Les chaussures d’Arthur

Quel rapport entre la légende du roi Arthur et une paire de baskets ?
➡️ Une idée géniale de la part du directeur marketing pour faire exploser les ventes du nouveau modèle de la marque !

A travers un narratif bien ficelé, “Les chaussures d’Arthur” vont devenir les baskets tendances que tout le monde porte à l’école. Mais à quel prix ?

A travers l’œil ingénu de la petite Nina qui n’a pas ces chaussures, le spectateur est invité à réfléchir aux conséquences des effets de mode et du marketing sur les relations humaines.

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Scène 1

 

Plateau presque nu. Eclairage franc et agressif évoquant les lumières de supermarché. Au centre du plateau trône un tabouret avec une paire de baskets neuves dessus. Le directeur marketing entre et fait le tour du tabouret. Il fait mine de retirer une saleté sur la paire de baskets, les remet bien en place avant de se tourner vers le public.

 

DIRECTEUR MARKETING. Connaissez-vous la légende d’Arthur ? (un temps) Si, on vous a sûrement bassiné avec ça toute votre enfance… Souvenez-vous de ce jeune homme assez courageux et assez noble pour tirer l’épée de l’enclume. Ça vous revient ? Parfait ! Je vais maintenant pouvoir vous expliquer comment nous avons transformé ce mythe ridicule en une redoutable stratégie marketing ! Vous voyez cette paire de baskets ? (un temps) Eh bien ce n’est pas une paire de baskets. Non mes amis ! (l’air grave) C’est un objet exceptionnel, extrêmement convoité et presque inatteignable. Si vous pensez pouvoir mettre la main dessus aussi facilement, vous vous fourrez le doigt dans l’œil ! Quand Arthur a retiré Excalibur, il a démontré tout un tas de qualités morales : la bravoure, la noblesse, la vertu… De la même manière pour porter ces petits bijoux (désignant la paire de baskets), il va falloir vous en montrer digne ! Alors évidemment de nos jours les qualités les plus en vogue sont plutôt l’empathie, l’altruisme, la générosité… Vous savez ce sont des effets de mode, en tant qu’acteur de la basket nous sommes bien placés pour savoir qu’il faut suivre les nouvelles tendances. (l’air malicieux) Bon, je vois que certains d’entre vous commencent à voir où je veux en venir… Alors ne tardons plus. Mesdames et messieurs, je vous présente le spot publicitaire de notre tout dernier modèle : les chaussures d’Arthur !

En finissant sa phrase le directeur marketing écarte vigoureusement les bras en faisant tomber les baskets du tabouret. Tandis que la lumière s’estompe pour laisser place à la diffusion du spot, il les ramasse maladroitement pour les remettre bien en place.

Scène 2

 

Noir plateau. Un écran s’allume sur le mur du fond. Le spot publicitaire s’ouvre sur un gros plan de la paire de baskets et du tabouret que les spectateurs connaissent. Une musique épique accompagne le spot en s’accélérant au fil du temps. Les mouvements de caméra montrent la paire de baskets sous tous ses angles de vue avant de s’éloigner pour un plan plus large. On aperçoit alors un adolescent debout sur le tabouret, la paire de baskets aux pieds.

Tout à coup, lumière plateau : le même adolescent est debout sur le tabouret avec les baskets, comme si le spot publicitaire s’était soudain déplacé en 3D sur le plateau. Le rythme de la musique s’accélère.

Sur l’écran, on voit maintenant une scène avec le roi Arthur qui tente de retirer l’épée de l’enclume, en vain. Sur le plateau, l’adolescent essaie de lever un pied sans y parvenir. Le roi Arthur tente de retirer l’épée avec de plus en plus de vigueur tout comme l’adolescent qui essaie de lever un pied. La paire de baskets semble collée au tabouret. Les mouvements sur l’écran et sur le plateau sont coordonnés et s’accélèrent au fil du temps.

Enfin, la musique s’arrête, le roi Arthur réussit à retirer l’épée et l’adolescent détache son pied du tabouret. En posant son pied au sol, l’adolescent fait un pas vers le public. L’écran affiche en lettres capitales le message suivant : « Faites un pas vers l’autre avec les chaussures d’Arthur ».

 

 

Scène 3

 

Nina est assise sur un banc d’écolier dans un coin du plateau. Elle a l’air de s’ennuyer, puis son regard est attiré au loin.

 

NINA. Hé ! Je peux jouer ? Hé ho ! Dites… Est-ce que je peux jouer avec vous ?

VOIX D’ENFANTS. (ensemble) Non !

NINA. Pourquoi vous voulez pas ?

VOIX D’ENFANTS. (en écho) Tes chaussures. Tes chaussures. Tes chaussures.

NINA. Quoi mes chaussures ? Qu’est-ce qu’il y a ? (un temps) Allez ! Je veux juste jouer.

VOIX D’ENFANTS. (ensemble) Tu mérites pas !

Nina se lève et se dirige vers les voix hors-scène. Jean entre sur le plateau depuis l’endroit où se trouvent les voix et arrête Nina.

JEAN. Stop. Tu as les chaussures d’Arthur ?

NINA.

JEAN. Alors tu mérites pas.

NINA. De quoi !?

JEAN. De faire un pas vers nous.

Noir

 

 

Scène 4

 

Même lumière et décor que la scène 1. Le directeur marketing prend soin des baskets sur le tabouret. Ses mouvements sont exagérés et peuvent être tournés en ridicule. Nina entre.

 

NINA. Bonjour.

DIRECTEUR MARKETING. Oh ! Bonjour ma grande ! Et bienvenue dans notre boutique éphémère événement à l’occasion de…

Nina s’approche du tabouret et interrompt le directeur marketing

NINA. C’est ça les chaussures d’Arthur ?

DIRECTEUR MARKETING. Absolument ! Tu as devant toi la toute dernière version des chaussures d’Arthur, à la pointe de la technologie.

NINA. Qu’est-ce qu’elles ont de spécial ?

DIRECTEUR MARKETING. (pour lui-même) Oh pas grand-chose… (se reprenant) Enfin, si, si ! Ce sont des chaussures connectées ! Elles permettent de compter le nombre de pas ou de mesurer la longueur de la foulée par exemple. Nous sommes aussi en train de développer une solution de SMS vois-tu ? Oui oui ! Tu n’as qu’à tracer un message avec tes pieds et il s’envoie directement à tes amis ! Bon ça ne marche pas encore très bien, mais ça arrive bientôt ! Ça ne te donne pas envie de les avoir ?

NINA. Non. Mes chaussures à moi sont déjà bien.

DIRECTEUR MARKETING. Ah, j’ai failli oublier l’essentiel : seuls les enfants qui ont le cœur sur la main peuvent mettre la main sur les chaussures d’Arthur ! (pour lui-même) Oh, c’est beau ce que je viens de dire, je vais là noter cette phrase. (à Nina) Tu as dû voir la vidéo, à la télé ou sur une tablette. Ces chaussures ont le pouvoir symbolique de te rendre plus empathique et bienveillante auprès de tes camarades par exemple. Fantastique non ? (un temps, Nina n’écoute que d’une oreille, le directeur marketing reprend avec un air faussement grave) Maintenant c’est à toi d’arracher ces chaussures tout comme le roi Arthur a retiré Excalibur ! (bas) Tu as peut-être un parent avec toi pour payer ?

NINA. (pointant du doigt le public) C’est qui eux ?

DIRECTEUR MARKETING. Eux ? (se tournant vers le public) Ce sont nos actionnaires.

NINA. Ils servent à quoi ?

DIRECTEUR MARKETING. (Un peu désarçonné par la tournure de la discussion, moins extravagant que d’habitude) Eh bien, ils euh… Ce sont des gens très importants. Mais alors concrètement qu’est-ce qu’ils font ? Eh bien ils euh… Ce sont eux qui ont validé la campagne de communication pour les chaussures d’Arthur par exemple. Je leur ai présenté le spot publicitaire et ils ont a-do-ré !

NINA. D’accord, merci. Au revoir monsieur.

Nina sort et le directeur marketing se retrouve seul près du tabouret, il est désabusé.

DIRECTEUR MARKETING. Dis donc ! Elle n’a rien acheté du tout ! Il va falloir que je revoie mes éléments de langage.

Noir

 

 

Scène 5

 

Nina est assise sur un banc d’écolier comme dans la scène 3. Jean entre. Il est en chaussettes.

JEAN. T’es contente ! Je suis puni maintenant !

NINA. Désolée, je voulais pas que tu sois puni.

JEAN. Eh bah t’étais pas obligée de tout raconter aux surveillants !

NINA. Mais pourquoi vous me rejetez tout le temps ? Avant on jouait ensemble non ?

Jean s’assoit sur le banc et se met à sangloter doucement. Ses pieds sont en avant, bien visibles pour les spectateurs.

NINA. C’est quoi ta punition ?

JEAN. Ils me les ont confisquées. Les chaussures.

NINA. Et c’est grave ?

JEAN. J’avais économisé tout mon argent de poche pour elles. (un temps) Avec elles, je me sentais comme… supérieur.

NINA. En tout cas, moi j’adore tes chaussettes, elles sont très belles.

JEAN. (sanglotant) Mais je vais pas rester en chaussettes toute la journée, on va se moquer de moi !

NINA. Si tu veux, je peux te prêter une de mes chaussures. Comme ça, tu seras pas tout seul. On sera deux à avoir une chaussette à l’air.

JEAN. C’est vrai ? Tu ferais ça pour moi ?

NINA. Oui, regarde !

Nina enlève une de ses chaussures et la donne à Jean. Jean enfile la chaussure et prend Nina dans ses bras d’un geste amical.

JEAN. Merci, c’est… c’est vraiment gentil.

NINA. De rien ! Tu vois, avec mes chaussures aussi je peux faire un pas vers toi.

 

Noir


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