Le comte est bon

Paul Mercier, riche patron d’industrie, n’a qu’une obsession en tête : inscrire sa lignée dans l’Histoire en mariant l’une de ses filles au comte Philbert de Gascogne, apparenté à la famille royale.
L’affaire est mal engagée car sa fille ainée, Suzanne, ne veut pas entendre parler de ce mariage et sa fille cadette, Amandine, entretient dans le plus grand secret une relation avec François Dulac, inspecteur en chef des impôts.
La petite dernière de la famille s’est fait passer auprès de François pour la fille de son majordome, Norbert, pour s’assurer de la sincérité de ses sentiments. Elle lui a aussi dit que Norbert n’avait droit à aucune visite. François, qui veut rencontrer Norbert pour lui faire sa demande, décide d’inventer un faux contrôle fiscal pour s’introduire discrètement chez les Mercier.
Paul, qui n’a encore jamais rencontré le comte, décide de l’inviter le soir même afin de lui faire signer un accord qui formalisera le mariage. Mais alors que le comte est attendu d’un instant à l’autre, c’est François qui se présente en premier à la porte…

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Liste des personnages (10)

Paul MercierHomme • Adulte • 325 répliques
Le patron des entreprises Mercier
NorbertHomme • Adulte • 154 répliques
Le majordome des Mercier
François DulacHomme • Adulte • 117 répliques
L'inspecteur en chef des impôts
Philbert de GascogneHomme • Adulte • 64 répliques
Le comte
Maître plantardHomme • Adulte • 19 répliques
Colette MercierFemme • Adulte • 136 répliques
La femme de Paul Mercier
Amandine MercierFemme • Jeune adulte • 97 répliques
La fille cadette de Paul et Colette Mercier
Suzanne MercierFemme • Jeune adulte • 83 répliques
La fille aînée de Paul et Colette Mercier
Elisabeth MercierFemme • Senior • 59 répliques
La mère de Paul et Belle-mère de Colette
CarmenFemme • Adulte • 54 répliques
La bonne espagnole des Mercier

Décor (1)

Décor uniqueSur les murs, de nombreux tableaux représentant des Rois de France de diverses époques. Les portraits choisis ne renvoient pas une image très flatteuse. Au fond un palier donne sur la porte d’entrée à Jardin et sur l’escalier menant aux étages à Cour. Sur scène la porte située à Cour ouvre sur le bureau de Paul Mercier. L’armoire et la malle doivent pouvoir contenir une personne.

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PROLOGUE

Carmen entre dans la salle avec son aspirateur. Elle le branche et commencer à le passer devant le public. Elle chante une chanson en espagnol.

Elle demande aux spectateurs du premier rang de lever les pieds pour passer son aspirateur. Une sonnerie retentit. Elle éteint son appareil. Un téléphone est sur scène devant le rideau.

Elle va décrocher comme si de rien n’était.

Carmen s’exprime en français avec un fort accent espagnol qui est présenté en phonétique dans le texte.

Carmen :

Ola ! Fous foulez parler à la Señorita Amannedine ? Dé la part dé ? Dou Señor Doulac ? No Señor, cé pas possiblé Señor. La Señorita elle est encore dans la salle dé bain cé matin, yé né pé pas fous la passer. Yé soui muy déssolé. Le Señor, il doit rappeler après la salle dé bain. Dans combienne dé temps ? (Elle rit) Oh Madre de Dios avec la Señorita Amannedine, il faut mieux appeler cet après-midi Señor c’est plouss soûr ! Voilà. Si Señor. Adios Señor.

(Elle raccroche).

(Au public)

Oh Madre de Dios, Dios mio, si yé poufais couper cé téléfono qui saunne touté la yournée ! Comment yé fé mon trabail si tout le monde il appelle ! Comment yé fé ? Bienne, il faut qué yé m’occoupe dou saloune.

(Le rideau s’ouvre. Elle monte sur scène et continue de passer l’aspirateur dans le salon).

ACTE I

Scène 1 

Paul Mercier :

(Hors scène) Norbert ! Norbert !...

(Entre Paul Mercier)

(À Carmen)

Carmen, vous n’avez pas vu Norbert ?

Carmen : (toujours affairée avec son aspirateur)

Si Señor.

Paul Mercier :

Et où est-il ?

Carmen : (avec un grand sourire)

Si Señor.

Paul Mercier :

En fait vous n’entendez pas un traître mot de ce que je vous dis Carmen ?

Carmen :

Si Señor.

(Paul va débrancher l’aspirateur).

Paul Mercier :

Carmen, je vous demande si vous avez vu Norbert ?

Carmen :

No Señor, yé né l’é pas fou. yé passe l’aspirador.

Paul Mercier :

Oui Carmen, ça je peux le voir que vous passez « l’aspirador ». Écoutez, vous terminerez plus tard, on ne s’entend plus penser dans cette maison.

Carmen :

La Señora Mercier, elle né fa pas être connetenté si yé fé pas mon trabail.

Paul Mercier :

Vous n’aurez qu’à revenir tout à l’heure pour terminer.

Carmen : (range son aspirateur en râlant)

Oh Dios mio. Abéc les patronnes, cé touyours la même !

(Carmen range l’aspirateur puis sort)

Paul Mercier :

Norbert ! Norbert ! Où est-il encore fourré celui-là ? Si ça continue je vais être en retard chez Maître Plantard. Par tous les Saints, Norbert !

(Entre Norbert)

Ah vous voilà enfin. Mais quel est cet accoutrement ?

(Norbert passe sans répondre.
Il porte une chemise à fleurs ample et son pantalon est retroussé comme pour mettre les pieds dans l’eau)

Norbert ! (en aparté) Mais quelle mouche l’a piqué ? Norbert !

(Entre Colette Mercier)

Colette Mercier :

Paul, pourquoi hurles-tu sur Norbert de si bon matin ? D’habitude Tu attends au moins le déjeuner avant de lui crier dessus. Tu es bien matinal aujourd’hui !

Paul Mercier :

Que veux-tu, lorsque mon majordome file à l’anglaise sous mon nez, j’ai tendance à avoir la moutarde qui y monte !

Colette Mercier :

Ce que tu peux être émotif mon pauvre Paul.

Paul Mercier :

Emotif, moi ?

Colette Mercier :

Avoue qu’il ne te faut pas grand-chose pour avoir « la moutarde qui te monte au nez ». C’est sans doute dû à tes origines dijonnaises. Quant à Norbert, tu te fatigues pour rien, tu sais bien qu’il est « absent » aujourd’hui.

Paul Mercier :

Comment ça, « absent » ? Je viens de le voir à l’instant.

Colette Mercier :

Non Paul, Norbert est « absent » (Paul ne comprend pas) pour la simple raison que c’est son jour de repos ! Après plus de vingt ans à notre service, tu sais le mal que j’ai eu à lui faire accepter l’idée qu’il aurait une journée libre par semaine, alors ne complique pas les choses, veux-tu ?

Paul Mercier :

Encore ce satané jour de repos ! Je me demande d’ailleurs si tu as bien fait de le lui donner. Norbert ne s’est jamais plaint de rien que je sache. Rien ne nous y obligeait.

Colette Mercier :

Si, Paul, la loi française.

Paul Mercier :

La loi française, la belle affaire ! C’est dans ce genre de circonstances que l’on voit à quel point nos parlementaires sont éloignés des réalités de leurs électeurs… (Temps de silence) Obliger un homme à changer brutalement les habitudes de toute une vie, c’est vraiment très cruel !

Colette Mercier :

Figure-toi que le pauvre homme ne sait pas comment occuper son jour de repos. Alors je l’ai autorisé à rester à la maison à la condition qu’il fasse comme si nous n’étions pas là. Après tout, il est en congé.

Paul Mercier : (il a une idée)

En congé ? C’est ce que nous allons voir ?

(Norbert passe dans l’autre sens)

Paul Mercier :

Ah Norbert, vous tombez bien ! Je souhaitais m’entretenir avec vous de l’augmentation de vos gages. Je crois savoir que vous en avez formulé la demande auprès de Colette…

(Norbert s’arrête brusquement et se dirige vers Paul)

(en aparté) Je savais bien qu’il tomberait dans le panneau !

(Norbert passe juste devant Mercier, jette un regard malicieux à Paul, récupère un chapeau de paille qu’il met sur sa tête, avant de repartir vers le Jardin comme si de rien était)

Colette Mercier :

Bien essayé, Paul, mais il ne risquait pas de mordre à l’hameçon.

Paul Mercier :

Et pourquoi ça ?

Colette Mercier :

Te souviens-tu quand Norbert nous a fait cette demande ?

Paul Mercier :

J’avoue que je n’y ai pas prêté beaucoup d’attention… Il y a 4 ou 5 mois si je me souviens bien ?

Colette Mercier :

C’est presque ça Paul : mais c’était il y a 3 ans !

Paul Mercier :

3 ans ? Tant que ça ? Le temps passe vite…

Colette Mercier :

Oui tant que ça, alors depuis le temps je crois que Norbert ne se fait plus beaucoup d’illusions.

Paul Mercier :

C’est fâcheux…

Colette Mercier :

Qu’est-ce qui est fâcheux, que tu ne l'aies pas augmenté depuis des années ou qu’il ne se fasse plus d’illusion ?

Paul Mercier :

Ce qui est fâcheux, c’est que maintenant mon appât tombe à l’eau. J’ai besoin de Norbert ! Il n’est pas question qu’il soit en congé aujourd’hui. D’abord, qui a autorisé ça ? Son jour de repos est uniquement le samedi, il me semble. Alors voilà, c’est toujours comme ça. Je suis systématiquement le dernier informé dans cette maison. Même mon majordome n’en fait qu’à sa tête…

Colette Mercier :

Paul.

Paul Mercier :

…Et puis tu n'as qu’à doubler ses gages pendant que tu y es…

Colette Mercier :

Paul.

Paul Mercier :

…Après tout ce n’est pas comme si j’étais le chef de cette famille…

Colette Mercier :

(Élevant la voix) Paul !

Paul Mercier :

(Avec un ton doucereux) Oui, mon sucre d’orge ?

Colette Mercier :

Tu sais combien j’ai horreur de devoir hausser le ton ! Norbert est en congé pour la simple et bonne raison que, justement, nous sommes samedi, le jour de son repos.

Paul Mercier :

...Nous sommes samedi ?...

Colette Mercier :

Jusqu’à preuve du contraire, nous le sommes.

Paul Mercier :

Fichtre ! Mais c’est épouvantable !

Colette Mercier :

Tu peux bien te passer de Norbert une journée, quand même.

Paul Mercier :

Mais ça n’a rien à voir ! C’est ce soir que le Comte Philbert de Gascogne vient dîner à la maison.

Colette Mercier :

Première nouvelle et tu comptais m’en parler quand ? Tu voulais peut-être me faire la surprise ! Tu as de la chance, je suis disponible ce soir ! Qu’as-tu prévu pour le diner ? Parce que si Carmen doit préparer autre chose qu’une soupe, il faudrait peut-être commencer à s’en inquiéter, non ?

Paul Mercier : (comme s’il n’avait pas entendu)

Un homme de sa condition doit être reçu avec tous les égards dus à son rang. Colette, quelle image aurait-il de nous, si nous n’avions même pas de majordome pour nous servir ? Imagines-tu, un cousin de la lignée des rois de France avec une seule malheureuse bonne pour le recevoir !

Colette Mercier :

Cela dit, il paraît que ton comte n’a plus un sou en poche, alors une bonne suffira amplement.

Paul Mercier :

Peu importe sa situation financière, c’est un excellent parti et j’entends bien le convaincre d’accepter de devenir mon gendre. (Grandiloquent) Ainsi, du même coup, je fais de l’une de mes filles, une comtesse et j’inscris notre descendance dans l’Histoire de France !

Colette Mercier :

Que d’ambition ! Et laquelle de nos deux filles sera l’heureuse élue ?

Paul Mercier :

À vrai dire, je n’ai pas encore arrêté mon choix. On a dû normalement vanter au Comte les mérites d’Amandine, mais tu connais son caractère ! En cas de pépin, Suzanne fera aussi bien l’affaire.

Colette Mercier :

Tu parles de Suzanne, notre fille aînée ? Tu crois réellement que ton comte voudra épouser Suzanne ?

Paul Mercier :

Pourquoi diable ne le voudrait-il pas ?

Colette Mercier :

Je sais que ton Gascogne est sur la paille, Paul, mais l’argent ne fait pas tout !

Paul Mercier :

Suzanne est une jeune femme… Comment dire… Originale, unique sur bien des aspects et je ne doute pas qu’elle puisse faire un jour le bonheur d’un homme, n’aie aucun souci pour elle.

Colette Mercier :

Je ne me fais pas de souci pour Suzanne, plutôt pour ton futur gendre !

Paul Mercier :

De toute façon, nous verrons en temps voulu laquelle des deux fera le mieux l’affaire. Au pire, Suzanne ne dira pas non.

Colette Mercier : 

Depuis le temps qu’elle attend que quelqu’un s’intéresse à elle, je ne peux pas te donner tort.

Paul Mercier : 

Tu verras, quand elles entendront parler du Comte elles se battront pour le fréquenter.

Colette Mercier : 

Espérons que la bataille ne fera pas trop de victimes ! Tu as l’air bien sûr de toi, pour quelqu’un qui n’a jamais rencontré ni ce comte, ni sa famille. En plus d’être sans le sou, tes Gascogne sont peut-être très laids.

Paul Mercier :

Penses-tu, une famille qui a du sang royal dans les veines, voyons… Ne dis pas de sottises !

Colette Mercier :

Je ne savais pas que la noblesse rendait beau.

Paul Mercier :

C’est parce que tu n’y connais rien, Colette ! « Bon sang ne saurait mentir ».

Colette Mercier :

(Montrant du doigt les tableaux du salon) Ton adage s’applique-t-il aussi à la galerie des horreurs accrochée aux murs de notre salon ? Ou peut-être que ceux-là sont l’exception qui confirme la règle !

Paul Mercier :

Colette, comment peux-tu parler ainsi de notre royauté française ! Il n’y a ici que d’illustres Rois dont nous ne pouvons qu’admirer l’œuvre.

Colette Mercier :

L’œuvre je ne sais pas, mais la plastique, ça me semble plus difficile ! J’espère que ton Comte n’a pas hérité de tous les traits caractéristiques de tes Rois (mimant le geste d’un nez très long), parce que dans le cas contraire, ce n’est pas un Dom Juan que tu veux offrir à tes filles, mais un Cyrano !

Paul Mercier :

Sois rassurée, Maître Plantard ne m’en a dit que du bien !

Colette Mercier :

Comment ça, Maître Plantard ? Pourquoi me parles-tu de ton avocat ?

Paul Mercier :

C’est lui qui supervise les négociations avec les Gascogne pour le moment. En parlant de Plantard, quelle heure est-il ?

Colette Mercier :

Près de neuf heures.

Paul Mercier :

Neuf heures ? Fichtre ! Je vais finir par être en retard ! J’ai justement rendez-vous avec lui pour faire le point sur tout ça.

Colette Mercier :

Un samedi ?

Paul Mercier :

Pour une affaire d’une telle importance, il n’y a pas de jour chômé ou férié ! Après tout Plantard ne va pas se plaindre, il double ses honoraires le week-end ! Neuf heures, il faut vraiment que je me sauve.

Colette Mercier :

A quelle heure est ton rendez-vous ?

Paul Mercier :

Huit heures.

Colette Mercier :

(Ironique) Oui, en effet, tu risques d’être un peu en retard…

Paul Mercier :

Tu connais Plantard. Jamais à l’heure ! Ce n’est pas pour rien que ses collègues du barreau l’appellent Maître « Plus Tard » ! Alors je me rends toujours à nos rendez-vous avec une heure de retard et généralement il n’y voit que du feu. Allez, je me sauve. (Juste avant de sortir) Fais-moi plaisir, offre à Norbert autant de jours de congés qu’il faudra, mais qu’il retrouve l’usage de la parole au plus vite, veux-tu ?

Colette Mercier :

Et si nous lui proposions d’augmenter ses gages, qu’en dirais-tu ?

Paul Mercier :

Non, il n’en est pas question ! Nos dépenses se sont envolées depuis que nous sommes obligés d’héberger Madame ma Mère sous notre toit, à ta demande d’ailleurs…

Colette Mercier :

Paul, enfin c’est ta Mère. Tu ne pouvais pas la laisser à la rue.

Paul Mercier :

A la rue ! Tu y vas un peu fort tout de même ! Ce que je sais c’est que nous ne pouvons pas nous permettre de jeter l’argent par les fenêtres.

Colette Mercier :

J’oubliais ton sens des affaires. Bon, pour Norbert, je verrai ce que je peux faire, même si… je ne suis pas très optimiste.

Paul Mercier :

Comment cela ?

Colette Mercier :

S’il n’était question que de le convaincre, tu te doutes bien qu’il nous rendrait ce service, mais contre le législateur suprême, Paul, il est plus difficile de lutter.

Paul Mercier : (qui a compris le petit jeu de sa femme)

Le législateur suprême, rien que ça… 2% et pas un sou de plus.

Colette Mercier :

2% sur les 5 dernières années, cela nous fait donc une augmentation de 10%, c’est parfait, je m’occupe de régler cette question avec lui.

Paul Mercier :

Comment ça 10% ? Ce n’est pas du tout…

Colette Mercier : (Elle le coupe et lui apporte sa mallette)

Paul, tu viens de me dire que tu es très en retard. Allez vite dépêche-toi !

Paul Mercier :

Mais je…

Colette Mercier : (Elle le pousse vers la sortie)

Ne dis plus un mot. Inutile de me remercier. Je me charge de tout, fais-moi confiance. A tout à l’heure.

(Paul sort malgré lui. Suzanne entre. Elle est vêtue tout en noir)

Colette Mercier :

(En aparté) Voilà une bonne chose de faite !

Suzanne Mercier :

Bonjour Mère.

Colette Mercier :

Bonjour ma chérie. Comment vas-tu aujourd’hui ?

Suzanne Mercier :

« Les maux désespérés ont des remèdes désespérés ou n'ont pas de remède ».

Colette Mercier :

Othello ?

Suzanne Mercier :

Non, Hamlet, Acte IV, Scène 3.

Colette Mercier :

Je déduis de ta tenue que tu n’as pas encore trouvé le remède en question.

Suzanne Mercier :

Hélas non. « C’est folie de vivre quand la vie est un tourment : et quand la mort est notre seul médecin, alors nous avons une ordonnance pour mourir ». Othello, Acte 1er, Scène 3.

Colette Mercier :

J’ai toujours aimé ton optimisme acharné Suzanne, mais tu serais bien aimable de repousser tes funestes projets à demain. Nous avons un invité ce soir.

Suzanne Mercier :

Certainement Mère, je m’en voudrais de gâcher votre réception pour si peu.

Colette Mercier :

Tu es un ange !

(Norbert passe)

Suzanne Mercier :

Bonjour Norbert.

(Il ne répond pas)

D’évidence, nous sommes déjà samedi. Je n’ai pas vu la semaine passer !

Colette Mercier :

As-tu vu ta sœur ce matin ?

Suzanne Mercier :

Mademoiselle ma Sœur est dans la salle de bain. La connaissant, vous l’y retrouverez probablement ce soir.

Colette Mercier :

Cette petite est désespérante. Je dois voir Norbert, je te laisse ma chérie.

(Elle sort. Un instant après, on sonne)

Suzanne Mercier :

Comme Norbert est absent, je suppose que c’est à moi d’aller ouvrir ! « Nous ne pouvons pas tous être les maîtres, et les maîtres ne peuvent pas tous être fidèlement servis ».

(Suzanne sort pour aller ouvrir. Entre Carmen avec son aspirateur.
Elle voit que le champ est libre. Elle reprend donc son travail.
À peine a-t-elle commencé qu’entrent Suzanne et François)

Suzanne Mercier :

Entrez je vous en prie.

François Dulac :

Je vous remercie infiniment.

Suzanne Mercier :

Carmen, nous avons un invité, pouvez-vous éteindre votre aspirateur quelques instants ?

Carmen :

Si Señorita.

(Voyant que Carmen n’a rien entendu, Suzanne va débrancher l’aspirateur)

Suzanne Mercier :

Carmen, je vous disais que nous avons un invité. Il serait préférable de revenir plus tard.

Carmen :

Oh, Madre mia, et quand yé fé mon trabail ? Dios mio ! Les patronnes…

Suzanne Mercier : (À François)

Je vais chercher Amandine.

(Suzanne sort, ainsi que Carmen toujours râlant. François parcourt la maison du regard.
Il voit les tableaux accrochés aux murs et semble s’y intéresser.
Amandine entre, elle n’est pas encore habillée, toujours en robe de chambre).

Amandine Mercier :

François, mais par tous les saints, que fais-tu là ?

François Dulac :

Amandine, vous la prunelle de mes yeux ! L’aurore de mes matins ! Le sucre dans mon café ! L’herbe fraîchement coupée de mon jardin ! L’étoile de mes…

Amandine Mercier :

(Le coupant) Oui, ça va, François, j’ai compris l’idée ! Que viens-tu faire ici ?

François Dulac :

Je viens déclarer haut et fort ma flamme brûlante et intarissable à qui veut l’entendre !

Amandine Mercier :

Comment ça, à qui veut l’entendre ! Mais personne ne le veut François, personne.

François Dulac :

N’en soyez pas si sûre, ma bien-aimée !

Amandine Mercier :

François, tu veux me faire plaisir ?

François Dulac :

Je ne vis que pour vous servir… Un mot de vous et je m’exécute ! Demandez-moi la lune, demandez-moi l’impossible et je le rendrai possible ! Que nulle demande ne reste inassouvie, j’en fais le serment.

Amandine Mercier :

François !

François Dulac :

Oui mon amour ?

Amandine Mercier :

Tais-toi !

François Dulac :

Oui mon amour.

Amandine Mercier :

Que t’ai-je dit au sujet de cette maison ?

François Dulac :

Vous m’avez prié instamment de ne jamais venir ici.

Amandine Mercier :

Et donc que fais-tu là ?

François Dulac :

Ne vous inquiétez pas, j’ai guetté le départ du maître de céans, Monsieur Mercier, nous ne risquons rien, je l’ai vu partir. Je dois rencontrer Monsieur votre père afin de lui faire ma demande.

Amandine Mercier :

Quelle demande ?

François Dulac :

Mais votre main, voyons !

Amandine Mercier :

Tu veux aller voir mon père pour lui demander de m’épouser ? Mais François nous nous connaissons depuis quoi… une quinzaine de jours ?

François Dulac :

Dix-sept pour être exact et pas un de ces jours n’est passé sans que je ne pense à vous.

Amandine Mercier :

Dix-sept déjà ?

François Dulac :

Vous connaissez ma précision pour les chiffres. C’est une déformation professionnelle. Quinze années au Trésor Public, cela vous forge un homme !

Amandine Mercier :

Qui l’eut cru ? J’aurais imaginé cette remarque plutôt dans la bouche d’un légionnaire que dans celle d’un inspecteur des impôts, mais si tu le dis…

François Dulac :

Amandine, l’idée de vivre sans admirer votre exquise beauté chaque jour m’est devenue intolérable. Je dois voir votre père pour lui faire part de la résolution qui est la mienne.

Amandine Mercier :

François, tu sais toute l’affection que j’éprouve à ton égard, mais je te l’ai déjà dit, il n’est pas question de rencontrer mon Père. Il est le majordome des Mercier depuis vingt ans et…

François Dulac :

Oui, en effet j’en ai souvenance. Mais qu’est-ce qui peut m’empêcher de venir le voir ?

Amandine Mercier :

Et bien… Il n’a pas le droit de recevoir de visiteurs !

François Dulac :

Voilà qui est parfait puisque j’ai attendu que Monsieur Mercier s’en aille. Ainsi, nul n’en saura rien ! Où est-il ?

Amandine Mercier : (prise au dépourvu)

… Il dort !

François Dulac :

Il dort ? À cette heure-ci ? Je suis sûr que pour une occasion comme celle-ci, il vous pardonnera de l’avoir réveillé.

Amandine Mercier :

Tu ne comprends pas… Il est très malade !

François Dulac :

Miséricorde, est-ce que c’est grave ?

Amandine Mercier :

Oui, enfin non… Tu sais à certains moments ses blessures de guerre se réveillent et là, il doit être au repos total. Surtout aucune visite, ça l’épuise !

François Dulac :

C’est terrible. Quelle guerre a-t-il faite ?

Amandine Mercier :

Oh, à peu près toutes !

François Dulac :

Quel grand patriote ! Alors quand puis-je revenir ?

Amandine Mercier :

Pas tout de suite ! Ça peut prendre beaucoup de temps… et puis de toute façon si on apprend que tu es venu le voir pendant son service, Norbert, enfin je veux dire… Papa, risque d’être mis à la porte !

François Dulac :

À quelle heure termine-t-il son service ?

Amandine Mercier :

C’est à peine si les Mercier lui laissent une heure ou deux pour dormir ! Non, vraiment tout ça n’est pas une bonne idée. Fais-moi plaisir et sauve-toi vite.

François Dulac :

Quelle famille abominable ! J’ai des relations mon ange, je vais lui trouver une meilleure place et un bon médecin.

Amandine Mercier :

(En aparté) A-t-on vu homme plus serviable que celui-là ?

(À François) Penses-tu, personne ne voudra l’engager dans son état, quant à sa maladie elle est incurable. Crois-moi, il vaut mieux que tu partes.

(On entend Colette Mercier qui approche)

Colette Mercier :

(Des coulisses) Merci Norbert, et encore désolée pour ces changements de dernière minute.

Amandine Mercier :

Ciel, ma mère ! Enfin je veux dire… Ciel, la mère Mercier, caches-toi, vite.

(Amandine pousse François dans le dressing ; entre Colette)

Colette Mercier :

Bon, tout est arrangé avec Norbert. Il a enfin accepté de se remettre au travail. J’ai mis un temps infini à lui faire comprendre qu’il avait de nouveau le droit de me parler. Ça va ? Tu as l’air troublée.

Amandine Mercier : (jetant un œil au placard)

Tout va très bien, Mam… Madame Mercier, je vous remercie.

Colette Mercier :

(En aparté) Quel jeu a-t-elle encore inventé ?

(À Amandine) Qui était-ce ?

Amandine Mercier :

Qui était quoi ?

Colette Mercier :

On a bien sonné je crois ?

Amandine Mercier :

Ah, oui ! On a sonné…

Colette Mercier :

Et bien alors, qui était-ce ?

Amandine Mercier :

C’était… le facteur pour ses étrennes.

Colette Mercier :

A cette période ?

Amandine Mercier :

Oui, il m’a dit que cette année, il avait pris un peu d’avance.

Colette Mercier :

Quatre mois d’avance, il perd la boule le pauvre homme ! Tu as fait le nécessaire ?

Amandine Mercier :

Oui, oui c’est bon.

Colette Mercier :

Très bien. Maintenant fais-moi le plaisir d’aller t’habiller, veux-tu ?

Amandine Mercier :

J’y cours.

Colette Mercier :

Je vais demander à Carmen de t’aider à te préparer, nous gagnerons du temps.

(Colette sort et Amandine ouvre le placard)

François Dulac :

Quels monstres, obliger votre père à besogner alors qu’il est au plus mal. Dire que le pauvre bougre n’est même pas autorisé à parler ! C’est une honte la façon dont ils le traitent ! On ne peut pas laisser faire ça !

Amandine Mercier :

Non, crois-moi c’est mieux comme ça. Ça ne ferait qu’empirer les choses.

(Carmen approche)

Amandine Mercier :

Vite cache-toi, quelqu’un approche.

François Dulac :

Mais…

(François est enfermé à nouveau dans son placard et Carmen entre)

Amandine Mercier :

Ah c’est toi Carmen ! Tu m’as fait peur.

(Elle ressort François de son placard, il se tient le nez)

François, si tu m’aimes, quitte cette maison !

François Dulac : (toujours en se tenant le nez)

D’accord mon amour, il me semble en effet que c’est mieux pour l’instant. J’apprécie grandement votre compagnie, un peu moins celle de votre placard. Je vous promets que je trouverai un moyen de revenir et de vous libérer des griffes de ces… esclavagistes !

Amandine Mercier :

Fais donc ça.

François Dulac :

De toute façon, je dois rejoindre mon bureau, j’ai une pile de dossiers de contribuables à traiter pour demain.

Amandine Mercier :

Très bien, voilà une excellente idée. Retourne donc à la chasse aux mauvais payeurs, mon chéri. Je suis sûre que tu vas attraper un gros poisson qui a oublié de déclarer une ou deux villas à Saint-Tropez et que tu seras promu Inspecteur en Chef des impôts !

François Dulac :

Vous savez bien que je suis déjà Inspecteur en Chef, mon ange.

Amandine Mercier :

Oui, c’est vrai. Et bien tu n’as plus qu’à devenir Ministre des Finances ! Allez, file, avant que quelqu’un d’autre ne te voie.

François Dulac :

Soyez forts, vous serez bientôt libres ton père et toi, j’en fais le serment.

Amandine Mercier :

Oui, oui, c’est gentil. Allez…

(François sort)

J’ai peur d’y avoir été un peu fort avec lui… Il est si charmant…

Carmen :

Madre de Dios, qui cé, cé Señor qui sort dou placard ?

Amandine Mercier :

(Sur le ton de la confidence) C’était François. François Dulac. Je l’ai rencontré il y a trois semaines chez des amis. Il est plutôt beau garçon, non ?

Carmen :

Si Señorita, es muy bello, mé yé comprends rienne quand il parle lé Frances !

Amandine Mercier :

Il a un côté un peu désuet, oui, mais j’avoue que je trouve ça charmant. C’est à mourir de rire, il veut me libérer des griffes des Mercier ! Quel amour… Je me demande parfois si me faire passer pour la fille de mon majordome est vraiment une bonne idée.

Carmen :

Il né faut pas mennetir Señorita, Lé bonne Dios il n’éme pas lé mensonche !

Amandine Mercier :

Je sais Carmen, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour être sûr que c’est pour moi et non pour l’argent de mon père que François s’intéresse à moi, tu comprends ?

Carmen :

La Señorita Amannedine né doit pas chouer abéc le Señor Doulac. Cielos, tout ça fa mal finir !

Amandine Mercier :

Tu as raison, après tout, en voilà un qui m’a vraiment l’air sincère pour une fois. Et puis, il est tellement différent des autres…

(Entre Suzanne. Elle prend sa sœur à part, pendant que Carmen range un peu puis sort l’aspirateur)

Suzanne Mercier :

Alors Amandine, qui était ce ténébreux jeune homme qui est venu te voir ?

Amandine Mercier :

François Dulac. Fonctionnaire. Joli garçon. Un peu bizarre quand il parle, mais plutôt charmant dans l’ensemble. Figure-toi qu’il veut m’épouser !

Suzanne Mercier :

« O Gertrude, Gertrude, quand les malheurs arrivent, ils ne viennent pas en éclaireurs solitaires, mais en bataillons ». Voilà désormais établi que les épousailles de ma sœur cadette auront lieu avant les miennes. Je suis défaite ! Tu le fréquentes depuis longtemps ?

Amandine Mercier :

Plutôt oui, au moins quinze jours.

Suzanne Mercier :

Oui, je vois. Une éternité en somme !

(Carmen allume l’aspirateur)

Amandine & Suzanne Mercier :

Carmen !

(Carmen agacée éteint l’aspirateur)

Suzanne Mercier :

Plus tard, Carmen !

Carmen :

Oh, Madre de Dios. « Plous tard Carmen », les patronnes, touyours ils dissent « plous tard ». Mais il faut bienne que yé passe l’aspirador ! Oh Dios mio !

(Carmen sort avec l’aspirateur)

Amandine Mercier :

Merci Carmen !

Suzanne Mercier :

Et au fait qu’as-tu répondu ?

Amandine Mercier :

À quel sujet ?

Suzanne Mercier :

Et bien pour le mariage enfin ?

Amandine Mercier :

Tu es folle, tu me vois mariée moi ? Je suis bien trop jeune pour ça.

Suzanne Mercier :

Crois-en mon expérience, « La jeunesse est une étoffe qui ne dure point ».

Amandine Mercier :

Il est vraiment adorable avec sa demande en mariage. Il avait l’air si sérieux, que c’en était touchant tu vois. Il avait ce je ne sais quoi dans le regard...

Suzanne Mercier :

Oui, je vois « L'amour des jeunes gens en vérité n'est pas dans leur cœur mais plutôt dans leurs yeux ».

Amandine Mercier :

Oui c’est exactement ça ! Et puis nous avons fêté nos quinze jours quand même, ça compte dans une vie de couple.

Suzanne Mercier :

« Cœur insouciant vit longtemps »…

Amandine Mercier :

Quand il s’agit de parler en citations, tu es inépuisable ma chère sœur.

Suzanne Mercier :

Quel intérêt d’utiliser ses propres mots quand ceux des grands auteurs sont à notre disposition.

Amandine Mercier :

Peut-être pour partager avec ta sœur une pensée personnelle, pour changer !

(Suzanne hausse les épaules, visiblement pas convaincue)

(Entre Norbert)

Norbert :

Bonjour, Mesdemoiselles. Je rentre à l’instant de mon congé hebdomadaire, aussi si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez me le demander.

Amandine Mercier :

Oui, j’ai appris que votre jour de repos avait été écourté, j’en suis désolée pour vous mon bon Norbert. Mais vous avez une mine superbe !

Norbert :

J’ai passé toute la matinée au soleil dans le jardin, près de l’étang. Il n’y a pas pour moi de meilleure destination de villégiature. Ça vaut tous les St Tropez, Barcelone et autre… Vesoul !

Amandine Mercier :

Et puis l’avantage c’est que le trajet pour s’y rendre est nettement moins long ! Savez-vous pourquoi on vous a privé de votre soleil ?

Suzanne Mercier :

Il semblerait que nous ayons un visiteur de marque à accueillir ce soir.

Amandine Mercier :

Oh non... Encore des mondanités !

Norbert :

J’en ai peur.

(Entre Carmen)

Carmen :

Allez, Señorita, benez, il faut fous préparer. La Señora Mercier, elle né fa pas être connetenté si fous n’étes pas préte.

Amandine Mercier : (imitant l’accent et les intonations de Carmen)

Oh « Madre de Dios » Carmen, si c’est ce que veut « mi Señora Madre », que sa volonté soit faite !

Carmen :

Señora Amandine, fous sabez bienne que yé n’éme pas quand fous fous moquez!

Amandine Mercier :

Oui, oui.

Norbert :

Si Mesdemoiselles veulent bien m’excuser, je crois que Madame votre Grand-Mère souhaite que je prépare des petits fours. Je n’ai pas bien compris si c’était pour le dîner de ce soir ou pour elle-même.

Amandine Mercier :

J’ai une petite idée de la réponse, mais je préfère vous laisser la surprise !

(Amandine et Carmen sortent)

Suzanne Mercier : (visiblement tentée)

Des petits fours, vous dites ?

Norbert :

Dans le jardin. Je prévois de les servir disons… dans quinze minutes ? Je prévois pour deux si je comprends bien.

Suzanne Mercier : (gênée)

Mais je n’ai rien dit Norbert.

Norbert : (avec un discret sourire)

Mais moi non plus Mademoiselle.

(Il sort. Suzanne regarde sa montre, puis va s’asseoir avec un livre sur le canapé.
Elisabeth entre quelques instants plus tard)

Elisabeth Mercier :

Bonjour ma chérie.

Suzanne Mercier :

Bonjour grand-mère. Comment allez-vous aujourd’hui ?

Elisabeth Mercier :

Ma chérie, ta grand-mère a une terrible gueule de bois ce matin. Que veux-tu, je ne tiens plus l’alcool. J’ai dormi tellement profondément cette nuit, que j’ai cru que c’était mon dernier sommeil.

Suzanne Mercier :

Ce doit être une sensation fort déplaisante.

Elisabeth Mercier :

Tu sais, à mon âge, quand on se couche on ne sait jamais vraiment comment ça va se terminer, alors on s’habitue... (Se frottant les tempes), Parfois je me dis qu’entre partir de cette terre en douceur et se réveiller avec une migraine pareille, la question peut se poser.

Suzanne Mercier :

Voyons Grand-Mère : « Plus le corps est faible, plus la pensée agit fortement ».

Elisabeth Mercier :

C’est ce qu’il faudrait rappeler à ton Père vois-tu. Lui qui a tout fait pour me coller dans cette institution pour vieillards séniles. Il y serait parvenu si ta mère n’avait pas insisté. Tu te rends compte, ma chérie, tu serais venue me voir le dimanche avec quelques fruits secs et un bouquet de fleurs dégarni. Je t’aurais raconté comment Monsieur Martel a fait tomber son dentier dans son bol de café et comment Madame Pignon s’est mise à ronfler pendant l’atelier macramé de l’après-midi. Quelle horreur !

Suzanne Mercier :

Quelle belle évocation Grand-Mère. On dirait du Zola.

Elisabeth Mercier :

Zola ? Moi qui croyais que tu ne lisais que Shakespeare !

Suzanne Mercier :

J’essaye d’élargir mes centres d’intérêts Grand-Mère, Zola, Baudelaire, Victor Hugo…

Elisabeth Mercier :

Quel éclectisme ! Tiens, j’ai parfois l’impression que mon propre fils se comporte avec moi comme un vulgaire Thénardier ! M’envoyer dans une maison de fous…

Suzanne Mercier :

Il semble que Père ait changé d’avis lorsqu’il a vu les tarifs exorbitants de la résidence dont vous parlez. Il a changé de couleur, je m’en souviens, il est devenu d’abord blanc comme un linge, puis vert de rage. Et entre nous, le vert ne lui va pas du tout au teint.

Elisabeth Mercier :

Il n’y a pas grand-chose qui lui aille d’ailleurs. Quand il était enfant, je ne savais jamais quoi lui mettre sur le dos ! Enfin, je suis sa mère quand même ! N’aie jamais d’enfants ma chérie, tous des ingrats. Quand je pense à tout ce que j’ai fait pour lui !

Suzanne Mercier :

Entre nous Grand-mère, vous n’avez pas passé beaucoup de temps à vous occuper de Père quand vous étiez plus jeune. Il ne fallait pas vous attendre à autre chose aujourd’hui. Vous meniez la grande vie, d’un cabaret à l’autre.

Elisabeth Mercier :

Qui t’a raconté une chose pareille ?

Suzanne Mercier :

C’est vous Grand-mère, vous ne vous souvenez-pas ? Et j’imagine vous connaissant, que vous étiez encore en galante compagnie hier soir.

Elisabeth Mercier :

Tu veux que je te dise ma petite chérie, c’est une manie chez moi, il faut toujours que je parle trop. Quant à toi, tu es beaucoup trop intelligente pour une jeune femme de ton âge. Je ne sais pas bien de qui tu tiens ça dans cette famille. C’est un mystère !

Suzanne Mercier :

Peut-être de Grand-Père ? Je ne l’ai pas connu, comment était-il ?

Elisabeth Mercier :

Disons que je ne l’ai pas vraiment connu non plus. Tu as vu ton Père ce matin ?

Suzanne Mercier :

Il est sorti pour une affaire urgente, semble-t-il.

Elisabeth Mercier :

Avec lui, toutes les affaires sont urgentes, dès lors qu’il ne s’agit pas de s’occuper de sa pauvre Mère.

Suzanne Mercier :

Vous voudriez réellement que Père se mette à s’occuper de vos « affaires », Grand-Mère ?

Elisabeth Mercier :

Peut-être pas, tu as raison. Bon, en attendant, je vais faire un petit tour dans le jardin, histoire de me dégourdir les jambes et de garder la forme. La marche c’est excellent pour la santé tu sais, ça maintient.

Suzanne Mercier :

Moi qui croyais que vous aviez horreur de marcher.

Elisabeth Mercier :

Oui c’est vrai, mais si je peux emmerder ton Père quelques années de plus, je suis prête à faire ce sacrifice.

Suzanne Mercier :

Quelle abnégation, Grand-Mère !

Elisabeth Mercier :

Toi aussi, tu trouves !

Suzanne Mercier :

Je vais vous accompagner si vous le permettez. Il m’est venu aux oreilles une indiscrétion concernant des petits fours servis dans le jardin…

Elisabeth Mercier :

Décidément, on ne peut rien garder secret dans cette famille. Viens avec moi, ma petite chérie. Quand il y en a pour une…

NOIR

Scène 2 

(Entrée de Paul Mercier)

Paul Mercier :

Norbert ! Norbert !...

(Norbert passe cette fois dans sa tenue de travail, mais toujours sans répondre)

Il ne va pas me refaire le coup quand même ? Norbert !

(Entrée de Colette Mercier)

Colette Mercier :

Que se passe-t-y encore, Paul ?

Paul Mercier :

N’as-tu pas parlé à Norbert ?

Colette Mercier :

Bien sûr que si et tout est arrangé.

Paul Mercier :

Vu ce que m’a coûté cet arrangement, j’aimerais au moins en avoir pour mon argent !

Colette Mercier :

Que veux-tu dire ?

Paul Mercier :

Je veux dire que Norbert continue de nous ignorer superbement !

Colette Mercier :

Tu dois faire erreur, Paul.

Paul Mercier :

Et bien appelle-le, tu vas voir. Il ne répond toujours pas !

Colette Mercier : (sur un ton posé)

Norbert.

Norbert :

(Surgissant aussitôt) Oui, Madame.

Colette Mercier :

Tu vois, il n’y a pas de quoi se mettre dans des états pareils.

Norbert :

Que puis-je pour votre service, Madame ?

Colette Mercier :

Norbert, Monsieur semble penser que vous ne lui répondez pas quand il vous appelle ?

Norbert :

C’est exact, Madame.

Paul Mercier : (triomphant)

Tu vois, je te l’avais bien dit ! Et en plus il l’avoue, le bougre ! A-t-on vu pareille impertinence ?

Colette Mercier :

Paul, calme-toi. Norbert a certainement une explication à nous donner. Pour quelle raison ignorez-vous Monsieur, Norbert ?

Norbert :

Vous m’avez autorisé à vous parler, mais vous n’avez rien précisé pour Monsieur, ainsi...

Paul Mercier :

C’est une plaisanterie ?

Colette Mercier :

Non, Paul. C’est parfaitement exact. (A Norbert) Je suis navrée Norbert de ce malentendu. Vous pouvez parler à Monsieur.

Norbert :

Bien, Madame.

(Et sans attendre, il sort)

Colette Mercier :

Et bien tu vois Paul, il n’y a pas besoin de t'agiter !

Paul Mercier :

Un malentendu, ben voyons ! (S’apercevant de la disparition de Norbert) Mais où est-il ? Pourquoi Diable est-il parti, puisque je n’ai pas cessé de l’appeler depuis que je suis rentré ! Ce n’est pas un majordome que nous avons, c’est un illusionniste ! Dès qu’on a besoin de lui, pfuiiit… Il disparaît mystérieusement ! (Criant) Norbert !

Colette Mercier :

Paul !

Paul Mercier :

Pardon, mon sucre d’orge !

(Hurlant dans une sorte de murmure grotesque)

Norbert ! Norbert !

(En aparté) Voilà qui ne risque pas de le faire venir, j’en ai peur.

(À sa femme) Ne bouge-pas, tu vas voir ce que tu vas voir !…

(Paul a semble-t-il une idée. Il sort par la porte d’entrée.
On sonne. Norbert apparaît pour aller ouvrir. Paul surgit comme un diable sortant de sa boite)

Ah, cette fois je vous tiens !

Norbert : (imperturbable)

Monsieur a-t-il perdu ses clés ?

Paul Mercier :

Non ! Monsieur n’a pas perdu ses clés. Mais sa patience en revanche oui, Norbert !

Norbert :

Que puis-je faire pour… soulager Monsieur ?

Paul Mercier : 

(Agacé) Écoutez-moi attentivement Norbert, parce que je vous demande de suivre mes instructions à la lettre pour changer ! J’ai une déclaration importante à faire aussi j’aimerais que vous alliez me chercher mes filles…

Norbert : 

Bien Monsieur. Faut-il également prévenir Madame votre Mère ?

Paul Mercier : 

Je l’avais oublié celle-là. Où est-elle, vous le savez ?

Norbert : 

Madame votre Mère a demandé qu’on lui apporte des petits fours dans le jardin.

Paul Mercier : 

Des petits fours ? Et puis quoi encore ! Allez me la chercher avant qu’elle ne vide tous nos placards à provisions. Quelle sangsue !

Norbert : 

J’y vais de ce pas (Norbert s’incline lentement et fait demi-tour).

Paul Mercier : (Qui perd patience)

Personne n’a dit d’y aller au pas, mais au trot Norbert, au trot !

Norbert : 

Bien Monsieur.

(Il sort en prenant une étrange démarche sautillante : il part au trot)

Paul Mercier :

Tu n’as pas l’impression que parfois Norbert se fiche complètement de nous ?

Colette Mercier : (amusée)

De nous, je ne pense pas. De toi, j’en suis moins sûre. Au fait, comment s’est passé ton rendez-vous avec Maître Plantard ? Tu as fait vite.

Paul Mercier :

Tu ne vas pas le croire, il a une extinction de voix ! Au début c’est un peu déroutant, mais finalement qu’est-ce qu’on gagne comme temps !

Colette Mercier :

Un accident du travail, sans doute.

Paul Mercier :

Oui, une plaidoirie un peu trop enflammée d’après ce que j’ai compris et paf ! Un double claquage des cordes vocales. Il ne peut plus prononcer un mot ! Nous avons relu ensemble la version définitive de l’accord que j’espère bien faire signer au comte de Gascogne ce soir.

Colette Mercier :

J’imagine que tu vas annoncer à tes filles ce qui les attend.

Paul Mercier :

Absolument !

Colette Mercier :

Essaie de faire les choses en douceur, Paul.

Paul Mercier :

Je te remercie de tes conseils, mais je sais encore comment faire pour parler à mes filles. Par ailleurs, à leur âge, il est temps que nous prenions un peu les devants. Dois-je te rappeler les énergumènes qu’Amandine nous ramène régulièrement à la maison ?

Colette Mercier :

Elle n’a jamais su choisir ses fréquentations, c’est un fait, néanmoins ne la bouscule pas trop, veux-tu ?

Paul Mercier :

Tu me connais, une main de velours dans un gant de fer…

Colette Mercier :

C’est l’inverse Paul.

Paul Mercier :

Comment ?

Colette Mercier :

Une main de fer dans un gant de velours, tu as dit le contraire.

Paul Mercier :

Quelle importance !

(Norbert entre toujours avec sa démarche trottinante, suivi de Suzanne et d’Elisabeth).

Suzanne Mercier :

Bonjour, Père. Vous désiriez notre présence ?

Paul Mercier :

Bonjour Suzanne. Oui en effet je voulais te voir parce que j’ai une nouvelle importante à t’apprendre.

Elisabeth Mercier :

Je précise que je ne suis pas encore passée dans l’autre monde, ne t’en déplaise. Tu es donc dans l’obligation de me dire bonjour, du moins encore pour quelque temps.

Paul Mercier :

Bonjour, Maman. J’avoue ne pas me faire beaucoup de souci pour toi. Vu ta consommation de petits fours, tu ne risques guère qu’une légère indigestion.

Elisabeth Mercier :

J’ai l’estomac solide, je te remercie.

Paul Mercier :

Je me réjouis de voir que tu es aussi en forme ce matin.

Elisabeth Mercier :

Oui, et crois bien que je m’y emploie ! (À Colette) Bonjour Colette, comment allez-vous aujourd’hui, (pointant du doigt son fils) malgré les… circonstances.

Colette Mercier :

Bonjour Belle-maman, je me porte bien je vous remercie, en dépit de circonstances particulièrement changeantes aujourd’hui.

Paul Mercier :

Quand vous aurez fini de parler en énigme… Vous savez que j’ai horreur de ça !

Colette & Elisabeth Mercier :

Nous le savons.

Paul Mercier :

Parfois, vous me faites peur toutes les deux. J’en ai des frissons dans le dos. Revenons à ce qui nous occupe. Mais au fait, où est Amandine ?

Norbert :

Elle vous rejoint dans un instant.

Paul Mercier :

Dans un instant ? Avec elle les secondes s’apparentent plutôt à des heures et les « instants » à des éternités ! Norbert, retournez voir ma chère fille et faites la moi descendre manu militari, voulez-vous ?

Norbert :

Bien Monsieur.

(Norbert sort)

Suzanne Mercier :

Alors de quoi s’agit-il, Père ? Quelle est cette nouvelle qui ne pouvait attendre ? C’est au sujet de votre invité de ce soir, je suppose.

Paul Mercier :

Oui en effet. Je vous ai fait venir simplement pour vous informer que nous avons l’extrême honneur de recevoir ce soir dans notre maison un membre de la famille royale, le Comte Philbert de Gascogne.

Suzanne Mercier :

D’accord nous voilà prévenues, mais en quoi est-ce que cela nous regarde ?

Paul Mercier :

Excellente question ! Et je vais te répondre sans détour. (Après un temps) Il arrive un moment, dans la vie d’un homme, où il doit faire le point sur ce qu’il a réalisé, sur l’empreinte qu’il souhaite laisser dans ce monde, vois-tu ? Et cet instant est venu pour ton père. Je suis à la tête d’une petite entreprise qui fonctionne plutôt bien et je sais que vous ne manquerez de rien, mais qui se soucie de cela à l’échelle de l’Histoire ? Tu peux me le dire ? Personne…

Colette Mercier :

Paul.

Paul Mercier :

Oui, mon sucre d’orge ?

Colette Mercier :

Viens-en au fait, veux-tu ? Sinon le suspense va tous nous tuer !

Elisabeth Mercier :

Tu recommences à digresser Paul.

Paul Mercier :

Comment je digresse !

Suzanne Mercier :

Oui, papa, vous digressez. C’est un fait !

Elisabeth Mercier :

Tu as toujours excellé dans l’art de la circonvolution, Paul. Enfin, il fallait bien que tu sois doué pour quelque chose.

Paul Mercier :

Ma chère Maman, si pour toi être doué pour quelque chose signifie chanter ou faire des claquettes avec une plume dans le derrière, alors en effet je n'ai pas ton talent.

Elisabeth Mercier :

Tu t'égares, mon petit Paul...

Paul Mercier :

Fichtre ! Soyons bref. Où en étais-je ?

Elisabeth Mercier :

Tu évoquais ma carrière artistique.

Suzanne Mercier :

Vous alliez nous dire pourquoi la venue de Monsieur le Comte de je-ne-sais-plus-quoi nous concerne ?

Paul Mercier :

Oui, c’est ça ! Sa venue te concerne tout particulièrement Suzanne, ainsi que ta sœur, pour la simple raison que l’une de vous deux va l’épouser !

Suzanne Mercier :

C’est une plaisanterie ?

Colette Mercier : (ironique)

Sache que ton père ne plaisante jamais quand il s’agit de l’honneur de notre famille !

Elisabeth Mercier :

Et dire que c’est moi qu’on veut envoyer dans une maison de fous !

Suzanne Mercier :

Et à laquelle de nous avez-vous songé pour satisfaire votre nouvelle lubie ?

Paul Mercier :

Et si c’était de toi dont il était question, qu’en dirais-tu ?

Suzanne Mercier :

« L'amour n'est pas l'amour, quand il s'y mêle des considérations étrangères à son objet suprême ».

Paul Mercier :

Quelle manie ont les femmes de cette famille de parler dans un langage qu’elles seules peuvent comprendre !

Elisabeth Mercier :

Ta fille semble considérer que tes souhaits de grandeur se marient mal avec l’idée qu’elle se fait d’un amour sincère et véritable.

Suzanne Mercier :

Absolument !

Paul Mercier :

Mais qui parle d’amour enfin. Il y a des idéaux plus grands que toutes ces sensibleries que vous appelez l’Amour.

Colette Mercier :

En t'écoutant, je comprends beaucoup de choses sur notre mariage, Paul.

Paul Mercier :

Justement. Je t'ai épousée par amour ; maintenant je pense aux idéaux plus grands. Et puis il n’est pas question de nous ici, mais du comte.

Suzanne Mercier :

A part son titre, votre comte ne semble pas avoir grand-chose à offrir à sa promise ?

Paul Mercier :

Mais pas du tout, c’est une personne de grande qualité, n’en doute-pas.

Colette Mercier :

Paul, n’en fais pas trop, tu ne sais même pas à quoi ressemble ta « personne de grande qualité »…

Paul Mercier :

Ne t'en mêle pas, je t'en prie.

Colette Mercier :

Si je peux éviter à mes filles de s’engager avec le premier venu pour les trente années à venir, mon expérience n’aura pas été inutile !

Paul Mercier :

Comment ça ton expérience ? Tu aurais pu tomber bien plus mal, crois-moi.

Colette Mercier :

Oui, c’est juste. J’aurai pu être mariée de force avec un comte désargenté affublé d’une hideuse protubérance nasale !

Paul Mercier :

Laisse donc tes filles décider de ce qui est le mieux pour elle, veux-tu ?

Suzanne Mercier :

Que savez-vous de lui, Père ?

Paul Mercier :

Tout ce qu’il y a à savoir !

Suzanne Mercier :

Je vois. Que fait-il de ses journées votre comte ?

Paul Mercier :

Il… est très occupé.

Suzanne Mercier :

Quels sont ses centres d’intérêts ? Aime-t-il la chasse, ou la lecture ? Pratique-t-il un sport quelconque ?

Paul Mercier :

Il s’intéresse à beaucoup de choses, c’est un fait.

Colette Mercier :

Nous voilà bien avancé, Paul !

Suzanne Mercier :

Donc si je comprends bien, vous voulez que j’épouse ce comte, sans savoir à quoi il ressemble, hormis que c’est une « personne de grande qualité ». Un homme dont vous ne savez pour ainsi dire rien, juste pour inscrire notre famille dans une lignée royale dont personne ne se préoccupe depuis plus d’un siècle ! Surtout, dites-moi si je me trompe !

Paul Mercier : (résigné)

Oui évidemment présenté comme cela…

Elisabeth Mercier :

Parce que tu vois une autre façon de présenter les choses, toi ?

Paul Mercier : (À Suzanne)

Je suppose que c’est un non. Bien, j’en prends note. Tu préfères rester seule avec tes livres et ton Molière, libre à toi, mais tu me feras le plaisir de ne pas décourager ta sœur…

Colette Mercier :

Shakespeare Paul, ta fille apprécie les œuvres de Shakespeare et non de Molière.

Paul Mercier :

Shakespeare, Molière, c’est du pareil au même. Tous des saltimbanques !

Elisabeth Mercier :

Il m'agace quand il parle des saltimbanques... des artistes, Paul... comme ta mère. N'oublie pas d'où tu viens.

Paul Mercier :

Je ne pense qu'à cela, au contraire. Pour mieux aller ailleurs.

Suzanne Mercier :

Vous avez prévu de faire cette proposition à Amandine, Père ?

Paul Mercier :

Oui ne t’en déplaise. Amandine se montrera sûrement plus raisonnable que toi. (On entend Amandine approcher) Tiens justement la voilà ! Tu auras eu ta chance.

(Entrent Amandine et Norbert)

Amandine Mercier :

Bonjour Papa, mais que se passe-t-il ? Norbert m’a littéralement arrachée à mes préparatifs matinaux.

Paul Mercier :

Tes préparatifs de 11h30 ne me semblent pas si matinaux que ça, mais passons.

Amandine Mercier :

J’espère qu’il s’agit d’une urgence. Je n’ai même pas eu le temps de mettre mon masque de soin. (Voyant que toute la famille est présente) Quand Papa convoque le conseil de famille, c’est rarement bon signe !

Paul Mercier :

Mais qu’est-ce que vous avez toutes avec ça, je ne convoque personne voyons, je t’ai fait venir pour t’annoncer que nous recevons ce soir dans notre maison le Comte Philbert de Gascogne. C’est un immense honneur qu’il nous fait.

Amandine Mercier :

(Pas convaincue) C’est formidable, Papa ! Voilà une nouvelle qui méritait bien de venir me déranger dans la salle de bain !

Paul Mercier :

Tu étais encore dans la salle de bain à une heure pareille ? Mais que peux-tu bien faire dans cette salle de bain pour y passer autant de temps ?

Amandine Mercier :

Papa, tu ne connais vraiment rien aux femmes !

Colette Mercier :

Tu vois, et ce n’est pas moi qui le dis.

Paul Mercier :

Colette je t’en prie ! Et toi, depuis quand es-tu devenue une femme ?

Amandine Mercier :

Voyons Papa, ça fait au moins deux semaines, mais tu ne fais jamais attention à rien !

Paul Mercier :

Faire attention à quoi, ce n’est pas écrit sur ton visage tout de même.

Amandine Mercier :

Figure-toi que si ! (Elle fait une drôle de moue avec les lèvres)

Paul Mercier :

(À Colette) Par tous les Saints, je ne comprends pas un traître mot de ce que ta fille raconte.

Amandine Mercier :

Pourtant c’est clair comme de l’eau de roche, Papa ! (Elle fait à nouveau sa drôle de moue avec les lèvres)

Paul Mercier :

Mais qu’as-tu à faire cette drôle de grimace avec ta bouche !

Colette Mercier :

Paul ta fille essaye de te montrer qu’elle porte du rouge à lèvres.

Paul Mercier :

Du rouge à lèvres ? À son âge ? (à sa femme) Et toi, tu laisses faire ça ?

Colette Mercier :

Ça n’a pas eu l’air de trop te gêner jusqu’à présent.

Paul Mercier : (Gêné)

J’ai eu beaucoup à faire ces derniers jours, je ne peux pas être partout à la fois ! Et puis, ce n’est pas le moment d’avoir cette discussion. Ce qui compte pour l’instant c’est la venue du Comte. Amandine, ma chérie, j’ai la joie de t’annoncer que tu vas bientôt épouser un authentique membre de la famille royale de France.

Amandine Mercier :

Moi ?? Mais... Papa, tu n’y penses pas ! Je suis bien trop jeune pour songer à me marier.

Paul Mercier :

Comment ça trop jeune ? Il y a un instant tu revendiquais ton tout nouveau statut de femme. Si tu as l’âge de mettre du rouge à lèvres, tu as celui de te marier ! (il reproduit la moue de sa fille)

Amandine Mercier : (essuyant ses lèvres d’un revers de la main)

Tu l’as dit toi-même je n’ai pas l’âge de mettre du rouge à lèvres.

Paul Mercier :

C’est un peu facile de changer d’avis quand ça t’arrange !

Amandine Mercier :

Tu vois bien, Papa. Je change d’avis sur un coup de tête. C’est la preuve que je suis trop immature pour me marier.

Colette Mercier :

Crois-en mon expérience, tu ne serais pas la première à qui ça arrive…

Paul Mercier :

Colette n’en rajoute pas, je t'en prie... Amandine…

Amandine Mercier :

Jamais, Papa !

Paul Mercier :

Amandine, c’est toi qui épouseras le Comte, un point c’est tout !

Amandine Mercier :

Non, je ne l’épouserai pas !

Paul Mercier :

Tu l’épouseras, te dis-je !

Amandine Mercier :

Plutôt mourir !

Paul Mercier :

Fichtre, a-t-on vu une fille répondre à son père de cette façon !

Amandine Mercier :

Fichtre, a-t-on vu un père dicter sa loi à sa fille de cette façon ! Papa, renonce à ce projet insensé ou sinon…

Paul Mercier :

Ou sinon quoi ?

Amandine Mercier :

Ou sinon, je ne réapparaîtrai plus jamais devant toi !

Paul Mercier :

Chiche !

Amandine Mercier :

C’est ce qu’on va voir !

(Elle sort et va s’enfermer dans sa chambre)

Colette Mercier : (elle applaudit Paul)

Je suis impressionnée ! Quel tact ! Quel sens de l’approche !

Paul Mercier :

Cesse donc tes railleries. L’essentiel est fait, non ?

Colette Mercier :

L’essentiel ?

Paul Mercier :

Le message est passé, oui ou non ?

Colette Mercier :

Oui, le message, comme tu dis, a été reçu en bonne et due forme.

Paul Mercier :

Tu vois !

Colette Mercier :

J’ai bien senti dans tes propos la main de fer, cependant je n’ai pas vu quel passage concernait le gant de velours. A moins que, pris dans ton élan, tu n’aies préféré la version inverse !

(On sonne. Carmen va ouvrir)

Paul Mercier :

Ça va, ça va ! Ta fille s’en remettra vite. Quand elle aura fait la connaissance de Philbert, elle reviendra à la raison.

Colette Mercier :

Il faut espérer que ce sera la même chose pour toi.

Paul Mercier :

Suzanne, Maman, allez voir si vous pouvez faire changer d’avis Amandine, voulez-vous ?

Suzanne Mercier :

Mais Père...

Elisabeth Mercier :

Paul, tu n’y penses-pas. Pourquoi ferions-nous une chose pareille ?

Paul Mercier :

Parce que sinon je risquerais de revoir ma position en ce qui vous concerne toutes les deux. (À Suzanne) Toi je t’envoie chez les bonnes sœurs et toi Maman, chez les petits vieux ! Amandine n’est pas la seule dans cette famille qui peut changer d’avis quand ça lui chante !

Suzanne Mercier :

Il serait préférable de laisser un peu de temps à Amandine, Père.

Paul Mercier :

Du temps, je n’en ai pas ! Le comte est pratiquement à notre porte. Alors débrouillez-vous comme vous voulez, mais faites-lui entendre raison sur le champ ! Sinon hop ! Couvent, hospice !

Elisabeth Mercier :

Viens Suzanne, je connais bien ton Père, quand il est dans cet état-là, il est impossible de lui faire entendre quoi que ce soit.

Suzanne Mercier :

« Combien pauvres sont ceux qui n'ont point de patience »

Elisabeth Mercier :

Quand je pense que nos petits fours sont restés à refroidir dans le jardin pour une affaire comme celle-là ! Quel gâchis ma petite chérie.

(Elles sortent)

(Carmen revient)

Paul Mercier :

Qu’y a-t-il Carmen ?

Carmen :

Una lettre pour la Señorita Amannedine.

Paul Mercier :

Une lettre ? Mais qui peut bien écrire à ma fille ?

Carmen :

L’enbeloppe, elle n’a pas dé nom déssous.

Paul Mercier :

Donnez-la moi, Carmen.

Carmen :

Si, Señor.

Colette Mercier :

Paul, j’espère que tu ne  t’apprêtes pas à ouvrir le courrier de notre fille ?

Paul Mercier :

Bien sûr que non, mon sucre d’orge. Comment peux-tu croire une chose pareille ?

Colette Mercier :

Alors pourquoi ne laisses-tu pas Carmen la porter à Amandine ?

Paul Mercier :

Mais je ne fais rien d’autre.

(Il la lui tend, sans la lâcher. Carmen tire sur la lettre, mais il ne lâche pas)

Colette Mercier :

Paul.

Paul Mercier :

Oui, mon sucre d’orge ?

Colette Mercier :

Et bien lâche cette lettre.

Paul Mercier :

Comment ?

Colette Mercier :

Lâche cette lettre !

Paul Mercier :

Mais je la lâche, je la lâche.

(Carmen tire plus fort et la lui arrache des mains)

Colette Mercier :

Je me demande parfois ce qui te passe par la tête, Paul. Je dois préparer la venue de ton Comte. Carmen, pouvez-vous vérifier les serviettes de table dans la malle voulez-vous ? Vous me rejoindrez ensuite dans la cuisine.

Carmen :

Si, Señora.

(Colette sort)

Paul Mercier :

Norbert ! Norbert !

(Norbert n’arrive pas)

Ce majordome est impossible ! Carmen.

Carmen :

Si, Señor.

Paul Mercier :

Appelez-moi, Norbert.

Carmen : (Ne comprenant pas)

Fous foulez qué yé téléphaune à Norberte ?

Paul Mercier :

Pas lui téléphoner, lui demander de venir.

Carmen :

(Qui ne comprend toujours pas) …

Paul Mercier :

Dites son nom pour le faire venir, ce n’est pas sorcier, non ?

Carmen :

(Appelant) Norberte.

Norbert :

Qu’y a-t-il Carmen ?

Carmen :

El Señor Mercier, il vé té parler.

Paul Mercier :

Ah, ah, cette fois, vous êtes fait comme un rat ! Quand je vous appelle, vous n’êtes pas là, mais quand c’est Carmen tout à coup vous rappliquez !

Norbert :

(Imperturbable) Toutes mes excuses Monsieur, mais j’étais à la cave.

Paul Mercier :

Oui, oui, oui. Ne tirez pas trop sur la corde, Norbert.

Norbert :

Je ne suis pas sûr de comprendre, Monsieur, de quelle corde il est question ?

Paul Mercier :

Ne faites pas l’imbécile, vous avez parfaitement compris le nœud du problème. Merci, Carmen.

(Carmen assiste à la scène hilare)

Norbert :

Que puis-je faire pour dénouer la situation de Monsieur ?

Paul Mercier :

Je crois me souvenir que vous avez été quelques temps au service d’un duc. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai eu l’idée saugrenue de vous prendre à mon service.

Norbert :

Le duc Louis de Doudeauville, en effet.

Paul Mercier :

Très bien. Vous devez donc connaître les us et coutumes de la noblesse ?

Norbert :

Ils n’ont aucun secret pour moi. Qu’est-ce que Monsieur souhaite savoir en particulier ?

Paul Mercier :

Et bien tout d’abord, comment faut-il faire pour saluer un comte ? J’imagine qu’une poignée de main ne fera pas l’affaire ?

Norbert : (avec un sourire amusé. On sent qu’il invente au fur et à mesure)

Certes, non ! Pour un comte vous devez vous incliner par trois fois, une fois en arrière et deux fois en avant comme ceci, en terminant au niveau des genoux.

Paul Mercier :

Cela m’a l’air assez compliqué. Montrez-moi ça.

Norbert :

Oui, Monsieur. Disons que vous êtes le comte. Je m’incline une fois en reculant et ensuite deux fois en avançant de façon à être au niveau de vos genoux.

Paul Mercier :

Je vois, finalement ce n’est pas si sorcier. (Le faisant très grossièrement) Je m’incline en arrière, puis en avant et les genoux. Je crois que je le tiens. Qu’en pensez-vous ?

Norbert :

Monsieur ne fléchit pas assez !

Paul Mercier :

Comment ça je ne fléchis pas assez ! Je suis un spécialiste du fléchissement ! Ce n’est pas à moi qu’on va apprendre à fléchir ! Je suis arrivé premier à la descente de ski inter-régionale des Monts d’Or à deux reprises, c’est vous dire ! Le fléchissement ça me connaît, vu ? (il refait son salut en exagérant le fléchissement des genoux). Alors qu’est-ce que vous dites de ça ?

Norbert : (avec une ironie à peine dissimulée)

On pourrait croire que Monsieur a fait cela toute sa vie.

(On entend Carmen glousser).

Paul Mercier :

Qu’est-ce que vous faites encore là vous ? Fichez-moi le camp. Vous avez certainement mieux à faire en cuisine.

Carmen : (hilare)

Si, Señor. yé pé fous dire, le fléchissément du Señor, il est muy bueno, c’est soûr !

Paul Mercier :

N’en rajoutez pas Carmen ! Allez Ouste !

(Carmen sort toujours en gloussant)

(À Norbert) Qu’y a-t-il d’autre à savoir pour ne pas commettre d’impair ?

Norbert :

Un gentilhomme ne s’étonne jamais. Ainsi si le comportement du comte vous paraît étrange, vous ne devez rien montrer.

Paul Mercier :

Je resterai de marbre.

Norbert :

Monsieur doit comprendre que l’exercice est plus ardu qu’il n’y paraît.

Paul Mercier :

Ne me sous-estimez pas Norbert. Au poker, on me surnomme l’homme de glace, c’est vous dire.

Norbert :

Il est vrai que Monsieur apprécie mieux son scotch « on the rocks » (Paul ne comprend pas) Avec des glaçons !

Paul Mercier :

Qu’est-ce que vous racontez, ce n’est pas pour cela qu’on me surnomme ainsi, c’est parce qu’il est impossible de me bluffer figurez-vous !

Norbert :

Si Monsieur le dit.

Paul Mercier :

Je vois bien que vous ne me croyez pas. Allez-y, mon bon Norbert, testez-moi, vous allez voir. Étonnez-moi !

Norbert :

Que j’étonne Monsieur ?

Paul Mercier :

Vous m’avez bien compris.

Norbert :

Je ne suis pas certain de voir…

Paul Mercier :

Allez Norbert, ne faites pas votre fillette !

Norbert : (changeant brutalement de ton et d’allure)

Bon, mon p’tit pote, si tu veux pas que j’te tartine la truffe à coup de bourre-pif, tu ferais mieux de fermer ton claque merde et d’éviter de m’appeler « fillette », vu ?

Paul Mercier : (sidéré)

… Mais Norbert, qu’est-ce qui vous prend, mais que…

Norbert : (reprenant aussitôt son personnage)

Je crains d’avoir un peu trop étonné Monsieur !

Paul Mercier :

Mais, pas du tout, c’est juste que… Je n’étais pas prêt !

Norbert :

Monsieur souhaite-t-il que nous fassions un nouvel essai ?

Paul Mercier :

Ce ne sera pas nécessaire, j’ai bien compris le message ! Autre chose à savoir ?

Norbert :

C’est à peu près tout. Un dernier point cependant : On ne doit s’adresser à un comte qu’à condition que celui-ci vous ait adressé la parole le premier.

Paul Mercier :

Voilà qui n’est pas très commode.

Norbert :

C’est une règle absolue et ne pas la respecter vous ferait passer pour le dernier des malotrus.

Paul Mercier :

Bien, bien.

Norbert :

Monsieur souhaite-t-il d’autres renseignements ?

Paul Mercier :

Non, ça ira. Après tout, il n’y a rien de bien compliqué là-dedans ! Vous pouvez disposer, Norbert.

Norbert :

Bien, Monsieur. (Juste avant de sortir de scène) Monsieur me dira à quelle heure les musiciens sont attendus ?

Paul Mercier :

Les musiciens, quels musiciens ?

Norbert :

Pour accompagner l’entrée du Comte, vous avez sûrement engagé des musiciens ?

Paul Mercier :

Euh… Oui, bien entendu, je n’avais pas compris que vous parliez de ces musiciens-là.

(Norbert s’incline et sort)

Paul Mercier :

Voilà maintenant qu’il faut que je trouve des musiciens, pourquoi pas des danseuses du ventre pendant qu’on y est !

(On sonne)

Norbert ! Norbert !

(Norbert n’arrive toujours pas)

J’ai compris. Autant aller ouvrir moi-même, ce sera plus rapide…

(Il va ouvrir. Entre Maître Plantard)

Ah ! Maître, entrez. J’espère que vous m’apportez de bonnes nouvelles.

(Plantard est toujours aphone, il communique donc par gestes).

Maître Plantard :

(Il Fait signe que les nouvelles sont moyennes).

Paul Mercier :

Fichtre ! Ce comte est dur en affaires, mais j’en ai vu d’autres. Que veut-il ?

Maître Plantard :

(Fais signe : plus d’argent).

Paul Mercier :

C’est une plaisanterie ? La dot que je lui propose est déjà considérable !

Maître Plantard :

(Fais signe que la dot n’est pas le problème).

Paul Mercier :

Quoi, ce n’est pas ça qui coince ? Alors où est le problème ?

Maître Plantard :

(Commence une longue explication faite de multitude de gestes incompréhensibles. Paul donne l’impression qu’il comprend. Il termine en faisant un signe de la tête pour demander à Mercier s’il a bien compris).

Paul Mercier :

(En aparté) Je n’ai absolument rien compris !

Oui, oui, je vois… Mais vous ne voulez pas me le refaire, non ?

(Maître Plantard se tape la tête avec la paume de sa main de dépit)

Paul Mercier :

Oui, mais c’est que vous n’êtes pas très clair, maître.

Maître Plantard :

(Il recommence sa longue explication faite des mêmes gestes incompréhensibles. Paul donne à nouveau l’impression qu’il comprend. Il termine en faisant un signe de la tête pour demander à Mercier s’il a bien compris).

Paul Mercier :

(En aparté) Il est incroyable, même aphone il reste bavard !

Je suis désolé mais je n’entends rien à votre affaire, Plantard !

(Entre Elisabeth)

Elisabeth Mercier :

Tiens, bonjour cher Maître.

Maître Plantard :

(Plantard la salue en silence).

Elisabeth Mercier :

Comment va votre épouse ?

Maître Plantard :

(Il fait signe que ça va couci-couça).

Elisabeth Mercier :

Vous m’en voyez navrée. Rien de grave, j’espère ?

Maître Plantard :

(Il fait des signes étranges).

Elisabeth Mercier :

Je vois. Toujours ses rhumatismes. Vous la saluerez pour moi.

Maître Plantard :

(Il fait signe que oui).

Elisabeth Mercier : (À Paul)

Paul, la pauvre petite Amandine est très faible. Je suis descendue pour aller lui chercher à manger. J’ai peur qu’elle ne tombe d’inanition.

Paul Mercier :

D’inanition ? Si Amandine a débuté une grève de la faim, Maman, je ne suis pas certain qu’elle risque quoi que ce soit en l’espace de dix minutes.

Elisabeth Mercier :

Tu sais, il vaut mieux être prudent. Je vais demander à Norbert de lui monter un petit en-cas.

Paul Mercier :

Maman, ce n’est vraiment pas le bon moment. Maître Plantard vient de me faire part de difficultés rencontrées dans la négociation avec le Comte. Vraiment je n’ai pas le temps de m’occuper de vos histoires d’en-cas.

Elisabeth Mercier :

Allons bon, lesquelles ? Ne lui as-tu pas fait un pont d’or pour qu’il rejoigne notre modeste famille ?

Paul Mercier :

Disons que ma proposition était plus qu’honnête en effet.

Elisabeth Mercier :

Alors que se passe-t-il ?

Paul Mercier :

C’est assez compliqué… Plantard, expliquez-lui vous.

Maître Plantard :

(Il recommence sa longue explication faite des mêmes gestes incompréhensibles).

Elisabeth Mercier :

(Qui a parfaitement compris) Voilà qui est ennuyeux en effet. Et que lui avez-vous répondu ?

Maître Plantard :

(Il reprend une autre longue explication faite de gestes incompréhensibles).

(Puis il se met à rire, suivi par Mme Mercier devant les yeux de merlan frit de Paul Mercier qui ne comprend rien).

Elisabeth Mercier :

Je n’aurais pas dit mieux. Je reconnais là votre esprit d’à-propos, Maître. Quelle répartie ! Vous l’avez bien mouché. Comment cela s’est-il terminé ?

Maître Plantard :

(Il poursuit son histoire).

Elisabeth Mercier :

Et bien ce comte est décidément mal informé, n’est-ce pas Paul ?

Paul Mercier :

Oui, certainement... Mais j’avoue que j’ai eu du mal à suivre, surtout sur la fin...

Elisabeth Mercier :

Ton comte semble croire que notre situation financière n’est pas aussi aisée que celle que tu lui as présentée. Visiblement des connaissances au sein du Trésor Public lui auraient fait certaines indiscrétions.

Paul Mercier :

Fichtre !

Elisabeth Mercier :

Je t’avais bien dit que ta manie de tricher avec l’administration fiscale finirait par te jouer des tours… Bien, je te laisse à tes affaires.

(Elisabeth sort)

Paul Mercier :

Dites-moi Plantard, le comte vient toujours dîner ce soir ?

Maître Plantard :

(Fait oui de la tête).

Paul Mercier :

(Qui a compris cette fois) Vous voyez quand vous voulez vous pouvez être clair ! Alors faites-moi plaisir, contentez-vous de répondre par oui ou par non, vous allez me donner la migraine avec vos gesticulations ! Le mieux c’est de dissiper ce malentendu directement avec lui quand il sera là.

Maître Plantard :

(Fait oui de la tête).

Paul Mercier :

Je ne sais pas quelle stratégie employer pour lui faire entendre raison. Qu’en pensez-vous Plantard ?

Maître Plantard :

(Fait oui de la tête).

Paul Mercier :

Comment ça « oui » ? Soyez un peu plus explicite, voulez-vous.

Maître Plantard :

(Il repart dans l’une de ses démonstrations mimées incompréhensibles).

Paul Mercier :

Plantard, vous recommencez à gesticuler ! Écoutez, vous allez me rendre chèvre. Retournez chez vous pour vous soigner, vous faire greffer des cordes vocales, je ne sais pas moi, mais faites quelque chose…

Maître Plantard :

(Plantard hausse les épaules. Mercier le raccompagne à la porte).

Paul Mercier :

Ah au fait, il me faut des musiciens.

Maître Plantard :

(Plantard ne semble pas comprendre)

Paul Mercier :

Mon pauvre vieux, vous êtes vraiment un ignare quand il s’agit de la Haute Société. Il me faut un fond sonore pour l’entrée du Comte, c’est obligatoire. Je veux éviter de passer pour un lourdaud. Il faut que tout soit parfait, vous m’entendez ?

Maître Plantard :

(Plantard essaye d’expliquer que ça lui semble une idée saugrenue)

Paul Mercier :

Vous m’agacez à la fin avec vos (l’imitant)… Contentez-vous de m’envoyer deux trois musiciens dès que possible. Je vous laisse choisir le répertoire, mais je veux du raffiné, du bon goût. Tiens, prenez aussi quelques chanteurs ont ne sait jamais. Trouvez-moi un air à la fois entraînant mais digne. Joyeux et protocolaire. Tout dans la retenue et l’élégance avec… une touche d’exotisme. C’est vu ?

Maître Plantard :

(Plantard indique qu’il n’est pas sûr de trouver)

Paul Mercier :

Débrouillez-vous Maître ! Je compte sur vous ce soir pour le diner. S’il y avait des changements de dernière minute, je veux vous avoir sous la main. Soyez là pour 18h00.

(Plantard sort, poussé vers la sortie par Mercier)

Avec un peu de chance il sera là vers 19h30…

(Entre Carmen)

(À Carmen) Que se passe-t-il Carmen, vous avez l’air dépitée ?

Carmen :

La Señorita Amannedine, elle né fé pas oubrir la puerta.

Paul Mercier :

Je comprends, et bien donnez-moi la lettre, je vais faire le nécessaire. Et bien Carmen ?

Carmen :

La Señora Mercier, elle a dit dé né donner la lettre qu’à la Señorita Amannedine.

Paul Mercier :

Et bien moi, je vous dis de me la donner !

Carmen :

La Señora Mercier, elle a dit aussi que fous diriez ça et qué yé dois pas fous obéir.

Paul Mercier :

(Pour lui-même) C’est incroyable ! La suspicion de cette femme quand même ! (À Carmen) Donnez-moi cette lettre où je vous mets à la porte sur le champ !

Carmen :

Cielos, Le Señor il né feré pas ça.

Paul Mercier :

Oh si, le Señor ferait ça !

Carmen :

Dios mio, ça briseré la confianza abéc le Señor.

Paul Mercier :

Et bien, tant pis, brisons, brisons ! Donnez-moi cette lettre !

Carmen :

S’il n’y a plousse la confianza, il fa falloir que yé parle à la Señora Mercier dé cé qué le Señor fé lorsqu’elle fa à son club de bridge. Dé cé qué fous féites… surtout abéc qui fous fétes…

Paul Mercier : (Comprenant l’allusion)

Enfin Carmen, voyons… De quoi parlez-vous ? Je suis à la maison ces jours-là, vous le savez bien, ou sinon je m’absente pour les besoins de l’usine.

Carmen :

L’Oussine ? Elle porte una robe trèsse décolletée quand elle fient fous chercher l’oussine, C’est frai qué fous fous occoupez beaucoup dé bézoins de l’oussine. Trop de trabail, Señor Mercier cé n’é pas bienne pour fous.

Paul Mercier :

Carmen, qu’est-ce qui vous prend ? Ça ne va pas ? Comment osez-vous me parlez sur ce ton !

Carmen :

Yé fous démande pardonne Señor, Cé qué yé m’inquiète pour fous, fous comprénez ? Il né faudré pas que la Señora Mercier apprenne que fous trabaillez si tard quand elle n’é plousse là. Il faut safoir se réposer quand on est oune patronne. yé dis ça, pero cé pas importante si fous foulez qué yé parte. Yé fous laisse foir abec la Señora Mercier. C’é pas mes affaires…

Paul Mercier :

Écoutez Carmen, tout cela est un immense malentendu. Je ne sais pas ce que vous avez cru comprendre, mais vous vous trompez totalement. Et puis d’ailleurs, il n’a jamais été question que vous nous quittiez ! Enfin nous ne saurions nous passer de vous, voyons ! Partir ? Mais quelle idée saugrenue. Nous avons tous dans cette famille, et moi le premier, une parfaite confiance en vous, vous le savez ?

Carmen :

Si, la confianza, Señor, c’é le plousse importante fous abez raisonne.

Paul Mercier :

Je vous fais une confiance aveugle lorsque je fais appel à vos lumières, Carmen.

Carmen :

Si, Señor Mercier. La confianza, Señor, pero yé pas bienne comprisse l’histoire dé la loumière...

Paul Mercier :

Ce n’est pas grave, Carmen. Nous nous sommes dit l’essentiel je crois. N’est-ce pas ?

Carmen :

Si, Señor. Bueno yé dois me remettre au trabail.

Paul Mercier : (Soulagé)

Bien sûr, bien sûr.

(Carmen va chercher son aspirateur. Paul la regarde encore sous le choc)

Carmen : (Au public)

Madre mia, abec les patronnes, cé touyours pareille…

(Carmen allume son aspirateur avec un air de défi dans les yeux)

(Carmen chasse littéralement Paul de la scène avec son aspirateur en main.
Paul s’exécute).

NOIR

ENTRACTE

On retrouve Plantard qui auditionne des musiciens. Il ne parle toujours pas. Il a un grand bâton qu’il utilise pour se faire comprendre, comme un chef d’orchestre sous la royauté. Un premier air est joué pendant quelques mesures (il s’agit d’une marche funèbre).

Plantard interrompt les musiciens leur faisant signe qu’il veut quelque chose de plus enjoué. Les musiciens reprennent la même marche mais en accéléré.

Nouvelle interruption de Plantard qui fait comprendre qu’il veut autre chose, plus gai. Musiciens et chanteurs proposent une chanson à boire du moyen âge (Par exemple : « Quand je bois du vin clairet… »). Plantard semble apprécier.

Il teste l’effet de la musique en incarnant le Comte et en traversant la scène avec hauteur. Le rendu n’est pas convaincant. Nouvelle interruption. Les musiciens en ont un peu marre. Ils proposent une marche de Lully.

Nouvel essai de Plantard qui reprend son entrée. Il est content. Il sort sous la musique toujours en incarnant avec fierté le Comte.

Le rideau s’ouvre. Une fois le morceau terminé, on sonne.

ACTE II

Scène 1 

(Carmen est en train de faire les poussières avec un plumeau. Elle chante en espagnol. On sonne)

Carmen :

Madré dé Dios, Quand yé fé les poussières, si tout le monde y sonne. Mi llega, mi llega !

(Entre François Dulac)

François Dulac :

Je viens voir Monsieur Mercier. Veuillez l’informer…

Carmen :

Señor Doulac ? Oh Madre de Dios

François Dulac :

Qu’y a-t-il, Carmen ? Tout va bien c’est moi, François !

Carmen :

Oh, Dios Mio, Madre mia ! La Señorita Amannedine elle né fa pas être connetenté. Elle a dit dé né pas fénir ici.

François Dulac :

Rassurez-vous, je suis ici sous-couverture. Officiellement, je viens pour un contrôle fiscal surprise des avoirs de Monsieur Mercier.

Carmen :

Si, si, pero, il né faut pas fénir, Señor Doulac. Oh, Madre de Dios

(Entre Paul Mercier, suivi de Norbert)

Paul Mercier :

Qui a sonné Carmen ?

Carmen :

Oh Madre de Dios, Dios mio

Paul Mercier :

Et bien Carmen ?

Carmen :

C’est le Señor… Dios mio, Madre de Dios !

Paul Mercier :

(En aparté) Fichtre ! Cette prestance naturelle, ce port élégant ! Ça ne peut être que lui ! C’est le Comte !

(À Carmen) Merci Carmen, vous pouvez disposer.

Carmen : (Montrant son plumeau)

Señor Mercier, yé dois fére la poussière dans le salounne !

Paul Mercier :

Plus tard, Carmen, plus tard.

Carmen :

Plousse tard, plousse tard, c’est touyours plousse tard avec les patronnes ! Mais Señor…

(Il ne lui laisse pas le temps de s’expliquer davantage et la pousse quasiment hors de la scène)

(Mercier tape dans ses mains et les musiciens jouent immédiatement sous le regard ahuri de François. François finit par s’approcher de Mercier. Mercier tape dans ses mains et la musique s’arrête)

(Paul va pour parler, mais Norbert lui fait signe qu’il doit faire sa révérence.
Paul fait sa révérence devant les yeux ébahis de François)

(Paul va pour parler, mais Norbert lui fait signe qu’il ne doit pas parler. François interloqué n’ose pas parler. Ils se toisent. Paul désespérant que François s’adresse à lui et François ne comprenant pas ce qui se passe)

François Dulac : (après un temps pendant lequel les deux hommes partagent un silence gêné)

Bonsoir, Monsieur Mercier, je suis…

Paul Mercier :

Je sais qui vous êtes bien entendu !

François Dulac :

(En aparté) Moi qui pensais le surprendre !

Paul Mercier :

Je suis honoré de recevoir une personne telle que vous dans mon humble foyer, votre, votre, votre… (Pour Norbert) Éminence ?

(Norbert lui fait signe de la tête que ce n’est pas ça. Colette entre)

François Dulac :

(À Colette Mercier) Madame.

Je viens pour faire une évaluation précise de vos biens et ressources dans le cadre d’un dossier que nous avons en cours. J’ai besoin de faire le tour de votre propriété et de voir vos livres comptables.

Paul Mercier :

Voilà une entrée en matière directe ! J’aime ça ! Droit au but ! Écoutez, cela va sans dire, votre, votre… (Pour Norbert) Majesté ?

(Norbert lui fait signe de la tête que ce n’est toujours pas ça)

Je ne vois aucune objection à cela. C’est bien naturel. Vous verrez qu’on ne vous a pas trompé en ce qui concerne le patrimoine des Mercier.

(Sur le ton de la confidence) Je peux même, si cela vous aide, vous expliquer comment je m’y prends pour tromper la vigilance du trésor public.

François Dulac :

(Sur le même ton) C’est justement l’objet de ma visite.

(En aparté) Je ne m’attendais pas à ce que Mercier cède aussi facilement !

Paul Mercier :

Avec plaisir votre, votre… (Pour Norbert) Grâce ?

(Norbert fait non à nouveau),

Ma femme va vous accompagner jusqu’à mon bureau. Vous pourrez ainsi consulter mes livres de comptes à loisir.

(Sur le ton de la confidence) Enfin, les vrais, pas les trafiqués ! Pas de petits secrets entre nous !

François Dulac :

(Sur le même ton) Non pas de petits secrets, c’est mieux.

(En aparté) Moi qui espérais que Norbert me servirait de guide pour lui parler de sa fille !

Colette Mercier :

Si vous voulez bien me suivre.

(Ils sortent)

Norbert :

Un mot, si Monsieur veut bien me permettre.

Paul Mercier :

De quoi s’agit-il, Norbert ?

Norbert :

Carmen m’a demandé de remettre à Mademoiselle Amandine une lettre, mais la pauvre petite est effondrée et n’ouvre à personne. Dois-je la glisser sous la porte ?

Paul Mercier :

Je veux lui épargner pour le moment toute nouvelle désagréable. Donnez-la-moi, le mieux est que j’en prenne connaissance avant de décider.

Norbert :

Bien Monsieur.

Paul Mercier :

Ça y est, je te tiens ! Ah, ah ! Non, mais ! Voyons qui a l’outrecuidance d’écrire à ma fille.

(Lisant) « Amandine, j’ai tout arrangé. Je viens ce soir pour un contrôle fiscal de Mercier. Ton père aura bientôt ce qu’il mérite. Ne t’inquiète plus de rien. Signé François Dulac Inspecteur en chef des impôts et bientôt Ministre ! ».

Je n’ose y croire. Mon Dieu, trahi par ma propre fille… C’est une catastrophe ! Norbert, nous avons très peu de temps. J’ai… par mégarde, oublié de déclarer quelques revenus, tout à fait accessoires, mais néanmoins substantiels. Si ce contrôleur de malheur qui doit venir, s’en aperçoit… Je risque d’avoir de gros problèmes. Arrangez-vous pour que Madame prenne tout son temps avec le comte.

Norbert :

Bien Monsieur. Est-ce que je la préviens ?

Paul Mercier :

Surtout pas ! Ce serait pire que tout.

(Norbert sort. Paul commence à décrocher les tableaux des murs.
Il baisse la lumière pour rendre l’atmosphère plus lugubre)

Fichtre ! Me voilà dans de beaux draps !

Norbert :

Le comte a été installé dans votre bureau pour regarder les livres de comptes. Je lui ai sorti les vrais comme vous le souhaitiez. Il risque d’en avoir pour un moment.

Paul Mercier :

Très bien, voilà une excellente nouvelle. Ça me laissera le temps de me débarrasser du gêneur. Mais vous ça ne va pas du tout !

Norbert :

Comment ?

Paul Mercier :

(Il lui tend sa veste) Enfilez ça ! Il ne faut pas qu’on vous prenne pour mon majordome.

Norbert :

Pourquoi cela ?

Paul Mercier :

Mais parce que ça donnerait une fausse impression à l’inspecteur voyons ! Alors, disons que… vous êtes un cousin de ma femme.

Norbert : 

De votre femme ? Pourquoi un cousin de votre femme et pas de vous ?

Paul Mercier :

Parce qu’il faut quand même que ce soit un minimum crédible ! Nous deux… un lien de parenté, voyons !

Norbert :

Oui, Monsieur à raison. On aurait de la peine à le croire…

Paul Mercier :

Et cessez de m’appeler Monsieur ! Faites moins de manières Norbert où vous allez nous faire repérer.

(On sonne. Norbert va pour ouvrir mais Paul l’arrête)

Ne bougez pas ! C’est moi qui vais ouvrir. Et puis, au fond ça ne me changera pas beaucoup…

Philbert de Gascogne :

Je viens voir Monsieur Mercier au sujet d’une affaire d’importance et je vous…

Paul Mercier :

Je suis Monsieur Mercier.

Philbert de Gascogne :

Très bien nous allons gagner du temps, je suis…

Paul Mercier :

Je sais parfaitement qui vous êtes.

Philbert de Gascogne :

Les présentations sont donc inutiles.

Norbert : (exagérant le trait)

Tu me présentes pas, Paulo ?

Paul Mercier :

(Visiblement agacé) Voici… un cousin de ma femme, qui est venu nous rendre une courte, une très courte visite.

Norbert :

Je profite de l’hospitalité bien connue de mon cousin, par alliance ! (il lui tape dans le dos et serre avec vigueur la main de Philbert) Salut mon p’tit pote !

Philbert de Gascogne :

Je n’ai pas le plaisir d’être votre… « pote ». (Avec un regard de tueur) Par ailleurs, je vous saurais gré de bien vouloir me lâcher la main, surtout si vous voulez en garder l’usage.

Norbert :

Il est du genre pas commode, ton invité Paulo !

Paul Mercier :

Cher cousin, auriez-vous l’amabilité d’aller voir si ma femme ne manque de rien ?

Norbert :

Ça roule ma poule !

(Il sort)

Paul Mercier :

Veuillez excuser les manières un peu rustres du cousin de ma femme. De ce côté de la famille nous avons quelques personnalités hautes en couleurs ! Mais je suppose que vous n’êtes pas ici pour faire des mondanités.

Philbert de Gascogne :

Heureusement que non.

Paul Mercier :

Alors si nous en arrivions au sujet de votre visite ?

Philbert de Gascogne :

J’ai reçu certaines informations concernant vos ressources financières qui m’ont laissé quelque peu dubitatif.

Paul Mercier :

Je suis sûr que nous pourrons dissiper vos doutes très rapidement.

Philbert de Gascogne :

C’est ce que nous verrons. Il faudra aussi que j’échange quelques mots avec votre fille.

Paul Mercier :

(En aparté) Ah, la trahison est révélée ! Il veut parler avec Amandine, son informateur !

(Norbert entre)

Norbert :

Cousin Paulo ! Ta femme sera là dans une minute. Il serait souhaitable que nous libérions le salon séance tenante !

Philbert de Gascogne :

Plaît-il ?

Paul Mercier :

Oui… Ma femme doit y faire les poussières !

Philbert de Gascogne :

Cela ne peut-il pas attendre ?

Paul Mercier :

Ma femme est une vraie fée du logis, mais il ne vaut mieux pas la contrarier dans son ménage. Cousin, voulez-vous accompagner Monsieur auprès d’Amandine ?

Norbert :

No problemo Paulo !

(Norbert va pour pousser Philbert hors de scène mais devant son regard désapprobateur s’interrompt)

Philbert de Gascogne :

N’envisagez-pas une seule seconde de poser la main sur moi, vous.

Norbert : (lui faisant signe de le suivre)

Il a qu’à me suivre !

(Il accompagne Philbert vers la sortie. Paul se précipite pour remettre les tableaux aux murs et entrent Colette et François. Paul a encore un tableau dans les mains)

Colette Mercier :

Paul, où étais-tu donc ? Notre invité insiste pour te voir. Ce n’est pas le moment de t'occuper de tes tableaux.

(Mercier tape du pied et les musiciens démarrent. Ils s’approchent et Mercier tape une nouvelle fois du pied pour faire cesser la musique. Il va pour parler, mais se souvient qu’il doit attendre que François lui adresse la parole. François trouve son comportement très étrange. Paul s’approche de lui avec le tableau. Il lui montre et hoche la tête comme pour lui demander son avis)

François Dulac :

Vous cherchez à me dire quelque chose il me semble…

Paul Mercier :

(Soulagé) Oui, je vous remercie votre… Votre Magnificence ! L’une de mes dernières acquisitions. Il vous plaît ? (Sur le ton de la confidence) Je l’ai fait passer pour une vulgaire copie, mais c’est en réalité l’original ! Il m’a coûté une petite fortune !

François Dulac :

Vous m’en direz tant.

Paul Mercier :

Avez-vous levé certains de vos doutes ?

(Paul remet en place le tableau)

François Dulac :

J’ai pris connaissance de vos livres de comptes avec beaucoup d’intérêt. Surtout les truqués, je dois dire. Vous avez un certain talent dans le domaine de la falsification.

Paul Mercier :

Ce compliment de la part d’une personne telle que vous me va droit au cœur !

François Dulac :

(En aparté) Il est pris la main dans le sac et rien ne semble l’atteindre ! (À Paul) J’aimerais poursuivre mes investigations en interrogeant quelques-uns de vos employés. Votre majordome, Norbert, pour commencer.

Paul Mercier :

Non !

François Dulac :

Comment non ?

Paul Mercier :

Enfin je veux dire, bien entendu, mais Norbert n’est pas là…

Colette Mercier :

Qu’est-ce que tu dis, je l’ai vu il y a cinq minutes à peine.

Paul Mercier :

Oui, c’est vrai… mais il est à la cave ! Il doit s’occuper du vin pour ce soir.

François Dulac :

J’insiste pour le rencontrer, c’est primordial pour moi.

Colette Mercier :

Dans ce cas, je vais vous guider jusqu’à lui.

(Ils sortent)

Paul Mercier :

Ouf ! Il s’en est fallu de peu que je fasse une gaffe avec ce tableau !

(On entend des pas. Paul se rue sur les tableaux pour les défaire. Norbert entre)

Paul Mercier :

Ah, c’est vous. Vous m’avez fait une peur ! Mais qu’est-ce vous faites-là ? Vous n’êtes pas avec le contrôleur ?

Norbert :

J’en viens. Amandine refuse d’ouvrir sa porte et n’a pas dit un mot. Il m’a demandé de rester un moment seul à seul avec elle. Il pense pouvoir la convaincre d’ouvrir, mais connaissant votre fille elle ne cédera pas d’un pouce.

Paul Mercier :

Tant mieux. Le Comte est parti à votre recherche à la cave avec ma femme.

Norbert :

À ma recherche ?

Paul Mercier :

Oui, une de ses lubies, je vous expliquerai… De votre côté, retournez avec l’inspecteur et prévenez-moi s’il redescend.

Norbert :

Comment faire pour vous prévenir sans éveiller les soupçons ? Votre femme ne peut pas venir faire les poussières toutes les deux minutes !

Paul Mercier :

Je ne sais pas moi… Vous n’avez qu’à chanter à tue-tête de façon à ce que je vous entende arriver.

Norbert :

Chanter ? Mais c’est que je chante horriblement faux.

Paul Mercier :

Et alors, on n’est pas à l’Opéra !

Norbert :

Comment saurais-je si la voie est libre ou s’il me faut faire demi-tour ? (Il a une idée) Il faut que vous me répondiez !

Paul Mercier :

(Pas convaincu) En chantant ?

Norbert :

Monsieur me disait que nous n’étions pas à l’Opéra…

Paul Mercier :

Très drôle ! Disons que si je chante c’est que vous ne devez à aucun prix descendre. Sinon, c’est que tout va bien. Ça vous va ?

Norbert :

Oui, mais qu’est-ce que je dois chanter ?

Paul Mercier :

Je ne sais pas ce que vous voulez ! Un air connu que personne d’autre ici n’aurait l’idée de chanter.

Norbert :

Voyons… « Ah, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne, Ah ça ira, ça ira, les aristocrates on les pendra ! »

Paul Mercier :

Non mais ça ne va pas bien vous ?

Norbert :

Vous m’avez dit un air connu que personne d’autre n’aurait l’idée de chanter ! On ne peut pas faire mieux…

Paul Mercier :

Si, on peut faire beaucoup mieux ! Vous me trouvez autre chose et de préférence pas un hymne révolutionnaire. Nous avons un Comte dans nos murs, alors choisissez quelque chose de plus approprié. Bon nous n’avons pas le temps. Vous verrez et maintenant, filez donc.

Norbert :

Bien Monsieur.

Paul Mercier :

Par pitié Norbert, Cessez avec vos « Monsieur » !

Norbert :

Désolé Paulo, l’habitude !

Paul Mercier :

Vite ! J’entends quelqu’un !

(Norbert sort et aussitôt François entre avec Colette. Paul a toujours son tableau dans les mains. Même jeu de scène avec les musiciens. Il tape du pied pour l’entrée musicale de François)

François Dulac :

Décidément, il vous plaît ce tableau !

Paul Mercier :

Oui, je ne me lasse pas de le regarder. J’aime surtout la perspective…

Colette Mercier :

Nous n’avons trouvé personne à la cave.

Paul Mercier :

Personne ? Vous m’étonnez ! Mais où peut être Norbert, je me le demande ?

Colette Mercier :

Il doit être à l’étage.

Paul Mercier :

Non ! Il n’y est pas !

Colette Mercier :

Comment en es-tu sûr ?

Paul Mercier :

Mais… parce que j’ai interdit l’étage au personnel ! Enfin… Sauf le matin pour faire les chambres bien entendu ! J’aime le calme voyez-vous et toutes ces allées et venues me fatiguaient.

François Dulac :

(En aparté) Quel immonde exploiteur !

Colette Mercier :

Tu perds la raison, Paul.

(On entend chanter à l’étage la chanson « le bon Roi Dagobert ». C’est Norbert)

Qu’est-ce que j’entends ? C’est la voix de Norbert.

Paul Mercier :

(En aparté) Il faudra que je discute avec Norbert de ses goûts musicaux !

(Il chante à son tour « le bon Roi Dagobert »)

Colette Mercier :

Tais-toi donc nous n’entendons plus rien !

Paul Mercier :

Oui, mon ange. Ça venait du jardin !

Colette Mercier :

Du jardin ? Mais quelle mouche l’a piqué ? Que fait Norbert dans le jardin à une heure pareille ?

Paul Mercier :

C’est moi qui lui ai demandé d’aller jeter un œil dehors. Après tout nous avons des invités de marque ce soir.

Colette Mercier :

C’est à Philippe, notre jardinier, de s’occuper de nos plates-bandes, pas à Norbert ! Nous en rediscuterons, Paul.

Paul Mercier :

Oui, mon sucre d’orge.

François Dulac :

Je vais aller le trouver dans le jardin.

Paul Mercier :

Mais comment donc. Ma femme va vous accompagner pour être sûre que vous ne vous perdiez pas en route…

Colette Mercier :

Nous allons avoir une longue, très longue discussion ce soir, Paul.

Paul Mercier :

Oui, mon sucre d’orge.

(Ils sortent. On entend Norbert qui chante des coulisses. Paul se remet à chanter et se rue sur les tableaux pour les enlever et remettre tout en « désordre »)

Norbert :

Non, non, il faut pas entrer quand la cousine fait son ménage !

Philbert de Gascogne : (Toujours des coulisses)

Écoutez, cela suffit, laissez-moi passer. Hors de mon chemin, vous !

(Norbert apparaît après avoir été poussé par Philbert sur scène, qui le suit)

(À Paul) Votre cousin est un bien étrange personnage. Par ailleurs, il chante extrêmement mal !

Paul Mercier :

Je n’arrête pas de le lui dire.

Philbert de Gascogne :

Sans parler de votre fille qui n’a pas daigné m’adresser la parole, ni même me recevoir !

Paul Mercier :

Sans doute n’avait-elle rien à vous dire.

Philbert de Gascogne :

Il semblerait en effet. Voilà qui ne plaide pas en votre faveur.

Paul Mercier :

C’est que, voyez-vous, Amandine a fait vœu de silence !

Philbert de Gascogne :

Comment cela.

Paul Mercier :

Oui, une soudaine crise mystique.

Norbert :

Y parait que les voies du Seigneur sont impraticables…

(Entre Carmen. Elle vient faire les poussières toujours en fredonnant son air espagnol)

Paul Mercier :

(En aparté) Non, pas encore elle !

Philbert de Gascogne : (Voyant Carmen faire les poussières)

(À Paul. Carmen n’entend pas) Madame votre femme, je suppose.

Paul Mercier :

Non… enfin, oui. Ma femme, Carmen.

Philbert de Gascogne :

(À Carmen) Je vous prie de bien vouloir m’excuser. Nous vous interrompons visiblement en plein travail.

(Philbert s’approche de Carmen et lui fait le baisemain)

Carmen : (Ahurie)

C’é qué yé dois faire la poussière dans lé saloune, Señor.

Philbert de Gascogne : (Surpris par le fort accent de Carmen)

Je comprends parfaitement et je ne veux en aucun cas vous soustraire à vos devoirs de maîtresse de maison.

Carmen : (qui n’a pas tout compris)

C’é tré chentil Señor. Merci Señor.

Paul Mercier :

Bien, laissons Carmen… Enfin ma femme faire ce qu’elle a à faire et revenons à ce qui nous occupe si vous voulez bien.

(Carmen fait les poussières quelques minutes puis elle sort. Entre Suzanne)

Suzanne Mercier :

(Voyant l’état du salon) Mais que s’est-il passé ici ?

Paul Mercier :

Rien ma chérie, je t’expliquerai.

Suzanne Mercier :

Père, j’ai tout essayé, mais Amandine refuse de dire un mot.

Paul Mercier :

Tu sais, contre l’appel de Dieu que pouvons-nous faire ?

Suzanne Mercier :

L’appel de Dieu, Père ?

Paul fait signe de ne pas chercher à comprendre)

Philbert de Gascogne :

En attendant de voir ce qu’il en est avec votre fille, je vous prie de me montrer vos états comptables afin que je me rende compte de la situation exacte dans laquelle vous êtes.

Paul Mercier :

Comme il vous plaira.

(À Norbert) Décidément, il est coriace ce contrôleur. Le comte ne va pas rester dans le jardin éternellement. Il faut fermer les portes qui donnent sur le jardin de façon à gagner quelques minutes. Le temps de nous débarrasser de cet importun.

Norbert :

(Avec une bonne tape sur l’épaule) Bravo Paulo, super idée !

Paul mercier :

Enfin Norbert, reprenez-vous !

Norbert :

Excusez-moi Monsieur. J’étais dans ma lancée.

Paul Mercier :

Oui et bien freinez un peu vous voulez !

(À Philbert). Je vais vous conduire dans mon bureau dans une minute. Nous avons d’abord une chose à régler avec Norbert. Suzanne va vous tenir compagnie le temps que je revienne. (À Suzanne) Suzanne, aurais-tu l’amabilité de t’occuper de Monsieur un instant. Je dois… régler… tu sais, cette chose… (Cherchant une excuse qu’il ne trouve pas)

Suzanne Mercier :

Je ne suis pas sûre Père, il a été question de m’envoyer séance tenante au couvent… Sans doute vaut-il mieux que je prépare mes bagages, qu’en pensez-vous ?

Paul Mercier :

Il se trouve en ce moment que la bonne sœur de la famille, ce n’est plus toi mais Amandine, voilà !

Suzanne Mercier :

Je ne comprends rien à ce que vous me dites, Père.

Norbert :

J’arrête pas de le dire, les voies du Seigneur sont irréparables…

Paul Mercier :

Oui, on a compris, vous.

Suzanne Mercier :

Bien Père, si je ne suis plus attendue au couvent, je veux bien m’occuper de votre invité.

Paul Mercier :

Je ne peux pas envoyer toutes mes filles au couvent, Suzanne. Il faudra bien t’y résoudre. (À Philbert) Je suis à vous dans un instant.

(Paul et Norbert sortent)

Philbert de Gascogne :

Vous êtes la sœur d’Amandine je suppose. Je vous prie de pardonner mon attitude tout à l’heure devant la porte de votre sœur. J’avoue que ces événements me contrarient beaucoup.

Suzanne Mercier :

« Les hommes font parfois sans réfléchir des actes que le temps leur donne le loisir de regretter ».

Philbert de Gascogne :

Richard III, si je ne m’abuse. Et tout à fait pertinent dans mon cas, Mademoiselle. Croyez que je regrette parfois mon côté un peu rustre.

Suzanne Mercier :

Vous connaissez Shakespeare ?

Philbert de Gascogne :

Comme tout un chacun.

Suzanne Mercier :

Je suis désolée que votre entrevue avec ma sœur ne se soit pas passée comme vous l’auriez souhaité. Il se trouve simplement qu’elle en aime un autre, vous comprenez ?

Philbert de Gascogne :

Un autre ? (Levant les yeux au ciel) Ah oui, un Autre en effet. Avec lequel, il est bien difficile de rivaliser.

Suzanne Mercier : (surprise)

J’ignorais que vous le connaissiez.

Philbert de Gascogne :

Pas personnellement bien sûr, mais je comprends fort bien qu’une jeune fille puisse décider de Lui confier sa vie.

Suzanne Mercier :

C’est très élégant de votre part.

Philbert de Gascogne :

Et vous même, n’a-t-il pas été évoqué que vous vous destiniez à la vie religieuse ? Pardonnez mon indiscrétion.

Suzanne Mercier :

Disons qu’il s’agit pour moi d’une vocation contrariée.

Philbert de Gascogne :

Si vous voulez mon avis, il n’y a rien de plus triste au monde qu’une femme que l’on contrarie.

Suzanne Mercier :

C’est une chose qu’il faudrait faire comprendre à mon Père.

Philbert de Gascogne :

Je vous promets de lui en glisser deux mots, si je parviens à mettre la main sur lui. Votre Père m’échappe sans cesse telle une anguille.

Suzanne Mercier :

Votre description lui va comme un gant.

(Norbert entre avec Paul)

Paul Mercier :

Voilà, je suis tout à vous. Si vous voulez bien passer dans mon bureau, je vais vous montrer ce que vous désirez.

(En aparté) Je vais l’enfermer dans mon bureau, comme ça j’aurai la paix ! Et il n’aura droit qu’aux livres trafiqués !

(Philbert sort avec Paul)

(Pendant cette scène Norbert remet tout en place et remet sa tenue de majordome)

Suzanne Mercier :

Norbert, que s’est-il passé ici ? Tout est sans dessus-dessous.

Norbert :

C’est une longue histoire, Mademoiselle. Vous connaissez votre Père. Monsieur à parfois ses excentricités.

(Amandine passe la tête. Elle s’assure que son Père n’est pas là).

Amandine Mercier : (en murmurant de façon exagérée)

Papa n’est pas là ?

Suzanne Mercier :

Non, tu peux venir Amandine. Il est dans son bureau.

Amandine Mercier :

Ouf, j’avais peur de tomber sur lui. Venez Grand-Mère, la voie est libre !

(Amandine et Elisabeth entrent)

Suzanne Mercier : (à Elisabeth)

Je suis impressionnée Grand-Mère. Comment avez-vous réussi à faire sortir Amandine de sa chambre ? Tous ceux qui ont essayé, moi y compris, s’y sont cassé les dents.

Elisabeth Mercier :

Je crois que mon petit en-cas y est pour beaucoup.

Amandine Mercier :

J’avais faim moi, après toutes ces émotions ! Et puis je m’ennuyais à mourir là-dedans ! Qui était cette personne à ma porte ? C’était le comte ?

Norbert :

Non, Mademoiselle. Un contrôleur des impôts du nom de François Dulac venu pour une inspection surprise.

Amandine Mercier :

François Dulac, mais de quoi parlez-vous ?

Norbert :

Pourquoi cela ?

Suzanne Mercier :

Je peux vous garantir que François Dulac n’est pas la personne qui était avec nous devant la porte d’Amandine et avec laquelle je me suis entretenue à l’instant.

Norbert :

C’est impossible. Tenez voici la lettre qu’Amandine a reçue et qui annonce la visite d’un certain Monsieur Dulac, inspecteur en chef des impôts.

Amandine Mercier :

François est bien inspecteur des impôts, mais ce n’est pas lui qui était derrière ma porte. J’aurais reconnu sa voix.

Elisabeth Mercier :

François ? Alors comme ça tu le connais ce François !

Amandine Mercier :

En quelque sorte.

Norbert :

Mais si ce Monsieur n’est pas l’inspecteur des impôts qui est-il ?

Suzanne Mercier :

Je crois que j’ai une idée...

Norbert :

Vous voulez dire que… c’était le Comte ? Mais alors si le comte n’est plus le comte, vous voulez dire que Madame est… avec l’inspecteur des impôts ?

Elisabeth Mercier :

J’ai l’impression qu’il y a eu quelque part comme une méprise, mon bon Norbert !

Norbert :

(Riant) Votre père va être fou de rage. Surtout quand il va se rendre compte qu’il a montré toute sa comptabilité à un inspecteur des impôts qu’il croit être le comte ! Quand il va l’apprendre…

Amandine Mercier :

S’il l’apprend….

Norbert :

Comment cela ?

Amandine Mercier :

Je dois vous avouer quelque chose, Norbert. Je connais François Dulac car nous sommes amoureux et nous nous voyons en cachette depuis quelques temps.

Norbert :

Mademoiselle est une petite cachotière.

Suzanne Mercier :

Je n’arrête pas de le lui dire !

Amandine Mercier :

Et puis… Vous savez combien de garçons ont tenté de me séduire pour l’argent de Papa, alors je lui ai dit un petit mensonge… Qui d’ailleurs vous concerne un peu…

Norbert :

Vous commencez à me faire peur.

Amandine Mercier :

Rien de bien méchant, je lui ai dit que j’étais votre fille et pas celle de Papa, c’est tout !

Norbert :

Comment ?

Amandine Mercier :

Oui, pour être sûre qu’il m’aime sincèrement.

Elisabeth Mercier :

Ma petite chérie, tout ceci devient très excitant ! Enfin, il se passe quelque chose dans cette maison !

Norbert :

Il ne faut pas faire une chose pareille, Mademoiselle.

Amandine Mercier :

Je sais, c’est ce que Carmen n’arrête pas de me dire. Seulement voilà, c’est fait ! Vous comprenez, je ne suis jamais sûre qu’on m’aime juste pour celle que je suis et pas pour d’autres raisons. Alors comment pouvais-je faire autrement ?

(On entend Colette s’approcher)

(À Norbert et Suzanne) C’est maman, je ne veux voir personne pour le moment et surtout vous ne lui dites rien, promis !

Norbert :

Oui, c’est promis. Cachez-vous vite !

(Elle se cache dans l’armoire.
Entrent Colette et François Dulac)

Colette Mercier :

Ah, Norbert ! Nous vous cherchions partout ! Mais où étiez-vous donc ? Figurez-vous que nous avons été enfermés dans le jardin. Heureusement que je savais où trouver la clé que Paul laisse toujours dans les plates-bandes, sinon nous y serions encore !

Norbert :

Je vous prie de m’excuser Madame, c’est moi qui ai fermé. Je ne savais pas que vous étiez sorti.

Colette Mercier :

(À l’oreille) Le Comte insiste pour vous parler seul à seul. Je ne comprends pas bien pourquoi, mais il dit que ça fait partie de sa « procédure ». Paul m’a prévenue de ne pas faire l’étonnée, mais je ne vous cache pas que tout ceci me dépasse.

Norbert :

Je suis à votre disposition.

Colette Mercier :

Belle-Maman, Suzanne, où en êtes-vous avec Amandine ?

Suzanne Mercier :

Les choses évoluent à tout instant, vous la connaissez.

Elisabeth Mercier :

Je sens que nous allons avoir très vite des rebondissements dans cette affaire, Colette !

Colette Mercier :

Bien voilà qui est excellent.

Elisabeth Mercier : (à François en lui tendant la main)

Elisabeth Mercier, la belle-mère antipathique de la famille.

François Dulac : (faisant le baisemain)

Enchanté, Madame. J’ai peine à croire ce que vous me dites.

Colette Mercier :

Belle-maman, pardonnez-moi de vous interrompre, cependant nous devons laisser ces deux-là quelques minutes pour un entretien privé.

Elisabeth Mercier :

Mon intuition me dit que nous aurons l’occasion de nous revoir, vous pourrez juger par vous-même.

François Dulac :

Ce sera avec plaisir, je me flatte d’être un excellent juge de la nature humaine.

Elisabeth Mercier :

Je n’en doute pas un instant.

Colette Mercier :

Si vous avez besoin de quoi que ce soit, nous serons à côté.

François Dulac :

Je vous remercie.

(Elles sortent)

François Dulac :

Enfin, je peux vous parler seul à seul, j’ai cru que je n’y arriverais jamais !

(Entre Paul)

Paul Mercier :

Ah vous voilà Norbert, nous vous cherchions partout !

Norbert :

Décidément, tout le monde me cherche dans cette maison.

François Dulac :

Monsieur Mercier, puisque j’ai enfin trouvé Norbert, je souhaite m’entretenir avec lui.

Paul Mercier :

Mais bien sûr.

Il ne bouge pas)

François Dulac :

Seul à seul.

Paul Mercier :

Mais comment donc.

(Il ne bouge pas. François attend. Il finit par faire signe qu’il a compris.
Il fait mine de sortir, mais revient sur ses pas)

François Dulac :

Avez-vous oublié quelque chose, Monsieur Mercier ?

Paul Mercier :

Non, non. Je vous laisse, je vous laisse.

François Dulac :

(Qui accompagne Mercier jusqu’à la sortie) Alors je vous dis à tout à l’heure.

Paul Mercier :

Je suis juste là, si vous avez besoin de moi votre… Resplendissance !

(Il sort)

François Dulac :

(Pour lui-même) Ce Mercier, quel crampon !

(Sur un ton solennel) Norbert, je dois vous faire une confession.

Norbert :

Que Monsieur se rassure, je suis prêt à tout entendre.

François Dulac :

Je ne suis pas venu ici pour faire un contrôle fiscal, encore qu’il y ait de quoi faire dans cette maison. Je suis épris de votre fille et je viens vous demander sa main.

Norbert :

Je vois, je vois. Amandine m’a entretenu en effet de ce sujet. Mais il y a quelques points qu’il vaudrait mieux éclaircir avant toute décision hâtive.

François Dulac :

Oui, je comprends… Amandine m’a parlé de votre situation.

Norbert :

Ma situation ?

François Dulac : Votre situation difficile.

Norbert : Difficile...

François Dulac :

De la tyrannie des Mercier à votre encontre.

Norbert :

… La tyrannie ? Le mot est peut-être un peu fort !

François Dulac :

Vous obliger à travailler malgré vos blessures de guerre…. Non, le mot n’est pas trop fort.

Norbert :

Mes blessures de guerre… Elle vous a dit ça ? (en direction de l’armoire) La vilaine petite indiscrète !

François Dulac :

Votre jambe, déchiquetée par un obus...

Norbert :

Ma jambe, oui...

François Dulac :

D'ailleurs vous ne boitez pas, c'est une chance.

Norbert :

Jamais pendant le service. C'est un principe.

François Dulac :

Elle m'a aussi parlé de la balle que vous avez dans le crâne, impossible à extraire, et qui peut vous emporter à tout moment en cas de choc...

Norbert :

La balle, oui... Mais je suis très prudent vous savez.

François Dulac :

Regardez-moi s'il vous plaît... (François le fixe) Ça ne se voit pas du tout, je trouve. C'est absolument remarquable.

Norbert :

Eh bien c'est à dire qu'elle est profondément enfoncée...

François Dulac :

Non, je ne parle pas de la balle, je parle de votre œil de verre.

Norbert :

De mon œil... Ah oui mon œil... J'ai eu de la chance, il ne restait qu'un coloris et c'était le bon.

François Dulac :

Je sais combien vous êtes maltraité chez les Mercier.

Norbert :

Mais non, je ne suis pas maltraité.

François Dulac :

Allons, je sais tout. Evidemment vous n'êtes pas du genre à trahir ceux que vous servez.

Norbert :

Certes.

François Dulac :

Je sais que vous n'avez pas parlé sous la torture, quand vous étiez résistant.

Norbert :

Je... Non, je n'ai rien dit en effet, mais...

François Dulac : Il n'y a pas de mais... Je ne vous demande pas de trahir vos employeurs, puisque c'est contraire à vos principes... En revanche, j’ai une solution à vous proposer pour échapper à cette épouvantable vie.

Norbert :

Il est possible que… ma fille ait quelque peu exagéré ma situation, Monsieur.

François Dulac :

Quelle abnégation, Monsieur ! Vous êtes un héros... vous êtes MON héros !

Norbert :

Tant que ça ? Vous n’êtes pas bien difficile, mon garçon.

François Dulac :

Votre modestie ne trompe pas. C'est la marque des vrais héros.

Norbert :

Hum... Avant de vous donner mon consentement, j’aimerais voir avec vous quelques points importants. Vous comprendrez que je ne puisse donner ma fille au premier venu, fut-il sympathique au premier abord.

François Dulac :

Cela me semble tout naturel en effet.

Norbert :

Voyons… qu’est-ce qui vous fait dire qu’Amandine est… l’Unique ?

François Dulac :

Comment cela ?

Norbert :

Vous connaissez ma fille depuis suffisamment longtemps je suppose, ainsi je suis sûr que ses petits défauts ne vous ont pas échappé.

François Dulac :

Je me suis surtout focalisé sur ses qualités à vrai dire.

Norbert : (s’adressant à l’armoire où se cache Amandine)

Reconnaissez que ma fille a une imagination parfois un peu trop débordante.

François Dulac :

Je dirais plutôt qu’elle a de la fantaisie.

Norbert :

Complètement mytho, vous voulez dire.... Et elle est souvent butée, ce qui peut être assommant. (On entend un bruit dans l’armoire)

François Dulac :

Vous avez entendu ?

Norbert :

Non, je n’ai rien entendu.

François Dulac :

Je dois me tromper alors. Amandine n’est pas butée, elle sait ce qu’elle veut, ce qui est une grande qualité.

Norbert :

Moi j'appelle cela du caprice... surtout quand on entraîne les autres dans des situations intenables. En fait je la trouve un peu immature, pas vous ? (nouveau coup dans l'armoire)

François Dulac :

Mettez-vous à sa place : elle ne veut pas voir sa vie broyée par les autres, comme c'est arrivé à son papa.

Norbert :

Elle est parfois distraite. Très distraite... trop occupée d'elle-même pour se soucier des autres. (nouveau coup)

François Dulac :

Rêveuse, voilà tout. Elle a du se créer un monde pour survivre à tout cela, et parfois elle s'y perd.

Norbert :

Elle est assurément d’humeur inégale (on entend le même bruit dans l’armoire). Lunatique serait le mot juste. (nouveau coup)

François Dulac :

Vivante. Mais vous êtes sûr de ne pas avoir entendu ce bruit ?

Norbert :

Sûr et certain ! Je vois... Monsieur, soit vous êtes complètement inconscient, soit vous aimez Amandine aveuglement.

François Dulac :

Si aimer une personne jusqu’à aimer en elle ses défauts fait de moi un inconscient, alors oui, je le suis. Mais je préfère l’inconscience d’un amour sincère à l’assurance d’une solitude mortifère…

Norbert :

Et poète avec ça. Êtes-vous conscient que je n’ai pas la moindre dot à vous offrir, si vous épousez Amandine ?

François Dulac :

Je ne suis ici que pour elle, le reste n’a aucune importance !

(Amandine sort de l’armoire et se jette dans les bras de François)

Amandine Mercier :

Mon amour !

François Dulac :

Amandine, mais... Ainsi c'était vous, ces bruits incongrus !

Amandine Mercier :

Je ne veux plus jamais te quitter !

Norbert : (Le regard porté vers la coulisse)

J'aperçois Monsieur Mercier en approche.

Amandine Mercier :

Je me sauve !

François Dulac : (La retenant)

Pas question. Vous avez promis.

(Paul entre et les voit enlacés)

Paul Mercier :

Mais que se passe-t-il, ici ?

Amandine Mercier :

(En aparté) Ciel, Papa… Je suis dans de beaux draps…

François Dulac :

Il se passe que je suis épris d’Amandine ici présente.

Paul Mercier :

Déjà ?! Je ne savais pas que les charmes d’Amandine agissaient aussi vite ! Ma foi, c’est une excellente nouvelle !

François Dulac :

Je suis résolu à l’épouser. Les deux parties ont consenti à cette union.

Paul Mercier :

Amandine, tu es d’accord pour épouser…

Amandine Mercier :

Oui, sans réserve !

Paul Mercier : (triomphant)

Ah ! Ah ! Ah ! Mais c'est très bien, je vous félicite, et je m'en félicite !

François Dulac :

Bien sûr si vous consentez aussi à cette union, Norbert.

Norbert :

Vous avez ma bénédiction, mes enfants.

Paul Mercier :

(En aparté) Quelle étrange manie que de demander sans arrêt l’avis du petit personnel !

Voilà qui est parfait, allons annoncer cette excellente nouvelle à ma femme !

(Ils sortent, mais François et Amandine s’attardent)

François Dulac :

Mon Amour, vous voilà enfin toute à moi ! Finalement Mercier semble avoir plutôt bien accueilli la nouvelle.

Amandine Mercier :

Certes, certes, mais il faut que je te dise… Tu ne sais pas tout sur moi.

François Dulac :

Ne dites rien ! Ce que je sais de vous me suffit pour savoir que vous êtes… l’Unique !

Amandine Mercier :

(En aparté) Après tout, s’il ne veut rien entendre. Inutile de tout lui dire pour le moment.
Viens, suis-moi, nous allons leur fausser compagnie un instant !

François Dulac :

Oui, ma bien-aimée.

(Ils montent à l’étage)

Scène 2 

(Entre Philbert tenant une poignée à la main, suivi quelques secondes plus tard de Norbert)

Norbert :

Mon Dieu, c’est vous ? (en aparté) Je l’avais complètement oublié celui-là !

Philbert de Gascogne :

Oui, c’est moi ne vous en déplaise. Votre cousin m’a laissé un instant dans son bureau et plus moyen d’ouvrir la porte. (Montrant la poignée) Elle a fini par céder. Je n’aime pas qu’on me résiste.

Norbert : (Philbert lui tend la poignée)

Y’en a qu’on de la poigne !

Philbert de Gascogne :

(Donnant la poignée à Norbert) Je crois que ça n’arrivera plus.

Norbert :

C’est pas faux.

Philbert de Gascogne :

Dites-moi, je n’ai pas très bien réagi tout à l’heure... J’ai été un peu pris au dépourvu, cependant la situation de votre cousin...

Norbert : (le coupant)

Cousin par alliance.

Philbert de Gascogne :

Plait-il ?

Norbert :

Non, rien.

Philbert de Gascogne :

J’ai jeté un œil aux états comptables de votre cousin… par alliance. Vivre dans une misère comme celle-là est déjà d’une grande injustice, mais avec des enfants d’une telle piété en plus... (Réalisant tout à coup) Mais, quelle drôle de tenue vous arborez là !

Norbert :

Oui… J’ai récupéré ces frusques de majordome dans une friperie ! c’était au poil, alors j’ai saisi l’occas’ ! Les temps sont durs…

Philbert de Gascogne :

À qui le dites-vous ! Allez savoir vous allez peut-être lancer une nouvelle mode !

Norbert :

Ce serait vraiment le comble !

Philbert de Gascogne :

Auriez-vous l’amabilité de prévenir Monsieur Mercier que je veux lui parler ?

Norbert :

Monsieur… Enfin… Cousin Paulo est en prière avec sa fille. Va falloir revenir.

Philbert de Gascogne :

Quel homme admirable ! Écoutez, je crois que votre cousin sera soulagé d’apprendre ce que j’ai à lui dire.

Norbert :

Par alliance ! Cousin par alliance.

Philbert de Gascogne :

Oui, par alliance si vous voulez.

Norbert :

Je peux lui transmettre un message sinon ?

Philbert de Gascogne :

Je préfère lui en parler de vive voix. (Après un temps) Au fond, puisque vous êtes là, il faut que je vous confesse quelque chose.

Norbert :

(En aparté) Voilà que ça recommence !

(Philbert va s’asseoir sur le canapé. Norbert reste debout)

Bien, je vous écoute, mon fils...

Philbert de Gascogne :

Plaît-il ?

Norbert :

Non, non rien. Alors ?

Philbert de Gascogne :

Voilà. Je n’ai pas dit à votre cousin… Enfin à votre cousin par alliance, que plusieurs membres de la famille en ont été réduits… à prendre un travail. Malheureusement nous avons connu quelques revers de fortune, j’en ai peur.

Norbert :

Vous voulez dire qu’ils… gagnent leur vie ?

Philbert de Gascogne :

Oui, dans notre milieu, ce n’est pas très bien vu…

Norbert :

Oui, je sais. J’ai travaillé… enfin, j’ai croisé le duc de Doudeauville et lui-même a dû...

Philbert de Gascogne :

Ah, j’ignorais. Et vous avez l’avez croisé à quelle occasion ?

Norbert :

Et bien… dans la friperie où j’ai acheté ça (montrant sa tenue).

Philbert de Gascogne :

Pauvre homme. Vous voyez à quoi certains en sont réduit !

Norbert :

Cousin Paulo vous en voudra pas pour si peu ! (il se lève). Mais mntenant il faut y aller…

Philbert de Gascogne :

C’est à dire que je veux annoncer à votre cousin par alliance une excellente nouvelle ! Le mieux est que je l’attende. Croyez-moi, il sera ravi d’entendre ce que j’ai à lui dire.

Norbert :

(En aparté) Voilà que le comte a changé d’avis ! Si Monsieur Mercier le voit tout est fichu !

Oui, enfin… Non ! Il peut en avoir pour toute la nuit !

Philbert de Gascogne :

Quel saint homme ! Prier une nuit entière ! Je l’ai vraiment mal jugé. J’attendrai le temps qu’il faudra ! (S’apercevant du changement de décors autour de lui) Mais ces tableaux, ces bibelots…

Paul Mercier :

(Des coulisses) Mes enfants pour fêter l’événement nous allons sabrer le champagne !

Philbert de Gascogne :

Le champagne ? Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ?

Norbert :

Ciel, ils arrivent.

(Pris au dépourvu, il assomme le comte avec la poignée de la porte
et le dissimule dans une malle avant de s’asseoir dessus)

Paul Mercier :

Ah Norbert ! Mais où est le comte ?

Norbert : (en panique)

Lequel ?

Paul Mercier :

Enfin le Comte et Amandine, voyons ! Vous perdez l’esprit Norbert.

Norbert :

Celui-là est à l’étage, Monsieur. Amandine a voulu lui faire visiter la maison. Ils ne devraient pas tarder.

Colette Mercier :

(A Paul) Tu es certain qu’Amandine souhaite d’elle-même épouser le Comte ?

Paul Mercier :

Je t'avais bien dit que je savais m’y prendre avec elle.

Colette Mercier :

Je suis étonnée, je dois l’admettre.

Paul Mercier :

Amandine ! Suzanne !

Colette Mercier :

Par tous les Saints du Ciel Paul, tu me casses les oreilles avec tes hurlements.

(On sonne. Norbert hésite à aller ouvrir)

Et bien Norbert, on a sonné.

Norbert :

Oui Madame, on a sonné en effet.

Colette Mercier :

Alors allez ouvrir je vous prie. Ne restez pas planté là.

Norbert :

Oui Madame.

(Il se décide à aller ouvrir tout en jetant un regard inquiet à la malle. C’est Plantard.
Norbert retourne s’asseoir sur sa malle)

Paul Mercier :

Vous tombez bien Plantard. Nous sommes parvenus à un accord avec le comte et la signature est imminente.

Maître Plantard :

(Il applaudit).

Paul Mercier :

(À Plantard) Attendez, vous. Norbert, allez me chercher ma Mère.

Norbert :

Vous voulez que j’aille chercher votre Mère, vous êtes sûr ?

Paul Mercier :

Puisque je vous le demande, enfin c’est quand même insensé !

Norbert :

Bien Monsieur.

(Norbert sort).

Maître Plantard :

(Gestuelle incompréhensible).

Paul Mercier :

Vous allez vous taire, vous ! Une minute je vous dis !

(Plantard cesse de gesticuler, penaud.
Norbert entre avec Elisabeth et retourne à sa malle).

Paul Mercier :

Ah te voilà enfin, Maman.

Elisabeth Mercier :

Paul, je te le dis d’emblée, il n’en est pas question ! Je n’irai pas dans ton asile de fous, du moins pas de mon plein gré !

Paul Mercier :

Mais de quoi Diable parles-tu, ce n’est pas pour ça que je t'ai fait demander, enfin !

Elisabeth Mercier :

Et bien alors pour quelle raison ?

Paul Mercier :

Je souhaite ton assistance pour une affaire d’importance.

Elisabeth Mercier :

Elles le sont toujours avec toi. Les affaires, tu n'as que ce mot à la bouche.

Paul Mercier :

Peux-tu me traduire ce que Plantard a à nous dire je te prie. Je ne sais pas bien pourquoi, mais tu sembles être la seule à entendre quoique ce soit à ses gesticulations.

Colette Mercier :

C’est sans doute à force d’essayer de comprendre les tiennes, Paul.

Paul Mercier :

Colette, je t'en prie (elle fait un signe d’approbation). Plantard, avez-vous pensé à prendre ce que vous savez ?

Maître Plantard :

(Gestuelle incompréhensible très longue).

Paul Mercier : (À Elisabeth)

Alors, qu’a-t-il dit ?

Elisabeth Mercier :

Il a dit « Oui ». En gros, bien sûr. Je te le résume, tu connais Maître Plantard et ses circonvolutions grammaticales.

Paul Mercier :

Parfait !

(Amandine, Suzanne et François entrent)

Ah, mes enfants ! Venez ici que je vous embrasse.

Colette Mercier :

Es-tu heureuse Amandine ?

Amandine Mercier :

Oui, plus que jamais.

Colette Mercier :

Bien, alors célébrons cela comme il se doit. Norbert, voulez-vous prendre le seau à champagne dans la malle je vous prie ?

Norbert : (en panique)

Non !

Colette Mercier :

Comment ?

Norbert :

Madame ne préfère pas une bouteille de Saint-Emilion au lieu du champagne ?

Colette Mercier :

Que vous arrive-t-il Norbert ? On ne fête pas des fiançailles au vin rouge, voyons. Sortez le seau, je vous prie.

Norbert :

C’est que… Il ne reste plus de champagne !

Paul Mercier :

C’est impossible, j’ai commandé 36 bouteilles le mois dernier.

Norbert :

Je… Je les ai toutes bues !

Colette Mercier :

Vous plaisantez ? Norbert, vous ne buvez pas une goutte d’alcool.

Norbert :

Depuis que j’ai mon jour de repos, je me suis mis à boire, en cachette, Madame. Le désœuvrement…

Paul Mercier :

Ah, je l’aurais parié ! Tu vois quand je te disais que quelque chose clochait avec Norbert ! (À Colette) C’est de ta faute, à toi et à tes parlementaires de gauche !

Colette Mercier :

Paul, ce n’est ni le lieu, ni l’heure. Norbert, veuillez demander à Carmen de nous rejoindre. Vous la remplacerez en cuisine, ce soir.

Norbert :

Oui, Madame.

(Il sort)

Paul Mercier :

Heureusement que j’avais mis une bouteille de côté dans mon bureau. Je vais la chercher.

Colette Mercier :

Merci Paul.

(Paul sort)

Je vous prie de nous excuser pour cet incident. Notre majordome a toujours été irréprochable jusqu’à ce jour.

Carmen :

(Entrant et voyant François) Oh, Madre de Dios, Dios mio !

Colette Mercier :

Et bien Carmen, reprenez-vous ! Veuillez nous apporter le seau à champagne, s’il vous plait.

Carmen :

Si, Señora.

(Elle ouvre la malle et la referme aussitôt. Elle s’assoit sur la malle)

Oh Dios mio, Madre de Dios !

Colette Mercier :

Et bien Carmen, qu’y a-t-il ?

Carmen :

Cielos. yabé dit qué ça finiré mal ! Ils sont fousse ces patronnes !

Colette Mercier :

Décidément, je crois que le mieux ce soir est de faire les choses soi-même !

(Paul entre avec la bouteille de champagne. Colette fait signe à Carmen de se pousser et ouvre la malle. Elle la referme aussitôt et s’assoit dessus)

Oh mon Dieu ! Paul, tu peux venir une seconde ?

Paul Mercier :

Oui, mon sucre d’orge ?

(Elle lui indique d’ouvrir la malle. Il l’ouvre et la referme aussitôt. Il s’assoit dessus)

Fichtre ! Le contrôleur !

Amandine Mercier :

Que se passe-t-il, Papa ?

Paul Mercier : (il fait signe à Colette de s’assoir sur la malle)

Norbert a volé aussi le seau à champagne, j’en ai peur !

François Dulac :

Cela n’a aucune importance !

Paul Mercier :

A la bonne heure. Maître Plantard, que vous connaissez, nous a apporté notre petit accord comme nous en avons parlé.

François Dulac :

Je ne suis pas sûr de comprendre…

Paul Mercier :

Comment cela ? Toutes vos conditions ont pourtant été acceptées !

François Dulac :

(À Amandine) Mais de quoi Diable parle-t-il ?

Maître Plantard :

(Fait des signes)

Paul Mercier :

Maman ?

Elisabeth Mercier :

Il semblerait que Maître Plantard, soit un peu perdu. Il dit ne pas connaître ton invité.

Paul Mercier :

Mais que voulez-vous dire Plantard ? Vous connaissez bien le Comte tout de même ?

Maître Plantard :

(Fait signe que oui, mais que François n’est pas le Comte)

Elisabeth Mercier :

(À plantard) Vous êtes-sûr ?

Maître Plantard :

(Il confirme)

(Philbert se réveille et essaye d’ouvrir la malle. Colette pousse un cri et la maintient fermée avec l’aide de Carmen)

Paul Mercier : (A Colette)

Chut, enfin ! On ne s’entend même plus mimer dans cette maison ! Mais enfin, qu’est-ce qu’il dit ?

Elisabeth Mercier :

Il le connaît ton comte, mais d’après lui, ce n’est pas ce Monsieur.

François Dulac :

Mais de quel comte parle-t-on ?

Paul Mercier :

Et bien de vous ! Vous n’êtes pas le comte ?

François Dulac :

Absolument pas !

(Un nouveau soubresaut. Colette et Carmen ne peuvent contenir plus longtemps le comte.
La malle s’ouvre et en sort Philbert avec le seau à champagne dans les bras)

Philbert de Gascogne :

Par tous les saints, mais que se passe-t-il ?

Carmen :

Oh, Madre mia

Philbert de Gascogne :

François ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?

(Il ne répond pas)

Colette Mercier :

Vous vous connaissez ?

François Dulac :

En quelque sorte...

Philbert de Gascogne :

Bonjour, mon frère.

Paul Mercier :

Vous êtes son…

François Dulac :

Oui.

Paul Mercier :

Et lui c’est votre…

Philbert de Gascogne :

Oui. Je dois dire que je suis surpris de te voir ici. Justement je voulais te demander d’aider cette famille qui est prise à la gorge par tes services.

(À Paul Mercier) C’est ce que je voulais vous annoncer, quand… Je ne sais pas ce qui s’est passé, c’est le trou noir… (À Norbert se massant la nuque) Dis donc vous, vous ne m’auriez pas frappé à la tête par hasard ?

Norbert :

Je suis confus. J’avoue avoir un peu paniqué l’espace d’un moment. J’espère que Monsieur ne m’en tiendra pas trop rigueur.

Philbert de Gascogne :

Après tout vous n’avez fait que m’assommer et m’enfermer dans une malle. Il faudrait être bien rancunier pour vous en vouloir !

Norbert :

Vous m’en voyez soulagé.

Philbert de Gascogne : (d’un ton glacial)

N’en faites pas une habitude à l’avenir. Je risquerais de manquer un peu d’humour la prochaine fois.

(Philbert tend à Norbert le seau à champagne)

François Dulac :

Philbert, peux-tu m’expliquer ce que tu faisais dans cette maison ? Encore une de tes négociations pour te trouver une épouse et ainsi éviter le sacrilège de devoir prendre un travail je suppose ?

Philbert de Gascogne :

Tout le monde n’a pas l’âme aventureuse comme toi, François. Je me permets d’ailleurs de te faire remarquer que si tu étais si fier de travailler pour l’Etat peut-être aurais-tu gardé ton nom complet : François du Lac de Gascogne.

François Dulac :

Ça ne rentrait pas sur mes cartes de visite !

Philbert de Gascogne :

Oui, passons.

François Dulac :

Amandine, comme vous avez dû le comprendre, je ne vous ai pas dit toute la vérité.

Amandine Mercier :

Pourquoi me l’avoir caché ?

François Dulac :

Quand vous m’avez dit que votre père était majordome chez les Mercier, j’ai eu peur que vous ne me jugiez sans me connaître. Lorsque que vous m’avez raconté que vous étiez issue d’un milieu populaire, exploité depuis des générations par des familles aisées sans scrupules, alors, vous comprenez… J’ai eu peur de votre réaction si vous appreniez que j’étais fils d’un comte apparenté à la famille royale.

Amandine Mercier :

Mais François, c’est toi que j’aime. Je n’ai que faire de ta famille !

Philbert de Gascogne :

Merci, c’est agréable !

Amandine Mercier :

François, pardonne-moi. Moi aussi, je t’ai menti. Norbert n’est pas mon Père. Je suis la fille des Mercier. Je te l’ai caché par peur que tu ne m’aimes que pour la fortune de mon père.

François Dulac : (passant pour la première fois au tutoiement)

Amandine, je t’aime, que tu sois la fille de Norbert ou celle d’un autre !

Paul Mercier :

L’autre voudrait bien comprendre ce qui se passe ici ! Vous êtes comte vous ou pas ! On s’y perd à la fin.

François Dulac :

Non, je ne le suis pas. Le comte c’est lui !

Paul Mercier :

Lui ? Mais alors vous êtes qui vous ?

François Dulac :

Je suis François du Lac de Gascogne, son frère, mais vous me connaissez mieux sous le nom de : François Dulac.

Paul Mercier :

François Dulac ? Comme dans François Dulac, contrôleur des impôts ?

François Dulac :

Non, comme dans François Dulac, inspecteur en chef des impôts.

Paul Mercier :

Mais vous n’êtes pas réellement…

François Dulac :

J’ai bien peur que si !

Paul Mercier :

(En aparté) Fichtre ! Et moi qui lui ai montré toute ma comptabilité ! (Il s’assoit sous le choc)

François Dulac :

Écoutez, je suis venu ici sous le prétexte de faire un contrôle pour rencontrer le père d’Amandine, que je croyais être votre majordome, Norbert. L’important est que j’aime Amandine et que je souhaite l’épouser.

Paul Mercier :

Mais il n’en est pas question ! Ma fille doit épouser un comte, pas un… comptable !

François Dulac :

A ce propos le comptable aurait deux mots à vous dire...

Philbert de Gascogne :

François, j'ai vu les comptes de ce pauvre homme, laisse-le tranquille, on ne tire pas sur une ambulance.

François Dulac :

Moi aussi j'ai vu les comptes, figure-toi... Ce monsieur est tout sauf un traîne-misère.

Paul Mercier :

N'exagérons rien... Vous n'avez pas vu les bons livres...

François Dulac :

Philbert, quelle était la taille du registre que tu as consulté ?

Philbert : (montrant une épaisseur de 2 cm avec ses doigts)

A peu près cette taille.

François Dulac :

Eh bien ce que j'ai vu, moi, pourrait couvrir une étagère de la bibliothèque de notre père.

Philbert de Gascogne :

La grande ou la petite ?

François Dulac :

La grande.

Philbert :

Bigre.

Paul Mercier :

Ce sont les documents annexes qui prennent beaucoup de place.

François Dulac :

Monsieur Mercier, accordez-moi la main de votre fille.

Paul Mercier :

C'est du chantage, n'est-ce pas ? Le mariage ou le redressement ?

François Dulac :

Je n'ai pas dit cela !

Amandine Mercier :

Mais, papa, puisque François est le propre frère de Philbert.

Paul Mercier :

Peu importe ! Ça ne fait pas de lui un comte, point à la ligne.

Philbert de Gascogne :

Mais moi qui suis comte, je n'épouserai pas non plus Amandine.

Paul Mercier :

Et pourquoi non ?

Philbert de Gascogne :

Mais parce qu'elle est l'élue de mon frère, voyons. Lequel est, je vous le rappelle, inspecteur en chef des impôts... ce qui de nos jours, vaut mieux qu'un comte, croyez-moi.

Paul Mercier :

Vous ne pourriez pas être comte ET inspecteur des impôts ?

François Dulac : (Montrant Philbert)

S'il meurt avant moi, oui.

Paul Mercier : (à Philbert)

Et... vous, la santé, ça se passe comment ?

Suzanne Mercier :

Père !

Philbert de Gascogne :

Je me porte très bien, je vous remercie. Je ne suis pas inspecteur des impôts, mais je vous propose quand même d'épouser votre fille.

Paul Mercier :

Epouser ma fille... mais vous disiez vous même que...

Suzanne Mercier :

Père, si je consentais à épouser le comte, accepteriez-vous de donner votre consentement au mariage d’Amandine ?

Paul Mercier :

Toi ? Tu ferais cela ?

Suzanne Mercier :

« Quiconque doit aimer aime à première vue ».

Paul Mercier :

Les affaires reprennent !

Suzanne Mercier :

Bien sûr, si Monsieur le comte accepte.

Philbert de Gascogne :

Je n’aurais pas rêvé trouver une femme telle que vous, Suzanne. J’y consens !

(Approbation générale)

(Il se tourne vers Carmen) Madame, c’est un privilège de vous connaître, vous et vos filles.

Carmen :

C’é qué Souzanne Señor, elle n’é pas ma fille et yé né souis pas la Señora Mercier.

Philbert de Gascogne :

Voilà encore autre chose !

Colette Mercier :

Paul qu’est-ce que tout cela signifie ?

Paul Mercier :

Oui, il y a eu une légère méprise ma chérie. (À Philbert) Je vous présente Colette ma femme et la Mère officielle de mes filles ! Carmen, la bonne... en qui j'ai toute confiance, n'est-ce pas Carmen ?

Carmen : Si, Señor, la confianza.

François Dulac :

Je vois que nous avons tous nos petits secrets finalement.

Philbert de Gascogne :

Reste à régler la question de la dot, maintenant que deux mariages sont prévus et non plus un seul.

Colette Mercier :

Je suis certaine que nous trouverons un arrangement, n’est-ce pas Paul ?

Philbert de Gascogne :

Monsieur Mercier ne peut souhaiter que le bonheur de ses filles… Quel qu’en soit le prix.

Paul Mercier :

Oui, oui, certes… Mais même le prix du bonheur a ses limites !

Philbert de Gascogne :

Bien entendu, nous voulons tous la même chose au fond. Je suis sûr que nous trouverons ensemble où se situe… cette limite.

Paul Mercier :

Disons que nous n’avons qu’à poursuivre cette conversation lundi matin 8h00 chez mon avocat, maître Plantard que vous connaissez. Plantard, ça vous va ?

Plantard :

(Il fait oui de la tête).

Elisabeth Mercier :

Veux-tu que je traduise ce que Maître Plantard viens de dire Paul ou c’est bon ?

Paul Mercier :

Oui, oui, c’est bon, j’ai compris.

Philbert de Gascogne :

(S’approchant de Paul et à l’oreille) Si vous lui avez dit huit heures, nous disons donc aux environs de neuf heures, neuf heures et demie ?

Paul Mercier :

(Sur le même ton) Je vois que vous connaissez bien Maître Plantard ! Ça me convient parfaitement.

Amandine Mercier :

Alors Papa, cette fois tu ne peux plus dire non ?

Paul Mercier :

(À François) Dites-moi, vous… Cette histoire de contrôle fiscal, finalement c’était une sorte de… plaisanterie ?

François Dulac :

Dites-moi, lorsque vous m’avez refusé la main de votre fille, finalement c’était une sorte de… plaisanterie ?

Paul Mercier :

Mais bien entendu, mon gendre !

François Dulac :

Au fond vous n’avez rien contre les comptables, Joli-Papa !

Paul Mercier :

Mais comment donc mon gendre, je vous offre ce poste ou un autre dans mon usine quand vous voulez !

François Dulac :

Il y aurait beaucoup à faire en la matière d’après ce que j’ai pu voir. Disons que ce n’est pas l’essentiel de ce qui nous occupe aujourd’hui.

Paul Mercier :

Oui, nous trouverons bien comment régler ces petits soucis administratifs. Vous êtes de la famille maintenant ! D’ailleurs, il est temps de fêter ça ! Norbert ? (Il ne vient pas. Imitant la voix de Carmen) Norberte, Norberte ?

Norbert :

Oui, j’arrive.

Paul Mercier :

Ce majordome est impossible ! Champagne pour tout le monde et au trot !

Norbert :

Bien Monsieur.

(Mercier tape des mains pour lancer les musiciens.
Norbert prend sa démarche trottinante et va chercher le Champagne)

NOIR

FIN


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