Au lever du rideau, madame Fouquet, en maugréant, repasse du linge.
MME FOUQUET -Pffff ! Quelle galère à r'passer ça !... (On frappe à la porte ouverte. Madame Fouquet ne se déplace pas) Oui ?
UNE VOIX -Monsieur Tondu, s'il vous plaît ?
MME FOUQUET - (sans lever la tête) Troisième étage, droite !
LA VOIX -Merci.
MME FOUQUET - (continuant de repasser, toujours en ronchonnant) C'est pas vrai !? ça s'repasse mal c'truc-là !!... (On frappe à nouveau) Oui ?!
UNE DEUXIÈME VOIX -Monsieur Pelé, s'il vous plaît ?
MME FOUQUET -Ah ! lequel ? Y'en a deux des Pelé. Michel Pelé ? ou Bernard Pelé ?
LA DEUXIÈME VOIX -Michel Pelé.
MME FOUQUET -Cinquième étage, gauche.
LA DEUXIÈME VOIX -Merci.
(Madame Fouquet a à peine le temps de se remettre à son labeur, qu'on frappe à nouveau.)
MME FOUQUET -Oui ?
(Entrent Colombin et sa femme.)
MME COLOMBIN -Bonsoir madame Fouquet !
MME FOUQUET -Tiens ! Monsieur et madame Colombin. Ça, c'est un évènement !
COLOMBIN -Pourquoi un événement, madame Fouquet ?
MME FOUQUET -Parce qu'on vous voit rarement ensemble, non ?... Vous êtes de sortie ?
MME COLOMBIN -Exactement, madame Fouquet. Nous sommes de sortie. Tels que vous nous voyez là, nous allons au cinéma.
MME FOUQUET -Ah, bon ? C'est bien ça. Comme deux amoureux ?
MME COLOMBIN -(petit rire ridicule) Hi ! hi ! hi ! Comme deux amoureux, oui.
MME FOUQUET -Eh bien.
COLOMBIN -La vérité, serait plutôt que pour une fois, j'ai bien voulu céder aux caprices de ma femme, en allant voir Léonardo Di Capricio... Caprio, pardon ! Moi, qui ai horreur du cinéma. Et d'ailleurs, j'ai horreur de sortir le soir !...
MME FOUQUET -Vous ne m'apprenez rien monsieur Colombin. Ça fait un moment que j'sais tout ça. (En souriant) Je suis concierge... Mais assoyez-vous donc une minute.
MME COLOMBIN -(ennuyée) Ben, c'est que j'aimerais bien ne pas rater le début du...
MME FOUQUET -(lui coupant la parole) Si vous allez voir “Le Titanic”, comme je suis à peu près sûre que c'est le cas, je crois savoir que ce film dure plus de trois heures. Alors, même si on en rate cinq minutes, on doit pouvoir encore comprendre l'histoire sans trop de problèmes. Et de toute façon, il n'est que huit heures et demie. On a le temps de bavarder un peu... (On frappe) Oui ?
UNE VOIX -Pardon madame. Monsieur Toupet, s'il vous plaît ?
MME FOUQUET -Quatrième étage, deuxième porte à gauche.
(Elle s'assoit ; les Colombin s'assoient également.)
LA VOIX -Merci madame.
MME FOUQUET -Ça doit être un beau film, “Le Titanic”. Qui doit vous tirer les larmes des yeux.
COLOMBIN -Une belle connerie, oui. Qui doit vous endormir. Si vous saviez comme ça me gonfle ce genre de truc !
MME FOUQUET -Vous n'avez effectivement pas l'air très emballé, monsieur Colombin.
MME COLOMBIN -Il ne sait même pas de quoi ça parle !
COLOMBIN -Tu penses ! Un rafiot qui coule ! Faire trois plombes là-d'ssus !... (Il secoue la tête) Non, moi c'est vrai que ça m'dit pas grand-chose...
MME COLOMBIN -C'est pas trois heures uniquement sur un bateau qui coule ! Y'a une belle histoire d'amour aussi...
COLOMBIN -Pour moi, y'a que les films policiers qui valent le coup d'être vus. Et encore, à condition qu'ils soient bien faits. Et ce n'est malheureusement pas souvent le cas !
MME FOUQUET -Autrement dit, quand vous ne travaillez pas, vous ne bougez pas de chez vous ?... Ce soir, vous n'êtes pas de service ?
COLOMBIN -Non, madame Fouquet. Pas ce soir... et pas davantage les jours suivants ! La police, c'est fini pour moi !
MME FOUQUET -(intriguée, autant que surprise) Comment ça, fini ?
COLOMBIN -Fini ! Je ne dépends plus de la Police Judiciaire.
MME FOUQUET -(complètement surprise) Vous n'êtes plus inspecteur ?
COLOMBIN -Pas plus inspecteur qu'autre chose ; je leur ai collé ma démission, à la P.J.
MME FOUQUET -Et ben vous, alors ! Vous l'aviez bien cachée celle-là.... Ça m'fait tout drôle... C'est bien vrai, madame Colombin ?
MME COLOMBIN -Eh oui. C'est vrai. Vous savez, quand il m'a dit - y'a un mois d'ça, qu'il quittait la police, à moi aussi ça a fait tout drôle.
MME FOUQUET -(à Colombin) Et alors ? qu'est-c'que vous allez faire ? Vous prenez votre retraite ?
COLOMBIN -Non. Je n'en ai malheureusement pas les moyens... Et je n'ai que 51 ans.
MME FOUQUET -Vous allez faire autre chose ?
COLOMBIN -Non. A vrai dire, non. Les enquêtes, les filatures, etc, ce n'est pas quelque chose qu'on lâche aussi facilement. Surtout quand on a ça dans la peau ! Comme c'est mon cas. Pour faire un bon policier, il faut être intelligent, astucieux, patient, débrouillard, et courageux. Dieu merci, chacune de ces qualités ne m'a jamais fait défaut. Malheureusement, la police - et la PJ en particulier, est une boîte comme beaucoup d'autres, où il faut subir les directives et les vexations de supérieurs plus ou moins capables ; et qui ne pensent qu'à s'approprier les réussites de leurs subordonnés. Et un homme de ma trempe ne pouvait plus s'incliner, ni être humilié... Terminé. Tant pis pour eux !
MME FOUQUET -Oui, mais tout d'même, c'est prendre un gros risque il me...