Air de saxophone avant lumière sur scène, un peu lancinant, ambiance New Orleans
Salon d'appartement, murs en briques rouges. Mobilier typique américain, sofa tissu écossais,table basse, télévision plutôt vieille, un fauteuil, table et chaises en bois, posters du Mardi Gras au mur. Une porte donne sur la cuisine, une porte fenêtre donne sur un petit balcon de bois, on voit des feuilles de magnolia, il fait sombre. Un couloir mène aux deux chambres, un ventilateur tourne au plafond, lentement.
On entend la voix d’une femme qui appelle
« Henri! Henri, tu es là? »
Jacqueline entre sur scène. Elle a la cinquantaine. Elle porte une veste légère, un pantalon de toile, a un air sévère et fier.
Elle pose sa valise, sort un mouchoir de son sac, s'essuie le visage et le cou.
« Henri? Il n'y a personne? Hello? »
Juliette arrive du couloir, elle sort de la douche, elle a une serviette autour d'elle, un flacon de vernis à ongles à la main et un paquet de coton. Jolie petite brunette aux cheveux courts, air espiègle, petite vingtaine d'années. Elle s'arrête et regarde Jacqueline.
Jacqueline, avec un fort accent français: Hello, I am looking for Henri .
Juliette, souriant : Bonjour, je suis Juliette .
Jacqueline la regarde étonnée.
Juliette : Je suis belge, mais je parle aussi français .
Jacqueline : Je ne suis pas chez Henri Deferre? Je me suis trompée d'appartement, excusez-moi .
Juliette: Non c'est bien ici .
Jacqueline : Ah, il ne m'a pas dit qu'il avait de la visite .
Juliette : J'habite aussi ici, je suis sa « roommate », sa colocataire .
Jacqueline, la regardant de haut : Je vois. Je n'étais pas au courant, comme d'habitude.
Elle regarde vers le couloir.
Juliette : Oui, il y a deux chambres.
Jacqueline : Mais Henri ne me doit pas de comptes, c'est un adulte. Je suis Jacqueline Deferre, sa maman.
Juliette : Oui, je me doutais que vous n'étiez pas Blanche Dubois.
Jacqueline la regarde interloquée.
Juliette : Ah, quand on vient à La Nouvelle Orléans, il faut réviser Tennessee Williams. Surtout quand on habite dans le Vieux Carré, près de la rue Dumaine. Henri vous expliquera.
Juliette s'assoit et se met à se vernir les ongles des pieds.
Jacqueline : Mon avion était très en retard, j'ai loupé ma correspondance à Atlanta, je suppose qu'il n'a pas pu m'attendre à l'aéroport.
Juliette : Oui, il devait retourner à l'hôpital, il était un peu embêté de vous laisser vous débrouiller.
Jacqueline : Il m'avait donné toutes les explications, je sais encore prendre un taxi toute seule, je me doutais bien qu'il n'y avait plus de tramway nommé Désir.
On entend la porte d'entrée s'ouvrir. Jacqueline se retourne souriante, mais son sourire se fige.
Miss Thing entre, afro-américain, petite vingtaine aussi, tee shirt argenté et short rose, et regarde Jacqueline et sa valise :
Miss Thing : Oh my Lord! It's Blanche Dubois!
Juliette : Miss Thing, it's Henri's mom.
Miss Thing, avec un très fort accent américain : Oh vous êtes le mère de Henri. Je parle aussi le français, je suis allé à le Alliance Française de Chicago (pas chez les Cajuns thanks God!) Pleased to meet you, heu , enchanté?
Jacqueline lui tend la main avec un sourire crispé: Bonjour...Monsieur?
Miss Thing : Oh honey, call me Miss Thing, euh Mademoiselle Chose, ok? (Il rigole)
C'est plus chic en français hein? Sorry, je suis « dépêché », je cherche des plumes pour mon Mardi Gras.
Il part dans le couloir vers une chambre.
Jacqueline regarde Juliette qui continue son vernis: Mardi Gras fin août?
Juliette : Ah ici, on prépare Mardi Gras toute l'année, surtout Miss Thing.
Jacqueline : Je vois, et vous ne fermez jamais la porte d'entrée?
Juliette : Welcome to New Orleans!
Jacqueline s'assoit sur le canapé.
Juliette : Je ne vous ai pas proposé à boire, ou à manger?
Jacqueline :Merci j'ai trop chaud et je commence à sentir le décalage. Cette humidité, c'est terrible, je voudrais bien un verre d'eau.
Juliette se lève, marche sur les talons en écartant les doigts de pieds, va dans la cuisine et revient avec une carafe d'eau et un verre qu'elle pose devant Jacqueline.
Jacqueline : Je vous remercie.
Elle se sert, boit. Regarde autour d'elle, s'essuie à nouveau le front et le visage.
Juliette, qui continue son vernis : Les premiers jours sont les plus difficiles, après on s'habitue. C'est le soir le plus pénible, on espère un peu de fraîcheur, mais ça ne vient pas, la température ne baisse pas, c'est un peu comme une torture. La première semaine, j'ai cru que j'allais retourner à Mons chez ma mère!
Jacqueline, regardant le ventilateur : Vous n'avez pas de climatisation?
Juliette : Elle est branchée, mais les appareils sont aux fenêtres des chambres! Ce sont de vieux appartements dans le Vieux Carré, tout est un peu vétuste, et puis la journée on la baisse un peu, on la réserve pour la nuit. Ca fait fuir les cafards!
Jacqueline n'a pas le temps de répondre, Miss Thing revient de la chambre. Il porte un masque de cuir avec des plumes de paon et un boa noir autour du cou et chante un classique de Mardi Gras :
Miss Thing : « If you go to New Orleans , you should see the Mardi Gras ».
Juliette : Oh Miss Thing, please, will you stop!
Miss Thing : Well, le maman de Henri a le droit de connaître le chanson classique.
Juliette : Oui mais c'est bon, Mardi Gras c'est dans six mois, je n'en peux plus de tes chansons.
Miss Thing, un peu vexé : Oh! I see, excuse moi de vous énerver , Mademoiselle Bruxelles. Anyway, je n'ai pas trouvé ce que j'ai cherché. Votre fils est décevant, Maman Henri, ce masque est trop déjà vu! (A Juliette): Je vous rencontre tout à l'heure pour un drink?
Juliette : Je ne sais pas ce que va faire Henri (elle désigne la maman de la tête) Je te retrouverai peut être, ne m'attend pas. Tu ne travailles pas?
Miss Thing : Not tonight darling...Ok, le nuit est encore jeune! Il pose le masque et le boa.
Tu du lu! Ca veut dire au revoir!
Il sort avec un signe de la main.
Jacqueline : Mademoiselle Bruxelles?
Juliette : Pour Miss Thing, tout le monde est une mademoiselle! Quand je l'ai rencontré, il m'a demandé dans quelle partie de la France se trouvait la Belgique! Il a adoré le nom de la capitale ça lui rappelait les choux que sa mère lui faisait à manger !
Jacqueline : Vous êtes ici depuis longtemps?
Juliette : Je suis arrivée comme Henri, il y a deux ans. On fait partie du même groupe.
Jacqueline : Vous êtes enseignante aussi?
Juliette : Oui, mais moi c'est mon premier poste, je n'avais jamais enseigné en Belgique.
Jacqueline : Si jeunes et déjà loin de la maison...Tous tombés du nid...
Juliette : Henri a vingt-cinq ans, ce n'est plus vraiment un adolescent. Je vais m'habiller, je vous laisse quelques minutes.
Jacqueline : J'espère qu'Henri ne va pas trop tarder, je commence à me sentir un peu fatiguée.
Juliette va dans sa chambre, Jacqueline s'assoupit sur le canapé. On entend à nouveau quelques notes de saxophone, et le bruit de la pluie, lourde et épaisse qui s'est mise à tomber.
Henri entre doucement. Brun, vingt-cinq ans, jean et tee shirt blanc. Il se dirige vers le canapé, regarde sa mère endormie, lui caresse la joue.
Jacqueline, se réveille brusquement : Ah, c'est toi, je m'étais endormie.
Henri s'assoit : Bonjour maman. (Il l'embrasse). Je n'ai pas pu t'attendre, je suis désolé, tu as trouvé facilement?
Jacqueline : Tu sais bien que j'ai toujours su me débrouiller, mon anglais est un peu rustique mais encore efficace.
Henri : Tu as faim?
Jacqueline : Non, quelle heure est-il ?
Henri : Sept heures passées
Jacqueline : Seulement?
Henri : Deux heures du matin pour toi, il est temps de faire dodo.
Jacqueline : Mais laisse moi arriver, te voir un peu. Et puis je n'ai pas envie de me réveiller à quatre heures du matin, je dois lutter un peu contre le sommeil.( Elle s'éponge à nouveau le front) C'est épouvantable cette moiteur, je crois qu'une bonne douche me ferait du bien, enfin, si elle est libre...
Henri : Mais oui, pourquoi?
Jacqueline : Je ne sais pas, il y avait une jeune fille tout à l'heure qui semblait l'occuper.
Henri : Tu as rencontré Juliette?
Jacqueline : Evidemment, j'ai cru m'être trompée d'appartement. Tu aurais pu me prévenir.
Henri : Elle a emménagé il y a trois mois, c'était provisoire, et finalement on s'est dit que ça nous faisait faire des économies à tous les deux. Elle est très drôle tu vas voir, on s'entend très bien.
Jacqueline : Comment va-t-elle faire quand tu vas revenir, elle va se retrouver toute seule avec le loyer.
Henri : Maman, tu ne vas pas commencer. Je ne rentre pas à Paris, je reste ici.
Jacqueline : Et tu laisses ton père s'éteindre tout seul à l'hôpital?
Henri : J'ai moi aussi quelqu'un à l'hôpital.
Jacqueline :Mais tu ne vas tout de même pas faire passer ce garçon avant ton père?
Henri : Ce garçon s'appelle Mark, et il a besoin de moi à son côté.
Jacqueline :Je comprends mon chéri, mais dans la vie il est dangereux de se laisser toujours guider par son coeur.
Henri : Encore faut-il en avoir un, maman.
Jacqueline reste choquée et ne peut répondre, Juliette arrive de sa chambre, habillée, petite jupe de coton et tee shirt.
Juliette : Il va mieux ?
Henri : La fièvre est un peu retombée. Il est toujours en aplasie, il s'est rendormi quand le j'ai laissé, il ne voulait pas que je loupe ma mère.
Juliette : Le traitement a des effets ?
Henri : Je n'ai pas vu les médecins, il n'y a personne le week end, il faudra attendre lundi je pense.
Juliette : Je peux passer demain à l'hôpital si tu veux, pour te laisser un peu de temps avec ta maman.
Henri : Je te remercie, on n'a pas encore fait le programme, tu veux faire quoi maman?
Jacqueline : Je n'ai pas trop la tête au tourisme mon chéri, tu sais que je ne reste que trois jours, je veux passer un peu de temps avec toi, et t'aider à t'organiser pour ton retour, si tu as besoin de moi bien sûr, je ne veux rien t'imposer.
Henri regarde Juliette : Tu comprends pourquoi je suis têtu, j'ai de qui tenir.
Jacqueline : Si vous le permettez tous les deux, j'aimerais bien prendre une douche si la salle de bains est libre. Cette chaleur m'oppresse.
Henri : Bien sûr maman, tu peux mettre tes affaires dans ma chambre et t'installer. C'est au fond à gauche. Tu veux que je t'aide?
Jacqueline prend sa valise : Non, je n'ai pas emporté grand chose tu sais.
Elle s'arrête à la fenêtre .
Jacqueline : Cette pluie paraît aussi lourde que la chaleur. Il est magnifique ce bananier. (Un silence) Juliette m'a dit que tu devais me parler de Tennessee Williams.
Henri s'approche de la fenêtre : Tu vois cette maison derrière le magnolia, elle donne sur la rue Dumaine. C'est là qu'il habitait quand il venait à La Nouvelle Orléans. Elle est restée vide depuis sa mort. Les nuits de pluie comme celle-ci, on dit qu'une ombre vient s'y promener. On pense que c'est son fantôme et qu'on l'entend appeler « Rose, Rose! »
Jacqueline :Rose?
Henri : C'était sa soeur, sa mère l'avait faite lobotomisée.
Jacqueline : Quelle horreur! Pourquoi donc?
Henri : C'était dans les années trente, on la disait atteinte de démence précoce, elle était surtout un peu nymphomane et ça ne cadrait pas trop avec la famille puritaine.
Jacqueline : Mais comment une mère peut-elle se montrer si cruelle envers son enfant?
Henri : Oui, comment? (silence) Tu entends le bruit des gouttes sur les feuilles du bananier ? Les nuits comme celle-ci, je me lève pour guetter le fantôme de Tennessee, je ne l'ai encore jamais vu, mais j'aime bien savoir qu'il est là, quelque part...
Miss Thing entre tout excité : Hurricane girls, hurricane! Je suis toute trempée mouillée.
Jacqueline : Hurricane?
Miss Thing : Oui Maman Henri, ils ont dit dans le télé, c'est peut-être la ouragan qui va venir sur New Orleans.
Juliette : Ici ils ont l'habitude, c'est devenu le nom d'un cocktail.
Miss Thing : Oui, et on s'enferme dans les bars en buvant et en attendant qu'elle passe. Celle qui arrive s'appelle Katrina, comme l'impératrice de Russie, elle va être méchante, je l'adore.
Henri : Miss Thing, je vois que tu as déjà été présenté à maman, elle est fatiguée, on te retrouve plus tard?
Miss Thing, vexé : Oh all right, je comprends darling, je sais me faire disparaître.
Vous savez où me trouver si vous avez besoin. (Il repart).
Jacqueline : C'est grave cet ouragan?
Juliette: Oh, c'est la saison, ils passent toujours à côté, on est juste bon pour plusieurs jours de pluie et un peu de vent.
Jacqueline : Si ça pouvait apporter un peu de fraîcheur, ça ne serait pas plus mal, je vais prendre ma douche. (Elle sort par le couloir)
Henri revient s'asseoir à côté de Juliette.
Juliette : Elle est persuadée que tu vas rentrer avec elle?
Henri : Elle n'a jamais accepté d'écouter les autres. Je pense que si mon père a un cancer, c'est la seule façon qu'il a trouvé de la fuir.
Juliette : C'est horrible ce que tu dis.
Henri : Elle a besoin de tout dominer partout où elle passe, je ne sais pas si elle n'est pas pire qu'un ouragan.
Juliette : Et ton père? Tu ne vas pas le voir?
Henri : Mark est trop mal, je ne peux pas le laisser.
Juliette : Mais ton père va mourir...
Henri : Mon père refuse de me voir comme je suis, il déteste et méprise les homos, quand il me regardait je me demandais s'il n'y avait pas de la haine dans ses yeux.
Juliette : Si tu gardes ta colère après sa mort, tu le regretteras, elle sera ton fantôme à jamais.
Henri : La seule chose qui me hante est la peur de perdre Mark. J'ai fait mon choix.
Juliette, lui fait un bisou sur le front : J'espère que tu as raison et que tu ne seras pas malheureux. (Elle se lève) Bon je vais retrouver Miss Thing au Laffitte.
Henri : Tu vas retrouver Miss Thing ou le barman qui travaille ce soir?
Juliette : Il se trouve effectivement que David travaille ce soir, mais ne n'est qu'un hasard.
Henri : Laisse tomber les barmen, ce sont des créatures qui ne brillent que la nuit.
Juliette : Oui mais je suis comme Blanche Dubois, un petit papillon attiré par la lumière.
Henri : Et qui va...
Juliette : ...se griller les ailes, je sais. Cette ville nous perdra! Bye bye! (Elle sort)
Henri retourne près de la fenêtre. Sa mère revient de la salle de bains et s'approche de lui.
Jacqueline : Tu guettes le fantôme de Tennessee Williams?
Henri : Quand il y a du vent, je crois l'entendre appeler. Cette ville lui ressemble, j'ai l'impression que tous ses personnages sont autour de moi. Juliette, Miss Thing, pour moi aussi ils sont un peu en verre, fragiles. Ce sont mes amis, et Mark, c'est ma licorne, tu comprends, il est différent, unique. C'est celui qu'on ne trouve qu'une fois.
Jacqueline : Ce sont tes idées, tes rêves mon chéri qui sont en verre. Et j'ai tellement peur qu'ils se brisent un jour.
Henri : Non, ce n'est pas possible, je les aime trop.
Lumière s'éteint.
Lendemain milieu de journée, même décor, fenêtre ouverte et la pluie tombe toujours dehors.
Jacqueline lit un magazine sur le canapé.
Henri, Juliette et Miss Thing jouent au jeu des devinettes par mime.
Miss Thing : Well, (il mime une caméra)
Juliette : Film!
Miss Thing : aussi ( il mime un acteur qui déclame)
Henri : Théâtre !
Miss Thing : yes (il compte sur ses doigts et montre six doigts)
Juliette : six mots
Miss Thing fait oui de la tête. Il se met à quatre pattes.
Henri aussitôt : La chatte sur un toit brûlant!
Miss Thing se relève avec un grand sourire et minaude : Damn I'm good, je suis trop bon!
Juliette un peu énervée : Non, vous trichez tous les deux, comment tu as deviné si vite! Je ne joue plus avec vous!
Miss Thing : Darling quand tu es à quatre jambes à New Orleans tu es toujours un chatte!
Juliette : On dit à quatre pattes, et pour ce qui est de faire la chatte, tu as l'air de très bien t'y connaître !
Henri un peu gêné lance un regard vers sa mère : Bon on va peut-être arrêter là.
Qui va nous chercher une pizza?
Miss Thing : Great! Tu viens Juliette, on va chez Mama Rosa, c'est moi qui traite.
Juliette, en sortant avec lui : On dit c'est moi qui paye.
Jacqueline en posant son magazine : Ils sont un peu gamins tes amis. Je ne sais pas comment tu fais, je t'ai connu plus sérieux.
Henri : Maman, tu n'es pas heureuse de me voir comme en famille ?
Jacqueline : En famille? Dieu merci, je ne t'ai pas élevé comme cela.
Henri : Justement, peut-être que j'ai manqué de « gamineries ».
Jacqueline : Henri, je n'ai pas la tête aux gamineries, ton père est au plus mal, je suis venue pour te demander de rentrer avec moi. J'attends que tu commences à te préparer. Tu n'as plus trop le temps tu sais.
Henri : Maman tu ne tiens pas compte de mes sentiments, de tout ce que je t'ai dit, de ma vie. Comme d'habitude, tu ne m'écoutes pas.
Jacqueline : J'ai appelé le Rectorat à Paris avant de partir, il reste des postes de dernière minute, tu peux encore faire la rentrée, il n'est pas trop tard.
Henri la regarde sans répondre.
Jacqueline : Je comprends, tu as passé de très bons moments ici, tu as rencontré des gens, tu as grandi en fait loin de nous, tu es devenu toi-même et j'en suis très heureuse mon chéri, mais tout a une fin. Tu ne peux quand même pas imaginer t'installer ici, ne plus revenir, tout cela est provisoire, tu ne peux garder ton travail indéfiniment, plus tu attends et plus ce sera difficile pour toi de rentrer.
Henri : Il y a toujours une solution, j'ai plusieurs idées pour m'installer ici.
Jacqueline : C'est de la folie, Henri je n'ai pas besoin de cela en ce moment. Et ton père, tu l'abandonnes sur son lit d'hôpital, tu oserais ne pas lui dire au revoir?
Henri : Il y a longtemps que lui m'a dit au revoir. C'est lui qui m'a rejeté, je n'ai aucune raison de retourner vers lui.
Le téléphone sonne, Jacqueline sursaute, Henri aussi, il décroche.
Henri : Allo? Yes, speaking. (écoute) Oh ok, (il sourit) great, thank you, tell him I'll be there very shortly. Il racroche
C'est l'hôpital, Mark n'est plus en aplasie, le traitement semble faire effet, la fièvre est tombée.
Jacqueline : Et bien tu vois, tout s'arrange, tu vas pouvoir rentrer avec moi.
Henri : Il n'est plus en aplasie maman, mais il est loin d'être tiré d'affaire. C'est beaucoup plus compliqué.
Jacqueline : Au moins revenir quelques jours, voir ton père, tu ne peux pas le laisser partir comme ça. Fais le pour moi, tu ne peux pas me laisser rentrer seule.
Henri : Non maman, tu ne me feras pas culpabiliser. J'ai pris ma décision il y a longtemps, ma vie est ici.
Jacqueline : Ici? Dans cette ville étrangère, loin de ta famille, avec cette fille un peu écervelée et cette «Mademoiselle Chose » plutôt dégénérée ?
Henri : Le masque se fissure, hein maman, c'est ce que tu penses aussi de moi malgré les apparences, tu n'as pas accepté!
Jacqueline : Mais pas du tout, toi je t'aime comme tu es, mais tu n'es pas cette « chose » tout de même contre nature.
Miss Thing et Juliette rentrent en portant chacun un carton de pizza.
Miss Thing : Le nature est en colère, Maman Henri, le nature est très en colère!
Juliette : On a écouté la télé au restaurant, l'ouragan va peut-être arriver sur nous cette fois. Si ça se confirme, demain ils conseilleront sûrement d'évacuer la ville ou de rejoindre les abris.
Miss Thing : Oulala, Katrina, prends moi, prends moi!
Jacqueline : Henri décide toi!
Henri (à Juliette) : Mark n'est plus en aplasie, je vais le voir.
Il sort.
Miss Thing ouvre les deux cartons de pizza sur la table.
Miss Thing : Pepperoni ou champignons?
Juliette (à Jacqueline ) : Vous voulez manger un peu?
Jacqueline : Oui je vous remercie.
Elle s'assoit à table.
Juliette : Il est difficile à convaincre.
Jacqueline : Je ne comprends pas pourquoi il refuse de venir voir son père.
Miss Thing : Moi c'est mon mère qui refuse de me voir
Jacqueline :Ah oui? Parce que vous êtes...
Miss Thing : Gay? Oh no, ça c'est elle qui me l'a dit!
Jacqueline le regarde sans comprendre.
Miss Thing : Oui, quand j'étais seize ans, j'ai dit que je voulais marier le fille de la voisine, et mon mère m'a dit : Mais Trevor (c'est mon nom réel, God je le déteste!) arrête de dire des stupides choses, tu es gay!
Jacqueline : Et vous n'avez rien dit?
Miss Thing : Oh si, j'ai dit Oh, ok, alors prête moi tes robes!
Jacqueline : Et pourquoi elle ne veut plus vous voir ?
Miss Thing : Elle veut que je sois professeur comme elle.
Jacqueline : C'est quand même mieux que barman.
Miss Thing : Oh mais honey, ça c'est juste pour les dollars, et le fun...Je veux être comment tu dis Juliette « fashion designer »
Juliette : Styliste.
Jacqueline : Ah oui, un choix classique
Miss Thing : Tu préfères que je suis coiffeuse?
Jacqueline : Votre maman n'est pas malheureuse de ne plus vous voir?
Miss Thing : no, c'est moi que je suis malheureuse. Je vais encore appeler mes soeurs pour Thanksgiving, je veux qu'elle me laisse visiter la famille.
Jacqueline : Et votre père?
Miss Thing : Oh lui il me téléphone, je le fais rire, il dit que styliste je vais gagner beaucoup de dollars, il est content.
Jacqueline : Votre maman doit être très triste, je suis sûre que vous lui manquez. C'est très dur pour une mère de se disputer avec ses enfants. On est trop fragile.
Miss Thing : Oh! Elle n'est pas fragile, c'est une big mama, elle me fait peur.
Juliette : Arrête, Miss Thing, tu n'as pas peur de ta mère.
Jacqueline : Et vous, Juliette, ça vous plaît d'enseigner le français aux petits américains?
Juliette : Oh, je ne sais pas trop. Mais je prends des cours de théâtre à l'université, on va monter une pièce, et ça c'est vraiment un grand plaisir, tout est mieux ici, tout paraît plus facile, tout paraît possible.
Jacqueline : Je ne veux pas vous vexer, mais vous n'avez pas trop l'accent belge.
Juliette : Non, je suis allée à l'école à côté de Paris quand j'étais petite, Papa travaillait dans une entreprise française.
Jacqueline : Vos parents ne vous manquent pas?
Juliette : Papa est mort juste l'année de sa retraite, maman est restée avec ma sœur. Elle a besoin de toute son attention. Enfin plus que moi, c'est comme ça... De toute façon je ne pense pas qu'on doive toujours organiser sa vie en fonction de ses parents. Ils peuvent nous manquer mais on ne va pas pour cela passer toute notre vie avec eux.
Miss Thing : Comme ça on est content de les retrouver, et après très content de les laisser.
Juliette : Quitter
Miss Thing : Oui Mademoiselle la professeure!
Jacqueline : Il fait plus chaud à nouveau je trouve.
Elle se lève et va vers la fenêtre.
Jacqueline : Je ne sais pas comment convaincre Henri de venir voir son père une dernière fois.
Juliette : Il a très peur de laisser Mark.
Jacqueline : Ce ...garçon, Mark, vous le connaissez?
Juliette : Bien sûr, il est assistant à l'université, c'est quelqu'un de vraiment bien.
Miss Thing : Oh mon mère l'adorerait! Eh, tu sais, ça c'est une idée, peut-être que si je marie un professeur, elle voudrait que je la voie?
Jacqueline : Mark, il est très malade ? C'est le ...sida?
Miss Thing: Oh grandis un peu Maman Henri, c'est pas parce que on est gay que on a le AIDS, on a aussi le droit d'avoir les autres maladies, comme tout le monde, on peut avoir le cancer, le Alzheimer...Et aussi on peut être très malade parce que les autres qui n'aiment pas les gays ils nous attaquent et ils nous tapent dessus!
Je vais écouter la télé dans ton chambre voir si Katrina est sur son chemin.
Il part dans la chambre de Juliette.
Jacqueline : Je ne voulais pas le vexer.
Juliette: Oh, il n'est pas vexé, seulement un peu... « dramatique ». Mais la communauté gay ici est très solidaire.
Jacqueline : C'est terrible ce qui est arrivé, il a été atteint gravement?
Juliette : Il a été attaqué un soir en sortant de l'Université par des espèces de tarés anti-gay. Son foie a été touché, on essaie des traitements pour ne pas le lui ôter, mais il est très sensible aux infections maintenant, enfin je ne comprends pas trop ce qu'il a exactement. Henri est très inquiet bien sûr.
Jacqueline regardant par la fenêtre : Comment peut on haïr et détruire à ce point un autre être humain? Au nom de quoi?
Juliette : Vous voyez, sans vouloir être désagréable, je suis beaucoup plus jeune que vous, mais ça fait longtemps que je me pose la question.
Miss Thing revient de la chambre.
Miss Thing : Oulala, Katrina devient très très grosse, je vais au Laffitte voir si je travaille demain.
Juliette : Je viens avec toi.
Miss Thing : Mais je ne crois pas que David travaille maintenant...
Juliette : Trevor, stop it!
Miss Thing faussement en colère et sortant avec elle : Ouh, ça c'est très, très bas,et méchant, m'appeler par mon nom réel, tu attends seulement, girl, mon revanche sera terrible!
Ils rient et sortent. Jacqueline va prendre sa valise dans un coin du salon, l'ouvre sur le canapé, et commence à ranger ses affaires. Elle s'arrête près de la fenêtre et regarde au dehors.
A nouveau bruit de pluie et air de saxophone.
Henri rentre tout mouillé.
Henri, regarde la valise ouverte : Tu as fait ta valise?
Jacqueline toujours à la fenêtre : Oui, je vais partir demain matin, je ne vais pas te traîner par la force. Puisque tu préfères rester ici et vivre avec tes fantômes.
Henri : Tu as raison, l'ouragan risque vraiment de venir sur nous, il vaut mieux que tu rentres maintenant. Et puisque tu le demandes, Mark va un peu mieux, il te dit bonjour, et regrette de ne pas pouvoir te rencontrer.
Jacqueline : Juliette m'a raconté ce qu'on lui a fait, je suis désolée mon chéri, c'est terrible.
Henri : Oui, j'ai du mal à oublier ma colère. J'aimerais tellement pouvoir rendre à mon tour ce qu'on lui a fait. Mais ce n'est pas une solution n'est-ce pas, la violence? Il faut savoir être plus intelligent que ces minables!
Jacqueline : Je la comprends ta colère maintenant, tout cela est tellement injuste. Mais ne te retourne pas contre ton père, ne te venge pas sur lui. J'ai besoin de toi auprès de moi, je n'ai pas la force de rester seule. Je ne comprends pas que tu sois si dur avec moi (Elle s'assoit sur le canapé et commence à pleurer).
Henri : Ne pleure pas maman, s'il te plaît, cela n'arrangera rien. Je suis triste pour toi, je ne te laisserai pas seule, mais je ne veux plus voir papa, c'est un mot qui ne veut plus rien dire pour moi, c'est lui qui a tout brisé.
Jacqueline : Tu ne le comprends pas, mais il reste ton père, il t'aime.
Henri : Ah non, je regrette, mais ce n'est pas ma définition du verbe aimer. Il aime l'image qu'il a d'un fils, mais pas moi, il ne m'aime pas.
Jacqueline : C'est à toi de le respecter.
Henri : Ne me parle pas de respect, c'est justement une notion qui lui est totalement étrangère.
Jacqueline : Tu es injuste
Henri : Injuste? Tu te souviens le jour de mes vingt ans? Il voulait me faire un cadeau « spécial ». Je pense qu'il ne t'a jamais dit ce qu'était ce « cadeau »?
Jacqueline : Non il m'avait dit que finalement ce n'était pas une bonne idée.
Henri : Oui, c'est le moins qu'on puisse dire. Je vais te la dire son idée. Il avait décidé de m'emmener dans un club très particulier à Paris, un endroit qu'il connaissait. Oh rien de vulgaire, hein, pas un bar à putes de Pigalle, non, un endroit plein de mecs très biens, comme lui, très classe, avec du jazz en fond musical pour faire sérieux.
On s'est assis prendre un verre à une table, des filles venaient nous dire bonjour. Il m'a dit « Tu l'aimes bien celle la? Vas y, je te l'offre, c'est ton cadeau d'anniversaire ».
J'étais mortifié, même pas furieux, je n'ai pas osé dire non et partir en courant, je suis monté avec elle, une Ukrainienne, on a parlé une demi-heure, enfin avec le peu qu'elle connaissait de français, c'était pathétique. Quand je suis redescendu, il m'attendait avec un grand sourire qui voulait dire « Alors mon fils, tu es enfin un homme, comme moi! ».
Je ne lui pas adressé la parole, je ne savais pas si je devais être triste ou révolté, j'étais simplement déçu, dégoûté.
Voilà, rien qu'en te le racontant j'ai honte pour lui. C'était ça pour lui être un père? Et tu me trouves injuste? Tu me parles de respect?
Je ne suis pas son fils, je ne suis pas le fils qu'il voulait, comment veux tu que je lui rende un amour qu'il ne m'a pas donné ? (Henri pleure doucement)
Silence, bruit de pluie.
Jacqueline se lève et retourne vers la fenêtre. Elle regarde au dehors.
Jacqueline : Comme elle a du souffrir cette petite Rose. Quelle peine lui ont infligé ses parents, que de douleur dans ce corps de jeune fille...
Henri : Je t'ai fait mal, maman. Je n'aurai pas du te raconter tout ça, je suis désolé.
Jacqueline : C'est nous mon fils qui t'avons fait du mal. On t'a fait comme à Rose, on a voulu cacher qui tu étais.
Henri : Ce n'est pas toi maman.
Jacqueline : Si, c'est aussi un peu moi, je faisais semblant de ne pas voir. Je faisais semblant de ne pas t'entendre crier dans la nuit.
Jacqueline le prend par les épaules : Je te demande pardon pour lui, je te demande pardon. (Elle l'embrasse sur le front)
Henri, lui prend les mains et la regarde : Je ne peux pas maman, je ne peux pas. Je suis désolé.
Jacqueline soudain fatiguée : Eh bien reste ! Vis avec tes personnages de verre. Je ne sais plus quoi te dire, je ne vais pas me mettre à genoux. J'abandonne.
Il repart. Jacqueline reste seule, s'assoit sur le canapé.
Le téléphone sonne. Jacqueline hésite, elle décroche.
Jacqueline : Allô ? oui c'est Jacqueline Deferre. (silence) Oui oui, je suis toujours là, je vous écoute. (silence) Bien sûr, je rentre tout de suite, je vous appellerai de l'aéroport pour vous confirmer mes horaires, c'est un peu compliqué en ce moment ici. (Elle raccroche et prend sa tête dans ses mains)
Juliette rentre en courant : Ca ne s'arrange pas. Henri est revenu ? (Pause)
Vous allez bien ?
Jacqueline : Mon mari n'est plus. Et mon fils est devenu un étranger. Je me sens vraiment dans l'oeil du cyclone.
Juliette s'assoit prés d'elle : Ce n'est pas vous qu'Henri rejette. Il ne faut pas lui en vouloir.
Jacqueline : Je ne lui en veux pas. Je le comprends maintenant. Ce qu'il m'a raconté sur son père est assez détestable. J'ai fermé les yeux sur l'attitude de mon mari envers Henri. Quelque part je suis aussi un peu complice.
Juliette : J'imagine qu'il est difficile pour une mère de prendre parti entre son mari et son fils. Vous ne pouviez pas faire autrement.
Jacqueline : Mais il restera avec l'image de ce père à jamais hostile désormais. Et cela est aussi injuste. Il l'aimait. Peut-être pas comme il aurait du, mais il l'aimait, c'était son unique fils. Il avait placé tellement d'espoirs en lui.
Juliette souriant tristement : En vous écoutant, je me dis que le monde est fait d'histoires ainsi depuis la nuit des temps. J'ai l'impression que tout se répète, éternellement. Des parents qui espèrent des enfants à leur image, des enfants qui voudraient des parents différents.
Jacqueline : Mais vous avez une sœur, ce ne doit pas être pareil. J'imagine que votre mère, et votre père quand il était vivant, étaient un peu moins exigeants. Quand on a deux enfants, forcément, on doit leur laisser un peu plus de liberté...
Juliette : Oh, moi j'avais une liberté totale. Je me demandais même si mes parents se rendaient compte que j'existais parfois...
Jacqueline : Ils ne s'occupaient que de votre sœur ?
Juliette : C'était un peu particulier, ils avaient leurs raisons, je peux pas leur en vouloir. C'est aussi pour cela que j'ai voulu partir. Pour exister un peu, ne serait-ce que par mon absence...
Miss Thing entre avec un imperméable transparent et un parapluie.
Miss Thing : Well, les girls, comment vous trouvez ? Pratique et joli ?
Jacqueline et Juliette le regardent sans répondre.
Miss Thing : Oh Excuse moi, suis je interrompu quelque chose ? Ouh, je vois, girls parler, j'adore ! S'il vous plaît, continuez....Mais rapide, Katrina est sur son chemin, et je pense que c'est aussi le nôtre...
Il s'assoit sur le fauteuil.
Juliette : Le père d'Henri est mort. Jacqueline vient de l'apprendre.
Miss Thing : Oh my god, I'm SO SORRY, SO désolé. C'est trop triste, mais tu vois, ici, à New Orleans, on fait de la musique pour les morts et on a des parapluies. Tiens, je te donne le mien. C'est pour les bad spirits, les mauvais esprits. Et pour Katrina, c'est aussi très bien, mais ça peut s'envoler quand même,tu dois faire attention...
Juliette : Miss Thing, please...
Jacqueline : Non, ce n'est rien, merci pour le parapluie, j'aurais appris une tradition.
Je regrette de peut-être insister, mais vous n'avez pas fini pour votre sœur, cela m'intéresse.
Juliette : Eh bien, en fait,(elle hésite, elle regarde Miss Thing) elle a des ...problèmes pour marcher. Elle doit être sur un fauteuil roulant la plupart du temps.
Jacqueline : C'est pour cela que vos parents ne s'occupaient que d'elle ? Vous vous sentiez exclue ?
Juliette : Oui, c'est aussi que...(elle hésite encore) Quand j'avais sept ans, elle en avait cinq, j'ai voulu la prendre sur le porte bagages de mon vélo. Elle ne voulait pas, elle avait peur. Je l'ai forcée. Elle s'est assise, j'ai commencé à rouler vite, elle a eu peur, elle a voulu sauter. Elle s'est fait mal en tombant.
Miss Thing met les mains sur sa bouche, horrifié.
Jacqueline : C'est à cause de cela qu'elle ne pouvait plus marcher ? C'est terrible. Pour elle, pour vos parents et pour vous. Vous vous le reprocherez à jamais.
Juliette : Oui, pendant plusieurs années, j'ai été très malheureuse. Tout le monde était très malheureux. J'avais l'impression que je ne pouvais plus exister, que je passerai toujours après elle. Et puis un jour, les médecins ont découvert qu'elle avait un problème à la colonne vertébrale. Depuis sa naissance. La chute n'y était pour rien, elle aurait eu ces difficultés pour marcher de toute façon.
Miss Thing : Oh, mais tu es la Bruxelles Baby Jane ! C'est magnifique !
Juliette se lève : Je savais que tu dirais ça. Tu le répètes, je t'étrangle !
Jacqueline : La Bruxelles Baby Jane ?
Juliette : Il parle d'un film des années soixante avec Bette Davis et Joan Crawford, un grand classique chez les gays américains.
Miss Thing : Mais tu es, Blanche, tu es sur cette chaise. Ah ah ah ah, c'est mieux qu'au cinéma.
Juliette fonce sur lui : Tu arrêtes tout de suite !
Miss Thing se lève en courant autour du canapé, il s'arrête devant Henri qui vient d'entrer.
Silence. Tout le monde se regarde.
Juliette : Tu viens Miss Thing, je vais préparer mes affaires si on doit évacuer.
Ils vont dans la chambre de Juliette.
Henri : Tu n'es pas obligée de partir, maman. Tu peux attendre ici avec nous, peut-être que l'ouragan ne sera si terrible après tout.
Jacqueline le regarde sans répondre.
Henri : Tu es en colère ? Tu as raison, je n'ai pas le droit de te parler comme cela.
Jacqueline : L'hôpital a appelé.
Panique dans les yeux d'Henri.
Jacqueline : Non, celui de Paris, rassure-toi. Ton père n'est plus, il est parti dans son sommeil, son coeur n'a pas tenu. Ils m'ont dit qu'il n'avait rien senti.
Henri : Oh maman, je suis désolé, tu n'as pas pu être avec lui jusqu'au bout. C'est à cause de moi.
Il vient s'asseoir à côté d'elle.
Jacqueline : Je t'arrête tout de suite. Tu n'as pas à t'en vouloir pour cela.
Elle le prend par les épaules et lui caresse les cheveux.
Henri : Je ne sens rien, c'est terrible. Mon père est mort. J'ai l'impression que ce ne sont que des mots.
Jacqueline : Ne t'inquiète pas, moi aussi. La douleur, c'est comme quand on se coupe, elle vient après. (pause) Il n'y a vraiment rien de bien dont tu souviennes avec lui ? Pas un seul moment où tu étais heureux ?
Henri : C'est drôle que tu me dises ça, je me posais la même question. Et je revois ce jour, c'était comme une fête foraine je crois, avec des manèges. Vous m'aviez fait monter sur cette espèce de tourniquet, tout en bois, il fallait s'asseoir dessus. Je ne savais pas quoi faire, il s'est mis à tourner, de plus en plus vite, tous les enfants glissaient les uns après les autres et sortaient du tourniquet. Je criais « Qu'est ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je dois faire ? » Papa riait, riait, ça l'amusait beaucoup.
Et finalement, j'ai gagné, sans le vouloir, je suis resté le dernier sur le tourniquet. J'ai reçu un jouet. J'étais soudain très fier, et j'ai vu qu'il était très fier de moi aussi. C'était un beau moment.
Jacqueline : Voilà, garde ce moment. Uniquement celui-là, oublie le reste. Souviens toi de ton père ce jour-là.
Henri : Oui, mais toi ? Tu n'étais pas là à la fin, avec lui, tu vas le regretter à jamais.
Jacqueline : Peut-être, c'est un peu difficile à expliquer, mais je me sens libérée tout à coup, un peu comme si cette tempête avait chassé un poids énorme en moi.
Henri : Un poids ? D'être avec lui ?
Jacqueline : Tu sais, Henri, je n'étais de toute façon plus avec lui. J'étais à ses côtés mais il ne me voyait plus, il ne pouvait plus me voir. C'est aussi un peu pour cela que je suis venue vers toi.
Henri : Je ne comprends pas maman.
Jacqueline : J'ai agi égoïstement en venant te chercher. Mais il me fallait quitter cet hôpital, cette chambre où j'étais devenue une étrangère.
Henri : Une étrangère?
Jacqueline : Oui, il n'est pas mort seul, ne crains rien. Ta grand-mère était là, jour après jour, de plus en plus autour de lui, se servant de sa maladie pour enfin reprendre un pouvoir qu'elle n'avait jamais accepté de perdre. Il est mort dans ses bras, ce sera sa victoire finale. J'imagine d'ici son sourire repu sous ses larmes de tragédienne.
Henri : Grand-mère ne t'aime pas ?
Jacqueline : Elle est bien trop fine et intelligente pour le laisser deviner. Elle savait se faire discrète quand il le fallait. Mais elle fait partie de ces gens qui se réalisent dans la maladie et le malheur des autres, qui se nourrissent de la détresse pour se rendre indispensables.
Henri : Mais pourquoi voulait elle prendre ta place?
Jacqueline :Elle attendait ce moment depuis vingt-cinq ans. M'évincer pour retrouver son fils chéri qui méritait bien mieux que moi, la fille infidèle.
Henri : Infidèle? Toi?
Jacqueline :A ses yeux oui. Je peux bien te raconter cela maintenant, quelle importance. Le jour de notre mariage, mon amie Edith était venue avec son amoureux de l'époque, Bertrand. J'aurais du refuser, mais je n'avais pas osé froisser Edith. Bertrand et moi avions eu une petite histoire, plusieurs mois avant que je rencontre ton père. Avant la cérémonie tout le monde s'était retrouvé à la maison, au moment de partir à l'église, Bertrand est monté me voir dans ma chambre. Il voulait me faire dire que je ne regrettais pas, que je l'avais oublié totalement, ce qui était vrai pour moi. Il m'a demandé un dernier baiser, je ne sais pas pourquoi, j'ai voulu lui faire plaisir, pour qu'il me laisse tranquille. Ta grand-mère nous a surpris juste à ce moment-là. Elle ne m'a jamais laissé l'occasion de lui expliquer exactement. Pour elle, j'avais trompé son fils. A l'église au moment de dire oui, je sentais son regard dans mon dos. Ton père a pris mon instant d'hésitation pour l'émotion du moment. Mais c'est elle qui me glaçait de terreur. Nous n'avons jamais pu en reparler, j'étais la femme infidèle de son fils.
Henri : C'est incroyable, elle s'est bien rendue compte par la suite que tu ne voyais plus ce type.
Jacqueline : Elle était trop heureuse d'avoir un motif de grief à mon égard. Elle aurait trouvé autre chose de toute façon. Elle ne supportait pas l'idée qu'une autre femme lui enlève son garçon. Elle a même eu le culot et la cruauté un jour de me faire comprendre qu'elle doutait de ta paternité.
Henri : Et tu n'as rien dit à papa?
Jacqueline : Autant attaquer la vierge Marie. Sa mère était une sainte. Je ne pouvais pas, je devais faire semblant tout en me méfiant des manigances de ta grand-mère. Ce fut un combat souterrain pendant vingt-cinq ans. La vieille peau doit savourer sa victoire. Elle a retrouvé son fils pour elle toute seule. J'espère seulement qu'elle le rejoindra bientôt.
Henri : Je comprends maintenant, j'ai toujours trouvé grand-mère un peu froide. Ce n'était pas la mamie que j'espérais, qui me ferait des gâteaux et des chocolats chauds. Je mettais cela sur son éducation. En fait, elle pensait que j'étais un étranger. Et on sait ce qu'elle pense des étrangers, ce n'est pas très joli. Cela va bien avec son admiration pour le Maréchal Pétain.
Juliette et Miss Thing revienne précipitamment.
Juliette : L'ouragan arrive droit sur la ville, Henri, l'aéroport va fermer dans trois heures, il va falloir se barricader ou rejoindre les refuges.
Jacqueline : Il est si violent que cela?
Juliette : Ce n'est pas tant sa force, c'est surtout les inondations qu'il peut provoquer. On craint pour les digues, tout le long du lac Pontchartrain. Toute une partie de la ville est construite sous le niveau de la mer, cela peut être désastreux.
Miss Thing : No way, je ne vais pas être enfermé avec des tas de personnes et des bébés qui pleurent et qui font pipi, il faudra passer sur mon corps mort.
Juliette: Oui et bien ton corps, il flottera avec celui de beaucoup d'autres si tu ne viens pas avec nous.
Miss Thing : Mais je dois prendre mon costume, je veux le mettre une dernière fois.
Juliette : Miss Thing, arrête, on n'a pas le temps pour ça.
Miss Thing : Ah oui, et toi? Tu as dit comme ta chanteuse Dalila, tu voulais mourir sur le scène tirée pas les lasers.
Juliette : Oui d'abord elle s'appelait Dalida, et elle voulait être fusillée par les lasers. Tu n'as pas bien appris les paroles.
La lumière vacille un instant, puis s'éteint. Tout est dans le noir.
Miss Thing : oulala, c'est comme le back-room. Henri je vais t'attraper...
Henri : Arrête Miss Thing, ce n'est pas drôle. Juliette tu sais où sont les bougies ?
Juliette : Oui, dans la cuisine, je vais les chercher.
On entend quelques bruits, puis Juliette revient avec deux bougies allumées.
Henri va à la fenêtre : Toute la ville est dans le noir.
Jacqueline : Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Tu crois que je peux aller à l'aéroport ?
Henri : Non, pas pour le moment, je préfère que tu attendes avec nous. Ca ne sert à rien d'y aller tout de suite.
Juliette : Qu'est-ce que tu fais Miss Thing ?
Miss Thing à genoux : C'est les bougies comme l'église, je prie la Sainte Vierge Marie.
Juliette : Tu es catholique ?
Miss Thing : Non, et alors ? J'aime beaucoup sa robe, elle le sait, elle peut m'aider.
Henri : Venez vous asseoir, on va attendre un peu si l'électricité revient. On ne peut pas sortir comme ça.
Juliette : Et si on racontait des histoires qui font peur ?
Miss Thing : Oh moi j'ai jamais peur, je suis trop butch, comment tu tu dis ?
Juliette : Viril ? Pffffff
On entend des coups de marteaux.
Miss Thing paniqué : Oh my God ! Oh my God ! On nous ferme dans le maison ! Help, attendez !
Henri : Mais calme-toi, ce sont les voisins en face, ils clouent des planches aux fenêtres.
Jacqueline : Et vous ?
Henri : On est à l'abri des grosses rafales. On ne craint rien.
Juliette : On se croirait dans La Cerisaie, la pièce de Tchekhov. Ils ferment la grande maison à la fin, tout le monde s'en va, on n'entend plus que le bruit d'une hache qui coupe les arbres. Et ils oublient le vieux domestique à l'intérieur.
Miss Thing : Oh no, je veux pas être oublié.
Jacqueline : Mais non, on est là. Vous voulez que je vous raconte une histoire ?
Miss Thing : Elle fait peur ?
Jacqueline : Non, elle est plutôt drôle, c'est Henri quand il était petit.
Henri : Moi ?
Jacqueline : Oui, tu devais avoir cinq ans, et tu refusais de manger ton dîner. Pour te punir, on t'avait enfermé dans un petit cagibi sans lumière à côté de la cuisine. A l'époque on était plutôt sévère avec les enfants. On t'avait oublié mais à la fin du repas, on a entendu une petite voix crier dans le cagibi : « Pommes de terres ! Carottes ! Marchand de légumes ! »
Miss Thing : Il jouait à la marchande ?
Jacqueline : Oui, il voulait nous montrer qu'il n'avait pas peur. Il s'amusait avec les légumes qu'on gardait là.
Juliette : Déjà tu aimais défier tes parents...
Henri : Oh, maman, pourquoi tu leur racontes ça ?
Miss Thing : Dans le back-room aussi je joue avec les légumes...
Henri : Miss Thing, stop it !
Miss Thing : ooops, je digresse, et si on jouait « truth or dare » ?
Jacqueline : Qu'est-ce que c'est ?
Juliette : Oh non, c'est dire la vérité ou avoir un gage.
Miss Thing : Vérité Juliette, qui est ton amoureux ?
Juliette : Oh ce n'est pas un secret hein ? Et toi Miss Thing, vérité, tu es amoureux ?
Miss Thing en colère : Tu es encore plus méchante que Katrina, tu sais très bien.
Juliette se tait, gênée. Jacqueline regarde Henri.
La lumière revient.
Henri : Ce n'était qu'une alerte. Il faut en profiter. Maman, si tu es toujours décidée, c'est maintenant je pense.
Jacqueline : Oui, tu peux m'appeler un taxi.
Henri : Tu es sûre de ne pas vouloir attendre ?
Jacqueline : J'ai bien réfléchi en vous écoutant dans le noir. J'ai pris ma décision. On va se venger. Tu vas me venger. Mets-toi à l'abri, reste avec Mark, sois heureux avec lui, vis ce que tu dois vivre. Je me ferai une joie d'annoncer à ta grand-mère qu'elle n'aura pas d'arrière-petit enfant, qu'elle n'aura pas de descendance, que son sang s'éteindra avec elle. J'aurai au moins ce plaisir grâce à toi, de lui dire qu'elle mourra seule et qu'elle ne survivra pas à travers son fils.
Miss Thing et Juliette se regardent étonnés.
Henri : Tu sais aux Etats-Unis beaucoup de couples homosexuels adoptent un enfant.
Jacqueline : Très bien, je serai heureuse d'avoir un petit fils ou une petite fille. Mais ce ne sera plus la lignée de ta grand-mère. Tu commenceras une nouvelle famille, sans lien avec elle ou ton père. Tu commenceras quelque chose à toi, uniquement. Sois heureux, c'est le plus beau cadeau que tu puisses me faire.
Henri : Merci maman, ils vont sûrement évacuer l'hôpital, je vais rester avec Mark. J'aurai beaucoup de choses à lui raconter.
Jacqueline prend sa valise, embrasse Juliette et Miss Thing : Au revoir Juliette, au revoir « Mademoiselle Chose », je ne sais pas si vous êtes en verre, mais je sais que vous êtes réels, prenez soin de vous, prenez soin de mon fils. Et n'oubliez pas vos parents, ils vous aiment.
Miss Thing : En verre? Oh, no, tu lis trop Tennessee Williams, ce n'est pas un zoo ici, pas une ménagerie. Viens avec moi, je sais où est les taxis sur la rue Chartres à côté de la cathédrale, ce sera plus rapide que le téléphone. Je prends ton valise, c'est moi qui sentirai un peu comme Blanche Dubois.
Henri embrasse sa mère : Au revoir maman, je t'appellerai pour te dire où nous sommes. Dés que tout cela sera passé je viendrai te voir je te le promets.
Jacqueline sort avec Miss Thing.
Juliette : Elle repart sans toi? Tu l'as envoûtée?
Henri : Non, disons plutôt qu'elle a brisé un sort si tu veux parler magie.
Juliette : Tu m'expliqueras tout ce qu'elle a dit ?
Henri : Mon père est mort.
Juliette : Oui je sais, je suis désolée, mais que lui as tu dit? Je ne comprends pas.
Henri : En fait moi je ne lui ai rien vraiment dit. C'est plutôt elle qui avait son histoire à me raconter. On n'a pas trop le temps maintenant, mais je suis un peu sonné. J'ai l'impression d'être dans un rêve.
Juliette : Bon, j'attendrai, mais je suis tellement contente que tu restes, cet ouragan me fait un peu peur tout de même.
Henri : Tu penses bien que je n'allais pas vous laisser, toi, Mark et Miss Thing. On passera l'ouragan ensemble, c'est une belle image je trouve. Je vais prendre quelques affaires, tu devrais aussi.
Juliette : Tu es sûr que ça va? Je veux dire tu ne veux pas rentrer avec ta mère?
Henri : Je t'assure, je suis bien mieux ici. Elle aussi doit affronter ses fantômes, mais je n'ai pas peur pour elle, elle est forte. Elle n'est pas en verre. Je craignais de lui faire face mais tu vois, son séjour ici m'a finalement rapproché d'elle.
Juliette : Et nous,ici, tu crois qu'on va s'en sortir?
Henri : Mais bien sûr, idiote! (Il lui pince le menton ) J'ai dit à ma mère que vous étiez en verre, mais c'est pour l'image, vous êtes incassables.
Miss Thing ouvrant la porte : Oh ce n'est pas le temps de jouer à le barbichette!
Il y avait un taxi juste en bas, ton maman n'a pas pleuré, et moi non plus, je suis très fier.
Henri : Pourquoi voulais- tu pleurer? C'est ma mère!
Miss Thing : oui je sais, mais c'est un « bon voyage », et les « bon voyage » ça me fait toujours pleurer!
Juliette et Henri vont rapidement dans leur chambre. Miss Thing attend près de la fenêtre et regarde au dehors.
Miss Thing : Peut être que quand je ferme les yeux, derrière le bruit de la pluie, j'entends Rose qui crie, qui a mal, et Tennessee qui l'appelle...
Henri et Juliette reviennent avec un petit sac.
Miss Thing : Oh, j'ai entendu, j'ai entendu! Il criait « Rose, Rose... »
Juliette : T'as encore pris un acide hier soir, il faudrait arrêter un peu.
Miss Thing: Oh no, pas hier soir, je jure!
Juliette : Oui, et bien va prendre tes affaires aussi. Ils ont dit qu'ils allaient ouvrir le Superdome pour accueillir les gens.
Miss Thing: Le Superdome? Oh my god, tout le monde dans un stade? Moi je veux aller dans le pièce de changement ok?
Juliette : On dit le vestiaire, et pas la peine de t'exciter, il n'y aura pas les joueurs!
Miss Thing : Ce n'est pas grave, rien que l'odeur! Je crois que je vais aussi prendre des « petites buvards » alors, pour passer le temps.
Henri : Miss Thing, tes « petits buvards » sont très mauvais pour ton cerveau, on te l'a dit, c'est de la drogue.
Miss Thing: oh, toujours les gros mots, c'est juste du fun, le temps va être long avec Katrina sur la tête!
Henri, à Juliette : Je passe par l'hôpital, tu viens avec moi?
Juliette : Oui, je te suis. Miss Thing, tu viens avec nous?
Miss Thing : Non, je vous retrouve après. Je ferme la porte et je vais chez moi.
Juliette : Mais comment on va te retrouver au Superdome?
Miss Thing : Je porterai mon costume et je chanterai mon chanson du Mardi-Gras.
Juliette regarde Henri en sortant avec lui et en riant : Bon, ben on va encore se faire remarquer!
Miss Thing reste tout seul : Oui, le clown dans le tempête, ce sera moi. C'est toujours moi le clown, je fais rire, on ne me croit pas, et pourtant j'ai entendu, il appelait « Rose, Rose... » Moi aussi j'appelle, mon soeur, mon mère, mais je ne sais pas si elles m'entendent, si elles savent combien je suis seul moi aussi, combien j'ai peur maintenant du vent et de la maison qui tremble et qui bouge. Parce que le clown aussi est amoureux, mais ça non plus, personne ne le voit, personne ne l'entend. Il y a trop de pluie dehors, trop de bruit. Alors je crois que je vais aller marcher dans le pluie...
Il va vers le téléphone, décroche, compose un numéro
Miss Thing : Hullo? Mom? It's me, Trevor...
Chanson de Millie Jackson « I feel like walking in the rain »
Lumières s'éteignent doucement.
FIN