ACTE I
SCèNE 1
- Boulier, M. Dupont, Mme Lafosse, M. Legros,
Mme Marichal, Mme Petit, M. Simon, Mme Vincent
Dans la salle des profs, ceux-ci attendent impatiemment l’arrivée d’Irène Durieux, la directrice de l’école.
Mme Lafosse. – Elle est encore en retard, la vieille peau !
- Boulier. – Si l’exactitude est la politesse des rois…
- Dupont. – On voit bien que ce n’est pas une reine dans sa catégorie.
Mme Petit. – Je vous en prie, un peu de tenue et un peu de retenue. Après, vous irez vous plaindre de l’impolitesse de vos élèves !
Mme Lafosse. – Tais-toi, vieille peau !
Mme Petit, choquée. – Oh !
Mme Lafosse, grimaçant. – « Oh ! » qu’elle a fait la vieille peau !
- Legros, à Mme Lafosse. – Je t’en prie, Natacha, Mme Petit a raison. Rien ne nous empêche d’attendre poliment !
- Simon. – Sans compter que la grossièreté n’a jamais résolu aucun problème.
- Dupont. – Bien parlé, Maître Simon. Soyons dignes de notre statut.
Mme Vincent. – C’est ça, ne pataugeons pas dans la boue, ça éclabousse !
Mme Marichal. – Et en plus, ça tache ! Et vous savez que dans ces cas-là, plus vous la remuerez et plus vous en mettrez partout.
- Dupont. – En tout cas, toujours pas de trace de la reine.
- Legros. – Mme Durieux, directrice pour l’essentiel et accessoirement reine des retardataires.
- Simon. – Peut-être n’ose-t-elle pas paraître encore, chers collègues ? Attendrait-elle quelque chose, recluse au fond d’un tiroir de son bureau ?
Mme Vincent. – Ben voyons ! Notre reine attend le retour de d’Artagnan. Envoyé en mission spéciale en Angleterre, il doit occire tous les gardes du Cardinal qui ont l’inconscience de se dresser sur son chemin pour rapporter…
Mme Marichal. – … non pas les ferrets de la reine offerts par le duc de Buckingham, son amant, mes chers auditeurs, mais tout simplement les procès-verbaux de conseils de classe mystérieusement égarés depuis la dernière visite du vérificateur.
- Legros. – Lequel a, ensuite, été retrouvé assassiné dans un fossé, portant au front la mystérieuse botte de Nevers.
- Simon. – Pourquoi pas une botte de radis, tant que vous y êtes ? Vous confondez les histoires. Aux dernières nouvelles, Lagardère a parfois joué le rôle d’un bossu, jamais celui d’un mousquetaire.
Mme Lafosse. – Il avait peut-être bu plusieurs « Porthos » avant ?
- Boulier. – Remplis « Ara… mis », alors !
- Dupont. – Et par Athos, naturellement. Comme ça, on aura fait le tour.
Mme Lafosse. – Le Tour de France, évidemment. Et sans dopage. Que des produits naturels !
Mme Marichal. – Ah ! le Porthos ! Qu’il est doux à boire, avec ou sans mousquetaires !
Tous, en chœur, à l’exception de Mme Petit, sur l’air de « Ah ! le petit vin blanc ». – « Ah ! le petit Porthos qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de… »
Mme Petit, les interrompant sèchement. – ça suffit ! Taisez-vous ! (Les autres profs se taisent, gênés.)
- Dupont. – Monsieur Renard, notre psychologue, sera peut-être le d’Artagnan de service qui aura déjoué les pièges tendus par les gardes du Cardinal.
Mme Marichal. – C’est qu’il est rusé, notre Renard !
Mme Vincent. – Aura-t-il franchi tous les barrages pour nous servir ?
Mme Petit. – De relais auprès des parents, il remplit une noble tâche, notre psy.
Mme Lafosse, en aparté. – Vieille peau et idéaliste en plus. Un cas désespéré, en somme !
- Simon. – Et la noble tâche du rusé Renard est-elle bien rémunérée ?
Mme Marichal. – Motus ! Secret d’État ! Vous verrez, il ne répondra pas à ce genre de question.
Mme Vincent. – À raison. Voyons, François, tu ne comptes quand même pas demander à un futur mousquetaire qui sauve la reine du déshonneur en lui rapportant ses bijoux, ce qu’il a reçu en récompense ?
- Dupont. – Un baiser, peut-être… Mais nous manquons à tous nos devoirs.
Mme Petit. – Comme nos élèves, en somme.
- Dupont. – Je l’avais sur le bout de la langue.
- Boulier. – Et ça ne te gênait pas, Patrick ?
- Dupont. – Si… quand même.
Mme Marichal. – Alors, que fait notre reine, maintenant qu’elle a retrouvé ses bijoux ?
- Legros. – Elle chante, peut-être.
Mme Lafosse, chantant. – « Ah ! je ris de me voir si belle en ce miroir ! »
- Dupont. – De reine, la voilà à présent changée en Castafiore !
- Boulier. – Et de quel capitaine Haddock serait-elle amoureuse ?
- Dupont. – Serait-ce de M. Simon ?
- Simon. – Il me manque la barbe.
Mme Vincent. – Et le pognon ! Vous l’avez déjà vue fringuée dans les grandes occasions ?
- Boulier. – Question train de vie, elle est difficile à suivre.
- Dupont. – Forcément : elle roule en Porsche.
Mme Marichal. – Et passe sous le porche à une vitesse qui décoiffe.
Mme Lafosse. – C’est le « Chauve-qui-peut ». Tout le monde aux abris, v’là la dirlo. (Elle la voit entrer et incline la tête.) Madame la directrice…
Tous, en chœur et au garde-à-vous. – Madame la directrice…
SCèNE 2
Les mêmes plus Mme Durieux
Directrice. – Veuillez m’excuser pour ce léger retard, mais figurez-vous, monsieur Simon, que votre inspecteur vient seulement de quitter mon bureau. Quelle éloquence ! J’étais suspendue à ses lèvres.
Mme Vincent, en aparté. – Tant que ce n’est que suspendue…
Directrice. – Dès qu’il parle de ses auteurs favoris, il est intarissable.
Mme Vincent, en aparté. – Et tout coule de source.
Directrice. – J’étais littéralement plongée dans l’univers d’un roman d’Alexandre Dumas.
Tous les profs, en chœur. – « Les trois mousquetaires » !
Directrice, un peu étonnée. – Non, « Le Comte de Monte-Cristo » ! Et figurez-vous que, tout en appréciant la prestation de Gérard Depardieu quand il l’a incarné à l’écran, il ne le voyait pas vraiment dans le rôle. Lui qui défend si bien d’habitude la langue française, il a carrément parlé d’une erreur de casting.
- Simon. – C’est étonnant. Tu aurais cru ça possible, Natacha ?
Mme Lafosse. – Pas du tout. Je suis sciée.
Directrice. – Enfin, bref…
Mme Lafosse, en aparté. – Comme disait Pépin parce que…
Mme Vincent, en aparté. – … Pépin le Bref.
Directrice, tendant une feuille que chacun signera à tour de rôle. – Vous signerez la feuille de présence, comme d’habitude, vu le nombre d’absents, et parmi eux les deux spécialistes Dubois et Meurant, évidemment.
Mme Petit. – M. Dubois est en congé syndical, madame Durieux, vous savez bien que c’est parfaitement légal.
Directrice. – Parfaitement légal, en effet, mais ce « parfaitement légal » coïncide néanmoins, madame Petit, régulièrement avec une journée suivie d’un conseil de classe ou d’une réunion de parents.
Mme Petit. – Que sous-entendez-vous par là ?
Directrice. – Oh ! je me borne à constater, madame Petit, tout comme je me borne à constater que M. Meurant a régulièrement la grippe les semaines de conseils de classe !
- Legros. – Il a simplement pris froid en accompagnant les élèves à la patinoire.
Directrice. – Soit ! Terminons-en avec ce terrain pour le moins glissant, mais je vous rappelle malgré tout que toute absence pénalise les présents, c’est-à-dire vous, puisqu’il faut bien assurer des remplacements.
- Legros. – Oui, mais tout le monde peut tomber malade.
Directrice. – En théorie, oui. Dans la pratique, je suis forcée de constater des différences. Mais peu importe, j’aurai l’occasion d’en discuter avec les personnes concernées.
Mme Vincent, en aparté à Mme Lafosse. – T’avais raison : la dirlo, c’est un croisement entre Hitler…
Mme Lafosse, en aparté à Mme Vincent. – … et Margaret Thatcher.
SCèNE 3
Les mêmes plus Mme Laurent et Mme Carlier
Mme Laurent, entrant. – Veuillez m’excuser, madame la directrice, mais Mme Carlier est arrivée et elle vous attend.
Directrice. – C’est vrai, je l’avais oubliée, Carine. Faites-la entrer.
Mme Laurent. – Bien, madame.
Directrice. – J’avais omis de vous prévenir que la remplaçante de M. Borelli avait été désignée. Elle m’a téléphoné tantôt et je lui ai proposé de passer après la fin des cours pour qu’elle fasse votre connaissance et celle de notre école. Elle commencera demain.
Mme Laurent, entrant. – Par ici, madame.
Mme Carlier, entrant. – Je vous suis.
Directrice. – Venez, madame Carlier, que nous fassions les présentations. (Elle les désigne l’un après l’autre. Elle commence par Mme Petit.) Mme Petit, professeur de géographie.
Mme Petit. – Bienvenue parmi nous, madame Carlier.
Mme Carlier, en lui serrant la main. – Merci beaucoup.
Directrice. – Voilà M. Boulier, qui enseigne les mathématiques.
- Boulier. – Avec un nom prédestiné. Enchanté.
Mme Carlier. – Enchantée.
Mme Lafosse, en aparté à Mme Vincent. – Le boulier compteur, on ne s’en lasse pas.
- Legros, se levant. – Michel Legros. Vous êtes charmante, madame. Je leur enseigne la politesse et l’anglais.
Mme Carlier. – Tout un programme.
- Legros. – En effet, bien que le programme… (Il sourit et se rassoit.)
Directrice. – M. Simon, professeur d’histoire, amateur d’orthographe et également de bons vins.
Mme Carlier. – Bonjour. J’apprécie un bon bordeaux…
- Simon. – Bienvenue au club, alors !
Mme Carlier. – Mais je suis parfois brouillée avec l’orthographe, du moins quand elle côtoie les cimes des grands concours.
- Simon. – Rassurez-vous, vous n’êtes pas la seule ; je connais moi-même certaines faiblesses dans ces circonstances.
Mme Carlier. – Je ne dois donc pas faire de complexe, alors ?
- Simon. – Sûrement pas.
Directrice. – Voilà M. Dupont qui enseigne les sciences.
- Dupont. – Un vrai sacerdoce, madame Carlier. Je porte souvent ma croix, un comble pour un athée, et le chemin est parfois long et semé d’embûches.
Mme Vincent, en aparté. – Mais il a une pêche d’enfer et envoie les élèves au diable !
Mme Carlier. – Enchantée. Étant croyante, j’ose espérer que nous ne nous marcherons pas sur les pieds et que nous ne nous ferons pas la guerre.
- Dupont. – Rassurez-vous, je ne combats que les hérétiques ; et l’Inquisition, c’est de l’histoire ancienne.
- Simon. – Pas toujours.
Mme Carlier. – Vexé, l’historien ?
- Simon. – Vigilant seulement.
Directrice. – Mme Marichal, professeur de gymnastique.
Mme Marichal. – Pour les filles, bien sûr.
Mme Carlier, lui serrant la main. – Et elles courent bien ?
Mme Marichal. – Pas trop mal, mais surtout derrière les garçons.
Mme Carlier. – Et elles les rattrapent ?
Mme Marichal. – Là aussi, la vigilance s’impose.
Directrice. – Mme Vincent, professeur de mathématiques ; elle donne également le cours d’informatique.
Mme Vincent. – Disons que je le dispense et que je dispense les élèves de ne pas y être attentifs. Enchantée et bienvenue dans notre zone rurale d’enseignement prioritaire.
Mme Carlier. – Enchantée.
Directrice. – Et voilà Mme Lafosse.
Mme Vincent. – Celle qui est toujours sceptique.
Mme Lafosse. – Celle-là, on me l’a déjà faite cent fois. Professeur de français, j’incite mes élèves à faire accessoirement du théâtre. Quitte à ce qu’ils nous jouent la comédie, autant que je puisse les guider. Bonjour.
Mme Carlier. – Bonjour.
Directrice. – Voilà, nous avons fait le tour, du moins celui des présents. (Elle se tourne vers Carine.) Madame Laurent, vous aurez l’obligeance de faire visiter notre établissement à Mme Carlier. (Puis à Mme Carlier.) Au revoir, et n’oubliez pas : huit heures quinze précises.
Mme Carlier. – Vous pouvez compter sur moi, madame la directrice. À demain et au revoir à tous.
Tous les profs, en chœur. – Au revoir.
Mme Laurent. – Allons-y, madame Carlier, c’est parti pour le tour de la future propriétaire. Vous verrez, ce n’est pas tellement compliqué. C’est petit, l’avantage de la zone rurale.
Mme Carlier. – Je vous suis. (Elles sortent.)
- Boulier. – Par qui commençons-nous, madame Durieux ?
Directrice. – Par les 1ère A.
- Simon. – Bon ! J’ai compris. J’ai le temps d’aller faire mes photocopies.
- Legros. – Moi aussi. Meurant m’a demandé de photocopier son syllabus pour le cours de gym.
Mme Marichal. – Et moi, je vais attaquer mon mur d’escalade.
Mme Vincent. – Par la face nord, c’est la plus accessible. Je vais te donner un coup de main.
- Legros, Mme Marichal, M. Simon et Mme Vincent sortent.
SCèNE 4
- Boulier, M. Dupont, Mme Durieux,
Mme Lafosse, Mme Petit, Mme laurent
Directrice. – Vous êtes leur titulaire, monsieur Boulier. Allons-y.
- Boulier. – Dans l’ensemble, c’est une bonne classe, mais il y a bien sûr quelques cas dont nous devrons parler. Commençons par Anzaldi. Rien à dire, c’est une bonne élève.
Mme Petit. – Excellente, même.
- Boulier. – Arditi. C’est bien dans l’ensemble, mais il a un échec en mathématiques. Il n’aime pas mon cours, il me l’a dit.
Directrice. – Et il ne fait pas d’efforts ?
- Boulier. – Pas vraiment. En tout cas, il ne travaille pas à domicile.
- Dupont. – Et en classe, il fait semblant d’écouter. On connaît la chanson.
Mme Lafosse, chantant sur l’air de « La Boîte de jazz » de Michel Jonasz. – Par cœur. Je la connais par cœur.
Mme Petit, sévère. – Madame Lafosse, je vous en prie.
- Boulier. – Passons à Bachely. Six échecs. Rien ne l’intéresse à part son football. Mais il joue bien. Tout n’est pas négatif.
Mme Petit. – À quelle place joue-t-il ?
- Boulier. – À l’extérieur.
Directrice, s’étonnant. – À l’extérieur ? Pendant que les autres jouent sur le terrain, il joue sur le côté ?
Mme Lafosse, en aparté. – Mon Dieu, qu’elle est bête !
- Boulier. – Mais non, madame, il joue à l’extérieur et même extérieur droit, je crois ; ça veut dire qu’il joue sur une aile.
Directrice. – Sur une aile ? J’ai déjà entendu que certains pouvaient jouer sur une jambe, mais sur une aile ?
Mme Lafosse, en aparté. – Bientôt, ce sera Coluche dans « L’aile ou la cuisse ». Au niveau culture sportive, elle frise le zéro.
- Boulier. – Enfin, bref ! Madame, il ne joue pas au milieu, mais sur le côté droit.
Mme Petit. – Bien parlé, Gérard. Voilà qui a le mérite de la clarté.
Directrice. – Et on ne peut rien faire pour le motiver ?
- Dupont. – Il n’y a que ses entraînements et ses matchs pour le motiver.
Mme Petit. – Si on l’interroge le mercredi, le jeudi ou le vendredi, c’est le zéro assuré.
Directrice. – Pourquoi ?
- Boulier. – Laissez-moi deviner. Pratiquement une semaine sur deux, ce sont les Coupes d’Europe à la télé et on joue le mardi, le mercredi ou le jeudi, c’est ça ?
Mme Lafosse. – Bien raisonné, Watson. Vous feriez un bon détective.
Directrice. – Il ne reste donc que...