ALAIN, en off - Quand est-ce qu’on mange ?
Mme BERTIER, en off - Bientôt mon chéri.
LA SERVEUSE, entrant suivie des Bertier et d’Alain - Voilà votre table.
Je suis à vous tout de suite. (Elle sort pour revenir plus tard avec les menus.)
Mme BERTIER, découvrant le décor - C’est coquet. Sobre, mais coquet.
M. BERTIER - Je ne sais pas ce que ça vaut, c’est la première fois que j’y mets les pieds.
ALAIN - Moi, j’voudrais pas mettre les pieds dans le plat, mais j’ai faim !
M. BERTIER - Tu vas prendre une tarte si tu continues !
Mme BERTIER - Et tu seras privé de dessert !
ALAIN - Faudrait savoir !
M. BERTIER, se retenant de gifler son fils qui simule une esquive - Ah, vraiment, ce gamin est impossible ! Il va finir par me couper l’appétit !
Mme BERTIER - Ce serait dommage, maintenant qu’on est au restaurant !
M. BERTIER, apercevant la serveuse qui revient - Revoilà la serveuse. On va prendre un apéritif… Ça va me détendre.
LA SERVEUSE - Ah, ben, ça va pas être possible…
M. BERTIER, surpris - Ah bon ? Pourquoi ?
LA SERVEUSE - Parce qu’on en sert pas.
ALAIN, hilare - Ben dis donc, elle a pas inventé l’eau tiède celle là !
Mme BERTIER, horrifiée - Alain !
M. BERTIER - Vous ne servez pas d’apéritif ? Il y a une raison particulière à ça ?
LA SERVEUSE - Parce qu’on en n’a pas.
M. BERTIER - Vous voulez dire que vous n’en n’avez plus…
LA SERVEUSE - Ben, non ! Je veux dire qu’on n’en a pas et qu’on n’en a jamais eu.
M. BERTIER - Bon. Qu’à cela ne tienne, servez-moi un verre de Bordeaux. D’ailleurs, vous avez quoi en Bordeaux ?
SERVEUSE - Y’en a pas.
M. BERTIER, agacé - Un verre de rouge, alors. N’importe quoi.
LA SERVEUSE - Y’en a pas non plus.
M. BERTIER, à sa femme - Cela vient de moi, ou elle est du genre pénible ?
Mme BERTIER - Contrariante, je dirais : contrariante.
ALAIN - Ben dis donc, j’espère au moins qu’on graille dans ce resto, parce que sinon, on est mal barrés !
Mme BERTIER, voulant calmer le jeu - Je vois que vous avez les menus. Montrez-les nous, nous allons choisir. Vous avez un menu du jour ?
ALAIN, hilare - Y’en a pas !
LA SERVEUSE - Tout juste.
Mme BERTIER - Mais encore ?
LA SERVEUSE - Y’en a pas, mais on a un menu Dukan.
M. BERTIER, se méprenant, outré. Il est debout - Dites-donc, soyez poli avec ma femme !
LA SERVEUSE - Je manque pas de respect, c’est le nom qu’on lui donne, j’y peux rien !
M. BERTIER, scandalisé - Le nom qu’on lui donne ? Le nom qu’on lui donne ? Qui ça ? Qui ça ?
LA SERVEUSE - Ben, le patron…
M. BERTIER - Il est gonflé celui-là ! Ma femme, s’appelle Madame Bertier et vous êtes priés de ne pas lui donner des noms d’oiseaux ! Appelez-moi le patron ! (A sa femme.) Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Tu le connais, toi, le patron ?
Mme BERTIER - Bien sûr que non !
LA SERVEUSE, au bord des larmes - C’est le menu qui s’appelle comme ça : le menu Dukan.
ALAIN, mort de rire - En plus vous savez pas du quand ça date ?
M. BERTIER, embarrassé, puis radouci - Ah bon… Ah, bon… Bon, c’est quoi votre truc, là. Ce menu duchmoll ?
LA SERVEUSE, corrigeant - Dukan. C’est un régime en fait. Pour maigrir.
M. BERTIER - C’est complètement crétin ! Je ne vais pas au resto pour maigrir. C’est comme si j’allais à l’hôtel pour faire du trampoline !
Mme BERTIER - En même temps, tu prends du ventre mon chéri : un petit régime ne peut pas te faire de mal.
ALAIN - Ouais ! Sa brioche va croissant !
LA SERVEUSE - Faut pas croire, c’est un régime plein de protéines et on mange autant qu’on veut.
M. BERTIER, lisant la carte - Voyons ça. Entrée : crabe, saumon ou foies de volaille. Plat : filet de boeuf grillé, moules ou coquilles saint-Jacques. Desserts : flan, yaourts, fromage blanc. C’est vrai que ça a l’air
copieux.
Mme BERTIER - Qu’est-ce que vous servez comme légumes ?
ALAIN, joyeux - Moi, j’veux des frites !
LA SERVEUSE - Y’en a pas.
ALAIN, agacé - V’là qu’elle recommence !
Mme BERTIER - Voyons, Alain, au restaurant c’est l’occasion de manger autre chose que des frites. Par exemple des petits pois…
LA SERVEUSE - Y’en a pas.
ALAIN - Tant mieux !
Mme BERTIER - …des haricots verts…
LA SERVEUSE - Y’en a pas.
ALAIN - Tant mieux !
Mme BERTIER - …des carottes…
LA SERVEUSE - Y’en a pas.
ALAIN - Tant mieux !
M. BERTIER - Dites-donc, vous en faites bien des salades pour servir le client dans cette gargote !
LA SERVEUSE, pleurnichant - Beuh ! Y’en a pas non plus !
ALAIN - J’veux pas de salade, j’veux des frites !
M. BERTIER, se levant - Bon, ça va bien : on va au café de la gare, c’est peut-être pas diététique, mais, au moins on est sûr de bouffer quelque chose sans faire des salamalecs !
Mme BERTIER, suivant le mouvement - Tu as raison mon chéri.
ALAIN - Chouette ! A TABLE !
LA SERVEUSE, sort à l’opposé en pleurant - Beuh !
FIN
