1 –LES TOILETTES DU FUNERARIUM
Noa se rafraichît le visage tout en se regardant dans la glace. Elle vient de vomir, elle se sent mal.
MONOLOGUE DE NOA
Je n’ai jamais pu te parler. Trop difficile, trop compliqué. Trouver les mots justes, les mots qui détaillent. Impossible. Tu as fui, tu m’as fuie du jour au lendemain. Quand je t'ai appelé ce fameux jour d'angoisse où je voulais me jeter par la fenêtre, tout ce que tu as réussi à me dire c'est : saute. Je ne te pardonnerai jamais. Soi-disant tu me protégeais. J''aurais aimé savoir pourquoi tu es rentré ce jour-là dans ma chambre. J’avais 8 ans, tu en avais 16. J’aurais aimé tes excuses, non pas pour te pardonner, mais ça m’aurait apaisée. J’étais comme enfermée dans un caisson. Je respirais mal, j’étouffais parfois. Sensation de vertige, de déséquilibre. Qui s’en souciait ? Vous viviez tous autour de moi. Tu étais mon grand frère et moi une petite fille incapable de dire non. Tu me faisais peur. Je me sentais tout le temps anormale. Je t'admirais, je pensais pouvoir compter sur toi. Pendant toutes ces années tout a été opaque sauf l'image d'un sexe masculin énorme qui restait présent dans ma tête
Une porte s’ouvre. Le père de Noa entre.
PERE
Noa, on t’attend.
NOA
Papa, ce sont les toilettes des femmes.
PERE
Tu es blanche, tu es malade ?
NOA
Non, j'ai du mal avec le décalage horaire.
PERE
Tu n'as pas fait 10.000 km pour rester dans les toilettes toute la journée.
NOA
Papa, Vas-y, je vous rejoins.
PERE
Dépêche toi, on t’attend.
NOA
J'arrive.
NOA pour elle-même
Un cadavre peut attendre
Noa respire un grand coup et sort.
2 – FUNENARIUM
Le cercueil de Théo est ouvert au milieu d'une pièce. Ferdinand, le père, Cécile, s'apprêtent à rentrer. Noa reste figée.
FERDINAND à Noa
Avance !
La famille se dirige vers le cercueil. Noa avance lentement
Le père embrasse son fils.
LE PERE
Venez embrasser votre frère.
NOA
Je ne peux pas.
CECILE
Fais le pour lui.
Cécile, ferdinand s'exécute.
Noa ne l'embrasse pas.
LE PERE
Pourquoi Sabine n’est pas là ?
CECILE
Elle est bloquée par une grève de train.
LE PERE
c’est arrivé si vite.
Le père perd l'équilibre.
Ferdinand soutient son père.
Le père repousse Ferdinand.
LE PERE
Noa.
Noa se précipite vers son père et lui prend le bras.
LE PERE
C’est moi qui devrais être là.
NOA
Non, papa.
CECILE
Ce costume est affreux, qui l’a choisi ?
FERDINAND
J’ai pris le premier dans l’armoire.
NOA
C’est vrai que ce costume est affreux.
Début de fou rire
FERDINAND
Ca va, les filles ! Contenez-vous.
CECILE
Désolée, c’est nerveux.
Ferdinand et Cécile embrassent leur frère. Seule Noa ne s'approche pas.
3 - FLASH BACK - CHAMBRE DE THEO.
Elle est dans la pénombre. On distingue à peine des silhouettes. Noa (8 ans) sanglote. Un morceau de Pink Floyd retentit.
THEO
Allez, retourne dans ta chambre, ça suffit.
NOA
Tu m’aimes plus ?
THEO
J’ai horreur des chouinements.
NOA
Tu m'as fais mal.
THEO
Excuse-moi, ma petite soeur… Allez viens dans mes bras, je ne veux pas que tu sois triste. Je t’aime tu sais, je veux juste que tu me fasses plaisir. Tu peux le faire pour moi ? C'est naturel entre un frère et une soeur. Tu sens je fais un bisou à ton sexe. Allez, à ton tour, fais moi un bisou sur le mien… Allez vas-y ! oui comme ça… C'est bien… continue. Oui comme ça…
Elle a des hauts le coeur. Elle éclate en sanglots.
THEO
Allez, ça suffit pour aujourd'hui, va dans ta chambre.
Noa sort vite du lit
…
Et ton tintin ?
NOA
Tu me le donnes quand même.
THEO
Tiens, mais tu ne le mérite pas.
Noa repart dans sa chambre avec son tintin.
4 - RETOUR AU PRÉSENT- FUNERARIUM
Noa est en larme. Le père se retourne vers Noa
Noa ne bouge pas.
LE PERE
Vous ne vous êtes pas parlés pendant 20 ans, tu peux lui dire au revoir, au moins, sinon c’était pas la peine de venir.
Noa quitte la pièce
CECILE à Ferdinand
Elle ne l’a jamais aimé.
FERDINAND
Tu n’en sais rien.
CECILE
Elle ne nous aime pas. Ca, je le sais.
Ferdinand sort du funérarium
FERDINAND
Noa, Noa attend !
NOA
Laisse-moi !
FERDINAND
Il est mort.
NOA
Et ?
FERDINAND
Ca fait 30 ans, Noa.
NOA
Se taire, surtout se taire. Toi, le premier. Tu m’as mis la tête sous l’eau avec tes peurs, tes murmures, tes coups de coude sous la table,
tes « chut » à répétition. La famille doit être épargnée, mais de quelle famille on parle ? Une famille en total disfonctionnement. Tu as laissé faire. Tu savais, mais tu as laissé faire… C'est parce que je t’ai dit non. Tu crois que je lui ai dit oui, à lui.
FERDINAND
Je n’ai pas parlé pour te protéger.
NOA
Non, TE protéger.
FERDINAND
Personne ne t’aurait crue de toute façon.
NOA
Fous le camp. Fous le camp.
5 - CAFE
Ambiance café
Noa est avec François, un ami d'enfance de Théo.
FRANCOIS
On ne se voyait plus avec Théo, mais je voulais venir à son enterrement. Lui dire au revoir.
NOA
Vous étiez inséparables.
FRANÇOIS
Jeune oui, mais il avait changé depuis son divorce. Il s’était replié sur lui-même, même sa fille ne le voyait plus. Comment c'est arrivé ?
NOA
Accident de voiture… Il prenait des anti-dépresseurs depuis quelques temps, plus l'alcool. Il a dû s'endormir au volant, pas plus de détails et je m'en fous. J'ai tant espéré ce moment là, je l'ai révé même.
FRANCOIS
Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous étiez si proches.
NOA
En apparence.
FRANCOIS
Tu étais sa petite soeur adorée, il refusait de te voir grandir. Un peu trop. Je lui disais souvent, laisse-là s'échapper, mais il ne m’écoutait pas.
NOA
J'ai été abusé par Théo pendant 5 ans.
…
Pendant 5 ans, François.
Silence.
FRANCOIS
J’ai une sœur, on a deux ans d’écart. On a tout découvert ensemble, deux ans, c’est rien. Je me souviens de nos grandes interrogations d’enfant sur la différence de nos corps. On se regardait, on se comparait. Tous les gamins font ça, j’imagine.
NOA
Et d'abuser de sa soeur, aussi.
FRANCOIS
Bien sur que non.
…
Vos parents étaient souvent absents, vous vous protégiez entre vous… Théo ? J'ai du mal…
NOA
A y croire c'est ça.
FRANCOIS
Pas d'excuse, non, pas d'excuse. C'est vrai qu'il prenait son rôle de grand frère trop au sérieux, trop certainement, avec ce côté protecteur, presque jaloux.
NOA
Je me souviens, la seule fois où tu t'es approché un peu trop près de moi, je t'ai repoussé d'un geste brusque.
FRANÇOIS
De dégoût même. Tu me plaisais c'est vrai, mais je ne te plaisais pas du tout.
NOA
J'en sais rien. J'étais cloisonnée, enfermée dans mon corps.
FRANCOIS
Je n'ai pas insisté et puis j'avais un peu peur de Théo, il surveillait, guettait, il me mettait en distance en quelque sorte. Je suis désolée de ne pas avoir vu. J'aurai dû, j'aurai pû.
NOA
Personne n'a vu et je ne pouvais pas parler. Le silence me pèse depuis trop longtemps.
Un air de pink Floyd retentit.
6 - FLASH BACK - CHAMBRE DE NOA
Noa (8 ans) récite une table de multiplication puis la voix de Théo (16 ans). Noa se tait.
THEO en off
Noa, Noa. tu viens ?
NOA
Je fais mes devoirs.
THEO en off
Je t'ai acheté le nouveau tintin. On va le lire ensemble.
NOA
J’ai pas envie.
Théo ouvre la porte. Un Tintin à la main.
THEO
C’est maintenant, après ils vont tous rentrer.
NOA
J’aime pas ta chambre, il fait noir en plein jour.
THEO
Allez ! tu le veux ou pas ton tintin ?
NOA
Oui, mais j’aime pas...
THEO
Tu sais bien que ce n’est pas vrai…
Noa ne bouge pas. Théo s'allonge sur son lit près de Noa, il pose la BD à côté d'elle.
NOA se lève
D'accord, d'accord, je viens.
7 - CHAMBRE – MAISON FAMILIALE
Cecile et Noa sont dans la chambre d'enfant de Noa. Elles ouvrent des armoires, classent des livres…
NOA
Rien n’a bougé. Comme ci le temps s’était arrêté.
CECILE
Toutes nos chambres d’enfants sont restées intactes. Les parents n’ont jamais voulu les transformer. C’est comme ça.
NOA
Maman surtout. J’ignore ce qu’elle voulait préserver. Notre enfance peut-être.
CECILE
A la fin, avec sa maladie, elle avait des obsessions. Ne rien toucher, ne rien transformer, elle voulait mourir en laissant tout en état et toi pendant ce temps là, tu étais bien planquée en Argentine.
NOA
Oui, avec mon mari et mes enfants.
CECILE
Qu'on n'a jamais connus.
NOA
Tu voulais toujours prendre ma chambre quand tu étais petite.
CECILE
Oui, parce que ma chambre était trop claire.
NOA
Je trouvais la mienne trop sombre.
CECILE
J’ai toujours préféré la pénombre, deviner plutôt que voir et puis la lumière me fait mal aux yeux.
NOA
On était si différente, Tu étais toujours entourée, ta chambre ne désemplissait pas. Je me réfugiais dans la mienne. Si j'avais pu m’enfermer, je l’aurais fais, mais notre mère refusait de mettre des clefs sur ma porte, elle avait peur que je m'enferme.
CECILE
Elle était secrète, elle aussi. Elle ne finissait jamais ses phrases. Sa parole était soupesée, sous-tendue.
Cecile change de pièce. La voix de la mère résonne dans l'espace.
8 - FLASH BACK
SALLE D'ATTENTE D'HOPITAL
Noa (30 ans) et sa mère (50 ans) attendent.
MERE
… Si mes résultats sont bons, je suis en rémission, le médecin me l'a affirmé.
NOA
Si seulement ça.
MERE
Attendons les résultats définitifs… Heureusement que tes frères et sœurs sont là.
NOA
Maman, je vis en Argentine.
MERE
Tu as voulu mettre de la distance entre nous, tu l’as mise.
NOA
Pourquoi vous ne venez jamais nous voir ?
MERE
13 heures de vol, c’est trop long et puis avec la chimio c'est pas conseillé.
NOA
J’aurai pu épouser un italien ou un espanol, mais il se trouve qu’Alexis est argentin.
MERE
J’en parlerai avec ton père.
NOA
Tes petits enfants seraient ravis de vous connaître autrement que par skype.
MERE
Certainement, mais tu sais on est bien entouré avec ceux de tes frères et soeurs, on n'est pas en manque.
NOA
Mes enfants le sont.
MERE
Combien de fois vous êtes venus depuis que tu vis en Argentine…
Noa, ma fille, Ton mari, je l'ai rencontré une fois à ton mariage. Nous assi on t'attend.
NOA
Vous n'avez toujours pas fait de travaux dans la maison. Vous pourriez transformer nos chambres d'enfant en bureau, en chambres d'amis…
MERE
Pourquoi ? Pour modifier, mais modifier quoi ? Elles servent à vos enfants. On n’a juste changé les draps.
NOA
Qu’est ce que tu veux conserver ?
MERE
Un peu de vous quatre.
NOA
Maman… J'ai quelque chose à te dire…
MERE
Tu étais particulièrement soigneuse, c’est rare pour une enfant.
NOA
Je n’étais pas une enfant comme les autres, tu me l’as suffisamment répété… Maman, écoute moi.
MERE
Tu étais secrète, toujours seule. Tu n’aimais pas la compagnie des autres enfants. Tu n’invitais jamais de copines.
NOA
Elles m’ennuyaient.
MERE
Ca va bientôt être mon tour. Tu m'attends.
9 - RETOUR AU PRESENT -CHAMBRE
Noa assise sur un lit. Cécile continue de ranger.
NOA
Celle de Théo était là, à côté.
CECILE
Comme celle de Ferdinand et la mienne. Toutes les chambres sont à l’étage. Tu le découvres seulement maintenant ?
NOA
Sauf celles des parents.
…
J’ai appris que ton ex-mari a été arrêté.
CECILE
Sa nouvelle femme l’a dénoncé.
NOA
Pour quelles raisons ?
CECILE
Ca ne m’intéresse pas.
NOA
Il avait déjà été accusé quand vous étiez ensemble.
CECILE
Interpellé pour des soi-disant attouchements sur une copine de Sabine.
NOA
Soi-disant ?
CECILE
Il n’y a jamais eu de preuve.
NOA
13 ans ce n'est plus une enfant.
CECILE
Elle sort de l'enfance.
NOA
Et sur Sabine ?
CECILE
Quoi sur Sabine ?
NOA
Il aurait pu avoir des attouchements sur sa fille ?
CECILE
Eric ? Enfin, Je l’aurai su, je l’aurai vu. Je suis restée mariée 15 ans avec lui il n’a jamais eu de comportements anormaux… Reprend ta psy, je t'en prie.
NOA
Toi, la pédopsychiatre, tu penses qu’un enfant peut décrire un viol ou des attouchements, si ce n’est pas vrai.
CECILE
Il y a toujours des cas extrêmes comme dernièrement un grand-père accusé par son petits fils à tort. C’est le cas de mon ex-mari, il a été victime d’une affabulatrice. Point à la ligne.
NOA
Elle était précise dans ses descriptions.
CECILE
Je te rappelle qu'elle n'a pas décrit un viol ni des attouchements. Elle a parlé de gestes significatifs. Tu sais ce que ca veut dire, pas moi.
NOA
Tu va fermer les yeux encore combien de temps.
CECILE
Quand j'étais petite les parents t’interdisaient de me raconter des histoires pour m’endormir, de peur que tu me mettes des idées dans la tête. Tu te souviens ?
NOA
Bien sûr, pour vous, j’ai toujours été une affabulatrice. Vous étiez soudés. Moi, je me débrouillais, je m’accommodais, je volais de l’amour à ceux qui m'en donnait. Réponds moi Cécile.
CECILE
Sabine te ressemble beaucoup.
NOA
Les non-dits sont des vrais bombes à retardement.
CECILE
Aide-moi à déplacer ce meuble…. Pourquoi tu me parles de ça.
NOA
Je m'intéresse.
CECILE
Il est un peu tard, tu ne trouves pas pour t'intéresser à ta famille.
Cécile sort
10 - FLASH BACK – VINGT ANS PLUS TOT
BOITE DE NUIT.
Cecile et Noa ont la vingtaine. Elles boivent un verre, la musique est forte autour d'elle.
CECILE
Je les mesure toujours avant.
NOA
Tu mesures quoi ?
CECILE
Leur sexe. Je me frotte à eux et j’évalue.
NOA
Et ça marche ?
CECILE
Relativement.
NOA
Et ils ne s’en rendent pas compte ?
CECILE
Tant que je les fais bander.
NOA
Tu dois te tromper parfois.
CECILE
Rarement. La mesure est mon fort. Et puis, j’ai pas envie de perdre mon temps. C’est juste pour baiser.
NOA
Qu'est-ce qui t'es arrivé Cécile ?
CECILE
Tu vois l'homme au bar ?
NOA
Tu vas l'évaluer.
CECILE
Peut-être.
NOA
Il n’est pas mal, mais un peu trop alcoolisé.
CECILE
Mais, mais, il y a toujours un mais avec toi. Décoince toi. Suis mon conseil, tu danses, t’évalues.
NOA
Je ne pourrai jamais faire ça.
CECILE
J'y vais. La première impression est souvent la bonne.
NOA
Qu'est-ce qui t'es arrivé Cécile ?
CECILE
J'aime le sexe.
Noa disparaît
11 - RETOUR AU PRESENT – MAISON FAMILIALE
MONOLOGUE DE NOA
J’entends encore ta voix douce qui m’appelle. Je sens encore tes caresses sur mon corps de petite fille. J’entends encore ta voix me susurrer : « c’est normal entre frères et sœurs ». Non, ce n’est pas normal, mais moi je l’ai cru. Comment as-tu pu ? Je me suis faite avoir pour des tintin. Tout ce travail de psychanalyse, allongée sur un divan, noyée dans mes larmes et mes angoisses inexpliquées pour qu'enfin la porte de ma chambre s’entrouvre et que tu apparaisses, tel que tu es. Je revois la maison vide, ce silence pesant, cette boule dans mon ventre et toujours le même morceau de Pink Floyd comme un signal, comme une alerte. Dés que j'entends le premier accord, je frémis. Je ne veux pas y aller, j’ai peur. j’avais huit ans, huit ans. Tu as amputé mon corps, tu l’as morcelé, brisé en deux. Avant Alexis, je ne supportais pas qu’un homme me touche, je prenais sur moi, je me disais ça va passer, ça va passer. Alexis a été patient, il a su m’approcher. 20 ans pour enfin jouir sans vomir. 20 ans pour ne plus voir ton sexe en érection hanter mes nuits et cette odeur... Je déteste cette odeur ... Cela me donne mal au cœur ... envie de vomir ...
Et la honte ... La honte ... Ce sentiment de faire quelque chose qui est mal, interdit ... Mais toi tu me rassurais, tu me répétais, c’est normal entre un frère et une sœur. J’étais si petite, je t’ai cru. Aujourd’hui, je t’accuse.
12 - FLASH BACK – MAISON FAMILIALE
Noa (30 ans) et Sabine (13 ans) , la nièce de Noa, sont assises dans un transat.
NOA
Tu es un peu blanche, Sabine.
SABINE
Je dors mal. Tu sais tante Noa, je fais un rêve toutes les nuits. Toujours le même. Un homme entre dans ma chambre et se glisse sous mon lit. J’ai peur parce qu’il est sous moi. Tu n’en parles pas à maman, tu la connais elle va appeler le samu.
NOA
Je te le promets… Mais… quand tu dis, il est sous moi.
SABINE
Oui, sous mon lit.
NOA
Tu reconnais l’homme qui entre dans ta chambre ?
SABINE
Non, il fait trop noir.
NOA
Sa silhouette ?
SABINE
Non, je te dis qu’il fait trop noir…J'ai peur de m'endormir…Je ne veux pas qu’il vienne.
NOA
Ne t’inquiète pas si c’est un rêve, il va partir.
SABINE
Mais c’est un rêve. Quand je me réveille je regarde sous le lit, il est parti.
NOA
Tu es encore sous le choc des accusations de ta copine.
SABINE
Papa n’a rien fait, c’est elle qui a tout inventé.
NOA
Alors, pourquoi elle a accusé ton père ?
SABINE
Elle le trouvait sexy. Sa mère ne veut plus qu'on se voit, ça tombe bien, je ne veux plus la voir non plus.
NOA
Tu devrais décrire tes cauchemars à ta mère.
SABINE
Certainement pas, elle va me traiter de folle comme elle le fait avec toi, il paraît qu'on se ressemble.
NOA
Essaye.
SABINE
Non.
13 – RETOUR AU PRESENT - SALLE DE SPORT
Noa se défoule sur un pushing ball. Elle frappe de toutes ses forces comme pour extraire toute sa colère qu'elle a en elle.
Un morceau de Pink Floyd résonne
14 - FLASH BACK – CHAMBRE DE THEO
Noa (11 ans). Théo (19 ans) La pièce est dans la pénombre. On devine leur silhouette. Chuchotements. On entend toujours le même morceau de Pink Floyd
THEO
Tu aimes ça, hein, Noa. Allez vas-y, touche le… N’aie pas peur… Tout le monde fait ça, c’est normal. Tu aimes, dis que tu aimes.
NOA
Non, c’est dur et ça sent mauvais
THEO
Mais non. Laisse toi faire. Personne ne le saura. Tu aimes ton grand frère ?
NOA
Oui, mais pas comme ça.
THEO
Je n'ai pas entendu.
NOA
Rien.
THEO
Si tu n’es pas gentille, tu n’auras plus tes tintin.
NOA
Tu me les donne toujours.
THEO
Pas si tu refuses… Allez touche le encore…
…
Oui, là comme ça… Oui… C’est bon… Tu te débrouilles de mieux en mieux… Plus près ma chérie, plus près.
NOA
Non. Je veux sortir, laisse-moi sortir.
THEO
Tu veux que papa monte et te voit dans ma chambre.
NOA
Ouvre, ouvre. Elle tape à la porte
THEO
Chut ! chut !
Il ouvre la porte calmement
Sors. Tu n'es pas prisonnière, mais tu choisis. Je n'aime pas les capricieuses.
15 - RETOUR AU PRESENT-SALLE DE SPORT
Noa tape toujours sur son Pushing ball. Elle est en sueur. Elle s'arrête.
16 - RETOUR AU PRESENT
MAISON FAMILIALE
Noa et Sabine sont assises sur des transats comme dix ans auparavant
NOA
Tu as monté ta boite ?
SABINE
Oui, j'ai trois associées, ça marche plutôt bien.
NOA
Rappelle-moi ce que tu fais ?
SABINE
Du relooking pour les chefs d’entreprises. Femmes et hommes, mais ce sont surtout les hommes qui consultent.
NOA
C’est un bon créneau.
SABINE
Et ça paye bien.
NOA
Je fais du coaching en Argentine. Je coache des comédiens espagnols en français.
SABINE
J'aimerais bien venir te voir et puis connaître ton mari.
NOA
Viens quand tu veux. Nos petites escapades me manquent.
SABINE
Moi aussi et puis tes conseils aussi.
NOA
Tu as résolu tes cauchemars.
SABINE
Non, mais ils ont disparus assez vite.
NOA
Pas d'analyse ?
SABINE
Je n'en ai pas éprouvé le besoin.
NOA
Tu devrais peut-être… Pour comprendre, pour…
SABINE
Tante Noa, c’est normal d’avoir des peurs nocturnes à 13 ans, non. Tu en as eu toi aussi.
NOA
Oui… Mais quand tu peux les identifier, c'est mieux, ça évite que la merde remonte.
SABINE
Personne ne rentrait dans ma chambre. J'étais terrorisée à l'idée de coucher avec un garçon, c'est tout. Et puis, j'avais surpris mes parents en train de baiser sur la table de la cuisine. Ca a soudain faussé ma vision de l'amour. C'était le contraire de… C'était brutal, bestial. Pendant une semaine, je ne suis pas rentrée dans la cuisine et je n'ai pas touchée à la table.
NOA
Et maintenant ?
SABINE
Je suis amoureuse, je vais bien. Qu'est ce qui s'est passé avec Théo ?
NOA
Il est mort. J'ai identifié.
SABINE
Merci de t'être inquiétée pour moi.
17 – CAVEAU DE THEO
NOA est seule devant le caveau de Théo.
NOA
… J'avais réussi à t'éliminer de ma vie, mais ta mort ravive ton existence… Je n'ai jamais pu le dire à Alexis, je ne voulais pas gâcher, nous gâcher. Pour expliquer quoi, justifier quoi ? Que pour des Tintin, je… Non. Impossible. Le divan du psychanaliste a atténué, mais pas réparé. Je voulais que tu m'aimes comme un frère, mais tu as abusé de moi avec violence et marchandé ma peur. Je refusais, tu me jettais. Avant Alexis, Je n'y croyais plus. Mes relations étaient la suite logique de ce que tu m'a fait subir. Tellement habituée à être traitée comme un objet sexuel, je choississais des hommes me traitant comme tel. Ma rencontre avec Alexis, sa patience, son amour m'a redonné envie de faire l'amour, de prendre du plaisir sans culpabilité même, si j'ai encore des nausées.
J'ai hésité à venir à ton enterrement, mais je ne regrette pas. Je vais tout balancer, j'aurai dû le faire avant, j'ai perdu trop de temps, mais la dernière fois que je suis venue c'était pour l'enterrement de maman, c'était pas le moment. C'est jamais le moment, il faut le trouver le moment, le prendre. Là, je vais le prendre. Il est temps de partager ce poids avec ma chère famille.
…
Ce dessin est mon épitaphe.
Elle sort un briquet et enflamme le papier.
Je brûle ton sexe qui m'a volé mon enfance, mon adolescence et mon désir.
Elle jette le papier en flamme sur la tombe.
18 - MAISON FAMILIALE
Le père, Cécile et Ferdinand sont assis. Noa, nerveuse, marche dans la pièce.
NOA
Sabine n'est pas là ?
CECILE
Non, elle travaille.
NOA
Papa, c'est pour toi que je suis venue.
LE PERE
Merci ma chérie, mais c'est ton frère qui est mort.
CECILE
C'est le décalage horaire qui te fait divaguer.
FERDINAND
Arrêtez toutes les deux, le corps de Théo est encore chaud.
CECILE
Que tu vives en Argentine ou ici, ça ne change rien, on ne se voit qu'aux enterrements.
NOA
Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi ?
LE PERE
Si tu habitais moins loin aussi.
NOA
Théo, le grand frère protecteur, si doux et si tendre, comme aimait le définir maman, m’obligeait à venir dans sa chambre… ça a commencé à 8 ans.
FERDINAND
Noa, s’il te plait.
CECILE
Moi aussi il venait dans ma chambre.
NOA
C’est pour ça que tu trouvais ta chambre trop claire ?
CECILE
La lumière m’agresse.
LE PERE
Oui, tu sais bien que ta sœur porte des lunettes teintées à cause de la lumière.
CECILE
Il venait m’embrasser tous les soirs. Ferdinand aussi, tu venais.
FERDINAND
Oui.
CECILE
Sauf toi, Noa.
NOA
Est-ce qu’il t’appelait quand les parents n’étaient pas là ?
CECILE
Ils n'étaient pas souvent là.
LE PERE
Là, tu exagères.
NOA
C'est vrai, vous sortiez beaucoup.
LE PERE
On n'a jamais oublié de vous dire bonsoir.Et puis Théo était là.
NOA
Oui, Théo était là.
FERDINAND
Noa, un minimum de respect pour lui.
NOA
Il en a eu pour moi ?
CECILE
Est-ce qu’on peut m’expliquer ce qui se passe ?
NOA
Entre 8 et 12 ans j'ai subi des attouchements par Théo.
Silence
19 - FLASH BACK
MAISON FAMILIALE
La mère et Noa boivent un café. Elles sont assises dans des transats.
MERE
Pourquoi tu en parles seulement maintenant.
NOA
Je ne pouvais pas parler.
MERE
Ça se passait quand ?
NOA
L’après-midi.
MERE
C'est impossible, ton père était là.
NOA
Il était en consultation et tu sais très bien qu’il ne montait jamais dans les chambres l’après-midi, il a toujours séparé son cabinet de la maison.
MERE
Tu as pu te marier, avoir des enfants.
NOA
Et ?
MERE
Et rien. Alexis est au courant ?
NOA
Alexis n'a jamais posé de questions. Il a été patient, juste patient.
MERE
J’ai perdu ma mère à 8 ans, ton grand père était autoritaire, j’avais peur de lui. Je faisais des cauchemars, je le voyais rentrer avec une arme, il voulait me tuer. Je me suis enfermée dans ma chambre et mes cauchemars se sont arrêtés.
NOA
Qu'est ce que tu essaies de me dire ?
MERE
Tu étais une enfant inquiète, tu as imaginé des choses.
NOA
Maman ça se passait l'après-midi.
…
Sabine, lorsqu’elle était petite, avait peur d’un homme qui rentrait dans sa chambre et se glissait sous son lit.
LA MERE
Tu vois, beaucoup d'enfants ont des peurs nocturnes.
NOA
Maman, tu n’entends pas ce que je te dis.
MERE
Non parce que tu ne fais que des suppositions, si si si… Je ne veux plus rien entendre Noa. Théo était un être doux et tendre, jamais il n’aurait pu… et puis pourquoi juste toi, pourquoi pas Cécile aussi… Tu te crois si supérieure. Tu étais en admiration devant ton frère. Je n’ai jamais compris pourquoi vous ne vous êtes plus revus.
NOA
Tu comprends pourquoi je ne t'en ai pas parlé avant.
20 -RETOUR AU PRESENT – MAISON FAMILIALE
Même situation.
NOA
Je ne me tairai pas et vous m’entendrez tous jusqu’au bout.
CECILE
Je vais fumer une cigarette.
NOA
Ca te concerne autant que les autres.
CECILE
Je ne crois pas non.
NOA
Ferdinand nous a surpris, Théo et moi. Il a même voulu faire comme son grand frère, allez dis-le Ferdinand, dis que ça t’excitait.
LE PERE
Arrête Noa, tu deviens indécente.
FERDINAND
C'est faux, je ne les ai jamais surpris.
NOA
Alors pourquoi tu as voulu faire la même chose.
FERDINAND
Tu inventes.
NOA
Tu voulais copier, après tout quand il y en a pour un, pourquoi pas pour deux.
FERDINAND
Tu es ma sœur. Est-ce que j'ai eu un geste déplacé, même une fois ?
CECILE
Jamais. Je confirme, même pas un regard déplacé.
NOA
Tu nous a surpris Ferdinand, je tenais le sexe de Théo dans mes mains.
Silence de Ferdinand.
CECILE
Ferdinand, regarde moi. Est ce que c'est vrai ?
FERDINAND
Vous voyez bien qu'elle dit n'importe quoi. Qu'elle a juste besoin de témoins.
NOA
Cécile, j’avais peur qu’il te fasse la même chose.
CECILE
Il ne m'a jamais touchée, jamais. Tu es ignoble, tu es revenue pour salir la mémoire de notre frère.
LE PERE
C'est impossible. Je suis médecin, je l'aurais vu.
FERDINAND
Tu n'as rien à te reprocher papa. Théo a toujours été précoce, c'est lui qui m'a initié. J'avais 15 ans, mais il m'a initié au sexe pas à l'inceste.
NOA
Je me souviens parfaitement du jour où ça s’est arrêté… Théo a emmené une fille dans sa chambre et a fermé la porte à clefs comme avec moi… elle s’appelait Florence, vous vous souvenez de Florence, elle avait 16 ans à l’époque. Là, j’ai enfin su que j’étais libérée de lui.
NOA
Je vous demande de me croire. Est-ce si compliqué ?
CECILE
Oui.
NOA
Il en a eu aussi sur Noémie, notre cousine.
FERDINAND
Il a essayé, mais elle a refusé.
NOA
Tu étais au courant.
FERDINAND
Elle avait 16 ans.
NOA
Donc consentente, c'est ça.
FERDINAND
Tu découvres, tu expérimentes, tu es en pleine adolescence. Entre cousins, c'est moins grave.
NOA à Ferdinand
C'est pour ça que tu as continué à te taire.
…
Tu es un bon frère, un bon fils. Je vous regarde tous et j’ai honte pour vous, honte de votre attitude de planqué.
CECILE
Théo était comme moi, il aimait le sexe, mais ça ne fait pas de lui un coupable.
NOA
A ce moment là, on va voir les putes on ne tripote pas sa petite sœur.
FERDINAND
Il y allait aussi.
NOA
C'était un grand malade.
LE PERE
Taisez vous !
NOA
Ca se passait l’après midi, tu travaillais en bas et puis vous ne vous intéressiez pas trop à nous.
LE PERE
Comment tu peux dire ça ?
CECILE
On a eu des parents magnifiques
NOA
Trop amoureux pour élever des enfants. Trop aveugle pour laisser passer l'inaceptable.
LE PERE
On a été heureux de vous avoir tous.
CECILE
Tu n'es qu'une provocatrice, une affabulatrice.
NOA
J'étais une enfant et je me suis fait avoir pour des Tintins, ça en vaut pas la peine
Le père a un malaise
FERDINAND
Papa, ça va… un verre d'eau, quelque chose.
CECILE
Papa, papa.
FERDINAND
Aidez moi à le relever. Papa, ça va ?
à Noa
Toi, je ne veux plus te voir. Jamais tu entends, jamais.
21- RETOUR AU PRESENT
HOPITAL - CHAMBRE
Cécile et Noa veillent leur père qui est dans le coma.
NOA
Je t’en prie, papa réveille toi.
CECILE
… Tu ne trouves pas que son souffle est court.
NOA
Il est calme…
CECILE
Ils l'ont abruti de médicaments.
NOA
Crois moi, Cécile je n'ai rien inventé.
CECILE
Pour toi la famille est un concept que tu rejettes. Tu règles tes comptes en détruisant ce que tu n’as jamais pu atteindre, ta famille.
NOA
On a les mêmes parents, mais c’est tout ce qui nous rattache.
…
Cecile, pourquoi tu ne veux pas essayer, au moins une fois, de m'entendre.
CECILE
Je ne comprends pas ce que tu dis, je ne comprends pas qui tu es. Tu es ma soeur, je suis censée t'aimer, et bien je ne t'aime pas, sache le. Tu cherches une complice, raté ma vieille.
J'aimais Théo et tous tes mensonges ne me feront pas changer d'avis.
NOA
J’avais peur de lui, mais devant son lit de mort, je n’ai ressenti que du dégoût, pareil quand il me forçait à lui faire une fellation ou quand il me pénétrait. Je suis enfin libérée de ce poids nauséabond.
CECILE
Tu veux me faire avouer quelque chose qui ne s'est pas passé. Désolée ma chère soeur, tu ne saliras pas l'image de Théo.
NOA
J'ai toujours été seule face à vous.
CECILE
Oui, parce que tu as toujours voulu semer le trouble, c'est pour ça qu'on s'est soudés tous les trois, pour nous protéger. Ton départ a été un soulagement.
NOA
Une fois papa parti, on ne se verra plus.
CECILE
C’est notre réalité, on n’y peut rien. Je n’ai qu’une fille, je ne lui impose pas de m'aimer, elle inscrit son histoire.
NOA
Une image m'obsède et à chaque fois que je la voie je me reveille en sueur. J'ai 8 ans, je suis nue au milieu d'un champ. Vous formez une ronde autour de moi, vous riez, et moi je suis enfermée dans ma nudité, paralysée de peur. Le décor ressemble à un paysage de Watteau.
CECILE
Tu es folle. Complètement folle. Tu t'es inventée ta place de victime et bien assume là.
Le père ouvre les yeux.
LE PERE
Mes filles.
CECILE
tu m'as fait peur.
LE PERE
Je suis tellement fatigué.
NOA
Je pars demain papa.
LE PERE
Cécile, tu reviens demain ?
CECILE
Bien sûr papa, Ferdinand aussi.
LE PERE
Et Sabine ?
NOA
Papa, je t'aime.
LE PERE
Noa, tu as sali la mémoire de Théo. Est-ce que ta mère savait ?
NOA
Elle aussi a refusé d'entendre.
CECILE
Ca t'a soulagé de parler, tant mieux, tu peux t'envoler le coeur léger. Mais tes révélations ne changeront rien. A demain papa.
Cecile sort.
NOA
Papa, je voudrais que tu me croies.
LE PERE
Tu as été trop loin. Tu aurais du te taire. Mon fils et mort, je ne vais pas tarder à le suivre. Ne reviens plus Noa, même pas pour mon enterrement.
NOA
Je me suis tue pendant trop longtemps.
LE PERE
La mort réconcilie.
NOA
Et bien non, mais le silence est complice.
LE PERE
Retourne chez toi et ne reviens plus.
22 -ANNONCE AEROPORT
Veuillez vous présenter à la porte N°7. Veuillez vous présenter à la porte N°7 pour le Vol AF 54678 à destination de Buenos Aires.
FIN.