le secret des navets

Dans une maison délabrée vivent trois générations d’une famille qui vit de petites larcins, combines, arnaques diverses, allocations, etc. De plus, les charognards rôdent et le passé enterré dans le jardin risque de remonter à la surface. Mais la famille est prête à tout pour défendre ce qu’elle a, même ce qui ne lui appartient pas.

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Décor (1)

Le secret des navetsUne grande table. Une seule chaise en bon état. Autrement des tabourets, des chaises branlantes ou improvisées. Une vieille télé.. (Récup etc)

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ACTE 1

Le rideau s'ouvre. L'aïeule est assise à une table et compte comme chaque matin l'argent récolté la veille par les membres de sa famille. Elle le met au fur et à mesure dans une tirelire.

Scène 1 : Charlotte / Séraphin

Charlotte / Huit. Neuf. (Elle prend un billet et l'examine). Dix ! Onze. Douze. (Elle croque une pièce de vingt centimes) Quatorze. (Elle sort une petite pièce) Un centime ! (Vers le public) Bande de radins ! Treize. Quatorze ? .. Un bon de réduction pour des pâtes ! Ils ne comprendront jamais rien dans cette famille. Ce qu'il faut c'est d'la fraîche ! Pas des bons pour bouffer des pâtes ! (Elle le met dans la tirelire) Heureusement que je suis là pour faire tourner la baraque. (Elle crie vers les coulisses) Bande de fainéants !

Séraphin entre

Séraphin / Bisous ? (Il tente de l'embrasser, elle évite)

Charlotte / Tiens, vlà l'autre.

Séraphin / Mais c'est moi. Ton petit mari. C'est Séraphin.


Charlotte / Séraphin ! Sert à rien !

Séraphin / (Doucereux) Tu as bien dormi ?

Charlotte / Avec toi.. ?

Séraphin / C'est pour ta santé. Je m'inquiète

Charlotte / Je l'vois venir. Si seulement je pouvais clamser.. Et bien non ! Je n'suis pas encore mûre.

Séraphin / Faut pas dire des choses comme ça.


Charlotte / Je l'savais que j'avais épousé un faux-cul. .. Au fait ! C'est toi qui a ramené un bon de réduction pour un paquet d'pâtes ?

Séraphin / T'aimes pas les pâtes ?

Charlotte / Y'a pas que les pâtes que j'aime pas.

Séraphin / Pour ramener du pognon, j'ai un peu perdu la main.

Charlotte / T'as perdu la main mais pas le poil à l'intérieur.

Séraphin / Je suis un peu vieux pour ça.

Charlotte / T'es vieux pour tout.

Séraphin / Je me disais que j'irais bien acheter des croissants ce matin.

Charlotte / Des croissants.Tu te prends pour Rothschild. On est fauché ! Et monsieur veut acheter des croissants..

Séraphin / T'es sûre ?

Charlotte / Ça veut dire quoi ? Que je planque du pognon en Suisse ? Je vais te dire : Le matin, tu devrais dormir dix heures de plus.


Séraphin / Et pourquoi ?


Charlotte / Tu dirais moins d'conneries.

Séraphin / Et, .. Pour mon argent d'poche ?

Charlotte / (Elle protège le pognon) C'est pas marqué pigeon.

Séraphin / Il me faut pas grand chose.

Charlotte / Faut que t'apprennes à te contenter de peu. (Elle le regarde) J'y arrive bien, moi.

Séraphin / Quand j'étais petit, on n'étais pas riche dans la famille. Même que je mettais les culottes à mon frère.


Charlotte / Tant que c'était pas les culottes à ta sœur..

Séraphin / Je fais quoi aujourd'hui ?

Charlotte / Va vendre des calendriers.

Séraphin / Ceux de l'année prochaine.

Charlotte / Non monsieur. Ceux de cette année.

Séraphin / On est au mois d’août.


Charlotte / T'as jamais entendu parler des soldes ?

Séraphin / Quand les gens me voient, ils se méfient.

Charlotte / T'avais qu'à pas sortir de taule.

Séraphin / J'ai passé trois mois en taule, alors que c'est toi qui m'avait dit de siphonner le réservoir de la bagnole.


Charlotte / Tu dénoncerais ta femme ?

Séraphin / Non. Mais j'ai droit à une seconde chance.


Charlotte / C'est moi, ta seconde chance.

Séraphin / Je fais c'que j'peux.

Charlotte / Et tu peux pas grand chose.

Séraphin / Tu ne m'aimes plus comme au premier jour.

Charlotte / Je t'aimerais plutôt comme au dernier.

Séraphin / Moi, je ne te quitterai jamais.


Charlotte / Justement. Si tu pouvais m'quitter cinq minutes. Faudrait aussi que t'ailles chercher des fleurs.


Séraphin / Tu veux des fleurs ?

Charlotte / Des fleurs au cimetière, c'est gratuit.


Séraphin / C'est pour ta fête ?

Charlotte / Non mais ça va bientôt être la tienne. Je veux des fleurs ! J'ai des clients qu'en d'mandent.


Séraphin / Je peux prendre la camionnette ?

Charlotte / J'en ai besoin pour aller à la banque. T'as qu'à prendre le vélo.


Séraphin / A vélo ! J'y arriverai jamais.

Charlotte / T'auras qu'à faire plusieurs voyages.

Séraphin sort

Séraphin / Je te fais un bisou ?

Charlotte / Dégage !

Scène 2 : Charlotte / Candice

Candice entre par la porte principale.

Candice / Bonjour maman.

Charlotte / T'étais où ?


Candice / Chez l'plombier. On avait une facture à régler.

Charlotte / Tu t'es tapé l'plombier ?

Candice / Fallait bien. Et après j'ai rencontré la propriétaire.

Charlotte / T'as rencontré la propriétaire ? T'as pas pu l'éviter ?


Candice / Je l'ai vue trop tard. Et je n'ai pas une bonne nouvelle. C'est à propos de la maison. Elle dit qu'on va être expulsés.

Charlotte / Elle va nous expulser ! Ça fait quarante ans qu'on habite ici !

Candice / A cause des loyers qu'on n'a pas payé, elle dit qu'elle n'arrive plus à joindre les deux bouts.

Charlotte / Et nous alors ! Même un seul bout, on y'arrive pas.

Candice / Pour les loyers, avant, elle ne disait rien, en souvenir de son mari qui nous avait à la bonne.


Charlotte / Ça c'est sûr que son mari m'avait à la bonne. Il avait des scrupules, mais quand je lui ai fait comprendre qu'un arrangement était toujours possible, il n'a pas mis six mois à réfléchir.

Candice / La propriétaire dit qu'elle a un acheteur. Il va bientôt venir visiter. Mais en fait, on pourrait en profiter pour changer d'air.

Charlotte / Et ta grand-mère ? Marie-Louise ! Tu y penses, à ta grand-mère ?

Candice / Ah oui. Elle est enterrée dans l'jardin.


Charlotte / On n'allait pas la mettre dans le congélateur.

Candice / Mamie est sous les navets.

Charlotte / Elle aimait bien les navets.

Candice / Comment on va faire ?

Charlotte / Je te rappelle qu'officiellement, ta grand-mère est toujours vivante !

Candice / T'aurais quand même pu déclarer qu'elle était décédée.


Charlotte / Ta grand-mère a toujours défendu sa famille. Et sa pension, c'était tout ce qui nous restait d’elle.

Candice / Elle aurait bientôt cent ans.

Charlotte / Si on fait gaffe, elle peut vivre encore dix ans de plus.

Candice / Quand même, ça s'fait pas.


Charlotte / Et bien si, ça s'fait. Tu crois qu'on nous aide, nous ? Quand on demande quelque chose, on nous répond : Démerdez-vous. Et bien on s'démerde ! D'ailleurs, faut que j'aille à la banque chercher sa pension.

Candice / Si on est mis dehors, ils vont tout découvrir. Si le futur acheteur se met à creuser, il risque de tomber sur un os.

Charlotte / Ca c’est sûr.

Charlotte sort

Scène 3 : Candice / Roméo

Candice / Si ça s'trouve, y'en a d'autres. Y'a peut-être plus de monde dans l'jardin que dans l'cimetière ! Et si l'acheteur veut faire du jardinage, on sera logé, mais en taule.

Le téléphone sonne. Elle parle sèchement

Candice / Comment ? .. On n'a pas payé les côtelettes ? .. Vous êtes sûr ? .. Y'a combien de côtelettes ? .. Une centaine ? .. Euh.. On paiera à la fin du mois.. Je sais que j'ai déjà dit ça le mois dernier, mais si ça vous plaît pas, on peut changer d'boucher. .. Bon, d'accord. Je vais passer. (Elle raccroche) Voleur ! Et l'autre qu'est encore barré. .. Roméo ! Tu parles d'un prénom. Si j'avais su.. Le Roméo, je lui aurais balancé un pot d'fleurs du balcon sur la gueule, ça l'aurait calmé tout d'suite !

Roméo entre. Il a un pneu sous le bras. Candice se place devant un miroir et se maquille tout en parlant.

Roméo / Bonjour mon amour !

Candice / C'est ça, salut.

Roméo / Regarde ce que j'amène ! (Il montre fièrement le pneu)


Candice / Pour quoi tu ramènes un pneu ? Ça n'ira jamais sur la camionnette.

Roméo / C'est pas pour la camionnette. Je l’ai pris sur une belle bagnole sur le parking de la mairie. Et il n'est pas abîmé du tout. Et ça, ça va s'vendre !


Candice / T'en a pris qu'un ?

Roméo / J'ai pas eu l'temps pour les autres, y'a un chien qui m'a repéré.

Candice / Il vole des pneus dès l'matin. Tu pourrais au moins attendre la nuit.


Roméo / C'était une occasion à pas rater.

Candice / (Avec une certaine allusion vis à vis de Roméo) Les occasions, des fois, faudrait mieux les rater..

Roméo / T'es fâchée ? Qu'est-ce qui s'passe ?

Candice / La propriétaire veut nous mettre dehors ! A cause des loyers en retard.


Roméo / T’as pas payé le loyer !

Candice / J'allais pas coucher avec la propriétaire.

Roméo / Les charognes. Sous prétexte, qu'on n'a pas d'argent, ils veulent nous ruiner encore plus.

Candice / Et s'ils nous mettent dehors, on va avoir des problèmes avec ma grand-mère.

Roméo / Ca m'étonnerait, elle est morte.

Candice / Oh ! Tu réfléchis quand tu penses ? Elle est officiellement vivante, même si c'est sous une rangée de navets.

Roméo / Ah mais c'est la tuile ça !

Candice / Et comme la proprio a déjà un acheteur, s'il se met à creuser dans l’jardin, ce s'ra la fin des haricots.


Roméo / En plus, il pourrait tomber sur Bobby.

Candice / C'est qui, Bobby ?

Roméo / C'est le chien du voisin, celui qui gueulait tout l'temps.


Candice / T'as tué l'chien du voisin ?

Roméo / Je pouvais pas tuer l'voisin.

Candice / T'as enterré le chien du voisin dans l'jardin ?

Roméo / Sous les patates. A côté des navets.

Candice / Mais pourquoi on n'est pas comme les autres ? Pourquoi on est toujours fauchés ?


Roméo / Dans la famille, on n'a jamais vraiment été faits pour travailler. Nous, c'est d'abord la liberté, et la liberté, ça n'a pas de prix !

Candice / En attendant, moi, faut que j'aille voir le boucher. Il a appelé, faut que j'paye encore de ma personne.

Roméo / Encore ! Aujourd’hui, le boucher. Hier, c'était le boulanger. La semaine dernière, c’était l’épicier. Et le curé, c’est pour quand ?

Candice / On va pas à la messe.

Roméo / J'ai l'air de quoi moi ?

Candice / Tu veux y'aller à ma place ?

Roméo / Tu crois que c'est un exemple pour nos enfants.

Candice / Nos enfants, nos enfants...


Roméo / Capucette et Galantine. Des jumelles. Tu t'rends compte, J’ai fait des jumelles !

Candice / Je suis au courant. J'étais à l'hôpital ; et toi, t'étais au café.

Scène 4 : Candice / Roméo / Capucette

Capucette entre. Elle a une robe blanche, un petit nœud dans les cheveux. Toujours très enthousiaste, voire exaltée. Elle se précipite vers eux pour leur dire bonjour. Elle leur fait la bise comme si elle ne les avait pas vu depuis dix ans.

Capucette / Bonjour papa ! Bonjour maman !

Roméo / Je ne m'y f'rai jamais.

Capucette / J'ai fait un grand cauchemar ! J'ai rêvé que j'étais dans le jardin et que j'étais attaquée par un grand ver géant ! Mais heureusement, papa est venu sur un cheval blanc et il l'a tué, et après on a mangé le cheval.

Candice / Les rêves, c'est toujours bien, c'est l'réveil qu'est pas pareil.

Capucette / En plus, ce matin, j'ai entendu les oiseaux qui gazouillent dans le jardin. J'aime bien les oiseaux.

Candice / Y'a pas grand chose à bouffer.

Capucette / Faut pas dire ça ! Les oiseaux, faut pas les manger ! Moi, j'aime bien quand les oiseaux gazouillent dans le jardin.

Candice / Y'aurait que moi, ils la fermeraient vite fait.

Capucette / Oh non maman ! Après ce serait comme dans un cimetière.


Candice / Un cimetière ? Pourquoi tu dis ça ?

Capucette / Je sais pas, mais des fois je rêve que je marche dans le jardin et tout à coup, y'a quelque chose qui sort de la terre.


Roméo / Un navet ?

Capucette / Un navet avec des mains. Alors je cours parce que le méchant navet, il veut m'attraper les pieds ! Et pourtant, j'aime bien manger des navets. Parce que moi, je ne serais jamais carnivore.


Roméo / D'accord... Et après ?

Capucette / Je m'en rappelle plus.

Candice / Bien. .. A part, écouter les oiseaux, tu vas faire quoi aujourd'hui ?

Capucette / Je vais aller cueillir des fleurs. Pour en mettre dans le jardin. Parce que j'aime bien les fleurs. Et après, j'irai à l'église pour donner de l'argent à tous les pauvres du monde entier.

Roméo / Tu vas donner de l'argent ?

Capucette / Ah oui. Parce que, quand on sera mort, on sera récompensé, et on pourra en profiter.

Roméo / Tu veux pas en profiter avant ?


Capucette / Oh non ! Les pauvres, ils ne peuvent pas attendre.

Candice / Ils sont pas à cinq minutes.

Capucette / Et aujourd'hui, je ne mange rien.

Roméo / Tu fais le ramadan ?


Capucette / Je jeûne. Pour que je sois plus légère. Parce que quand on est légère, c'est mieux pour regarder dans le ciel. Et tout à l'heure, je ferai une grande prière pour vous. Parce que vous êtes les parents les plus gentils du monde.

Roméo / Ah bon ?

Candice / En passant, tu ne pourrais pas rapporter le petit chien de l'épicière. Tu sais, celui qu'elle avait perdu, et qu'on a retrouvé.

Capucette / Oh oui ! Je vais donner le petit chien !

Candice / Et elle te donnera une récompense. Elle l'a mis dans l'journal. Elle y tient tellement à son petit chien.


Roméo / Il est dans la cage, dans l'couloir.

Capucette / Il va être drôlement content quand il va voir sa maîtresse. J'y vais tout d'suite !

Elle sort

Scène 5 : Candice / Roméo, Anne-Sophie

Roméo / Elle va rendre son clébard à la vieille radine.


Candice / Hé ! Forte récompense ! Ça c'est un chien qui rapporte.

Roméo / Avec le chat du coiffeur, la chèvre du menuisier et le hamster du notaire, on devrait pouvoir finir la s'maine.

Candice / J'espère que l’épicière ne va pas lui refiler un paquet d'bonbons.


Roméo / Capucette n'osera pas réclamer du pognon. Elle est trop gentille.

Candice / Elle veut donner du pognon aux pauvres.. (Elle crie) Mais c'est nous les pauvres !

Roméo / Quand je pense qu'elle met de l'argent dans le tronc que je pille toutes les s'maines. C'est comme si je volais ma propre fille. Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter une fille pareille ?

Candice / Toi, pas grand chose.

Roméo / Faudrait la montrer à un docteur.

Candice / En plus elle a des visions. Elle a vu des mains dans l'jardin !

Roméo / SI ça s'trouve, elle sent les choses.

Candice / Comme Youki qui nous ramenait tout l'temps des os.

Roméo / Je l'aimais bien, Youki. Mais avec les os qu'il déterrait il nous aurait rapporté que des ennuis.

Candice / La pauvre Capucette, faudra qu'on lui explique pour la grand-mère.

Roméo / Ce qu'il faudrait c'est s'en débarrasser. On pourrait la marier.

Candice / La marier ? Ca va pas être simple.

Roméo / Il est comment l’acheteur ?

Candice / Célibataire.

Roméo / Et ben voilà ! Pourquoi pas l'acheteur. On se débarrasserait de deux problèmes en même temps. Tu crois qu'elle saurait s'y prendre.

Candice / Les hommes, ça s'apprend vite.

Roméo / T'es sûre ?

Candice / Tu m'as épousée.

Roméo / Ah ben oui.

Candice / Et après, il marchera au coup d'sifflet.

Roméo / Seulement, avec Capucette, c'est pas gagné. Elle ne dit jamais de gros mots, elle ne crie jamais, elle ne boit pas.. C'est pas facile pour faire connaissance.

Candice / De toutes façons, les maris, c'est qu'après le mariage qu'on les connaît.

Roméo / Mais si ça n'marche pas ?

Candice / On enverra sa sœur.

Roméo / Galantine ?

Candice / D'accord, elle n'est pas facile facile, mais Galantine, c'est pas le genre à balancer son pognon ou à donner ses fringues à ceux qu'en n'ont pas assez.


Roméo / Elles sont tellement différentes. Des fois, je me demande si elles ont le même père.

Candice / Moi aussi.

Roméo / Faut pas dire ça. Sans moi, où est-ce que t'irais ?

Candice / Chez l'boucher.

On sonne à la porte.

Roméo / T’attends quelqu’un ?

Candide / Ben non.


Candice va ouvrir. Annie-Sophie entre

Annie-Sophie / Bonjour madame Candice, c’est maman qui m’envoie.

Candice / Oui. C’est pourquoi ?

Annie-Sophie / C’est parce que maman elle a rien pour faire la soupe. Alors, elle demande si par hasard, vous auriez pas des navets ?

Candice / Des navets ?

Annie-Sophie / Oui. Parce que, maman elle dit que vous avez des beaux navets dans votre jardin. Alors, si ça vous dérangerait pas, elle serait contente, parce qu’on aime bien la soupe aux navets.

Candice / La soupe aux navets..

Annie-Sophie / Vous allez m’en donner ?


Candice / Euh.. Je vais voir.. Tu peux repasser plus tard ?

Annie-Sophie / Oui mais quand ?


Candice / Ben, plus tard.

Annie-Sophie / A quelle heure ?


Candice / Quand ce s’ra prêt.


Annie-Sophie / Bon. Et bien, j’y vais alors.

Candice / C’est ça. Vas-y.


Candice ressort

Candice / Et en plus, faut qu’on dépanne les voisins.

Roméo / Y’a des profiteurs partout.

Candice / (A l’adresse de Roméo) Et des fainéants aussi.

Candice va dans sa chambre.

Scène 6 : Roméo / Galantine

Roméo / (Vers le public) Elle a pas l'air comme ça, mais elle m'adore..

Galantine entre. Elle est en tenue «gothique». (anneaux, piercing...) Plutôt inquiétante, elle tient une petite poupée truffée d'aiguilles. Roméo se retourne et sursaute.

Note : Galantine est du genre silencieux. Elle peut éventuellement soupirer sans bruit, mais doit surtout montrer ses réactions par sa façon de se tenir immobile devant le public, son silence et ses regards appuyé sur les autres.

Roméo / Je m'y ferais jamais.Tu as bien dormi ?

Galantine / Pfff

Roméo / (Désolé) On t'as réveillée.

Galantine / Pfff..

Roméo / Euh.. Sinon, ta sœur est déjà levée. Elle est partie à l'église. C'est vrai que le jour où elle ira au café, ça passera à la télé. .. Sinon, ça va ?

De temps, Galantine répond par des regards sur son père et qui en disent long sur sa pensée.

Roméo / T'as besoin de quelque chose ?

Galantine / Pfff..

Roméo / Parce que si t'as besoin, ton petit papa est là.

Galantine regarde son père

Roméo / Mais dis-moi. Qu'est-ce que tu voudrais faire plus tard ?

Galantine / Pfff..

Roméo / C'est très bien. Mais avoir un petit mari, ça t'intéresse.

Galantine / Pfff..

Roméo / Un petit mari, gentil.


Galantine regarde son père

Roméo / Comme dans les contes de fées. Tu sais, le beau prince charmant.

Galantine / Pfff..

Roméo / Parce que ta maman et moi, on s'inquiète pour ton avenir.


Galantine / Pfff..

Roméo / Alors, si tu avais une petite famille pour toi toute seule. Des enfants, tu aimerais avoir des enfants ?


Galantine regarde son père

Roméo / Tu as raison, les enfants, ça s'fait pas sur un coup d'tête.

Scène 7 : Roméo / Galantine / Candice

A ce moment Candice passe (Elle porte une tenue sexy, marche avec des haut talons et est très maquillée) elle continue à se préparer pour sortir.

Candice / Bonjour Galantine. Oh mais tu as l'air en pleine forme.

Galantine / Pfff..


Candice / Encore avec ta poupée ! Tu sais que tu as passé l'âge de jouer à la poupée.

Galantine reste silencieuse ensuite. Elle regarde le public avec un regard peu rassurant.

Roméo / Tu peux me ramener de la bière ?


Candice / Non.

Roméo / Je suis toujours enfermé ici, j'ai bien droit à une petite bière.

Candice / Je te rappelle que tu es en arrêt maladie.

Galantine regarde (Sans bouger) le public d'un air inquiétant.

Roméo / Depuis dix ans. A cause de mon petit doigt coincé dans une porte. Dix ans d'arrêt maladie ! A l'école, ils disaient que je ne ferais jamais rien de mes dix doigts. Il se sont gourés ! Parce que moi, rien qu'avec un, je touche le jack-pot.

Candice / Une petite pension.

Roméo / T'es bien contente de l'avoir, ma petite pension

Candice / Si au moins tu t'étais cassé une jambe, t'aurais touché plus. Seulement, c'est comme le reste, monsieur fait toujours les choses à moitié.

Roméo / T'es jamais contente.

Galantine regarde toujours (sans bouger) le public d'un air inquiétant.

Candice / Oh si, folle de joie ! .. En attendant, moi, j'y vais. Alors, tu vas me faire le plaisir de finir tes bandages.

Roméo / Je n'suis pas infirmière.


Candice / Les contrôleurs peuvent débarquer n'importe quand, et les gens en bonne santé, ils les reniflent à des kilomètres. Alors t'as intérêt à faire malade, très malade ! Genre mûr pour aller à Lourdes, sinon, c'est pas tes doigts qu'ils vont t’couper.., c'est l'pognon !

Roméo / Et la souffrance morale, ça compte comme maladie !

Candice / Ça compte pas, ça ferait trop de monde d'arrêté.

Roméo / Je suis obligé de mettre des bandages toute la journée ?


Candice / Les contrôles de la sécu, ça peut te tomber dessus plus vite que les allocations ! (Elle se remet du rouge à lèvres)

Roméo / T'en as pas mis assez ?

Candice / Faut aussi que je passe chez l'épicier.

Galantine regarde toujours (sans bouger) le public d'un air inquiétant. Ensuite Candice sort. Roméo s’assoit et commence à mettre un bandage autour de son pouce.

Scène 8 : Roméo / Galantine

Roméo / Mariez-vous, qu'ils disaient ! .. On s'fait toujours avoir.

On sonne à la porte.


Roméo / Si ça s'trouve, c'est les contrôleurs. Tu veux aller voir, mon ange ?

Galantine / Pfff.


Roméo / (Il va voir et regarde dans l’œilleton) Merde ! C'est l'maire. (Ou la maire) Qu'est-ce qu'il nous veut ? (A sa fille) T'as pas fait de conneries au moins ?

Galantine ne répond pas

Roméo / Il doit être en campagne électorale. Alors il vient dire bonjour. .. Faut pas qu'il me voit comme ça. Tu t'en occupes ?


Galantine / Pfff..

Roméo va dans sa chambre.

Scène 9 : Galantine / Maire

Galantine ouvre. Le (ou la maire) entre. (Le maire est du genre faux-jeton et qui en fait trop)

Maire / Euh... Je.. Bonjour.

Galantine / Pfff..

Maire / Je suis le maire (ou la maire)

Galantine / Pfff..

Maire / Vous me reconnaissez ?

Galantine regarde le maire sans dire un mot.

Maire / Euh.. Votre maman n'est pas là ?

Galantine / Pfff..

Maire / Votre papa ?

Galantine / Pfff..

Maire / Je peux le voir ?

Galantine regarde le maire sans dire un mot

Maire / Il est malade !


Galantine / Pfff..


Maire / C'est parce que je viens pour votre grande grande maman. Est-ce qu'elle est là ?

Galantine / Pfff..

Scène 10 : Galantine / Maire / Séraphin


Séraphin entre avec des fleurs du cimetière (genre couronne). Il ne voit pas le maire au départ.


Séraphin / (Il montre fièrement ses fleurs) Des fleurs comme ça, on n'en voit pas tous les jours !

Le maire se retourne

Maire / Oh ! Je ne savais pas. Vous avez un décès ?

Séraphin / Merde.. Euh.. Bonjour.


Maire / Toutes mes condoléances. Quelqu'un de proche ?


Séraphin / Euh.. Pas trop. Mais bon, faut bien faire un geste, sinon le mort pourrait se vexer.

Maire / Je comprends.

Séraphin pose les fleurs. De temps en temps, avec un petit sourire sadique, elle donne discrètement un coup d'aiguille à la poupée. A chaque fois le maire sursaute.

Coordonnez le coup d’aiguille avec le ressenti. (Ex : A chaque fin de phrase du maire ou de Séraphin).

Maire / Vous avez des moustiques ?

Séraphin / M'en parlez pas ! On est envahis.

Maire / Aie !

Séraphin / On a de tout ! Des moustiques ! Des cafards ! Des puces ! Des punaises ! Des doryphores ! Des araignées !  Des mouches ! Des asticots ! De c’côté là, on manque de rien.

Maire / (Galantine donne un coup d'aiguille) Saloperies ! Et vous, ils ne vous piquent pas ?


Séraphin / Ben non. Ils nous connaissent.

Maire / Moi, ils ont l'air de m'apprécier.

Séraphin / Je vois que vous avez fait la connaissance de Galantine..

Maire / C'est toujours agréable de discuter avec des jeunes.

Séraphin / Mais vous n'allez pas rester debout ?


Maire / Vous n'avez qu'une chaise, je ne voudrais pas abuser.

Séraphin / C'est que, les chaises, ça coûte cher.


Maire / Comment vous faîtes ?


Séraphin / On s'assoit à tour de rôle.

Maire / Ça me gène (il s'assoit)

Séraphin / Vous ne voulez pas un calendrier ? On les a sortis un peu en retard, mais tant que l'année n'est pas finie, ils sont toujours valables, non ?

Maire / Non merci. J'en ai déjà une dizaine L'école ! .. les pompiers !.. Les ordures ménagères ! Les commerces ! J’en ai jusque là 

Séraphin / Vous voulez des navets ?

Maire / Des navets ! Je ne peux pas accepter.. Vous savez, les pots d'vin.. (En lui parlant à l'oreille) Je risque ma place.

Séraphin s’assoit à la table et tout en parlant, décortique des vieux mégots récupérés dans la rue pour rouler une cigarette. Il n’y parvient jamais.

Séraphin / Alors, vous êtes venu pour nous voir ?

Maire / Oui. Et surtout votre centenaire.

Le maire sursaute et se lève brusquement. Ensuite, le maire pourra s'asseoir ou non et se relever brusquement chaque fois qu'il recevra un coup d'aiguille.

Séraphin / La centenaire..? La centenaire.. ?

Maire / J'ai appris qu'elle allait avoir cent ans demain. Vous vous rendez compte ? Cent ans !

Séraphin / Cent ans ! Et pas toutes ses dents ! (Il rit) Excusez-moi, on ne devrait pas rire.

Maire / Alors, je me suis dit qu'on pourrait lui fêter son anniversaire. Une centenaire dans la commune, ça s'arrose.

Séraphin / Y’a pas besoin de l’arroser. Ca pousse tout seuL


Maire / Comment ?

Séraphin / Non, rien.

Maire / Vous pensez qu'elle sera contente de me voir ?

Séraphin / Y’a des chances, mais vous savez, faut lui éviter les émotions fortes. Dans son état, ça pourrait la tuer.

Maire / On lui ferait un petit cadeau..

Séraphin / Un petit ?

Maire / Un gros, bien sûr. Un gros. Et on fera quelque chose de très simple. Une petite cérémonie. Une petite photo avec moi ; elle l'a bien mérité.


Séraphin / Ca pourrait pas lui faire plus plaisir ! .. Mais ce qui lui ferait aussi plaisir, c'est un peu d'argent. Justement, faudrait qu'elle change de dentier. Elle n'aime plus la purée.

Maire / Euh.. Oui. Vous avez raison. Bien sur, on verra si on peut, avec l'aide sociale.


Séraphin / Si on peut ?

Maire / On va l'faire.

Séraphin / C'est gentil, mais pour son anniversaire, faudrait quand même qu'on en parle en famille. C'est que c'est fragile à cet âge là. (A Galantine) Galantine, tu veux pas aller prévenir ton papa ? Monsieur le Maire est ici. C'est pas tous les jours qu'on a quelqu'un d'aussi bien chez nous.

Maire / Vous me gênez..

Séraphin / Faut pas. Moi je dis toujours ce que j'pense.

Maire / Moi aussi.

Galantine sort


Scène 11 : Maire / Roméo / Séraphin

Roméo entre. Il marche très difficilement avec des béquilles, il en rajoute énormément. Pendant la discussion, Séraphin continue avec ses mégots.

Roméo / Ah ! Monsieur l'maire (Ou madame). Ça me fait tellement fait plaisir de vous voir. C'est tellement rare. C'est pour une bonne nouvelle au moins ? On a gagné la dinde à la tombola ?

Maire / Je voudrais bien mais je ne suis que le maire.

Roméo / Oh vous savez. Je dis ça, mais on n'a même pas les moyens d'acheter un billet à la tombola de l'école. C'est que c'est dur en c'moment.


Séraphin / Et y'a pas qu'en c'moment.

Roméo / Vous venez pour empêcher «l'explusion» ?


Maire / L'expulsion ?

Roméo / Notre propriétaire veut nous «expluser».


Séraphin / Tout ça pour quelques loyers en retard.

Roméo / Vous allez nous aider ?

Maire / Euh. ? Je.. Je vais voir..

Roméo / Tardez pas trop, parce qu'en plus, on a une centenaire, et une centenaire qui couche dehors, ça n'ferait pas bien dans l'journal.

Séraphin / Et l'hôtel de ville, y'a encore des chambres ?

Roméo / Tu confonds avec l'hôtel de police.

Séraphin / Ah oui. .. Vous voulez boire quelque chose ?


Maire / Je ne voudrais pas abuser.


Séraphin / On a que de l'eau. De l'eau de la ville.


Maire / Surtout pas !

Séraphin / Vous avez raison, elle n'est pas bonne du tout.

Roméo / Moi aussi, j'ai arrêté l'eau. Jamais d’eau ! C’est une question de vie ou d’mort.


Maire / Sinon, comment allez-vous ?

Roméo / Mal. Ça m'fait mal là, et là aussi, et quand ça m'fait pas mal par là, ça me fait mal par là.

Maire / Vous avez vu des spécialistes ?

Roméo / Je les ai tous vu. Ils disent que je suis un cas. Ils ne peuvent rien faire, et moi non plus. Je suis condamné à rien faire. Alors que d'habitude, je suis si actif...


Maire / Mon pauvre ami..

Roméo / Pauvre, c'est le mot. Parce qu'avec ma petite pension, c'est à peine si je peux payer les bandelettes. C'est que c'est pas donné, les bandelettes.

Séraphin / Y'a des moments, faudrait mieux être mort.

Maire / Heureusement, vous avez votre famille.

Séraphin / Une famille à charge.

Maire / En famille, c'est bien connu, on se serre les coudes.


Roméo / Nous, c'est plutôt la ceinture. Même des fois, je m'dis, je demanderais bien une petite aide à monsieur le maire (ou madame le maire), parce que il est gentil, monsieur le maire. Hein Séraphin, qu'il est gentil le maire ?

Séraphin / On le disait encore hier, le maire, y'a pas plus gentil !

Scène 12 : Maire / Roméo / Séraphin / Candice, Anne-Sophie

Candice entre

Candice / En plus, à chaque fois, on vote pour vous.


Maire / C'est gentil, mais vous n'êtes pas inscrit sur les listes électorales.

Candice / Ah bon ?

Séraphin / Mais si on y était, on ne voterait que pour vous. (Séraphin donne ses béquilles au maire) Tenez-moi ça.


Roméo / Et pour mon doigt ? Vous pouvez faire quelque chose , En plus? c'est celui dont je me sers le plus.

Maire / Vous l'avez mis où ?

Roméo / Dans une porte.

Maire / Vous auriez pu y rester.


Candice / Y'a que le doigt qui y'est resté.

Séraphin reprend ses béquilles

Séraphin / Et si y'avait que l'doigt, mais j'ai jamais eu d'bol. Mes parents sont morts à quatre vingt douze ans, et les deux en même temps ! Depuis je suis orphelin.

Maire / Vous savez.. En ce moment.. Les finances...

Candice / Oh ! Ca, les finances.. Nous aussi, on connaît..

A ce moment, il sursaute (grâce à Galantine)

Maire / La vache !

Candice / Monsieur l'maire ?


Maire / C'est pas vous, c'est les moustiques.

Candice / Y'a des moustiques ?

Séraphin / Et monsieur le maire, il est sensible de la peau.


Roméo / Je sais, mais c'est toujours les mêmes qu'on aide. Tenez, les voisins d'à côté.. Et bien, tous les ans ils partent en vacances à la mer. C'est louche non ?

Maire / La mer est à dix kilomètres.


Candice / Dix kilomètres ! Vous vous rendez compte ? Et ils y vont.

Maire / Faut pas dire du mal de ses voisins


Candice / Ils en disent bien de nous.


Séraphin / Soit disant qu'on serait des fainéants, des voleurs, des buveurs, et des menteurs. Alors qu'on n'a jamais rien fait !

Candice / Ca c'est vrai, on n'a jamais rien fait.

Maire / Je vais regarder ce que j'peux faire.

Le maire ressent le cou d’aiguille


Candice / C'est vrai ?


Maire / Vous avez ma parole de maire.

Candice / Dubitative) Mouais

On sonne à la porte. Candice va ouvrir

Anne-Sophie / Je viens pour les navets à ma mère.


Candice / Les navets ? Les navets.. ? J’ai pas encore eu l’temps de m’en occuper.


Anne-Sophie / Parce qua maman, elle attend pour faire la soupe.

Candice / Bon. Dis à ta mère que je vais aller les chercher.


Anne-Sophie / Alors j’attends ?


Candice / Dis à ta mère que je vais aller les chercher.

Anne-Sophie / Parce que nous, on aime bien les navets.

Anne-Sophie repart

Maire / C’est bien d’aider son voisin. Si seulement tout le monde était comme vous.


Candice / On fait c’qu’on peut.

Maire / Mais pensons à vous. Une famille si méritante. Et aujourd’hui je viens pour une bonne nouvelle.

Candice / On a gagné quelque chose ?

Séraphin / C'est pour la grand-mère, ils veulent lui faire sa fête.

Maire / Pour son centenaire. Nous viendrions demain.

Candice / Vous allez venir pour voir la.. Merde.

Maire / Pardon ?

Candice / Excusez-moi, c'est l'émotion. .. Vous voulez vraiment la voir ?

Maire / Je veux lui faire une surprise.


Candice / C'est qu'elle ne bouge pas beaucoup d'habitude.

Maire / Votre centenaire en a sûrement vu d'autres. Et puis, je ne viendrai pas les mains vides.

Candice / Ah oui ! Oh alors, si y'a des cadeaux, je suis sûre qu'elle sera très contente.

Maire / Et bien c'est formidable. Une centenaire dans la commune, y'en a si peu.

On sonne à la porte

Scène 13 : Maire / Roméo / Séraphin / Voisine / Candice

Galantine peut continuer ses petites piqûres en coulisse. Le maire sursaute de temps en temps.

Candice / On est tout l'temps dérangé. .. Oh.. Pas vous, monsieur l'maire.

Séraphin va voir et entrouvre la porte. La voisine entre.

Voisine / Vous avez pas vu mon chat ? Mon chat noir, avec des tâches blanches. Il a disparu.

Séraphin / Ah non ! On n'a pas vu l'chat.

Voisine / J'ai cherché partout.

Séraphin / Il ne doit pas être bien loin.


Voisine / Si vous le voyez, vous me prévenez ?

Séraphin / On n'y manquera pas.


Voisine / Ah merci.

Séraphin / C'est normal. Entre voisins, faut s'entraider.


Voisine / Déjà, mon petit Bobby qui avait disparu. Mon mari l'avait cherché partout. Et puis lui aussi il a disparu.


Séraphin / C'est toujours les meilleurs qui s'en vont

Voisine / Mais mon p'tit chien, moi j'y tiens.

Séraphin / C'est sûr qu'un chat, ça remplace pas.

Voisine / Vous êtres trop gentil. J'ai de la chance d'avoir des voisins comme vous.

Roméo / Je vais aller avec elle. Entre voisins, faut bien se soutenir.

Roméo sort, Séraphin referme la porte.

Scène 14 : Maire / Séraphin / Candice

Candice / (Au maire) Ça fait la douzième fois qu'elle le perd.

Séraphin / Heureusement ! A chaque fois, c'est nous qu'on le retrouve !


Maire / Il y a beaucoup de disparitions de chats dans la commune.

Candice / Les chats, ça va où ça veut.

Maire / Y'a tellement de chats et de chiens qui traînent.

Candice / Les gens perdent tout.


Séraphin / On vit dans un monde. Mais dans un monde !


Maire / Heureusement qu'il y'a des gens comme vous pour aider.

Candice / C'est sûr.

Scène 15 : Maire / Séraphin / Lulu / Candice

On sonne à la porte. Séraphin va ouvrir. Lulu entre..

Lulu / Je viens pour..le carburant..

Séraphin / Euh... (il chuchote) C'est pas l'moment

Lulu / C'est urgent.

Séraphin / Vous devez vous tromper ?

Lulu / Qu'est-ce que tu racontes ? C'est pour ma bagnole.


Séraphin / Vous devez faire erreur. Nous ne faisons pas station service.

Candice / (Au maire) Sinon, ça va. La famille.. La santé..

Lulu / Une erreur. Je suis quand même à la bonne adresse ?


Séraphin / Oui. Non. Peut-être. Mais c'est pas nous.

Lulu / (Il aperçoit le maire) J'ai compris. Tu l'as vendu à un autre. Forcément, du carburant pas cher.

Séraphin / Euh. Je te présente monsieur le Maire.

Lulu / Le Maire.. Ah c'est le...

Séraphin / Il est venu nous dire bonjour.

Lulu / Hé ! Moi aussi !

Séraphin / Et bien, au revoir alors.


Lulu / C'est ça. Au revoir. (Chuchoté) Au fait ! Pour les pneus, t'as trouvé ?

Séraphin / (Il tousse) Hum hum hum


Lulu / Il m'en faudrait une douzaine.

Séraphin / Une douzaine d’œufs. On va t'en donner.

Lulu / J'ai pas demandé des.. (Il réagit à la présence du maire) Ah si ! Ca m'revient. Des œufs. J'adore les œufs.


Séraphin / Bien ! Alors ! A un d'ces jours !

Lulu / (Il lui fait un clin d’œil) C'est ça. A un d'ces jours.

Lulu repart. Séraphin ferme la porte. Il retourne à ses mégots.

Scène 16 : Maire / Séraphin / Candice

Maire / Confondre votre maison avec un garage, y'a vraiment des gens qui ne sont pas doués.


Séraphin / C'est sûrement un prétexte pour entrez voir ce qu'il y'a chez les gens.

Maire / J'ai cru comprendre que vous le connaissiez.


Candice / De vue. Mais c'est le genre à s'incruster.

Maire / Oh je connais. A la mairie, des gens qui s'incrustent, y'en a plein. Un de ces jours, j'en retrouverai dans les placards.

Séraphin / C'est dur d'être honnête de nos jours.

Maire / Vous avez raison de vous méfier. Vous savez qu'il y'a de plus en plus de vols dans la commune. On m'a même volé un pneu ce matin.


Séraphin et Roméo / C'est pas vrai ?

Maire / Les gens volent n'importe quoi, même des trucs qui seraient mieux dans une poubelle.


Séraphin / Voler dans des poubelles, les gens ne respectent rien.

Maire / Mais un jour, on les aura. On les attrapera ! Et là, ils auront le maximum.

Candice / Le maximum de quoi ?

Maire / D'années de prison !

Séraphin / Oui. Euh.. Et après, faudra les nourrir en prison.


Candice / Payer des gens à rien faire ! Avec nos impôts.

Séraphin / On paye des impôts ?

Candice / Hum.. En plus, faudra payer des gens pour s'en occuper. Ca risque de coûter encore plus cher.


Maire / C'est pas faux. Je n'y avais jamais pensé.


Séraphin / C'est parce qu'on n'est pas riche qu'on sait pas réfléchir.

Maire / Bien. Alors ! Pour notre petite centenaire. On se revoit demain matin.

Séraphin / Pas trop de bonne heure !

Maire / Disons dans l'après-midi.

Séraphin / Après la sieste.

Le maire sort

Maire / Bien ! Alors, à demain. (Il se tient les fesses) Saletés de moustiques !

Scène 17 : Séraphin / Candice / Roméo

On entend une vache meugler. (Durant la scène et les scènes suivantes, on entendra de temps en temps la vache en train de meugler)

Roméo / Ça y'est, elle est calmée.

Séraphin / Qu'est-ce qu'il y'a dehors ?


Roméo / C'est une vache qui traînait dans l'quartier.


Candice / T'as ram'né une vache ?


Roméo / J'ramène c'que j'trouve !


Séraphin / Qu'est-ce qu'on va en faire ?


Roméo / Du bifteck. (On entend la vache meugler) Je vais la ranger dans l'garage (il sort)

Scène 18 : Séraphin / Candice

Séraphin / Le maire, et maintenant une vache ! Et ils vont fêter son centenaire.

Candice / Et si jamais ils s’aperçoivent que c'est pas la bonne, on est mûr pour aller en taule.


Séraphin / En plus, l'autre qui veut vendre. On est des victimes.

Scène 19 / Séraphin / Maire / Candice / Roméo

On sonne à la porte. Séraphin va voir (On entend de temps en temps le meuglement de la vache)

Séraphin / C'est encore le maire. Qu'est-ce qu'il veut ?


Maire / (Il entre) Je n'comprends pas. Ce matin, on me vole un pneu de ma voiture, et là on m'en vole un second.

Candice / On vous a volé un pneu ?

Maire / Une voiture toute neuve.


Roméo revient. (Sans ses béquilles) Il voit le maire qui lui tourne le dos. Vite, il repart chercher ses béquilles puis réapparaît.

Roméo / Qu'est-ce qu'y s'passe ?

Candice / On a volé un pneu du maire.


On entend un meuglement

Maire / Une vache ?


Roméo / C'est la voisine ; elle aime bien les animaux de compagnie.

Séraphin / Si on peut vous aider ? On a des pneus !

Roméo / (A Séraphin) On n'a pas de pneus ! On n'a jamais eu de pneus. Y’a une année où on en a eu, mais on en a plus !

Maire / Merci. Vous êtes trop gentil mais je vais me débrouiller. J'ai appelé le garage. Je vais l'attendre près de ma voiture.


Séraphin / Vous avez raison. Des fois qu'on vous la piquerait.

Le maire sort

Scène 20 : Roméo / Séraphin / Candice

Candice / Qui c'est l'abruti qu'a piqué le pneu ?

Roméo / Celui-là, c'est pas moi. Moi, c'est ce matin.

Séraphin / Sur la bagnole du maire ! Garée devant chez nous !

Candice / Ça peut pas être le voisin.

Roméo / Y'aurait des voleurs dans l'quartier ?

Séraphin / On vit dans un monde, mais dans un monde !

Ils réfléchissent pendant quelques secondes

Roméo / Non ?

Séraphin, Roméo, Candice / Galantine ! … Galantine ?

Ils reçoivent un coup d'aiguilles et réagissent en conséquence


Roméo / Elle doit pas être loin.

Séraphin / Galantine ? Ma petite Galantine ?

Séraphin et Candice sortent

Scène 21 : Roméo / Capucette

Capucette entre, très contente. Elle montre une enveloppe.


Capucette / Y'a quelqu'un qu'a écrit !


Roméo / (Il sursaute) Faut pas être cardiaque dans cette baraque.

Capucette / Elle est jolie, l'enveloppe.

Roméo / C'est qui ? Les impôts ? Les flics ? J'aime pas quand on nous écrit.

Capucette / (Elle lui donne) Pour le petit chien, la dame m'a donné un beau calendrier.

Roméo / T'as pas eu d'pognon ?

Capucette / (Elle montre le calendrier) T'as vu, c'est un petit chat en photo.


Roméo / La prochaine fois, on lui rendra son clébard en pièces détachées.

Capucette / Oh ben non. (Elle commence à pleurer)

Roméo / Ça y'est. Les grandes eaux ! C'est pas Versailles ici !

Capucette / Je veux pas qu'on fasse du mal aux petits chiens.

Scène 22 : Roméo / Capucette / Séraphin

Séraphin revient


Séraphin / Mais non ! Il plaisante. Hein Roméo, tu plaisantes ?

Roméo / (Sadique) C'est ça.. Je plaisante..

Séraphin / Qui c'est qu'a écrit ?

Roméo / C'est pas l'Père Noël. .. (Il lit la lettre) L'ordure..( Il donne la lettre à Séraphin) Tiens, lis.

Séraphin / (Il lit) Les fumiers.


Roméo / Ils vont faire une saisie. Ils vont tout nous prendre !


Séraphin / Déjà qu'on n'a pas grand chose.

Roméo / Tous les meubles.

Capucette / (Contente) On va changer d'meubles ?

Roméo / Mais non ! Ils vont tout embarquer. La table ! Les chaises. Même ton lit !

Capucette / Ils vont emmener mon lit ? Avec moi dedans ?

Roméo / Seulement les meubles. Nous, ils peuvent pas nous stocker.

Séraphin / On vit dans un monde, mais dans un monde !

Capucette / (Inquiète) Et mon doudou ?


Roméo / Ton doudou aussi ! Ils emmènent tous les doudous.

Capucette / (Désolée) Je veux pas qu'ils emmènent mon doudou !

Séraphin / Ils viennent quand ?

Roméo / Demain.


Séraphin / Et si on n'est pas là ?


Roméo / Ils défoncent la porte !

Capucette / (Encore plus désolée) Faut pas toucher à mon doudou ! Je vais cacher mon doudou dans le buffet.

Séraphin / Et comme ça, quand ils prendront le buffet, il auront ton doudou.

Capucette / Mon doudou, il a rien fait.

Capucette sort en pleurant


Séraphin / Elle est trop sensible.

Roméo / Et moi alors ! Moi aussi je suis sensible. Ca se voit pas car je suis pudique, mais à l'intérieur, je suis très sensible !


Séraphin / Je vais essayer de la raisonner.


Roméo / Ça va pas être simple.

Séraphin sort

Scène 23 : Roméo / Assistante sociale

L'assistante sociale entre (elle est plutôt mal habillée et fait pitié à voir)

Assistante / Excusez-moi. C'était ouvert

Roméo / La porte ferme mal.

Assistante / Vous devriez la réparer ?


Roméo / Vous savez madame l'assistante sociale, ça coûte trop cher à réparer.

Assistante / On pourrait vous voler.


Roméo / Pour ce qu'on a..

Assistante / (Très positive) Bien ! Alors, sinon, comment ça va ?

Roméo / Ca pourrait aller mieux.

Assistante / Bien ! Et votre grand-mère ? Toujours là ?

Roméo / Elle nous quitte plus.


Assistante / A son âge. Qu'est-ce qu'elle fait dans la journée ?


Roméo / Pas grand chose. Elle est tout l'temps dans l'jardin.


Assistante / C'est bien ça, le jardin pour les personnes âgées. Et votre épouse ?


Roméo / Toujours la même.


Assistante / Et votre belle-maman. Toujours aussi énergique ?

Roméo / Trop. Y'a des jours, on peut pas la suivre.


Assistante / C'est formidable. Et votre beau papa ?

Roméo / Il suit comme il peut.


Assistante / Vous avez une si belle petite famille. Oh ! Vos deux jeunes filles ? Toujours pas mariées ?

Roméo / On essaie.


Assistante / Trouver un prince charmant, c'est si difficile de nos jours. Est-ce qu'elles ont un petit travail ?

Roméo / Le boulot, c'est encore plus dur à trouver qu'un prince charmant.

Assistante / Bien ! Oh ! Et vous ! Vous avez repris un peu le travail ?

Roméo / Vous avez vu mon doigt ? (Il a un pansement énorme)

Assistante / Mon pauvre monsieur.

Roméo / Pour trouver du travail avec un doigt comme ça, faut avoir le bras long.

Assistante / Sinon, vous n'avez besoin de rien.. ?


Roméo / Et bien justement, puisque vous proposez ; en c'moment, on est comme qui dirait, fauchés. Et alors, si jamais on pouvait nous aider un peu.. Avec un peu d'argent.

Assistante / Mon pauvre monsieur.. (On entend le meuglement de la vache) J'adore la campagne.


Roméo / En plus, demain, on va être «explusés».


Assistante / Mon pauvre monsieur..


Roméo / Foutus dehors ! A la rue !

Assistante / Mon pauvre monsieur..


Roméo / Vous auriez pas des sous en trop pour nous ?

Assistante / Mon pauvre monsieur..


Roméo / S'il vous plaît ?


Assistante / Vous n'êtes pas l'seul. Moi-même, c'est à peine si j'arrive à finir le mois.

Roméo / Mais nous aussi.

Assistante / Oui mais moi je suis toute seule ! Vous ? vous avez une famille pour vous soutenir. Et nous, les assistantes sociales, on peut crever dans notre coin, (Elle crie) Ils en ont rien à foutre ! Salauds !

Roméo / Même un petit peu ?


Assistante / J'voudrais bien. Mais j'peux pas.


Roméo / Et des pneus ? Ca vous intéresse, des pneus ?

Assistante / C'est quoi comme pneus ?

Roméo / Des pneus universels. Ca va sur tout, même sur les vélos !


Assistante / Je ne dis pas non. Parce que ma voiture, elle est dans un état pire que moi !


Roméo / La vache ! ... Euh.. Je viendrai vous les apporter chez vous.

Assistante / C'est cher ?

Roméo / Je vous ferai un prix.


Assistante / Vous êtes trop gentil. Si seulement tout le monde était comme vous.


Roméo / Mais c'est normal. Dans la vie, faut s'entraider.


Assistante / Bien Bon, ben alors, au revoir, chez monsieur. Et encore merci

Elle sort

Scène 24 / Roméo / Charlotte Gouldur / Candice, Anne-Sophie

Candice entre

Candice / Alors ?

Roméo / L'assistante sociale n'a pas un rond ! Et elle dit qu'on n'est pas assez pauvres.


Candice / C'est la meilleure ! Alors, faudrait qu'on soit à poil et sur le trottoir pour qu'on nous aide ! Elle est belle, la société !

Roméo / En plus, on va nous mettre dehors. Qu'est-ce qu'on va faire ?

Charlotte entre

Charlotte / On va pas s'laisser faire !

Candice / Ils veulent nous expulser, et en plus, le maire veut fêter l'anniversaire de la grand-mère.

Roméo / Parce qu'elle va être centenaire.

Charlotte / Ils veulent fêter l'anniversaire de ma mère ? Non mais de quoi j'me mêle !

Candice / Sans compter l'acheteur qui va venir visiter.

On sonne à la porte

Roméo / Qu’est-ce que c’est ?

Voix d’Anne-Sophie / Je viens pour les navets


Candice / Elle commence à m’pomper avec ses navets.

Voix d’Anne-Sophie / C’est pour faire la soupe !

Candice / Tu peux repasser plus tard ?

Voix d’Anne-Sophie / Bon, ben maman, elle va pas être contente.

Candice / Ca s’croit tout permis.


Roméo / On vit une époque, mais une époque..

On entend le meuglement de la vache


Charlotte / C'est quoi ça ?


Roméo / C'est une vache.

Charlotte / Y'a une vache dans l'garage ?

Roméo / Elle traînait dans l'quartier.

Candice / Qu'est-ce qu'on va faire ?

Charlotte / On va leur montrer la grand-mère.

Candice / Mais s'ils nous mettent dehors !

Charlotte / Ca, ma fille, c'est pas encore fait.

On entend le meuglement de la vache. (Pendant l'entracte on peut entendre le meuglement de la vache)

ACTE 2

Scène 1 : Charlotte / Candice

Pendant l'ouverture du rideau, on entend la radio. Charlotte est assise comme au début de l'acte 1 et gratte avec une profonde lassitude des tickets de jeux.

Voix radio : Péchiney : + 1 %. Société générale : + 0,50. Bouygues + 4 % Carrefour + 3 % Crédit agricole + 2 % Pernod Ricard + 44 % Danone + 2 % Renault : + 1 %.

Charlotte / (Elle éteint la radio) Voleurs ! (Très énervée, elle gratte les derniers jeux)

Candice / (Elle entre) Alors ?

Charlotte / Rien dans l'asgro ! L'eugrospognon, pas un rond ! Le morfion, pareil ! Le claquepote, le Toto, le Dingo, zéro !

Candice / On va pas pouvoir payer les loyers en retard ? Pourtant, on n'est pas du genre à jeter l'argent par les fenêtres.

Charlotte / Surtout que faudrait plutôt changer les fenêtres.

Candice / L'hiver, y fait pas chaud.

Charlotte / T'as pas connu la guerre.

Candice / J'ai connu mon mari.

Charlotte / C'est vrai qu'avec lui, t'as touché le gros lot.


Candice / Il va venir quand, l'huissier ?


Charlotte / Il peut venir, on va l'accueillir..

Candice / On va quand même pas le...

Charlotte / Il faudra d'abord me passer sur le corps.


Candice / Et pour l'anniversaire de la grand-mère ?

Charlotte / On va la ressusciter.

Candice / Comment on va faire ?

Charlotte / On va trouver.

On entend le meuglement de la vache de façon très répétée.

Charlotte / Elle commence à m'énerver, celle-là ! Tu dis à ton Roméo de la faire taire, sinon je m'occupe de son cas.

Candice / Je vais voir (Elle sort)

Scène 2 : Charlotte / Éradicateur

Charlotte / (Elle vérifie encore son argent) Alors.. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9...

On sonne à la porte. Elle met l'argent dans sa poche, prend une carabine et va voir. Ils parlent à travers la porte.

Charlotte / (Sur un ton pas aimable) Qu'est-ce que c'est ?

Éradicateur (Homme ou femme) / Je viens de la part de monsieur le maire.

Charlotte / Vous apportez du pognon ?

Éradicateur / C'est pour un contrôle sanitaire. Services de l'hygiène ! D'après le maire, c'est urgent ! Paraît qu'il y'aurait des moustiques et des cafards.

Charlotte / Les cafards, on a l'habitude.

Éradicateur / Mais, moi c'est mon métier.


Charlotte / Alors, si on a affaire à un professionnel..

Elle ouvre la porte. Un homme (Ou femme), vêtu d'une combinaison, le visage caché, entre. Il a une sorte d'aspirateur. Il remarque la carabine.

Éradicateur / Une carabine, ce n'est pas très efficace pour les cafards.

Charlotte / Pour les gros cafards, si.


Éradicateur / Il paraît que vous avez aussi des puces.

Charlotte / (Vexée) Comment ?

Éradicateur / Des puces, des cafards, des punaises, des moustiques. D'après monsieur le maire, vous êtes envahis.

Charlotte / Il dit ça, le maire ?

Éradicateur / Depuis qu'il est venu chez vous, ça le démange partout.

Charlotte / Ça l'démange ?

Éradicateur / Alors il m'a dit : Faut désinfecter !

Charlotte / Faut désinfecter  l’maire ?


Éradicateur / On attend encore un peu.. Permettez. (Il pointe le tuyau de l'aspirateur sur Charlotte Gouldur) Ne bougez pas.

Il met l'aspirateur en marche. Charlotte reste debout, sans bouger. L'éradicateur et Charlotte sont obligés de crier.

Charlotte / Vous voulez me désinfecter ?


Éradicateur / Ces bestioles là, ça se coule partout. Allons voir dans les coins

Charlotte / Vous comptez faire toute la maison ?

Éradicateur / Toutes les pièces et tous ceux qui s'y trouvent.

Charlotte / Mais il est cinglé..


Éradicateur / Je fais mon métier, madame. (Il passe l'aspirateur dans toute la pièce).Vous avez un jardin ?

Charlotte / Il veut faire quoi dans l'jardin ?

Éradicateur / Ça peut venir du jardin. Je vais y aller ? (Il arrête l'aspirateur)

Charlotte (Menaçante) ll va pas aller dans le jardin.

Éradicateur / C'est mon travail.

On sonne à la porte. Charlotte va ouvrir

Anne-Sophie / Je viens chercher les navets.

Charlotte / Les navets ?

Anne-Sophie / Les navets pour la soupe à ma mère.


Charlotte / Ah oui ! Ma fille n’est pas là. Tu peux repasser plus tard ?


Anne-Sophie / Oui, mais on va bientôt manger.

Charlotte / Repasse plus tard !

Anne-Sophie repart


Anne-Sophie / Oui mais on va bientôt manger.

Charlotte / (A l’éradicateur) Y’a des gens , ils vous enlèveraient le pain d’la bouche.

Éradicateur / Oh la la . Si vous saviez, ma pauvre dame.


Charlotte / J’veux rien savoir.


Scène 3 : Charlotte / Éradicateur / Candice

Candice entre dans la pièce en tirant sur une corde


Candice / Faut venir m'aider !

Charlotte / Qu'est-ce que tu fais ?

Candice / C'est la vache ! Cette saleté a bouffé les pneus.

Éradicateur / Vous avez une vache ?

Charlotte / C'est mieux qu'un chien.

Candice / Je vais la mettre dans l'jardin.

Charlotte / Pas dans l'jardin !


Candice / Où tu veux que j'la mette ? Si on la laisse dans l'garage, elle va bouffer la camionnette !


Charlotte / T'en fais pas, j'm'en occupe.

Elle va à la porte et pointe son fusil sur la vache.


Éradicateur / Mais madame ! Vous n'allez pas tirer ? (Il se met entre elle et la vache)

Charlotte / Qu'est-ce qu'il a, l'cosmonaute ? (Elle pointe son fusil sur lui)

Éradicateur / Mais c'est une bête.

Charlotte / Et alors ! Vous éliminez bien les cafards.


Éradicateur / Oui mais c'est petit, les cafards.


Candice / Si je puis me me permettre une suggestion, ce serait mieux que vous vous rangiez vos fesses.


Charlotte / C'est ça. Rangez-vous ! Sinon, va y'avoir une place de libre aux services de l'hygiène.

Éradicateur / Vous ne pouvez pas tuer une vache !

Charlotte / J'ai jamais rien raté, alors une vache dans un couloir, ça m'fait pas peur. Attention, je compte jusqu'à trois. Un ! Deux !

Éradicateur / Euh.. Je.. Finalement.. Je vais peut-être y aller..


Charlotte / Bonne idée ! Allez-y ! Et restez-y.

L'éradicateur sort en se tenant les fesses car il semble recevoir des coups d'aiguille.

Éradicateur / Saletés de moustiques !

Scène 4 : Charlotte Gouldur / Candice / Séraphin

Candice / Qu'est-ce qu'on va faire de la vache ?

Charlotte / C'est pas une vache qui va m'impressionner.

Candice / Elle ne t'a rien fait !

Charlotte / Non, mais moi, je vais lui faire quelque chose. (Elle tire)

Candice / T'as tué une vache ?

Charlotte C'était elle ou l'autre.


Séraphin accourt.

Séraphin / Assassine !

Charlotte / Je suis chez moi, je fais c'que j'veux.


Séraphin / Mais ça va se savoir. Tu connais les gens. Ils vont demander des explications.

Charlotte / (Menaçante avec toujours le fusil à la main, au public) Y'en a qu'ont envie d'causer ?

Scène 5 : Charlotte / Candice / Séraphin / Voisine

On sonne à la porte. Séraphin va voir.


Séraphin / Merde. La voisine

Charlotte (Toujours avec le fusil) Fais la entrer.

La voisine entre

Voisine / C'est.. ?

Charlotte / Oui madame, c'est une vache. C'est pourquoi ?

Voisine / Euh.. J'ai une grande nouvelle !

Charlotte / Vous déménagez ?


Voisine / (Fière) C'est moi qu'a gagné la dinde à la tombola !


Charlotte / Ben nous, on a gagné une vache.


Voisine / Y'avait une vache à gagner ?


Charlotte / C'était le deuxième prix.

Voisine / Vous l'avez tuée ?

Candice / Fallait bien.

Voisine / Faudrait appeler les services vétérinaires.


Charlotte / Justement, ils viennent de partir.

Voisine / Vous allez la laisser là ?

Charlotte / Non. On va en faire une descente de lit.

Voisine / Une descente de lit. Et bien moi, quand j'étais petite, j'en avais une vraie en peau d'ours synthétique. Et toutes les nuits, je rêvais qu’un esquimau était en train de me manger.

Séraphin / Qu'est-ce qu'on va faire ?


Charlotte / (Très énergique) Appelle Lulu !

Séraphin / (Il prend le téléphone et compose un numéro) Allô Lulu .. Tu t'y connais en vaches ? .. On a une vache à la maison. Qui ça ? .. Non. Une vrai vache. Non. Alors si tu pouvais t'en charger pour la revendre au détail. Oui, on partagera. Comme d'habitude. (A Charlotte Gouldur) Il (Ou elle) arrive.

Charlotte / Va falloir rester ferme sur le prix du bifteck.

Voisine / Moi j'aime bien manger d'la vache.

Candice / On va vous mettre un morceau de côté.

Voisine / Ah ça c'est gentil.


Séraphin / Entre voisins, c'est normal.

Voisine / Et sinon, pour mon cochon dinde ? Vous l'avez pas vu ?

Charlotte / C'est peut-être le chat qui l'a bouffé.


Voisine / Faut pas dire des choses comme ça.

Charlotte / Vous ne l'attachez pas le soir ?

Voisine / Si, mais je sais pas comment il fait ; il arrive toujours à s'évader.


Séraphin / Vous inquiétez pas, avec nous il n'ira pas loin. On va vous le retrouver, votre cochon.


Voisine / Ah merci ! J'ai drôlement de la chance d'avoir des voisins comme vous.

Elle sort

Scène 6 : Charlotte Gouldur / Candice / Yvan

Candice / Qu'est-ce t'as fait du cochon dinde ?

Séraphin / Il est dans la cave.

Candice / Y'a rien à bouffer dans un cochon dinde.

Séraphin / Justement ! M'en faudrait un deuxième. C'est pour faire des pantoufles.

Charlotte / Monsieur veut enfiler des cochons dinde. Tu vas me faire le plaisir de retrouver la bestiole et de la ramener à la voisine. Déjà qu'elle a perdu son mari, alors, le cochon dinde, ça commence à faire.

Candice / Et ne reviens pas avec une boîte de gâteaux.


Séraphin va à la cave. On sonne à la porte.

Charlotte / Va voir.

Candice regarde à travers l’oeilleton

Candice / C'est qui ?

Yvan / Je viens de la part de la propriétaire.

Charlotte / (Pointant le fusil sur la porte, à Candice) Écarte toi. .. Vous êtes huissier ?


Yvan / Pas du tout ! Je viens pour visiter. La propriétaire m'a dit que vous étiez d'accord !


Charlotte / Il est comment ?


Candice / (Elle regarde) Y'a pire.

Charlotte / (Elle pose le fusil) Fais entrer.

Yvan / (Il entre) Mesdames. Je me présente Yvan de la Ponte. Je ne voudrais pas déranger. (Il lui fait le baise-main)

Candice / (Troublée) Euh.. Je vous présente ma maman, Charlotte.

Charlotte / Salut.

Yvan / Si ce n'est pas indiscret, il me semble qu'il y a une vache dans l'entrée.


Charlotte / Ah oui ! C'est à cause des chasseurs. Ils viennent chasser jusqu'ici.

Candice / Forcément, y'a plus de lapins !

Yvan / La pauvre bête. Pardonnez moi, je suis très sensible.


Charlotte / Elle n'a pas souffert.

Candice / Vous venez pour la maison ?


Yvan / Oui. Vous avez une maison très bien située.

Charlotte / Très bien située, c'est vite dit. Elle est au bord de la route. Et alors, les tondeuses, les camions, les voitures, les mobylettes, ça n'arrête pas.


Yvan / Cela ne me dérange pas. Voyez vous. J'habite déjà en ville. Alors le bruit, je connais.

Charlotte / Et en plus, y'a des fuites. Le toit, le lavabo, les toilettes. Y'a tout qui fuit.


Yvan / Des fuites, ça se répare.

Candice / Et l'hiver, faut mettre des pulls.

Charlotte / Le chauffage à fond, il peut faire moins cinq.


Candice / L'hiver, il fait plus chaud dehors.

Yvan / Oui. On m'a dit aussi que vous aviez une centenaire dans votre famille ?

Candice / Oui oui. Le froid ça conserve.

Charlotte / Sans compter les bestioles. Les cafards, les moustiques, les asticots..

Candice / Y'a même un professionnel qui est venu, il n'a rien pu faire.

Charlotte / Avant, ici, c'était un marécage. Alors ça remonte. Et l'été, l'odeur, c'est insupportable. A côté, même un camembert de deux mois, il sent bon.

Yvan / En drainant le jardin, ça devrait s'arranger.


Charlotte / Vous voulez drainer le jardin ?


Yvan / J'aimerais bien avoir une piscine.


Candice / Une piscine !

Yvan / Une petite piscine. C'est que je suis seul.

Charlotte / Vous n'avez personne ?

Yvan / Je n'ai pas encore eu le temps de fonder une famille.

Candice / Vous faîtes quoi comme travail ?

Yvan / Je suis directeur, dans une banque.


Charlotte / Mais asseyez-vous !


Candice / C'est tellement important, une famille. (Elle crie) Capucette ?

Charlotte / Y'a rien de plus beau qu'une petite famille.

Candice / Avec une petite femme..


Charlotte / Gentille.. (Elle crie) Capucette !

Scène 7 : Charlotte Gouldur / Candice / Galantine / Yvan

Galantine entre, plus inquiétante que jamais, sa poupée truffée d'aiguilles à la main.

Candice / Capucette n'est pas là ?

Galantine / (Elle grogne) Mmm..

Candice / Euh, je vous présente Galantine. C'est notre fille. En plus, nous en avons deux.


Yvan / (Très mondain) Mademoiselle. (Il veut lui baiser la main)

Galantine menace sa poupée d'un coup d'aiguille).


Charlotte / Galantine, c'est un monsieur qui vient pour visiter la maison.

Candice / Il est célibataire.

Galantine / (Elle grogne) Mmmm.

Charlotte / Et il travaille dans une banque.


Candice / Directeur !

Galantine / Mmmm


Yvan / Mesdames, vous me gênez.


Candice / Ah mais non. Quand c'est vrai, faut l'dire.


Galantine / Mmmm.

Yvan / Oh, mais je ne me trompe pas, ne serait-ce pas une poupée vaudou.

Candice / C'est sa poupée.

Yvan / J'adore ces poupées. Moi-même tout petit, j'en avais une. Je peux.. ?

Galantine / (Elle grogne) Mmmm

Candice / Un conseil, touchez pas à la poupée..

Yvan / Elle est très jolie. Je connais bien, on donne des petits coups d'aiguille..

Charlotte / Touchez pas à la poupée...

Yvan / Elle est adorable.

Galantine / Mmmm (Avec un sourire sadique, elle donne un coup d'aiguille dans la poupée).

Yvan / (Il fait un bond) C'est génial.


Charlotte / Elle y joue depuis qu'elle est toute petite.

Yvan / Moi aussi. Je ne devrais pas le dire, mais ça me détend.

Yvan sort d'une poche une petite poupée truffée d'aiguilles, et en esquissant un petit sourire sadique, fait la même chose. Sous les yeux ébahis de Candice et Charlotte, ils s'échangent des coups d'aiguilles avec les poupées..

Galantine / (Elle sursaute, mais apprécie, avec un petit sourire) Mmmm (Elle donne aussitôt un coup d'aiguille à sa poupée)

Yvan / Humm.. (Il sursaute et apprécie beaucoup)

Galantine / (Elle recommence) Mmm

Yvan / (Il pousse un soupir de satisfaction) Humm.

Charlotte / (Éberluée) Euh.. Vous vouliez visiter ?

Yvan / Ah oui ! Si je pouvais jeter un œil.

Candice / (A Galantine) Tu peux faire visiter la maison à monsieur de la Ponte. Commence par ta chambre.

Galantine / (Avec un sourire inquiétant) Mmmm

Yvan / J'aime beaucoup votre maison.

Charlotte / Prenez votre temps.

Galantine et Yvan vont dans la chambre en s'échangeant des coups d'aiguilles qui les font sursauter tour à tour.

Candice / J'en r'viens pas.

Charlotte / Ca ma fille, ça s'appelle un coup d'foudre. (On peut éventuellement entendre un violent bruit d'orage) .. Et y'a pas de paratonnerre.

Scène 8 : Charlotte / Candice / Lulu / Roméo / Séraphin

Lulu entre

Lulu / C'est un sacré morceau !

Charlotte / Tu peux t'en charger ?

Lulu / C'est pas une vache qui va m'faire peur.

Charlotte / Ah Lulu. Sans toi, on ne s'en sortirait pas.


Lulu / Avec Lulu, c'est jamais foutu !

Candice / Et pour le prix, faut rien lâcher !

Lulu / Pas d'problème ! Une vache, quand elle est découpée, c'est comme une bagnole, ça coûte toujours plus cher en pièces détachées.

Charlotte / Bon ! On y va. Faut qu'on la sorte avant que le maire arrive.

Lulu / Le maire va venir ?


Charlotte / A cause de ma mère. Ils veulent fêter son anniversaire. C'est une centenaire.


Lulu / Cent ans ? Comment elle va ?

Charlotte / C'est pas terrible.


Lulu / C'est vrai que cent ans, ça s'arrose.

Candice / Surtout que le maire, faut mieux le mettre dans notre poche. Parce qu'aujourd'hui, on risque d'être expulsés.

Lulu / Expulsés ! Mais pourquoi ?

Charlotte / Soit disant qu'on n'aurait pas payé tous les loyers.

Lulu / Vous allez faire quoi ?


Charlotte / T'as pas un peu d'sous en trop.

Lulu / Non.

Candice / On n'a pas où aller.

Lulu / Chez moi, c'est tout p'tit. Je dors la tête dans la cuisine, et les pieds dans les toilettes.

Charlotte / C'est toujours les mêmes qui trinquent.

Candice / En attendant, faut s'occuper d'la vache. (Elle crie) Roméo ! Celui-là, quand y'a du boulot, il est toujours introuvable. Roméo !

Roméo / (Roméo entre. Un peu mondain) On m'demande ?

Candice / Je n'sais pas si t'as remarqué mais y'a une vache dans l'entrée ! Alors, si tu pouvais donner un coup d'main ; Faut qu'on la mette dans la camionnette.

Roméo / Ça peut pas attendre ?


Charlotte / Ca peut pas ! Faudrait pas que le maire tombe sur la vache quand il va venir. C'est pas l'moment de se faire remarquer.

Lulu / C'est comme si c'était fait.

Séraphin entre

Séraphin / Je peux aider ?


Charlotte / Tu peux pas ! A ton âge, c'est risqué. Y'a déjà une vache qui y'est passée, ça suffit pour la journée.


Roméo, Lulu, Candice sortent

Scène 9 : Charlotte / Séraphin / Capucette

Éventuellement, on peut entendre Lulu en train de découper la vache à la tronçonneuse.

Séraphin / Pour l'anniversaire, on s'habille comment ?

Charlotte / On va pas mettre des robes du soir.

Capucette entre

Capucette / Y'a un "meussieur" dans la chambre à ma sœur.

Séraphin / (Abasourdi) Galantine fréquente ?

Charlotte / C'est le futur acheteur. Monsieur Yvan de la Ponte !


Séraphin / Qu'est-ce qu'ils font dans la chambre ?


Capucette / Ils jouent à la poupée.

Séraphin / A leur âge ?

Charlotte / Galantine est en train de s'occuper de notre avenir, et toi tu critiques !

Séraphin / Mais comment elle a fait ?

Charlotte / Comment elle a fait ? .. Et moi, comment j'ai fait !

Séraphin / Sous notre propre toit.


Charlotte / Ton propre toit ? Sans Galantine, ton propre toit, tu risques de l'avoir dehors.

Capucette / Et moi, elle veut pas que je joue à la poupée.


Charlotte / Bien. Alors.. Capucette. Tu vas pas embêter ta sœur.

Capucette / Je l'aime pas, ma sœur.

Charlotte / C'est bien, mais là, aujourd'hui, c'est la fête. On va fêter l'anniversaire de ton arrière grand-mère.


Capucette / Celle qu'est dans l'jardin ?


Charlotte / Comment ça ? Dans l'jardin ?


Capucette / Oui ? Quand je demande : où elle est, on me dit tout l'temps qu'elle est dans l'jardin. Et je la trouve jamais ! Elle est drôlement bien cachée.

Charlotte / T'en fais pas, elle va se montrer.

Séraphin / Je décore avec quoi ?

Charlotte / Tu t'démerdes.

Capucette / (Exaltée) Je vais faire des grandes guirlandes !


Charlotte / Faut faire pauvre ! Y'a un huissier qui va venir. Et le maire ! Faut lui en mettre plein la vue. Pigé ?

Séraphin / Y'a pas grand à chose à changer..

Charlotte / (Au public) Ils me méritent pas.

Elle sort, le rideau se ferme. On entend la tronçonneuse, voire aussi des coups de hache, puis des meubles que l'on déplace.

ACTE 3

Le rideau se lève. Presque tous les meubles ont disparu. Il reste deux ou trois chaises. La pièce est décorée avec des éléments inattendus. (Fleurs artificielles, couronne mortuaire, etc..) Les personnages de la famille qui apparaissent au fur et à mesure sont vêtus très pauvrement. On sent la «récup».

Scène 1 : Roméo / Candice


Roméo entre. Il porte des vêtements beaucoup trop grands pour lui. Candice le suit. Elle porte des vêtements complètement dépareillés. Elle se maquille.

Roméo / Comment tu m’trouves ?

Candice / Comme d'habitude.

Roméo / Si avec ça, le maire ne nous donne pas un coup d'main, c'est qu'il est miro !

Candice / Y'a intérêt à le bichonner, si on n'veut pas se retrouver dehors. T'as appelé l'assistante sociale ?

Roméo / Elle est en dépression. Elle dit qu'elle en peut plus.

Candice / Tous des fainéants dans les services sociaux.

Roméo / Qu'est-ce qu'on va devenir ?

Candice / On est des Gouldur ! Et les Gouldur ! C'est des durs !

Roméo / Elle est où, la télé ?


Candice / On n'a pas la télé !


Roméo / T'as vendu la télé ?

Candice / Je l'ai planquée ! Les pauvres, quand ça veut regarder quelque chose, ça ouvre les fenêtres. Alors un conseil, quand le maire va venir, ce serait bien que tu sois discret, mais alors discret.

Roméo / Qu'est-ce que je vais dire ?


Candice / Le mieux, c'est qu’tu la fermes

Scène 2 : Roméo / Candice / Voisine

On sonne à la porte, Roméo ouvre.


Voisine / Je viens juste d'apprendre la nouvelle.

La voisine est certainement au courant pour la centenaire

Roméo / Quelle nouvelle ?

Voisine / Bien. La centenaire.. Vous avez une centenaire..?

Roméo / Comment vous l'savez ?

Voisine / Je reviens de la boulangerie. .. Ils savent tout !


Roméo / Tout ?


Voisine / Même que le maire va venir faire la fête à votre centenaire. Mais pourquoi vous me l'avez pas dit ?

Candice / On veut pas embêter les voisins avec nos histoires.

Voisine / C'est exactement ce que j'ai dit la boulangère. Parce que, la boulangère, elle se pose des questions..

Candice / Qu'est-ce qu'elle a, la boulangère ?


Voisine / Elle dit qu'elle a jamais vu votre centenaire ou alors, y'a longtemps..

Roméo / Notre centenaire, elle est très discrète.

Voisine / C'est ce que j'ai dit à la boulangère : «Les Gouldur, Je sais pas ce qu'ils font dans la journée mais ils sont très discrets..»

Roméo / Et alors ?

Voisine / Alors moi, j'ai dit. «La centenaire, la dernière fois que je l'ai vue, c'était..» Oh la la ! C’est incroyable qu’elle soit encore vivante !

Roméo / Elle aime pas beaucoup sortir.

Voisine / C'est aussi ça que j'ai dit à la charcutière. Parce que la charcutière, elle dit que c'est quand même pas normal qu'on enferme des gens âgés chez eux.

Candice / Elle dit ça ?

Voisine / En plus, le coiffeur, il croyait qu'elle était morte. Vous vous rendez compte ?


Candice / Non mais de quoi j'me mêle !

Voisine / Alors là, vous avez raison. Je leur ai dit au supermarché : «Ca vous regarde pas».

Roméo / Les saletés..

Voisine / Ah ça oui. Les autres, c'est des jaloux. Parce qu'eux, ils en ont pas, des centenaires.

Roméo / On peut pas tout avoir..


Voisine / Je peux la voir ?

Candice / Faut lui éviter les émotions fortes. Dans son état, ça pourrait être fatal.

Voisine / Mais c'est quand même son anniversaire, peut-être qu'elle sera contente de me voir. Vous croyez qu'elle va me reconnaître ?

Candice / Elle en a tellement vu, elle ne peut pas tout se rappeler..

Voisine / Ca me ferait bien plaisir ; ça fait des années que je suis pas allé à une fête. C'est comme les mariages. Le dernier mariage où je suis allée, c'était l'mien.

Roméo / On est déjà nombreux.

Voisine / Mais ? .. Elle est où la télé ?

Roméo / On l'a vendue.

Candice / Avec la télé, on trouvait qu'on s'embourgeoisait.

Voisine / Et les meubles ? Ils sont où les meubles ?

Candice / Partis aussi. On voulait faire de la place.

Voisine / C'est à cause de la saisie ?

Roméo / La saisie ? Vous êtes au courant ?

Voisine / C'est la marchande de chaussures qui m'en a parlé. Parce que les gens, ils causent, comme s'ils savaient des choses.. Mais moi, je n'dis rien. Comme pour la centenaire..

Candice / Vous dîtes..


Voisine / Tant qu'ça s'passe en famille, faut qu'ça reste en famille..

Roméo / (En aparté) La saleté..


Voisine / Et puis, en c'moment, c'est difficile.. (Comme si elle savait) Je ne voudrais pas m'imposer.. Mais c’est vrai que votre centenaire...

Candice / On va peut-être pouvoir vous faire une petite place.

Voisine / C'est vrai ? Alors ça c'est gentil.

Roméo / (A contre cœur) Quand y'en a pour un, y'en a pour dix.

La voisine sort

Scène 3 : Roméo / Candice

Candice / C'est sûr, elle est au courant.


Roméo / Tu crois qu'elle veut nous faire chanter ?


Candice / Si elle veut du pognon, elle va être déçue.


Roméo / Ou alors, peut-être que c'est juste pour avoir une famille. Elle n'a même pas de mari, tu t'rends compte ?


Candice / (Regardant Roméo) Oui. Je m'rends compte..


Roméo / Si jamais, elle sait et qu’elle nous dénonce, ils pourraient dire qu'elle n'est pas morte toute seule. Qu’on l’aurait même aidée. Alors que nous, au contraire, on a tout fait pour la garder.

Candice / Va falloir qu'elle se calme, la fouineuse ! Sinon on va lui faire bouffer des navets !

Roméo / Qu'est-ce qu'on va faire ?

Candice / (Singeant Roméo) Qu'est-ce qu'on va faire ? Qu'est-ce qu'on va faire ? On va la faire entrer dans la famille.

Roméo / On va l'adopter ?


Candice / T'es nul ou t'en tiens une couche ? Faut qu'on trouve une centenaire !

Roméo / Tu veux que la voisine..?

Candice / C'est ça. Elle fera très bien la centenaire, sinon, elle finira sous les navets. Et elle est pas près de r’pousser ! .. D'ailleurs on va l'savoir tout d'suite.

Candice sort

Roméo / Où tu vas ?


Candice / T'es d'la police ?

Roméo / (Au public) On peut rien dire.

Scène 4 : Roméo / Yvan

On sonne, Roméo va ouvrir (Il prend Yvan pour l'huissier)


Yvan / Bonjour.


Roméo / Si c'est pour les meubles, y'en a pu.

Yvan / Je ne viens pas pour les meubles.

Roméo / Vous n'êtes pas huissier ?

Yvan / Pas du tout Je suis venu hier. J'ai fait la connaissance de votre famille, et de Galantine ; elle est tellement charmante.


Roméo / Ah ! C'est vous, l'gars d'la banque ? Mais entrez !

Roméo ouvre. Yvan entre dans la pièce. Il est étonné par le changement du décor.

Yvan / Votre fille et moi, nous avons beaucoup sympathisé.

Roméo / La vache ! .. (Il crie) Galantine ? .. Asseyez-vous !


Yvan / J'espère que je ne dérange pas.

Roméo / Mais pas du tout ! Au contraire ! .. (Il crie) Galantine ?

Scène 5 : Roméo / Yvan / Galantine

Galantine entre (avec sa poupée)

Yvan / Galantine !

Galantine / Mmmm

Roméo / Ça, ça veut dire qu'elle est contente de vous voir

Yvan / Hier, on a beaucoup parlé.


Roméo / Et vous avez parlé de quoi ?

Galantine / Mmmm. Mmmm. Mmmm. Mmmm. Mmmm. Mmmm. Mmmm. Mmmm.

Yvan / De nous deux. De l'avenir.

Roméo / Et vous comptez faire quoi ?

Yvan / Monsieur, j'ai l'honneur de vous demander la main de votre fille.

Galantine regarde son père, elle tient une aiguille, prête à piquer

Roméo / Et bien.. Je n'sais pas.. Faut voir.. (Il voit l'aiguille) Euh.. Alors pour moi c'est d'accord.

Galantine / Ouais !

Roméo / Bien ! Un truc en moins.

Yvan / Pardon ?


Roméo / Non. Mais nous avons tellement de soucis. Alors de savoir Galantine dans les mains, euh.. Dans les bras d'un banq, .. d'un homme, ça rassure !

Yvan / (Amoureusement) Galantine !

Galantine / (Enthousiaste) Ouais !


Roméo / Elle parle ?

Yvan / Galantine..

Roméo / A propos de la maison.. Vous voulez toujours acheter ?


Yvan / Je ne mettrai pas dehors ma nouvelle famille. J'achèterai ailleurs. Ce ne sont pas les maisons qui manquent.


Roméo / Alors ça c'est bien !

Yvan / Et puis je connais vos difficultés, mais vous pouvez compter sur moi. .. Un banquier ne laisse jamais tomber personne !

Roméo / Ah bon ?

Yvan / Je peux aller un peu avec Galantine pour visiter. Hier, je n'ai pas tout vu.

Roméo / Galantine, tu vas tout lui montrer.

Galantine / (Enthousiaste) Ouais !

Ils vont dans leur chambre

Scène 6 : Roméo / Candice / Voisine / Charlotte


Candice entre avec la voisine

Voisine / Alors ça c'est gentil de me proposer ! C'est drôlement gentil.


Candice / C'est tout à fait normal.

Voisine / Et je toucherai un peu de la pension ?


Candice / Bien sûr. Maintenant, c'est comme si vous faisiez partie de la famille.

Charlotte entre par la porte de chambre

Charlotte / Alors, c'est d'accord ?


Candice / Elle va faire la centenaire.


Roméo / Faudrait lui expliquer un peu la vie de Grand mamie.

Charlotte / Vous avez déjà fait du théâtre ?


Voisine / Quand j'étais petite, un jour, j'ai joué une cousine à Cendrillon.

Charlotte / Et ça a marché.

Voisine / On m'a jamais rappelée.


Charlotte / Bien.. Alors.. C'est par là.. Si la cousine à Cendrillon veut bien me suivre...

Charlotte et la voisine vont dans une chambre

Scène 7 : Roméo / Séraphin / Candice

Roméo / L'acheteur est revenu. Et il est raide dingue de Galantine, il veut l'épouser.


Candice / C'est pas possible ?


Séraphin entre

Séraphin / Vous êtes au courant ? Galantine et l'autre !

Roméo / Elle l'a bien harponné.

Candice / Ils sont où ?


Roméo / Dans la chambre.


Séraphin / Qu'est-ce qu'ils font ?


Roméo / Ils préparent l'avenir.

Séraphin / Mais alors, il ne veut plus acheter. Et la proprio, elle l'a dans l'baba !

Roméo / Oui, mais les histoires d'amour, les huissiers, ils s'en foutent.

Séraphin / Comment on va faire ?

Candice / Va va falloir mettre les bouchées double ! Faut sortir le grand jeu.

Roméo / On a déjà sorti les meubles.


Candice / Mais maintenant, faut sortir les mouchoirs. Faut qu'on fasse pitié à voir. Faut profiter de l'anniversaire pour mettre le maire de notre côté, et l'huissier, dehors !

Roméo / Ça marchera jamais.


Candice / C'est ça ou la taule ! (Elle crie) .. Capucette !

Scène 8 : Roméo / Séraphin / Candice / Capucette

Capucette entre. Elle a un ventre énorme, comme si elle était enceinte.

Roméo / Capucette est enceinte ?

Candice / Mais non ! (A Capucette) C'est bien, Capucette. Alors tu feras comme on a dit. Tu montreras bien à monsieur le maire.

Capucette / Je vais avoir un bébé ?


Candice / Mais non ! Tu n'est pas enceinte. C'est pour faire croire à monsieur le maire.


Capucette / (Désolée) Je vais pas avoir de bébé !

Durant cette scène, Candice s'énervera de plus en plus tandis que Capucette comprendra de moins en moins, tout en étant désolée.

Candice / Mais si. Mais pas tout d'suite. Un jour.. Plus tard..

Capucette / (Comme si elle trépignait) J’veux avoir un bébé !


Séraphin / Quand tu auras un amoureux.

Capucette trépigne de plus en plus

Capucette / J’veux avoir un amoureux !

Roméo / Ca viendra..


Capucette / Galantine, elle, elle a un amoureux.

Candice / Après ce sera ton tour.


Capucette / J’veux pas d’l'amoureux de ma sœur !

Séraphin / Tu en auras un autre, un prince charmant.


Capucette / (Très contente) Avec un ch'val !

Candice / Avec un ch’val. Même deux si tu veux.

Capucette / Ouais ! Mais pourquoi c'est moi qu'est tombée enceinte ?


Candice / (Énervée) T'es pas tombée enceinte ! T'attends pas d'bébé !

Roméo / Mais tu vas faire comme si t'attendais.

Capucette / Il va arriver quand ?


Candice / (Très énervée) Tu n'es pas enceinte !

Séraphin / Moins fort, faut pas faire peur au bébé.


Candice / (Crié) Elle n'est pas enceinte !

Capucette / (Très très déçue et en trépignant) Je veux un bébé !


Candice / Bien ! On va arranger ça tout d'suite. Passe moi l'oreiller.


Capucette / Tu veux me prendre mon bébé !

Candice / (Elle crie) Passe -moi l'oreiller !

Candice enlève l'oreiller que Capucette cache sous ses vêtements, puis le pose sur son ventre, sous les siens, pour faire croire qu'elle est enceinte.

Candice / Mon bébé !

Roméo / On va jamais y croire.


Candice / Tu veux prendre ma place ?


Capucette / Mon bébé !

Roméo / Maintenant c'est ta maman qui va avoir un bébé.


Capucette / Je vais avoir un p’tit frère ?

Candice / Va t'coucher !

Capucette sort.

Scène 9 : Roméo / Candice / Maire / Centenaire

Candice / Elle n'est pas casée.

Roméo / Sinon, elle a bon fond.

On sonne à la porte. Roméo va voir.


Roméo / Merde, c'est l'maire !

Candice / Déjà ?

Séraphin / Je vais prévenir.

Il va prévenir toute la famille. Affolé, Roméo prend ses béquilles, vérifie son pansement au doigt et ajuste celui sur sa tête..

Roméo / Qu'est-ce qu'on va faire ? Mais qu'est-ce qu'on va faire ?

Candice / Tu lui ouvres, et tu la fermes.


Roméo / (Très faux-cul) Monsieur le maire !


Maire / Je tiens toujours mes promesses.


Roméo / (Toujours faux-cul) Vous allez bien ?

Maire / Comme une centenaire (il rit de sa blague)

Candice / Ce que vous êtes drôle, monsieur le maire.

Maire / (Remarquant que Candice est enceinte) Mais.. Vous allez avoir un..?

Candice / Ca date d’hier soi ; j’ai pas vu l’coup venir.

Roméo / (Désolé) Une bouche de plus à nourrir..


Maire / Et je ne suis pas venu seul.. Je vous présente monsieur Raymond..

Raymond est du genre château branlant

Candice / Monsieur Raymond ?


Maire / Il a cent un ans.

Candice / Vous ne les faîtes pas.

Centenaire / Oh. Che chais, che fais beaucoup moins.


Maire / Et devinez ! Monsieur Raymond a très bien connu votre centenaire.


Roméo / Merde.


Centenaire / Chi ! Et on en a fait des trucs enchemble.


Maire / Alors je m'suis dit. Que ce s'rait bien qu'il vienne.


Centenaire / Cha fait tellement longtemps qu'on ch'est pas vus.


Candice / Elle était jeune.


Centenaire / On était cheune. Et on pachait pluche de temps dans l'foin qu'au cul des vaches.

Maire / Monsieur Raymond était dans l'agriculture.


Centenaire / Ch'peux dire que ch'en ai choulevées.


Roméo / Choulever quoi ?


Centenaire / Des bottes de paille. Et votre grand-mère, dans les bottes. Elle auchi. .. Fallait pas la poucher pour qu'elle ch'y mette.

Roméo / Ch'mette à quoi ?

Centenaire / Ch'peux pas l'dire, ch'est perchonnel.


Maire / Ah ! La campagne..

Scène 10 : Roméo / Candice / Séraphin / Maire / Centenaire / Charlotte / Voisine / Charlotte

La voisine entre, accompagnée de Séraphin. Elle en fait des tonnes et patoise également.

Voisine / Qu'est-ce que ch'est qu'tous ches gamins ?

Candice / C'est monsieur l'maire.

Voisine / Ch'est ma mère ?


Charlotte / Non monsieur l'maire, Notre maire à tous.

Maire / (Il s'adresse à la centenaire) Madame, je suis heureux de vous rencontrer enfin. Et je suis enchanté de pouvoir venir fêter votre anniversaire et vous honorer comme vous le méritez.


Voisine / Y veut m'honorer ? Qui qui v'a m'faire ?


Charlotte / Rien du tout. Honorer, ça veut dire qu'il veut vous féliciter d'être encore vivante aujourd'hui.


Voisine / Ch'est pas d'ma faute.

Maire / Vous vous vouvoyez ? Comme dans les grandes famille ?

Candice / On garde toujours un peu nos distances. C'est l'éducation.

Maire / C'est un bonheur de vous rencontrer ! Et de plus, vous avez l'air si jeune


Voisine / Ch'est parc'que je m'chuis fait r'faire. Ils m'ont r'tendue et forchément, cha change.


Centenaire / Oh ! Marie-Louise. Tu me r'conn'ais ?


Voisine / Qui ch'est ?

Centenaire / Ch'est Raymond.


Maire / Vous vous êtes connus quand vous étiez très jeune.


Voisine / Ch'en ai aucun chouv'nir.

Centenaire / Moi, j'te r'connais ben. T'as pas chanché.


Voisine / Faut m'excucher, ch'en ai tellement vu.


Centenaire / Pour en voir, chûr que t'en as vu. Tu t'rappelles pas ? On était tout l'temps coulé dans l'foin. Pour le.. Et puis, hein, pour le, pour la.. t'étais pas la dernière.

Voisine / Qui qu'y raconte ?

Candice / Que vous étiez pas la dernière.


Voisine / Pour quoi faire ?


Centenaire / Hé ! Ben.. Tu chais ben. T'as quand même pas oublié.


Voisine / Ch'me rappelle de rien.


Candice / Vous savez, elle est très âgée.


Centenaire / Âchée. Ch'ai deux mois d'plus. Tu t'chouviens pas la fois où on a caché la mobylette à ton père. Il ch'appelait comment, déjà, ton père ?

Voisine / (A Charlotte) Il s’appelait comment ?

Charlotte se met à l’écart avec elle


Charlotte / Alfred.

Voisine / Alfred !

Centenaire / Et puis, tous les deux, on nous appelait les amoureux ; Tu t'rappelles ? Même après ton mariage avec l'autre abruti, on continuait à ch'voir.


Maire / Voyons Raymond..


Centenaire / Ah mais faut qu'elle ch'rappelle. Même que tes enfants, t'étais pas chûre pour le père.

Charlotte / On va peut-être arrêter..


Centenaire / Ah mais non. La mémoire, faut qu'cha r'monte. Tu disais que t'avais épousé un con. Et puis, moi, ch'aurais bien voulu t'époucher, chauf qu'à l'époque, ch'avais pas d'chous.


Voisine / Ah bon ?

Centenaire / Mais maint'nant, du pognon, ch'en ai. Ch'ai plus qu'cha. Du pognon.

Voisine / Ah oui ! Cha m'revient maint’nant.

Candice / Vous êtes sûre ?

En bougeant sa chaise, la voisine se rapproche de plus en plus de Raymond.

Voisine / Chi je m'rappelle. Raymond ! Chacré Raymond. Et t'es touchours chélibataire.


Centenaire / Y'a pas plus chélibataire. Ch't'ai touchours été fidèle.


Voisine / Cha c'est bien.

Centenaire / Tu m'as chamais quitté d'la tête. Tous les chours, toutes les nuits, ch'ai tout l'temps penché à toi.


Voisine / Et ben, j'crois bien qu'moi aussi. J'ai pas pensé à autre chose.

Centenaire / Mais mé, ch'me disais : Tout chette argent que ch'gardais pour elle, ch'est trop tard.


Voisine / Ch'est trop tard, ch'est trop tard.. Ch'est jamais trop tard.


Centenaire / Non ? Tu voudrais ?


Voisine / Cha coûte rien d'essayer.


Candice / Enfin ! Mamie !

Voisine / Ch'suis macheure !

Charlotte / (Chuchoté) Mais.. Il devrait être mort..


Voisine / Tant qu'y'a du pogn.., euh.. Tant qu'y'a d'la vie y'a des poires. Euh.. De l'espoir !


Centenaire / Ch'est le plu beau chour de ma vie.

Voisine / Moi auchi.


Maire / Je ferai le mariage.

Centenaire / Oh oui ! Un mariage en blanc !

Charlotte / (En aparté) Vous allez quand même pas...

Voisine / Fallait pas m'demander un coup d'main.

Centenaire / Chez moi, ch'ai tout ch'qu'y fauit.


Candice / Et nous, on pourrait venir ?

Voisine / Ben non.

Scène 11 : Roméo / Candice / Séraphin / Maire / Centenaire / Charlotte / Voisine / Charlotte / Huissier (Ou voix de l'huissier)

On sonne (très fort) à la porte

Roméo / Qui c'est ?

Huissier / C'est l'huissier

Charlotte / Y'a personne !

Huissier / J'ai un commandement pour que vous quittiez les lieux.

Candice / Ah oui. C'est pour l'expulsion. C'est en face !

Huissier / J'ai vérifié ! C'est bien ici !


Voisine / Ils vont me mettre dehors ?

Centenaire / (Il serre les poings) T'en fais pas, ch'vais les calmer moi.

Huissier / Ouvrez ! Sinon je défonce la porte !

Roméo / On vous prévient, on a l'gaz. On va faire tout péter.


Huissier / Vous fatiguez pas, on a coupé l'gaz.

Candice / (Au maire) Mais dîtes quelque chose !

Maire / (Il crie) C'est pas gentil !

Huissier / A trois, on ouvre la porte.

Charlotte / On a le maire en otage.

Huissier / Je m'en fous !

Maire / (Il crie) C'est pas bien !

Huissier / Un !

Scène 12 : Roméo / Candice / Séraphin / Maire / Centenaire / Charlotte / Voisine / Charlotte / Galantine / Yvan / Huissier / Assistante / Annie-Sophie / Lulu

Huissier / Deux !

Aussitôt, Galantine et l'Yvan entrent, vêtus tous deux en style gothique. Ils restent côte à côte devant la chambre, prêt à donner des coups d’aiguilles à leurs poupées. Le centenaire et Charlotte sont un peu à l’écart. Le centenaire et la voisine se regardent amoureusement. Charlotte prend son fusil.

Huissier / Trois !

Charlotte pointe son fusil sur la porte. Séraphin brandit une chaise contre lui. Roméo se cache derrière Charlotte. Candice sort les mouchoirs, prête à fondre en larmes. Le maire prie. La porte s'ouvre. On ne voit pas l'huissier.

Assistante / Laissez-moi passer.

Huissier / Attention ! Vous vous opposez à la loi, ça peut vous coûter cher.


Maire / La loi c'est moi !

Huissier / J'm'en fous !


Assistante / (Elle brandit un papier) Et bien la loi, je vais vous l'expliquer ! Vous ne pouvez pas expulser ces pauvres gens !

Huissier / Et pourquoi, madame je sais tout ?

Assistante / Vous avez ici des personnes âgées, dont une centenaire ! Ors ! On ne peut pas expulser quelqu'un de cet âge sans lui trouver un logement avant ! Donc, vous remballez votre marchandise et vous nous foutez la paix.

Huissier / Vous êtes sûre ?

Assistante / Je ne me trompe jamais !

Huissier / Y'a quand même un doute.

Aussitôt, la famille avance d'un pas et se fait encore plus menaçante.


Huissier / Euh.. Finalement.. Dans le doute.. On va revoir le dossier..

Assistante / C'est ça. Et maintenant, dégagez !

Maire / En plus c'est l'anniversaire de madame.


Huissier / Euh.. Bon anniversaire alors.


Assistante / Dégagez !

L'huissier part

Charlotte / Sans vous, on se retrouvait dehors.


Assistante / Je ne pouvais pas laisser une belle petite famille ainsi.


Roméo / Mademoiselle, vous êtes notre sauveteuse.


Assistante / Je n'ai fait que mon travail.

Maire / Oh ! Si on faisait une photo ! Tous ensemble.

Roméo / Ah oui. Une photo !

Séraphin / Oh oui ! Une photo ! Une photo !

Ils s'alignent tous devant le public (comme une photo de famille)

Séraphin / Qui c'est qui va prendre la photo ?

Maire / Peut-être un de mes concitoyens..

Charlotte / (Elle crie au public) Y'a quelqu'un qui sait prendre une photo ?

Maire / C’est pas compliqué !

Deux versions possibles :

Candice / Appelle Capucette.

Roméo / (Crié) Capucette !

Capucette / (Elle entre) Mon p’tit frère est arrivé ?

Ou

Lulu / (Il entre, mécontent) Faut tout faire la d’dans ! J’vais la prendre, moi votre photo.

Tous sont alignés devant le public, sérieux, voire inquiétants, bien dans leurs personnages. Le maire est devant tout le monde à un mètre du groupe. Anne-Sophie entre.

Anne-Sophie / Elle est où, ma maman ?


Candice / Elle est pas là !


Anne-Sophie est triste.

Charlotte / T’en fais pas, elle va r’venir. Viens là.

Anne-Sophie se place ensuite dans le groupe pour la photo.

Lulu / On bouge plus.

Tous / Cheese ! (Ou autre)

Le groupe reste en place.

Assistante / Moi, je n'ai jamais eu de parents. Alors, pour moi votre famille c'est comme si c'était un peu la mienne.


Candice / Je comprends tout à fait, c'est humain.

Assistante / J'aimerais tellement être ici. Vivre avec vous. Je pourrais rester ?

Charlotte, Candice / Ben non.


Voisine / Mais vous pouvez rester pour mon anniversaire.


Assistante / C'est vrai ?

Candice / On a fait un gâteau.


Charlotte / Un gâteau aux navets.

Assistante / Des navets ! J'adore les navets. Vous me donnerez la recette ?


Roméo / On peut pas.

Assistante / Mais pourquoi ?

Candice / C'est un secret d'famille.


Centenaire / Et puis moi, ch'ai une pension Alors, chi faut aider, je chuis là.


Voisine / Ah ben ? Qui c’est qu’tu dis ? L’pognon, on l’garde !

Roméo / Mais, Mamie ?

Voisine / Mon pognon, vous l’aurez quand je s’rai morte !

Ensuite, le maire propose un selfie.

Maire / On va faire un selfie !

Lulu se place dans le groupe et le maire fait un selfie.

Candice / Ah c’lui là, il perd jamais l’nord.


Maire / Attention ! Le petit oiseau va sortir !

Tous / Pan !

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