Un salon bourgeois. Sur scène, Sophie et Julien. Julien est assis dans un fauteuil, une revue à la main, il fait des mots croisés tandis que Sophie arpente nerveusement la pièce. Elle passera trois ou quatre fois devant Julien l’empêchant ainsi de se concentrer.
JULIEN- Ça va ? J’espère que je ne te dérange pas trop ?
SOPHIE- Agressive- Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ?
JULIEN- Je te demande si ça n’est pas trop gênant pour toi que je fasse des mots croisés pendant que tu t’agites dans tous les sens… (ironique) Je ne voudrais surtout pas te perturber.
SOPHIE- De quoi tu me parles ! Ne commence pas à vouloir faire le finaud. Crois-moi, ce n’est pas le moment… (recommençant à arpenter la pièce) Mais qu’est-ce qu’il fait ! Il pourrait appeler, nous tenir au courant.
JULIEN- Pas de nouvelle, bonne nouvelle.
SOPHIE- Quand on est à l’hôpital depuis 24 heures et qu’on n’appelle pas, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne nouvelle.
JULIEN- C’était évident qu’après une chute pareille, ils allaient la garder en observation au moins pour la nuit… Ce matin, voyons voir… (consultant sa montre) Il n’est pas encore 10 heures, tu sais, c’est encore trop tôt pour avoir des infos.. Fais comme moi, patiente !
SOPHIE- Patiente ! Facile à dire ! On voit bien que ce n’est pas ta sœur… Si ça avait été le cas, tu serais peut-être moins serein.
JULIEN- Est-ce de ma faute si je suis fils unique ?
SOPHIE- C’est bien pour ça que tu es incapable d’avoir la moindre compassion pour les autres. Ben oui, forcément … Les fils uniques, tous des égoïstes.
JULIEN- Tu as raison, il faudrait peut-être que je songe à porter plainte contre mes vieux parents, leur demander des dommages et intérêts pour ne pas m’avoir donné un petit frère ou une petite sœur…
SOPHIE- Tu peux ironiser si ça te fait plaisir mais excuse-moi de ne pas partager ton nombrilisme d’enfant gâté.
JULIEN- Tu crois vraiment que le sort d’un enfant unique est enviable ? Sais-tu que moi, lorsque j’étais petit, dès que je commettais une bêtise, il me fallait l’assumer, je ne pouvais pas rejeter la faute sur mon frère ou ma sœur, comme certains… où … certaine. Hélas, je n’ai pas connu le plaisir de la délation, c’est triste, ne crois-tu pas ?
SOPHIE- C’est pour moi que tu dis ça ?
JULIEN- Je ne me le permettrais pas, ma chérie. Toi, je me doute bien que, déjà toute petite, tu étais la vertu incarnée.
SOPHIE- C’est ça, espèce d’hypocrite ! Fais marche arrière, ça vaut mieux. (S’adressant à son portable) Et lui, c’est pareil ! Tout aussi égoïste ! Pourquoi n’appelle-t-il pas ? Il devrait bien savoir que je suis inquiète… Tu crois qu’il ferait un geste pour me rassurer ?
JULIEN- Tu connais pourtant Thierry, tu sais comme il peut être prévenant et attentionné. S’il n’a pas jugé bon de te contacter, c’est probablement qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer.
SOPHIE- Je reconnais bien là mon cher mari…Un avion viendrait à s’écraser sur la maison qu’il ne bougerait pas un orteil et continuerait à faire ses fichus mots-croisés. Avoue qu’il faut être timbré pour avoir une telle insouciance.
JULIEN (lisant la définition) -Ah ben oui ! « Peut faire le tour du monde tout en restant dans le coin » c’est le timbre bien sûr !
SOPHIE- C’est bien ce que je disais, timbré ! Il est complétement timbré…Entre lui qui fait mumuse et un beau-frère qui n’est pas fichu d’appeler pour me rassurer, me voilà bien lotie. (Elle reprend son portable et le porte à son oreille.) Encore sur répondeur ! Ce n’est pas possible ! Il le fait exprès ! Allo Thierry, c’est encore moi ! Alors ? Que se passe-t-il ? As-tu des nouvelles ? Comment va Estelle ? Je suis folle d’inquiétude… Rappelle-moi ! Tu m’entends Thierry ! Je compte sur toi.
JULIEN- Tu vas finir par saturer sa boite vocale… Si ça se trouve, il ne capte pas ou il n’a plus de batterie Je te le dis, tu t’inquiètes pour rien.
SOPHIE- Ce n’est pas à toi que ça arriverait, toi le jour où tu t’inquiéteras, les grenouilles auront du poil et les poules auront des dents. Tiens, plutôt que de rester assis, tu ferais mieux d’aller réparer la lumière de la cave avant qu’il y ait un autre accident.
JULIEN- Je te rappelle que nous ne sommes pas chez nous.
SOPHIE- Et alors ? Crois-tu que ça te dispense de changer une ampoule ? Tu attends peut-être que je descende pour risquer à mon tour de me briser le cou comme ma pauvre sœur… Et puis quelle idée que d’avoir voulu boire une bière dès notre arrivée. Si tu avais pris un café comme tout le monde…
JULIEN- Jamais de café après 17 heures, la caféine ça énerve. C’est pour cela que je n’en prends pas.
SOPHIE- Que tu puisses être énervé, ça ne risque pas. (le désignant) la preuve ! Quand je te vois dans ce fauteuil…Deux de tension ! Aussi nerveux qu’une limace !
JULIEN- Merci, c’est toujours agréable à entendre.
SOPHIE- Il n’empêche, si tu n’avais pas eu l’idée de demander une bière, Estelle ne serait pas descendue à la cave et n’aurait pas chuté dans le noir.
JULIEN- Donc si je comprends bien… Si ta sœur est actuellement à l’hôpital, ce serait de ma faute ? Bientôt tu vas me dire que je l’ai poussée dans l’escalier.
SOPHIE- Je n’ai pas dit cela.
JULIEN (reprenant ses mots croisés)- Exprime sa mauvaise humeur en grognant, commençant par R…
SOPHIE- Alors ? Tu vas la changer cette ampoule ?
JULIEN- Ronchonne ! Oui ! C’est cela ! Ron-cho-nne !
SOPHIE- Julien ! Je te parle !
JULIEN- (relevant la tête vers elle) Oui ma chérie ? Qu’est-ce que c’est ?
SOPHIE- Qu’est-ce que tu peux être énervant !
On sonne à la porte.
SOPHIE- Enfin ! Les voilà !
JULIEN- Je ne vois pas l’intérêt de sonner lorsqu’on arrive chez soi. A mon avis, ce ne sont pas eux.
(Sophie va ouvrir. Entrée de Madame Planchu.)
Mme PLANCHU- Bonjour ! Bonjour ! Ah ! Voilà des têtes que je ne connais pas. Messieurs dames… Madame Arnaud est là ?
SOPHIE- Et bien non, justement…
Mme PLANCHU- Et Monsieur Arnaud ?
SOPHIE- Non plus !
Mme PLANCHU- C’est vous qui tenez la boutique alors ?
SOPHIE- Pardonnez-moi… Mais… Vous êtes qui ?
Mme PLANCHU- Pas la peine de demander pardon, moi c’est Madame Planchu .C’est moi qui vient faire le ménage et autres bricoles quand il y a besoin.
SOPHIE- Ils ne sont pas là, il vaudrait mieux que vous repassiez.
Mme PLANCHU- Très bonne idée ! Je vais repasser.
SOPHIE- C’est cela, au revoir Madame.
(Mme Planchu se dirige vers les chambres.)
SOPHIE- Mais qu’est-ce que vous faites ?
Mme PLANCHU- Je viens de vous le dire, je vais repasser.
SOPHIE- (désignant la porte d’entrée.) La sortie, c’est par là !
Mme PLANCHU- Pourquoi voulez-vous que je sorte ?
SOPHIE- Vous venez de dire que vous alliez repasser, pour cela il faut d’abord que vous vous en alliez pour pouvoir revenir.
Mme PLANCHU- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez mais ce n’est pas grave, comme je vous le disais, je vais repasser.
Elle s’apprête à passer la porte qui mène aux chambres.
SOPHIE- Madame ! Qu’est-ce que vous faites ? Je viens de vous expliquer…
Mme PLANCHU- Ne bougez pas ! Je reviens. Comme ça, vous allez comprendre.
Elle sort.
SOPHIE (à Julien)- Tu as vu ça ? Elle n’est vraiment pas bien cette dame !
Mme Planchu revient, un fer à repasser à la main.
Mme PLANCHU- Vous comprenez maintenant ? Parce que le dire, c’est bien mais (désignant le fer) le fer, c’est mieux !
SOPHIE- Ah ! Vous vouliez repasser.
JULIEN- C’est exactement ce que te disait Madame depuis un quart d’heure.
SOPHIE- (à Julien) Oh, ça va toi ! (à Mme Planchu) Excusez-moi, je n’avais pas compris. Ne faites pas attention, je suis un peu nerveuse à cause de tous ces évènements…
Mme PLANCHU- Evénements ? Quels événements ?
SOPHIE- C’est vrai, vous n’êtes pas au courant. Hier, Estelle ma pauvre sœur est tombée dans l’escalier de la cave. Elle est partie en urgence à l’hôpital.
Mme PLANCHU- A l’hôpital ? Vous parlez d’une histoire !
SOPHIE- Elle est tombée sur la tête. On peut craindre une commotion cérébrale. Quand j’y repense… C’est affreux !
Mme PLANCHU- Ne vous inquiétez pas. Je la connais Madame Estelle, avec toute l’instruction qu’elle a, on voit bien qu’elle n’a pas la tête creuse…Avoir de la matière grise, ça doit amortir les chocs… Ah si ! Quand on a la tête pleine… Tomber sur la tête, faudrait pas que ça arrive à mon bonhomme, parce que lui, ce n’est pas pour dire du mal mais, quand on le rencontre, on voit tout de suite qu’il n’a pas inventé le fil à couper le beurre ni la machine à courber les bananes, à part ça, il n’est pas méchant.
SOPHIE- Et Thierry qui ne donne pas de nouvelles… Forcément, on imagine le pire.
Mme PLANCHU- Pourquoi commencer à pleurer avant d’avoir mal. A quoi bon ? Je vous le demande.
JULIEN- Tu vois Sophie, Madame partage mon avis. Prenons notre mal en patience, tant que nous n’avons pas d’informations, à quoi bon s’alarmer.
Mme PLANCHU (à Julien)- Vous faites des mots croisés ? Vous aussi, vous devez en avoir de la matière grise. Moi, tous ces trucs-là, rien que de les regarder, ça me donne mal à la tête.
JULIEN- Et pourtant, vous n’êtes pas tombée dans l’escalier.
SOPHIE- Julien ! Je trouve ton humour tout à fait déplacé.
JULIEN- Ce n’était qu’une boutade.
SOPHIE- Et bien, tu n’es pas drôle !
Julien replonge dans ses mots croisés en soupirant tandis que Sophie recommence à arpenter la pièce.
Mme PLANCHU- Bon, moi je vais commencer mon chantier, comme ça, Madame Estelle aura du linge bien plié lorsqu’elle reviendra. A plus tard !
Elle sort.
JULIEN (reprenant ses mots croisés)- Voyons… « Sa sirène n’est pas aquatique »… Si ce n’est pas une femme poisson, cela pourrait-être une alarme…
En off, sirène d’ambulance.
JULIEN- Mais oui ! C’est cela ! Ambulance !
SOPHIE- Ce sont eux ! J’en suis sûre !
Elle se précipite vers la porte d’entrée, l’ouvre et sort.
JULIEN- Une arrivée en fanfare… Voilà de quoi alimenter les conversations dans le quartier pendant toute la semaine… Alors… Où en étais-je… Ah oui… Am-bu-lan-ce.
Il écrit tandis qu’arrivent Estelle soutenue par Thierry et Sophie.
ESTELLE- Mais lâchez-moi ! Je suis assez grande pour marcher toute seule !
THIERRY- Bien sûr, bien sûr, ça va aller… Julien, tu peux lui laisser la place.
JULIEN- (se levant) Naturellement. Je t’en prie Estelle, assieds-toi.
ESTELLE- Merci Monsieur, vous êtes bien aimable.
JULIEN- Mais vous aussi, Madame, vous aussi. Je m’en voudrais d’être discourtois devant tant de charme.
ESTELLE- Vous, vous savez parler aux dames. Rappelez-moi votre nom, je vous prie ?
JULIEN- Comment ?
THIERRY- Julien, il faut que je te dise, Estelle ne joue pas.
JULIEN- Comment cela ? Elle ne joue pas ?
THIERRY- Non, elle ne joue pas à te vouvoyer… En fait, elle ne se souvient pas de toi, ni de personne d’ailleurs… C’est pour cela qu’elle te vouvoie.
SOPHIE- Ce n’est pas possible… Estelle, c’est moi. Tu me reconnais.
ESTELLE- Bonjour Madame. Rappelez-moi votre nom.
SOPHIE- C’est moi, Sophie.
ESTELLE- Sophie… Sophie la girafe ou Sophie la delphie ?
SOPHIE- (à Thierry) Mais qu’est-ce qu’elle raconte ?
THIERRY- Ne te formalise pas… Depuis qu’elle est sortie, elle dit et fait un peu n’importe quoi. Tu as entendu la sirène de l’ambulance en arrivant ? Eh bien, c’est elle qui l’a déclenchée.
SOPHIE- Comment que ça se fait ? C’est son choc à la tête ?
THIERRY- Exactement. Amnésie post traumatique et symptômes post-commotionnels, c’est ce que m’ont dit les médecins.
JULIEN- Et en clair, qu’est-ce que ça veut dire ?
THIERRY- Ca veut dire qu’elle a perdu la mémoire et qu’elle peut développer des troubles du comportement.
SOPHIE- Tout cela à cause de ce maudit escalier. (À Julien) Et toi, tu ne pouvais pas prendre du café comme tout le monde.
ESTELLE- (à Sophie) Il ne vous a rien fait, ce pauvre monsieur. Vous, vous n’êtes pas gentille. Je ne vous aime pas.
SOPHIE- Qu’est-ce que tu racontes, c’est moi, ta sœur.
ESTELLE- Rappelez-moi votre nom ?
SOPHIE- C’est moi, Sophie !
ESTELLE- Sophie ? Ah oui ! Sophie la girafe ! Je m’en rappelle maintenant.
SOPHIE- Pas Sophie la girafe ! Non, Sophie Leblanc. Leblanc, c’est mon nom de famille. Et avant mon mariage, je m’appelais Sophie Mariseau et toi, tu t’appelais Estelle Mariseau et maintenant tu t’appelles Estelle Arnaud parce que tu es mariée avec Thierry Arnaud (le désignant) qui est là.
ESTELLE- Ah bon. Bonjour Monsieur.
THIERRY- Bonjour Estelle.
ESTELLE- Ah oui ! Estelle, c’est moi. Et vous ? C’est comment déjà ?
THIERRY- Moi, c’est Thierry. Tu te souviens que tu es mariée ?
ESTELLE- Ah bon ? Voilà une bonne nouvelle. Je n’aimerais pas rester vieille fille. Ça fait longtemps que je suis mariée ?
THIERRY- Ça doit faire une vingtaine d’années. (à actualiser en fonction de l’âge des comédiens)
ESTELLE- Une vingtaine d’années, ça commence à compter… J’aimerais bien le connaitre mon mari.
SOPHIE- Mais c’est incroyable ! Je viens de te le dire. Tu ne t’en souviens vraiment pas ?
ESTELLE- Mais non, pourquoi ? Je devrais ?
SOPHIE- Je te l’ai montré, essaie de te souvenir. (Aux autres) Il faut la stimuler, c’est comme cela qu’elle se rappellera… Alors Estelle, dis-nous qui est ton mari.
ESTELLE- Mon mari ? (désignant Julien) Ce doit être lui.
JULIEN- Une chance sur deux, dommage ! C’est raté.
THIERRY- Estelle, c’est moi, Thierry, je suis ton mari.
ESTELLE- Ah bon ! (Elle l’examine.) Vous avez l’air sympa.
JULIEN- Tu entends cela, Thierry ? Même après vingt ans de mariage, ta femme continue de te trouver sympa. Quelle chance ! Ce genre de chance, ce n’est pas donné à tout le monde, n’est-ce pas Sophie ?
SOPHIE- Te voilà encore avec tes allusions, qu’est-ce que t’entends par là ?
JULIEN- Oh par-là, je n’entends pas grand-chose.
ESTELLE (à Julien)- Vous aussi, je vous trouve sympathique. (Se tournant vers Sophie.) Mais alors là, vous, non ! Pas du tout !
SOPHIE (à Thierry) Elle va rester longtemps comme ça ? Que t’ont- dit les médecins.
THIERRY- Personne n’a pu me répondre vraiment clairement, ça peut durer plus ou moins longtemps mais d’après eux, rien ne justifiait son maintien à l’hôpital d’autant que le scanner qu’elle a passé n’a rien détecté d’alarmant..
JULIEN- De toute façon, maintenant on ne te garde plus en milieu hospitalier. Quand on t’ampute le matin, on te fait sortir l’après-midi.
THIERRY- C’est vrai, mais le toubib que j’ai vu m’a assuré qu’au niveau de son état physiologique, ça allait et qu’elle avait simplement besoin de calme et de soutien affectif. N’est-ce pas ma chérie ?
ESTELLE- Pardon ?
THIERRY- Je dis que maintenant que tu es rentrée, on va bien s’occuper de toi, mon amour.
ESTELLE- C’est très gentil de vouloir vous occuper de moi mais de là à m’appeler mon amour, je trouve ça un peu cavalier. On se connait ? Rappelez-moi votre nom.
SOPHIE- (à Thierry) Le plus dur, ça va être de ne pas craquer mais ne t’inquiète pas, Thierry, nous sommes là, on ne te laissera pas tomber, n’est-ce pas Julien ?
JULIEN- Bien évidemment, ce n’est même pas la peine de te le dire, tu sais très bien que tu peux compter sur la famille. (Il pose la main affectueusement sur l’épaule de Thierry.)
ESTELLE- « Vous pouvez compter sur la famille » Vous en avez de la chance ! Vous vous en rendez compte ? Moi, j’aimerais bien la connaitre votre famille.
SOPHIE- Mais toi aussi Estelle, tu fais partie de la famille. Celle dont on parle, c’est la nôtre ! Ce n’est pas possible qu’elle ne se souvienne de rien… Elle n’aura tout de même pas oublié des souvenirs anciens… Estelle, te souviens-tu lorsque nous allions à l’école à pied même en hiver… On en profitait pour se lancer des boules de neige. T’en souviens-tu ?
ESTELLE- Des boules de neige ! Oh oui ! Allons faire une bataille de boules de neige !
Elle se précipite vers la porte d’entrée, l’ouvre et sort pour revenir aussitôt.
ESTELLE- C’est bête ! Il n’y a pas de neige ! Ce n’est pas grave, j’ai une idée !
Elle se précipite vers la revue de Julien et entreprend d’en arracher les pages.
JULIEN- Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ? Mes mots-croisés !
Après avoir arraché suffisamment de pages, Estelle les triture pour en faire des boules.
ESTELLE- On va faire des boules de neige ! Venez m’aider si vous voulez des munitions. Ben alors ? Venez ! Tant pis pour vous ! A l’attaque !
Elle bombarde Thierry, Julien et Sophie.
SOPHIE- Mais qu’est-ce qu’elle nous fait ! Voilà qu’elle retombe en enfance à présent.
On sonne à la porte d’entrée. Thierry va ouvrir tandis qu’Estelle entreprend de déchirer de nouvelles pages pour préparer d’autres boules. Entrée de Mme Chombier.
THIERRY- (la recevant sur le pas de la porte.) Bonjour Madame Chombier. Que puis-je pour vous ?
Mme CHOMBIER- Bonjour Monsieur Arnaud ! Je venais aux nouvelles, c’est parce que j’ai entendu l’ambulance. Avec cette sirène qui hurlait dans le quartier, je me suis dit qu’il devait y avoir une urgence.
THIERRY- La sirène a été déclenchée par erreur mais tout va bien Madame Chombier.
Mme CHOMBIER- (examinant Thierry des pieds à la tête) Vous n’avez pas l’air malade… Madame Arnaud peut-être ? (Elle se hisse sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir Estelle par-dessus l’épaule de Thierry, puis élevant la voix à l’attention d’ Estelle) Vous allez bien, Madame Arnaud ?
THIERRY- Madame Chombier, je viens de vous dire que tout allait bien.
Mme CHOMBIER- Voyons Monsieur Arnaud, on ne se déplace pas en ambulance lorsque tout va bien donc ça ne sert à rien de me raconter n’importe quoi.
SOPHIE- Excusez-moi d’intervenir mais je trouve l’insistance de cette dame tout à fait déplacée.
Mme CHOMBIER- (pincée) On a tout de même encore le droit de prendre des nouvelles des gens du quartier.
THIERRY- Oui, c’est très gentil à vous Madame Chombier mais voyez-vous, je ne suis pas sûr que ce soit le bon moment, nous sommes en famille et souhaitons le rester, j’espère que vous le comprendrez.
Mme CHOMBIER- Bien sûr Monsieur Arnaud, je voulais juste m’assurer que tout allait bien chez vous.
THIERRY- Merci Madame Chombier, au revoir Madame Chombier.
Tout en parlant il cherche à l’orienter vers la sortie.
Mme CHOMBIER- (se retournant vers Thierry) J’espère qu’aucun d’entre vous n’a contracté une maladie, vous voyez ce que je veux dire alors excusez-moi, Monsieur Arnaud, mais avant que tout le quartier soit contaminé, on a bien le droit d’être prudente et croyez-moi, il est tout à fait légitime de vouloir se renseigner..
Estelle se lève soudainement.
ESTELLE- Ca y est ! Je suis prête ! Attention ! Feu à volonté !
Elle tire les boules de papier en direction de Thierry et de Mme Chombier tandis que Sophie et Julien s’écartent prudemment.
Mme CHOMBIER- Qu’est-ce que c’est ? Arrêtez ! Non mais… Arrêtez ! Je vous demande de vous arrêter.
ESTELLE- Vous avez le droit de les ramasser pour essayer de me toucher.
Mme CHOMBIER- Madame Arnaud, à quoi jouez-vous ? Ce n’est pas possible.
ESTELLE- Tant pis pour vous ! (elle ramasse des boules par terre et recommence à bombarder Thierry et Mme Chombier.)
Mme CHOMBIER- Ça ne va pas ! Vous n’êtes pas bien !
Elle sort par la porte d’entrée.
ESTELLE- (sautant de joie et gesticulant.) On a gagné ! On a gagné !
JULIEN- La méthode est expéditive mais il faut reconnaitre qu’elle est efficace.
SOPHIE- C’était qui cette vieille chouette ?
THIERRY- Madame Chombier, elle habite le quartier et passe son temps à espionner tout le monde et à colporter des ragots, c’est bien pour cela que je ne souhaitais pas du tout la faire entrer.
SOPHIE- Tu as vu ? Quel toupet ! Si elle n’avait pas été bombardée, elle serait encore là.
THIERRY- Après cet épisode, soyez sûr que tout le monde dans le coin sera informé, ce sera raconté, amplifié et déformé et demain nous entendrons que Madame Chombier a reçue, non pas des boules de papier mais des boules de pétanque.
Pendant la réplique de Thierry, Julien s’est mis à quatre pattes et défroisse les boules de papier.
SOPHIE- Julien ! Qu’est-ce que tu fais ?
JULIEN- Je cherche mes mots croisés… J’aimerais bien les finir.
SOPHIE- Mon pauvre ami ! Comme si c’était cela le plus important.
ESTELLE- Attendez ! Je vais vous aider ! (Elle se met elle aussi à quatre pattes et défroisse à son tour les boules de papier.) Qu’est-ce que vous cherchez déjà ?
JULIEN- Une feuille avec des mots croisés.
ESTELLE- Ah d’accord !
Entrée de Mme Planchu.
Mme PLANCHU- Il y a de l’ambiance ici. Ah Madame Estelle ! Vous voilà revenue ! Ça me fait plaisir. Mais… Dites-moi ? Qu’est-ce que vous faites comme ça, à quatre pattes ?
ESTELLE- On cherche… Qu’est-ce qu’on cherche ? Ah oui ! Des mots croisés. (À Julien) C’est cela n’est-ce pas ?
JULIEN- Oui ! C’est cela ! Bravo ! Tu as trouvé toute seule.
Mme PLANCHU (à Thierry)- C’est à cause de son coup sur la tête qu’elle est comme ça ?
THIERRY- Oui, le choc lui a fait perdre la mémoire et lui fait faire quelques bizarreries mais ne vous inquiétez pas Mme Planchu, avec un peu de repos, j’ai bon espoir que cela rentre dans l’ordre.
Mme PLANCHU- (désignant Julien) Et le monsieur ? Lui aussi, il est tombé sur la tête ?
SOPHIE- Non mais, à le voir ainsi, effectivement on pourrait le croire. Julien, je t’en prie, relève-toi ! Tu es ridicule !
JULIEN- Comme tu veux ma chérie, mais c’est dommage, j’aurais bien aimé finir ma grille.
Mme PLANCHU- Mais pourquoi vous avez jeté toutes ces feuilles par terre ?
JULIEN- C’est Estelle qui a voulu faire une bataille de boules de neige.
Mme PLANCHU- De boules de neige ? Ah oui… quand même…
Tandis que Julien se relève, Mme Planchu se penche vers Estelle toujours occupée à défroisser les feuilles de revue.
Mme PLANCHU- Ca va aller Madame Estelle, comme dit Monsieur Thierry, avec un peu de repos tout rentrera dans l’ordre.
ESTELLE- (se relevant) Bonjour Madame, c’est à moi que vous parlez ?
Mme PLANCHU- Oui, je disais… Je suis sûre qu’avec du repos, ça ira mieux.
ESTELLE- Oui je suis d’accord avec vous, alors si vous êtes fatiguée, allez vite vous reposer.
Mme PLANCHU- Non moi, ça va. Je ne parlais pas pour moi…
ESTELLE- C’est bien vous qui venez de dire qu’avec du repos ça ira mieux. (Aux autres) Elle l’a bien dit n’est-ce pas ? (à Thierry) N’est-ce pas Monsieur, vous aussi, vous l’avez entendu comme moi ?
THIERRY- Oui bien sûr Estelle.
ESTELLE- Estelle ? Pourquoi Estelle ?
THIERRY- Parce que c’est ainsi que tu te prénommes. Tu t’appelles Estelle.
ESTELLE- C’est joli, Estelle et vous-même Monsieur… Votre visage ne m’est pas inconnu. Rappelez-moi votre nom.
THIERRY- Thierry, je m’appelle Thierry.
ESTELLE- Enchantée Thierry. J’espère que nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance. Plus tard peut être… Là, j’ai un peu mal à la tête, je crois que je vais aller me reposer.
SOPHIE- Je vais t’accompagner à ta chambre, tu pourras t’allonger. (À Thierry) Détends-toi un peu, je prends le relais. Allez viens Estelle, ne t’inquiète pas, je vais bien m’occuper de toi.
ESTELLE- Vous, quand on vous voit, vous n’avez pas l’air d’être une comique. Chez vous, ça ne doit pas rigoler tous les jours, pas vrai ? Qu’est-ce que vous avez une tête sévère… Ne le prenez pas mal, je vous dis ça mais c’est parce que je ne vous connais pas, si ça se trouve vous n’êtes pas aussi méchante que vous en avez l’air.
SOPHIE- Mais oui Estelle, tu vas voir que je n’ai pas que des défauts et pour t’aider à t’endormir, je vais même te chanter les berceuses que chantait maman, à moi et à ma sœur, viens, ça va aller. (Elle commence à fredonner) « Une chanson douce que me chantait ma maman… »
Elles sortent.
Mme PLANCHU- Ben dites donc ! Vous parlez d’une histoire ! Pauvre Madame Estelle ! Elle s’est pris un sacré coup dans la cafetière. (désignant sa propre tête) J’ai l’impression que là-haut, ça se bouscule au portillon, il y a de l’embouteillage dans les circuits. Vous croyez vraiment que ça va s’améliorer.
THIERRY- Ca, Madame Planchu, seul l’avenir nous le dira.
JULIEN- (Qui entretemps a retrouvé sa feuille de mots croisés.) « Nous fait vivre en six lettres »alors là… Qu’est-ce que ça peut-être ?
THIERRY- L’espoir mon cher Julien, c’est l’espoir et crois-moi, à partir de maintenant, je sens qu’on va en avoir besoin.
Fin de l’acte 1
ACTE 2
Sur scène, Thierry. Il est au téléphone
THIERRY- Allo ! Monsieur Dupont-Morier ? Oui… Je vous disais qu’Estelle ne pourra pas se rendre à la rédaction. Elle sort tout juste de l’hôpital et… Comment ? Elle devait vous rendre un article important ? Si elle peut vous l’envoyer ? Monsieur Dupont-Morier, vous n’avez pas l’air de bien comprendre… Je vous ai expliqué que mon épouse est devenue amnésique… Elle ne se rappelle déjà plus de son nom alors vous pensez bien que votre article, à cette heure-ci, elle ne s’en soucie guère… Comment cela ? Ça allait être le scoop de l’année ? Mais je m’en contre-fiche de votre scoop ! Qu’est-ce que vous dites ? Que je regarde dans l’ordinateur d’Estelle ? Certainement pas ! Ecoutez ! Le journalisme, c’est bien beau mais vous feriez mieux de vous soucier un peu plus de la santé de vos collaborateurs. (Il raccroche, furieux. ) Quel con, ce directeur !
Venant de côté Jardin, Sophie.
SOPHIE- Te voilà bien énervé, que se passe-t-il ?
THIERRY- C’est à cause de Dupont-Morier, le patron du journal où travaille Estelle… Ce type a le Q.I d’une crevette. Il ne comprend pas qu’Estelle a besoin de repos. Il n’a pas arrêté de me bassiner avec un soi-disant article explosif qu’elle devait lui rendre.
SOPHIE- Quel en était le sujet.
THIERRY- Je n’en sais foutre rien, tu sais, nous avons une règle, ne jamais parler de boulot à la maison alors comme je le disais à l’instant, à cet abruti du Neandertal, le fameux scoop, il pourra bien attendre le rétablissement de ma chère et tendre… Et toi, Sophie, comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi ?
SOPHIE- Je te mentirais si je te disais oui. Je n’ai pas arrêté de penser à Estelle. Alors ? Comment va-t-elle ?
THIERRY- J’espère qu’elle va bien… Je m’apprêtais à aller prendre de ses nouvelles
SOPHIE- A-t-elle passé une bonne nuit ? Elle n’était pas trop agitée ?
THIERRY- Ca, je n’en sais rien.
SOPHIE- Comment cela ?
THIERRY- Figure-toi qu’elle a refusé de dormir avec moi. Lorsque je suis rentré dans la chambre, elle ne s’était pas encore assoupie et m’a demandé ce que je venais y faire. Quand je le lui ai expliqué, elle m’a répondu qu’elle n’avait pas envie de coucher avec le premier venu, elle m’a dit qu’il ne fallait pas la prendre pour une fille facile et elle m’a prié de sortir.
SOPHIE- Mon pauvre Thierry !
THIERRY- Si on m’avait dit un jour que ma chère épouse me chasserait de la chambre comme un vulgaire gigolo, je ne sais pas si je l’aurais cru.
SOPHIE- Au moins te voilà rassuré sur ce point. Estelle est une épouse vertueuse.
THIERRY- Tu as raison, il vaut mieux positiver.
SOPHIE- Je suis sûre qu’avec un peu de temps, elle va retrouver la mémoire. En tous cas, les comptines que je lui ai fredonnées lui semblaient familières. Qu’elle retrouve déjà sa mémoire ancienne, ce sera un premier pas, et nous pourrons espérer que sa mémoire immédiate revienne elle aussi.
THIERRY- Puisses-tu dire vrai.
On sonne à la porte.
SOPHIE- Bouge pas ! J’y vais !
Elle ouvre la porte d’entrée. Arrivée de Mme Planchu.
Mme PLANCHU- Bonjour, bonjour !
THIERRY- Bonjour Madame Planchu. Que faites-vous ici ? Je vous avais dit que ce n’était pas la peine de venir, nous allons pouvoir nous débrouiller…
Mme PLANCHU- Qu’est-ce que vous me racontez !
THIERRY- Voyez-vous, d’habitude, c’est mon épouse qui vous donne les directives, moi, je ne vais pas trop savoir…
Mme PLANCHU- Ne vous faites pas de mouron Monsieur Thierry, vous avez autre chose à faire que de vous occuper de l’intendance, alors faites-moi confiance et laissez-moi faire.
THIERRY- Mais je ne peux pas vous imposer la présence d’Estelle, vous avez bien vu hier qu’elle n’était pas dans son état normal et…
Mme PLANCHU- Et alors ? Vous croyez que c’est en pleine tempête qu’on quitte le bateau ? Il n’y a que les rats qui quittent le navire. Vous trouvez que j’ai une tête de rat ?
THIERRY- Non, évidement Madame Planchu.
Mme PLANCHU- Depuis le temps que je travaille chez vous, j’ai bien vu que Madame Estelle était une bonne personne. Vous pensez que, parce qu’elle a perdu la boule, je vais la laisser tomber ? Alors là, vous me connaissez mal. Tenez, voilà le ticket de caisse, j’ai fait les courses. Ce midi, ce sera poulet frites, parce que, pour être en bonne santé, il y a intérêt à bien manger, pas vrai ?
THIERRY- Ah ! Mme Planchu, vous êtes une mère pour nous.
Mme PLANCHU- Une mère ? Pourquoi pas une grand-mère pendant que vous y êtes ! Mais, assez bavassé, le travail ne va pas se faire tout seul, je vais en cuisine. A tout à l’heure !
Elle s’apprête à entrer dans la cuisine.
THIERRY- Madame Planchu !
Mme PLANCHU- Oui ?
THIERRY- Merci.
Mme PLANCHU- Monsieur Arnaud, ne soyez pas trop inquiet, Madame Estelle, on va bien s’en occuper et si elle a perdu le nord, nous allons tous lui servir de boussole, c’est comme cela qu’elle retrouvera le chemin.
Elle sort.
THIERRY- Il va être temps que j’aille voir Estelle. J’espère simplement qu’elle ne va pas me congédier comme hier.
SOPHIE- Allons-y tous les deux, comme ça elle sera rassurée.
THIERRY- Excellente idée. Après vous, chère belle-sœur.
Ils sortent vers les chambres. Au bout de quelques instants, arrivée, par la porte d’entrée, d’Estelle. Elle traine derrière elle une poubelle jaune à roulette. Après l’avoir fait rouler jusqu’au centre de la pièce, elle soulève le couvercle et commence à sortir bouteilles de plastique, cartons à pizzas et boites de conserve, elle les disposera dans toute la pièce, parfois en les superposant comme des sculptures éphémères.
ESTELLE- (admirant ses réalisations) Comme c’est joli ! On dirait une sculpture !
Julien arrive par les chambres.
JULIEN- Bonjour Estelle… Ça va ?
ESTELLE- Bonjour Monsieur. Oui, ça va bien, et vous-même ?
JULIEN- Oui, oui, ça va mais… Qu’est-ce que tu fais ?
ESTELLE- C’est beau, vous ne trouvez pas ?
JULIEN- Euh… Oui, si tu veux… Mais… Tu sais Estelle, d’habitude, on ne met pas ce genre de poubelle dans un salon.
ESTELLE- Ah bon ? Pourquoi ?
JULIEN- Parce que c’est sale !
ESTELLE- Non ce n’est pas vrai, regardez ! Elle est propre. Je suis sûre qu’il y a des gens qui sont moins propres que ça.
JULIEN- Ce n’est peut-être pas faux mais il n’empêche…
On sonne avec insistance.
JULIEN- Attends ! Je vais ouvrir.
Il se dirige vers la porte d’entrée, l’ouvre pour faire passer Mme Chombier.
Mme CHOMBIER- Ma poubelle ! Où est ma poubelle ? Ah ! Elle est là ! (Apercevant les bouteilles, boites et cartons.) Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? C’est vous qui avez fait ça, Madame Arnaud ? Madame Arnaud ! Je vous parle !
Estelle ne répond pas. Dans sa bulle, elle admire la superposition qu’elle a réalisée avec des boites de conserves et des cartons à pizzas.
Mme CHOMBIER- Mais… Tout ça vient de chez moi ! Non seulement vous avez volé ma poubelle mais en plus, vous l’avez fouillée ? Vous n’êtes pas bien !
Elle commence à défaire les sculptures éphémères pour les remettre dans la poubelle.
ESTELLE- Mes sculptures ! Ne cassez pas mes sculptures !
Mme CHOMBIER- (tout en continuant à remplir sa poubelle.) Des sculptures ! Je t’en ficherai des sculptures !
ESTELLE- Pourquoi vous faites ça ? Ce n’est pas gentil !
Elle prend une bouteille de plastique et se met à taper sur Mme Chombier.
Mme CHOMBIER- Qu’est-ce qui vous prend… Arrêtez ! Vous êtes malade.
JULIEN- Estelle ! Je t’en prie ! Calme-toi !
Il cherche à l’arrêter et se prend à son tour des coups de bouteille.
Mme CHOMBIER- Il faut la faire soigner ! Elle est complétement maboul !
ESTELLE- Taisez-vous ! Vous êtes vilaine ! Hou la vilaine ! Va-t’en la vilaine !
Elle redonne des coups de bouteille tandis que Mme Chombier cherche à récupérer sa poubelle.
Mme CHOMBIER- Ma poubelle ! Rendez-moi ma poubelle !
Tandis qu’ Estelle, retenue par Julien cherche à retenir la poubelle, Mme Chombier tire de son côté en cherchant à se diriger vers la sortie. Arrivée par la porte d’entrée de Thierry.
THIERRY (s’adressant à l’extérieur)- Sophie ! Tu peux venir, elle est là ! (s’adressant aux autres) Eh bien ? Que se passe-t-il ?
Mme CHOMBIER- Ma poubelle ! Elle m’a volé ma poubelle. Vous savez, je vais prévenir les gendarmes !
THIERRY- Voyons Estelle ! Lâche cette poubelle, elle n’est pas à nous.
ESTELLE- Mes belles sculptures ! Elle a tout cassé ! Méchante !
Elle lâche la poubelle, recherche une bouteille ou un carton à pizza pour taper Mme Chombier, Julien en profite pour la ceinturer.
THIERRY- Madame Chombier, vous devriez sortir sinon je n’arriverai pas à la calmer.
JULIEN- Je vous ramènerai votre poubelle, ne vous inquiétez pas.
Mme CHOMBIER- Violation de domicile, intrusion dans la vie privée et vol de poubelle. Ça ne va pas se passer comme ça… Vous allez le regretter ! C’est moi qui vous le dis…
THIERRY- Allez, c’est bon ! Maintenant vous vous cassez !
Mme CHOMBIER- Pardon ?
THIERRY- (hurlant) T’es sourde ou quoi ! Je viens de te dire de te barrer ! Dépêche-toi si tu ne veux pas finir la tête dans la poubelle. Ce n’est vraiment pas le moment de venir nous empoisonner.
Mme CHOMBIER- Mais… Mais…
THIERRY- Il n’y a pas de mémé ! Allez ! On se casse !
SOPHIE- (à Mme Chombier) Sans vouloir vous commander, vous devriez y aller parce que là, il me semble que vous l’avez un peu énervé.
Julien qui, entretemps, a tout remis dans la poubelle, saisit la poignée.
JULIEN- Chère Madame, allez-y, je vous suis. Je sens que le camion-benne ne va pas tarder, je m’en voudrais de vous faire rater le ramassage.
Ils sortent.
ESTELLE- Ca y est ! Elle est partie, la méchante dame ?
THIERRY- Oui, tu n’as plus rien à craindre ma chérie.
ESTELLE- Oh ! C’est drôle que vous m’appeliez ma chérie. Cela me fait bizarre mais ça ne me dérange pas. Vous avez l’air gentil… Rappelez-moi votre nom ?
THIERRY- Je m’appelle Thierry et je suis ton mari.
ESTELLE- Mon mari ? Parce que je suis mariée ?
THIERRY- Oui, avec moi.
ESTELLE- Avec vous ? Oh ben ça alors ! Si nous sommes mariés, nous pouvons peut-être nous tutoyer ?
THIERRY- Bien sûr Estelle, avec plaisir !
ESTELLE- Ça me fait vraiment plaisir d’être mariée avec vous… Je veux dire, avec toi. Tu as l’air protecteur.
THIERRY- Ce matin, tu es sortie de ta chambre par la baie vitrée, n’est-ce pas ?
ESTELLE- La baie vitrée ? Je ne sais pas.
SOPHIE- Nous t’avons cherché dans tout le quartier, tu nous a fait peur. On croyait t’avoir perdue.
THIERRY- C’est comme cela que tu es arrivée devant la maison de la mère Chombier… Mais… Quelle idée saugrenue as-tu eue de lui piquer sa poubelle ?
ESTELLE- Sa poubelle ? Quelle poubelle ?
THIERRY- Ce n’est pas grave, laisse tomber… (désignant Sophie) Et elle ? Sais-tu qui est-ce ?
ESTELLE- Ah non… Je ne sais pas… Bonjour Madame ! (Elle lui tend la main.) Vous allez bien ?
SOPHIE- (fredonnant) Une chanson douce que me chantait ma maman.
ESTELLE- Je la connais ! Maman nous la chantait souvent à moi et à ma sœur.
SOPHIE- Tu t’en souviens ?
ESTELLE- Bien entendu. Et même que des fois, quand maman, après avoir chanté, refermait la porte, nous croyant endormies, ma sœur venait me rejoindre dans le lit et on mangeait du chocolat en cachette. Qu’est-ce que c’était bien !
SOPHIE- Et cette sœur ? Tu t’en souviens de son nom ?
ESTELLE- Bien sûr que je m’en souviens! Elle s’appelait… Elle s’appelait…
On sonne à la porte d’entrée.
ESTELLE- La sonnette ! On sonne à la porte !
SOPHIE- Elle s’appelait comment ?
ESTELLE- La sonnette ! C’est la méchante qui revient ! Je me rappelle ! La méchante dame !
SOPHIE- Mais non, ce n’est pas la méchante dame… De toute façon, tu ne risques rien… Dis-moi plutôt le nom de ta sœur… Alors ? Comment s’appelait-elle ?
On sonne à nouveau.
ESTELLE- (paniquée) C’est la méchante ! C’est la vilaine qui revient !
THIERRY- Laisse tomber ! Tu vois bien qu’elle ne peut plus se concentrer. Je vais ouvrir mais si c’est encore un emmerdeur, ça ne va pas durer longtemps.
Il ouvre la porte. Arrivée de Chloé. Tenue de routarde, elle porte un sac à dos.
CHLOE- Bonjour, vous allez bien ? Si je ne me trompe pas, vous devez être Thierry, c’est cela ? On se fait la bise ?
Elle veut embrasser Thierry qui la repousse gentiment.
THIERRY- Attendez… Dites-moi d’abord… Qui êtes-vous ?
CHLOE- Moi, c’est Chloé… Je suis une collègue d’Estelle. Eh oui, moi aussi je fais partie de la grande famille de la presse écrite. (lyrique) « Au cœur de l’info, toujours plus fort, toujours plus vite, la presse se presse, pour toi lecteur curieux, un seul impératif, toujours te satisfaire. »
THIERRY- Je suis passé plusieurs fois chercher Estelle au journal mais il ne me semble pas vous avoir déjà rencontré.
CHLOE- Normal ! Je suis correspondante à l’étranger. Un jour à Montréal, le lendemain à New-York, une vie de patachon, mais que voulez-vous, moi j’aime ça... Là, je reviens de Californie et comme ça faisait un bail que je n’avais pas vu ma copine, j’ai décidé de passer lui faire un petit coucou. Vous avez l’air surpris… Estelle ne vous a rien dit ? Je lui ai pourtant bigophoné hier. (À Estelle) Ben alors ma vieille ? On oublie de mettre au parfum son petit mari ? (se dirigeant vers Sophie) Bonjour ! Moi, c’est Chloé.
SOPHIE- Sophie, enchantée.
CHLOE- Sophie, la frangine ! Depuis le temps que j’entends parler de vous. Vous allez bien ? (à Estelle) Et toi, ma nounoune, ça va ? Qu’est-ce que je suis contente de te revoir ! (Elle la serre dans ses bras.) Depuis le temps ! On va en avoir à se raconter !
ESTELLE- Bonjour Madame.
CHLOE- Comment ça, bonjour Madame ?
THIERRY- Chloé, il faut que je vous dise… Hier Estelle a eu un accident…
CHLOE- Ah bon ?
THIERRY- Et elle a perdu la mémoire.
SOPHIE- Depuis, elle ne reconnait plus personne.
CHLOE- Purée ! J’y crois pas ! Estelle, ma vieille, dis-moi que tu me reconnais ?
ESTELLE- Bonjour Madame !
CHLOE- C’est moi Chloé, ta meilleure pote ! Ne me dis pas que tu m’as oublié !
THIERRY- Si ça peut vous consoler, elle ne se souvient pas de moi, non, plus.
CHLOE- Non ! Vous déconnez ?
THIERRY- Si je vous le dis !
CHLOE- Je-n’y- crois-pas ! Ce n’est pas possible !
SOPHIE- Elle est tombée dans l’escalier, traumatisme crânien.
THIERRY- Néanmoins elle s’en sort bien, ça aurait pu être plus grave, n’est-ce pas ma chérie ?
ESTELLE- Oui Monsieur ? C’est à moi que vous parlez ?
THIERRY- Je disais… Ta chute dans l’escalier, ça aurait pu être plus grave.
ESTELLE- L’escalier ? Quel escalier ?
THIERRY- (à Chloé) Vous voyez.
CHLOE- Ah ouais ! Et d’après vous elle va rester perchée longtemps comme ça ?
THIERRY- Un jour, un mois, un an, on n’en sait rien mais les médecins semblaient confiants, alors espérons.
SOPHIE- Elle semble avoir conservé quelques souvenirs de son enfance… Avant que vous n’arriviez, elle me parlait de sa sœur…Dis-moi Estelle, tu t’en souviens de ta sœur, n’est-ce pas ?
ESTELLE- Ma sœur ? Quelle sœur ? Je n’ai pas de sœur ! Vous devez vous tromper.
SOPHIE- Bien sûr que si que tu as une sœur. Tout à l’heure, tu me disais te rappeler que vous mangiez du chocolat en cachette. Alors ? Elle s’appelle comment, ta sœur ?
ESTELLE- Je vous dis que je n’ai pas de sœur, si j’en avais une, je m’en souviendrais.
SOPHIE- Tu me l’as dit tout à l’heure… Tu te rappelles lorsque t’étais petite…
ESTELLE- C’est bon ! Je sais encore ce que je dis ! (à Thierry) Vous pourriez dire à votre femme d’arrêter parce que là, elle commence à me fatiguer, je vais finir par avoir mal à la tête !
THIERRY- (à Sophie) On a dit : Pas de contrariété, alors doucement ! D’accord ? Viens Estelle, tu vas venir te reposer un peu… Un peu de calme te fera le plus grand bien…
CHLOE- Moi, je ne vais pas vous déranger plus longtemps…Je vais essayer de trouver un petit hôtel dans le coin.
THIERRY- Non, Chloé, vous restez si vous le voulez bien. Lorsqu’Estelle ira mieux, elle sera certainement ravie de vous avoir à ses côtés, et peut être pourriez-vous ranimer quelques souvenirs.
CHLOE- Je ne voudrais pas déranger.
.THIERRY- La maison est suffisamment grande… Vous vous installerez dans la chambre rose.
CHLOE- Si c’est pour le bien de ma copine alors c’est d’accord.
Sortie d’Estelle et de Thierry vers les chambres.
SOPHIE- Ne pas se souvenir de sa propre sœur ! Vous avez vu ça ?
CHLOE- C’est sûr que ça doit vous faire un choc.
SOPHIE- Et pourtant… Avant que vous n’arriviez, j’ai cru déceler une lueur à l’évocation d’un souvenir de son enfance. Elle allait dire mon prénom lorsqu’elle a été surprise par votre coup de sonnette.
CHLOE- Mince alors ! Pas de bol ! Mauvais timing ! Je n’aurais pas dû arriver à ce moment-là.
SOPHIE- Vous ne pouviez pas deviner.
CHLOE- Quand j’y repense ! Ça fait mal de la voir dans cet état ma nounoune… Parce qu’il faut que je vous dise Estelle, c’est mon rayon de soleil, c’est mon arc en ciel… Estelle, c’est un sourire sur pattes, c’est la bonne humeur réinventée tous les jours. Si vous saviez le nombre de fous-rires que nous avons partagés… Des folles, des vraies folles ! C’est ce que disaient les gens en nous voyant… Qu’est-ce qu’on a pu se marrer.
SOPHIE- Et vous la connaissez depuis longtemps ?
CHLOE- On s’est connues à l’école de journalisme… Ça ne date pas d’aujourd’hui… Pendant des années nous étions inséparables, ensuite elle a connu son mari et moi je suis partie à l’étranger mais nous sommes toujours restées en contact et encore maintenant, elle reste une super amie, alors oui, vous pouvez compter sur moi, ça prendra le temps qu’il faudra mais on va lui faire retrouver la boule à notre Estelle.
SOPHIE- Bien parlé ! Ne nous décourageons pas ! Il faut rester optimiste.
Entrée de Julien par la porte d’entrée.
JULIEN- Ca y est ! Madame Chombier a récupéré sa poubelle mais, à l’entendre, elle va convoquer la gendarmerie, la police et l’armée pour nous faire expulser ! Ça nous promet de belles réjouissances. (Apercevant Chloé) Ah ! Je vois que nous avons de la visite.
SOPHIE- C’est Chloé, une amie d’Estelle. Julien, mon mari.
CHLOE- Bonjour !
JULIEN- Bonjour Chloé. Vous avez vu Estelle ?
CHLOE- Ouais je l’ai vue… Pas fraiche, la copine, mais, en s’y mettant tous, on va bien finir par la remettre d’aplomb.
SOPHIE- Nous étions en train de nous dire que nous n’allions pas nous laisser abattre. Tiens Julien, si tu allais nous chercher quelque chose à boire, je prendrais bien un jus d’orange.
JULIEN- Et moi, une petite bière et pour vous Chloé ?
CHLOE- Une petite mousse ? Je ne dis pas non.
JULIEN- La bière, je sais où la trouver… Et cette fois ci, je ne vais pas demander à Estelle d’aller la chercher.
Il sort vers les appartements.
CHLOE- Pourquoi a-t-il dit cela ?
SOPHIE- Parce que c’est, précisément, en allant à la cave chercher une bière qu’Estelle est tombée.
En coulisse, on entend un grand cri suivi d’un bruit de chute.
SOPHIE- Mon Dieu ! Julien !
CHLOE- Que se passe-t-il ?
Elles sortent précipitamment pour aller secourir Julien. La porte de la cuisine s’entrouvre laissant apparaitre la tête de Mme Planchu.
Mme PLANCHU- C’est quoi encore que tout ce chambard ? Non ? Il n’y a rien ? Heureusement ! C’est que j’ai encore mes patates à éplucher, moi.
Elle rentre dans la cuisine tandis que reviennent Julien soutenu par Sophie et Chloé.
SOPHIE- Mais qui donc va se décider à changer cette fichue ampoule ? On y voit rien dans cet escalier, alors forcément…
CHLOE- Il a dû se prendre une sacrée gamelle… Ça va ? Rien de cassé ?
Julien la regarde en souriant niaisement.
SOPHIE- Julien ? Ça va ?
Julien se tourne vers Sophie et lui adresse le même sourire niais.
SOPHIE- Julien ! Réponds-moi !
JULIEN- (toujours niais) Bonjour Madame !
SOPHIE- Oh non ! Julien ! Tu me reconnais ? Comment je m’appelle ?
JULIEN- Je ne sais pas Madame… Rappelez-moi votre nom.
SOPHIE- Concentre toi et dis-le moi… Comment je m’appelle ?
JULIEN- Je ne sais pas Madame … Peut-être Ginette ou Josiane. Josiane, ça vous va bien. Vous avez une tête à vous appeler Josiane.
CHLOE- Monsieur, regardez-moi ! Monsieur ! Pouvez-vous me dire quel jour nous sommes ?
JULIEN- Quel jour nous sommes.
CHLOE- Et bien dites le moi !
JULIEN- Dites-moi quoi ?
CHLOE- Dites-moi quel jour nous sommes.
JULIEN- Je viens de vous le dire : Quel jour nous sommes… (Chloé lève les yeux au ciel) Qu’est-ce qu’il y a ? C’est vous qui m’avez dit de le dire.
SOPHIE- Julien ! Arrête de faire l’andouille ! Réponds ! Quel jour sommes-nous ? Tu as quel âge ?
JULIEN- On n’a pas tous les jours vingt ans et c’est bien dommage… mais c’est tous les jours dimanche lorsqu’on le veut… Et vous ? Le voulez-vous, Josiane ?
SOPHIE- Ce n’est pas vrai ! C’est un cauchemar !
JULIEN- Oui Josiane.
SOPHIE- Oh, mon Dieu ! Il ne manquait plus que ça !
Sophie se cache la tête dans ses mains. Julien réagit alors et quitte son air niais.
JULIEN- Sophie ! Tout va bien ! C’était pour rire !
SOPHIE- (le frappant avec ses deux poings) Pour rire ? Tu es complétement malade ! On ne fait pas des choses comme ça !
JULIEN- Arrête ! Arrête ! Pardon ! Aïe ! Mais arrête !
Sophie se lève, furieuse.
SOPHIE- Tu ne crois pas que j’ai assez de soucis comme ça ? Il faut encore que tu en rajoutes !
JULIEN- Oh, si on ne peut plus rigoler.
SOPHIE- Pourquoi ? Parce que toi, tu trouves ça drôle ? Nous ne devons pas avoir la même conception de l’humour.
CHLOE- On vous a retrouvé en bas de l’escalier, vous avez tout de même fait une sacrée chute ! Ça va ? Pas trop de bobos ?
JULIEN- Je ne sais pas si c’est la chute dans l’escalier ou les coups de poings que Sophie m’a donné mais c’est vrai que j’ai un peu mal aux côtes.
SOPHIE- Ne compte pas sur moi pour te plaindre.
JULIEN- Qu’est-ce que tu peux être rancunière… Avec tout ça, je n’ai même pas rapporté les boissons, j’y retourne.
SOPHIE- Non ! Tu ne bouges plus !
JULIEN- Mais… Pourquoi ?
CHLOE- Sophie a raison, restez tranquille… Je vous assure, moi personnellement, je n’ai plus soif.
JULIEN- Comme vous voulez.
CHLOE- Je vais plutôt aller m’installer. A plus tard !
Elle sort vers les chambres.
JULIEN- Tu m’en veux encore ?
SOPHIE- Bien sûr que je t’en veux. Tu crois que j’ai déjà oublié ? Et non ! Figure-toi que moi, je ne suis pas encore comme ma sœur, j’ai de la mémoire.
JULIEN- Ouf ! Me voilà rassuré.
SOPHIE- Rassuré ? Comment cela ?
JULIEN- Si tu m’en veux, c’est parce que tu as eu peur et si tu as eu peur c’est probablement parce que tu tiens à moi et si tu tiens à moi, c’est que tu m’aimes donc me voilà rassuré.
SOPHIE- (le regardant avec tendresse)- Espèce de grand imbécile ! C’est vrai que j’ai eu la trouille… (Puis plus sèche) Mais ne t’avise plus de me refaire un coup comme ça, c’est compris ?
On sonne à la porte d’entrée.
SOPHIE- Qu’est-ce que c’est encore ?
JULIEN- J’espère que ce n’est pas encore la vieille excitée qui revient.
SOPHIE- Ne bouge pas ! J’y vais !
Elle se dirige vers la porte, l’entrouvre.
SOPHIE- C’est pourquoi ?
BOB- Estelle Arnaud, c’est ici ?
SOPHIE- Oui mais on a besoin de rien.
BOB- Ca tombe bien, je n’ai rien à vendre… Estelle est là ?
SOPHIE- Qu’est-ce que vous lui voulez ?
BOB- Si vous me laissiez entrer, je pourrais peut-être vous l’expliquer.
SOPHIE- C’est bon, entrez !
Bob entre, apercevant Julien, il le salue.
BOB- Bonjour ! C’est vous le mari d’Estelle ?
JULIEN- Ah non… Remarquez… Vous n’étiez pas loin, je suis le mari de la sœur d’Estelle.
SOPHIE- Pourquoi toutes ces questions ? Et tout d’abord Monsieur, vous-même, vous êtes qui ?
BOB- Moi, c’est Bob. Je suis un vieil ami d’Estelle et comme je passais dans le quartier, je me suis dit que c’était l’occase de venir faire coucou à ma copine. Elle est là ?
SOPHIE- Elle est là mais actuellement elle ne reçoit pas de visite.
BOB- Moi, elle va me recevoir, je viens de vous expliquer que j’étais un vieil ami.
SOPHIE- Oui, mais là, vous tombez mal.
JULIEN- Vous tombez mal… Comme Estelle d’ailleurs… Elle aussi, on peut dire qu’elle est mal tombée.
BOB- Qu’est-ce que vous racontez ? J’entrave que dalle..
SOPHIE- Ma sœur a chuté dans l’escalier et est tombée sur la tête. .. Depuis, amnésie totale ! Elle ne reconnaît plus personne et a même une légère tendance à faire un peu n’importe quoi.
BOB- Non ? Et depuis quand ?
JULIEN- Hier après-midi. Pas de bol ! À un jour près, elle aurait pu vous reconnaitre, tandis que maintenant…
BOB- C’est une vraie histoire de oufs ! Si je comprends bien, vous êtes en train de m’expliquer que la frangine a de la mayonnaise dans le ciboulot, des trous dans la cafetière parce qu’elle s’est vautrée dans un escalier ?
JULIEN- Tout à fait cher Monsieur, tout cela parce qu’elle a chu.
BOB- A chu ?
JULIEN- Oui, a chu, verbe choir… Chu (Il épèle) C-H-U. C’est d’ailleurs là qu’elle est allée après sa chute, au C-H-U, vous me suivez ?
BOB- J’sais pas trop ce que vous jactez mais j’préfère vous dire tout de suite que je n’aime pas trop qu’on se fiche de ma fiole.
SOPHIE- Personne ne se fiche de votre fiole comme vous dites mais comprenez Monsieur…
Venant de la chambre, entrée de Thierry.
THIERRY- Ca y est ! Elle commence à s’apaiser… Pour ne pas qu’elle reparte par la baie vitrée, j’ai préféré fermer les volets, c’est plus prudent. (Apercevant Bob) Tiens ! Bonjour ! Je ne pense pas avoir le plaisir de vous connaitre.
BOB- Bonjour ! Laissez-moi deviner…Vous, vous êtes le mari, pas vrai ? Moi, c’est Bob, un ancien ami d’Estelle.
THIERRY- Un ancien ami d’Estelle ? C’est curieux, elle ne m’a jamais parlé de vous. C’est fou le nombre de vieilles connaissances que je découvre aujourd’hui… Bob dites-vous ? Non, je ne crois pas.
BOB- Vous savez, c’était il y a longtemps… Je viens d’apprendre qu’elle s’était pris un sacré coup dans le carafon et il parait qu’elle a tout oublié.
THIERRY- Hélas oui ! Et je crains même qu’en plus d’avoir perdu la mémoire, elle n’ait aussi perdu la raison.
BOB- Vous voulez dire qu’elle perd la boule et qu’elle devient foldingue ?
THIERRY- Je ne l’aurais pas dit de cette manière mais oui, c’est à peu près ça. Maintenant que vous êtes là, attendez de la voir…. Vous me dites que vous êtes un vieil ami d’Estelle ? Vous savez, nous faisons tout pour l’aider à raviver ses souvenirs, peut être que votre présence pourra éveiller un quelconque intérêt, ne le pensez-vous pas ?
BOB- Ben ouais !
THIERRY- En tous cas, on peut toujours essayer, n’est-ce pas ?
BOB- Ben ouais !
THIERRY- Merci mon vieux, c’est sympa d’accepter.
Entrée d’Estelle.
ESTELLE- Je déteste être dans le noir. Je n’arrive pas à ouvrir les volets… Quelle idée de les avoir fermés. (Apercevant Bob) Ah ! Tu es là, chéri ! Ta promenade s’est bien passée ? Eh bien, Que se passe-t-il ? Tu as perdu ta langue ?
BOB- Ben non… Tu vas bien ?
ESTELLE- Evidemment que je vais bien.
THIERRY (à Bob)- J’ai rêvé ou elle vous a appelé chéri ?
BOB- Je ne sais pas, peut-être.
THIERRY- Ce n’est pas peut-être, c’est sûr… Elle vous a dit : chéri n’est-ce pas ?
BOB- C’est vous qui m’avez dit qu’elle « yoyotait du chapeau », non ? Alors, ne vous étonnez pas qu’elle m’appelle chéri, moi je trouve ça me va plutôt bien, chéri. (Il rit bêtement.)
ESTELLE- Mon chéri, excuse-moi de te le dire mais, je trouve que tu as mauvaise mine (Elle met ses bras autour du cou de Bob et l’embrasse tendrement.) Maintenant que je te tiens, tu vas voir, je vais bien m’occuper de toi.
BOB- (à Thierry) Qu’est-ce que je fais ?
THIERRY- Ce n’est pas compliqué, vous enlevez ses bras de votre cou et vous vous reculez d’un mètre. Quand vous m’aviez dit que vous étiez un ami, je ne pensais pas que vous étiez aussi intime.
Tandis que Bob se dégage, Estelle réalise la présence de tout le monde.
ESTELLE- Chéri ! Tu as encore ramené tes copains à la maison ! Il y en a marre ! On ne peut jamais être tranquille, tous les deux ! Tu sais, un jour, il va falloir que tu choisisses entre tes copains et moi.
BOB- Attends un peu Estelle ! Tu vas voir, ils sont tous très gentils… Je vais te présenter… (À Thierry) C’est comment votre nom ?
ESTELLE- Et en plus, tu ne connais même pas leur nom ! J’en ai ras le bol que tu ramènes tous les jours des inconnus. Nous n’avons jamais d’intimité.
BOB- (désignant Sophie) Et elle ? La frangine ? Tu la connais. Regarde-la bien.
ESTELLE- Oh ! Tu m’énerves ! Reste avec tes amis si ça te chante, moi je vais manger au restau. Allez ! Ciao !
THIERRY- Estelle ! Attends-moi, je vais t’accompagner.
ESTELLLE- Pourquoi voulez-vous m’accompagner ?
THIERRY- Parce que je suis ton mari.
ESTELLE- N’importe quoi ! Alors Chéri, tu viens ?
BOB- (à Thierry) Bon, ben j’y vais.
THIERRY- Ne bougez pas ! Estelle, j’arrive !
ESTELLE- Vous, je ne vous ai rien demandé… Chéri ! Je ne vais pas attendre longtemps… Alors, que décides-tu ?
Elle se dirige vers la porte d’entrée.
SOPHIE- Thierry, à moins de l’enfermer ou de l’attacher, je ne vois pas comment tu peux empêcher Estelle de sortir, alors laisse Monsieur l’accompagner.
THIERRY- Tu entends ce que tu me dis ? Tu voudrais que je laisse ma femme avec un type qu’elle appelle chéri. Je veux bien être compréhensif mais il y a des limites.
JULIEN- A mon avis, tenter de la ramener maintenant ne servirait qu’à l’énerver davantage.
ESTELLE- Chéri, je compte jusqu’à trois. Si tu ne veux pas venir, tant pis pour toi !
THIERRY- Oui Estelle, j’arrive !
ESTELLE- Ce n’est pas à vous que je parle, vous, laissez-moi tranquille.
BOB- Finalement je vais y aller, ça me plait bien d’aller becter au restau, en plus on pourra causer, j’adore quand les dames me font la conversation.
THIERRY- Non restez là ! Je vous interdis d’y aller.
BOB- (Avance menaçant) Dis-donc, mon petit pote, tu ne chercherais pas à me donner des ordres en ce moment ?
THIERRY- (hésitant) Non, non… Je veux simplement vous dire que je préférerais que vous restiez là. Vous savez, elle est très fragile psychologiquement et il me semble que c’est prématuré que de vouloir la sortir.
BOB- Pas la peine de flipper comme ça .Je veux juste savoir ce qu’elle a dans la tronche et si nous avons des souvenirs en commun mais ne t’inquiète pas ; si elle est aussi barjot que tu me le dis, je te la ramènerai en bon état.
THIERRY- (à Sophie) Sophie, tu ne veux pas les accompagner ?
SOPHIE- Elle ne va jamais vouloir.
THIERRY- Essaie, tu verras bien.
SOPHIE- Estelle ? Que dirais-tu si je venais avec vous au restaurant ?
ESTELLE- Vous pensez peut être que je vais aller au restaurant avec des gens que je ne connais pas ? Je ne voudrais pas être désagréable mais j’ai l’impression que vous êtes tombée sur la tête pour me demander des trucs pareils !
(Elle sort.)
BOB- J’y vais aussi. Je ne vais pas laisser la dame toute seule, pas vrai ?
THIERRY- Puisqu’il faut bien que quelqu’un y aille, allez-y ! Amenez-la au restaurant, ne cherchez pas à la contrarier et ensuite revenez tranquillement par ici (Il sort une carte de visite de sa poche) Tenez ! Mon numéro de portable, au cas où… Mais attention ! N’oubliez pas que son mari, c’est moi. Compris ?
BOB- T’inquiète mon pote. A plus tard !
Il sort à son tour.
THIERRY- Je ne le sens pas du tout ce type, il a l’air louche… J’ai bien envie de les suivre et d’appeler la police.
JULIEN- Pour leur dire quoi ? Que ta femme est partie au restaurant avec un ami ? Ils vont te rire au nez, tu ne crois pas ?
THIERRY- Mais alors ? Que faire !
Irruption de Chloé, venant des chambres.
CHLOE- J’étais derrière la porte, j’ai tout entendu… Le type ne me connait pas, je vais pouvoir les suivre sans me faire repérer. Pas de souci, je gère !
THIERRY- Ne la perdez pas de vue, dépêchez-vous ! (ressortant une carte de visite de sa poche) Tenez ! Mon numéro de portable ! Au moindre problème, vous appelez !
Chloé sort en courant.
JULIEN- (à Thierry) Allons Thierry, ne fais pas cette tête-là. Si ça peut te consoler, sois sûr qu’Estelle ne va pas dépenser l’argent du ménage, comme elle ne se souvient certainement pas du code bancaire de sa carte, c’est forcément Bob qui va payer.
THIERRY- Je ne sais pas si Bob pensera à lui offrir l’apéritif mais en attendant, je peux vous l’avouer, j’en connais déjà un qui trinque.
Sophie et Julien viennent entourer Thierry pour lui manifester des gestes d’attention.
NOIR ou Rideau. Fin de l’acte 2
Acte trois
Sur scène, Sophie, Thierry et Mme Planchu
THIERRY- Deux heures ! Cela va faire deux heures qu’ils sont partis… Il ne faut pas deux heures pour déjeuner ! Qu’est-ce qu’ils font ?
Mme PLANCHU- Tout le monde vient à peine de sortir de table, deux heures pour manger, c’est normal, au moins, ça permet de bien mâcher. C’est important de bien mâcher. Vous-même, Monsieur Thierry, vous l’avez avalé bien trop vite votre repas, vous devriez…
THIERRY- Croyez-moi, Madame Planchu, je n’ai pas besoin de mâcher, en ce moment je rumine suffisamment comme cela.
SOPHIE- Ne va pas nous faire un ulcère, essaie de te décontracter et n’aies pas peur, le Bob, il va te la ramener ton Estelle.
THIERRY- Tu parles ! Je l’entends d’ici faire le joli cœur… Et elle ? Qu’est-ce qu’elle peut donc lui trouver ? Il a l’air aussi délicat qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine, aussi raffiné qu’un orang-outan de Bornéo.. . Je ne peux pas imaginer qu’il puisse la toucher avec ses sales pattes.
SOPHIE- Voyons Thierry ! Qu’est-ce que tu vas imaginer !
Mme PLANCHU- Arrêtez ça tout de suite, Monsieur Thierry, là, vous êtes en train de vous faire du mal pour rien.
THIERRY- Vous êtes gentille Madame Planchu, hélas, je vois le film comme si je l’avais sous les yeux… Il va profiter de la faiblesse d’Estelle, c’est évident.
SOPHIE- Mais non ! Tu penses vraiment que le Bob trouve qu’actuellement le contexte est très glamour ? Faut-il te rappeler le comportement imprévisible d’Estelle ?
Mme PLANCHU- C’est vrai que si Madame Estelle commence, comme ce matin, à se mettre à quatre pattes et à jeter des boulettes sur les clients, ça peut lui faire tout drôle. Il risque de se sentir un peu gêné dans le restaurant.
THIERRY- Il n’empêche…Je n’ai absolument aucune confiance dans ce type. Dire que c’est moi qui ai insisté pour qu’il reste. Je croyais qu’il n’était qu’un simple copain… Si j’avais su !
SOPHIE-- Au lieu de te laisser bouffer par la jalousie, tu devrais plutôt essayer de voir le côté positif des choses, dis-toi plutôt que si Estelle a reconnu Bob, on peut penser que petit à petit, elle finira par reconnaitre tout le monde.
THIERRY- Tout de même ! J’aurais préféré qu’elle me reconnaisse en premier.
SOPHIE- C’est donc ça ! Monsieur est vexé parce qu’il n’a pas été reconnu en premier. Oh le pauvre petit chéri ! Vous entendez cela Madame Planchu ?
Mme PLANCHU- Mon homme, il est pareil ! Il me regarde à peine trois fois dans l’année mais si un autre male s’avise de me tourner autour, d’un seul coup, mon bonhomme, ça le rend dingue et il se met à s’intéresser à moi, à vouloir me faire des câlineries et à me surveiller comme le lait sur le feu.
SOPHIE- Et dire qu’on les appelle le sexe fort, tu parles ! S’il y en a qui doutent de leur capacité, ce sont bien les hommes. Ah ça ! Pour être forts, ils sont forts ! Ils passent leur temps à vouloir prouver leur virilité tellement ils ont confiance en eux.
Mme PLANCHU- Ils sont encore gamins qu’ils commencent déjà à faire des concours de zigounette pour savoir qui est capable de faire pipi le plus loin ou le plus haut possible.
SOPHIE- Et après quand ils grandissent, ils ne peuvent s’empêcher de continuer à jouer à celui qui sera le plus grand, à celui qui sera le plus fort, le plus musclé, le plus cultivé…
Mme PLANCHU- A celui qui aura la plus grosse bagnole.
SOPHIE- Et tout cela pour seulement tenter de se rassurer et d’épater la galerie. C’est tout de même comique quand on y pense.
Mme PLANCHU- Ah la la ! On pourrait en parler toute la journée… Enfin, il ne faut pas que ça vous empêche de garder le moral, Monsieur Thierry.
THIERRY- Mais oui, Madame Planchu… Pardonnez-moi de m’être laissé aller ainsi devant vous… J’ai eu un petit coup de mou mais maintenant, ça va repartir, n’est-ce pas Sophie ?
SOPHIE- Mais bien sûr mon grand.
Mme PLANCHU- Moi, je vais retourner à la vaisselle parce que faudrait pas qu’il y en ait qui croient que je suis payée à rien faire. Si vous avez besoin de moi, je suis à côté.
Elle entre dans la cuisine .Au même moment, le téléphone sonne.
THIERRY- Peut-être des nouvelles d’Estelle… Pourvu qu’il ne soit rien arrivé… Allo ! Encore vous Monsieur Dupont-Morier ? Quoi encore ? Que je cherche un fichier dans l’ordinateur d’Estelle ? Vous vous excusez d’insister ? Vous avez bien raison de vous excuser et allez vous faire voir ! (Il coupe la communication.) Il est bouché ce directeur ! Je lui ai déjà dit qu’on avait d’autres chats à fouetter que de s’occuper de son article.
SOPHIE- S’est-il au moins soucié de la santé d’Estelle ?
THIERRY- Penses-tu ! Ce type a un bloc de béton à la place du cœur. Il n’y a que son journal qui l’intéresse.
SOPHIE- Je serais tout de même curieuse d’en savoir un peu plus sur ce fameux article qu’Estelle devait lui envoyer.
THIERRY- Oui, nous verrons cela plus tard, pour le moment…
Arrivée de Chloé.
THIERRY- (à Chloé) Alors ?
CHLOE- Tout va bien. Les voilà revenus dans le quartier.
SOPHIE- Tout s’est bien passé ?
CHLOE- Faut reconnaitre que ce n’était pas triste. Vous auriez vu Estelle au restaurant. Elle nous a sorti le grand show… Ah, elle était en forme ! Le Bob, il en était estomaqué… A peine installée, elle a commencé à piquer les fesses du serveur avec une fourchette… Ensuite elle a balancé des morceaux de pain sur les clients des tables d’à côté… Elle leur disait : « petits, petits, petits… « Comme si elle nourrissait des pigeons… Evidemment quand elle a commencé à vouloir monter sur la table, Bob l’a saisie par le bras et ils sont partis avant que les serveurs et le patron ne commencent à s’échauffer.
SOPHIE- Tu m’étonnes ! Je vois le tableau.
THIERRY- Ensuite qu’ont-ils fait ?
CHLOE- Après, elle est partie en courant. Bob a eu un mal de chien à la rattraper et à la convaincre de remonter dans la voiture. Finalement ils sont revenus par ici mais à peine sont-ils descendus de voiture qu’Estelle est allée cueillir des fleurs dans les jardins du quartier.
THIERRY- Et bien s’il doutait de son état mental maintenant j’espère qu’il en sera un peu plus convaincu.
SOPHIE- Et toi, j’espère que tu arrêteras de te poser des questions sur la fidélité de ta chère et tendre. Alors te voilà rassuré ?
THIERRY- C’est bon, pas la peine de me charrier.
CHLOE- Le principal, c’est qu’elle soit revenue à bon port… Je vais vous laisser l’accueillir et vais un peu dans ma chambre en attendant… Au fait, savez-vous si Estelle a un ordinateur ici ?
THIERRY- Bien sûr, son portable est dans notre chambre. Pourquoi me demandez-vous cela ?
CHLOE- Non pour rien… C’est ballot… J’ai bêtement oublié mon PC et j’aurais juste quelques messages à consulter… Mais rien ne presse, je verrais cela plus tard. A tout à l’heure !
Elle sort vers les chambres tandis qu’arrivent Estelle et Bob.
ESTELLE- (tenant un bouquet de fleurs, elle s’adresse à Bob) Pourquoi ne voulais tu pas que je cueille ces fleurs, ce n’est pas trop sympa de ta part, mon chéri. Tu n’aimes pas les fleurs ?
BOB- Mais ce sont les fleurs des voisins… Où t’as vu qu’il y avait marqué fleuriste sur leur portail ?
ESTELLE- Qu’est-ce que tu racontes encore ? Des fois, j’ai l’impression que tu dis n’importe quoi.
BOB- (se contenant) Oh Pétard ! Restons calme !
THIERRY (à Bob)- Ca s’est bien passé ?
BOB- Bien sûr ! Oui, tout s’est très bien passé. On s’est rappelé nos vieux bons souvenirs, pas vrai Poupée ? A propos… Elle m’a dit qu’elle avait scanné, il n’y a pas longtemps des vieilles photos. Elles doivent être sur son ordi, j’aimerais bien les voir…Vous savez où il est cet ordinateur ?
THIERRY- Décidément, j’ai l’impression que tout le monde s’intéresse à l’informatique en ce moment.
BOB- Pourquoi vous dites ça ?
THIERRY- Pour rien, je me comprends.
BOB- Bon, vous allez le chercher ? Parce que si je demande à l’autre… Je veux dire à Estelle, je ne suis pas sûr qu’elle le trouve… Alors ? Qu’est-ce que vous attendez ? Dépêchez-vous, mon vieux !
THIERRY- Ça suffit ! Vous vous prenez pour qui ? Vous allez commencer à redescendre d’un étage… Qu’est-ce que c’est que ce ton péremptoire ! Sachez que je n’ai pas l’habitude de recevoir des ordres et encore moins dans ma propre maison.
BOB- D’accord… C’est bon, calmos… (Désignant Estelle) C’est de sa faute aussi ! Faut reconnaitre que des fois, elle gonfle un peu.
SOPHIE- Comme c’est curieux ! Comment se fait-il qu’Estelle ait pu vous énerver alors que vous venez de nous dire que tout s’était bien passé ?
BOB- Non… Bien sûr qu’elle est mignonne… Simplement un peu bizarre parfois, c’est pour ça que je ne voudrais pas la fatiguer trop longtemps… Le temps de regarder quelques photos de notre jeunesse et après je m’en vais. Ça vous va comme ça ?
THIERRY- J’avoue ne pas bien comprendre cette envie de voir de vieilles photos…
BOB- Que voulez-vous, je suis un sentimental.
THIERRY- Si ça se trouve, on ne trouvera rien. Cela peut être encore une lubie d’Estelle… Elle en raconte tellement ! Avec elle, tout est possible mais on ne va pas se mentir, s’il n’y a que cela pour vous faire partir, je cours chercher son PC.
Il s’apprête à sortir vers les chambres, au même moment, entrée de Chloé, elle porte son sac à dos.
THIERRY- Et bien Chloé ? Que se passe-t-il ? Vous partez ?
CHLOE- Oui, je préfère vous laisser en famille… Comme Estelle ne me reconnait pas, ça ne sert à rien que je reste.
BOB- Par contre, moi je vous reconnais…Attendez un peu… Vous étiez au restaurant tout à l’heure.
CHLOE- Ah non… Tout à l’heure, j’étais ici.
THIERRY- Bien sûr qu’elle était ici… Je vous assure.
BOB- J’aime pas trop qu’on me prenne pour une truffe. Si je dis que je l’ai vue, c’est que je l’ai vue.
CHLOE- Vous savez, les sosies, ça existe.
BOB- Tu penses que je vais te croire ! Tu nous espionnais, dis-le !
CHLOE- Calmez-vous ! Et puis qui vous permet de me tutoyer ! Il est trop, ce type !
ESTELLE- (fort) Tiens ! Et si j’allais voir des photos sur mon ordi… Tu viens chéri ?
THIERRY et BOB- (ensemble) J’arrive !
Sans plus attendre, Estelle se dirige vers les chambres. Bob et Thierry lui emboitent le pas.
BOB (se retournant vers Thierry)- Elle a dit chéri… Je vous rappelle qu’en ce moment, chéri c’est moi.
THIERRY- Et moi je vous rappelle que c’est ma femme alors pas question de vous laisser seul dans la chambre avec elle.
Ils sortent. Au même moment, arrivée de Julien par la porte d’entrée.
JULIEN- Cette petite promenade digestive m’a fait le plus grand bien… Savez-vous qu’il y a une certaine effervescence dans le quartier… En revenant par ici, j’entendais cette brave et sympathique Madame Chombier qui hurlait à tout va en tentant de rameuter le voisinage. Je me demande ce qui a bien pu arriver… Et bien Chloé ? Vous partez ? Comment ça s’est passé au restaurant ?
CHLOE- Sophie vous racontera… Je dois y aller… Là, je suis un peu à la bourre…. Je repasserai plus tard prendre des nouvelles d’Estelle.
Prise d’une inspiration subite, Sophie va tâter le sac de Chloé.
SOPHIE- Un ordinateur portable ! Je le sens ! Je m’en doutais ! Vous avez un ordinateur dans ce sac.
CHLOE- Ben oui, c’est mon portable, je ne vois pas ce que cela a d’étonnant.
SOPHIE- Il n’y a pas cinq minutes, vous disiez l’avoir oublié. Faut pas nous raconter d’histoires !
CHLOE- En fait, je pensais l’avoir oublié mais il était bel et bien dans mon sac.
SOPHIE- Alors nous allons vérifier tout cela. Sortez-le donc ! Julien empêche la de partir !
CHLOE- Je n’ai pas le temps de vous expliquer mais laissez-moi passer avant que Bob ne rapplique.
JULIEN- Vous, vous n’avez pas la conscience tranquille. Allez ! Donnez-moi cet ordinateur !
CHLOE- Il faut à tout prix que je mette cet ordi en sécurité avant que Bob ne le découvre. Vous n’avez pas encore compris que ce type est un vrai méchant. Alors, poussez-vous ! Vite !
SOPHIE- Je n’ai absolument aucune confiance ni en vous, ni en Bob, du reste. Quand on vous voit tous les deux, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Comme par hasard, vous vous intéressez au même ordinateur… Je ne sais pas à quel jeu vous jouez mais donnez-moi ce portable, je préfère le cacher moi-même. Qu’en penses-tu Julien ?
JULIEN- Entre le bon grain et l’ivraie, nous trierons plus tard… Sage décision Sophie… Chloé, vous êtes très sympathique, tout comme peuvent l’être les meilleurs escrocs dans ce pays, quant à Bob s’il apparait nettement moins avenant, peut-être qu’avec sa gueule de truand est-il simplement victime du délit de faciès. Comment savoir ?
.CHLOE- On philosophera une autre fois mais là, je n’ai vraiment pas le temps… (Elle sort un revolver de sa poche arrière.) Avec ça, vous comprendrez mieux ? Désolé Julien… Laissez-moi passer.
SOPHIE- Je me doutais que sa venue n’était pas innocente.
JULIEN- (désignant le revolver) Doucement avec votre truc, un accident est si vite arrivé.
CHLOE- Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude. A plus tard peut-être ?
Elle s’apprête à sortir mais son geste est interrompu par l’irruption de Bob et son hurlement.
BOB- Stop !
Bob est entré dans la pièce. Il braque un pistolet sur la tempe de Thierry tandis qu’Estelle se trouve à ses côtés. Chloé se retourne et voyant la scène braque à son tour son revolver vers Thierry et Bob. Ils restent un temps à se défier.
BOB- Lâche ton arme sinon je lui fais des trous dans la calebasse.
THIERRY- Chloé ! Faites ce qu’il vous dit.
CHLOE- Je te connais Bob Santonni… Je connais même ton pédigrée : Trois condamnations, vol à main armée, meurtre… Je sais que tu n’es pas un enfant de chœur. Qui me dit que tu n’auras pas envie de flinguer tout le monde quand j’aurais lâché mon revolver ?
A ces mots, apeurés, Sophie et Julien commencent à se décaler de Chloé, obligeant ainsi Bob Thierry et Estelle à se rapprocher de la porte de la cuisine.
BOB- Commence par me donner ton sac, je veux vérifier que l’ordi est bien dedans, après on discutera.
ESTELLE- (à Bob) Mon chéri, c’est le sac que tu veux ? Je veux bien aller te le chercher si cela peut te faire plaisir.
THIERRY- Estelle, arrête ! Ce type ne peut pas être un ami à toi, c’est un tueur !
ESTELLE- Qu’est-ce que vous racontez encore ? Mon chéri, il n’y a pas plus gentil que lui, pas vrai mon Nounours ?
Elle se fait câline et lui caresse la poitrine. Bob affichant un sourire de satisfaction se laisse faire. Brusquement Estelle se saisit du poignet de Bob afin de détourner l’arme pointée sur Thierry. Au même moment, surgit de la cuisine Mme Planchu, une poêle à la main (Une poêle en aluminium léger est conseillée NDLA) Elle assène un coup sur la tête de Bob qui s’écroule.)
Mme PLANCHU- Ah la sale bête ! Il va moins faire le malin maintenant !
THIERRY- Bravo Mme Planchu ! Décidément vous êtes irremplaçable !
Mme PLANCHU- Vous voyez que j’ai bien fait de venir aujourd’hui.
CHLOE- (prenant son smartphone) Allo Lantier ? T’es où ? Devant la porte ? J’espère que tu es venu avec une voiture banalisée et que tu n’as pas mis le gyrophare, ça ne sert à rien d’alerter le voisinage, ces temps-ci, il a déjà été servi en spectacle, ce n’est pas la peine d’en rajouter… Non ne te déplace pas, tout va bien, j’arrive ! (se tournant vers Mme Planchu) Sans votre intervention cela aurait pu être un peu plus compliqué. Chère Madame, au nom de la police nationale, soyez remerciée.
Mme PLANCHU- Y a pas quoi…Quand on peut rendre service…J’espère que je n’ai pas tapé trop fort.
CHLOE- Ne vous inquiétez pas pour lui, ce genre de client a la tête dure.
SOPHIE- C’est vrai ? Vous êtes vraiment policière ?
CHLOE- Ben oui ma p’tite dame. Je travaille en lien direct avec la brigade de recherches des infractions financières. Ce coco et toute sa clique, cela fait des mois qu’on les a à l’œil.
THIERRY- Alors pourquoi avoir attendu pour le coffrer ? Vous avez bien vu, il a failli nous tuer..
CHLOE- Il nous fallait un flagrant délit pour intervenir, cette fois, nous l’avons… Mais ce client là, ce n’est que du menu fretin, moi ce qui m’intéresse, c’est la pêche au gros et cette fois mon petit doigt me dit que nous aurons de belles surprises en remontant le filet.
BOB- Aie aie…
CHLOE- Ah ! Monsieur se réveille… (secouant Bob) Allez bonhomme ! Debout ! La sieste est terminée.
BOB- Aie ! Ma tête ! Que s’est-il passé ?
CHLOE- Rien du tout ! On t’a juste remis les idées en place.
BOB- Ma tête ! J’ai mal à la tête.
CHLOE- Là où je t’emmène, on te donnera de l’aspirine… Et puis ne va pas commencer à te plaindre, ce n’est pas très grave, tu vas t’en sortir avec une grosse bosse, voilà tout ! Allez en route et pas de geste brusque, c’est bien compris ?
BOB- (à Thierry) Au revoir mon petit pote ! Tu sais que ta greluche, elle s’en sort bien… Normalement je devais la liquider mais quand j’ai vu qu’elle était devenue zinzin, je me suis dit que ça n’était plus la peine… Finalement, elle sort gagnante. L’hôpital ça vaut mieux que le cimetière, (à Estelle) pas vrai, chérie ?
ESTELLE- C’est à moi que vous parlez ? Je ne comprends pas… On se connait peut-être ? Rappelez-moi votre nom ?
BOB- Laisse tomber ! (à Chloé) On y va ?
CHLOE- J’allais t’en prier. On ne va tout de même pas faire attendre les collègues.
Ils se dirigent vers la sortie.
THIERRY- Attendez ! Vous allez garder l’ordinateur d’Estelle ?
CHLOE- On vous le rapportera plus tard… Le temps d’analyser les fichiers. Je peux déjà vous le dire, ce qu’il y a là-dedans, c’est de la bombe ! Vous pouvez être fier de votre femme, Thierry, elle a vraiment fait du bon boulot.
SOPHIE- En deux mots, on pourrait peut-être savoir ce dont il s’agit. ?
CHLOE- Je laisse la primeur de l’info au journal, vous aurez tous les détails demain…. Rappelez-vous : « Au cœur de l’info, toujours plus fort, toujours plus vite, pour toi lecteur curieux, un seul impératif, toujours te satisfaire. »
Ils sortent.
THIERRY- Je ne vois pas comment cet article va pouvoir paraitre puisque c’est Estelle qui était censée le rédiger… d’ailleurs si Dupont-Morier, le patron du journal n’a cessé de téléphoner, c’est bien parce que le fameux scoop n’était pas à la rédaction.
ESTELLE- Tu sais bien, mon chéri que Dupont-Morier est un grand anxieux, il a toujours peur que les articles arrivent en retard.
THIERRY- Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ?
ESTELLE- Tu m’as très bien entendu, mon chéri.
Tous se précipitent vers Estelle.
SOPHIE- Estelle ! Tu vas bien ?
ESTELLE- Mais oui Sophie, je vais bien.
SOPHIE- Tu me reconnais ?
ESTELLE- Bien sûr ma sœur, tout comme je reconnais Julien, ton mari.
Mme PLANCHU- Et moi, Madame Estelle, est-ce que, par hasard, vous me reconnaissez ?
ESTELLE- Bien évidemment ma chère Mme Planchu, comment pourrais-je vous oublier… Et puis, je dois vous faire un aveu… En fait, je n’ai aucun mal à tous vous reconnaitre parce que je n’ai jamais perdu la mémoire.
THIERRY- Comment cela ? Mais alors ? Pourquoi cette mascarade ?
ESTELLE- Tout simplement parce que ma vie était en danger, mon chéri… Je ne t’en ai pas parlé pour ne pas t’inquiéter mais déjà, il y a deux jours, on a voulu me tuer…. Je m’en suis sortie miraculeusement grâce à la présence d’esprit d’un passant qui m’a tirée en arrière lorsqu’il a réalisé qu’un chauffard cherchait à m’écraser.
JULIEN- Et ce chauffard ? Tu n’as pas eu le temps de voir sa tête, j’imagine.
ESTELLE- Sa tête, non… Mais sa voiture, je l’avais bien repérée. Aussi quand je l’ai revue hier stationnée dans le quartier, j’ai bien vite compris que le chauffard m’avait retrouvé.
THIERRY- Et ce chauffard, évidement c’était…
TOUS- C’était Bob !
ESTELLE- Je ne voulais pas me mettre en danger et vous mettre en danger, j’ai commencé par appelé Chloé avec qui j’avais déjà eu des contacts professionnels et lui ai demandé de venir surveiller Bob.
SOPHIE- C’est pour cela qu’elle s’est faite passer pour une collègue à toi.
ESTELLE- Oui, elle se méfiait de vos réactions, si elle vous avait dit d’emblée qu’elle était flic, vous n’auriez pas été naturels et Bob se serait méfié.
JULIEN- Quelle bande de cachotières, toutes les deux. Quand je pense que…
SOPHIE- Tais-toi donc ! (à Estelle) Vas-y, continue !
ESTELLE- .Comme j’avais la trouille et que je me savais espionnée, j’ai imaginé, en plus, cet accident dans l’escalier et, j’ai commencé à faire n’importe quoi dans le quartier, à jouer les Madame Foldingue… J’espérais qu’ainsi Bob renoncerait à l’idée de vouloir m’éliminer à tout prix. A quoi bon vouloir assassiner une pauvre amnésique, de surcroit complétement barjot, n’est-ce pas ?
THIERRY- Tout de même ! Tu aurais pu nous mettre au courant, nous aurions pu parfaitement jouer le jeu…
ESTELLE- Je ne mets pas en doute tes talents de comédien mais, comme Chloé, je n’ai pas voulu prendre le moindre risque… Sais-tu que tu étais irrésistible en mari jaloux ? Comprenez-moi, votre stupéfaction devant mes pitreries me donnait de l’assurance face à Bob. Si mes proches étaient convaincus de ma folie alors me disais-je, Bob pouvait y croire aussi.
JULIEN- Mais… Pourquoi ce tueur t’en voulait-il autant. ?
ESTELLE- Parce qu’il ne faisait qu’obéir aux ordres de son patron dont j’ai découvert l’identité grâce à l’enquête que je mène depuis des mois.
THIERRY- Tout de même ! Tu as pris des risques insensés lorsque tu as accepté de monter dans sa voiture. Au lieu de t’emmener au restaurant, il aurait pu te conduire en pleine nature et t’assassiner.
ESTELLE- J’ai pensé qu’il ne ferait rien tant qu’il n’aurait pas récupéré les fichiers compromettants et je voulais aussi qu’il soit pleinement convaincu de mon amnésie et de ma folie. C’est bien pour cela que je me suis lâchée au restaurant et dans le quartier.
THIERRY- Oui, Chloé nous a raconté. Ça ne m’étonne pas que tu aies pris du plaisir à jouer la folle puisque tu as toujours été naturellement déraisonnable.
ESTELLE- Si je ne l’étais pas, je suis sûre que tu me trouverais moins intéressante.
SOPHIE- J’en reviens au commanditaire… S’il est capable de se payer les services d’un tueur, ce ne doit pas être n’importe qui… Raconte !
ESTELLE- Je bosse depuis quelques temps sur une vaste opération de blanchiment d’argent… Ce n’était pas évident à suivre parce que naturellement les fonds ont transité, vous vous en doutez, vers plusieurs paradis fiscaux bien opaques…Je vous passe les détails de tous ces mécanismes financiers qui sont assez complexes mais sachez que j’ai, néanmoins, réussi à remonter la filière et figurez-vous que parmi les bénéficiaires de cette grande lessive financière, nous trouvons, je vous le donne en mille… une des plus grandes fortunes de ce pays…
SOPHIE- Des noms ! Donne-nous des noms ! De qui s’agit-il ?
ESTELLE- Ca, tu le découvriras demain en achetant le journal. Si je te le disais maintenant, un scoop ne serait plus un scoop !
SOPHIE- Oh tu es vache ! Après tout ce que nous avons enduré, tu pourrais nous le dire !
ESTELLE- Il a fait fortune dans l’agro-alimentaire, c’est tout ce que tu sauras pour le moment.
JULIEN- Dans l’agroalimentaire ? Ça veut dire qu’il a toujours été intéressé par le blé et l’oseille.
SOPHIE- Julien ! Arrête avec tes blagues pourries et écoute !
ESTELLE- Ce cher industriel a très souvent été soupçonné mais les enquêtes n’ont jamais abouties, grâce à l’appui de certains politiques dont il a financé les campagnes, mais cette fois avec ces révélations, ses amis ne pourront plus le protéger..
THIERRY- C’est donc ça le fameux scoop qu’attendait Dupont-Morier… Mais comment comptes-tu rédiger ton article puisque la police a embarqué ton ordinateur ?
ESTELLE- Mon cher petit mari, tu apprendras qu’une bonne journaliste protège toujours ses sources et ses articles. Les clés USB ne sont pas faites pour les chiens. L’article est déjà rédigé et mon cher patron pourra avant la clôture du journal en faire la Une pour demain matin.
Mme PLANCHU- Quand je vous disais qu’elle en avait de la matière grise, Madame Estelle…
SOPHIE- Ca, pour ma part, je n’en ai jamais douté mais ce que je viens de découvrir, c’est son talent de comédienne. Un sacré talent ! (Elle donne une petite tape affectueuse à Estelle.) Saleté, va !
THIERRY- C’est vrai, il faut bien l’avouer, tu ne nous a pas fait marcher, tu nous as carrément fait courir…Je me disais : Comment est-ce possible ? Qu’elle oublie les autres, passe encore, mais moi ? Elle devrait pourtant le savoir que je suis inoubliable !
ESTELLE- (souriant) Bien sûr mon chéri !
JULIEN- En tous les cas, moi, la seule chose que je ne suis pas prêt d’oublier, c’est qu’il reste du gâteau à la cuisine et comme c’est l’heure du goûter, je vais aller m’en préparer une part.… Quelqu’un en veut ?
TOUS- Oui !
Tandis que Sophie, Julien et Mme Planchu se dirigent vers la cuisine. Estelle et Thierry restent au centre de la pièce, se tenant les mains tout en se regardant dans les yeux.
SOPHIE- Alors les amoureux ? Vous venez avec nous ?
THIERRY- On arrive !
La sonnette de la porte d’entrée retentit ; On sonne avec insistance.
THIERRY- Ca va ! On a compris ! Qu’est-ce donc encore !
A peine a-t-il ouvert la porte que surgit Mme Chombier, un gros bâton à la main.
Mme CHOMBIER- Mes fleurs ! Elle a arraché mes fleurs ! Elle a saccagé mon jardin ! Elle va me le payer ! Cher ! (Elle fait tournoyer son bâton.) Très cher !
ESTELLE- Madame Chombier, je vais vous expliquer…
Mme CHOMBIER- Je vais lui apprendre !
THIERRY- Sauve-toi ! Vite ! Sauve-toi !
Estelle s’enfuit vers les chambres bientôt suivie par Mme Chombier.
THIERRY- Madame Chombier ! Arrêtez-vous ! Vous n’avez pas le droit !
Mme CHOMBIER- (faisant tournoyer son bâton). Vous, ne vous mêlez pas de ça.
Elle part à la poursuite d’Estelle dans les chambres. Quelques secondes plus tard, on entend un grand cri.
THIERRY- La porte de la cave ! Elle était restée ouverte !
Au même moment, Estelle réapparait.
ESTELLE- Vite ! Venez m’aider ! Madame Chombier est tombée dans l’escalier.
Tous se précipitent, sauf Mme Planchu.
Mme PLANCHU- Il va peut-être falloir que quelqu’un se décide à la changer cette ampoule.
Tous reviennent dans la pièce. En soutenant Mme Chombier.
CHLOE- Elle a fait un sacré vol plané. Si elle n’a rien de cassé, elle aura de la chance.
ESTELLE- Ca va Mme Chombier ?
Mme Chombier la regarde en souriant niaisement.
Mme CHOMBIER- Vous êtes charmante… Rappelez-moi votre nom.
THIERRY- Madame Chombier ! Je vous parle ! Vous me reconnaissez ?
Mme Chombier regarde Thierry avec toujours le même air niais puis soudain un sourire éclaire son visage.
Mme CHOMBIER- Papa ! (Elle chante.) « Une chanson douce que me chantait mon papa » (Elle se lève brusquement et embrasse Thierry, sur les deux joues.) Papa ! Bisous Papa !
THIERRY- Arrêtez ! Ça ne va pas ! Arrêtez !
Il cherche à se dégager mais Madame Chombier revient à la charge et veut à nouveau l’embrasser.
Mme CHOMBIER- Bisous Papa !
THIERRY- Au secours ! Au secours !
Mme CHOMBIER- Papa !
Sur une musique entrainante, Thierry s’enfuit par la porte d’entrée, poursuivi par Mme Chombier. Après un temps d’arrêt, tous partent à leur poursuite. La ronde peut continuer avec le retour de Thierry qui part vers les chambres toujours poursuivi par le groupe jusqu’à la fermeture du rideau
FIN