Le Bar A Bob
Ca va et ça vient, ça se salue, ça s’engueule, ça espère et ça désespère La vie, quoi! 12 personnages farfelus, déjantés et hauts en couleur.
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Un bistrot de quartier.
Bar et ses tabourets, sur le mur en arrière-plan des étagères avec des bouteilles et des verres .
Quelques tables et leurs chaises.
Gégé est affalé sur un tabouret devant un verre vide. Bob est derrière le bar.
GEGE (à BOB) : La même chose !
BOB (Torchon sur l’épaule) : Surement pas !
GEGE : Pourquoi ?
BOB : Je ferme.
GEGE : Menteur. Tu veux que je m’en aille, oui ! Si tu fermes à une heure pareille tu vas ruiner ta boîte !
BOB : C’est avec des clients comme toi que je la ruine, ma boîte !
GEGE : Ah ! Là tu me fais du mal Bob.
BOB : Toi c’est à mon chiffre d’affaires que tu fais du mal, Gégé !
GEGE (Insistant, tapant sur le comptoir) : La même chose !
BOB : Non
GEGE (Implorant) : S’il te plait, Bob.
BOB (Catégorique) : Non.
(Gégé a un geste de désespoir. Parait Madame LAGLU, balayant frénétiquement. Gégé la regarde, sidéré)
GEGE (A Bob) : Tu as engagé une femme de ménage ?
BOB : Non c’est la concierge du 12.
GEGE : Qu’est-ce qu’elle fout là ?
BOB : Du bénévolat.
GEGE : Ah je me disais aussi, radin comme tu l’es…
MADAME LAGLU (Concentrée sur son travail de balayage) : Il faut pas que je pense. Il faut surtout pas que je pense. Il faut que je me concentre sur mon activité présente. (Elle donne des coups de balai rageurs un peu dans tous les sens) Que je chasse de ma tête cette image ! Que je fasse comme si je savais pas du tout qu’ils sont réunis en ce moment, ces cons !
(Elle arrive à côté de Gégé et donne de furieux coups de balai dans le tabouret qu’il occupe)
BOB (A Gégé) : Surtout ne lui dis rien sinon tu es foutu. Le mieux c’est de l’ignorer, comme moi.
GEGE : Je me fous de ta femme de ménage. J’ai besoin d’un autre verre.
BOB : Je t’ai dit non.
GEGE : Merde, mais Je suis en manque !
BOB : Résiste
GEGE : Impossible. Je ne me sens pas bien dans ma peau, j’en ai absolument besoin! (Silence de Bob. Gégé rêvasse un peu puis…) Forcément toi tu ne sais pas ce que c’est que le mal-être. Tu mènes une petite vie sans problèmes, sans te poser de questions du genre « Qui on est ? D’où on vient et où on va ? ». Je n’ai pas raison Bob ?
(Bob fait la sourde oreille)
GEGE : Ok. Tu t’en fous, du moment que tu dors que tu bouffes et que tu comptes tes sous le soir. Tu es là comme un réverbère toujours planté derrière ton bar à regarder prospérer ton fonds de commerce…
BOB (Les yeux au ciel) : Oh ! « Prospérer », comme tu y vas !
GEGE : …sans avoir à lever le petit doigt ni à te trifouiller le cerveau pour comprendre le Monde. En plus tu as une petite femme qui t’aime et te dorlote.
(Bob lève encore une fois les yeux au ciel)
GEGE : Moi je n’ai rien ni personne. Que moi. Alors je bois pour m’oublier. Toi tu es un homme heureux.
BOB : Qu’est-ce que tu en sais ?
GEGE : Ça se voit.
BOB : Ne te fies pas aux apparences.
GEGE : Je ne me fie pas je constate, et je t’envie.
BOB : Tu ne devrais pas.
GEGE : N’essaye pas de m’influencer dans mes analyses.
BOB (Pensif) : Si tu savais…
GEGE : Ni de me faire douter de mes convictions profondes. Si toi tu n’es pas un homme heureux alors qui l’est, heureux ?
(Silence de Bob)
GEGE (Déterminé) : Je te préviens je ne sortirai d’ici que lorsque je serai complètement bourré alors tu as intérêt à accélérer les choses.
BOB : Bourré ? Mais comment ? Tu ne bois que de l’eau !
GEGE : Evidemment. Je ne peux pas faire autrement, dès que j’avale un autre liquide, quel qu’il soit, je fais un malaise.
BOB (Les yeux au ciel) : On croit rêver !
GEGE : Je vais bien y arriver, à force d’insister, à faire un coma éthylique, merde alors ! Dix litres d’eau par jour ça va fatalement finir par agir.
BOB : En tout cas ça va te faire pisser.
GEGE : Bien sûr. Mais ça c’est un détail. Que j’assume.
(Madame LAGLU rapplique, balayant)
BOB : Surtout ne la regarde pas non plus ! Elle cherche une proie et quand elle l’aura trouvée, si ça tombe sur toi, elle va t’entretenir d’un tas de trucs dont tu te fous et tu ne pourras plus t’en décoller. D’ailleurs elle s’appelle LAGLU.
(Madame LAGLU s’arrête et regarde Gégé)
BOB : Fais comme si de rien n’était. Qu’est-ce que tu me disais ?
GEGE : Je veux absolument être saoul au moins une fois dans ma vie, pour voir si c’est vrai ce qu’on dit. Pour voir si je peux oublier.
BOB : Oublier quoi ?
GEGE : Tout ! Ne serait-ce que pour un moment.
BOB : Alors change de méthode Gégé. Prends le métro.
GEGE : Le métro ?
BOB : Oui. Mais tu sautes dedans avant qu’il arrive ! Comme ça tu oublies tout d’un seul coup ! Toi, et le reste ! Et tes vœux sont exaucés.
GEGE : Et si j’en sors infirme ?
BOB : Tu auras de la rééducation pour un bon bout de temps. Ça t’occupera et tu penseras à autre chose.
GEGE : C’est ça, dis-moi que je suis un oisif.
BOB : Je ne dis rien, je ne connais pas ta vie. Mais tu es toujours fourré ici. Rivé sur ce tabouret. A réfléchir à je ne sais quoi. Et surtout à augmenter dans des proportions pas possibles la consommation d’eau de mon « fonds de commerce » comme tu dis.
GEGE : J’ai soif.
BOB : Tu me saoules !
GEGE : Salaud, tu fais de la provoc en plus.
BOB (Un peu gêné quand même) : Non je t’assure c’est sorti tout seul, je ne l’ai pas fait exprès!
GEGE : Ok Bob. Je me barre, comme ça tu pourras dessaouler !
BOB : Merci. Mais pour le métro attends peut-être encore un peu.
GEGE : Je vais réfléchir.
BOB : Voilà. Prends ton temps. Je ne voudrais pas être responsable…
GEGE : D’un tuc que j’aurais fait sur ton conseil et que je regretterai amèrement après, mais trop tard, c’est ça ?
BOB : Oui. Sans compter le bordel que ça foutrait sur la ligne si tu décidais de faire ça à une heure de pointe.
GEGE : Exact. Je vais peser le pour et le contre. Salut quand même!
BOB : Salut ! Et je te préviens, la prochaine fois je te les facture !
GEGE : Quoi donc ?
BOB : Tes verres d’eau.
(Madame LAGLU se plante et regarde le public)
GEGE (A Bob) : Boîte-à-fric !
(Gégé sort)
BOB (A lui-même) : Le métro. Bah, pourquoi pas finalement ? Quand on veut tout oublier tant qu’à faire il vaut mieux employer les grands moyens, non ?
(Bob s’active derrière le bar, essuyant des verres , etc… Madame LAGLU s’est avancée et s’adresse au public, appuyée sur son balai)
MADAME LAGLU : Deux heures qu’ils sont enfermés dans la salle à manger de la pimbèche du premier étage gauche. Deux heures, vous vous rendez-compte? Deux heures pour décider d’un seul truc : Est-ce qu’ils vont me remplacer ou non par un interphone ! Et ça je ne peux pas supporter l’idée. Ça me hérisse à un point, vous pouvez pas imaginer, alors il faut que je m’occupe coute que coute. C’est pour ça que je viens balayer gratuitement ces locaux. Je ne peux pas rester dans l’immeuble. Il faut que je voie d’autres murs et d’autres cons… Enfin, pas vous ! (Et elle poursuit) Ça fait des années qu’ils hésitent sur la décision qu’ils vont prendre, les copropriétaires. Deux heures et dix belles têtes de glands. Enfin non, j’exagère : neuf ! Parce qu’il y en a un dans le tas -ou une- qui s’oppose à cette décision depuis le temps que ça les démange. Et ça les bloque. Mais qui ? Je n’en sais rien. J’ai jamais pu savoir. C’est l’omerta. Alors j’enquête. Comme un flic.
(Elle se remet à balayer. Entre Chloé. A partir de ce moment tous les personnages sauf Claudette quand elle sera prise à partie et Iris dans les dernières scènes vont ignorer Madame LAGLU)
CHLOE (à Bob) : Je viens de croiser Gégé. Il est bourré ou quoi ?
BOB : Même pas mais il en rêve. Qu’est-ce que je te sers ?
CHLOE (le dévorant des yeux) : Toi !
BOB : C’est une idée fixe ?
CHLOE : Oui, il n’y a pas plus fixe, Bob. Et tu sais parfaitement que je t’aurai un jour.
BOB : On en reparlera.
CHLOE : A moins que tu ne craques avant qu’on en reparle !
MADAME LAGLU ( Se plantant à nouveau face au public) : Un interphone, pfft, ça tombe toujours en panne ces machins-là ! Et moi jamais !
(Elle s’éloigne, et recommence à balayer avec fureur)
BOB (A Chloé) : A part ça, qu’est-ce que tu bois ?
CHLOE : Comme d’habitude ! Et tu rajouteras ça sur mon ardoise.
BOB (Tiquant) : Ce n’est plus une ardoise à force c’est carrément une page d’annuaire.
CHLOE : Je t’ai toujours payé, non ?
BOB : Oui, tous les six mois, et encore !
CHLOE : Qu’est-ce que c’est six mois dans une vie !
BOB : Rien. Mais pour un expert-comptable c’est la moitié d’un exercice !
CHLOE : Quel rapiat !
MADAME LAGLU (Face au public) : Sans compter que j’irai où , moi, si je dois quitter cet immeuble que je maintiens propre depuis tellement longtemps qu’on peut pas compter les années ?
(Elle se remet à balayer puis disparait. Bob a servi Chloé)
CHLOE : Merci. Je ne te plais pas ?
BOB : Je suis marié.
CHLOE : Ça ne devrait pas t’empêcher de succomber à mon charme.
BOB : Il faut croire que si.
CHLOE : Surtout quand on connait ta femme.
BOB : Ne dis pas du mal de Madeleine.
CHLOE : Difficile d’en dire du bien.
BOB : Alors tais-toi.
CHLOE : Encore plus difficile, Bob. Je n’ai jamais compris ce que tu foutais avec cette virago.
BOB : Ne cherche pas à comprendre.
CHLOE : Si, justement. Je veux comprendre. Tu l’as aimée ?
BOB : Ça ne te regarde pas.
CHLOE : En tout cas ça me dépasse. Entre elle et moi y’ a pas photo. (Elle lui dit sous le nez se penchant au-dessus du comptoir) Je suis une romantique, moi. Un mot de toi et je te le prouve sur le champ. Je t’envoie au septième ciel et tu te mords les doigts d’avoir perdu tout ce temps à tergiverser. (Elle écarte subitement son visage de celui de Bob) Ah ! C’est terrible, dès que je m’approche de toi j’ai des frissons partout. Et toi ?
(Bruit de klaxon)
BOB (Soulagé de ne pas avoir à répondre) : Excuse-moi Chloé j’ai une livraison !
CHLOE : Tu t’en sors bien encore une fois mais c’est reculé pour mieux sauter. Tu finiras dans mon lit, Bob !
(Bob sort. Entre Sylvette, visiblement sur une autre planète, déclamant)
SYLVETTE : Un jour mon prince viendra et il me trouvera
Enamourée et prête à tomber dans ses bras !
CHLOE : Allons bon voilà Victor Hugo ! Salut Sylvette !
SYLVETTE : Et je serai à lui, pâmée sur le tapis
Sans retenue aucune, sans pudeur mais tant pis !
(Elle change de ton)
SYLVETTE : Bonjour Chloé.
CHLOE : Tu ne l’as toujours pas trouvé ?
SYLVETTE (Encore un peu dans les nuage) : Qui ça ?
CHLOE : Ton prince charmant.
SYLVETTE : Non. Mais il va venir. Il est fatalement quelque part. Il faut que le destin s’en mêle.
CHLOE (Regardant Sylvette, atterrée) : Il faudrait qu’il se dépêche !
SYLVETTE : Mon prince charmant ou le destin ?
CHLOE : Les deux. Enfin surtout ton prince charmant parce que le destin pour l’instant c’est plutôt les pinceaux qu’il s’emmêle !
SYLVETTE : Tu n’es pas drôle.
CHLOE : Excuse-moi.
SYLVETTE (tristement) : Je ne sais vraiment plus où chercher. J’ai passé en revue un par un, et à la loupe, mes collègues, mes voisins et tous les commerçants de mon quartier, il ne fait pas partie du lot.
CHLOE : Ne cherche plus et tu le trouveras.
SYLVETTE : Tu crois ?
CHLOE : Evidemment.
SYVETTE : Tu ne cherches plus, toi ?
CHLOE : Moi je l’ai trouvé.
SYLVETTE : Tu as de la chance.
CHLOE (Souligne) : Mais il n’est pas libre.
SYLVETTE : Ah ! Non ! Tu ne vas pas remettre ça avec Bob !
CHLOE : Je n’y peux rien. C’ est l’homme de ma vie.
SYLVETTE : Et les autres ?
CHLOE : Ce ne sont que des amuse-bouche, le plat principal c’est mon Bob.
SYLVETTE : Alors méfies-toi, Chloé, si tu te gaves à l’apéro tu n’auras plus faim quand il sera l’heure de passer à table !
CHLOE : Tu ne peux pas comprendre, j’ai des besoins moi !
SYLVETTE : Moi aussi mais ils sont en « pause ».
CHLOE : C’est très mauvais, lâche-leur la bride !
SYLVETTE : Impossible, mon cœur fait barrage !
CHLOE : Quel con !
SYLVETTE : Ah ! Ne dis pas ça ! Je suis totalement solidaire avec lui.
CHLOE : C’est idiot.
SYLVETTE : Mais pourquoi ? Au contraire je trouve ça très beau !
CHLOE : C’est très beau mais c’est idiot. Contrairement à moi tu seras affamée quand vos chemins vont se croiser…
SYLVETTE : Ça c’est sûr, j’aurai la dalle !
CHLOE : … et tu te jetteras sur ce malheureux sans aucune retenue pour le déchiqueter sauvagement, comme une hyène sur un phacochère! Si tu as encore tes dents, bien sûr. Charmant tableau !
SYLVETTE : Ah ! Tais-toi ! Tu me fous le bourdon ! Laisse-moi encore mes illusions.
CHLOE : Comme tu voudras. Mais je t’aurais prévenue.
(Sylvette hausse les épaules et se met à déclamer, comme illuminée à nouveau)
SYLVETTE : Un jour il entrera ici et il saura
Sans hésiter que je suis celle qu’il lui fallait
Et d’une voix de stentor il me criera « Hourra » !
Et dira sur le champ aux autres « Du balai » !
CHLOE (Presque à elle-même) : Non, je m’étais plantée, ce n’est pas Victor Hugo !
SYLVETTE : Qu’est-ce que tu dis ?
CHLOE : Rien, c’était une réflexion interne. Mais je te réitère la proposition que je t’ai déjà faite mille fois. Si tu veux je fais le tri pour toi. Je finirai bien par te le dénicher, l’homme de ta vie. Je fais passer plein d’auditions.
SYLVETTE : Ah ça non ! Je sais parfaitement en quoi elles consistent tes auditions, espèce de nymphomane ! Pas question que je finisse tes restes !
CHLOE : Tu as tort. Je laisse de beaux restes derrière moi de temps en temps !
SYLVETTE : Mais moi je veux du neuf, presque du nouveau-né
En tout cas surtout pas du reconditionné !
CHLOE (Presque à elle-même encore) : Ça va être dur ! (Elle lève son verre) A la tienne !
SYLVETTE : Je n’ai rien à boire.
CHLOE : C’est provisoire. Je vais te mitonner un élixir d’amour ! (Elle réalise) Merde, je viens de faire un alexandrin !
SYLVETTE : Qu’est-ce que tu dis ?
CHLOE : Rien. Encore une réflexion interne.
(Chloé s’active derrière le bar. Sylvette s’est installée à une table plongée dans ses pensées. Madame Laglu réapparait toujours balai en main)
MADAME LAGLU (Au public) : Ben oui, j’irais où si je dois partir d’ici ? Il faudra que je déguerpisse, mais pour les déplacer dans quel endroit, mes bagages, je vous le demande ? J’ai pas d’économies moi. Tout mon argent -et j’en ai pas vraiment des masses- je le donne à Lucky. Il en fait ce qu’il veut, il le dilapide au PMU du coin, et moi je le laisse faire parce que je l’aime encore, malgré tout ce qu’il me fait subir depuis qu’on est ensemble. Je ne comprends pas bien pourquoi mais je l’aime encore ! C’est un mystère. Et moi les mystères je cherche pas à les élucider parce que si on les décortique on s’aperçoit au final que c’était pas vraiment des mystères. Et on est déçu. Et moi je veux pas du tout qu’il me déçoive mon Lucky ! Ça m’effondrerait la vie !
(Elle se remet à balayer et disparait. Entre Gégé, suivi de Bob qui porte une caisse de bouteilles qu’il va déposer derrière le bar)
BOB (Derrière Gégé) : Où vas-tu ?
GEGE : Pisser.
BOB : Je m’en doutais! Tu sais, à force je vais te faire payer un euro à chaque fois que tu utiliseras mes toilettes !
GEGE : Excuse-moi il y a urgence, et il n’y a pas plus près dans le coin.
BOB (sous son nez) : Et en face ?
GEGE : En face je n’ai pas droit à une goutte de flotte, même en la payant! Alors j’évite.
BOB (pensif) : Je suis trop bon !
GEGE (continuant sur sa lancée) : Je ne vais tout de même pas me soulager contre un arbre, comme un clebs !
BOB : Pourquoi pas ? Les toilettes de mon « fonds de commerce » sont exclusivement réservées aux consommateurs !
GEGE : Mais tu refuses de me servir !
BOB : Tu n’as qu’à commander du whisky !
GEGE : Pour finir aux urgences, sûrement pas !
(Gégé disparait, commençant à se déboutonner)
BOB (A Chloé, sur un ton désagréable) : Qu’est-ce que tu fous derrière mon bar, toi ?
CHLOE : Je répète.
BOB : Tu répètes ?
CHLOE : Oui pour quand on sera ensemble.
BOB (Haussant les épaules) : N’importe quoi ! Je vais chercher du pain, je n’en ai plus pour les sandwiches !
(Il sort. Entre Fred en fauteuil roulant, poussé par Tino)
FRED (Comme sur un char de carnaval) : Salut tout le monde !
TINO (Râlant) : Il faudra dire au patron qu’il fasse installer une rampe ! Son établissement n’est pas aux normes. Je vais me briser les reins à force !
FRED : C’est vous qui n’êtes pas aux normes Tino ! Une petite marche de rien du tout ça ne devrait pas être un obstacle insurmontable quand on a choisi un métier comme le vôtre! (Il a un grand geste emphatique) « Aide à la personne » !
TINO : Tout de même vous n’êtes pas un poids plume !
FRED : C’est ça dites-moi que je suis gros !
TINO : Je n’ai pas dit ça !
CHLOE : Je suis témoin, il a dit « Poids plume » et rien d’autre ! Un petit blanc sec comme d’habitude ?
FRED : C’est vous la patronne maintenant ?
CHLOE : Quasiment.
FRED : J’ai dû sauter des épisodes.
CHLOE : Et votre esclave qu’est-ce qu’il boit ?
FRED (Catégorique) : Il n’a pas soif !
TINO (Voulant protester) : Mais, c’est-à-dire…
FRED : Pas de discussion. Vous vous hydraterez à la maison, Tino. Je n’ai pas pris suffisamment d’argent sur moi !
(Le portable de Chloé émet une alarme)
CHLOE : Oh ! Putain j’allais oublier, j’ai rendez-vous dans cinq minutes ! (À Sylvette avec un clin d’œil) Un petit apéro vite-fait ! Heureusement que j’ai programmé un pense-bête. (À Fred, le lui donnant) Votre blanc sec !
FRED : Merci.
CHLOE : Je file. J’espère qu’il n’est pas trop ringard celui-là. Je vous raconterai.
FRED : Si vous voulez, mais on s’en fout !
(Elle sort. Gégé apparait, réajustant son pantalon)
GEGE : Ah! Ça fait du bien de se soulager ! Au revoir messieurs-dames.
(Il sort)
TINO : Je prends la place ! Je ne tiens plus.
(TINO disparait. Aussitôt FRED se lève et vient au bar)
FRED (A Sylvette qui le regarde, étonnée) : C’est excellent de temps en temps de se dégourdir les jambes !
MADAME LAGLU (Traverse la scène en balayant) : En fait cette histoire d’interphone je crois bien que c’est un prétexte. Uniquement pour chasser Lucky. Donc moi aussi puisqu’on est deux inséparables lui et moi! (Elle regarde le public) Lucky c’est un vicieux, il les nargue. Il va uriner dans la cour, exprès, ou dans le hall d’entrée tout propre. Ou même dans l’ascenseur, des fois. Mais j’ai beau lui faire des remarques… il peut pas s’en empêcher.
(Elle disparait en balayant)
SYLVETTE (Qui n’avait pas bougé, plongée dans ses pensées) : Alors il vient oui ou non, mon élixir d’amour ?
FRED : Il était commandé ?
SYLVETTE : Non. C’est Chloé qui me l’a proposé.
FRED : Dans ce cas vous pouvez faire une croix dessus.
SYLVETTE : Je ferai une croix et je vais de ce pas
Jusqu’au bout de la rue des fois que je le croise
Celui que j’aimerai jusque z’à mon trépas
Merci de dire à Bob que je n’ai pas d’ardoise !
(SYLVETTE sort. Entre le SDF)
LE SDF : Vous auriez pas une petite pièce ?
FRED : En tout cas pas en rab, j’ai mon verre à payer ! (Il réalise) Merde, je viens de faire un alexandrin !
LE SDF : Hein ?
FRED : Rien. C’était une réflexion interne.
LE SDF (Tendant la main) : Alors ?
FRED : Je vous dis que vous tombez mal, je n’ai pas suffisamment de liquide sur moi.
LE SDF (Marmonne) : A croire qu’il n’y a que moi qui en aie !
(Le SDF sort de la monnaie de sa poche. Surgit la femme de Bob qui se met à gueuler)
LA FEMME DE BOB : Où est Bob ?
FRED : Alors là aucune idée !
LA FEMME DE BOB : Et Chloé ?
FRED : Elle avait un rendez-vous !
LA FEMME DE BOB (furieuse) : Avec Bob ?
FRED : Alors ça je n’en sais rien, mais ce n’est pas impossible.
LE SDF (A la femme de Bob lui montrant ses pièces) : Y’a assez pour un verre de rouge ?
LA FEMME DE BOB (Catégorique, sans regarder) : Non !
LE SDF : Bah ! Tu n’as pas regardé poupée !
LA FEMME DE BOB : Je vous dis qu’il n’y a pas le compte ! Et ne m’appelez pas poupée !
FRED (A la femme de BOB) : Tenez, moi je vous paye mon petit blanc sec. Du coup je suis à sec aussi. Je n’ai plus un centime en poche. (Au SDF) Bravo, vous êtes plus riche que moi ! En tout cas provisoirement.
LE SDF (marmonne) : Pourtant un verre de vin ça m’aurait fait du bien.
(Entre Tino réajustant son pantalon)
TINO : Ah ! Ça va mieux ! (À Fred, stupéfait) Mais vous êtes debout !
FRED (Regardant ses pieds) : Tiens ? Oui. Ça doit être nerveux.
(FRED va se réinstaller dans son fauteuil)
LA FEMME DE BOB (Au SDF) : Bon vous sortez maintenant.
LE SDF : Pourtant un verre de vin…
TINO (A la femme de Bob) : Un verre de vin ce n’est pas grand-chose !
LA FEMME DE BOB : On voit bien que ce n’est pas vous qui faites les comptes !
TINO (Donnant de l’argent à la femme de Bob) : Tenez je le lui offre.
LE SDF (à Tino) : Merci Monsieur, je vous revaudrai ça !
FRED : Je me demande bien comment.
(Le SDF s’approche du bar. La femme de Bob a un geste de recul)
LA FEMME de BOB (A Tino) : Tant qu’à faire vous auriez pu aussi lui fournir le flacon d’eau de toilette !
(La femme de Bob sert un verre au SDF)
FRED (à Tino) : Allez ouste ! On s’en va Tino, une B.A. par jour ça suffit ! Et on fera des courses en route puisque vous avez de l’argent sur vous ! (A la Cantonnade) Salut la compagnie !
TINO (Avant de sortir) : Il faudrait peut-être dire à la direction pour la rampe…
FRED : On le lui dira. Poussez fort ! Vous savez bien que je suis lourd.
TINO : Je n’ai pas dit ça.
FRED : Non mais vous le pensez, ça revient au même !
TINO : Oui, peut-être.
(Ils disparaissent. Entre Charlotte, qui a l’air un peu perdue)
CHARLOTTE : Bonjour, excusez-moi je cherche la rue… (Elle regarde un bout de papier) La rue… Euh… Oh ! ce que c’est mal écrit… la rue Eugène LARUE…
LA FEMME DE BOB (Pas très aimable) : Le rue LARUE ?
CHARLOTTE : Voilà.
LA FEMME DE BOB (Même ton) : Je ne connais pas.
LE SDF (réfléchissant) : La rue LARUE ?
LA FEMME DE BOB : Vous devriez connaitre, vous !
LE SDF : Non, je vois pas !
LA FEMME DE BOB : Pourtant vous y êtes, à la rue !
CHARLOTTE (Pleine d’espoir) : Ah bon, ça n’est pas loin alors ?
LA FEMME DE BOB (Désignant le SDF) : Voyez ça avec ce monsieur !
MADAME LAGLU (traverse la scène avec son balai) : Bon, maintenant qu’ici c’est nickel-propre. Je vais balayer la chaussée !
(Elle disparait)
CHARLOTTE (S’approchant du SDF) : Vous pouvez peut-être m’aider…
(Charlotte a un mouvement de recul)
LA FEMME DE BOB : Ben oui. L’eau de toilette est en option !
LE SDF : La rue LARUE… non je vois pas !
CHARLOTTE (Désespérée) : Ça c’est embêtant alors ! J’ai un rendez-vous important et il est dans dix minutes ! Et j’ai beau la programmer sur mon téléphone je ne la trouve pas cette rue !
LA FEMME DE BOB (Toujours aussi aimable, à Charlotte) : Ne me regardez pas comme ça je ne suis pas un plan détaillé !
CHARLOTTE : Bon eh bien tant pis je vais continuer à chercher. (A la femme de Bob) Merci beaucoup Madame, vous êtes très aimable.
LA FEMME DE BOB (Sur un ton on ne peut plus désagréable) : Je sais, on me l’a déjà dit.
CHARLOTTE (Au SDF, en sortant) : Au revoir monsieur.
LE SDF (Marmonne) : La rue LARUE… Non, je ne vois pas !
(Entre BOB)
LA FEMME DE BOB (lui crie, mains sur les hanches) : Alors c’était bien ?
BOB : Hein ? Quoi donc ?
LA FEMME DE BOB : Avec cette putain de Chloé c’était bien ?
BOB : Mais qu’est-ce que tu racontes ?
LA FEMME DE BOB : Ne me prends pas pour une idiote. Elle avait un rendez-vous et comme par hasard toi tu disparais exactement au même moment !
BOB : Mais c’est juste une coïncidence… Je suis allé chercher du pain pour les sandwiches.
LA FEMME DE BOB : Une coïncidence, c’est ça ! Et il est où ton pain ?
BOB : Il est encore au four, il faudra que je repasse.
FEMME DE BOB : Tu mens comme tu respires mon pauvre Bob ! Je suis sûre que si on faisait une enquête un peu poussée on prouverait que ton téléphone et celui de Chloé ont borné au même moment, et dans le même lit !
BOB : Mais écoute ma chérie, je t’assure…
LA FEMME DE BOB : Ah surtout ne t’enlises pas dans tes explications douteuses, je n’en crois pas un mot. (Elle lui balance le torchon qu’elle avait sur l’épaule) Prends la relève je vais faire la sieste !
(Elle sort furieuse)
LE SDF (Marmonne) : La rue LARUE…
BOB : Qu’est-ce que vous faites là, vous ?
LE SDF (Levant son verre qu’il termine) : A ta santé patron !
BOB : Il ne faut pas rester ici… (Il s’approche de lui et a un mouvement de recul) Oh !
LE SDF : Je sais. J’y peux rien. Elle est en option.
BOB : Quoi donc ?
LE SDF : L’eau de toilette !
(Le SDF termine son verre et sort. Il croise CLARA qui joue les stars dans une tenue qui a été chic mais qui est un peu défraichie)
CLARA (Se retournant sur le SDF) : Mon Dieu mais quelle puanteur !
BOB (Acquiesçant) : Ah ça… ! Bonjour madame.
CLARA : Moi quand je jouais La Folle de Chaillot je portais du N°5 !
BOB : Non ?
CLARA : Bien sûr que si. Pourtant c’était une mise en scène on ne peut plus miserabiliste.
BOB : Ah c’était du théâtre ?
CLARA (Haussant les épaules) : Evidemment. Tous les personnages étaient des traine-savates et je croulais sous les haillons, mais chics les haillons, haute couture ! Ils avaient coûté un prix fou ! Il faut dire que c’était une grosse production ! Bonjour monsieur. Je viens d’emménager dans le quartier.
BOB : Ah très bien. Alors soyez la bienvenue !
CLARA : Merci. J’espère que je vais m’habituer.
BOB : Oh sûrement le quartier est très agréable.
CLARA : Mon appartement aussi. Bien qu’un peu grand pour une femme seule. Deux cent mètres carrés c’est de la folie mais j’ai eu un vrai coup de foudre ! Et je ne résiste pas aux coups de foudres. Deux cents mètres carrés vous vous rendez compte ?
BOB : Oui, je me rends compte.
CLARA : Je n’ai pas fini de chercher mon téléphone ! (Elle lui dit presqu’en confidence) Dites, vous êtes comme moi, vous l’avez vu, je ne rêve pas, il sort bien d’ici !
BOB : Mais qui ça ?
CLARA : Bah, le frère d’Aurélie !
BOB : Aurélie ?
CLARA : La folle !
BOB : Quelle folle ?
CLARA : De Chaillot !
BOB : De Chaillot ?
CLARA : Oui. Vous ne voyez pas ?
BOB : Non.
CLARA (énervée) : La comtesse !
BOB : Quelle comtesse ?
CLARA : De Giraudoux !
BOB : Giraudoux ??
CLARA : Celle qui prend des pots chez Francis !
BOB : Chez Francis ?
CLARA : Mais oui. Au pont de l’Alma !
BOB : Je ne connais pas ce Francis.
CLARA : OK. Pas de chance je suis tombée sur un inculte. Tant pis je vais rêver toute seule et dès demain je réapprends le rôle. C’est un signe. On va sûrement me le proposer ! Et Aurélie sera une véritable aristocrate cette fois-ci, dans des atours digne de son rang ! (A Bob) Un café s’il vous plait, que je me booste ! Bonjour Madame !
IRIS (Qui vient d’entrer) : Bonjour Clara.
CLARA (Ravie) Vous m’avez reconnue ? Vous m’avez déjà vue sur scène !
IRIS : Non. Je suis voyante, c’est tout.
CLARA : Ah ! Donc vous savez qui je suis ?
IRIS : Pas complètement. Je n’ai vu que votre prénom, pour l’instant.
CLARA : C’est déjà ça.
IRIS : Mais je peux approfondir !
CLARA : Avec plaisir. Vous êtes du quartier ?
IRIS : Pas du tout mais j’ai eu un flash.
CLARA (très mondaine) : Un flash ?
IRIS : Oui, comme un éclair dans ma tête. J’ai tout de suite su que dans ce coin il allait bientôt se produire un événement extraordinaire alors je tenais à être aux premières loges. C’est pour cette raison que je suis là. A l’affût comme un paparazzi !
CLARA (Dans un cri) : Oh ! Ne me parlez pas de paparazzis ! Ces gens-là m’ont gâché la vie !
IRIS : Excusez-moi.
CLARA (Après un temps, pensive) : C’est peut-être mon arrivée dans le quartier?
IRIS : Quoi donc ?
CLARA : Cet événement extraordinaire.
IRIS (catégorique) : Non.
CLARA (Vexée) : Mais pourquoi ?
IRIS : Je l’aurais su en vous voyant.
CLARA (dépitée) : Ah. Et vous êtes sûre qu’il va se passer ici un événement extraordinaire ?
IRIS : Certaine. C’est encore un peu flou mais ça va se préciser.
(Bob sert son café à Clara)
CLARA : Merci. (Elle le dévisage) Vous me faites penser à César !
BOB : L’empereur ?
CLARA : Non, celui du Bar de la Marine !
BOB : Ah bon. Connais pas. Il est du coin ?
CLARA : Laissez tomber ! (A Iris, lui tendant sa main) Alors voyons ça ! Dites-moi ce qui m’attend !
( Elles s’installent toutes les deux à une table. Iris va lui lire les lignes de la main, elles papotent en sourdine. Entre Madame LAGLU avec un pliant qu’elle installe face au public et sur lequel elle s’assoit. Elle a deux ou trois enveloppes dans les mains)
MADAME LAGLU (Au public) : Tout se perd ! Il y a encore quelques années je savais à peu près tout ce qui se passait dans l’immeuble grâce au courrier ! (Elle ouvre une enveloppe) Maintenant y’a plus rien ou presque. Tout m’échappe. (Elle recolle grossièrement l’enveloppe) Sauf les factures, et encore !
(Elle continue à ouvrir ses enveloppes. Entre Chloé)
CHLOE (Furieuse) : Un lapin, encore un lapin ! J’en ai marre de ces mammifères avec leurs oreilles à la con et leur petite queue ridicule !
BOB : Qu’est-ce que tu es allée raconter à Madeleine, toi ?
CHLOE : Mais rien du tout, qu’est-ce qui t’arrive ?
BOB : Tu lui as dit que tu avais rendez-vous avec moi !
CHLOE : Mais absolument pas, Bob, j’avais rendez-vous avec un lapin !
BOB : Un lapin ?
CHLOE : Oui. Un putain de salaud de lapin !
(La femme de Bob surgit, furieuse, mains sur les hanches)
LA FEMME DE BOB : Un lapin qui s’appelait Bob !
CHLOE : Mais non, mais pas du tout !
BOB : Tu vois je te l’ai dit ma chérie.
LA FEMME DE BOB ( Hurle) : Ah ! Ne m’appelle pas MA CHERIE !
CLARA (Se dresse, regardant la femme de Bob, et s’écrie) : Nom d’un chien, La Thénardier ! C’est un signe, c’est certain, je vais recevoir un texto, on va me demander de reprendre le rôle !
IRIS : Ah moi je n’ai pas vu ça du tout !
CLARA : Vous, vous ne voyez rien, Iris, malgré le prénom que vous portez ! Enfin rien de ce que je voudrais en tout cas !
IRIS : Oh ! Ça alors, c’est la première fois qu’on me dit ça !
LA FEMME DE BOB (Furieuse, à Bob): Je vais terminer ma sieste. On en reparlera ce soir !
(Elle disparait)
BOB (Soupirant à fendre l’âme) : Sacrée soirée en perspective ! (À Chloé) Tu veux reboire quelque chose ?
CHLOE : Tu sais parfaitement ce que je veux, mais ce n’est pas le moment que je réclame. Je reviendrai.
(Elle sort et croise Charlotte, toujours avec son bout de papier à la main)
CHARLOTTE : Décidément je ne la trouve pas !
BOB : Quoi donc ?
CHARLOTTE : La rue LARUE.
BOB (réfléchissant) : La rue LARUE… voyons… voyons… Non, je ne vois pas !
IRIS (Se dressant) : Moi je peux voir !
CHARLOTTE : Ah ! Ma sauveuse…
IRIS : Déjà je vois que vous vous prénommez Charlotte !
CHARLOTTE (Tout excitée) : Oui, oui ! Charlotte, c’est ça ! C’est formidable ! Et la rue ? (Elle lui montre son papier) LARUE c’est bien ce qui est écrit, non ?
IRIS : Larue… Larue… absolument. Attendez que je me concentre ! (Elle se concentre et s’écrie) Eugène Larue !
CHARLOTTE (Ravie) : Oui, c’est bien ça !
IRIS : Artiste peintre. 1812-1923. Premier prix du conservatoire de…
CHARLOTTE (La coupant) : Ne creusez pas, je suis pressée. Renseignez-moi !
IRIS : La rue LARUE… Eugène Larue…
CHARLOTTE (Trépignant) : Oui. Alors ?
IRIS : Je vois bien une petite artère qui porte ce nom-là mais elle est à trois-cents kilomètres !
CHARLOTTE : Alors non, c’est un peu loin. Elle devrait être aux alentours. Théoriquement.
IRIS : J’ai beau descendre en moi au maximum je n’en vois vraiment pas d’autre. Même et surtout aux alentours.
CHARLOTTE : Ça ne fait rien vous êtes malgré tout très aimable. (A Clara) Et vous madame vous ne sauriez pas…
CLARA (Désignant Iris, ironique) : Non. Même si je descends encore plus profond que madame !
CHARLOTTE : Bon. Je vais continuer à chercher. J’ai un rendez-vous important… j’ai déjà un peu de retard mais ça peut encore aller… Merci beaucoup de votre collaboration à tous !
(Elle sort les yeux fixés sur son papier)
CARLA (regardant Charlotte sortir) : J’ai joué une petite bonne idiote dans ma jeunesse, cette fille est exactement le personnage ! Quelle heure est-il ? Mon Dieu je suis très en retard, il y a une boite de casting un peu plus loin, je vais leur faire un petit coucou histoire de les agacer un chouia parce qu’ils ne m’engageront jamais, je suis beaucoup trop chère pour eux ! (A Bob) Je vous laisse l’argent sur la table, cher monsieur. Présentez mon bon souvenir à madame Thénardier !
BOB : Thénardier ? Pourquoi Thénardier ?
CLARA : C’est bien ce que je pensais, vous êtes inculte !
(Elle disparait)
MADAME LAGLU (Toujours vissée sur son pliant) : Je me fous complétement de savoir que le vieux garçon du cinquième n’a pas payé sa note de gaz ! (Elle jette ses enveloppes par terre) Je voudrais juste savoir qui c’est qui me défend dans l’immeuble ! C’est pas par curiosité c’est simplement pour remercier quand j’aurai percé le mystère!
(Elle se lève prend son pliant et disparait)
IRIS (A Bob) : Vous savez ce que je vois ?
BOB (Sonné) : Non. Sans doute parce que je suis inculte.
IRIS : Erreur, ça n’a strictement rien à voir avec votre niveau de culture générale. Je vois tout simplement que vous allez m’apporter une vodka sur le champ.
BOB : Ah bon ? Aucun problème alors. Une vodka, une !
(Il se dirige vers le Bar. Entre Gégé)
GEGE (A Iris) : Bonjour.
IRIS : Bonjour Gégé !
GEGE (Stupéfait) : On se connait ?
IRIS : Non mais j’ai vu votre prénom, enfin son diminutif, dès que vous êtes entré.
GEGE : Vous êtes voyante ?
IRIS : Oui mais comment savez-vous ça ?
GEGE : Une intuition.
IRIS : Quelle merveille ! On est un peu collègues alors ?
GEGE : Oh ! C’était juste une petite intuition.
IRIS : Tout de même, c’est mieux que rien. Moi je m’appelle Iris. Si on causait un peu entre gens du métier ?
GEGE : C’est-à-dire, je voudrais commander…
(Il a un regard vers le bar)
BOB (Lui crie) : Ce n’est pas la peine, Gégé, l’eau est coupée jusqu’à ce soir !
GEGE (A Iris) : Je n’en crois pas un mot mais tant pis. On me traite comme un moins que rien dans cet estaminet.
IRIS : Alors pourquoi y venez-vous ?
GEGE : Pour voir du monde. Causons !
IRIS : Causons.
GEGE : Mais de quoi ?
IRIS : De vous.
GEGE : Pas grand-chose à dire, alors.
IRIS : Bien sûr que si.
GEGE : Oh ! Non ! Je ne suis rien. Enfin, presque rien.
IRIS : En tout cas vous êtes verni.
GEGE (Etonné) : Moi ?
IRIS : Oui vous, Gégé.
GEGE : Mais comment ça ?
IRIS : Vous êtes drôle, ce n’est pas tous les jours qu’on hérite d’une grand-tante dont on ne connaissait même pas l’existence.
GEGE (Stupéfait) : Oh ! Je n’en crois pas mes oreilles! Vous êtes vraiment voyante, alors ?
BOB (Depuis son bar) : Une grand-tante ?! Mais quel scoop ! Tu es plein aux as alors, si je comprends bien ! Toutes mes félicitations Gégé !
GEGE : Plein aux as n’exagérons pas… Disons que je peux voir venir mais jusqu’à quand ça je ne sais pas ! Et je n’y suis strictement pour rien… En tout cas je ne vais plus pointer au chômage, c’est dommage ça m’occupait !
BOB : Tout de même quel cachotier !
GEGE (A Iris) : Merci pour la discrétion !
IRIS : Excusez-moi, quand je vois je dis, autrement ça reste en moi et j’ai peur d’exploser à force !
BOB : En tout cas ça s’arrose !
GEGE (étonné) : Tu m’offres un verre ?
BOB : Non c’est juste une expression en l’air. Et je te répète que l’eau est coupée.
GEGE : Pour moi, oui. J’avais compris.
BOB : Mais forcément ça va avoir des conséquences.
GEGE : Quoi donc ?
BOB : Ta nouvelle condition sociale.
GEGE : Lesquelles ?
BOB : Dès que l’eau sera rétablie le verre passera à deux euros.
GEGE : Deux euros ?
BOB : Oui deux euros.
GEGE : Pour un verre d’eau ?
BOB : Absolument. Ce sera à prendre ou à laisser.
GEGE : Ben merde alors ! Deux euros !
BOB : Une bagatelle pour un riche héritier comme toi.
IRIS (Un peu gênée) : Excusez-moi je n’aurais pas dû…
GEGE : C’est trop tard de toute façon, et ce rapiat va me rançonner mais je m’en fous. Causons, Iris.
(Ils se mettent à papoter en sourdine près du bar. Entre Fred poussant Tino sur le fauteuil roulant)
FRED : Cette andouille ne peut pas faire un pas sans trouver le moyen de se tordre la cheville !
TINO : Il ne fallait pas me demander de courir !
FRED : J’étais pressé !
TINO : Pas du tout, vous aviez sorti votre chronomètre c’était pour voir si j’arrivais à battre mon record !
FRED : Et alors ? J’aime avoir les cheveux au vent !
TINO : Résultat je n’ai pas vu ce trou dans la chaussée !
FRED : Vous êtes miro en plus ! Mon pauvre Tino vous avez tous les défauts ! Vous ne voyez jamais les trous. Un conseil : le jour où vous déciderez de vous mettre au sport évitez le golf ! (A Bob) Il a besoin d’un remontant.
BOB : Une petite poire ça devrait aller.
FRED : C’est ça, avec moi ça fera deux !
BOB : Vous en voulez une aussi ?
FRED : Je parlais de ma personne. Mais j’en boirai bien une quand même.
Vous ne comprenez jamais rien, Bob !
BOB : Décidément c’est ma journée !
(Retour sur Iris et Gégé)
GEGE (à IRIS, regardant son verre) : Qu’est-ce que vous buvez, Iris ? (Il est intrigué) On dirait de l’eau !
IRIS : Ah bah non, c’est de la vodka, Gégé. Vous auriez dû le deviner.
GEGE : Je n’en étais pas vraiment sûr. (Il se saisit du verre d’Iris) Je peux ? J’ai très soif et comme l’eau est coupée !
( Gégé trempe ses lèvres dans le verre d’Iris et pousse un cri)
GEGE : Oh Putain… qu’est-ce que c’est bon !
(Il termine le verre d’Iris)
GEGE (à Bob) : Une autre vodka, pour la dame !
BOB : Déjà ?
GEGE : Ben oui. Je suis un peu magicien j’ai fait disparaitre la sienne ! (A Iris) Permettez-moi de vous l’offrir !
IRIS : Ah ! Non Surtout pas !
GEGE : Bah si, c’est tout naturel, j’ai bu votre verre !
IRIS : Vous l’avez terminé, nuance, et je l’avais bien entamé. Pas question que j’en prenne un autre. Autrement je vais voir double !
GEGE : Eh bien vous n’aurez qu’à doubler vos tarifs !
IRIS : Pour perdre ma clientèle, sûrement pas ! Les gens sont tellement pingres !
BOB (Apportant le verre de vodka, à Iris) : Ce qui est commandé est commandé !
GEGE : Merci.
(Il en profite pour ramasser les enveloppes jetées au sol par madame Laglu)
FRED (à BOB) : Vous avez oublié les poires ?
BOB : Oh non ! Comment vous oublier messieurs !
(Il repasse derrière le bar. Parait madame Laglu)
MADAME LAGLU (Au public) : Ça y est ils ont ouvert la porte et je les ai vus sortir en rang d’oignon. J’ai pas eu besoin de tendre un micro pour interviewer. J’ai compris que l’interphone c’était pas encore pour demain. Ils faisaient tous de ces tronches ! Même la personne qui me défend, que je sais toujours pas qui c’est ! Ça me parait bizarre tout ça mais j’ai pas les moyens d’engager un détective privé. Bon je peux respirer maintenant. Et les récompenser un peu. Je vais aller astiquer la poignée de la porte d’entrée.
(Elle disparait)
GEGE (à IRIS désignant le verre de vodka) : Vous n’en voulez vraiment pas ?
IRIS : Vraiment pas.
GEGE : Bon, tant pis. Puisque c’est facturé il ne faut pas gâcher.
(Il avale le verre de vodka. Bob a servi les poires à Fred et à Tino)
TINO (Songeur, verre en main) : Je ne sais pas si c’est bien raisonnable.
FRED : On ne vous demande pas de raisonner ! Buvez, vous êtes tout pâle !
TINO : Tout de même ça doit être un peu fort !
FRED : Justement, c’est un test, et si vous le réussissez je vous change de carburant. On passe du Vittel à la poire pour accélérer la cadence !
TINO : Vous êtes un monstre.
FRED : Si vous le dites ! Mais je vous rémunère bien au-dessus du tarif officiel, j’ai des droits. Et c’est pour ça que vous restez !
TINO (Pensif) : Peut-être.
FRED (Catégorique) : Sûrement ! Et en plus vous êtes amoureux.
TINO : Moi ? Mais de qui ?
FRED : De moi.
TINO : Non mais ça ne va pas la tête ?
FRED : Ah voyez ! Vous ne dites pas non.
TINO : Mais si !
FRED : Mais non ! Vous tournez autour du pot. Vous n’acceptez pas l’évidence mais au fond de vous ça bouillonne et le feu c’est moi qui l’allume !
TINO : Mais non !
FRED : Mais si ! Et vous n’en êtes même pas conscient. C’est ça le syndrome de Stockholm !
TINO : OK. Je n’insiste pas. Vous vous débrouillez toujours pour avoir le dernier mot.
FRED : C’est normal, je suis le patron. (Il lève son verre) A vos amours !
(Fred avale son verre de poire. Gégé s’effondre)
IRIS : Mon Dieu, Gégé fait un malaise !
BOB (Se précipitant) : Ah Merde alors ! (A Fred) Vous voyez le résultat quand on change de carburant !
IRIS : Il faut appeler un médecin.
BOB : Inutile, l’hôpital est à côté !
FRED : Bon, Tino il faut vous lever !
TINO : Mais pourquoi ?
FRED : Parce que ce fauteuil désormais c’est une ambulance.
TINO : Mais pourquoi ?
FRED (lui crie) : Debout !
TINO : Mais ma cheville…
FRED : Et ne jouez pas les pleureuses ! Ce n’est pas mortel ce que vous avez, tandis que dans le cas de monsieur on peut en discuter !
(Tino s’est levé Bob installe Gégé sur le fauteuil)
GEGE (Qui a entendu Fred, ouvrant un œil) : Vous croyez que c’est discutable ?
FRED : En tout cas on en discutera. Vous ne serez peut-être plus là , mais nous si! (À Tino) Allez hop, vous me l’emmenez à l’hôpital !
TINO : Moi ? Mais pourquoi je le conduirais ?
FRED : Parce que je n’ai pas mon permis-fauteuil !
TINO : Mais pourtant vous m’avez poussé tout à l’heure !
FRED : C’était un cas de force majeure. Allez ouste on se dépêche !
TINO : Mais franchement avec ma cheville ça va être un peu compliqué.
FRED : Une ambulance ça peut très bien rouler avec un pneu crevé !
GEGE (Se dressant) : Crevé ? Vous avez dit crevé ?
FRED : Oui mais ce n’est pas bizarre, c’est réaliste et ce n’était pas pour vous ! Ne vous prenez pas pour une vedette parce que vous avez fait un malaise.
GEGE : Bon, d’accord, mais tout de même.
FRED (A Tino) : Vous perdez un temps fou, Tino. La vie de monsieur est en jeu ! Vous devriez déjà être aux urgences !
GEGE (réouvrant un œil) : La vie ?
FRED (A Gégé) : Bon ça va, arrêtez de vous mêler de tout, vous !
GEGE : D’accord. (Il replonge dans son coma éthylique)
(Tino est sorti en boitillant et en poussant le fauteuil sur lequel se trouve Gégé. Entre Clara)
CLARA (Superbe) : Qui a parlé de vedette ici ?
FRED : Moi. Pourquoi cette question idiote ?
CLARA : Je pensais qu’il s’agissait de moi.
FRED : Vous pensez mal. Aucune raison. Je ne sais même pas qui vous êtes ! Et ce n’est pas joli-joli d’écouter aux portes! (Il paye les poires puis) Bon ben je vais prendre un taxi. Et je retiendrai le prix de la course sur les gages de mon « aide à la personne » ! (A Clara) Bonjour madame. Au revoir madame.
(FRED sort)
CLARA (Vexée) : Au théâtre on dit « mademoiselle » !
IRIS : Mais là on est dans la vraie vie !
CLARA (A Iris) : De quoi je me mêle ? (A Bob) Ils m’ont déroulé le tapis rouge dans la boîte de casting, à côté, mais quand je leur ai annoncé mes tarifs ils ont carrément tourné de l’œil, bien entendu !
BOB: Eh ben! Elles vont être blindées les urgences !
IRIS : Ils n’ont pas déroulé de tapis ils vous ont tout simplement claqué la porte au nez !
CLARA : Mais comment vous savez ça ?
IRIS : Je l’ai vu. C’est mon boulot !
CLARA : Je vous interdis, Iris, de propager ce genre de fake-news ! Vous êtes une irresponsable !
IRIS : Si vous voulez. (À Bob) Je vous paie les deux vodkas.
BOB : Merci.
IRIS (A Clara, ironique) : Vous m’enverrez une invitations pour la générale !
(Elle sort)
BOB (à Clara) : Quelle générale ?
CLARA : Une amie à moi.
BOB : Ah bon.
CLARA (Entre ses dents) : Il faudrait tout lui apprendre à ce bistrotier !
(Entre le SDF, il est quelque peu transformé, il est vêtu d’un costume trop grand pour lui mais il est un peu moins sale)
LE SDF : Un verre de rouge vite-fait, patron, je suis en cale sèche. Et du bon !
BOB : Vous pouvez payer ?
LE SDF (Exhibant un billet) : Evidemment !
BOB : OK.
(Le SDF le paie et Bob lui sert un verre de vin)
CLARA : Mais d’où sortez-vous cet argent ?
LE SDF : On me l’a donné à côté.
CLARA : Donné ?
LE SDF : Oui, les gens du karting.
CLARA : Quel karting ? (A Bob) Il y a une piste de Karting dans le coin ?
BOB : Pas que je sache. Ou alors elle est clandestine.
LE SDF : Mais si, la boîte de karting un peu plus loin sur le boulevard !
CLARA : De Karting ?
(Parait Chloé)
CHLOE : Il veut dire la boîte de casting, je ne vois pas d’autre explication.
(Parait la femme de Bob)
LA FEMME DE BOB (à son mari) : Ma sieste est terminée, va préparer le diner et mettre la table pour ce soir. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que je vais avoir très faim.
BOB : OK chérie.
(Il sort)
LA FEMME DE BOB (A Chloé, provocatrice) : Ça m’énerve qu’il m’appelle chérie ! Et ça n’a strictement aucun sens parce qu’il le dit machinalement. Mais je sens effectivement que j’aurais très faim ce soir ! Il va falloir qu’il assure grave!
CHLOE : Vous me raconterez ça tous les deux.
LA FEMME DE BOB : Sûrement pas !
CLARA (Réalisant, stupéfaite) : La boîte de casting ?
LA FEMME DE BOB : Bien sûr, un peu plus loin sur le boulevard !
CLARA (Au SDF) : Mais qu’est-ce que vous êtes allé y faire ?
LE SDF : Rien. Je passais sur le trottoir et y’a un type qui m’a hélé !
CLARA : Hélé ?
LE SDF : Oui.
CHLOE (Imitant des battements d’aile) : Il devait chercher un ange.
LE SDF : Et il m’a dit « c’est vous que j’ veux » .
CHLOE : Bon sang ! Quelle chance ! A moi il y a longtemps qu’on ne m’a pas dit un truc pareil !
LE SDF : Alors il m’a prié d’entrer, il m’a donné un peu d’argent… et il m’a fait un beau cadeau.
CLARA (Stupéfaite) : Non ? Qu’est-ce qu’il vous a fait comme cadeau ? Ce costume ?
LE SDF : Oui mais c’est pas le principal.
CLARA : Ah bon ? Qu’est-ce que c’est le principal ?
LE SDF : Il m’a permis de prendre une douche.
CHLOE : Ça c’est ce qu’on appelle un cadeau utile !
LA FEMME DE BOB (Acerbe) : Et qu’on ne peut pas mettre en vente le lendemain sur internet comme le fait Bob à chaque fois que je lui achète une cravate !
(Entre madame LAGU, un chiffon à la main)
MADAME LAGLU (Au public) : Je viens vous tenir au courant parce que tout de même vous devez vous poser plein de questions à mon sujet et je vous ai laissés en plan. Mais je suis pas encore à la retraite, il faut que je bosse, que j’astique que je passe l’aspirateur dans les escaliers et du sent-bon dans tous les endroits où mon Lucky a uriné pour marquer son territoire. Je ne peux pas passer mon temps à vous tenir la jambe. Faut comprendre. Pourtant il s’est calmé on dirait. Il est tout guilleret mon Lucky. Si c’était un chien il remuerait la queue ! Il est soulagé de savoir qu’on n’est pas foutus dehors. Qu’on est encore là pour un an. Au moins ! Ce soir je lui ferai des crêpes pour fêter ça. Et on ouvrira du mousseux.
(Elle disparait)
CHLOE (Au SDF) : Et sans indiscrétion qu’est-ce que ça vous a fait comme sensation, de prendre une douche ?
LE SDF (Qui s’exprime très bien soudain, rêveur) : Ça m’a rappelé mon enfance et les jours heureux.
CLARA (Etonnée) : Tiens ! Vous avez eu des jours heureux ?
LE SDF : Oui. Comme tout le monde. Avant de basculer dans la déchéance.
CLARA : Ah ! Parce que vous avez basculé ?
LE SDF : Totalement. A cause d’une femme qui m’a ruiné avant de me briser le cœur.
CLARA : Moi aussi j’ai brisé des cœurs mais je n’ai jamais ruiné personne.
CHLOE : On s’en fout !
LE SDF (rêveur) : De l’eau qui vous coule tout partout, qui dégouline… qui se faufile dans tous les plis et les replis de votre corps…
CHLOE : Et qui vous mouille !
LE SDF : Voilà ! Quelle merveille !
CHLOE : Et ça vous rappelle votre enfance ?
LE SDF (Toujours un peu rêveur) : Oui. Quand ma grand-mère me savonnait comme une forcenée en me labourant le dos avec de la paille de fer dans une bassine au milieu de la cour de la ferme.
CLARA : C’est du Zola !
LE SDF (Poursuit sur le même ton) : Ma grand-mère avait une sainte horreur de la crasse. Toute la famille devait passer dans sa bassine avant de rentrer pour la soupe !
CLARA : Oups, si elle vous voyait aujourd’hui, elle en mourrait la pauvre femme !
LE SDF : C’est fait, et depuis longtemps !
CLARA : Désolée. Condoléances.
CHLOE : Eh ben on en apprend tous les jours. Il n’y a pas que les madeleines qui font émarger des souvenirs! Il y a aussi les pommes !
CLARA : Les pommes ?
CHLOE : De douche.
(Parait Bob)
BOB : De quoi vous parlez ?
LA FEMME DE BOB : Ça ne te regarde pas. Tu as mis la table ?
BOB : Oui mais justement je voulais te demander, pour le poulet…
LA FEMME DE BOB : On fera du lapin !
CHLOE : Merde ! J’en ai par-dessus la tête du lapin. J’espère que je ne serai pas invitée.
LA FEMME DE BOB : Ça ne risque pas.
BOB (qui va ressortir, à sa femme) : J’ai entendu parler de « Madeleine », alors comme c’est ton prénom je pensais qu’il s’agissait de toi !
CLARA (Pour elle-même, sidérée) : Son inculture est abyssale !
LA FEMME DE BOB (A son mari) : Depuis le temps que tu ne le prononces plus je croyais que tu l’avais oublié, mon prénom !
BOB : Bah, je t’appelle « chérie », ça compense !
LA FEMME DE BOB (Furieuse) : « Chérie » ! Tst ! Il y a belle lurette que ce n’est plus une déclaration dans ta bouche, c’est un tic !
BOB : Mais non.
LA FEMME DE BOB : Mais si. (Elle lui crie) Et puis de toute façon « chérie » ce n’est pas mon prénom ! Et je t’interdis d’écouter aux portes !
BOB : Décidemment je fais tout mal !
CHLOE (Presque pour elle-même) : Tout ? Il faudrait vérifier quand même !
(BOB est sorti)
CLARA (Au SDF) : Et à part la douche qu’est-ce qui s’est passé au karting ?
LE SDF : Rien. J’ai rendez-vous demain pour un bout d’essai.
CLARA : Non mais je rêve, là !
LE SDF (Reprenant son parler de SDF, forçant presque le ton) : Un bout de quoi je ne sais pas, mais comme j’ai toujours la dalle je vais pas cracher dessus, hein ?
CLARA (Décidée) : J’y retourne de ce pas !
LA FEMME DE BOB : Vous ne buvez rien ?
CLARA : Non. Il y a urgence. Moi aussi je suis tout à fait capable de jouer un rôle de crève-la-faim, merde alors ! Quitte à baisser mes prix. Je n’aime pas qu’on me pique mes emplois !
(Elle sort)
LE SDF (à Chloé s’exprimant à nouveau très bien) : C’est un choix délibéré vous savez !
CHLOE : Quoi donc ?
LE SDF (se désignant d’un geste vague) : Cette marginalisation de ma part !
CHLOE : Ah bon ?
LE SDF : C’est pour elle que j’ai fait ça. Pour elle que j’ai tout plaqué. Pour elle que je vis de mendicité pour elle que je me complais dans ce rôle de paumé…
CHLOE : Cette femme qui vous a brisé le cœur ?
LE SDF : Parfaitement. C’est pour elle. Je voudrais tellement qu’elle me croise un jour et qu’elle soit rongée de remords, qu’elle s’apitoie sur mon sort.
CHLOE : Et vous croyez qu’elle vous reviendra ?
LE SDF : Aucune idée. De toutes façons depuis le temps je ne l’ai toujours pas croisée.
( Entre Charlotte claudiquant, toujours son papier à la main)
CHARLOTTE : Pourtant c’est bien écrit LARUE… Je vais, je viens je tourne et je retourne, j‘ai les pieds en compote à force et je ne la trouve pas…
CHLOE : Mais quoi ?
CHARLOTTE : La rue !
CHLOE : Quelle rue ?
CHARLOTTE : LARUE.
CHLOE : Oui, mais quelle rue ?
LA FEMME DE BOB : La rue LARUE ! Il y a des trucs qui fonctionnent et d’autres qui sont plutôt un peu endommagés chez toi, ma petite Chloé !
(Elle porte le doigt à sa tempe)
CHLOE : Bah je ne suis pas un plan détaillé !
LA FEMME DE BOB : Et ne me pique pas mes expressions, en plus !
CHLOE : Quelles expressions ?
LA FEMME DE BOB : Je me comprends.
CHLOE : Moi pas, et je vous prie de m’en excuser madame « BOB ». !
LA FEMME DE BOB : Et ne m’appelle pas « madame BOB » !
CHLOE : Ah Bon ? Quelle bonne nouvelle ! Si la place est libre alors je postule !
LA FEMME DE BOB (Vient lui dire sous le nez) : Ta gueule !
CHLOE (Refroidie, pensive, se rétractant) : Ou pas.
(Charlotte se dirige vers le SDF qui sirote son verre de vin)
CHARLOTTE : Vous pourriez peut-être m’aider monsieur, je cherche la rue…
LE SDF (Rejouant les vrais SDF) : Je t’ai déjà aidée poupée mais ça t’a pas rendu service. Alors inutile de me déranger encore surtout quand je suis en train de savourer. (Il lève son verre en direction de la femme de BOB) Il est top le vin du patron !
CHLOE (Rêveuse) : Le patron aussi peut-être.
LA FEMME DE BOB : Qu’est-ce que tu as dit, là ?
CHLOE : Rien. C’était une réflexion interne.
LA FEMME DE BOB : Bon. Je préfère que ça reste interne autrement je te défigure !
(Entre SYLVETTE déclamant)
SYLVETTE : J’ai beau fouiner partout, aller-venir et plus
Fouiller dans les poubelles, retourner les jardins
Chercher le moindre indice, jusque dans l’autobus,
Où est donc le garçon qui voudra de ma main ?
CHLOE : Tu devrais aller voir dans la rue LARUE, Rimbaud !
SYLVETTE : La rue LARUE c’est où ?
CHARLOTTE (Fonçant vers elle) : Ah ! Justement ! Vous la cherchez ?
SYLVETTE : Ben c’est-à-dire… on ne sait jamais !
CHARLOTTE : Venez on va la chercher ensemble, j’en ai par-dessus la tête d’arpenter les trottoirs de ce quartier sans personne à qui parler!
SYLVETTE : Mais avec plaisir. Allons-y !
(Elles sortent)
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LA FEMME DE BOB (à Chloé) : Qu’est-ce que tu fais encore là, toi ? Tu n’as pas de rendez-vous sur ton carnet de bal ?
CHLOE (Sinistre) : Aucun.
LA FEMME DE BOB : Alors sors un peu, va faire le trottoir histoire de ne pas perdre la main. Et quand je dis la main…
CHLOE (Sous son nez furieuse) : La main aussi ça peut servir !
LA FEMME DE BOB : Je sais. Tu veux que je te le prouve ?
(Elle lève sa main menaçante)
CHLOE : Non, c’est bon. (Elle sort en marmonnant) Pour qu’ elle le défende à ce point je suis sûre que c’est un bon coup !
(Entre madame LAGLU, inquiète)
MADAME LAGLU (Au public) : Je ne sais pas où il est passé. D’habitude il est écrasé comme un caillou sur le canapé devant la télé et là y’a plus que la télé qui cause dans le vide ! Je suis bouleversée de partout. D’habitude il me dit quand il sort, d’autant plus qu’il ne sort jamais. Mais là alors je comprends pas ! Il ne serait tout de même pas allé faire ses besoins sur le palier du huitième ? Je devrais monter voir, mais non. L’ascenseur n’en fait qu’à sa tête en ce moment ! Je n’ai pas du tout envie de rester coincée entre deux étages. Surtout que c’est moi qu’on appelle dans ce cas-là et que moi je serais justement coincée dans l ’ascenseur, alors même si je m’appelais moi-même je ne pourrais pas venir à mon secours. Et je resterais bloquée entre deux étages jusqu’à je ne sais quand. Je vais encore chercher. Je vais bien le trouver à force. Je vous tiens au courant !
(Madame Laglu sort. Entre Gégé poussant Tino dans le fauteuil roulant)
LA FEMME DE BOB (A Gégé) : Ah ! Eh bien ça va mieux on dirait, Gégé !
GEGE : Beaucoup mieux. J’ai dessoûlé. Et je me rends utile. C’est bizarre ça me fait un bien fou. Allez donc savoir pourquoi ? (Il réalise soudain) Mais comment savez-vous ce qui s’est passé vous n’étiez pas là tout à l’heure ?
LA FEMME DE BOB : Rien ne m’échappe. J’ai fait installer des caméras pour surveiller mon mari !
GEGE : Non ?
LA FEMME DE BOB : Si ! Mais ne le dites à personne autrement je vous dénonce.
GEGE : A qui ?
LA FEMME DE BOB : Je ne sais pas mais je vous dénonce !
GEGE : OK.
TINO : Ma cheville a encore enflé !
GEGE (A la femme de Bob) : C’est vrai c’est spectaculaire, il commence à avoir du mal à se déplacer c’est pour ça que je lui ai proposé de prendre le volant.
TINO : Où est passé mon employeur ?
LA FEMME DE BOB : Je n’en ai aucune idée je n’étais pas là quand il est sorti.
TINO : Mais vous avez des caméras !
LA FEMME DE BOB : Peut-être mais je ne suis pas un indic !
GEGE : Bon je vous laisse. J’ai constaté que même bourré je ne pouvais pas oublier !
TINO : Oublier quoi ?
GEGE : Tout. Et en premier lieu ma grand-tante qui s’est éteinte dans des souffrances épouvantables.
TINO : Votre grand-tante ?
GEGE : Parfaitement. Cette femme me hante et j’ai mauvaise conscience dès que je dépense un centime. J’ai l’impression de la ruiner. Alors ça, ajouté au reste…
TINO : Je ne comprends pas.
GEGE : Vous ne pouvez pas. (Et il ajoute sur un ton plus que décidé, presque solennel) Ma décision est prise : Je vais prendre le métro.
LA FEMME DE BOB : Il est en grève.
GEGE : Encore ? Ah merde ! Tant pis je trouverai autre chose.
FRED (Qui entre) : Prenez mon taxi, mais je vous préviens, le chauffeur conduit comme un cinglé ! J’ai cru que j’allais mourir à chaque fois qu’il négociait un virage !
GEGE : Oh ! Merci ! C’est une excellente idée ! (Il s’écrie) Hep ! Taxi ! Attendez-moi !
(Il sort. Fred vient près du fauteuil roulant)
FRED (A Tino) : Debout !
TINO : Mais pourquoi ? Et ma cheville !
FRED (Catégorique) : Elle est guérie !
TINO : Mais non. Elle est encore plus enflée que tout à l’heure ! Comment savez-vous ça d’abord !
FRED : Parce que c’est moi qui vous emploie et que je vous connais bien, a force ! Debout ! Moi je ne tiens plus sur mes jambes !
TINO : J’en ai marre de vous obéir !
FRED : Vous n’avez qu’à démissionner.
TINO : J’ai besoin de gagner ma vie.
FRED : Alors cessez de maugréer ! De toute façon vous êtes amoureux vous ne risquez pas de me quitter !
TINO : Non mais c’est une idée fixe ?
FRED : Vous ne l’avez jamais démentie !
TINO : Mais si !
FRED : Mais non !
TINO : Mais…
FRED : Bon, on ne va pas recommencer ! Vous savez parfaitement que j’ai raison. Debout !
(Tino se lève à contre-cœur, Fred s’installe dans le fauteuil)
FRED (soupir d’aise) : Ah on est tout de même mieux assis !
TINO (A la femme de Bob) : On peut utiliser les toilettes même si on n’a pas consommé ?
LA FEMME DE BOB : Non mais je fais des exceptions !
TINO : Quand ça ?
LA FEMME DE BOB : Quand je m’apitoie sur un cas d’école.
TINO : Et je suis un cas d’école ?
LA FEMME DE BOB : Vous n’en êtes pas loin et je vous plains. Allez-y !
TINO : Merci.
(Tino disparait en claudiquant)
FRED : Vous avez tort. Je viens de lui parler durement et vous savez quelle est sa réaction dans ces cas-là?
LA FEMME DE BOB : Bien sûr que non.
FRED : Il va vomir dans les toilettes et il en fout partout, pour se venger !
LA FEMME DE BOB : Non ? Oh ! Ça alors !
(Elle va sortir à la poursuite de Tino)
FRED : Trop tard il doit déjà être enfermé ! Vous n’avez pas de caméra ?
LA FEMME DE BOB : Bien sûr que si, une bonne dizaine!
FRED : Je m’en doutais.
LA FEMME DE BOB : Alors dans les toilettes aussi, forcément.
FRED : Dans ce cas courez vite-fait jusqu’au pc de surveillance si vous voulez assister au spectacle !
LA FEMME DE BOB (Sort en râlant) : Le cochon ! Ah ça il faudra qu’il laisse aussi propre que quand il est entré !
FRED : Il ne faut pas rêver, tout de même !
VOIX DE LA FEMME DE BOB (qui a disparu) : En tout cas je ne le lâcherai pas tant qu’il n’aura pas tout récuré !
(Fred a un geste d’acquiescement puis se met à somnoler. Entre Iris)
IRIS (A elle-même ou au public) : Mon petit doigt m’a dit que je devais revenir! Et il a affiné le tir. Je suis désormais avisée que c’est dans cet estaminet que l’événement va se produire! Et ça va être un sacré scoop !
(Parait BOB)
BOB (A Iris) : Tiens ! Encore vous ? Qu’est-ce que vous buvez ?
IRIS : Rien. Je peux ?
BOB : Oui. Mais ce sera facturé au prix d’un verre d’eau. Deux euros.
IRIS : Deux euros ?
BOB : Oui.
IRIS : Mais c’est carrément du racket !
BOB : Tout augmente.
IRIS : Harpagon !
BOB : Hein ?
IRIS : Je vous ai traité d’Harpagon.
BOB : Ah bon. Je croyais que vous m’aviez insulté.
IRIS : Tenez, voilà vos deux euros.
(BOB s’empresse d’encaisser)
IRIS : Je suis venue pour le spectacle.
BOB : Quel spectacle ?
IRIS : Soyez patient.
BOB (retournant à son bar, marmonne) : Je suis de plus en plus inculte je ne comprends plus rien à rien !
(Entre Chloé)
CHLOE : J’en ai marre d’arpenter les trottoirs, il n’y a pas un rat dans les rues par ce temps ! (A Bob) Tiens tu es là, Bob ? Le lapin est au four ?
FRED (Sortant un peu de sa torpeur) : Méfiez-vous il y a des caméras partout.
LA FEMME DE BOB (Surgit) : Parfaitement !
BOB : Je m’en doutais.
LA FEMME DE BOB : Et je vous ai à l’œil tous les deux !
CHLOE : Quelle ambiance ! C’est de plus en plus joyeux, ici !
BOB : A qui la faute ?
CHLOE : A moi peut-être ?
LA FEMME DE BOB (A Fred) : Il n’a pas vomi du tout votre employé de maison !
FRED : Mon « aide à la personne » !
LA FEMME DE BOB : En tout cas il n’a pas vomi.
FRED (Avec un geste fataliste) : Bon, c’est que les traditions se perdent alors.
(La femme de Bob sort et croise Tino qui revient des toilettes)
TINO (Refermant sa braguette, à la femme de Bob) : Merci beaucoup ! Vous êtes un ange.
LA FEMME DE BOB : Merci à vous. Ça fait plaisir. C’est la première fois qu’on me dit ça.
FRED (A Tino) : Ça y est vous avez fait vos petites affaires ? Vous vous sentez plus léger ? Allez hop On y va !
TINO : Où ça ?
FRED : Vous verrez bien !
(Tino pousse un soupir à fendre l’âme et sort en claudiquant, poussant le fauteuil sur lequel Fred se pavane. Un silence)
CHLOE (A Bob) : Qu’est-ce qu’on s’emmerde !
BOB (En train d’astiquer des verres) : Parle pour toi !
(Entre Sylvette)
SYLVETTE : La rue LARUE n’existe pas ou alors on l’a rebaptisée sans nous le dire. J’en ai marre de chercher j’ai besoin de me poser.
IRIS (Voyant Sylvette) : Ah la voilà !
(Sylvette s’effondre sur une chaise)
IRIS : C’est vous Sylvette ?
SYLVETTE : Oui, il parait.
IRIS (Impérative) : Ne bougez plus !
SYLVETTE : Pour quelle raison ?
IRIS : Parce que vous allez bientôt vous transformer en héroïne ! Comme ça. D’un coup de baguette magique.
SYLVETTE : Moi ? En héroïne ? Vous voulez rire ?
IRIS : Oh ça non, jamais dans le travail.
SYLVETTE : Mais qu’est-ce que je vais devoir faire pour ça ?
IRIS : Rien.
SYLVETTE : Rien ?
IRIS : Strictement rien.
SYLVETTE : Ah !? Et c’est vous qui tiendrez la baguette ?
IRIS : Non moi j’ai simplement l’image. Je n’ai pas besoin d’artifices.
SYLVETTE : Mais vous avez parlé de baguette…
IRIS : Désolé c’était une image.
SYLVETTE : Je ne comprends rien.
IRIS : Ne creusez pas. Détendez-vous. Je sais que vous allez le rencontrer.
SYLVETTE : Mais qui ça ?
IRIS : Votre prince charmant !
SYLVETTE : Mais où ça ?
IRIS : Ici !
SYLVETTE : Mais comment le savez-vous ?
CHLOE : Elle voit tout ! (A Iris) D’ailleurs vous pourriez me dire pour Bob et moi ?
IRIS : Je le pourrais mais il faudra payer d’abord.
CHLOE : Pas question si c’est pour que vous m’appreniez de mauvaises nouvelles ! (A Bob) N’est-ce pas mon chou ?
BOB (Lui murmure sur un ton de reproche) : Chloé…
CHLOE : Quoi donc ?
BOB : Les caméras !
(Chloé fait un doigt d’honneur)
BOB : C’est malin c’est moi qui vais prendre !
CHLOE : Comme ça tu penseras à moi et aux caresses que je t’ai promises, sous les coups rageurs de ta Dulcinée! (A Iris, désignant Sylvette qui est restée figée comme une statue) Et pour elle alors, c’est gratos ?
IRIS : Je ne lui ai rien dit.
CHLOE : Si, tout de même.
IRIS : Oh si peu !
CHLOE : Donc il y a du favoritisme.
(Entre Madame Laglu)
MADAME LAGLU (Au public) : J’ai beau ratisser les alentours au peigne fin je ne le vois pas, mon Lucky. Même au PMU du coin on n’a pas du tout vu sa silhouette. J’ai peur qu’il lui soit arrivé un truc un peu grave. J’ai peur d’être veuve sans le savoir. Je sens que ça sent le malheur tout ça. Ce n’est pas votre avis ? (Silence) Bon. Tant pis. Réfléchissez, vous me direz après.
(Elle sort)
SYLVETTE : Je ne bougerai pas tant qu’il n’entrera pas
Les bras tendus vers moi en passant cette porte
Je resterai de marbre, ne ferai pas un pas
Jusqu’à ce qu’il s’approche, de moi, et qu’il m’emporte !
CHLOE (A Iris) : Vous ne la connaissez pas ! Vous avez appuyé sur le mauvais bouton. Elle est lancée. Elle va rester dans cet état pendant des heures. Et nous casser les oreilles avec ses obsessions. Vous devriez la débrancher.
IRIS : Je ne suis pas électricienne. (Et elle jette sûre d’elle) Et ça ne durera pas des heures ! Installez-vous, soyez patiente le rideau ne va pas tarder à se lever.
CHLOE : Ah bah tant mieux ! On va peut-être un peu moins s’emmerder si on a droit à du spectacle ! (A Bob, tout en faisant un doigt d’honneur vers une caméra supposée) Tu en penses quoi, mon chou ?
BOB (Tapant du pied de rage) : Chloé !
SYLVETTE (Impassible)
Mon cœur est en émoi, je le sens qui palpite
Mon souffle se fait court mon esprit tourbillonne
Tout mon être frissonne, tout mon être s’agite
A l’idée que bientôt je ne serai plus…
(Elle hésite sur la rime)
CHLOE : Conne ?
BOB (Qui est en admiration devant Sylvette s’écrie encore, rageur) : Chloé !
SYLVETTE (Ravie d’avoir trouvé) : Nonne !
BOB (Transporté) : Que c’est beau !
SYLVETTE (Reprend)
Je resterai ainsi vrillée dans mes chaussettes
Il saura que c’est moi car il me cherche aussi
Et quand il me verra il se dira « c’est chouette
De la trouver enfin avant qu’elle soit rassie »
CHLOE : Oh ! Mon Dieu, rendez-nous Ronsard !
SYLVETTE : Presse-toi mon chéri je sais que tu es là
Regarde c’est pour toi que j’ai mis cette robe
J’ai hésité longtemps, celle-ci ? Celle-là ?
Et puis je l‘ai choisie rien que pour toi mon…
(Elle s’arrête net puis…)
SYLVETTE (Sur un autre ton) : Flute je ne trouve pas la rime !
BOB (Fasciné) : Que c’est beau !
IRIS : Mais si, un petit effort !
SYLVETTE (Désolée) : Non vraiment je ne trouve pas !
BOB : C’était très beau !
IRIS (A Sylvette) : Mais si, mais si voyons !
CHLOE (à Iris) : Mais foutez-lui la paix Iris ! Moi aussi je cherche et je ne trouve pas non plus !
BOB (Plongé dans ses pensées) : Que c’était beau !
SYLVETTE (Trépignant) : Oh ! La ! La ! Non de non, je ne trouve pas !
CHLOE : Trouver une rime en « obe » avec une seule syllabe, ça parait impossible !
IRIS : Mais non mais non voyons, encore un petit effort.
CHLOE (A Iris) : Mais taisez-vous bon sang, vous voyez bien qu’elle est en transe cette malheureuse !
SYLVETTE (Trépignant) : Je ne trouve pas ! Je ne trouve pas !
CHLOE : Bah oui, il faudrait un miracle !
IRIS : Il se rapproche, il est tout près !
SYLVETTE : Mon prince charmant ?
IRIS : Non, le miracle !
CHLOE (réfléchissant) : Une rime en « obe » ?!
IRIS : Mais oui, bien sûr !
LA FEMME DE BOB (surgit furieuse et gueule) : Bob !
SYLVETTE (illuminée soudain se dresse) : Bob !!!
(Bob s’est effondré derrière le bar, comme foudroyé, Sylvette titube et s’accroche aux bras d’Iris et de Chloé avant de se trouver mal)
LA FEMME DE BOB (En direction de Sylvette) : C’est malin, vous me l’avez tué avec vos conneries !
(Elle se précipite derrière le bar et disparait sans doute pour s’occuper de Bob. Iris et Chloé tentent tant bien que mal de réanimer Sylvette. Entre Charlotte, claudiquant de plus en plus, son papier à la main)
CHARLOTTE : Décidément je ne la trouve pas, cette rue. Personne ne la connait dans le coin, je vais devenir folle à force ! Et pour mon rendez-vous maintenant c’est foutu !
(Elle s’approche de Chloé et Iris qui s’occupent de Sylvette, inerte)
CHARLOTTE : Vous ne pourriez pas m’aider s’il vous plait ? Je n’en peux plus à force et j’ai les pieds en sang dans mes chaussures !
CHLOE : Allez voir un pédicure !
CHARLOTTE : Justement mon rendez-vous c’était avec un pédicure chinois.
IRIS : Vous ne voyez pas qu’on est occupées !
CHLOE (à Iris, désignant Sylvette qui est toujours semi comateuse) : Essayez le bouche à bouche !
IRIS : Vous croyez ?
CHLOE : On ne sait jamais, ça a marché avec la belle au bois dormant !
CHARLOTTE (Se met à hurler poings serrés) : J’en ai marre ! Tout le monde se fout de mes pieds !
CHLOE (A Charlotte) : Ah je vous en prie un peu de retenue, vous voyez bien qu’il y a des morts ici !
CHARLOTTE : Et mes pieds ils ne sont pas morts !?
CHLOE (Lui crie) : Oh vous êtes casse-pieds à la fin ! Qu’est-ce qu’ils ont vos pieds ? Faites voir !
(Charlotte enlève ses chaussures, Chloé pousse un cri d’effroi)
CHLOE : Oh Mon Dieu !
IRIS : Quoi ? Qu’est-ce qu’ils ont ses pieds ?
CHLOE : Ce ne sont plus des pieds ce sont des steaks hachés !
(Iris vient voir les pieds de Charlotte)
IRIS (Sidérée) : Même pas reconstitués !
CHARLOTTE : Forcément depuis le temps que je crapahute !
SYLVETTE (Pousse un petit cri) : Ne m’abandonne pas, mon Bob !
CHLOE (A Iris) : Il faut y retourner, elle a besoin de vos baisers !
IRIS : J’en ai marre, allez-y vous !
CHLOE : Pour qu’elle m’appelle « Bob » ! Ah ça sûrement pas !
SYLVETTE (Balbutie) : Bob ! Mon Bob !
(Iris retourne vers Sylvette. Chloé regarde les pieds de Charlotte, effarée)
CHARLOTTE : Déjà avant mon rendez-vous avec ce pédicure chinois ils n’étaient pas en bon état mais alors maintenant…
CHLOE : Remettez vos chaussures ou je vais tourner de l’œil !
CHARLOTTE (Remettant ses chaussures, à Iris) C’est de votre faute aussi, vous qui voyez tout vous êtes incapable de trouver une malheureuse petite rue !
IRIS : Je ne peux tout de même pas connaitre toutes les rues de Bainville-les-nèfles !
CHARLOTTE (Stupéfaite) : Bainville-les-nèfles ?
IRIS : Ben oui, pourquoi cette question idiote ?
CHARLOTTE : On est à Bainville-les-nèfles ?
CHLOE : Ben oui pourquoi cette autre question idiote ?
CHARLOTTE : Flute ! Je me suis trompée de Bainville ! J’allais à Bainville-les-trèfles !
IRIS : Remarquez, vous n’êtes pas très loin vous êtes à trois cents kilomètres. Excusez-moi de m’applaudir mais je ne m’étais pas trompée.
(Entre Madame Laglu qui s’adresse à Charlotte)
MADAME LAGLU : Vous aussi vous cherchez quelqu’un ?
CHARLOTTE (Regardant son papier) : Oui. Eugène LARUE !
MADAME LAGLU : Ah ! Moi c’est Lucky LAGLU ! Vous croyez qu’ils seraient cousins ?
CHARLOTTE : Mais je ne sais pas madame. Je suis pressée et je ne connais pas Eugène LARUE !
MADAME LAGLU : Ben pourquoi vous le cherchez alors ?
CHARLOTTE : Parce que j’ai rendez-vous.
MADAME LAGLU : Avec lui ?
CHARLOTTE : Oui. Enfin j’avais rendez-vous, parce que maintenant…
MADAME LAGLU : Faudrait aller voir un docteur. J’ai beau être très perturbée je vois que vous n’allez pas bien.
CHARLOTTE (lui crie) : Je suis pressée ! Occupez-vous de vos affaires ! Je vous dis que j’avais rendez-vous il y a dix minutes à trois-cent kilomètres d’ici !
MADAME LAGLU : Ben pourquoi vous m’avez abordée alors ?
CHARLOTTE : Mais ce n’est pas moi c’est vous !
MADAME LAGLU : Ah ben ça c’est la meilleure !
CHARLOTTE (Veut partir mais elle s’écrie dramatique) : Je ne peux plus faire un pas maintenant ! Mes pieds sont inutilisables !
MADAME LAGLU : A mon avis c’est pas les pieds !
(Elle sort)
CHLOE (A Charlotte) : OK . Alors il n’y a qu’une solution : les urgences !
(Entre Gégé)
GEGE : Mon taxi a loupé un virage il est sacrément amoché et moi je n’ai strictement rien ! C’est un miracle ! Comment ça se fait ? (Il réalise) Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Il y a une drôle d’ambiance !
LA FEMME DE BOB (Apparait derrière le bar, comme le font les marionnettes et s’écrie, sinistre) C’est affreux ! Il m’appelle Sylvette !
(Elle re-disparait derrière le bar. Sylvette se remet un peu)
SYLVETTE : Où est Bob ?
CHLOE : Bon, moi j’ai du mal à supporter la situation, je vais faire un tour !
(Elle sort)
GEGE (à Iris) : Vous pouvez me mettre des sous-titres, je ne comprends rien !
(Entre Tino poussant le fauteuil roulant, vide)
TINO : Je viens de croiser une habituée de cet endroit, il semblerait qu’on ait besoin d’une ambulance.
CHARLOTTE : Oui. C’est pour moi !
TINO : Ah parfait, installez-vous !
(Charlotte se jette sur le fauteuil)
GEGE (A Tino) : Où est votre employeur ?
TINO : Pas loin. Il essaye de se remettre sur ses jambes. Un taxi fou a foncé sur nous en prenant un virage sur les chapeaux de roue j’ai voulu l’éviter et j’ai fait un écart alors forcément il a été éjecté. Pfuittt !
GEGE : Ah bon, ça me rassure. Vous avez raison les taxis il faut absolument s’en méfier. Et votre cheville ?
TINO : Je ne sais pas pourquoi mais elle a dégonflé d’un coup.
GEGE : Il faut croire que c’était nerveux !
TINO : Oui. Sûrement. (À Charlotte) On y va ?
GEGE : Vous voulez que je vous accompagne ?
TINO : Non merci. Je connais le chemin.
(Tino sort poussant Charlotte sur le fauteuil roulant)
GEGE (Comme à lui-même) : C’est dommage, j’avais envie de me rendre utile ! J’en ai marre de m’occuper de moi. Je suis ingérable il vaut mieux que je baisse les bras et que je m’abandonne à mon triste sort. (Au public) Vous savez quoi ? Je suis habité subitement par un besoin irrésistible de consacrer ma vie aux autres ! (Il fonce vers Sylvette) Qu’est-ce qui t’arrive ma petite Sylvette ?
SYLVETTE : Je l’ai trouvé.
GEGE : Qui ça ?
SYLVETTE : Mon prince charmant !
GEGE : Ah bon ! C’est moi ?
SYLVETTE : Mais non.
GEGE : Tant pis. Mais où est-il ?
IRIS : Derrière le bar !
(Gégé s’approche du bar. La Femme de Bob resurgit)
GEGE : Ah non ! Ne me dites pas que c’est vous ?
LA FEMME DE BOB : Qui ça ?
GEGE : Son prince charmant !
LA FEMME DE BOB : En tout cas lui ce n’est plus le mien ! (Et elle poursuit très digne) Je vais faire ma valise et quitter ce cloaque. Je vais retourner chez ma mère !
BOB (Réapparaissant derrière le bar) : Ta mère ? Mais tu l’as perdue il y a cinq ans !
LA FEMME DE BOB : Justement je vais la retrouver. J’ai encore la clef de la petite maison qu’elle habitait derrière le cimetière. (Elle s’éponge les yeux, éclate en sanglots ) Je vais m’y installer pour y finir mes jours.
CHLOE (Fait son apparition, s’épongeant les yeux elle aussi) : Je compatis !
LA FEMME DE BOB : Merci Chloé !
CHLOE : Et je te comprends !
LA FEMME DE BOB : Merci Chloé !
CHLOE : Tu aimais Bob !
LA FEMME DE BOB (Catégorique) : Non, mais c’était ma propriété !
CHLOE : Moi je l’aimais.
LA FEMME DE BOB : J’avais compris.
CHLOE : Je t’ai fait du mal !
LA FEMME DE BOB : Oui. Je n’aime pas prêter mes jouets.
CHLOE : Je te demande pardon.
LA FEMME DE BOB : C’est oublié.
CHLOE : Merci Madeleine !
LA FEMME DE BOB : De rien, de rien !
CHLOE : Tu veux bien que je vienne avec toi ?
LA FEMME DE BOB (Etonnée) : Mais où ça ?
CHLOE : Là où tu iras. N’importe où.
LA FEMME DE BOB : Mais pourquoi ?
CHLOE : Tu es tout ce qui me reste de lui !
LA FEMME DE BOB : Oh Mon Dieu ! Tu veux que je te fasse un aveu ?
CHLOE : Si ça peut te soulager...
LA FEMME DE BOB : C’est réciproque !
(Elles tombent dans les bras l’une de l’autre, trempées de pleurs)
GEGE : Je ne comprends plus rien, moi ! On pourrait m’expliquer ?
LA FEMME DE BOB (A Chloé) : Viens, on, s’en va !
CHLOE (Décidée) : Oui, je te suis. Il y a un couvent dans ton coin ?
(Elles sortent bras dessus bras dessous. Entre madame LAGLU, dévastée)
MADAME LAGLU (Au public) : Bon je vais pas faire de crêpes et je vais laisser le mousseux au vestiaire. J’ai pas vraiment la tête à vous donner tous les détails alors je vais aller digérer la pâté et je reviendrai après si mon cœur est encore vivant. A moins que je fasse exprès de me coincer dans l’ascenseur et que je vienne pas me libérer. Le temps que tous les couillons de l’immeuble réalisent que la loge est vide ils n’auront plus qu’à faire installer un interphone parce que moi je serai plus là !
(Madame LAGLU sort, sinistre, en trainant les pieds. Sylvette s’est relevée, Bob est repassé devant le bar. Ils avancent lentement l’un vers l’autre auréolés de lumière peut-être sur un air de musique romantique, tout le monde les regarde. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre)
SYLVETTE (Balbutie) : Bob ! C’était toi !
BOB : Oui c’était moi ! Mais je ne m’en doutais pas.
SYLVETTE : Moi non plus. Mais c’était toi !
BOB : Oui c’était moi.
SYLVETTE : Et je ne l’avais pas deviné !
BOB : Moi non plus. Mais c’était toi.
SYLVETTE : Oui c’était moi, Bob !
BOB : Sylvette !
CHLOE (Fait une apparition, à Sylvette, balançant sa flèche) : En tout cas toi qui voulait du neuf, c’est loupé !
(Chloé re-disparait aussitôt)
SYLVETTE (à Bob) : Tu m’attendais ?
BOB : Depuis toujours.
SYLVETTE : Mais ton mariage ?
BOB : Je ne voulais pas, c’est maman qui a décidé… je ne pouvais rien lui refuser !
IRIS (A Gégé) : J’avais vu que c’était un faible !
GEGE : Vous êtes surprenante, Iris !
IRIS : C’est le mot. D’ailleurs je me surprend moi-même. Sa mère avait choisi Madeleine pour lui repasser le flambeau parce qu’elle avait du caractère, comme elle. Bob ne pouvait pas lui dire non.
GEGE : Mais pourquoi ?
IRIS : C’était sa mère.
GEGE : Eh bien il va dire oui, là, pour une fois !
IRIS : Sans hésiter.
GEGE : Une bouffée d’oxygène pour lui !
IRIS : Vous croyez ?
GEGE : Evidemment. Et Madeleine file aux oubliettes.
IRIS : Oui. C’est Sylvette qui prend le relais.
GEGE : Ça va lui changer la vie.
IRIS (Dubitative) : Pas forcément.
GEGE : Ah bon ? Pourquoi ?
IRIS : Il va continuer de filer doux !
GEGE : Oh merde alors! Vous en êtes sûre ?
IRIS : A votre avis ?
GEGE : Oh ! Pauvre Bob !
( Sylvette et Bob restent immobiles dans les bras l’un de l’autre. Entre Clara, habillée en SDF, qui clame)
CLARA : Même dans ce costume plus-que-réaliste ils n’ont pas voulu de moi dans cette foutue boîte de casting !
IRIS : Tu m’étonnes !
CLARA : Ah taisez-vous, vous ! Dès que vous ouvrez la bouche c’est pour m’envoyer vos flèches ! Mais je les esquive à chaque fois et vous ne le supportez pas ! Je ne vous inviterai pas à ma crémaillère. Deux cent mètres carrés habitables et dans ce quartier, c’est très rare ! Je vais donner une fête somptueuse !
IRIS : Somptueuse je n’en doute pas. Mais dans une soupente insalubre avec des toilettes communes tout au bout du couloir à gauche !
CLARA (Se plantant devant Iris) : Merde !
(Clara ignore Iris, et tourne autour du couple que forment Bob et Sylvette)
CLARA : Roméo et Juliette ! Tiens c’est une bonne idée, ça ! Et j’ai encore l’âge de jouer Juliette ! Il faudra que je travaille le rôle.
(Sylvette et Bob vont sortir, mains dans la main)
CLARA : Où allez-vous ?
(Ils sortent sans lui répondre)
CLARA : Peu importe. Où que vous alliez c’est beau partout Vérone ! (Elle regarde Gégé) On ne se connait pas, cher monsieur !
GEGE : Non. Vous êtes comédienne ?
CLARA (Minaudant) : Ça se voit tant que ça ?
GEGE : Un peu mais c’est surtout que j’ai l’impression de vous avoir déjà vue quelque part ?
CLARA : Ah ! Au Français peut-être, il y a quelques années !
GEGE : Non.
CLARA : Alors à L’Odéon ?
GEGE : Non.
CLARA : Ou au Palais-Royal, je donne aussi dans le boulevard !
GEGE : Non c’était au super marché de la zone commerciale.
CLARA (Un peu mouchée mais tâchant de ne rien perde de sa superbe) : Ah ! Et je vous ai donné un autographe ?
GEGE : Non vous m’avez vendu un autocuiseur. Vous faisiez la démonstration.
CLARA : Ah oui ! Je me souviens, j’étais là pour dépanner.
GEGE : En tout cas pas l’autocuiseur ! Il était foutu au bout de deux jours et on n’a pas voulu me le rembourser !
CLARA : Ah ! Ça ce n’est plus mon domaine ! Moi dès que j’ai fini de jouer je salue et je me retire dans ma loge.
(Elle salue, puis…)
CLARA (A elle-même) : Je me demande bien pourquoi je suis entrée prendre un café dans cet établissement minable. Les clients sont à l’image du patron. Ils ne connaissent strictement rien à l’art du théâtre !
(Elle sort comme une impératrice)
GEGE (à Iris qui assistait à tout cela depuis un moment avec un air assez satisfait) : Vous ne dites rien ?
IRIS : Non, je visionne.
GEGE : Ah ! Et quoi ?
IRIS : L’avenir.
GEGE : Le mien ?
IRIS : Entre autres.
GEGE : Je peux savoir ?
IRIS : Si vous voulez. Profitez-en, je rase gratis. Je suis habitée par la grâce.
(Parait Madame LAGU, une lettre à la main)
MADAME LAGLU (A Iris) : Non, moi d’abord !
(Elle lui tend la lettre)
IRIS : Oui. Et alors ?
MADAME LAGLU : Lisez. Expliquez-moi. C’est signé par la Morue du troisième étage gauche.
IRIS : Oui, j’avais vu ça.
MADAME LAGLU : Et alors ?
IRIS (Sans regarder la lettre) : Elle vous dit qu’elle s’en va vivre à la campagne…
MADAME LAGLU : Oui, mais encore…
IRIS : Pourquoi voulez-vous que je vous explique je sais parfaitement que vous savez tout.
MADAME LAGLU : J’ai peur d’avoir pas bien compris.
IRIS : Vous avez parfaitement compris.
MADAME LAGLU: Ah! Le salaud! (Au public) Quatre ans qu’il faisait des galipettes avec la morue du troisième, mon Lucky. Quatre ans qu’elle votait contre l’interphone pour qu’on reste dans l’immeuble ! Elle me dit tout. Elle m’avoue la vérité avec des détails indécents et elle l’embarque à la campagne, mon Lucky -où je ne sais même pas où c’est- parce qu’il est fragile des bronches soi-disant! Qu’est-ce que je vais devenir, moi ?
IRIS : Je peux vous le dire.
MADAME LAGLU : Ah, surtout pas.
IRIS : Mais pourquoi ? Ça n’est pas forcément un chemin de croix.
MADAME LAGLU : Non, ça risque d’être pire et je veux pas savoir avant !
(Elle sort quelque peu furibonde)
GEGE (à Iris) : Moi je veux savoir. Moi je vous écoute.
IRIS : Je ne sais pas par où commencer.
GEGE : Alors commencez par demain. Le passé je m’en fous complètement.
IRIS (Catégorique) : Vous allez arrêter de boire.
GEGE : Mais je ne bois pas !
IRIS : Justement ce sera plus facile.
GEGE : C’est tout ?
IRIS : Oui, pour l’instant.
GEGE : C’est un peu court.
IRIS (Désolée): Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Les gens heureux n’ont pas d’histoire.
GEGE : Ça veut dire quoi ?
IRIS : Bah que vous allez être heureux.
GEGE : Ça m’étonnerait.
IRIS : Et même « bienheureux » !
GEGE : C’est vrai ?
IRIS : Si je vous le dis.
GEGE : Je vais oublier alors ?
IRIS : Quoi donc ?
GEGE : Mais… tout.
IRIS : Vous ne vous aimez pas, Gégé.
GEGE : Non. C’est ça mon problème. J’ai honte. Je ne fais rien de bien de ma vie !
IRIS : Un peu de patience. Ça va changer.
GEGE : C’est vrai ? Mais pourquoi ? Mais quand ? Mais où ?
IRIS : Parce que, bientôt, et partout.
GEGE : Je ne comprends pas.
IRIS : Partout où il y aura les autres… et qu’ils auront besoin de vous.
GEGE : Vous voulez dire…
IRIS : Alors là pour être franche ma vision est encore un peu floue et même si ça m’étonne beaucoup j’ai l’impression que vous finirez par être béatifié !
GEGE (Rêveur) : Oh Mon Dieu ! Saint Gégé !
IRIS : Mais il faudra mourir avant.
GEGE : Aucune importance, ça vaut le coup quand même. Et les autres ?
IRIS : Quels autres ?
GEGE : Cette pauvre Charlotte par exemple, vous voyez ce qu’elle va devenir ?
(Iris claque des doigts, paraît Charlotte en claudiquant, un petit bout de papier à la main)
CHARLOTTE (à Iris) : Excusez-moi chère madame… je cherche le bureau 212…
IRIS : Oh ! Moi je ne suis pas d’ici, adressez-vous à monsieur.
(Elle désigne Gégé)
CHARLOTTE (Montrant son papier à Gégé) : Je cherche le bureau 212 et je ne le trouve nulle part, monsieur. Peut-être pourriez-vous m’aider ?
GEGE (Affable) : Mais bien sûr madame, mais bien sûr. (Il prend le papier de Charlotte) 212… voyons 212… ça ne peut-être qu’au deuxième étage !
CHARLOTTE : Ah ça non cher monsieur, j’en viens. Au deuxième étage c’est le bureau 512.
GEGE (Pensif) : Ah ! Et vous êtes allée voir au cinquième étage ?
CHARLOTTE : Oui j’y ai pensé aussi. Mais au cinquième étage c’est le bureau 812 !
GEGE : Bon, alors vous savez ce que vous allez faire ?
CHARLOTTE : Non monsieur, j’attends que vous me donniez une idée.
GEGE : Vous allez monter au vingtième étage et vous allez descendre les niveaux un par un. Vous finirez bien par trouver le bureau que vous cherchez.
CHARLOTTE : Oui mais quand même… vingt étages, toute seule…
GEGE (Avec grandeur d’âme) : Bon. Vous savez ce que je vais faire ? Je vais vous accompagner !
CHARLOTTE : Oh ça c’est très gentil alors !
GEGE (A Iris) : Je reviens !
IRIS : Bon courage! Tous les ascenseurs sont en panne.
GEGE : Non ?
IRIS : Si. Depuis trente secondes. Un problème de moteurs. Il va falloir monter à pied.
GEGE : Alors dans ce cas…
CHARLOTTE : Vous m’avez promis monsieur…
GEGE : Enfin j’ai promis, j’ai promis…
IRIS : Ben si, vous avez promis, Saint Gégé !
CHARLOTTE : Et mon rendez-vous est très important…
GEGE : Ah Bon ? De quoi s’agit-il ?
CHARLOTTE : Ça ne vous regarde pas. Mais vous avez promis
GEGE : Bon alors suivez-moi, on y va !
(Charlotte et Gégé sortent. Iris claque à nouveau les doigts. Entre Tino tout guilleret poussant le fauteuil roulant dans lequel se trouve Fred à peu près inerte)
FRED : Vous allez trop vite ça me donne mal au cœur !
TINO (Chronomètre en main) : J’essaie de battre mon record.
FRED : Je ne vous ai pas demandé…
TINO : Vous n’avez rien à me demander. C’est moi qui commande à présent !
FRED : Mais…
TINO : Depuis votre vol plané sur le bitume vous n’êtes plus bon à rien sans moi…
FRED (Terrorisé) : Qu’est-ce que vous faites ?
TINO : Je prends mon élan. Et quand j’aurai passé le mur du son je vous lâche dans la pente ! En roue libre.
FRED : Non !
TINO : Bien sûr que si. Vous allez savoir ce que c’est !
FRED (De plus en plus terrorisé) : Mais quoi donc ?
TINO : L’amour vache ! Allez hop, on y va !
(Ils disparaissent en un éclair. Entre Gégé)
GEGE : J’ai déclaré forfait au troisième étage. Elle s’est assise sur le palier et elle attend.
IRIS : Qu’est-ce qu’elle attend ?
GEGE : Que les ascenseurs soient remis en service. Je lui apporterai de l’eau toutes les heures.
IRIS : Vous êtes trop bon.
GEGE (Avec fierté) : Je suis humain !
(Iris claque des doigts)
GEGE : Qu’est-ce que vous faites ?
IRIS: Je continue. Vous vouliez connaitre l’avenir, non ?
GEGE : Enfin c’est-à-dire… j’ai dit ça comme ça !
IRIS : Tant pis, maintenant que je suis lancée, rien ne peut plus m’arrêter…
(Entre Clara, toujours habillée en clocharde mais encore plus dépenaillée)
CLARA (Tendant la main) : Vous n’auriez pas une petite pièce ? Je n’ai pas un sou messieurs-dames et je n’ai même pas droit au chômage. Je n’ai pas assez de cachets !
GEGE : J’ai de l’aspirine, ça vous ira ?
CLARA : Vous êtes trop bon. Je vais avaler la boîte ça réglera mon problème.
GEGE : Ah non ! Surtout pas !
CLARA (Sur un ton dramatique, en faisant des tonnes dans le tragique) : Je n’ai pas d’autre solution !
GEGE : Il y a toujours des solutions. Il suffit d’être patient. Je vous donne juste un cachet.
(Gégé s’approche de Clara et a un mouvement de recul)
IRIS (A Gégé) : Ah oui, je confirme. Une véritable puanteur !
CLARA (Illuminée soudain) : Et la synchro ? Je n’ai pas essayé la synchro ! Je pourrais parfaitement prêter ma voix à un gentil petit animal pour une superproductions des studios Disney, non ? Reste à savoir quel animal.
IRIS : Sans hésitation, le putois !
CLARA : Un putois ! Ça c’est une excellente idée. C’est si mignon ! (À Iris) Pour une fois vous êtes positive, Iris ! Merci. Je suis sauvée. Je vais postuler sur le champ !
(Clara sort, surexcitée)
GEGE (A Iris) : Peut-être qu’il vaut mieux ne pas continuer.
IRIS : Ah ! vous avez voulu savoir, maintenant j’irai jusqu’au bout ! J’appelle Chloé !
GEGE : Je crains le pire.
(Iris claque des doigts. La lumière change, on entend des chants religieux. Iris reclaque des doigts)
GEGE : Alors ?
IRIS : On ne peut pas la déranger c’est l’heure des vêpres.
GEGE : Dommage. Bon, Je vais porter de l’eau à Charlotte !
(Gégé prend une bouteille derrière le bar et sort. Iris reclaque des doigts. Apparait le SDF, encore plus élégant, transformé, poursuivi et même harcelé par Tino, Bob et Sylvette, calepins et stylos en main)
TINO : Un autographe s’il vous plait !
SYLVETTTE : Oui moi aussi, je voudrais un autographe !
BOB : Moi aussi, moi aussi s’il vous plait, soyez sympa ! !
(Le SDF signe des autographes, débordé, au milieu du brouhaha)
TINO : Je vous ai vu dans la pub pour le fromage de chèvre en poudre !
BOB : Oh oui ! Vous êtes formidable dans le rôle de la chèvre!
SYLVETTE : Et dans la pub pour le savon qu’on peut fabriquer soi-même avec des restes de purée!
BOB : Oui dans ce costume de savonnette en pommes de terre vous m’avez carrément bouleversé !
TINO : Signez là , s’il vous plait, signez là !
LE SDF (s’exclame soudain) : Si seulement je la croisais là , maintenant, je suis sûr qu’elle retomberait dans mes bras ! Mais bon sang de bonsoir qu’est-ce qu’elle fout, pourquoi je ne la croise jamais ?
SYLVETTE : Qu’est-ce que vous dites ?
LE SDF : Rien. C’était une réflexion interne.
SYLVETTE : Ah bon.
TINO (Tendant un bout de papier au SDF, insistant) : Signez-là !
BOB (Mielleux) : Vous êtes venu dans mon établissement vous vous souvenez ? Je vous ai parlé !
TINO : Et dans la pub pour l’autocuiseur ! Qu’est-ce que vous étiez bouleversant dans la pub pour l’autocuiseur !
LE SDF (A Tino) : Mais je vous reconnais, vous !
TINO : Ah bon ?
LE SDF (Il lui signe son papier): Je vous dois un verre de vin
BOB (S’écrie, emporté par son enthousiasme, à Tino) : Je vous l’offre !
(Tout ce petit monde se déplace jusqu’à disparaître. Clara surgit)
CLARA : Bingo ! J’étais sûre qu’il allait me piquer mes rôles ! Mais le putois il est pour moi et il ne l’aura pas, même si s’agit d’un mâle ! Ah ! Ça, jamais !
(Clara ressort en coup de vent. Sylvette et Bob s’avancent la main dans la main)
SYLVETTE et BOB (En chœur à Iris) : Bon. Et nous ?
IRIS : Ah, vous ! Ça c’est toute une histoire !
(Elle se met à déclamer, en en faisait des kilos dans le côté tragédienne, gestes grandiloquents à l’appui)
IRIS
Poursuivant des chemins qui n’étaient pas les vôtres
Vous aviez devant vous des siècles de pénombre
Vous regardiez les uns vous regardiez les autres
Et s’ils étaient heureux vous n’étiez pas du nombre !
Ah ! Destinée fatale, horizon sans espoir !
A quoi bon ? Pensiez-vous, au tréfond de votre âme
Vivre jour après jour, vivre soir après soir
Sans joie sans harmonie, et même sans un drame
Mais tristes et solitaires au centre de la foule
Anonymes fourmis au milieu des fourmis
Et jaloux de tous ceux et celles qui roucoulent !
Sans un bras, une main, une épaule, un ami !
Et puis un jour enfin vos yeux se sont ouverts
Vous vous êtes trouvés grâce à mon entregent
Sur de maigres sentiers qui sortaient du désert
Et dont vous ignoriez qu’ils étaient convergents !
Et depuis vous avez gagné tous vos combats
Devenant les patrons de ce « Café du globe »
Que l’on connait partout de Munich à Rabat
Et qui fait le succès de Sylvette et de Bob !
IRIS (A Sylvette et Bob) : Ça vous va ?
SYLVETTE : C’est super. Le café du Globe moi je m’y vois déjà.
BOB : Sauf qu’on aurait pu trouver quelque chose d’un peu plus original pour le baptiser, non ?
IRIS (Catégorique) : Non !
BOB : Non ? Mais pourquoi ?
IRIS : Vous en connaissez beaucoup, vous, des rimes en « obe », à part…
(Surgit la Femme de Bob, téléphone à la main, furieuse)
LA FEMME DE BOB : Bob !
(Bob et Sylvette sont sortis, main dans la main. La Femme de Bob poursuit, vociférant dans son téléphone)
LA FEMME DE BOB : Ah ça j’ai des nausées chaque fois que je le prononce, ton prénom ! Hein ? Qu’est-ce que tu dis ? Tu peux toujours rêver mon pauvre ami. Il n’est pas question que je divorce ! Je veux être un boulet que tu traineras tous les jours, un boulet dont tu ne pourras jamais te débarrasser. Un gros boulet de fonte, bien lourd, bien encombrant, avec des chaînes énormes qui te boufferont les chevilles…
IRIS (A la femme de Bob) : C’est bon. On a compris.
LA FEMME DE BOB (Mouchée, coupant son téléphone) : De toute façon j’avais fini.
(La femme de Bob est sortie, parait Gégé)
GEGE (A Iris) : Et vous ?
IRIS : Oh ! Pour moi je ne vois jamais rien.
GEGE : C’est dommage.
IRIS : Je ne sais pas.
GEGE : Ben si, tout de même… vous avez un avenir comme nous !
IRIS : Je n’en suis pas sûre.
GEGE : Enfin vous dites n’importe quoi!
IRIS (Un peu rêveuse, un peu ailleurs) : Des fois je me demande même si j’existe.
GEGE : Non ? C’est à ce point-là ?
IRIS : Oui mais ça vaut peut-être mieux ainsi.
GEGE : Mais non ! Mais non ! Mais surtout pas ! Soyez positive un peu. Pensez à vous de temps en temps.
IRIS (Amusée) : Et c’est vous qui me dites ça ?
GEGE : J’ai changé. En tout cas je moi penserai à vous.
IRIS : C’est gentil.
GEGE : C’est la vérité. (Il la regarde puis, après un silence embarrassé) Je ne vous donne pas mon zéro-six, vous le trouverez bien toute seule.
IRIS : En effet ce n’est pas impossible.
GEGE : Si vous avez besoin de moi… Surtout n’hésitez pas Iris !
(Gégé sort)
IRIS (Mains sur le cœur) : Merci Gégé. Je n’hésiterai pas. (Elle s’adresse au public) : Voilà. C’est terminé. Dès demain cet établissement va changer d’enseigne. Le rideau de fer va tomber pour se relever plus tard. Mais sur quel décor, je ne vous le dirai pas. Sur quels personnages vous n’en saurez rien. Peut-être sur vous, après tout !
NOIR