acte I
(Dans le séjour, à son bureau, Marco, en survêtement décontracté, tape ardemment sur son ordinateur).
MARCO
Alors, « Les deux parties acceptent tacitement les conditions suspensives ».
(Le téléphone de Marco sonne). Allons bon, c'est bien le moment, tiens !
(Il regarde l'écran du téléphone). C'est Agathe.
(Il décroche). Oui Agathe.
AGATHE
(au téléphone) Bonjour mon chéri, je ne te dérange pas ?
MARCO
(continuant de taper sur l'ordi) Mais non, tu ne me déranges pas. Enfin, si.
AGATHE (au téléphone)
Ah bon ? Comment ça, si ? Tu n'as pas envie de me parler ?
MARCO
Non Agathe, bien sûr que j'ai envie de te parler mais là, ce n'est pas trop le moment, je suis en train de finaliser mon contrat tu sais, le contrat de ma vie ! J'ai rendez-vous avec mon client ce soir, et je n'ai pas encore tout rédigé. Plus que quelques lignes et ça sera terminé, mais bon, il faut les écrire. Et après, j'imprime. Tu te rends compte ? Six mois que je suis dessus.
AGATHE (au téléphone)
Ah mince ! Je ne te vois pas ce soir. Tant pis ! Et c'est quoi, ton contrat ?
MARCO
Je t'ai déjà dit, c'est trop technique, tu ne vas pas comprendre.
AGATHE (au téléphone)
Ah oui, d'accord. C'est vrai que je suis trop conne pour comprendre !
MARCO
Mais non, Agathe, tu n'es pas conne.
AGATHE (au téléphone)
Alors, explique-moi ce truc que tu appelles le contrat de ta vie.
MARCO
Bon, je vais essayer de faire simple. Voilà, j'ai réussi à vendre un système de pergola bioclimatique géante pour les stades du Qatar.
AGATHE (au téléphone)
T'es sérieux, là ?
MARCO
Oui, et ce soir, je rencontre le président de la FQF !
AGATHE (au téléphone)
La FQF ?
MARCO
Oui, Fédération Qatarienne de Football. Alors, que j'essaie de t'expliquer le principe. Il s'agit, vois-tu, d'un système de lames orientables placées au-dessus du stade et qu'on déplace en fonction de la position du soleil. Énorme, le truc !
AGATHE (au téléphone)
Moi, je trouve que tu arrives un peu tard avec ton système. Ils ont déjà la clim dans les stades, là-bas.
MARCO
Je sais bien qu'ils ont la clim, mais mes pergolas, c'est quand même beaucoup plus écologique ! Il suffit simplement de tourner les lames pour apporter de l'ombre et de la fraîcheur en journée et ventiler le soir.
AGATHE (au téléphone)
C'est bien joli, ta pergola, mais tu les fais bouger comment, les lames ?
MARCO
Quoi ?
AGATHE (au téléphone)
Tu les bouges à la main ? Avec une ficelle ?
MARCO
Mais non, c'est pas des stores vénitiens ! Tu imagines la taille d'un stade ? Des milliers de mètres carrés. Il faudrait une sacrée ficelle et des sacrés bras ! Bon, la ficelle, c'est vrai qu'elle y est déjà. Ce sont de gros câbles, comme pour les ponts suspendus. Mais ils sont entraînés par des moteurs, bien sûr.
AGATHE (au téléphone)
Et les moteurs, ils tournent comment ?
MARCO
Avec de l'essence pardi ! Avec tout ce qu'ils ont là-bas, c'est la meilleure solution.
AGATHE (au téléphone)
Donc, au final, ce n'est pas plus écolo que la clim, ton histoire.
MARCO
Oh, écoute, si tu commences à critiquer mon travail, je...
AGATHE (au téléphone)
Non, tu as raison, excuse-moi, mon chéri ! Je suis sûr que ça va marcher. Je suis de tout cœur avec toi.
MARCO
Oui, merci, je préfère.
AGATHE (au téléphone)
Tiens, pour me faire pardonner, je te fais des gros poutous partout !
MARCO
(parlant tout bas) Oui, moi aussi, je te fais des gros poutous, Agathe.
AGATHE (au téléphone)
Partout, partout ?
MARCO
(tout bas)
Partout partout.
AGATHE (au téléphone)
Même là ?
MARCO
(tout bas) Oui, même là si tu veux.
AGATHE (au téléphone)
Et la prochaine fois, je pourrai te tartiner le corps de miel d'acacia ?
MARCO
(tout bas) Bien sûr que tu pourras, je sais que tu aimes ça.
AGATHE (au téléphone)
Et je remettrai ma tenue d'apicultrice !
MARCO
(tout bas) D'accord, mais sans les abeilles cette fois.
AGATHE (au téléphone)
Mais Marco, mon chéri, pourquoi tu parles tout bas ?
MARCO
(tout bas) Eh bien tu sais, ça fait une semaine que je me suis mis au télétravail. Et avec ma femme qui bosse dans la pièce à côté...
AGATHE (au téléphone)
Ah oui, tu me l'as dit. Et c'est mal insonorisé ?
MARCO
(reprenant une voix normale) Non j'oubliais ! C'est vrai que son cabinet est très bien insonorisé, pour la vie privée de ses clients, mais c'est un réflexe. Je t'ai expliqué. Depuis qu'elle a quitté son ancien travail, elle est retournée à la fac et elle a décroché une licence de psycho. Et elle a installé son cabinet de psychologue chez nous. Une vraie galère ! Et c'est pour ça que tu ne peux pas venir chez moi et qu'on se voit à l'hôtel tout le temps.
AGATHE (au téléphone)
Ben oui, je comprends, mon pauvre chéri !
(On sonne à la porte).
MARCO
Ça sonne, il faut que j'aille ouvrir, Agathe. On se rappelle. Bisous bisous.
AGATHE (au téléphone)
Poutous poutous. Allez à 3, on raccroche ensemble. 1...
(Marco raccroche).
MARCO
Pfff, ça m'agace, ces enfantillages.
(Alexa entre et referme la porte derrière elle).
MARCO
Ah oui, c'est vrai. « Sonnez et entrez ». Avec son cabinet de psy, on entre ici comme dans un moulin maintenant !
ALEXA
Bonjour monsieur.
MARCO
'jour.
(Alexa regarde tout autour d'elle dans les coins, puis tombe sur le bureau de Marco).
ALEXA
Aaahhh !!!
(Elle pousse un hurlement en voyant Marco, ce qui le fait sursauter).
MARCO
Mais qu'est-ce qui vous prend de hurler comme ça ? Ça va pas la tête ? J'ai failli avoir une attaque, moi !
ALEXA
Ça... Ça...
(Elle pointe du doigt le bureau de Marco).
MARCO
Quoi ça ?
(Elle tremble et cherche à se cacher un peu partout).
ALEXA
Aah... Je ne supporte pas !
MARCO
Mais quoi enfin ?
ALEXA
Ça !
(Delphine sort du couloir et arrive sur scène. Elle a son foulard Hermès jaune autour du cou).
DELPHINE
Ah Alexa, vous voilà. Bonjour. Pile à l'heure pour notre séance, bravo !
ALEXA
J'ai peur, docteur. Regardez !
(Elle pointe du doigt le bureau).
MARCO
(vexé) Quoi ? Quoi ? Mais qu'est-ce que j'ai, à la fin ?
DELPHINE
Alexa, n'ayez pas peur, je vous présente Marco, mon mari. Il a décidé de télétravailler maintenant, mais il ne vous fera aucun mal, rassurez-vous.
ALEXA
Non, ce n'est pas lui. Mais c'est...
DELPHINE
Ah d'accord ! Je n'avais pas vu. Ne vous en faites pas, vous ne craignez rien. Je vous l'ai déjà expliqué lors de nos dernières consultations. Il faut savoir prendre sur vous et chasser cette peur irrationnelle.
MARCO
Mais de quoi vous parlez, toutes les deux ?
DELPHINE
Alexa, entrez dans mon cabinet. Nous allons continuer à travailler là-dessus. Vous allez voir, je vous ai préparé de belles images.
(Alexa n'ose pas, elle contourne tout ce qu'elle peut contourner, elle se cache derrière n'importe quoi). Ne faites pas l'enfant, Alexa. Allez, faites un effort, vous y êtes presque.
ALEXA
Oh non, je ne peux pas, je ne peux pas !
DELPHINE
Ça ne va pas vous manger, vous le savez bien ! Regardez-moi dans les yeux. Non, ne regardez pas ailleurs ! Allez, venez vers moi en suivant mon regard. Allez. Allez Alexa, continuez.
(scandant des encouragements) Allez, Alexa ! Allez, Alexa !
(s'adressant à Marco) Aide-moi un peu, toi aussi. Avec moi, Marco. Allez, Alexa ! Allez, Alexa !
MARCO
(réticent) Allez, Alexa. Allez, Alexa.
(Alexa finit par traverser péniblement le séjour en évitant soigneusement le bureau de Marco et rejoint Delphine).
ALEXA
J'ai réussi !
DELPHINE
C'est bien, Alexa ! Attendez-moi dans mon cabinet. Vous vous rappelez ? C'est au fond à droite. Je discute une minute avec mon mari et j'arrive.
(Alexa disparaît en courant dans le couloir).
MARCO
Mais elle est complètement folle, cette fille !
DELPHINE
C'est un peu pour ça qu'elle est là.
MARCO
Mais enfin Delphine, qu'est-ce qui lui fait si peur à ta cliente ?
DELPHINE
Ma patiente, Marco, pas ma cliente. Ça serait trop compliqué à expliquer, et sans doute trop tordu. Et puis tu sais bien que je n'ai pas le droit de te parler de la pathologie de mes patients.
MARCO
Écoute Delphine, ma chérie, il va vraiment falloir qu'on reparle de ton cabinet de psy chez nous. Maintenant que je télétravaille, c'est un enfer ! Je n'arrive pas à me concentrer. Je me tape tous tes clients cinglés à longueur de journée !
DELPHINE
Mes patients, Marco, pas mes clients.
MARCO
Oui si tu veux. Tous tes patients cinglés. C'est usant. C'est ma première semaine de télétravail, et j'ai déjà rencontré plus de spécimens que dans un asile de fous !
DELPHINE
Un peu de respect, chéri ! Ce sont des êtres humains, tu sais.
MARCO
Quand même ! Dès lundi, j'ai eu droit à un syndrôme de la Tourette.
DELPHINE
Oui, Monsieur Dugenou.
MARCO
Oui, c'est ça, Dugenou. Quand il est entré, j'étais au téléphone avec un patient. Heu... un client. Imagine la scène ! Un client très courtois et raffiné, et soudain, il entend un type qui hurle des insultes et des gros mots !
DELPHINE
Oui, je comprends que ça peut être un peu gênant.
MARCO
Heureusement, mon client était japonais, il n'a pas compris les horreurs que disait ton... patient. Ou alors, il n'a pas compris comme il faut. Tu savais toi, que « mon cul », ça voulait dire « réclamation » en japonais ?
DELPHINE
Non.
MARCO
Si si ! Je te jure ! Incroyable, non ?
DELPHINE
Si tu le dis.
MARCO
Mais tu vois, au final, je me demande si je n'aurais pas préféré qu'il comprenne le français, mon Japonais. Il a cru qu'un client était en train de se plaindre. « Mon cul, mon cul, rendez-moi mon argent ! » Mais son traducteur a rétabli la vérité. Il a retranscrit tout ce que disait ton Gilles de la Tourette. Je pense que ça l'a fait rire jaune, mon japonais !
DELPHINE
Oh non, pas ce genre d'humour avec moi s'il te plaît !
MARCO
Oui eh bien, n'empêche que mardi, c'était au tour de la folle qui a voulu m'étrangler parce qu'elle me prenait pour un ours !
DELPHINE
(riant) Ecoute Marco, tu ne t'étais pas rasé, faut la comprendre.
MARCO
Très drôle ! En tout cas, il faut qu'on trouve une solution.
DELPHINE
C'est toi, aussi, qui ne veut pas que j'ai mon propre cabinet ! Pourtant, avec tous tes contrats, tu aurais largement de quoi me le payer. Et puis c'est toi qui a décidé de télétravailler. Tu te rends compte que le séjour servait de salle d'attente avant ? Maintenant, ils doivent patienter avec toi, c'est traumatisant pour certains. Tu n'as qu'à retourner au bureau. Comme avant !
MARCO
Tu sais que c'est plus possible ! Depuis que Boiteau a rejoint l'équipe, il distrait tout le monde et je ne peux pas me concentrer. C'est encore pire qu'ici ! Toujours à faire des blagues qui ne font rire que lui. Tiens, la dernière fois, il a mis de l'huile sur tous les claviers de la comptabilité pendant la pause déjeuner ! Après, ils avaient tous les mains grasses. Il est vicieux Boiteau, il a mis une goutte d'huile sur chaque touche de chaque clavier. Imagine un peu ! Ça lui a pris au moins trois quarts d'heure. Et va nettoyer ça après ! Si tu veux, je te le présenterai. Il ferait un client idéal !
DELPHINE
Un patient. Et si c'était lui qui allait travailler de chez lui ? Vous n'avez qu'à faire front pour ça. Ça lui ferait les pieds. Et ça réglerait notre problème.
MARCO
On voudrait bien, mais c'est le gendre du patron, et il veut l'avoir à l'oeil.
DELPHINE
Ah bon ? C'est curieux, ça.
MARCO
Oui. Il l'a embauché pour faire plaisir à sa fille, mais il ne lui fait pas confiance. Vu le physique de sa fille, il pense qu'il l'a épousé uniquement pour reprendre la boîte !
DELPHINE
Alors, installe-toi dans la chambre d'amis ! Tu y a bien mis l'imprimante.
MARCO
Tu sais bien qu'elle est trop petite ! Et je t'ai déjà dit : ce n'est pas une chambre d'amis, c'est une buanderie ! Non, il n'y a vraiment que dans le séjour que je peux installer mon bureau.
DELPHINE
Alors achète-moi un cabinet de consultation digne de ce nom !
MARCO
Tu sais ce que je pense de ton activité, Delphine. Psychologue ! Ce n'est pas un métier, ça. Faire parler des gens qui ont une araignée au plafond, ça avance à quoi ? Et puis, mon argent, je le destine pour des investissements autrement plus importants que tes hobbys de psy. Non, je t'ai déjà dit que j'étais contre ce passe-temps !
DELPHINE
Oh, ça va, laisse tomber, tu comprends vraiment rien. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot !
MARCO
Ne t'inquiète pas, ma chérie. Mon télétravail, c'est provisoire. Normalement, le patron va vite se rendre compte que Boiteau, il ne fait pas l'affaire, ni au travail, ni avec sa fille. Je devrais retourner au bureau très vite ! Et la semaine prochaine, je suis en déplacement, donc je ne dérangerai pas tes clients.
DELPHINE
Demain, tu travailles de la maison quand même ?
MARCO
Demain, oui.
DELPHINE
A ce propos, tu sais qu'en télétravail, on peut s'habiller normalement ? Tu me fais honte comme ça.
MARCO
Pour quoi faire ? Personne ne me voit.
DELPHINE
Moi, je te vois ! Et mes patients aussi.
MARCO
Tout le monde fait ça maintenant, avec le travail à domicile.
DELPHINE
En tout cas, pense à être un peu plus présentable pour ton rendez-vous avec ton client ! Bon, je vais voir Alexa pour la rassurer. Je pense qu'elle n'est pas près de finir sa thérapie.
MARCO
Et moi, je ne suis pas près de finir mon contrat si je discute avec toi ! Alors je m'y remets. Et amuse-toi bien !
DELPHINE
(agacée) C'est fou ce que je m'amuse !
(Delphine repart dans le couloir. Marco se remet à taper son contrat sur son ordi).
MARCO
Les deux parties acceptent le contrat et... Merde ! Qu'est-ce qui se passe ? Les deux parties acceptent le con ? Non ! Le contrat ! Le contrat ! Ah le con ! Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Plus rien ne bouge !
(Marco s'énerve en tapant sur toutes les touches). Oh non ! C'est complètement planté !
(Il s'acharne sur le bouton de démarrage). Je ne peux même plus l'éteindre !
(Il referme l'ordi et l'ouvre plusieurs fois, tente toutes sortes d'actions).
Mais c'est pas vrai ! Il ne veut pas s'éteindre ! Qu'est-ce que je vais faire ? Mon rendez-vous, c'est tout à l'heure et je n'ai pas fini le contrat. Je ne vais quand même pas attendre que la batterie se décharge !
(Il réfléchit). Bon, j'appelle le SAV. Il est sous garantie, après tout !
(Il prend son téléphone, appelle le SAV et tombe sur un message d'attente).
MESSAGE SAV
« Bienvenue chez Ordinature. Ordinature, la seule boutique qui propose des ordinateurs bio, conçus uniquement à partir de composants biodégradables. Barrettes mémoires en graines de chia, processeurs à base de poudre de carotte, carte-mère sans gluten. Tous nos conseillers sont actuellement en ligne. Veuillez patienter. Bienvenue chez Ordinature. Ordinature, la seule boutique qui propose des ordinateurs bio, conçus uniquement...»
SAV
Ordinature, j'écoute.
MARCO
Bonjour monsieur, je vous appelle car mon ordi...
SAV
Bonjour monsieur, votre numéro client s'il vous plaît.
MARCO
Hein ? Mon numéro client ? Oui attendez, ne bougez pas.
(Il fouille dans ses papiers sur le bureau). Voilà, c'est le 5411269.
SAV
Et quel est votre nom ?
MARCO
Marco Delatour.
SAV
Votre adresse ?
MARCO
12 rue des rosiers, 4ème étage, à gauche.
SAV
Le prénom de votre mère ?
MARCO
Heu... Monique. Vous en avez encore beaucoup des questions comme ça ?
SAV
Connaissez-vous le nom de votre chien ?
MARCO
Non, je ne connais pas le nom de mon chien.
SAV
Ah bon ? Pourquoi ?
MARCO
Parce que je n'ai pas de chien !
SAV
Rhoo, ne vous énervez pas, c'était de l'humour.
MARCO
Ah ? Vous êtes des comiques au support technique ! Est-ce qu'on pourrait maintenant s'occuper de mon problème ?
SAV
Je vous écoute.
MARCO
Alors voilà, j'étais en train de taper mon contrat sur mon ordinateur et il s'est arrêté d'un coup.
SAV
Il s'est éteint ?
MARCO
Non, il ne s'est pas éteint, il s'est arrêté ! J'ai beau taper sur le clavier, il ne se passe rien.
SAV
Parce qu'il est éteint.
MARCO
Non, il n'est pas éteint je vous dis. Figé ! Comme une statue.
SAV
Ah je vois. Essayez de l'éteindre.
MARCO
J'ai essayé mais je ne peux pas l'éteindre ! Le bouton ne fonctionne pas.
SAV
Alors débranchez-le de la prise de courant.
MARCO
Il n'était pas branché, il reste allumé avec la batterie.
SAV
Dans ce cas, il suffit d'attendre que la batterie soit déchargée.
MARCO
Mais je vous ai acheté un ordinateur avec une batterie surpuissante censée durer des jours !
SAV
Ah ! Notre fameuse batterie au jus de betterave.
MARCO
Oui, c'est celle-là.
SAV
(se moquant) Dans ce cas, vous n'avez plus qu'à prendre votre mal en patience, hé hé !
MARCO
Quoi ! Vous vous foutez de moi ! J'ai besoin de ce contrat ce soir. Envoyez-moi quelqu'un tout de suite, espèce d'abruti !
SAV
Ne vous fâchez pas, monsieur. C'était de l'humour.
MARCO
Ah ? Encore ?
SAV
Oui, rassurez-vous. J'ai déjà validé votre dossier pour qu'un technicien passe maintenant.
MARCO
Ah bon ? Oh merci beaucoup, quelle rapidité, vous êtes bien aimable, monsieur !
SAV
L'abruti vous demande si vous pouvez répondre à une petite enquête de satisfaction.
MARCO
Oui, oui, bien sûr !
SAV
Dès que j'aurai raccroché, il y a aura l'enquête. Alors surtout ne raccrochez pas.
MARCO
Non, non, je reste en ligne. Au revoir !
MESSAGE SAV
« Veuillez donner une note de 1 à 10 aux cinquante questions suivantes. Notre support technique... »
(Marco raccroche son téléphone).
MARCO
Comme si j'avais que ça à faire, son enquête de satisfaction !
(Son téléphone sonne. Il décroche).
AGATHE (au téléphone)
C'est encore moi, mon canard.
MARCO
Oui Agathe, c'est vraiment pas le moment là ! Mon ordi vient de planter.
AGATHE (au téléphone)
Ah bon ? Mais tu n'avais pas ton contrat super important à finir ?
MARCO
Si, c'est bien le problème ! Je viens de raccrocher avec le SAV. Ils m'envoient quelqu'un tout de suite. J'espère qu'ils vont résoudre le problème, sinon c'est la ca-tas-trophe ! On se voit très bientôt. Mais maintenant, il faut que je te laisse.
AGATHE (au téléphone)
Que tu me lèches ? Oh petit coquin...
MARCO
Non, que je te laisse.
AGATHE (au téléphone)
Et est-ce que tu as acheté du miel ?
MARCO
Je n'ai pas vraiment eu le temps ! Je vais aller me préparer en attendant le dépanneur.
AGATHE (au téléphone)
Alors gros poutous, mon roudoudou.
MARCO
Oui, poutous partout.
AGATHE (au téléphone)
Tu m'aimes ?
MARCO
Oui je t'aime, j'y vais !
AGATHE (au téléphone)
Allez à 3, on raccroche ensemble. Alors...
(Marco raccroche).
MARCO
Bon, je vais prendre une douche et m'habiller maintenant.
(Il part dans la chambre. On entend Delphine du couloir).
DELPHINE
Veuillez patienter monsieur s'il vous plaît. Je suis en consultation, je sors.
(Elle sort du couloir avec son téléphone à l'oreille. Elle regarde autour d'elle pour s'assurer que son mari n'est pas dans la pièce).
C'est bon, mon mari a dû aller dans la chambre ou la salle de bain. Écoute Justin, je le supporte encore moins qu'avant depuis qu'il télétravaille. Tous ces millions qu'il gagne et il place tout en « investissements » comme il dit ! Il ne me paie même pas de quoi exercer mon métier. Tiens d'ailleurs, il n'appelle pas ça un métier. Pour lui, psychologue, c'est un hobby !
JUSTIN (au téléphone)
Faut dire que ça change de charcutière !
DELPHINE
Mais tu sais bien que j'en avais marre de la charcuterie ! C'est pour ça que j'ai fait une reconversion.
JUSTIN (au téléphone)
Vers la psychologie ! L'écart est grand.
DELPHINE
Oui, mais j'avais fait le tour des rillettes, des pâtés, des saucissons. Donc, après les abats et les tripes, j'ai voulu m'orienter vers les bad trips ! Et ça, Marco, il n'a pas compris. Il trouve ça débile !
JUSTIN (au téléphone)
Mais pourquoi tu ne divorces pas, ma belle, tout simplement ?
DELPHINE
Que je divorce ? Justin enfin ! On en a déjà parlé. Je ne vais pas me contenter d'une simple pension alimentaire. C'est l'héritage que je veux ! Surtout qu'il ne me fait jamais de cadeau, Marco. Jamais ! Ah non, j'exagère un peu ! Il y a une dizaine d'années, il m'a offert un foulard Hermès.
(Elle caresse délicatement son foulard). Et encore, je l'ai tanné pour l'avoir, ce foulard ! Et je peux te dire que j'y tiens. Son seul cadeau !
JUSTIN (au téléphone)
Dis donc, il ne serait pas un peu radin, ton mari ?
DELPHINE
Il a des oursins dans les poches ! Alors, tant qu'il sera vivant, je ne serai jamais comblée. Je ne vois donc qu'une solution : il faut qu'il meurt ! On doit s'en tenir à ce qu'on a dit, tu dois m'en débarrasser demain. Depuis le temps qu'on en parle !
JUSTIN (au téléphone)
OK. Mais pourquoi demain ?
DELPHINE
Aujourd'hui, il doit signer un contrat énorme. Ça serait bête de passer à côté de cet argent ! Et demain, c'est vendredi, le dernier jour de la semaine. La semaine prochaine, il devrait être en déplacement, et je ne veux pas prendre le risque qu'il arrête le télétravail la semaine suivante, on sait jamais ! Alors, c'est toujours d'accord pour toi demain ?
JUSTIN (au téléphone)
Oui. Pas de problème ! J'ai du temps libre demain pour un assassinat.
DELPHINE
Bon, on révise vite fait. Donc je fais comme tu m'as appris. Demain matin avant qu'il se lève, je démonte son ordi et je débranche le câble sur la carte-mère.
JUSTIN (au téléphone)
Oui, le câble principal de la carte-mère. Après, tu remets tout en place comme si de rien n'était. Son ordinateur sera en panne et il appellera le SAV.
DELPHINE
Et comme tu es technicien chez Ordinature, c'est toi qui viendra le dépanner !
JUSTIN (au téléphone)
Et là, j'en profiterai pour mettre une batterie trafiquée à l'intérieur !
DELPHINE
Ultra-sensible !
JUSTIN (au téléphone)
Qui explosera au moindre mouvement !
DELPHINE
Et qui ne laissera rien de lui !
JUSTIN (au téléphone)
A cause de la nitroglycérine !
DELPHINE
Oui. Beaucoup moins bio que le jus de betterave, la nitroglycérine. Mais peu importe, c'est vraiment génial comme plan ! Ça arrive tous les jours, les explosions d'ordinateur. On croira à un accident !
JUSTIN (au téléphone)
Par contre, il faut que tu m'envoies ton adresse. Je ne suis jamais venu chez toi, je te rappelle.
DELPHINE
Oui, je sais, je t'envoie ça ce soir.
JUSTIN (au téléphone)
OK, ça roule ! Comme ça, je découvrirai enfin ton petit chez-toi.
DELPHINE
Oui, promis, mon Justin chéri, après l'explosion, je te ferai visiter mon intérieur.
JUSTIN (au téléphone)
Mmh... Ton intérieur !
JUSTIN (au téléphone)
Oui, et mon intérieur aussi !
JUSTIN (au téléphone)
Vivement demain ! Tu m'aimes ?
DELPHINE
Oui, Justin, mon amour, ton odeur me manque.
JUSTIN (au téléphone)
Ah ah ! Ma bonne odeur de mâle comme tu l'aimes !
DELPHINE
Oh oui ! Mon mari, lui, il ne sent rien. Tout juste l'after-shave bon marché. Toi au moins, on la sent ta testostérone animale ! Demain, tu ne te laves pas surtout ! Sinon, tu vas me couper l'envie. On se débarrasse de Marco et après, à nous l'amour, la belle vie et les millions ! Et à moi mon cabinet !
(On sonne à la porte). Ah ! Ça sonne, il faut que je te laisse.
JUSTIN (au téléphone)
Que tu me quoi ?
DELPHINE
Que je te laisse ! Ça doit être mon patient suivant. Il est un peu en avance ! Bisous.
(Edouard ouvre la porte et entre).
EDOUARD
Bonjour docteur !
DELPHINE
Edouard ! Vous arrivez tôt dites-moi. Entrez, je vous en prie. Je suis encore en consultation. Je peux vous faire patienter ?
EDOUARD
Pas de problème ! Vous savez bien que je préfère toujours arriver plus tôt que plus tard.
DELPHINE
Alors, dites-moi Edouard, depuis le mois dernier, avez-vous travaillé sur votre problème ?
EDOUARD
C'est pas facile, docteur, c'est vraiment pas facile ! Je n'ai toujours pas réussi à passer le cap. Cette obsession que je n'arrive pas à assouvir...
DELPHINE
Je sais, c'est terrible de penser sans cesse à quelque chose sans avoir la possibilité de le réaliser.
EDOUARD
Mais je l'ai, la possibilité ! C'est juste que je n'ose pas. Dès que je suis devant une femme, je perds mes moyens.
DELPHINE
Pas tout le temps, Edouard ! Devant moi, par exemple, vous restez calme.
EDOUARD
Oh, mais vous, c'est pas pareil, docteur. Je parle surtout des jolies femmes !
DELPHINE
(renfrognée) Ça fait toujours plaisir...
EDOUARD
Non, mais je voulais pas dire ça ! Excusez-moi, je suis vraiment désolé ! Qu'est-ce qu'il m'a pris de vous dire ça ?
DELPHINE
Ne vous inquiétez pas, Edouard. Je suis psy, je suis là pour tout entendre.
EDOUARD
N'empêche que vous voyez ? Même avec vous, je dis n'importe quoi ! Il n'y a bien que devant mon ordi que je ne panique pas.
DELPHINE
Et les site de rencontres ? Vous n'avez jamais essayé les sites de rencontres ? C'est peut-être la solution pour vous.
EDOUARD
Je n'ai jamais osé...
DELPHINE
Vous devriez pourtant ! On en parlera lors de la séance, et je vous donnerai quelques adresses... que m'ont laissées des patients.
EDOUARD
Ça me fait peur, ces sites...
DELPHINE
Moi, je suis sûre que ça vous aidera à franchir le pas. Promettez-moi d'essayer dès que vous en avez l'occasion !
EDOUARD
Bon, d'accord, je vous promets !
DELPHINE
Pour l'instant, attendez ici. Et si vous voyez passer un monsieur, ne vous inquiétez pas. Il s'agit de Marco, mon mari. Il travaille de la maison maintenant. Et je vous préviens, il est un peu sur les nerfs. Alors ne le dérangez pas surtout !
EDOUARD
Ne vous inquiétez pas, je sais me tenir.
DELPHINE
Parfait Edouard. Bon, patientez maintenant. Je n'ai pas encore fini avec Alexa. Vous vous souvenez d'Alexa, Edouard ? Vous l'avez vue la dernière fois.
EDOUARD
Heu... Alexa... Ah oui ! Alexa. C'est un peu comme Siri.
DELPHINE
Hein ?
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal) Alexa, quelle heure est-il ? Alexa, mets de la musique.
DELPHINE
Oh, Edouard ! Ce n'est pas drôle !
EDOUARD
Ah ah ah ! Vous savez bien que la technologie, moi, c'est mon dada ! Je suis doué, vous savez ? Tiens d'ailleurs, j'en ai une bien bonne ! Est-ce que vous savez quel est le gâteau préféré des informaticiens ?
DELPHINE
Heu, j'en sais rien.
EDOUARD
Les cookies ! Ah ah ah ! Les cookies ! Vous avez compris ?
DELPHINE
Bon, Edouard, attendez là, le temps que je finisse ma séance avec Alexa.
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal) Alexa, éteins la lumière.
DELPHINE
Edouard !
(Delphine repart dans le couloir. Pour passer le temps, Edouard regarde l'ordinateur de Marco sous toutes les coutures, curieux. Marco sort de la chambre. Il a commencé à s'habiller. Pour l'instant, il a une chemise, mais pas de pantalon).
EDOUARD
Heu... Monsieur Delatour ?
MARCO
Oui. Vous voilà déjà ? Quelle rapidité !
EDOUARD
Oui, votre femme m'a dit la même chose !
MARCO
Pardon ?
EDOUARD
En même temps, après l'heure, c'est plus l'heure. Alors qu'avant l'heure, c'est avant l'heure !
MARCO
Comme vous dites ! D'ailleurs, j'ai ce soir un rendez-vous très important et je compte sur vous !
EDOUARD
Dans cette tenue ?
MARCO
Quoi, cette tenue ? Ah non ! Excusez-moi, je suis en train de m'habiller. Bon, vous pensez pouvoir le réparer ? J'ai besoin de finir un contrat pour mon rendez-vous !
EDOUARD
Je devrais pouvoir régler votre problème. Vous savez, la technologie, c'est mon dada ! Au fait, pourquoi les informaticiens ont toujours un tee-shirt rouge ?
MARCO
Heu, je n'en ai aucune idée.
EDOUARD
Pour faire ressortir la couleur de leur yeux ! Elle est bonne hein ?
(Marco le regarde, l'air dépité). Ben oui, ils sont toujours devant leur écran, alors ils ont les yeux tout rouges ! Vous avez compris la blague ?
MARCO
Bien, je vous laisse travailler. Je vais mettre mon pantalon, moi.
(Marco retourne dans la chambre).
EDOUARD
Voyons voir ce qu'il a, cet ordi. OK, complètement bloqué. C'est pas compliqué. Alors, un trombone...
(Il prend un trombone sur le bureau, le déplie, retourne l'ordinateur et appuie dessus avec le trombone). Et voilà ! Tout refonctionne ! C'est qui le meilleur ? C'est Edouard ! Je vais quand même vérifier que tout est OK.
(Il regarde les fichiers dans l'ordinateur). Eh ben dis donc, mon cochon ! C'est quoi, toutes ces photos ? Toi aussi, tu as une collection ? Ouh ! C'est chaud ! Il y en a partout ! Et c'est même pas les mêmes que les miennes ! Oh, celle-ci, elle est à l'envers.
(Il retourne l'ordinateur). Ah bah non ! Elle était bien à l'endroit. Il y a des sacrées contorsionnistes quand même ! Elles sont super, ces photos ! Je les récupérerais bien, mais je n'ai pas de clé USB sur moi. Mmh... Tant pis, je vois une imprimante connectée. Je ne sais pas où elle est mais elle ne doit pas être bien loin. Je vais toutes les imprimer pour les ramener. Et hop ! Imprimer. 500 photos. Tiens, c'est quoi cet icône ? Un lien vers le site hotrendezvous.com. Je ne connais pas. Mmh... « Faites des rencontres près de chez vous pour de chauds instants furtifs, tout de suite, maintenant. » Mon salaud ! On s'embête pas ! Il s'est même créé un pseudo : Marco Picker. Prétentieux, va ! Alors, comment ça fonctionne ? « Vous avez une envie soudaine ? Vous ne pouvez pas attendre ? Trouvez le ou la partenaire près de chez vous et donnez-lui rendez-vous immédiatement. » Eh ben dis donc, c'est peut-être l'occasion pour moi ! Il faut que je suive le conseil de la psy. Alors, si j'essayais de chercher quelqu'un. Ouh ! Il y a Braise Ardente qui est tout près. C'est dommage, elle n'a pas mis de photo. Tiens, je vais la matcher pour voir. Voilà ! Ah ben mince ! Elle répond tout de suite ! En effet, c'est vraiment rapide ! « Tu veux faire des travaux, Marco Picker ? Besoin de creuser un trou ? » Ouais ! Ouais !
(Il tape frénétiquement sur le clavier). Est-ce que c'est possible dans deux heures ? Je suis en rendez-vous en ce moment.
(Il lit l'écran). « Tu n'as pas compris le principe du site ? Tout de suite, c'est maintenant ou jamais. La braise est chaude, ne la laisse pas refroidir ». Ah mince ! Bon d'accord.
(Il tape sur le clavier). OK, viens tout de suite.
(Il lit l'écran). « C'est quoi, l'adresse ? »
(Il tape sur le clavier). 12, rue des rosiers. 4ème étage, à gauche.
(Marco sort de la chambre. Il n'a toujours pas de pantalon et tient une cravate dans chaque main, dont une rouge, et surprend Edouard qui referme rapidement l'ordi).
MARCO
Alors, c'est grave, docteur ?
EDOUARD
Non, c'est réparé.
MARCO
Non ? Sans blague ? Déjà ? C'est formidable !
EDOUARD
(gêné) Non, enfin, c'est presque réparé. Là, il ne s'allume toujours pas, mais je suis sur la bonne voie.
MARCO
J'espère que vous avez raison. J'ai mon contrat, moi !
EDOUARD
Ne vous inquiétez pas. Je vous garantis que dans quelques minutes, vous l'aurez, votre contrat !
MARCO
J'espère que vous dites juste. Tiens, à votre avis, quelle cravate avec ma chemise ?
(Il montre les deux cravates à Edouard).
EDOUARD
La cravate rouge est plus jolie.
MARCO
Je suis aussi de cet avis.
EDOUARD
Non attendez. Faites voir vos yeux...
(Il regarde Marco dans les yeux). Non, vous n'avez pas les yeux rouges, mettez l'autre cravate.
MARCO
D'accord ! Et il faut que je retrouve mon pantalon. Mais qu'est-ce que j'ai bien pu en faire, bon sang ? A tous les coups, il est dans la buanderie.
(Marco va dans la buanderie. Ça sonne et une fille habillée en hôtesse de l'air sexy entre. Elle porte une petite valise. Ce qu'on ne sait pas, c'est qu'il s'agit d'Agathe, la maîtresse de Marc).
AGATHE
Bonjour, beau gosse. Je me suis permise. C'était écrit « Sonnez et entrez ».
EDOUARD
Heu, bon... bon... bonjour mademoiselle. Si vous cherchez l'aéroport, ce n'est pas ici.
AGATHE
Vraiment ? Oh, je suis tellement déçue. Il va falloir me consoler.
EDOUARD
Ah ?
AGATHE
Marco Picker ?
EDOUARD
Hein ? Ah non non non ! Heu, enfin, si... Heu, Braise Ardente ?
AGATHE
Mmh... Bingo, mon chou !
EDOUARD
Alors, heu, bonjour, enchanté, Braise Ardente. Vous avez fait vachement vite !
AGATHE
C'est le principe, je t'ai dit. J'habite à un pâté de maison, et je suis toujours prête pour mes rencards.
EDOUARD
Entrez donc, Braise Ardente ! Alors comme ça, vous êtes hôtesse de l'air ?
AGATHE
Si tu veux. Je peux être ce que tu veux. J'adore les déguisements quand je fais... mmh... avec les hommes.
EDOUARD
Quand vous faites quoi avec les hommes ?
AGATHE
Mais enfin, tu vois bien ce que je veux dire, beau gosse.
EDOUARD
Aïe ! Ah oui, bien sûr ! Evidemment !
AGATHE
Figure-toi que j'ai tout un dressing chez moi. L'infirmière, l'institutrice, l'apicultrice...
EDOUARD
L'apicultrice ?
AGATHE
Rapport au miel.
EDOUARD
Ah ouais, d'accord. Rapport au miel. Heu, pourquoi rapport au miel ?
AGATHE
Oh, je vais pas te faire un dessin. Le miel, il faut le lécher longtemps pour qu'il n'en reste plus.
EDOUARD
(se parlant à lui-même) Oh la la ! Il faut que je tienne, il faut que je tienne...
AGATHE
Mais cette fois, ce sera hôtesse de l'air. Ça te va ?
EDOUARD
Heu, oui, c'est très bien ! Eh ben dis donc, vous avez l'air de sacrément bien connaître ce site en tout cas.
AGATHE
Tu comptes me dire « vous » longtemps encore ? Si on doit faire ça vite fait, j'aimerais autant le « tu ».
EDOUARD
Ah oui, je suis ému, excusez-moi. Enfin, excuse-moi !
AGATHE
(se vantant) En tout cas, pour répondre à ta question, je suis une habituée de ce site. Sans me vanter, j'ai rencontré presque la moitié des hommes inscrits. J'ai même une carte d'infidélité !
EDOUARD
Une carte de fidélité vous voulez dire, heu, tu veux dire.
AGATHE
Non, d'infidélité. Je suis mariée.
EDOUARD
Mariée ? Oh la la ! Et votre... ton mari est au courant pour... tout ça ?
AGATHE
Tu rigoles ? Manquerait plus que ça !
EDOUARD
Eh ben dis donc ! Ça ne doit pas être facile de se cacher tout le temps !
AGATHE
Oh, tu sais, il est pilote de ligne. Alors autant te dire que je ne le vois pas souvent. Une fois par mois maximum. Je suis libre comme l'air.
EDOUARD
Ah ouais. D'où l'hôtesse de l'air !
AGATHE
T'imagines si j'étais fidèle ? Une fois par mois ! Je n'aurais jamais tenu. Une femme, ça a besoin de tendresse.
EDOUARD
Oui, bien sûr, la tendresse ! Donc tu trouves la « tendresse » en allant sur ce site...
AGATHE
Ça, c'est des extras. J'ai aussi un amant que j'ai rencontré dans la vraie vie. Marco, qu'il s'appelle. Je le vois plus souvent que mon mari, lui !
EDOUARD
Quelle santé !
AGATHE
C'est juste une question d'entraînement. Mais c'est vrai que j'ai un cœur de sportive. Il bat très lentement. Tiens, touche, tu vas voir !
(Elle lui prend la main pour la porter à sa poitrine mais il la retire prestement).
EDOUARD
Pas trop vite ! Et cette tenue d'hôtesse de l'air, c'est ton mari pilote de ligne qui te l'a trouvée je suppose ?
AGATHE
Non, figure-toi que j'étais hôtesse de l'air avant. C'est d'ailleurs comme ça que je l'ai rencontré, tu vois bien. Et c'était exactement avec les vêtements que je porte maintenant !
EDOUARD
(un peu refroidi) Ah d'accord...
AGATHE
Mais on m'a virée de la compagnie aérienne. J'étais trop avenante, paraît-il ! Pourtant, on m'avait toujours dit que les hôtesses de l'air, elles faisaient ce métier pour s'envoyer en l'air justement.
EDOUARD
Oui, je croyais aussi.
AGATHE
C'est pour ça que j'ai choisi cette profession. Alors, je ne me suis pas gênée. Dans les toilettes, ça passait, c'était discret, mais quand j'ai profité de la nuit, quand tout le monde dormait, pour commencer à faire des galipettes avec des passagers sur les sièges de la cabine, on a commencé à me donner des avertissements.
EDOUARD
Normal, ça peut les abîmer, les sièges !
AGATHE
Et ils ont fini par me virer définitivement le jour où je m'en suis prise au pilote dans le cockpit, quand le copilote était aux toilettes. Je lui ai fait tellement de bien, au pilote, qu'il a fait un looping avec son Boeing ! Quand le copilote est sorti des toilettes, il était furieux. Il en avait partout ! Alors forcément, ça s'est mal fini.
EDOUARD
Eh ben dis donc !
AGATHE
Tiens, attends, je te fais une démonstration.
(mimant une hôtesse de l'air) Bienvenue sur le vol Paris-Ibiza. J'espère que vous êtes confortablement installés. Veuillez détacher votre ceinture et relever votre tablette.
EDOUARD
Je... Attends...
AGATHE
Si le décollage est assez puissant, le temps à l'atterrissage sera au beau fixe, et la température élevée.
EDOUARD
Heu... Pour tout te dire, ça me refroidit un peu que tu fasses ça avec les vêtements que tu avais avec ton mari.
AGATHE
Ah bon ? Les autres, ça a plutôt tendance à les exciter ! Tu es bizarre, toi. Mais ne t'inquiète pas, tu as vu ma petite valise ? J'ai toujours avec moi deux ou trois tenues de rechange, en cas d'accident, tu vois bien.
EDOUARD
Ah ouais, quand même ! Tu es vachement prévoyante, toi !
AGATHE
Tu sais, avec moi, si tu allumes le feu, tu as intérêt à l'éteindre, sinon je ne jure plus de rien ! Tu vas voir, coco, je vais te la jouer Pretty Woman. Où est-ce que je peux me changer ?
EDOUARD
Heu... Tu n'as qu'à aller dans la chambre, là.
(Il lui montre la buanderie).
AGATHE
OK chéri. Je vais t'en mettre plein la vue !
(Agathe s'apprête à ouvrir la porte de la buanderie, mais Edouard se rappelle que Marco y est).
EDOUARD
Non ! Pas celle-là !
AGATHE
Ah bon ? Pourquoi ?
EDOUARD
Je... C'est le bazar, je ne l'ai pas rangée.
AGATHE
C'est pas grave, ça. De toute façon, on va tout faire voler, tous les deux !
EDOUARD
Heu... Elle est trop petite ! Voilà, trop petite. Tu ne vas vraiment pas être à l'aise. Va plutôt dans l'autre, elle est plus grande.
AGATHE
Comme tu veux, beau gosse. À tout de suite !
(Agathe va dans la chambre).
EDOUARD
Oh la la ! Elle avait raison, la psy. Les sites de rencontres, c'était peut-être la solution. Je ne sais pas comment je vais faire maintenant, je n'ai jamais fait ça !
(Delphine sort du couloir).
DELPHINE
Ah, Edouard. Je suis désolée mais ça s'éternise un peu avec Alexa. Depuis sa crise de tout à l'heure, impossible de la calmer. Je ne peux pas la laisser repartir comme ça.
EDOUARD
Vous avez essayé « Alexa, calme-toi » ?
DELPHINE
Edouard ! Vous exagérez. Vous n'êtes pas très gentil avec cette pauvre Alexa !
EDOUARD
Hé hé ! Non, je plaisante !
DELPHINE
J'espère que ça ne vous dérange pas d'attendre si longtemps ?
EDOUARD
Alors là, pas du tout ! Je dirais même que vous pouvez prendre le temps que vous voulez. Je trouve toujours de quoi m'occuper !
DELPHINE
Merci Edouard de votre compréhension. Elle est en train de faire des exercices de lâcher prise en ce moment. Normalement, si tout va bien, dans une petite demi-heure, je devrais pouvoir m'occuper de vous. Mais puisque mon mari n'a pas l'air d'être dans les parages, je vous propose de commencer dès maintenant pour gagner du temps. Je dirai même « continuer », car nous avons déjà abordé le sujet tout à l'heure. Qu'en pensez-vous ?
EDOUARD
(regardant gêné vers la porte de la chambre)
Heu... Je ne voudrais pas trop vous déranger.
DELPHINE
Mais non, au contraire, comme ça je finirai plus tôt, et vous, vous partirez en avance ! Vous aimez tellement être en avance, Edouard.
EDOUARD
C'est vrai que je n'aime pas être en retard, même si je n'ai aucun rendez-vous après vous !
DELPHINE
Justement ! Vous n'avez aucun rendez-vous. C'est bien le problème. Il va falloir qu'on reparle de mon idée de site de rencontres. Vous êtes souvent sur votre ordinateur, m'avez-vous dit ?
EDOUARD
Tout le temps ! D'ailleurs, j'en vois beaucoup, des femmes, quand je suis sur mon ordi. Mais elles sont en photo !
DELPHINE
Oui, je sais.
EDOUARD
Vous l'avez vu, ma collection de femmes à poil ?
DELPHINE
Je n'ai pas tout vu, mais vous m'avez montré un échantillon la dernière fois.
EDOUARD
Ah non, ce n'est pas pareil ! C'était du loisir créatif que vous m'aviez demandé de faire.
DELPHINE
J'avais juste parlé d'une activité de collage papier. Pas forcément d'un patchwork de Playboy et des pages sous-vêtements du catalogue de la Redoute !
EDOUARD
C'est ça, l'inspiration ! Mais ma collection, c'est autre chose que ce patchwork. Je vous en montrerai une partie à notre prochaine séance.
DELPHINE
Ce ne sera pas utile, Edouard !
EDOUARD
Pourtant, sur mon ordinateur, j'en ai beaucoup.
DELPHINE
Edouard ! Je vous parlais de site de rencontres. Pour rencontrer quelqu'un. Pour de vrai !
EDOUARD
D'accord. Mais admettons que j'aille sur un de ces sites et que je donne rendez-vous à une fille.
DELPHINE
Oui.
EDOUARD
Comment je devrai m'y prendre une fois avec la fille ?
DELPHINE
C'est une question que nous pourrons aborder pendant notre séance tout à l'heure.
EDOUARD
Non non ! J'aimerais bien l'aborder tout de suite ! Parce que tout de suite, c'est maintenant ou jamais. Quand la braise est chaude, on ne la laisse pas refroidir !
DELPHINE
Qu'est-ce qui vous prend, Edouard ?
EDOUARD
Excusez-moi. C'est l'impatience qui m'emporte. Je trouve votre idée de site de rencontres très bonne et je suis curieux de savoir comment faire. Alors, admettons, je dis bien admettons, que je donne rendez-vous à une fille maintenant, à l'instant. Comment dois-je m'y prendre ?
DELPHINE
Eh bien voyez-vous Edouard, ce n'est pas si simple. Tout dépend de la fille, de ses centres d'intérêt, de son caractère. Ce n'est pas une science exacte.
EDOUARD
Est-ce qu'il faut que je lui saute dessus assez vite ?
DELPHINE
Surtout pas ! Ce serait la dernière chose à faire ! Prenez votre temps. Discutez de tout et
n'importe quoi. Parlez de vous et surtout, écoutez-la.
EDOUARD
(regardant, inquiet, vers la porte de la chambre)
Alors je vais réfléchir à ça. Allez donc retrouver Alexa, elle doit vous attendre !
DELPHINE
Vous avez raison. Je vous laisse méditer.
(Delphine repart dans le couloir. Agathe sort de la chambre déguisée en infirmière).
AGATHE
Et voilà, prête !
EDOUARD
Oh mince, je ne vais pas y arriver.
AGATHE
Qu'est-ce qu'il se passe ? Ça ne te plaît pas non plus, infirmière ? Je t'assure que je n'ai pas de mari chirurgien !
EDOUARD
Non, mais c'est juste que les hôpitaux, les médecins, les infirmières, tout ça, ça me met mal à l'aise.
AGATHE
Oh, pauvre chou, on a peur des piqûres ?
EDOUARD
Ben, à vrai dire, c'est surtout les infirmières qui m'impressionnent. Tu n'aurais pas une tenue plus... conventionnelle ?
AGATHE
Non, je n'ai pas de tenue plus conventionnelle ! Je ne suis pas conventionnelle ! Écoute, on va pas y passer des heures. J'ai un dernier costume, mais si ça ne va pas, soit tu fais avec, soit je m'en vais !
EDOUARD
Non non ! Je suis sûr que le dernier, ça sera parfait.
AGATHE
A tout de suite, chouchou !
(Agathe retourne dans la chambre. Marco sort de la buanderie, toujours sans son pantalon.)
MARCO
Mais il est où, ce futal, il est où ? J'ai tout retourné !
(puis s'adressant à Edouard) Alors, ça en est où, mon ordinateur ?
EDOUARD
C'est réparé, tout fonctionne nickel !
MARCO
C'est vrai ? C'est pas une blague, cette fois ?
EDOUARD
Si je vous le dis.
MARCO
C'est génial, merci beaucoup ! Je vais pouvoir finir de rédiger mon contrat alors.
EDOUARD
Quand je vous disais que l'informatique, c'était mon dada. Heu... Est-ce que vous pourriez me dire où se trouve votre imprimante ?
MARCO
Mon imprimante ? Pour quoi faire, mon imprimante ? Vous avez imprimé quelque chose ?
EDOUARD
Non, mais vous savez ce que c'est. La conscience professionnelle ! Comme j'ai réparé votre ordi, autant que je vérifie que l'imprimante fonctionne bien. Ça serait bête qu'elle soit en panne elle aussi !
MARCO
Ah ! Parlez pas de malheur. Dès que j'ai rédigé mon contrat, il faut que je l'imprime, pour que mon client le signe.
EDOUARD
Oui, c'est mieux. Alors, elle est où cette imprimante ?
MARCO
Elle est dans la buanderie, là, d'où je viens. D'ailleurs, si vous trouvez un pantalon de costume gris, prévenez-moi ! Vous me sauverez une deuxième fois.
EDOUARD
Pas de problème, je vous dis ça !
(Edouard part dans la buanderie. Marco se remet à taper son contrat).
MARCO
Enfin ! Je vais pouvoir finir ce fichu contrat et ce soir, je pourrai retrouver le président de la FQF sereinement.
(Delphine revient).
DELPHINE
(se parlant à elle-même) Tiens, Edouard n'est plus là. C'est ma faute, je l'ai trop fait attendre, le pauvre.
(Elle voit Marco qui tape sur son ordinateur).Tu l'as toujours pas fini, ce contrat ?
MARCO
Si, si. J'y arrive ! Alors, « Fait à..., le ... ». Enregistrer. Imprimer. Et voilà ! Prêt à être signé de la plus belle plume.
DELPHINE
J'espère bien, qu'il sera signé ! Comme ça, je pourrai m'offrir mon cabinet.
MARCO
Je t'ai déjà dit non. Je ne compte pas dépenser cet argent dans tes futilités !
DELPHINE
(se parlant à elle-même) Sauf si tu meurs dans un terrible accident et que ta veuve éplorée touche l'héritage.
MARCO
Quoi ?
DELPHINE
Non, rien. Je parle toute seule.
MARCO
Ah ! J'ai cru un instant que tu souhaitais ma mort.
DELPHINE
Ne sois pas ridicule, Marco. Je t'aime trop pour penser à des choses pareilles ! Alors, c'est vraiment « non » pour mon cabinet ?
MARCO
Ah, tu lâches pas le morceau, toi ! Ma pauvre fille, tu n'y connais rien dans tous ces investissements complexes dans lesquels je spécule. Mais c'est pas grave, c'est innocente comme ça que je t'aime ! Et tu verras, dans quelques années, nous serons riches, et tu pourras t'offrir tous les loisirs que tu souhaites. Et tu me remercieras !
DELPHINE
Laisse tomber ! Et dis donc, tu ne comptes quand même pas aller à ton rendez-vous cul nu ? C'est comme ça qu'on s'habille au Qatar ?
MARCO
Je n'arrive pas à mettre la main sur mon pantalon ! Tu sais, le gris que je mets toujours pour mes rendez-vous importants. Tu ne l'aurais pas rangé quelque part ?
DELPHINE
Non, je ne l'ai pas vu depuis un moment. Tu as regardé dans la buanderie ?
MARCO
J'en sors !
DELPHINE
Tu n'as pas dû bien chercher, comme d'habitude ! Regarde dans la grande armoire.
MARCO
Bon, si tu le dis, j'y retourne.
DELPHINE
Et moi je vais voir où en est Alexa. Elle a dû finir son exercice.
(Elle repart dans le couloir et Marco vers la buanderie. Marco ouvre la porte de la buanderie).
MARCO
C'est bon, vous avez vérifié l'imprimante ?
(Edouard est sur le pas de la porte).
EDOUARD
Oui si on veut. Je n'ai pas vraiment ce que j'attendais mais bon...
MARCO
Vous n'avez pas retrouvé mon pantalon par hasard ?
EDOUARD
Ah non, désolé.
MARCO
Attendez-moi dans le séjour. Je dois absolument retrouver ce fichu pantalon !
(Marco entre dans la buanderie et Edouard retourne dans le séjour).
EDOUARD
(se parlant à lui-même) Je ne comprends pas. 500 photos imprimées, ça devrait se voir. Mais rien n'est sorti ! Elles sont où mes photos ? Elles sont où ?
(Agathe sort de la chambre déguisée en soubrette).
AGATHE
Et comme ça, ça t'excite, mon chou ?
EDOUARD
Eh ben dis donc ! Cette tenue... Ça me ramène des années en arrière !
AGATHE
Ah bon ?
EDOUARD
Mes parents étaient des gens plutôt aisés, et ils avaient beaucoup de personnel de maison dans leur manoir. Il y avait une femme de chambre, exactement habillée comme toi. La plus belle femme que j'ai connue. J'avais quinze ans, elle en avait vingt. Et elle passait son temps à me faire des avances. Mais moi, j'étais trop timide, elle m'impressionnait. Et je passais mon temps à la fuir. Elle a fini par se lasser et elle est partie de chez nous. J'ai passé ma vie à le regretter ! Quand je te vois comme ça, je me dis que ça vient peut-être de là, mon problème.
AGATHE
Ton problème ? Quel problème, mon biquet ?
EDOUARD
Ben, heu, c'est-à-dire. C'est pas facile à dire.
AGATHE
Accouche, mon garçon ! On est entre nous, je ne vais pas te manger.
EDOUARD
Les femmes m'obsèdent, mais elles me font peur. Mais elles m'obsèdent. Mais quand même, elles me font peur. Dès qu'il y en a une en face de moi, il ne se passe jamais rien. Nada !
AGATHE
Nada ?
EDOUARD
Que dalle !
AGATHE
Non... Tu n'es quand même pas puceau, Marco Picker ?
EDOUARD
Heu, on peut peut-être le dire comme ça...
AGATHE
C'est bien ma veine ! C'est un pompier débutant qui va éteindre le feu.
EDOUARD
Je suis vraiment désolé. Tu peux t'en aller si tu veux.
AGATHE
Ah non ! Je ne suis pas venue ici pour repartir la chaudière allumée. Alors mon coco, je vais te prendre en main, moi, tu vas voir. Je vais te faire rattraper le temps perdu.
EDOUARD
Je risque d'être un peu maladroit.
AGATHE
T'inquiète ! Je gère. Alors Marco Picker, comment on le démarre, ton moteur ?
(Elle l'attrape par le col).
EDOUARD
Oh la la ! Je transpire...
(Elle le pousse et ils tombent tous les deux allongés sur le canapé).
AGATHE
Tu aimes les soubrettes ? Je vais t'en donner, de la soubrette !
(Marco sort de la buanderie).
MARCO
Mais c'est pas possible ! Toujours pas de pantalon et en plus, mon contrat n'est pas sorti. L'imprimante est complètement plantée !
AGATHE
Oh mon dieu ! Je suis chaude comme la braise !
(Marco voit Edouard et Agathe allongés sur le canapé. Le visage d'Agathe est caché).
MARCO
Qu'est-ce que vous faites sur mon canapé ? Faut pas vous gêner mon vieux !
EDOUARD
Heu... C'est juste mes souvenirs d'adolescent qui reviennent.
AGATHE
(toujours la tête cachée) Viens ! Viens ! Sors-moi ton engin de chantier !
MARCO
Oh oh, ça suffit ! Vous vous croyez où là ?
(Agathe relève la tête).
AGATHE
Qu'est-ce qu'il y a ?
(Marco et Agathe se reconnaissent).
MARCO
Agathe !
AGATHE
Marco !
EDOUARD
Comment ça, Agathe ? Vous vous connaissez tous les deux ?
MARCO
Qu'est-ce que tu fais ici, allongée sur le technicien informatique ?
EDOUARD
(flatté)
N'exagérons rien, c'est juste mon dada.
(Agathe se relève, gênée).
AGATHE
Heu... Je... Mais...
MARCO
Tu te tapes un technicien informatique ! Et chez moi en plus ! Salope !
EDOUARD
(se relevant) Hé ! Oh ! C'est la disquette qui se moque de la clé USB ! Quand on va sur hotrendezvous.com, on est ouvert, normalement. Surtout quand on s'appelle Marco Picker !
AGATHE
(s'adressant à Marco) Hein ? C'est toi Marco Picker ?
MARCO
(s'adressant à Edouard) Comment vous savez ça, vous ? C'est quoi cette histoire ?
EDOUARD
Heu... Non, mais c'est juste sur votre ordi. J'ai simplement voulu vérifier que tout fonctionnait bien. Vous savez, l'informatique, c'est mon dada. Et je suis tombé sur ce site.
MARCO
Mais c'est dégueulasse ! Vous fouillez dans mon ordi et en plus, j'apprends que ma maîtresse va sur hotrendezvous.com !
AGATHE
Et toi alors ? T'en as visité combien, des chantiers là-bas ? Marco Picker !
EDOUARD
Vous voulez dire que ce n'est même pas sur ce site que vous vous connaissez ?
MARCO
Vous, ta gueule ! Ça ne vous regarde pas !
EDOUARD
(s'adressant à Agathe) Eh ben dis donc, c'est lui, ton amant dans la vraie vie ? C'est pas possible !
AGATHE
Oui, j'y crois pas, le monde est petit !
MARCO
Et puis c'est quoi ce bordel ? Mon contrat ne s'est pas imprimé et l'imprimante refuse de s'allumer ! Qu'est-ce que vous avez foutu ?
EDOUARD
Ah, je me disais bien aussi qu'il y avait un problème. Je n'ai pas vu mes photos non plus.
MARCO
Vos photos ? Quelles photos ?
EDOUARD
Non, je voulais dire que j'ai essayé d'imprimer une page de test pour voir si tout fonctionnait bien, et qu'elle n'est pas sortie.
MARCO
Tu parles d'un technicien ! Alors oui, vous avez réparé mon ordinateur et je vous en remercie. Mais vous avez planté mon imprimante et vous avez ramené ma maîtresse ici. Alors allez me réparer cette imprimante tout de suite ! Et je vous garantis qu'après, j'appellerai Ordinature pour leur parler de votre comportement et je vais vous faire virer !
EDOUARD
Ordinature ? C'est quoi ça ?
MARCO
Vous ne venez pas de la part du SAV ?
EDOUARD
Non, je suis chômeur, moi.
MARCO
Hein ?
EDOUARD
Avant, j'étais youtubeur.
MARCO
Quoi ?
EDOUARD
J'avais inventé un super concept, une vidéo de deux heures avec juste un écran noir.
MARCO
Juste un écran noir ? Pendant deux heures ? N'importe quoi. Et ça a marché ?
EDOUARD
Un vrai buzz ! Dix millions de vues. Et vous n'avez pas idée du nombre de gens qui l'ont visionnée jusqu'au bout !
MARCO
Il y a des gens assez cons pour faire ça ?
EDOUARD
C'est YouTube.
MARCO
Incroyable !
EDOUARD
Mais après, j'ai voulu passé au cap supérieur. J'ai fait une deuxième vidéo du même écran noir, en ajoutant un point blanc qui se promène dessus. Et curieusement, ça n'a pas marché. Sans doute trop compliqué !
MARCO
Je comprends.
EDOUARD
Alors j'ai tout laissé tomber. Et depuis, je n'ai pas trouvé de boulot.
MARCO
Mais qu'est-ce que vous foutez là alors ?
EDOUARD
Je viens voir la psy.
MARCO
Elle est aussi sur ce site ??
EDOUARD
J'en sais rien ! Je viens pour ma séance.
MARCO
Oh, c'est pas vrai ! Ça commence à m'agacer vraiment, ce hobby. Bon, en attendant, puisque vous êtes là et que l'informatique, c'est votre dada, allez donc voir ce qu'elle a, mon imprimante !
EDOUARD
Ah ouais ! Ça me plaît, ça. Et après, je pourrai continuer avec Braise Ardente ?
MARCO
Foutez le camp !
(Edouard part dans la buanderie. Marco prend violemment la main d'Agathe).
Alors toi, il va falloir maintenant que tu m'expliques clairement ta conception de la vie de couple adultère, parce que j'ai vraiment l'impression d'être l'amant cocu dans l'histoire, moi !
entracte
acte II
(Marco et Agathe s'expliquent dans le séjour).
AGATHE
Fais pas la gueule, Marco, ce n'est pas si grave, après tout.
MARCO
Pas si grave ? Tu me trompes et ce n'est pas si grave ?
AGATHE
Écoute. Réfléchis un peu. Entre nous deux, on se dit des mots doux, on se dit qu'on s'aime, mais tu sais bien que ça a toujours été uniquement physique.
MARCO
Heu, oui. C'est vrai.
AGATHE
Donc, s'il n'y a pas d'amour, il ne peut pas y avoir tromperie. Hé hé ! CQFD.
MARCO
CQFD, c'est l'cul facile à détourner, oui ! Tu en as de bonnes, toi !
AGATHE
Oh, et puis tu ne m'as pas attendue pour t'inscrire toi aussi sur ce site. Monsieur me reproche d'aller sur un site de rencontres coquines alors qu'il fait la même chose !
MARCO
D'accord, mais moi, je me suis juste inscrit ! Je n'ai même pas eu le temps encore d'en profiter.
AGATHE
Mais ça n'est pas l'envie qui t'a manqué, juste le temps, petit hypocrite ! Allez, faisons un pacte. Chacun de nous fait sa vie sexuelle comme il l'entend, et on continue à se voir régulièrement quand même. On va dire que tu seras mon coup préféré et que je serai ton coup préféré !
MARCO
De toute façon, je n'ai pas l'impression que tu me laisses vraiment le choix.
AGATHE
Alors, mon coup préféré, sais-tu que l'autre coco, il m'a chauffée à blanc, là ? Il faut que tu fasses quelque chose, j'ai peur que ça finisse en incendie !
(Elle se rapproche sensuellement de Marco).
MARCO
(hésitant) Non, pas ici. Pas maintenant.
AGATHE
Allez, ne fais pas ton timide. Tu es Marco Picker après tout !
MARCO
(ne se défendant pas trop) Mmh... Mais il y a ma femme à côté. Arrête !
AGATHE
Qu'est-ce qu'elle fait, ta femme ? Elle a l'air bien occupée, je ne l'ai pas vue.
MARCO
Elle est en consultation avec une patiente.
AGATHE
Eh bien alors ? Elle n'est pas là ! On peut faire ça vite fait, comme d'habitude.
MARCO
Non, tu ne te rends pas compte ! Elle peut arriver d'un instant à l'autre. Et puis c'est quoi, cette tenue ?
AGATHE
Ça ne te plaît pas ?
MARCO
Si, c'est très... seyant. Et puis, ça change de l'apicultrice.
AGATHE
Tu l'as dit ! Ça t'excite, mon cochon ?
MARCO
Oui, c'est très excitant, mais il va falloir oublier le miel.
AGATHE
T'inquiète ! J'ai d'autres atouts dans mon jeu. Allez, viens jouer avec ta soubrette favorite...
(Ils finissent par se coller et elle lui caresse les fesses avec son plumeau. Delphine et Alexa arrivent du couloir).
ALEXA
Aaah !!!
(Marco et Agathe sursautent et se détachent de façon ridicule).
MARCO
Voilà que ça recommence ! Mais qu'est-ce qui vous arrive bon sang ? Vous êtes pas bien ?
ALEXA
Votre ordinateur, là !
MARCO
Quoi mon ordinateur ? Qu'est-ce qu'il a mon ordinateur ? Vous avez peur des ordinateurs ?
ALEXA
Je suis désolée, mais il faut me comprendre. Je suis musophobe.
DELPHINE
Ne dites rien, Alexa ! Votre pathologie ne regarde que nous.
MARCO
Musophobe ? C'est quoi, ça, musophobe ? C'est la peur des ordis ?
ALEXA
Non, j'ai peur des souris.
MARCO
Je ne vois pas le rapport !
ALEXA
Là, sur votre bureau...
MARCO
(regardant son ordinateur) Ah ! Mais ce n'est pas une vraie souris ! C'est une souris d'ordinateur.
(se moquant d'elle) Ah ah ! Vous êtes vraiment atteinte, vous !
DELPHINE
Marco, je t'en prie, un peu de respect !
ALEXA
C'est une souris quand même.
MARCO
(avec pédagogie) Non. C'est juste un périphérique de pointage qui me permet de déplacer mon curseur sur l'écran, vous comprenez ?
ALEXA
Et ça s'appelle comment, votre... périphérique de pointage ?
MARCO
Bah une souris !
ALEXA
Et voilà ! C'est bien ce que je disais. C'est une souris !
MARCO
Une souris d'OR-DI-NA-TEUR !
ALEXA
Ça reste quand même une souris !
(Marco s'énerve et agite la souris en l'air en direction d'Alexa).
MARCO
Mais vous n'allez pas me gonfler avec une souris d'ordinateur ! C'est vraiment pas le moment ! J'ai d'autres chats à fouetter moi !
ALEXA
Aaahh !!
(Alexa panique et retourne se réfugier au fond du couloir).
DELPHINE
Ça c'est malin ! Des semaines de thérapie, je commençais à avoir des résultats et tu viens de tout fiche en l'air en quelques minutes !
MARCO
Mais ce n'est pas une vraie souris !
DELPHINE
En attendant, tu crois que je ne t'ai pas vu te faire caresser les fesses par cette souris-là ? Toujours en caleçon, comme par hasard ! C'est qui ? Tu peux m'expliquer ?
MARCO
(désignant Agathe) Hein ? Heu... Ça ? Oh non, c'est rien, ça.
AGATHE
C'est moi, ÇA ?
MARCO
(murmurant à Agathe) N'en rajoute pas, tu vois bien que c'est ma femme.
(puis s'adressant à Delphine) C'est une histoire toute bête.
AGATHE
On va tout vous expliquer.
MARCO
(murmurant à Agathe) Tais-toi, je t'ai dit !
(puis s'adressant à Delphine) Il s'agit d'une femme de ménage.
DELPHINE
Oui, je vois bien. Et drôlement vêtue, la soubrette !
AGATHE
N'est-ce pas ? Ça vous plaît ?
MARCO
Elle a sonné chez nous, car elle cherche à faire des heures de ménage.
AGATHE
(d'une voix sensuelle) Oui, des heures de ménage, et plus si affinités.
MARCO
Je lui ai dit qu'on allait réfléchir.
DELPHINE
C'est tout réfléchi ! On n'a pas besoin de femme de ménage. Et certainement pas de ce genre-là !
MARCO
Oui, c'est bien ce que je comptais lui dire finalement.
AGATHE
Ah bon ?
DELPHINE
Et tu peux me dire pourquoi elle te caressait les fesses avec son plumeau ?
MARCO
Ah... Ça c'est rien. Je... Enfin, elle... Quand je lui ai dit que nous n'avions pas besoin de ses services, elle a insisté. Elle a voulu faire ses preuves. Alors, en grande professionnelle, elle a vu que j'avais une poussière sur mon caleçon. Elle voulait simplement me la retirer !
AGATHE
(d'une voix sensuelle) Oh oui ! Une grosse poussière sur le caleçon...
MARCO
(s'adressant à Agathe) Agathe !
DELPHINE
Agathe ? Alors tu la connais finalement ?
MARCO
Heu... Agathe... Agathe...
(jouant de la air guitare et chantant d'une voix éraillée)
Agathe the blues... Mmh... Je me sens d'humeur chantante d'un coup, moi !
DELPHINE
Donc, si je résume, vous me dites si je me trompe, hein ? Une femme de ménage à la recherche de travail fait du porte-à-porte.
AGATHE
(prenant un accent étranger) Oui, ché cha. Moi, pauvre femme de ménache.
DELPHINE
Elle est tellement pauvre qu'elle a beaucoup de mal à couvrir ses jambes.
AGATHE
(toujours avec un accent) Oui. Chambes nues dans la rue, dans le froid.
DELPHINE
Tellement désespérée qu'avec sa tenue, elle doit faire le trottoir pour survivre.
AGATHE
(reprenant sa voix normale et s'emportant) Ah non, faut quand même pas exagérer !
DELPHINE
Donc, elle sonne chez nous pour demander du travail.
AGATHE
Voilà. C'est mieux, ça !
DELPHINE
Et pour montrer ses compétences, elle te dépoussière le calbute.
MARCO
Tu as tout compris, chérie !
DELPHINE
Tu me prends vraiment pour une conne, hein ? Arrête ton cinéma, je suis à deux doigts de demander le divorce !
(Édouard revient, le visage couvert d'encre, et intervient).
EDOUARD
Non docteur, ne vous en prenez pas à votre mari, c'est un malentendu ! Il n'y est pour rien.
DELPHINE
Edouard ? Mais qu'est-ce que vous faites là ? Et dans cet état ?
EDOUARD
Je répare l'imprimante de votre mari.
DELPHINE
Hein ?
EDOUARD
En tout cas, pour votre mari, il n'a rien à voir avec cette fille ! Je vois bien qu'il essaie de me couvrir. C'est très sympa de sa part.
(Il fait un gros clin d'oeil à Marco). Mais cette fille, il ne la connaît pas du tout !
MARCO
Pas du tout !
EDOUARD
Même pas dans la vraie vie !
MARCO
Même pas dans la vraie vie !
DELPHINE
Comment ça, dans la vraie vie ?
EDOUARD
Non, je veux dire, cette fille, c'est moi qui l'ai invitée chez vous.
AGATHE
Cette « fille », elle a un nom, Ducon !
EDOUARD
Oui, pardon. Braise Ardente, c'est moi qui l'ai invitée chez vous.
AGATHE
Heu... Entre amis, c'est Agathe, si tu veux bien !
EDOUARD
Oui. Agathe.
DELPHINE
Qu'est-ce que vous racontez ? Vous êtes sûr, Edouard ? Comment vous auriez pu inviter une fille ici, après notre discussion ?
EDOUARD
Eh bien, c'est-à-dire que, j'ai suivi vos conseils. A partir d'un site de rencontres.
DELPHINE
Un site de rencontres ? Bravo Edouard, je vous félicite ! Toujours en avance, à ce que je vois. Mais maintenant, il va falloir trier un peu mieux.
AGATHE
Qu'est-ce qu'elle raconte, la mal baisée ?
DELPHINE
Faites voir votre téléphone, Edouard. Je vais vous aider à trouver les bonnes personnes.
AGATHE
Mais elle me cherche ou quoi ?
EDOUARD
Heu, je n'ai pas mon téléphone avec moi.
DELPHINE
Mais alors, comment avez-vous pu lui donner rendez-vous ? Et ici, en plus !
EDOUARD
Non, c'est juste que quand j'ai regardé l'ordi de votre mari et que j'ai vu le site hotrendez-vous.com, je me suis dit que c'était l'occasion rêvée.
DELPHINE
Hotrendezvous.com ?
EDOUARD
Oui. Ça semblait sérieux. Alors je n'ai pas pu m'empêcher d'utiliser son pseudo pour aller chercher une fille.
(Marco ne sait plus où se mettre).
DELPHINE
Son pseudo ?
(puis s'adressant à Marco) Tu m'expliques ?
MARCO
(très gêné) Heu... Oui, bien sûr. Je t'explique. C'est tout bête. C'est juste pour le travail. Quand tu auras écouté mon histoire, je t'assure que tu vas beaucoup rire !
DELPHINE
J'ai déjà mal aux côtes.
MARCO
Non mais écoute-moi ! Hotrendezvous.com, ce n'est pas ce que tu penses. Heu... Attends... Voilà ! Tu te rappelles mon avant-dernier client, le cuisiniste allemand ?
DELPHINE
Non, je ne vois pas.
MARCO
Tant pis, ça n'a pas d'importance. Eh bien, il cherchait un nouveau système de hotte. Tu vois, le genre de hotte qui se déclenche automatiquement à la moindre vapeur de graisse.
DELPHINE
Je ne vois pas le rapport. Arrête de tourner autour du pot !
AGATHE
Mmh... Le pot de miel.
MARCO
J'ai cherché « hotte » sur internet, et forcément, je suis tombé sur hotrendezvous.com !
DELPHINE
En cherchant « hotte » ? Tu ne te ficherais pas de moi, par hasard ?
MARCO
Non, non ! Si tu cherches « hotte », eh bien internet n'est pas assez intelligent pour faire la différence avec « hot ». Pour internet, « hotte » et « hot », c'est la même chose !
DELPHINE
Et bien sûr, tu n'as pas remarqué qu'on ne vendait pas de hottes, sur ce hotrendezvous.com ?
MARCO
À première vue, non ! La page du site montrait un homme et une femme dans leur cuisine.
AGATHE
Oh oui, elle est chouette, cette photo ! Ils sont tout nus sur le plan de travail.
MARCO
Ah ? J'avais pas remarqué ! Enfin bref, il fallait se créer un compte pour avoir les détails, alors je me suis pris un pseudo.
AGATHE
Marco Picker. Alors ça, c'est bien trouvé !
DELPHINE
Marco Picker, c'est ton pseudo ? Pour un site de cuisine ? Marco Picker ? Laisse-moi rire !
MARCO
Je t'avais bien dit que tu allais rire !
AGATHE
C'est bien trouvé, mais ce n'est pas drôle non plus. Il n'y a pas de quoi rire.
DELPHINE
Marco Picker ! Ce n'est pas comme ça que je te voyais. Le pseudo Mou de la Chignole, c'était déjà pris ? Tu veux qu'on en parle dans mon cabinet ?
MARCO
Marco Picker, c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit.
(Delphine regarde alors la main d'Agathe).
DELPHINE
C'est quoi, cette bague que vous avez au doigt ? On dirait la bague de maman. Ça fait des semaines que je la cherche !
AGATHE
Hein ?
(Delphine prend la main d'Agathe pour examiner de plus près).
DELPHINE
Mais oui, c'est bien celle de ma mère ! Il n'y en a pas deux pareilles. Je ne la retrouvais plus. J'ai retourné l'appart de fond en comble. C'est quoi ce délire ?
(puis s'adressant à Marco) Qu'est-ce qu'elle fait avec la bague de maman?
MARCO
Heu... Tu es sûre, chérie ? Elle ressemble beaucoup en effet, mais...
DELPHINE
Je te dis que c'est sa bague ! Il y a des détails qui ne trompent pas ! Maman se retournerait dans sa tombe si elle voyait sa bague au doigt de cette... chose.
AGATHE
Quoi ?
MARCO
Ah oui, en effet, on dirait bien.
DELPHINE
Marco, j'attends une explication !
MARCO
Eh bien, heu... C'est-à-dire...
(puis, pris au dépourvu, s'adressant à Agathe) Voleuse ! C'est quoi, ces manières ! Vous vous introduisez chez nous et vous volez une bague !
AGATHE
Oh t'es gonflé, c'est toi qui me l'as...
MARCO
(lui coupant la parole) Voleuse ! Voleuse !
(puis s'adressant à l'assemblée) Messieurs dames, cette femme est une voleuse ! Une femme de ménage qui s'introduit chez les gens pour dérober leurs biens !
DELPHINE
Ce n'est pas une femme de ménage, c'est une pauvre fille qu'Edouard a ramenée.
MARCO
(s'adressant à Edouard) Mon vieux, vous avez vu ce que vous avez amené chez nous ? Une voleuse !
EDOUARD
Ah bah, je ne pouvais pas savoir, moi !
MARCO
Une vulgaire traînée qui, en plus de butiner sur les sites de rencontres, va aller cambrioler les gens !
AGATHE
Une vulgaire traînée ? Non mais dis donc, va falloir changer de ton, mon gars !
MARCO
Ah ! Je ne sais pas ce qui me retient d'appeler la police ! Non, vraiment, je ne sais pas ce qui me retient.
DELPHINE
Heu... On ne va quand même pas déranger la police pour ça. Après tout, elle a retrouvé la bague que j'avais perdue. Alors, elle va juste gentiment la rendre et tout rentrera dans l'ordre.
MARCO
Allez, rends la bague maintenant. Rends la bague !
(Il prend la main d'Agathe et tente de retirer la bague).
AGATHE
Non mais oh ! Je ne vais pas la rendre, cette bague, quand même !
EDOUARD
Je crois qu'il vaut mieux la rendre. C'est mieux que la police.
(Agathe retire la bague et la donne à Marco).
AGATHE
Oh, c'est bon ! La voilà, la bague ! Toi mon coco, tu ne perds rien pour attendre.
DELPHINE
J'en ai assez vu ! Marco, tout n'est pas clair dans cette histoire. On en reparlera plus tard, je retourne m'occuper d'Alexa.
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal) Alexa, quel temps fait-il ?
DELPHINE
Ta gueule !
(Delphine repart dans le couloir).
AGATHE
Dis donc, Marco. Comme ça, c'est la bague de ta belle-mère que tu m'as offerte ?
MARCO
Elle était au fond d'un tiroir depuis des années. Et je trouve qu'elle t'allait si bien.
AGATHE
C'est ça, oui ! Même pas fichu de me faire un vrai cadeau, radin !
EDOUARD
C'est vrai que c'est pas des choses à faire à Braise Ardente !
AGATHE
Exactement ! C'est fini, nous deux.
(montrant Edouard) Maintenant, c'est lui qui éteindra le feu !
MARCO
Lui ? Il faudrait déjà qu'il répare mon imprimante !
(s'adressant à Edouard) D'ailleurs, ça en est où, mon imprimante ?
EDOUARD
Ça avance, ça avance. Il y a comme un petit problème mais ça avance.
MARCO
Comment ça, un petit problème ? Elle n'est pas réparée ?
EDOUARD
Je n'ai pas encore réussi. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Je l'ai complètement démontée. Je n'ai plus qu'à comprendre comment la remonter.
MARCO
Quoi ! Vous me faites peur, là.
(Il va voir dans la buanderie). Mais c'est quoi ce bordel ? Vous avez tout salopé ! Il y a des vis partout et de l'encre plein les murs et la moquette !
(On sonne).
MARCO
Mais qui c'est, encore ?
(Justin entre. Il a une sacoche de bricolage avec lui).
JUSTIN
C'était écrit « Sonnez et entrez », alors je suis entré.
MARCO
Qu'est-ce que c'est ? Oh mon dieu ! C'est quoi cette odeur ? Vous êtes passé par le local à poubelles pour entrer dans l'immeuble ?
JUSTIN
Bonjour. Le local à poubelles ? Non, je ne vois pas pourquoi. Heu... Vous n'avez pas de pantalon, monsieur.
MARCO
Je sais ! Qu'est-ce que vous voulez ?
JUSTIN
Je suis le technicien de Ordinature. Votre ordinateur est en panne, paraît-il.
MARCO
(avec un mouvement de recul gêné) Vous arrivez un peu tard, dites-moi !
JUSTIN
Vous plaisantez ? J'ai fait le plus vite que j'ai pu ! Normalement, ce n'était pas avant une semaine. Mais vous aviez l'air tellement désespéré, m'ont dit les collègues du support technique, qu'ils m'ont demandé de venir au plus vite. Comme je suis un grand professionnel, j'ai tout de suite sauté dans ma voiture, sans même prendre le temps de me laver !
AGATHE
Ah, c'est ça, cette drôle d'odeur ? Ça me rappelle les vestiaires du stade de rugby. Je vais y faire ma promenade tous les dimanches après l'entraînement.
JUSTIN
(se sentant les aisselles) Non, je sens rien. Alors, il est où, cet ordinateur ?
MARCO
Il est réparé !
(montrant Edouard) C'est l'autre, là, qui l'a dépanné. Ce n'est pas son métier, mais il a quand même réussi !
EDOUARD
La technologie, c'est mon dada !
MARCO
(s'adressant à Edouard) Eh ! N'en rajoutez pas, mon vieux ! La chambre, vous l'avez quand même ravagée, l'imprimante, vous l'avez cassée, quant à ma maîtresse, vous l'avez... Je préfère ne rien dire !
JUSTIN
C'est une plaisanterie ! Vous m'avez fait déplacer pour rien !
MARCO
(dégoûté) Je suis désolé. Au revoir, monsieur. Et s'il vous plaît, allez prendre une douche et changez-vous.
JUSTIN
Désolé ? Mais vous vous prenez pour qui ? Vous croyez que j'ai que ça à faire, moi ? Non mais, imaginez un peu qu'on appelle des pompiers pour éteindre un incendie, et qu'en arrivant sur place, un mec aurait déjà fait tout le boulot avec un tuyau d'arrosage !
AGATHE
Oh oui... Un tuyau d'arrosage...
JUSTINE
Eh bien, ils seraient venus pour rien, les pompiers !
MARCO
Ce n'est pas vraiment la même chose.
JUSTIN
Ah, vous croyez ? Ou alors un médecin qui viendrait soigner un malade et trouverait un rebouteux qui l'a déjà guéri !
MARCO
Oui, c'est bon, on a compris l'image !
JUSTIN
Eh bien, il serait venu pour rien, le médecin !
AGATHE
Ou une maîtresse qui va voir son amant, mais sa femme s'est déjà occupé de lui et lui a pompé toute son énergie..
EDOUARD
Eh bien, elle serait venue pour rien, la maîtresse !
AGATHE
Sauf si elle est douée comme moi ! Dis-moi au fait, c'est quoi ton petit nom ?
EDOUARD
Edouard.
AGATHE
Alors Eddy, je crois qu'on va apprendre à se connaître.
MARCO
C'est pas bientôt fini ? Je te rappelle que je suis ton amant !
AGATHE
Plus maintenant ! T'as rien entendu ou quoi ? C'est fini, nous deux. Exit Marco Picker !
JUSTIN
(faisant des grands gestes en levant les bras)
Ça va durer encore longtemps vos chamailleries ? Vous semblez m'oublier !
MARCO
(toujours dégoûté par l'odeur) Non, non, je vous assure, on ne peut pas vous oublier. Mais il faut partir maintenant. Reculez ! Reculez !
JUSTIN
Vous croyez que je vais m'en aller comme ça après être venu pour rien ? Alors, je vous préviens, vous avez intérêt à me dédommager sinon je vais tout casser, moi !
(Alexa et Delphine sortent du cabinet, Justin reconnaît Delphine et est pétrifié, mais Delphine ne le voit pas encore).
ALEXA
Oh non, je ne suis pas prête, je ne suis pas prête...
DELPHINE
Alexa, on avait dit qu'on arrêtait là pour aujourd'hui. Maintenant, il va falloir prendre sur vous. Vous ne pouvez pas rester dans mon cabinet toute la journée.
ALEXA
Non ! Non ! C'est pas possible, je n'y arrive pas.
DELPHINE
Bon d'accord Alexa, restez et recommencez les exercices que je vous ai montrés. Concentrez-vous sur les images de Mickey. Essayez de vous convaincre qu'une souris, ça peut être gentil.
(Alexa retourne dans le cabinet et Delphine renifle).
Oh mon dieu, je reconnais ce parfum !
(Elle se retourne, reconnaît Justin et a un effroi). Ah ! Justin ??
MARCO
Comment ça, Justin ? Tu le connais ?
DELPHINE
Non, non non. Justin... Justin... Juste un moment, je réfléchis à ce que je vais dire. Alors, Justin... Voilà. Justin, c'est un nouveau patient !
MARCO
Ben non, c'est le technicien de Ordinature.
DELPHINE
Oui ! Bien sûr... C'est aussi le technicien de Ordinature ! Mais c'est aussi mon nouveau patient. Il devait venir demain, c'est pourquoi j'ai été surprise en le voyant.
(puis s'adressant à Justin) Bonjour ! Justin, c'est bien ça ?
JUSTIN
Bonjour Delph... teur, heu, bonjour docteur !
MARCO
Mais si c'est un nouveau patient, comment tu l'as reconnu ?
DELPHINE
Ça, c'est la conscience professionnelle !
EDOUARD
Ou alors c'est l'odeur. J'ai une petite idée de son problème, à lui. Bon courage !
DELPHINE
Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler, Edouard. Cet homme a un parfum très excit... très naturel.
MARCO
Bon, j'ai assez perdu de temps comme ça ! Je vais aller chez nos voisins, les Tessier, pour imprimer mon contrat sur leur imprimante. Je leur ai rendu service plus d'une fois, ils me doivent bien ça.
(Il se dirige vers la porte d'entrée).
DELPHINE
Ne va pas comme ça chez les Tessier ! Mets quelque chose sur tes fesses. Déjà qu'ils sont assez coincés, si tu y vas en caleçon, ils vont faire une attaque !
MARCO
Ah oui, c'est vrai !
(Il va dans la chambre).
EDOUARD
Pendant ce temps, je vais essayer de réparer cette foutue imprimante. Ça n'est quand même pas un petit gadget technologique qui va me résister !
DELPHINE
Mais de quoi vous parlez, Edouard ?
EDOUARD
Je vous ai dit, votre mari m'a demandé de réparer son imprimante, mais il ne comprend pas que quand on bricole, forcément, ça peut être un peu salissant !
DELPHINE
Comment ça, salissant ?
EDOUARD
Heu... Eh bien, l'encre, et tout ça.
(Delphine blêmit et jette un œil dans la buanderie).
DELPHINE
Oh non. Ma buanderie. Mon dressing. Mon lave-linge. Il y en a partout ! Mais Edouard, comment vous avez pu mettre de l'encre partout ?
EDOUARD
J'aime bien bricoler mais je ne suis pas très soigneux.
DELPHINE
Pas très soigneux ? Mais un enfant de cinq ans ferait moins de dégâts avec dix pots de peinture à l'huile !
EDOUARD
Je suis désolé, docteur.
DELPHINE
Il y en a même sur la planche à repasser ! Et sur mes robes ! Edouard, vous avez beau être mon patient, ça n'est pas possible ! Vous allez me nettoyer ça, fissa !
EDOUARD
Je vais faire au mieux, docteur.
AGATHE
(agitant son plumeau) Je vais t'aider à nettoyer tes cochonneries, mon Eddy ! J'ai la tenue idéale pour astiquer !
DELPHINE
Oui, c'est ça. Allez-y. Bon débarras ! Et ne volez rien, hein ? Il faut que je discute avec Justin, mon nouveau patient.
JUSTIN
Vous avez besoin d'un coup de main pour l'imprimante ?
DELPHINE
Tu restes là, toi !
(Edouard et Agathe vont tous deux dans la buanderie, pendant que Marco sort de la chambre avec son pantalon de survêtement et sa chemise et sa cravate).
DELPHINE
C'est quoi, cette tenue ?
MARCO
Je ne trouve pas mon pantalon. Les Tessier ne vont pas s'offusquer pour un jogging. Ne t'inquiète pas, je me changerai pour mon rendez-vous !
(Il prend son ordinateur, puis quitte la scène par la porte d'entrée).
DELPHINE
Qu'est-ce que tu fais là Justin ? On avait dit demain !
(Elle le renifle). Mmh ! Je ne me lasse pas de ton odeur. Au fait, comment tu as su où j'habitais ? Je ne t'ai pas encore envoyé l'adresse.
JUSTIN
Mais j'en savais rien. Tu sais que je bosse à Ordinature. Je pense que c'est ton mari qui a appelé le SAV pour son ordinateur en panne. Un jour trop tôt on dirait !
DELPHINE
En panne ? Mais je n'y ai même pas touché, à son ordi ! Il est tombé en panne tout seul !
JUSTIN
Notre plan tombe à l'eau. Tu ne peux quand même pas le remettre en panne demain, ça ferait louche !
DELPHINE
Louche ! Louche ! Mais je m'en fous ! Demain, je le remets en panne et tu reviens pour tuer Marco ! Et si ça ne suffit pas, je le reremets en panne et tu retues Marco !
JUSTIN
Mais ça ne se passe pas comme ça ! A la deuxième panne, c'est retour direct à l'atelier. Je ne pourrai pas venir.
DELPHINE
Alors, on trouve autre chose ! Hors de question que j'attende plus longtemps ! Je ne suis pas dupe, je suis sûre qu'il se tape la femme de ménage ! Et en plus, il lui a offert la bague de maman, ce salaud, je suis sûre qu'elle ne l'a pas volée ! Alors tant pis, on fait ça aujourd'hui. Tu le zigouilles ! Tu le zigouilles !
JUSTIN
Tu en as de bonnes, toi ! Je le zigouille comment ?
(Delphine retire son foulard et le met autour du cou de Justin).
DELPHINE
Tu pourrais l'étrangler par exemple.
(Elle fait semblant d'étrangler Justin, mais sensuellement).
JUSTIN
Il faut de la force pour étrangler quelqu'un. Tu m'as vu ? Je suis technicien informatique, pas bûcheron !
DELPHINE
Oui, tu as raison. Attends, je vais chercher quelque chose dans la cuisine et je reviens.
(Elle laisse le foulard autour du cou de Justin, puis se dirige vers le couloir, puis fait demi-tour et revient vers Justin).
Attends, je cherche, mmh, l'inspiration.
(Elle le renifle, puis part dans le couloir. Pendant ce temps, Justin retire le foulard et le pose sur le bureau).
EDOUARD (en coulisses)
Eh ! Doucement, Braise Ardente, j'essaie de retirer le capot du condensateur.
AGATHE (en coulisses)
Et mon capot ? Tu l'as vu, mon capot ?
EDOUARD (en coulisses)
Nettoie donc le mur, il y a de l'encre partout. Ah ! Saleté de capot. Il faudrait que je trouve quelque chose pour faire levier.
AGATHE (en coulisses)
Oh oui ! Un levier ! Enlève ta chemise, grand fou !
(Delphine revient du couloir et donne un couteau à Justin).
DELPHINE
Tiens ! Avec ça, tu vas pouvoir lui régler son compte définitivement.
JUSTIN
Un couteau ? Mais c'est crade ! Ça va mettre du sang partout.
DELPHINE
Parce que tu crois qu'une explosion en pleine tronche, ça va laisser des décorations de Noël ? Et puis, c'est un couteau de charcutier. Je l'ai gardé de mon ancienne charcuterie. Ça fait du travail propre, je t'assure !
JUSTIN
Quand même, je préfère les batteries trafiquées ! Les couteaux, ce n'est pas trop mon truc pour assassiner quelqu'un. C'est trop... personnel.
EDOUARD (en coulisses)
Je vais essayer avec la planche à repasser.
AGATHE (en coulisses)
On va la casser si on se couche dessus !
EDOUARD (en coulisses)
Non, je cherche un levier.
JUSTIN
Et puis il y a du monde.
DELPHINE
Tu parles ! Une névrosée, un geek attardé et une nymphomane ! Ils n'auront pas beaucoup de crédit. Mais tu te dégonfles, ma parole ?
JUSTIN
Non, mais un couteau, je ne sais pas. Je risque d'avoir plein de sang sur moi. Ça me dégoûte un peu quand même !
DELPHINE
Non, mais tu ne vas pas faire ta chochotte, quand même ! C'est un couteau de charcutier, je te dis. Sa lame est aiguisée comme un rasoir. Et puis, c'est pas quelques gouttes de sang qui vont te faire du mal ! Je t'assure que moi, dans ma charcuterie, j'en ai vu, du sang, et je n'ai pas fait autant d'histoires !
JUSTIN
Oui, mais là, c'est d'un être humain dont on parle, pas d'un jambon.
DELPHINE
Eh bien, imagine que c'est un jambon alors !
JUSTIN
Mais ton mari, il ne ressemble pas trop à un jambon.
DELPHINE
Mais aie un peu d'imagination, putain ! C'est quand même pas compliqué de planter un couteau dans un jambon ! Ou alors, pense que c'est une tête de veau. Oui, voilà ! Une tête de veau sauce gribiche. Ou du museau ! Oui, du museau vinaigrette. Tu n'es pas musophobe ?
JUSTIN
C'est quoi ça, musophobe ?
DELPHINE
(se parlant à elle-même) Qu'est-ce que je raconte, moi ?
(s'adressant à Justin) Non, restons sur la tête de veau ! Pense que mon mari, c'est une bonne grosse tête de veau.
JUSTIN
Faut beaucoup d'imagination quand même ! Tu ne veux pas le faire, toi qui a l'habitude ?
DELPHINE
Ah non ! Il me reste un peu de conscience professionnelle de charcutière. Je ne peux pas personnellement utiliser mon couteau pour autre chose que de la charcuterie !
JUSTIN
Bon, je veux bien essayer, mais je débute. Tu me diras si je m'y prends mal. Je ne sais pas comment ça se coupe, moi, une tête de veau !
DELPHINE
Ce n'est pas bien compliqué. Écoute, je vais te considérer comme mon apprenti et je te dirai si tu ne fais pas comme il faut.
EDOUARD (en coulisses)
Alors Braise Ardente, ça te plaît, les imprimantes ?
AGATHE (en coulisses)
Oh oui, Eddy ! Han ! Tu es vraiment beaucoup plus doué que Marco, ce salaud !
DELPHINE
J'en étais sûre qu'il se tapait cette pétasse ! Aucun regret, tu le zigouilles !
JUSTIN
Mais je vais attendre que les deux tourtereaux s'en aillent et ensuite, je m'occupe de ton mari.
(Alexa sort du cabinet. Justin cache prestement le couteau dans son dos).
ALEXA
J'ai fait tous mes exercices, docteur. Je crois que j'ai passé un cap. Oh chouette ! Il n'y a plus de souris.
DELPHINE
Alexa, retournez dans mon cabinet ! Je suis occupée, là !
ALEXA
Mais il n'y a plus de souris !
DELPHINE
Elle est cachée ! Ce n'est pas le moment de passer, elle pourrait sauter à tout moment et vous égorger !
ALEXA
Aaah !
(Alexa fait demi-tour et repart dans le couloir).
EDOUARD (en coulisses)
Alors Agathe, tu aimes ça les taches d'encre ?
AGATHE (en coulisses)
Oh oui ! Asperge-moi encore !
DELPHINE
J'espère qu'ils n'en ont pas pour des heures à réparer et nettoyer. Heu... On en était où, nous déjà ?
JUSTIN
Le couteau.
DELPHINE
Ah oui, le couteau !
JUSTIN
Attends, j'ai une idée ! Je vais le cacher dans le plaid du canapé en attendant le bon moment. Dès que l'occasion se présente, je zigouille ton mari !
DELPHINE
Voilà, très bien ! Mais en attendant, il va falloir endormir sa méfiance. Je dois me calmer, et lui dire que je lui pardonne, sinon il va se douter de quelque chose. Alors, concentration. Ommmm. Marco est un type formidable. Marco est un type merveilleux. Marco est un type épatant. Je l'aime, cette espèce de salaud. Heu non ! Je l'aime, ce garçon. Je lui pardonne tout, ses écarts, ses tromperies, son comportement de fumier immonde. Non, je lui pardonne tout court. Heu non, je reprends : Marco, mon chéri, je sais que tu n'as rien fait. Je me suis emportée. C'est entièrement ma faute. Excuse-moi, mon amour. Plus jamais je ne douterai de toi. C'est à genoux que j'implore ton pardon.
JUSTIN
N'en rajoute pas trop non plus !
(Justin se dirige vers le canapé pour cacher le couteau, mais Edouard sort de la chambre, torse nu. Justin cache prestement le couteau dans son dos).
EDOUARD
Vous n'auriez pas quelque chose pour faire levier ?
DELPHINE
Non ! Débrouillez-vous et retournez dans la chambre !
EDOUARD
Ah oui, mais c'est embêtant. Je n'arriverai pas à ouvrir le capot du condensateur de l'imprimante si je n'ai pas l'outil pour ça.
DELPHINE
Mais je m'en fous de votre condensateur, Edouard ! Ne restez pas là. Et remettez votre chemise !
EDOUARD
Bon, je vais essayer de me débrouiller.
DELPHINE
Non, attendez ! Un peu d'inspiration avant.
(Elle le renifle goulûment). C'est bon, vous pouvez y aller !
(Edouard retourne dans la chambre. Puis Justin veut cacher le couteau dans le plaid mais n'est pas très dégourdi et défait tout).
DELPHINE
Arrête ! Tu es en train de tout défaire. Rhoo ! Non mais arrête ! Justin, ne remue pas le couteau dans le plaid ! Tu le poses sur le canapé et après, tu remets bien le plaid dessus. C'est quand même pas difficile ! En attendant, moi, je vais dans la cuisine me prendre un verre pour me calmer. Je n'en peux plus !
(Delphine part dans le couloir alors que Justin pose le couteau et remet le plaid en place avec difficulté).
JUSTIN
Elle est marrante, Delphine ! Qu'est-ce que c'est compliqué, ces trucs-là. C'est encore pire que mettre une housse de couette ! Il bouge tout le temps, ce plaid. Un vrai plaid mobile !
(Il finit par y arriver). Et voilà, enfin ! Allez, je vais boire un coup moi aussi, ça me fera du bien.
(Il part dans le couloir. Edouard et Agathe sortent de la buanderie).
EDOUARD
Y'a rien à faire, je ne pourrai jamais dépanner cette imprimante si je ne trouve pas de quoi faire levier pour retirer le capot du condensateur !
AGATHE
Cherche, mon Eddy ! Moi, il faudrait que je trouve quelque chose pour essuyer les taches d'encre sur le mur. Voyons voyons...
(Elle repère le plaid sur le canapé). Ah ben voilà, c'est pas mal, ça !
(Elle retire le plaid et trouve le couteau). Qu'est-ce que ça fait là, ça ? Je te jure, ils ne sont pas très ordonnés, ici ! Ils risquent de le chercher longtemps, leur couteau. Regarde, Eddy !
EDOUARD
Oh ! C'est exactement ce que je cherchais ! Je vais pouvoir retirer ce fichu capot.
(Edouard prend le couteau et Agathe se bat avec le plaid trop grand).
AGATHE
Non. Ça ne va pas être pratique du tout, ce plaid ! Je vais trouver autre chose.
(Elle remet le plaid en place bien correctement en continuant à discuter).
Tu sais, mon chou, c'est fou comme ça m'excite ! Toi, torse-nu en train de bricoler, et moi en soubrette, qui nettoie tes saletés. Ça me rappelle un film de ma jeunesse.
EDOUARD
Un film que tu as vu ?
AGATHE
Non, un film dans lequel j'étais figurante ! L'histoire d'un plombier qui vient réparer une fuite chez une baronne. Un film d'auteur.
EDOUARD
Une baronne ? Eh ben dis donc, ma cochonne !
AGATHE
Non, moi j'étais juste la bonne ! Mais ça a été une expérience enrichissante.
EDOUARD
Bon ben moi, j'y retourne ! Avec un tournevis, ça aurait été plus pratique mais bon, un bricoleur doit savoir faire avec les moyens du bord.
(Agathe trouve le foulard Hermès sur le bureau et le prend).
AGATHE
Allez, tiens ! Je vais essayer de frotter avec ce chiffon. J'arrive mon biquet !
(Agathe suit Edouard dans la buanderie. Marco revient).
MARCO
Mais c'est pas possible ! La poisse me poursuit !
DELPHINE
(revenant du couloir, suivie par Justin) Marco, mon chéri, qu'est-ce qui t'arrive ?
MARCO
Tu m'appelles mon chéri ? Tu me crois enfin ?
DELPHINE
Oui, j'ai compris que tout ça n'était qu'un affreux malentendu. Excuse-moi, mon chéri !
MARCO
(montrant Justin) Et qu'est-ce qu'il fait encore là, le technicien ?
DELPHINE
C'est mon nouveau patient tout de même ! Et je lui ai proposé un verre, pour le dérangement, c'est la moindre des choses. Alors, qu'est-ce qui t'arrive maintenant ?
MARCO
Je suis allé voir les Tessier pour imprimer mon contrat.
(Delphine fait discrètement signe à Justin d'aller vers le canapé).
DELPHINE
Et ils n'étaient pas là ?
MARCO
Si. Et ils ont gentiment accepté que j'imprime mon contrat chez eux, et là, ça a été le drame !
DELPHINE
Ah bon ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
(Justin s'assoit sur le canapé).
MARCO
Quand j'ai lancé l'impression, devine ce qui est sorti par dizaines.
DELPHINE
Je ne sais pas.
MARCO
Mes photos de femmes à poil !
DELPHINE
Hein ? Comment ça, tes photos de femmes à poil ?
(Marco s'assoit sur le canapé à côté de Justin).
MARCO
Non, heu... Je veux dire : DES photos de femmes à poil. Je ne sais pas d'où ça sortait. Sans doute un bug !
JUSTIN
Alors là, ça m'étonnerait ! Je dirais plutôt que c'était des photos de votre ordinateur qui étaient dans la file d'attente d'impression et qui attendaient une imprimante disponible.
MARCO
Non ! C'était un bug ! Il n'y a jamais eu de photos de femmes à poil sur mon ordinateur !
(Justin tire désespérément sur le plaid pour chercher le couteau).
JUSTIN
C'est pourtant la seule explication.
MARCO
Je vous dis que non ! Qu'est-ce que vous y connaissez en femmes à poil, vous ? Pas plus qu'en savon apparemment ! Il va vraiment falloir songer à vous laver.
JUSTIN
Pourquoi ?
MARCO
(faisant semblant de réfléchir) Ou alors, c'est Boiteau qui m'a encore fait une sale blague au bureau.
JUSTIN
Pour les femmes à poil ?
DELPHINE
Oui mon chéri, je suis sûre que c'est Boiteau qui les a mise sur ton ordi, les femmes à poil.
EDOUARD (en coulisses)
Agathe ! Agathe !
AGATHE (en coulisses)
Han ! Vas-y ! Remets-moi une cartouche sur l'imprimante!
EDOUARD (en coulisses)
(chantant comme les Black Eyed Pies) Agathe feeling, hou hou...
MARCO
Qu'est-ce qu'ils font dans la buanderie ?
DELPHINE
Edouard répare l'imprimante et Agathe nettoie la moquette.
(Justin a passé un bras sous le plaid et cherche toujours le couteau, il se retrouve dans une position inconfortable).
MARCO
Bon, comme je disais, ça a imprimé des femmes à poil jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de papier. Et même pas mon contrat ! Et tu connais les Tessier, comme ils sont prout-prout. J'aime autant te dire qu'ils n'ont pas apprécié. Ils m'ont viré de leur appartement en moins de deux !
DELPHINE
Oh les vilains ! Ils n'ont même pas cherché à comprendre.
(Justin a toujours un bras sous le plaid, mais est complètement allongé de travers).
MARCO
(se relevant) Qu'est-ce que vous faites avec mon plaid, vous ?
JUSTIN
Heu... Non, rien. Il me plaît.
MARCO
Il vous plaît mon plaid ?
JUSTIN
Il est assez plaisant.
MARCO
Plaît-il ?
(Edouard et Agathe reviennent, essoufflés. Ils ont chacun discrètement sur eux le couteau et le foulard).
EDOUARD
Désolé, j'aurais pas dû la démonter.
MARCO
Surveillez votre langage, mon vieux !
EDOUARD
Non, l'imprimante ! Maintenant, je n'arrive pas à la remonter. Il manque des vis. Vous n'auriez pas des vis ?
DELPHINE
Ah ça ! Des « vices », j'en vois partout ici !
AGATHE
Et moi, j'ai rien pu faire pour la moquette. Elle est toute noire. Vous savez ? Comme après un ramonage !
(Alexa revient du couloir).
ALEXA
Aaahh !!!
(Tout le monde sursaute).
MARCO
Encore !
DELPHINE
Alexa, calmez-vous. Mickey ne vous a pas fait de bien ? Vous voulez qu'on essaie avec Bernard et Bianca ?
ALEXA
La sousou... La sousou...
DELPHINE
Je vous proposerais bien Ratatouille.
ALEXA
Non ! Pas Ratatouille ! Pitié ! Pas Ratatouille !
DELPHINE
C'est bien ce que je pensais, ça serait trop fort.
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal) Alexa, calme-toi.
ALEXA
La sousou... La sousou...
MARCO
Oui, la souris, je sais !
DELPHINE
Ecoute mon chéri, cache-moi ça, sinon Alexa ne pourra jamais traverser l'appartement.
MARCO
Si c'est pour qu'elle s'en aille, je veux bien !
(Marco range la souris).
DELPHINE
C'est bon, Alexa. A pu, souris !
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal)
Alexa, éteins la lumière. Alexa, quelle heure est-il.
DELPHINE
Edouard !
ALEXA
Ce n'est pas drôle !
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal)
Alexa, qu'est-ce que la musophobie. Alexa, prends la souris. Ah ah ah !
ALEXA
Ça suffit !!!
(Tout le monde sursaute). Edouard, ça n'est vraiment pas drôle ! J'en ai marre que vous vous moquiez de mon prénom ! Jusqu'à l'apparition de ce satané assistant vocal, tout le monde me disait que j'avais un joli prénom.
DELPHINE
Mais vous avez toujours un très joli prénom, Alexa.
ALEXA
Mais depuis ce truc, c'est un enfer ! Edouard, déjà, la dernière fois, vous n'avez pas arrêté. Vous êtes vraiment insupportable avec moi !
EDOUARD
Mais c'est juste pour rire !
ALEXA
Oui, eh bien imaginez que demain, on sorte quelque chose qui porte votre nom. Je ne sais pas, une éponge, par exemple ! Qu'est-ce que vous diriez ?
EDOUARD
Une éponge ? Mais pourquoi une éponge ?
ALEXA
Je ne sais pas, j'ai dit ça au hasard. Tiens, je vais passer l'Edouard sur la table !
EDOUARD
N'importe quoi !
ALEXA
Et vlan ! Passe-moi l'Edouard...
EDOUARD
C'est pas drôle !
ALEXA
Ah ! Vous voyez, hein ? C'est pas drôle ! Alors, je dis stop maintenant ! Stop à tous ces gens blessés parce qu'une marque s'est emparée de leur prénom. Il est temps que ça s'arrête !
(puis d'une voix solennelle) J'en appelle à toutes les Alexa du monde entier, à toutes les Zoé (elle mime un volant de voiture)
toutes les Marie (elle mime quelqu'un en train de manger)
tous les Jules, tous les André (elle mime des chaussures).
JUSTIN
Tous les Justin !
ALEXA
Bah pourquoi les Justin ?
JUSTIN
Heu... Bridou ?
ALEXA
D'accord. Tous les Justin, et ensemble, combattons ces méchants quolibets et assumons nos prénoms. N'ayons plus peur ! Ni des moqueries, ni des souris !
JUSTIN
Bravo ! Bien dit !
(Il applaudit, mais comme il est le seul, il s'arrête, gêné).
MARCO
(tout bas à Delphine) Mince, je crois que je viens de voir passer une vraie souris.
DELPHINE
Arrête tes blagues, Marco, ça n'est vraiment pas drôle ! Elle commence à prendre sur elle pour vaincre sa phobie. Ce n'est pas le moment de tout gâcher.
MARCO
Mais je te jure que j'ai vu une vraie souris !
DELPHINE
Je t'ai dit d'arrêter ! Ah !
(Elle sursaute car en effet, une vraie souris vient de passer – le public l'imaginera).
Tu as raison ! Elle vient de passer entre mes jambes.
ALEXA
Quoi ?
DELPHINE
Non non, Alexa. Ne vous inquiétez pas. Ce n'est rien.
EDOUARD
Elle est là maintenant !
AGATHE
Elle vient vers moi !
JUSTIN
(s'adressant à Alexa)
Elle se dirige vers vous maintenant !
ALEXA
Meuuuh... Ahh...
(On imagine la souris qui s'arrête aux pieds d'Alexa. Elle halète, respire avec difficulté, prend sur elle, puis se ressaisit). Non ! C'est fini maintenant ! J'ai décidé de ne plus avoir peur. Je vais vous montrer, moi, ce que je fais des souris !
(Elle se met à courir après la souris). Viens Mickey ! Tu ne me fais pas peur. Tu vas voir si je t'attrape, je vais t'écrabouiller ! Je t'aurai bien ! Attends un peu ! Allez approche, approche.
(puis imitant Robert de Niro) Come, come fucking mouse. You talking to me ? Are you talking to me ? Ah ah ! Je te tiens !
(Elle finit par prendre l'ordinateur de Marco et le brandit en l'air). Fais ta prière, sale bête !
MARCO
Non !!!
ALEXA
Banzaï !
(Alexa jette l'ordinateur par terre). Yes ! Je l'ai eue !
(Complètement désinhibée, elle entame une danse de la victoire).
MARCO
Qu'est-ce que vous avez fait ? Vous avez bousillé mon ordinateur, espèce de malade ! Et mon contrat !
ALEXA
Ah ben non, je ne l'ai pas eue, la souris finalement. Mickey ? Mickey ? Où es-tu, gentil Mickey ? Que je te défonce la gueule.
(Marco empoigne Alexa).
MARCO
Vous allez me foutre le camp maintenant ! Je vous ai assez vue !
ALEXA
Non, attendez. Je suis sûr que je peux l'avoir !
DELPHINE
Je crois qu'il vaut mieux y aller Alexa. Vous avez déjà fait beaucoup de progrès.
EDOUARD
(comme s'il parlait à l'assistant vocal) Alexa, ouvre la porte.
ALEXA
(s'adressant à Edouard) Redis ça et je t'en colle une, connard.
MARCO
(s'adressant à Edouard) Vous aussi, dégagez !
(Delphine voit alors qu'Edouard a sur lui son couteau de charcutier tout tordu).
DELPHINE
Mais c'est mon couteau, ça ! Qu'est-ce que vous faites avec mon couteau ? Et pourquoi il est tout tordu ?
EDOUARD
Heu, je vous ai bien dit que je cherchais un levier. Avec ça, j'ai réussi à retirer le capot du condensateur !
DELPHINE
C'est pour un capot à la con que vous avez bousillé mon couteau de charcutier ? Je rêve !
(Delphine cherche alors son foulard Hermès).
DELPHINE
Et il est où, mon foulard Hermès ? Justin ?
JUSTIN
Je l'avais posé sur le bureau.
AGATHE
(montrant le foulard) Vous voulez parler de ce chiffon ?
DELPHINE
Ce chiffon ? Ce chiffon, vous dites ?
AGATHE
Je peux vous dire qu'il n'est vraiment pas pratique pour nettoyer ! Il se déchire dès qu'on frotte un peu trop fort.
DELPHINE
Vous voulez dire que vous avez voulu nettoyer les murs avec ? Avec mon foulard Hermès ?
AGATHE
En tout cas, c'est bien la dernière fois ! Même avec beaucoup d'huile de coude, ça n'enlève rien. J'ai même ajouté de l'essence de térébenthine, il y avait une bouteille sur l'étagère. Ça n'a fait qu'étaler.
DELPHINE
Vous avez mis de l'essence sur mon Hermès ?
MARCO
Et sur les murs ?
AGATHE
Ouais, et sur la moquette. Mais ça n'est pas parti !
DELPHINE
Mais il ne ressemble plus à rien, mon beau foulard ! Regardez ça !
AGATHE
Moi, je trouve ça joli, ces taches noires sur le jaune.
DELPHINE
Vous vous foutez de moi ! J'ai l'air de quoi, maintenant ? On dirait une girafe !
(Hors d'elle, elle se met le foulard sur la tête, grimace et imite une girafe qui marche).
Une énorme girafe toute moche et baveuse !
AGATHE
Je dirais plutôt un Marsupilami.
DELPHINE
Un Marsupilami ! Un Marsupilami ! Vous vous rendez compte comme c'est ridicule un Marsupilami ?
AGATHE
Moi, je trouve ça mignon, les Marsupilamis.
DELPHINE
Foutez le camp, espèce de salope ! Je veux plus vous voir !
MARCO
Barrez-vous, tous les trois ! Et ne revenez jamais !
(Marco jette Alexa, Edouard et Agathe dehors et les suit sur le palier).
MARCO (en coulisses)
Dégagez de mon appartement ! Et dégagez de mon immeuble ! Et dégagez de mon quartier !
DELPHINE
Ah, la salope ! Mon beau foulard que je comptais mettre pour l'enterrement de Marco.
JUSTIN
Mais quand on y pense, le noir, c'est mieux. Ça fait deuil.
DELPHINE
Mais quel calme, d'un coup ! Dis donc, Justin, nous sommes seuls, c'est l'occasion rêvée. Il faut en profiter !
JUSTIN
Je n'ai pas vraiment la tête à batifoler, là, avec tout ça !
DELPHINE
Mais de quoi tu parles, idiot ? Je pensais à notre plan ! Est-ce que tu as la batterie trafiquée dans tes outils ?
JUSTIN
Oui, je l'avais déjà mise dans ma sacoche au cas où.
DELPHINE
Génial ! Alors, on oublie le couteau !
JUSTIN
C'est vrai ? On oublie le couteau ? Ah ! Si tu savais comme je suis soulagé ! Je trouvais ça tellement sale, un assassinat au couteau.
DELPHINE
Moi, je ne trouve pas, mais si tu préfères la bombe, je suis d'accord, si le résultat est le même. Ecoute, son ordinateur est cassé, il faut en profiter ! Tu vas installer la batterie dedans, comme on avait prévu de le faire demain.
JUSTIN
Ici ? Maintenant ?
DELPHINE
Non. Va t'installer dans la buanderie, il va revenir. Il ne faut pas qu'il voit ce que tu fais ! Je lui dirai que tu essaies de le réparer au calme.
JUSTIN
Bonne idée ! Ultra-sensible, la batterie. Je te garantis que dès qu'il va bouger son portable, ça va faire un gros boum ! Hé hé hé !
DELPHINE
Vas-y, dépêche-toi ! Je l'entends qui revient !
(Justin prend l'ordinateur et se dirige vers la buanderie, mais Delphine le retient).
Attends.
(Elle le renifle).
Bonne chance ! Et ne fais pas attention au désordre.
(Justin va dans la buanderie avec l'ordinateur. Marco revient dans l'appartement).
MARCO
Mon ordinateur, mon contrat, tout est fichu ! Tout ça à cause de ton foutu hobby !
DELPHINE
Pas forcément, mon chéri ! Mon patient, tu sais ? le technicien de chez Ordinature, il est dans la buanderie à regarder s'il peut le sauver.
MARCO
Ah, il est bien, ce petit gars. Sans doute la meilleure personne que j'ai rencontrée aujourd'hui !
DELPHINE
A qui le dis-tu !
MARCO
Tu vas rire, pendant un instant, j'ai cru que tu le connaissais ! C'est ridicule, hein ?
DELPHINE
Oh oui ! Complètement ridicule. Comme si je connaissais les techniciens d'Ordinature !
MARCO
Tu vois, d'un côté, il y a les emmerdeurs, les barjos, les salopes, et d'un autre, les types bien. Quel dommage qu'il sente si fort, parce ce gars, c'est bien le seul ici qui ne pète pas un câble !
(On entend une énorme explosion provenant de la buanderie, Marco et Delphine vacillent).
MARCO
Qu'est-ce que c'était ?
DELPHINE
Oh non ! C'est Justin ! Oh mon dieu, je vais voir !
(Delphine va ouvrir la porte de la buanderie et pousse un cri). Aahhh !!
MARCO
Tu as vu une souris ?
DELPHINE
Non... Il est... Il est mort. Il est mort !
MARCO
Comment ça, il est mort ?
DELPHINE
Justin... C'est ton ordinateur qui a explosé !
MARCO
Mon ordi a explosé ? Ben ça alors, c'est horrible !
DELPHINE
Oh oui, c'est atroce !
MARCO
Penser que ça aurait pu m'arriver à moi, ça fait froid dans le dos !
DELPHINE
Mais tu ne penses qu'à toi, ma parole ! Je te dis qu'il est mort ! Qu'est-ce qu'on va faire ?
MARCO
On va appeler la police. C'est un accident.
DELPHINE
Non ! Pas la police ! Surtout pas la police !
MARCO
Pourquoi pas la police ? On ne va pas le découper en morceaux quand même ?
DELPHINE
Il est déjà en morceaux ! Et je te signale que c'est TON ordinateur qui l'a tué. C'est TA faute !
MARCO
Elle est bien bonne, celle-là ! J'y peux rien, moi, si on me vend du matériel dangereux. C'est bien la peine d'acheter un ordinateur bio ! Ne bouge pas, j'appelle le SAV. Ils vont m'entendre ! Je vais leur expliquer qu'ils ont un technicien en moins à cause de ce qu'ils m'ont vendu. Comme ça, ils vont faire le nécessaire. Et je vais demander le remboursement de mon ordi, c'est un scandale !
DELPHINE
Mais tu n'as aucun cœur ! Tu ne penses qu'à ton ordi !
(Marco prend son téléphone et appelle le SAV). Mets le haut-parleur.
MESSAGE SAV
« Bienvenue chez Ordinature. Ordinature, la seule boutique qui propose des ordinateurs bio, conçus uniquement à partir de composants biodégradables...»
SAV
Ordinature, j'écoute.
MARCO
Oui, écoutez. C'est assez délicat ce que je vais vous dire mais...
SAV
Bonjour monsieur, votre numéro client s'il vous plaît.
MARCO
Non, vous n'aurez pas besoin de mon numéro client !
SAV
Ah, je vous assure qu'il me faut votre numéro client pour traiter votre dossier.
MARCO
Non, non, pas besoin. Ni de mon adresse ou du nom de mon chien !
SAV
C'est encore vous ?
MARCO
Ah ? Vous me reconnaissez ? Eh bien, votre technicien est venu chez moi, je ne sais pas ce qu'il a trafiqué avec mon ordinateur. En tout cas, ça lui a pété à la gueule et il est mort !
SAV
L'ordinateur ?
MARCO
Non, pas l'ordinateur, le technicien ! Enfin, l'ordinateur aussi.
SAV
Ça ne m'étonne pas vraiment.
MARCO
Comment ça, ça ne vous étonne pas ?
SAV
Justin, il passait son temps à bidouiller tout et n'importe quoi. Il avait même essayé de brancher l'électricité de sa maison directement sur la ligne haute tension à côté de chez lui. On lui a expliqué que c'était une mauvaise idée, quand il est sorti de l'hôpital six mois après.
MARCO
Ah oui, quand même !
SAV
Là, il a encore dû faire le con si l'ordi lui a explosé à la figure. Une vraie tête brûlée, ce Justin. Ah ah ! Elle est bonne, celle-là. Je la note : une vraie tête brûlée. Ah, quand je vais raconter ça aux collègues !
MARCO
Mais je fais quoi, moi, maintenant ?
SAV
Ah bah là, on peut rien faire, il est irréparable.
DELPHINE
On s'en doutait bien ! Mais pour Justin... le technicien, on fait quoi ?
SAV
Ah bah là, on peut rien faire, il est irréparable.
DELPHINE
Vous vous répétez, monsieur !
SAV
Non non, je vous assure. Les deux sont irréparables. Débrouillez-vous !
(bip bip)
MARCO
Il est gonflé, lui, il a raccroché !
MESSAGE SAV
« Veuillez donner une note de 1 à 10 aux cinquante questions suivantes. Notre support technique a-t-il résolu votre problème? »
(Marco raccroche).
DELPHINE
Mais qu'est-ce qu'on va faire de son corps, maintenant ?
MARCO
Ça, j'en sais rien ! On va se débrouiller, comme il dit. On va mettre les morceaux du technicien dans la poubelle.
DELPHINE
Oui. Et nous deux, on va arrêter de s'embrouiller ! Si on faisait la paix ? Repartons sur de bonnes bases, mon amour.
MARCO
Tu as raison, ma chérie. Oublions cette maudite journée, et tant pis si mon contrat est perdu. L'important, c'est nous deux !
DELPHINE
Juste tous les deux ! Et je vais cesser de t'embêter avec mon histoire de cabinet. C'est toi qui a raison. Ce n'est qu'un hobby complètement inutile.
MARCO
En tout cas, pour moi, terminés les appareils avec une batterie. C'est vraiment trop dangereux !
DELPHINE
Je suis complètement d'accord, ça n'est pas du tout fiable ! D'ailleurs, je vais finalement revenir à mon premier métier. Au moins, les couteaux de charcutier, c'est plus sûr !
MARCO
Alors là, je ne vois vraiment pas le rapport entre les batteries et les couteaux.
DELPHINE
Bientôt, tu comprendras, mon chéri. Bientôt, tu comprendras.
rideau
pour toute question, ne pas hésiter à m'envoyer un mail à etesstheatre@gmail.com