Le conteur
C’était un bateau,
Un drôle de bateau
Dans un port du bout du monde.
Dans un port du bout du monde ?
Mais, voyons, la Terre est ronde !
Il n’y a pas de bout du monde !
Alors… disons… quelque part…
Dans un port de quelque part
Dans le monde…
Un bateau oublié le long d’un quai désert.
La coque en bois de chêne se balançait sans bruit.
Une voile pendait sur le pont déserté, attendant que des mains, unies, au même rythme, la hissent, sans à-coups, le long du plus grand mât.
À l’avant était sculptée une figure de proue tellement expressive que l’on s’attendait à l’entendre parler ; que l’on croyait voir ses yeux bouger et ses cheveux flotter dans le vent ! Elle représentait une sirène à jamais prisonnière de la coque de chêne !…
Prisonnière, dites-vous ?
Je crois, plutôt, complice ; ne faisant qu’un, s’épaulant pour chevaucher les vagues. La figure de proue guidant la coque aveugle…
Le bateau attendait…
À des lieues et des lieues… ou… peut-être… à côté… près d’Addis-Abeba, surgit, dans un désert de feu, de rochers et de sable, une oasis où se désaltère un troupeau de chèvres. Un petit village se blottit sous quelques maigres palmiers. Des poules en liberté… Des cris d’enfants qui jouent… Les aboiements d’un chien… comme dans n’importe quel village du monde !…
Devant sa hutte au toit de palmes, une fillette noire, noire, ses cheveux crépus coiffés en de multiples tresses, son petit corps moulé par un boubou multicolore, une fillette, dis-je, emplit une calebasse*.
Ixou
Voyons… n’ai-je rien oublié ?
Une noix de mon cocotier,
Galette de mil… lait de chèvre,
Et la lyre de mon ancêtre…
Je m’en vais parcourir le monde
Voir si la Terre est vraiment ronde !
Le conteur
Et Ixou, Ixou l’enfant noir
L’enfant au boubou bariolé
L’enfant aux cheveux crépus
Prit la route vers l’inconnu…
Le désert étend l’ocre de son manteau à perte de vue !… Les tentes noires, en poils de chèvre, y font de sombres taches, cernées par les boules jaunâtres des moutons et des chameaux. C’est le soir ; une légère fraîcheur commence à courir dans l’air étouffant… la mélopée d’un berger jouant de la flûte trouble, à peine, le silence.
Un enfant en longue djellaba rayée, pieds nus dans la poussière encore chaude, la tête protégée par le keffieh* à carreaux rouges, l’enfant de Rozlanié, de l’oasis de Damas, emplit un chiffon sans couleur, un vieux chiffon traînant là… un chiffon terne comme le sable sur lequel il est...