-vous ?

Officier SS. – Je veux bien prendre le pari que la mémoire va vous revenir vite. Vous allez finir par comprendre que je ne suis pas un demeuré et que je n’aime pas les Juifs dans votre genre.

 

 

Youra, Officier SS.

Officier SS. – La mémoire commence-t-elle à vous revenir monsieur Livchitz ? Ou devrais-je vous appeler Georges ? Ce nom a l’air de vous dire quelque chose ? Vous savez, il ne sert à rien de me résister. J’arrive toujours à mes fins. Je connais beaucoup de choses sur vous et sur votre entourage. Nous mettrons bientôt la main sur Saps. Cela a l’air de vous toucher quand je parle de votre mère ? D’autres ont parlé avant vous. Vous pouvez vous éviter des souffrances inutiles. Donnez-moi un nom monsieur Livchitz, juste un nom ! Votre frère est plus raisonnable que vous. Il nous en a déjà donné un. A l’heure qu’il est, il est certainement en train de dormir dans sa cellule.

Youra. – Allez-vous faire foutre.

Noir. On entend un doigt craquer et un cri. L’officier SS allume une cigarette dans le noir.

 

Choura, Officier SS.

Officier SS. – Je n’ai jamais aimé les sales petits Juifs comme toi.

Choura. – C’est réciproque.

Officier SS. – Espèce de petite merde. Ton frère pleurniche comme un demeuré. Si tu veux lui éviter des souffrances, il ne te reste qu’à parler.

Choura. – Youra ne parlera jamais, il préférera mourir que de lâcher des camarades.

Officier SS. – Et pourtant, il nous a déjà lâché deux noms, mais nous savons qu’il en connait beaucoup plus. C’est simple, à chaque doigt broyé, il nous donne un nom. Dommage qu’il n’en ait que dix. Pourquoi ris-tu ? Tu trouves que c’est risible de savoir que ton frère est une fillette.

Choura. – Je viens de comprendre

Officier SS. – Quoi ?

Choura. – Que vous mentez ! Que Youra n’a pas parlé.

L’officier, furieux, se lève, prend les cheveux de Choura, sort son pistolet et le pointe sur la tête de Choura. Une idée lui vient. L’officier prend une serviette pour s’essuyer les mains.

Officier SS. – On va voir si vous continuerez à faire le mariole.

 

Choura, Officier SS, Youra.

Officier SS. – Les frères Livchitz réunis !

Choura. – T’as l’air en forme !

Officier SS. – Vous allez vite arrêter de faire les malins. Vous semblez avoir de l’admiration l’un pour l’autre. Pour tout vous dire, vous êtes plutôt coriaces, mais je n’ai plus envie de m’amuser. Ce sale petit Juif va regarder son frère se noyer dans son propre sang.

L’officier SS saisit brutalement Youra par les cheveux pour lui mettre la tête en arrière et pose le coupe choux sur son cou. Il lui entame la peau.

Choura. – Arrêtez !

Officier SS. – Pourquoi m’arrêterais-je ?

Choura. – Arrêtez ! Je parlerai…

Officier SS. – Vous devenez raisonnable.

Youra. – Non Choura ! Choura, ne parle pas, je préfère mourir que de…

Choura. – Pardon Youra ! Je ne peux pas…

Officier SS. – C’est bien ! J’attends. Un nom ? Je veux un nom !

Choura. – Hertz…

Officier SS. – Hertz comment ?

Choura. – Hertz Jospa([34]).

 

Youra, Choura.

Youra. – Comment te sens-tu ?

Choura. – Bof.

Youra. – Physiquement ou moralement ?

Choura. – Si tu savais ! J’ai tellement honte d’avoir parlé.

Youra. – Tu m’as sauvé frangin !

Choura. – Pauvre Hertz ! C’est idiot, c’est le seul nom qui m’est venu à l’esprit. J’étais prêt à mourir, mais je n’étais pas prêt à te voir mourir sous mes yeux.

Youra. – Finalement, nous finirons peut-être par voir où vont ces convois.

Silence.

Choura. – Les Livchitz n’ont pas dit leur dernier mot !

Ils se tapent dans la main et restent main dans la main. Youra regarde leurs mains unies.

Youra. – Je me rappelle à la sortie de l’école quand celui qu’on appelait « le glaviot » était venu me chercher des ennuis.

Choura. – Le grand rouquin qui crachait toutes les 2 secondes par terre ?

Youra. – Oui, celui-là même. Il dépassait tout le monde d’une tête et il n’était satisfait que lorsqu’il distribuait des coups de poings. Il allait d’ailleurs se faire plaisir à m’assener une rouste quand tu es arrivé. Tu m’as pris par la main comme maintenant. Tu t’es calmement interposé entre lui et moi sans dire un mot. Tu l’as fixé droit dans les yeux.

Choura. – Je ne me rappelle pas.

Youra. – Il a levé son poing. Tu n’as pas bougé d’un centimètre. Et sans rien dire ni faire, il est parti. Personne n’avait jamais vu ça ! Le glaviot battre en retraite ! Je pense qu’il savait.

Choura. – Quoi ?

Youra. – Que tu me protégerais jusqu’à la mort. Que ta détermination est plus forte que tout. Qu’elle était plus forte que lui. Que risquer un combat avec toi, c’était l’assurance de ne pas en sortir debout. Je t’admire pour ça. Cet officier n’était pas stupide. Il savait à qui il mettait le couteau sous la gorge. Il a perçu, comme le glaviot l’avait perçu à l’époque que tu me protégerais au-delà de tout. (Un temps) Tu penses à Willy ?

Choura. – Oui.

Youra. – Et ?

Choura. – Elle me plait beaucoup. J’ai toujours hésité à m’engager, tu sais. Comme on dit, faire le choix d’une, c’est faire le sacrifice de toutes les autres.

Youra. – Mais ?

Choura. – Je n’ai pas dit de « mais ».

Youra. – Ta phrase me laissait penser qu’elle n’était pas terminée.

Choura. – Mais pour Willy, je l’aurais fait.

Youra. – Qu’est-ce qui t’en a empêché ?

Choura. – Je ne sais pas. La peur du refus, la pudeur, la culpabilité, sans doute un peu tout ça à la fois. Et puis, je crois que je n’ai pas une assez haute estime de moi pour me dire que j’avais le droit de remplacer son mari.

Youra. – C’est con, mais c’est droit. Mais c’est con quand même.

Bruits de pas et de clés.

Choura. – Maintenant c’est trop tard pour se poser la question. Bonne chance frérot.

Youra. – A bientôt mon frère.

 

Scène 20 – le destin de Choura

Choura, Willy, l’officier SS.

9 février 1944 – Prison Saint-Gilles et appartement de Rachel en 1964.

Choura écrit sa lettre ([35]).

Choura est conduit devant le peloton d’exécution. L’officier SS, va lui mettre un foulard sur les yeux. Choura refuse. Il regarde le ciel.

Voix officier. – BEREITMACHEN ! ZIELEN !

Choura. – No pasarán !

Voix officier. – FEUER !

 

Scène 21 – le destin de Youra

Youra, Rachel, l’officier SS.

17 février 1944 – Cellule de Youra au fort de Breendonk et appartement de Rachel en 1964.

Rachel, assise dans le même fauteuil qu’au début, les lettres entre les mains.

Rachel, au public. – Une semaine après la mort de son frère, Youra m’écrivit à son tour une lettre.

Youra écrit sa lettre.

Rachel. – Chère maman, bien que les mots soient impuissants à exprimer tout ce que je ressens, je me prépare à aller de l’autre côté avec calme. J’ai beaucoup de regrets de ne pas être là pour t’aider à supporter la disparition de Choura. Je vais malheureusement suivre les traces de mon modèle. Chère maman, aie confiance et courage dans la vie, le temps efface bien les choses. Pense que nous sommes morts au front, pense à toutes les familles, à toutes les mères éprouvées par la guerre, guerre que nous avons tous cru voir finir plus tôt.

L’officier SS lui propose un foulard, qu’il refuse. Le regard de Youra se relève.

Voix officier. – BEREITMACHEN !

Rachel. – Garde la flamme.

Voix officier. – ZIELEN !

Rachel. – Ton fils qui t’aime. Youra.

Voix officier. – FEUER !

 

Scène 22 – le destin des camarades

Rachel, Robert, Jean, Hertz, Yvonne.

Voix off. – Robert Maistriau, le premier des deux camarades de Youra qui avait participé à l’attaque du 20ème convoi, échappa de peu à une arrestation en août 1943, dénoncé comme Jacqueline et sa famille par Romanovitch.

Robert. – Après de nouveaux sabotages, ces vaches de boches ont fini par me coincer, je fus déporté à Buchenwald([36]) à la mi-44. Par chance, j’échappais aux marches de la mort. A la libération du camp, je faisais 39 kilos. Youra avait raison ; sans ma « bonne étoile », je n’en serais pas revenu.

Voix off. – Il mourut à Bruxelles à l’âge de 87 ans. Jean Franklemon, le troisième camarade de l’attaque… de l’arrêt du train, fut arrêté en août 1943, dénoncé comme Robert et Jacqueline par Romanovitch.

Jean. – Je fus conduit à Breendonk où je retrouvais Youra. Nous y avons passé nos derniers moments de complicité partagée. Puis je fus transféré dans le camp de concentration de Sachsenhausen. L’étoile de Robert due m’illuminer un peu car je survécus aux marches de la mort.

Voix off. – Jean quitta la Belgique et partit s’installer en République Démocratique Allemande, où il mourut en 1977. Quant-à Wilhemine Cohen-Baudoux, dite Willy, on ne sait pas ce qu’elle advint.

Willy. – Je disparus peut-être dans les sous-sols de la gestapo avenue Louise ou dans un camp de concentration à l’Est. Ou qui sait, je suis peut-être allée m’installer à New York ?

Voix off. – Hertz Jospa, quant à lui, fut arrêté en juin 1943 suite aux aveux de Choura([37]), il passa par Breendonk avant d’être déporté à Buchenwald en mai 1944.

Hertz. – Je survécus par miracle jusqu’à la libération des camps le 11 avril 1945. Après un long chemin de retour jusqu’à notre maison, je retrouvais Yvonne le jour de la capitulation allemande le 8 mai 1945.

Yvonne. – Je le croyais mort. Après-guerre, nous fondâmes le mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.

Hertz. – Ce mouvement fut rebaptisé en 1966, mouvement contre le racisme,

Yvonne. – L’antisémitisme,

Hertz. – Et la xénophobie.

Voix off. – Usé par son passé dans les camps, Hertz mourut cette même année de 1966 à l’âge de 62 ans.

Voix off. – Quant à Saps, le temps n’effaça jamais ses blessures. Personne ne put amoindrir la douleur de l’absence de ses fils. Ouvrir sa porte à un autre homme, c’était comme fermer un peu celle restée ouverte pour ses fils. Elle milita dans de nombreuses associations de défense du droit des enfants. Elle y mit toute la force qu’il lui restait.

Quant aux 1631 déportés du 20ème convoi, que Youra, Robert et Jean arrêtèrent le soir du 19 avril 1943, 17 déportés purent s’échapper du wagon ouvert par Robert. Sans doute, encouragés par cette évasion, 214 autres déportés sautèrent du train avant d’arriver à Auschwitz. Plus de la moitié d’entre eux survécurent à la guerre.

Je me nomme Simon Gronowski, je suis le dernier survivant du 20ème convoi. J’avais 11 ans au moment des faits. Ma mère m’a fait sauter du train peu après l’attaque. Elle, n’a pas sauté.

Une phrase s’affiche :

« Ce qui donne un sens à la vie, donne un sens à la mort ».
Page de garde du journal de Youra.
Antoine de Saint-Exupéry.

 

Fin.

[1]) Vous retrouverez la réelle lettre complète de Choura à la fin de ce texte

[2]) Ce diminutif fut donné par son frère Youra lorsque ce dernier commença à parler

[3]) Pour resserrer le récit, ce qui est indiqué se passer du 11 avril au 18 avril s’est déroulé dans les faits du 11 mars au 18 avril 1943.

[4]) Rachel, née en 1889, fit une année d’études à la Sorbonne et tomba amoureuse du charme parisien.

[5]) L’attaque du poste de police de Molenbeek permis aux partisans de récolter 62000 cartes de rationnement et 24 revolvers.

[6]) En Belgique, 4000 enfants juifs échappèrent à la déportation grâce à un réseau de résistance bien organisé dont le CDJ (Comité de Défense des Juifs) faisait partie.

[7]) Le CDJ (comité de Défense des Juifs), créé par Hertz Jospa et Chaim Perelman, était une organisation clandestine de défense des juifs et affiliée au front de l’indépendance. Le bureau du CDJ se trouvait aux 1ier et 2ième étage de la maison d’un homme d’affaires belge, rue Léon Cuissez. On y rentrait par une papeterie (pour cacher les va-et-vient) puis par un escalier à l’arrière du magasin, puis par un signal convenu de coups frappés à la porte.

[8]) Premier ministre polonais, alors en exil.

[9]) 51 convois étaient partis de France en mars 1943.

[10]) Suzanne Kaminski, née le 11 mars 1943, fut le plus jeune bébé déporté de Belgique, à l’âge de 39 jours sous le n°215 du 20ème convoi. Jacob Blom, né le 7 août 1842, fut le doyen des déportés de Maline, à l’âge de 101 ans sous le n°584 du 20ème convoi. Ils moururent tous deux le 22 avril 1943 à Auschwitz.

[11]) Victor Martin dont l’histoire mérite d’être connu par un survol de wikipedia ou par la lecture plus poussée du livre « Victor Martin, un résistant sorti de l’oubli » de Bernard Krouck.

[12]) Willy appela Youra sur son lieu de travail à la société Pharmacobel et non au siège du CDJ (le 12 mars 1943).

[13]) Choura était grand, sportif et exerçait une attraction irrésistible sur les femmes : Irène Gromberg, Minnie Millet, Willy tombèrent sous son charme.

[14]) Willy et Choura étaient tombés passionnément amoureux.

[15]) Choura reçu une balle dans la cuisse et la seconde dans le pied droit avec fracture ouverte. Il fut d’abord soigné par Youra, puis par le docteur René Dumont.

[16]) Elias Samuel Roth, Bina Roth-Ochs sa femme et leurs 3 enfants Sarah 5 ans, Josef presque 3 ans et Rebekka 6 mois furent arrêtés le 12/03/43 et envoyés à Auschwitz dans le 20ième convoi sous les matricules 1163, 1164, 1165, 1166 et 1167

[17]) 101 enfants, 49 garçons et 52 filles étaient par exemple présents dans le 20ème convoi dont les 3 enfants Roth. Toutes les listes de déportés furent conservées et retrouvées à la caserne Dossin, ce qui permit d’établir précisément la constitution de chaque convoi.

[18]) L’idée hantait Hertz. Il finit par en parler à Mauritz, mais également à Benjamin Nijkerk, trésorier au CDJ. Dans les bois de la Cambre, ils ont partagé le plan de sauvetage des déportés. Ce dernier avait prévu de fournir 50 francs à chaque déporté.

[19]) Son vrai prénom était « Jean », renommé Pierre pour les besoins de la pièce pour ne pas interférer avec Jean Francklemon.

[20]) Journal clandestin « Le Flambeau »

[21]) Mejer Tabakman, né le 03/09/1912, sauta du 19ième convoi et témoigna de son action dans « le flambeau ». Il fut arrêté à son retour en Belgique et déporté dans le 20ème convoi sous le matricule 1381. Il sauta une nouvelle fois du train, mais fut à nouveau arrêté et déporté dans le 23ème convoi. Il mourut à Auschwitz en 1944.

[22]) Véritables mots prononcés par Jean Terfve.

[23]) Raymond Baudoux mena l’attaque avec Choura.

[24]) Le Groupe G était un groupe de résistants issus de l’université libre de Bruxelles. Créé en janvier 1942 par Jean Burgers, ce dernier choisira le nom de code de « Fernand Gérard » qui donnera son nom à cette organisation. Il sera pendu à 27 ans, à Buchenwald en septembre 1944 après un long supplice. Plus de 20% des 4046 membres du groupe G ont trouvé la mort. Il fut dissous à l’automne 1944, au lendemain de la libération de la Belgique.

[25]) La rencontre eut lieu dans l’arrière-boutique de la pharmacie d’un ami de Mauritz, place Brugman.

[26]) Robert Leclerq et Henri Neuman. Robert était un très bon ami de Youra et le sucesseur de Jean Burgers à la tête du groupe G. Quant-à Henri, il était l’un des membres fondateur du groupe G.

[27]) Szmul Rzepkowitcy, né le 23/08/17 à Lodz, ami de Youra. Il fréquentait l’atelier de Marcel Hastir. On l’appelait le « roi de la repro » car il était extrêmement habile à établir de faux papiers. Amateur de jeux de cartes. Il fut déporté dans le 20ième convoi sous le matricule 1405.

[28]) Youra retrouva Jean au café place Flagey, ils sortirent pour parler et se dirigèrent aux étangs d’Ixelles, où Youra lui dévoila le plan d’attaque.

[29]) Richard Altenhoff ne donna réellement aucune explication. Il leur annonça qu’il ne participerait pas à l’attaque au moment du départ, le 19 avril peu avant 19h30. C’est lors de cette annonce qu’il remit à Youra le pistolet.

[30]) Les résistants n’utilisaient pas leur vrai nom pendant leur mission. Le nom de code de Jean était Pamplemousse, celui de Youra était Georges.

[31]) En vérité, les Mondo se firent arrêter le 1er juillet 1943, mais Hertz présenta à Youra d’autres preuves de la collaboration de Romanovicth.

[32]) Véritables paroles prononcées par Youra

[33]) Youra se cacha chez la nièce d’un résistant ecclésiastique avant son départ programmé vers l’Angleterre

[34]) On ne sait ni combien, ni quels noms ont donné Youra et Choura. Mais à la teneur de la lettre d’adieu de Choura, on peut imaginer que la torture ait eu raison de sa volonté.

[35]) Cette lettre, comme celle de Youra, fut remise en main propre à l’aumônier, le père Otto Gramann. Youra demanda au père de remettre ses lettres à Lilly Allègre, une amie non juive. Les parents de Lilly sauraient où se cachait Rachel pour lui faire parvenir les 2 lettres. Choura vit une dernière fois Willy dans sa cellule avant son exécution.

[36]) De Buchenwald, il fut ensuite affecté au camp annexe de Dora pour fabriquer des V2. Début avril 1945, il attrapa une pneumonie qui l’envoya à l’infirmerie d’Harzungen. Le passage par l’infirmerie vous condamnait à une mort certaine. Le lendemain de son arrivée à l’infirmerie, le 5 avril 1945, l’ordre d’évacuation du camp fut proclamé. Par chance, il échappa aux marches de la mort, et fut envoyé en train à Bergen-Belsen. Le 15 avril, le camp fut libéré. En 1949, Robert partit vivre au Congo. Il y planta 200 hectares de forêt en zone aride.

[37]) Richard Altenhoff, le quatrième membre qui ne participa pas à l’attaque et qui fournit le pistolet à Youra, fut dénoncé par le russe blanc, torturé à Breendonk, et fusillé un mois après Youra.


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