Madame

Marcel se retrouve à  la rue après avoir traversé pas mal d’épreuves dans sa vie. Son ami François a l’idée lumineuse de l’installer dans une suite de l’hôtel 5 étoiles où il travaille. Normalement, la chambre devrait être inoccupée pour les deux semaines à venir… normalement… mais comme nous sommes au théâtre et… qu’au théâtre, les choses ne se passent pas si facilement, il arrive évidemment une dame, Madame, qui descend à l’hôtel à l’improviste et qui s’installe dans la chambre 516, comme d’habitude. A ce moment-là, sa grande surprise, elle fait connaissance avec Marcel, son valet de placard… il est à sa disposition jour et nuit et demeure… dans son placard ! Mais combien de temps cette entourloupe tiendra-t-elle face au mélange de ces deux mondes ? A la rencontre improbable d’un habitant de la rue et d’une résidente des beaux quartiers ? Entre la belle et le clochard, le plus irréprochable est-il celui qu’on pense ? Pas sûr !

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Liste des personnages (4)

Madame Femme • Adulte
Madame est l’épouse d’un riche directeur d’universités privées. Grande habituée du luxe, elle dépense des fortunes dans les magasins. Elle est sensible et humaine, mais rendue capricieuse par sa situation. Chacun doit rester à sa place.
MarcelHomme • Adulte
Clochard hébergé dans une chambre d’un hôtel 5 étoiles, grâce à son ami François, employé là-bas. Marcel est un homme sensible, malmené par la vie, débrouillard et plein de désillusions.
François Homme • Adulte
Employé de l’hôtel, travailleur, aimant profiter des bonnes choses de la vie et fidèle en amitié.
Gilles/MonaHomme/Femme • Senior/Adulte/Jeune adulte
Majordome/femme de chambre un peu snob, il/elle travaille dans un hôtel 5 étoiles depuis longtemps et cela se remarque. Un peu imbu/e de lui-même/d'elle-même.

Décor (1)

Chambre d'hôtel de luxe n°516Une chambre d'hôtel de luxe. Un lit à baldaquins en fond de scène, une commode à jardin, près de la porte des WC. Une petite table et deux chaises à cour, en avant-scène. Un grand placard à jardin, intégré aux murs.

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ACTE I – Scène 1

La scène est plongée dans la nuit. La porte s'ouvre à cour. On entend deux personnes entrer.

François          C'est bon, viens, dépêche-toi.

Marcel            Je suis là, je suis là.

François          Bouge pas, j'allume.

Il glisse son pass dans la fente qui se trouve vers la porte et la lumière s'allume. Une chambre d'hôtel de luxe. Un lit à baldaquins en fond de scène, une commode à jardin, près de la porte des WC. Une petite table et deux chaises à cour, en avant-scène. Un grand placard à jardin, intégré aux murs.

Marcel            Oh mon Dieu... que c'est beau...

François          Oui, ben ne t'émerveille pas trop. Ce n'est pas les vacances.

Marcel            Non... pour moi, c'est plutôt le paradis.

François          Malheureusement, ce n’est pas ici que tu passeras ton éternité. Essaie de toucher à un minimum de choses possible. Tu peux quand même dormir dans le lit.

Marcel            Tu sais... même la moquette est un palace comparé à mon trottoir habituel... tu me dirais de dormir en boule à la salle de bain, que je serais le plus heureux des hommes.

François          N'exagérons rien... Le lit, tu peux y coucher et profiter d'une bonne douche à la salle de bain. Il y a tout ce qu'il te faut : du savon et un peignoir. Tu as de quoi te mettre autre chose sur le dos que cette pelure ?

Marcel            Ce que je porte, c'est tout ce que j'ai.

François          Ah d'accord... Bon, va te doucher et je reviens t'amener une tenue d’employé. Mais il faudra y faire attention, elle appartient à l'hôtel.

Marcel            Ne t'en fais pas, j'y veillerai.

François          Et des chaussures ?

Marcel            Pour dormir sous les ponts, la tenue correcte n'est pas exigée... alors les mocassins...

François          Ok, j'ai compris, je vais te trouver ça.

Marcel            Merci François, t'es un roi... vraiment...

François          Mais oui, mais oui... et si on se fait choper, je suis un chômeur... allez, à la douche mon prince et frotte bien partout ! La crasse, c’est tenace !

Marcel            Amis de la poésie…

François          Je reviens. N'ouvre à personne, sous aucun prétexte!

Marcel            tendrement, oui papa...

François sort par la porte à cour.

Marcel            Oh là là... oh là là... mon Dieu... Il commence à se déshabiller. Mais qu'est-ce qu'il fait chaud... ha... j'avais oublié le bien que ça faisait...  Et ce lit... mais je ne pourrai jamais dormir là-dedans... c'est beaucoup trop beau... Même une fois propre, je risquerais encore de le salir.
Il est en caleçon et en t-shirt et a déposé ses habits sur une des chaises de cour. La bonne nouvelle du jour, c’est que j’ai réussi à enlever mes chaussettes… depuis le temps que je les porte… j’aurais pensé qu’elles se seraient soudées à mes pieds. Il fait le tour de la chambre. C’est donc ça, le confort 5 étoiles… Il approche de la commode et touche une boîte qui est en fait une boîte à musique. En ouvrant le tiroir, elle s’enclenche. Il la referme précipitamment.

  • Il prend la pose d’un majordome, Est-ce que Monsieur est satisfait de sa chambre ?
  • Il se déplace en face et change de posture, très moyennement, Paul-Henri-Louis-Léon, très moyennement.
  • Oh, vous m’en voyez navré Monsieur. Et peut-on en connaître la raison ?
  • Eh bien elle n’est pas accessible directement avec ma Maserati, que j’ai dû laisser au parking… le lit est trop étroit d’un centimètre, c’est scandaleux et vous n’avez point repeint les murs avec mon divin portrait… vous serez jeté aux lions !
  • Mais, Monsieur…
  • Il n’y a pas de Mais ! Le client est roi ! Parfois le roi des cons… mais le roi tout de même !
  • Bien Monsieur, mais ne maudissez pas ma famille sur 4 générations, je vous en prie…
  • Vous avez raison…  4 ce n'est pas assez… , 5 !

 

Il rit et se fait sursauter lui-même en tournant la tête et en se voyant dans le miroir. Il s’approche et se regarde de près, il est très sale.

En effet… une douche s’impose… dommage qu’il n’y ait pas de Kärcher ! Il se dirige vers la salle de bain. Oh mon Dieu... mais c'est plus grand qu'une cathédrale... et les robinets sont en or ! Il entre, ébahi. Off, et il y a même un bidet ! Après un court instant, on entend le bruit de la douche et Marcel qui chante.

François entre par la porte de cour, il porte des vêtements dans une housse de protection.

François          Marcel, c'est moi.

Marcel            Off, là, ça pourrait même être le président, que ça ne me ferait pas sortir d'ici!

François          Profite va, tu l'as bien mérité. Il commence à sortir les vêtements de la housse. Je vais donner tes fripes au pressing. La blanchisseuse va se demander quel client de notre hôtel peut bien avoir des habits dans un pareil état. Enfin, en espérant qu’elle veuille bien les nettoyer et qu’elle ne se contente pas simplement de leur foutre le feu. Je t'ai trouvé des chaussures, mais je pense qu'elles seront un peu grandes. Elles étaient à un maître d'hôtel qui mesurait 1m95... Il est parti faire du basket d'ailleurs. Tu pourras utiliser les lacets comme bretelles ! Quand tu te seras habillé, je t'amènerai un plateau repas.

Marcel            Off, oh volontiers... si tu savais comme j'ai faim...

François          Eh bien tu pourras t'en mettre jusque-là.

Marcel            Off, mais tu sais, je pourrais travailler pour rembourser tout ça...

François          Surtout pas ! Ce serait le meilleur moyen de te faire remarquer. Tout le monde se demanderait d'où vient ce nouveau serveur que personne ne connaît et qui a été engagé, sans qu’aucun poste n’ait été à repourvoir. Et de toute manière, on n'arrête pas de jeter des kilos de bouffes... elle sera toujours mieux dans ton ventre qu'à la poubelle.

Marcel            Off, vous jetez de la nourriture?

François          Oui, pas qu'un peu... et pas des produits MBudget (peut être remplacé par le nom d’un produit low cost), crois-moi... Mais c'est comme avec ces chambres vides... c'est dingue tous ces lits qui dorment seuls, sans pensionnaire... C'est ce qui m'a donné l'idée de t'y installer. Je t’aurais bien dit de venir à la maison, mais avec ma coloc’ et ses six chats… c’est tout juste s’il reste de la place pour moi.

Marcel            Off, tant que tu es sûr que c'est sans risque pour toi... Moi, je m'en fous... je ne peux pas tomber plus bas.

François          J'ai regardé les statistiques d'occupation des chambres et on doit être bon pour au moins deux semaines. En général à cette période, cette chambre n’est  bonne qu’à accueillir de la poussière. Tu auras donc le temps de te reposer et de reprendre des forces au chaud. Et vu comme on se les gèle dehors… ça n’est pas du luxe !

Marcel            Il entre en peignoir, les cheveux mouillés et coiffés en arrière. Tu savais qu'il y avait quatorze sortes différentes de jets de massage dans la douche ?

François          Oui... ça m'est déjà arrivé d'en tester une...

Marcel            Dis donc ! Petit coquin !

François          Eh, en venant travailler tous les jours dans un cinq étoiles, forcément… c’est tentant de profiter un peu…

Marcel            Ah ça, j’imagine…

François          Mais ça ne va pas durer éternellement… je me suis donné encore un an, histoire de mettre de l’argent de côté et ensuite, je me casse !

Marcel            Où ça ?

François          Aucune idée... mais loin... pour "vivre"! Pour l’instant… c’est plutôt de la survie.

Marcel            Ne m’en parle pas ! J’en connais un rayon, côté survie !

François          Avec un sourire, allez, habille-toi ! Tu es dans un palace, pas un club nudiste ! Je vais demander qu'on prépare un plateau.

Marcel            Merci.

François sort à cour. Marcel commence à s'habiller.

Marcel            Ah ouais... je vais adopter le look pingouin... bon, ce sera toujours mieux que celui du clodo... moins odorant en tous cas. Il y a même le nœud pap’! Il continue   à s'habiller. C'est dingue... dans la salle de bain, il y a du shampoing, du gel douche, du savon pour les mains, des cotons tiges, un set à manucure,  un bonnet de bain, pas l'air con avec ça d'ailleurs...,  une brosse à chaussures et du cirage et un peigne... Tous ces produits gratuits, alors que c'est justement des gens qui ont largement les moyens de s'acheter tout ça qui viennent dormir ici... Sur la table, on leur donne du papier à lettre et un stylo... alors qu'ils ont des ordinateurs plein les valises... Des pantoufles, un peignoir... et une bible sur la table de nuit... une bible! Celle-là, je suis sûr qu'elle est plus souvent utilisée pour écraser les moustiques que pour être lue... Ah oui, en effet... un peu grandes les chaussures... comme ça, en plus du look, j'aurai aussi la démarche du pingouin.

On entend des voix derrière la porte à cour.

Marcel            François, c'est toi?

Les voix s'entendent encore.

Marcel            François?

Toujours les voix et on entend des bruits contre la porte, la carte est glissée dans la serrure magnétique, une voix de femme et il y a un bip de validation.

Marcel                        Oh non, merde, merde, merde, merde !

ACTE I – Scène 2

Marcel cherche où se cacher dès qu'il a compris que ce n'était pas François. Il voit l'armoire et court s'y cacher. La porte de cour s'ouvre et entre une femme habillée très chic, un valet/une femme de chambre la suit et porte ses valises.

Gilles/Mona   Bienvenue Madame.

Madame         Merci… Phil/Lisa ?

Gilles/Mona   Gilles/Mona, Madame…

Madame         Oui oui, c'est ça…

Gilles/Mona   Où dois-je mettre vos bagages Madame?

Madame         La petite mallette dans la salle de bain. Les valises, vous pouvez les poser devant le lit. Et la boîte à chapeau, sur le bureau. Je déballerai plus tard.

Gilles/Mona   Bien Madame. Il/elle s'exécute.

Madame         Vous allez bien Bill/Lola ?

Gilles/Mona   Gilles…/Mona… Bien, merci Madame.

Madame         Et la famille ?

Gilles/Mona   Oui, tout le monde se porte à merveille. Adrien est vraiment studieux. Il commence l’université... interrompu/e par madame.

Madame         Allons tant mieux, tant mieux…

Gilles/Mona   ….(silence)… il/elle se reprend, C'est étonnant de vous accueillir ici à cette période                   de l'année.

Madame         Inhabituel, oui.

Gilles/Mona   Puis-je encore vous être utile Madame?

Madame         Non, merci Guy/Anna. Vous pouvez disposer. Elle lui glisse un pourboire discrètement dans la main.

Gilles/Mona   Ouvre la bouche pour corriger son prénom et se ravise. Bonne installation Madame. Sonnez si vous avez besoin de quoi que ce soit.

Il/elle sort. Madame soupire et retire son chapeau, ses gants et son manteau. Elle dépose le tout sur une des chaises de cour avec son sac à main.

ACTE I – Scène 3

Madame         Eh bien, eh bien... elle se dirige vers la salle de bain.

La porte reste entr'ouverte. Marcel ouvre lentement le placard et passe la tête par l'entrebâillement et remarque qu'il n'y a plus personne dans la chambre. Il tente de se faufiler doucement. Il entend des pas revenir de la salle de bain et retourne se cacher dans le placard. Madame revient dans la chambre. Elle va prendre son manteau et se dirige vers l'armoire. Au moment de poser la main sur la poignée, son téléphone portable sonne dans son sac. Elle fait marche arrière et va répondre.

Madame         Tout sourire, bonjour ma chérie. Oui, je vais bien et toi? Non, je ne serai pas au poker ce soir chez Cynthia. Oui, je sais, moi aussi, j’avais des montagnes de choses à te raconter. Non, ne t'en fais pas, ce n'est rien, juste un petit voyage express. Baptiste … devait … se déplacer pour affaires, alors j'en ai profité pour me joindre à lui, ce sera l'occasion de faire du lèche-vitrines dans de « vrais magasins » ! Ça fait une éternité que je ne fais plus mon shopping que sur internet. Oui, on se voit dimanche prochain... si tout va bien… Je m'en réjouis ! Embrasse bien les filles pour moi et passez une bonne soirée. Surveille tout de même Claire… il me semble qu’elle a souvent tendance à se laisser emporter par le jeu. Bonne journée ma chérie, je t’embrasse.

Madame se dirige vers l'armoire et l'ouvre. Elle pousse un petit cri en apercevant Marcel.

Madame         Qui... qui êtes-vous?

Marcel                        Bonjour Madame.

Madame         Mais qui êtes-vous bon sang ?

Marcel            Très calme, Madame, je suis… votre… valet de chambre.

Madame         Que diable faites-vous dans le placard?

Marcel            C'est un nouveau service fourni par notre hôtel. Je suis à votre entière disposition et dès que vous aurez besoin de quelque chose, vous n’aurez qu’à me solliciter et… je sors du placard.

Madame         Un valet de placard…

Marcel            Comme dans Aladdin… quand il frotte la lampe ! Appelez et je surgis, une idée de génie !

Madame le regarde avec un air suspicieux.

Marcel            Puis-je vous aider à défaire vos bagages ?

Madame         … Madame.

Marcel                        Pardon ?

Madame         Eh bien… l’étiquette veut que vous placiez « Madame », à la fin de vos phrases…

Marcel                        L’étiquette ? En cherchant du regard sur Madame. Mais quelle étiquette ?

Madame         L’étiquette,  le protocole si vous préférez.

Marcel            Aaaah… cette étiquette-là ! Bredouillant, moi, je cherchais l’étiquette… enfin l’étiquette… L’étiquette quoi ! Donc… pour le protocole, je ne savais p… enfin, oui, pardon Madame, je… je… juste un oubli. Ça n’arrivera plus… Madame. Puis-je vous être utile, Madame, pour défaire vos bagages Madame ?

Madame         Bien... pourquoi pas... avec le trajet… je n’en ai pas la force… je suis exténuée… mais faites attention à ne rien froisser. Les chemisiers Chanel sont impossibles !

Marcel va pour ranger la boîte à chapeau qui est sur le bureau.

Madame         Vivement, Non ! Plus calme, laissez ça… je m’occuperai de… des… du chapeau.

Marcel            S'exécutant, bien sûr Madame. Je range votre manteau, Madame?

Madame         Oui, dans le placard. Vous… vous faites cela depuis longtemps ?

Marcel            Non, le service est très récent. C'est un des directeurs qui en a eu l'idée. Je pensais qu'on vous aurait mise au courant à la réception, mais ce doit être un simple oubli, comme le « Madame »... Les hôtesses d'accueil n'en ont pas encore le réflexe. Veuillez les en excuser.

Madame         J'avoue avoir réservé ma chambre tardivement, sur un coup de tête. Je n'ai donc peut-être pas prêté attention à tous les détails. Et il est vrai que je ne réserve jamais moi-même les nuitées d’habitude…

Marcel            J'espère que ma présence ne vous importune pas Madame.

Madame         Importuner, le mot est fort... Disons que j'ai été surprise à l'ouverture de l'armoire.

Marcel                        Un peu comme un diable qui sort de sa boîte?

Madame         Oh, tout de même... un diable peu effrayant! Vous avez plutôt une tête de "gentil".

Marcel            Ah ça, on me le dit souvent. C'était d'ailleurs le titre de l'annonce "Recherche valet de placard avec une tête de gentil".

Madame         Elle sourit. Ce doit être pénible de demeurer ainsi debout dans une armoire.

Marcel            Ne vous en faites pas pour moi Madame. J’ai fait quelques stages… au placard… Et j'ai connu des conditions bien moins confortables.

Madame         A votre place précédente ?

Marcel            C'est ça. Enfin, des places… j’en ai fait plusieurs…

Madame         Puisque nous allons "cohabiter", puis-je connaître votre nom ?

Marcel            Bien sûr, lentement Marcel, Madame.

Madame         Entendu, Marcel.

Marcel            Madame. Hem... gêné, Madame ?

Madame         Oui ?

Marcel            Vos affaires sont maintenant dans le placard, mais... hem... Je vous laisserai le soin de choisir comment vous voulez ranger le... reste.

Madame         Le reste ?

Marcel            Oui, vos... hem... enfin… vos… les… ce que vous mettez, gestes dans la direction de Madame, dessous...

Madame         Je vais m'en occuper. En attendant, commandez-moi un thé au cynorrhodon au service d'étage je vous prie.

Marcel            Je vais descendre vous le préparer moi-même.

Madame         Non, restez... utilisez simplement le téléphone. Ils ont l'habitude.

Marcel            Il regarde le téléphone à la recherche du numéro du service d'étage. Il compose un numéro sur le téléphone. Ah non, pardon, c'est une erreur… il raccroche. Il fait un second essai et raccroche à nouveau en murmurant "non, pas le parking non plus…"

Madame         Qu'avez-vous dit?

Marcel            Heu… je… en fait…

Madame         Vous avez commandé mon thé?

Marcel            Pas encore…

Madame         Qu'est-ce que vous attendez?

Marcel            J'ai… j'ai peur du téléphone!

Madame         Pardon?

Marcel            Oui… depuis tout petit… il y a des gens qui n'aiment pas les ascenseurs… eh bien moi, c'est le téléphone! Y a rien à faire, ça me tétanise. Il y a les claustrophobes… les arachnophobes… moi, je suis téléphonophobe…

Madame         Incrédule, téléphono…

Marcel            Oui, une voix qui nous parvient de loin, comme ça, dans une boîte…brrr ! ça fait froid dans le dos !

Madame         Eh bien grandissez… vous n'êtes plus un enfant, alors faites le 23 et commandez moi mon thé.

Marcel            Bien, Madame. Il compose le 23. Veuillez monter un thé au… cy… au ro… roro… rhododendron…

Madame         Cynorrhodon, Marcel.

Marcel            Un thé au cy-no-dro-don à la chambre 23, il regarde discrètement sur le téléphone, heu… 516. Oui, faites un plateau garni s’il vous plaît. Moins fort, avec beaucoup de biscuits ! Merci.

Madame         Merci. Eh bien, je n'ai plus besoin de vous... Donc, ça veut dire que vous allez… « pfouit » (geste vers le placard) ?

Marcel            Oui... je vais « pfouiter ».

Madame         Laissez au moins la porte entr'ouverte.

Marcel            Vous savez, Madame, je n'ai pas besoin de lumière pour être rassuré... Être dans le noir, ça me connaît.

Madame         Vous ne craignez pas le noir, mais vous avez peur du téléphone ?

Marcel            Que voulez-vous… une phobie, ça ne se commande pas, il entre dans le placard.

Madame se rend à la salle de bain et ferme derrière elle. François entre dans la chambre en utilisant son pass.

 

 

ACTE I – Scène 4

François          Marcel? Marcel? C'est toi qui as commandé un thé au service d'étage? T'es pas gonflé, si ce n'était pas moi qui te l'avait amené, on aurait été pincé! Il dépose le plateau sur la petite table, il y a une théière, une tasse et sa sous-tasse, un sucrier, un pot à lait et une assiette avec des petits biscuits. Oh Marcel? T'es sur le trône ou t'apprends à nager?

Madame sort de la salle de bain et pousse un petit cri en voyant François.

François          Mad… Madame de Saint-Vincent ?

Madame         François? Mais... que faites-vous là ? Vous avez frappé ?

François          Oui... je... je vous amenais le thé et j'ai frappé, mais vous n'avez pas entendu... je... je... me suis permis d'entrer parce que je m'inquiétais... j'ai cru qu’il vous était arrivé quelque chose. Mais... je n'aurais pas dû entrer, je vous prie de m'en excuser, Madame.

Madame         Ne le refaites plus, j’aurais pu être dévêtue.

François          Entendu. Encore toutes mes excuses… Votre thé est sur la petite table... Madame ?

Madame         Oui?

François          Vous... vous êtes installée sans encombre? Enfin, je veux dire vous vous êtes bien installée ? Comme d’habitude ?

Madame         Tout va bien. Ah oui! Je voulais tout de même vous dire une chose !

François          Oui ?

Madame         Très innovant ce nouveau service que l'hôtel met à disposition des clients.

François          Le... nouveau... service... ?

Madame         Oui, un peu surprenant au départ, je dois l'avouer, mais s'ils sont tous comme le "mien"…

François          Le vôtre… ? De plus en plus incrédule.

Madame         Oui, très bien, très bien... Vous en avez beaucoup ?

François          Perplexe, si nous en avons beaucoup ?

Madame         D'ailleurs, quel titre peut-on leur donner?

François          Quel titre... ?

Madame         Allant chercher Marcel, vous avez avalé un perroquet François ou quoi ? Quelle est la dénomination exacte du poste de Marcel?

Marcel            Qui demeure dans son placard pour être à sa disposition jour et nuit.

François          Surpris, aaaaah... ce titre-là... oh... hem... c'est une bonne question! D'ailleurs ce service est tellement nouveau et... INEDIT… pour ne pas dire improbable…, c’est vrai, que... que... l'hôtel n'a pas encore vraiment trouvé de titre... mais nous allons continuer à chercher... j'ai d'ailleurs quelques noms qui me viennent à l'esprit là... tout de suite…

Madame         En tous cas, je trouve cela très inventif et novateur. C'est Monsieur Noisetier qui en a eu l'idée?

François          Oui, c'est lui... Hem… avez-vous vraiment besoin de Marcel ? Parce que si sa présence vous gêne, je le fais disparaître en purée… Heu, je veux dire en fumée ! Comme si c’était fait, il n’y a qu’à demand…

Madame         Oh non ! Maintenant qu’il est là, il y reste. C’est d’ailleurs une excellente stratégie marketing… lorsque les clients auront pu apprécier les services de Marcel et de ses collègues, ils n’auront plus envie de loger dans un autre hôtel ! C’est un système à breveter, ça ! On n'a même plus besoin de ranger ses bagages soi-même… c'est miraculeux !

François          C’est clair… ils ne trouveront ce concept nulle part ailleurs.

Madame         Puis-je vous confier quelque chose…

François          Bien sûr Madame, vous pouvez tout me dire… je suis une tombe !

Madame         …pour la bijouterie de l'hôtel ?

François          Ah… heu… mais bien entendu.

Madame         Un instant. Elle part dans la salle de bain.

François          A Marcel, mais tu fous quoi bordel ?

Marcel            Cette dame est entrée dans la chambre, j'ai dû me cacher dans le placard... mais évidemment, elle allait finir par y ranger ses affaires... comment voulais-tu que j'explique ma présence et déguisé en pingouin en plus !

François          Tu ne pouvais pas te cacher sous le lit, comme tout le monde ?!

Marcel            Hé, j’ai maigri grâce à mon statut de SDF, mais faut pas pousser. A part un fax, il n’y a rien qui pourrait passer sous ce lit !

François          Oh là là... mais comment on va te sortir de là ?

Marcel                        Je partirai discrètement de la chambre une fois qu’elle dormira et ni vu ni connu !

 

François          Mais t’es pas bien ? Elle va se rendre compte que tu n’es plus là ! Et quand ce sera le cas, elle posera des questions. Et maintenant qu’elle nous a vus ensemble, elle parlera de moi… je serai grillé ! Oh mais je te jure !

 

Marcel                        François, je suis vraiment désolé…

 

Madame revient, ils ne la remarquent pas.

 

Madame         Désolé de ?

 

Marcel                        Heu… désolé…

 

François          Pour moi… j’ai perdu mon hamster… il était si gentil et si attachant… il s’appelait Pick-Wick… et adorait les radis…

 

Madame         Le regardant, incrédule, Ah mince, je n’ai pas pris les boucles d’oreille ! Elle retourne dans la salle de bain.

 

François          Bon Pick-Wick... heu Marcel, il faut que tu restes là et que tu sois son valet de chambre…

 

Marcel                        De placard, s’il te plaît !

 

François          Peu importe. Il faut que tu sois à son service jusqu’à son départ.

 

Marcel                        Mais elle va rester ici combien de temps ?

 

François          Aucune idée… Mais pas très longtemps, deux jours, tout au plus j’imagine… Elle vient avec son mari d’habitude et ils font des courts séjours... mais jamais à cette saison ! J’irai contrôler sa réservation plus tard. D’ici là, tiens-toi à carreau !

 

Madame revient.

 

Madame         Tenez François. Le collier et les boucles d’oreille à restaurer. Le fermoir du collier est à revoir aussi, j’ai peur qu’il ne tombe quand je le porte… Et ne pressez pas le joaillier, je pense rester ici au minimum deux semaines. Il a donc amplement le temps de s’occuper de cela.

 

Fran./Mar.      En même temps, deux semaines ?!

 

Madame         Oui, il y a un problème ?

François          Non… non, non.

 

Marcel                        Nous sommes simplement… heureux, Madame…

 

François          Oui, enchantés… Alors bon séjour chez nous, Madame de Saint-Vincent.

 

Madame         Merci !

 

François sort à cour.

ACTE I – Scène 5

Marcel retourne dans son placard. Madame s’installe à la table pour boire son thé et commence à feuilleter un magazine. Elle jette plusieurs fois des regards en direction du placard. Elle ouvre une fois la bouche pour appeler, mais renonce. Elle cherche autour d’elle, quelque chose qu’elle pourrait demander à Marcel. Elle prend une serviette et la place sur le sucrier.

 

Madame         Marcel ?

 

Marcel                        Sortant du placard, oui Madame ?

 

Madame         Lorsque vous avez commandé le thé, avez-vous précisé qu’il fallait du sucre ?

 

Marcel                        Non, mais je pensais qu’il était évident que le thé serait accompagné de sucre… vous n’en trouvez pas sur votre plateau ? Il s’approche.

 

Madame         Visiblement, pas…

 

Marcel            Curieux… ah, si ! Regardez, la serviette recouvrait le sucrier.

 

Madame         Oh, c’est vrai ! Le ciel soit loué, nous avons failli être en manque de sucre !

 

Marcel                        Ton légèrement ironique, quel cauchemar… Vous voilà sauvée ! Il retourne dans son placard. Madame feuillette à nouveau son magazine distraitement.

 

Madame         Un temps, Marcel ?

 

Marcel                        Sortant du placard, oui Madame ?

 

Madame         Hem… oh, c’est trop bête, je voulais vous demander quelque chose, mais cela m’est sorti de l’esprit…

 

Marcel                        Cela vous reviendra… Il retourne dans le placard.

 

Madame         Un temps, Marcel ?

 

Marcel                        Sortant du placard, oui Madame ?

 

Madame         Ho, décidément… je ne m’en souviens à nouveau plus.

 

Marcel                        Madame… avez-vous besoin de quelque chose ?

 

Madame         Eh bien… en réalité, je crois que j’ai vraiment tout ce qu’il me faut… laissant supposer une suite.

 

Marcel                        Puis-je oser un « mais », Madame ?

 

Madame         Mais je crois que j’ai besoin d’une… présence… juste d’une présence Marcel.

 

Marcel                        Bien sûr... Madame… je me mets là ?

 

Madame         Peut-être juste un peu sur la gauche…

 

Marcel                        Ici ?

 

Madame         Oui, merci, Marcel.

 

Marcel                        Je peux aussi faire la conversation… si vous le souhaitez. Il la rejoint vers la table, mais reste debout.

 

Madame         Je n’aime pas être seule… jamais, nulle part. Surtout pas ici. J’ai décidé de partir quelques jours, seule justement. Mais quand on n’est pas coutumière de la solitude, difficile de s’y faire.

 

Marcel                        On ne s’y fait jamais, Madame. On apprend juste à la supporter.

 

Madame         Si je vous ai fait venir, ce n’est pas nécessairement pour parler…

 

Marcel                        Surpris, bien Madame…

 

Madame         Chez moi, je suis toujours entourée par beaucoup de monde, il y a un va-et-vient incessant… je voulais échapper un peu à cela en partant quelques jours… mais je ne suis plus sûre que c’est ce qu’il me fallait. J’ai comme des bouffées d’angoisse, le cœur qui se serre, la gorge nouée… je me sens désœuvrée… je crois que… qu’il faut que j’achète quelque chose.

 

Marcel                        C’est le contrecoup, Madame. Vous devez vous détendre. Et si vraiment votre chambre vous paraît trop calme, sortez vous promener, prenez l’air, imprégnez-vous de la folie dans les rues à l’approche des fêtes.

 

Madame         Oui, c’est une idée. Par contre, je reviendrai souper ici. L’idée même de manger seule au restaurant me déprime.

 

Marcel                        L’important Madame, c’est d’avoir à manger. Enfin… de… manger quelque chose, que ce soit ici ou au restaurant.

 

Madame         Vous avez raison… vous êtes plein de sagesse pour un valet de chambre.

 

Marcel                        Il est vrai que ce n’est pas vraiment la qualité qu’on exige d’un valet à son engagement.

 

Madame         J'imagine...

 

Madame se lève pour aller sonner.

 

Madame         Vous m’avez convaincue, je vais aller prendre l’air et me changer un peu les idées.

 

Marcel                        Heureux de vous l’entendre dire. Je suis sûr que cela vous fera le plus grand bien.

 

Madame         Espérons… parce que je frôle la crise de nerfs… la vie n’est pas simple…

 

Marcel                        Pour lui-même, à qui le dites-vous !

 

ACTE I – Scène 6

On toque à la porte. Madame va ouvrir. Marcel se faufile rapidement vers le placard, il se cache derrière une porte, le public continue à le voir.

 

Gilles/Mona   Vous avez sonné, Madame ?

 

Madame         Oui, Jean/Lisa.

 

Gilles/Mona   Gilles…/Mona…

 

Madame         Gilles ? /Mona ?

 

Gilles/Mona   Gilles… Jean…/Lisa… Mona… comme vous voudrez Madame.

 

Madame         Jean-Gilles/Mona-Lisa, appelez-moi un taxi. Et vous pouvez emporter le plateau de thé.

 

Gilles/Mona   Vous n’avez pas touché aux biscuits, ils n’étaient pas à votre convenance ?

 

Madame         Non, ceux-là ne sont pas bons… et j’aime ceux avec des brins de safran. Et… d’ailleurs, personne n’a faim ici.

 

Grimace de Marcel qui met sa main sur son ventre.

 

Gilles/Mona   J’en prends bonne note pour la prochaine fois, Madame.

 

Madame         Je descends dans un instant.

Gilles/Mona   En sortant, bien Madame.

 

Marcel                        Tendant à Madame son manteau, son chapeau et ses gants, eh bien Madame, je vous souhaite une bonne promenade. Je serai là à votre retour.

 

Madame         Affronter le froid ne me réjouis pas… Et je pense que j’aurai grand besoin d’un thé lorsque je serai revenue, histoire de me réchauffer. Je serai de retour dans deux heures.

 

Marcel                        Souriant, je ferai en sorte qu’un thé chaud vous attende et je veillerai à ce qu’il y ait du sucre !

 

Madame s’attarde un instant sur le pas de porte, regarde Marcel, ouvre la bouche, la referme et sort.

 

ACTE I – Scène 7

Marcel attend un instant, puis s’approche de la boîte à chapeau. Il hésite, puis l’ouvre. On entend des bruits vers la porte, il essaie de fermer précipitamment la boîte, mais c’est difficile. François entre.

Marcel                        Oh mon Dieu… oh, c’est toi… Mettant la main sur son cœur. Tu peux entrer, elle n’est pas là.

 

François          Je sais, je l’ai vue monter dans l’ascenseur. Hé ben, on a eu chaud ! Heureusement que tu as de la suite dans les idées…

 

Marcel                        Pour être honnête, c’est la panique qui m’a soufflé cette solution… Je me voyais déjà entre les mains de la police et toi, foutu à la porte ! Quand elle a ouvert le placard, ma bouche a parlé toute seule… je sortais des mots, sans trop savoir ce qui allait se passer…

 

François          Quelle flip ! Bon, tiens, de quoi te mettre quelque chose dans l’estomac. Mon pauvre… tu as dû attendre un sacré bout de temps !

 

Marcel                        Arrête… au moment où je l’ai entendue renvoyer le plateau avec les biscuits, simplement parce qu’ils n’étaient pas « exactement » à son goût, mon estomac grondait tellement que j’ai cru qu’il prenait la parole pour l’engueuler !

 

François          Pauvre vieux… Bon, la situation est bizarre, mais tu verras, c’est une femme bien. Elle n'est pas méchante.

 

 

Marcel                        Oh tu sais, moi, tant que je dors au chaud, que ce soit dans un placard ou ailleurs, ça me va. Nos deux mondes ne sont pas faits pour se mélanger. Chacun reste poliment à sa place et la barrière est très nette… D’ailleurs, on n’a pas l’ombre d’un problème en commun.

 

François          Chaque personne a des soucis en fonction de sa situation.

 

Marcel                        Elle, des soucis ? Tu plaisantes ? C’est une gamine qui nage dans l’opulence… Si c’est l’argent qui lui pose problème, mais alors qu’elle me le donne, je saurai bien quoi en faire et crois-moi, je ne me plaindrai pas !

 

François          Facile de dire ça maintenant, alors que ce n’est pas le cas. Mais tu sais, on est tous les mêmes… quand on n’a rien, on se satisfait de peu et on sourit. Quand on a trop, on en veut toujours plus et en prime, on fait la gueule.

 

Marcel                        C’est un peu général comme constat.

 

François          Et le tien de constat ? Tu ne crois pas qu’il est un peu prématuré ? Laisse-lui une chance… Il y a certainement plus derrière ses beaux habits de marque qu’un portefeuille bien rempli. Tout comme derrière tes frusques de clocheton, il y a plus qu’un minable qui dort sous les ponts.

 

Marcel                        Mouais… Au fait, elle me disait qu’elle n’avait pas l’habitude d’être seule ici. C’est qui, son mari ?

 

François          Baptiste De Saint-Vincent, propriétaire des universités privées du même nom.

 

Marcel                        Nom de D…

 

François          Comme tu dis ! C’est la première fois qu’elle vient sans lui. Et elle n’a pas averti la réception qu’il devait la rejoindre. Bizarre…

 

Marcel                        Elle est jeune, elle a quel âge ?

 

François          Heu… je ne sais pas… 30-35 ans…

 

Marcel                        Et ils sont mariés depuis longtemps ?

 

François          Tu veux connaître son groupe sanguin aussi ?

 

Marcel                        C’est du négatif, crois-moi…

 

François          Tu fais quoi avec cette boîte, en fait ?

 

Marcel                        Ben… elle m’a demandé de ranger le contenu de ses valises dans le placard…

 

François          Et… ?

Marcel                        Et cette boîte est la seule chose qu’elle m’a demandé de ne pas toucher…

 

François          Donc toi, d’amblée, tu te dis… « et si j’y touchais ? »

 

Marcel                        Je voulais juste voir à quoi ça ressemblait, un chapeau de bourgeoise…

 

François          C’est comme un chapeau de gueux, mais avec des plumes !

 

Marcel                        T’es con !

 

François          Bon, ok, regardons ce galurin… mais attention à ne pas l’abîmer…

 

Marcel ouvre la boîte.

 

Marcel                        Mais…

 

François          Oh dis donc ! Mais c’est pas du tout un chapeau… Il sort des documents de la boîte. C’est bourré de documents marqués « CONFIDENTIEL »…

 

Marcel                        En prenant des documents dans ses mains, et de photos ! On dirait des clichés de détectives, comme dans les films…

 

François          Y a une liste remplie de noms… et à rallonge ! Y a même des japonais…

 

Marcel                        François, rangeons ça… on n’aurait pas dû y toucher…

 

François          Oui, bien maintenant, c’est trop tard… et Madame ne saura pas qu’on a jeté un œil… ça doit être des trucs à son mari… On pourrait certainement en piquer un ou deux, qu’elle ne remarquerait même pas…

 

Marcel                        Mais bien sûr ! Et tu vas faire quoi ? Les vendre à un maffieux ?

 

François          Ha ha ! Dans mes relations, y a que des types qui n’ont pas un radis… en montrant Marcel, la preuve ! Je blaguais ! Allez, je ferme et ni vu ni connu…

 

Marcel                        Merci…

 

François          Bon, en l’attendant, mange ! Ah oui et… il sort un pass de sa poche, Tiens, voilà aussi un pass pour que tu puisses mettre la lumière et la télé quand elle part en marathon shopping, il va mettre le pass dans la fente près de la porte.

 

Marcel                        Tu es une véritable petite maman !

 

François          Ha, ha ! Eh bien fiston, à table ! Et tâche de finir ton assiette !

 

Marcel                        Ne t’en fais pas, pas besoin de me prier pour ça. Ah oui, elle m’a dit qu’elle serait de retour dans deux heures et qu’elle voulait boire un thé à l’édredon à ce moment-là.

 

François          Un thé à l’édredon… ? mais elle ne boit jamais son thé au lit, ça n’est pas son genre !

 

Marcel                        Non, mais au… ah ! Je ne sais plus ! Mais il y a « dredon » dedans !

 

François          Ah ! Au cynorrhodon ! Ok, je ferai monter ça. Il va pour sortir.

 

Marcel                        François ?

 

François          Oui ?

 

Marcel                        Merci… vraiment…

 

François          Tu me diras merci dans deux semaines… si on a survécu ! Il sort.

 

Marcel s’installe à table pour manger. Il soulève la cloche au-dessus de l’assiette et respire profondément l’odeur du plat. Il prend une première bouchée.

 

Marcel                        Oh là là… c’est bon… Oh, c’que c’est bon… c’est beaucoup trop bon… C’est dingue… Ah, il ne s’est pas foutu de moi le François ! Toasts au foie gras, pâtes à la… enfin aux… bref, je ne sais pas ce que c’est ces machins noirs, mais c’est vachement bon ! A mon avis, c’est pas de la boîte ! Et tiramisu aux framboises… aux framboises en plein hiver ! Quand je pense qu’ils jettent de la bouffe comme ça… Quand je retournerai à la rue, ce qui est sûr, c’est que je viendrai farfouiller dans les poubelles de cet hôtel !

 

NOIR

ACTE I – Scène 8

On entend des bruits contre la porte de cour. La chambre est dans la nuit. On entend la voix de Madame au travers de la porte, elle semble peiner à ouvrir la porte. Marcel ouvre le placard et en sort juste la tête. Il hésite, puis se dirige vers la porte et l’ouvre. Madame manque de tomber lorsque la porte s’ouvre.

 

Madame         Les bras chargés de cabas, un peu saoule, le plus gros sera livré à la réception…

 

Marcel                        Entrez Madame, je vais vous aider.

 

Madame         Ah Marcel, merci mon gentil, vous êtes très cher.

 

Marcel                        Je vous en prie… vous vous êtes bien promenée ?

 

Madame         Oh oui ! J’ai visité le marché de Noël, c’était tout-à-fait locobique !

Marcel                        Madame, il m’arrive de manque de vocabulaire… locobique ?

 

Madame         Mais pas du tout, bucolique, voyons.

 

Marcel                        Aah… Votre thé doit être froid maintenant, je vais demander à ce que l’on vous en monte un autre.

 

Madame         Oh non, Marcel merci. Je n’ai pas très envie d’un thé en fin de compte…

 

Marcel                        Vous désireriez autre chose ?

 

Madame         Qu’auriez-vous de bon à me proposer ?

 

Marcel                        Hem… eh bien tout un tas de choses…

 

Madame         peinant à enlever son manteau sans le déboutonner, parfait ! Je prends le tout !

 

Marcel                        Puis-je prendre votre manteau Madame ?

 

Madame         Oui, mais il ne daigne pas s’enlever !

 

Marcel                        Puis-je vous suggérer, Madame, de défaire les boutons ?

 

Madame         Aaah… oui… les boutons… Elle les défait. Ah oui, c’est vrai que c’est plus pratique ! Il faudrait ressusciter ce brave Monsieur Bouton, l’inventeur du bouton, et lui dire un grand « bravo » ! Parce que le bouton… c'est une grande trouvaille! Elle cherche à enlever ses gants, puis se rend compte: "Ah non… là-dessus, il n'y a pas de bouton!" Elle tend son manteau, ses gants et son chapeau à Marcel et s’assied sur une chaise. Oh là là Marcel, je suis exténuée… toute cette foule au marché ! Les chalets sont à peine visibles, derrière toute la populace qui admire les choses à vendre… il y avait même un stand qui vendait des peluches à mettre au micro-ondes… extraordinaire ! Et il y avait quantité de chalets qui vendaient du vin chaud…

 

Marcel                        Et il était bon… de toute évidence…

 

Madame         Geste d’embrasser son pouce et son index pour dire que le vin était excellent.

 

Marcel                        ça réchauffe !

 

Madame         Hum… bien… il faisait froid et… le vin chaud… c’est… chaud… donc…

 

Marcel                        Donc ?

 

Madame         Donc, ça réchauffe ! Suivez Marcel, suivez…

 

Marcel                        Je suis, Madame, je suis.

 

Madame         Marcel !

 

Marcel                        Oui Madame ?

 

Madame         Vous êtes Marcel!

 

Marcel                        Oui Madame et depuis ma naissance…

 

Madame         Et ils font maintenant aussi du vin chaud blanc (prononcer chôblanc) !

 

Marcel                        Chôblanc ? C’est une marque de vin ? Un grand cru ?

 

Madame         Mais non ! Détachant les mots, vin, chaud, blanc.

 

Marcel                        Ah pardonnez-moi Madame, je n’avais pas saisi. Du vin blanc chaud.

 

Madame         Du vin chaud blanc, du vin blanc chaud, c’est du pareil au même. Ça a le même goût !

 

Marcel                        Pour lui-même, et le même volume d’alcool… A Madame, Bien sûr, Madame. Par contre…

 

Madame         Oui ?

 

Marcel                        Par contre, on ne précise jamais que le vin chaud rouge est rouge.

 

Madame         Et de quelle couleur voudriez-vous qu’il soit ?

 

Marcel                        Eh bien, blanc !

 

Madame         Marcel, Marcel, vous me donnez le tournis avec vos histoires de vin… D’ailleurs, je me sens lasse… je vais m’étendre un peu.

 

Marcel                        Bien Madame. Marcel prend les cabas et se dirige vers le placard.

 

Madame         J’ai fait quelques emplettes. J’ai laissé le plus gros paquet à la réception, c’est Will qui va le monter d’un instant à l’autre.

 

On toque à la porte.

 

Madame         Ah, eh bien quand on parle du loup, cela doit être Neal. Allez ouvrir Marcel.

 

Marcel                        Hem… pardon Madame, mais je dois d’abord…

 

Madame         L’interrompant, dépêchez-vous, sinon il va partir en croyant que personne n’est là.

 

Marcel                        tâchant de gagner du temps, peut-être que…

 

Madame         Oui ?

 

Marcel                        Peut-être pourriez-vous lui ouvrir ?

 

Madame         Regard légèrement choqué à Marcel, puis elle l’aperçoit les bras chargés de cabas. Ah oui, bien sûr… elle se lève et va ouvrir. Oui ?

 

Marcel se dissimule dans le placard. Madame est toujours un peu saoule.

 

ACTE I – Scène 9

Gilles/Mona   Madame, je vous amène votre paquet.

 

Madame         Merci Steve/Alica. Posez-le vers le placard de Marcel, je vous prie.

 

Gilles/Mona   S’exécutant, Ah ? Marcel ? Visiblement contrarié/e, bien Madame. Je suis heureux/se d’apprendre que vous n’êtes pas complètement seule.

 

Madame         Oui, sa présence me soulage… un être à qui parler…

 

Gilles/Mona   Je comprends…

 

Madame         Et qui nous réponde…

 

Gilles/Mona   Oui, tout-à-f… et qui… qui vous réponde ?

 

Madame         Oui… le silence est parfois pesant… donc l’entendre me soulage.

 

Gilles/Mona   L’entendre… oui, bien sûr… Parce qu’il… hem… il parle ?

 

Madame         Oh oui ! Et pas si mal. Même si son vocabulaire n'est pas celui d'un aca… d’un aga… d’une agadécimien…

 

Gilles/Mona   D’un académicien…

 

Madame         C’est ça ! Merci Yves/Monica ! Son langage est tout de même assez riche… Elle se penche, comme si elle parlait à un chien caché dans le placard. Vous êtes d’accord avec moi, mon bon Marcel ?

 

Gilles/Mona   A lui/elle-même, elle le vouvoie ? A Madame, gentiment, prudemment, je pense que cela peut en effet mettre en confiance certaines personnes et combler un vide… mais il ne faut pas les humaniser. Chaque chose à sa place !

 

Madame         Une chose ?

 

Gilles/Mona   Oui, d’après la loi, c’est leur condition !

 

Madame         Je vous trouve bien dur/e… après tout, vous avez quasiment le même statut.

 

Gilles/Mona   Choqué, pardon ? Le même statut ?

 

Madame         Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser. Je ne suis pas très au fait de votre… hiérarchie…

 

Gilles/Mona   Mais… je vous en prie Madame, il n’y a pas de mal.

 

Madame         Bien, vous pouvez disposer maintenant Jacques/Mélissa.

 

Gilles/Mona   Merci Madame. Je suis de permanence cette nuit. Sonnez si vous avez besoin de quoi que ce soit.

 

Madame         C’est gentil, mais Marcel est là. Il est tellement serviable, vous savez.

 

Gilles/Mona   Sortant de la chambre, Ah bien, Madame, si Marcel est là… pour lui/elle, nous sommes sauvés ! A Madame, si vous avez besoin de croquettes ou de pâtée, n’hésitez pas à demander ! Bonne nuit Madame. Il/elle sort.

 

Madame         De croquettes ? Mais quelle mouche l’a piqué/e ? De quoi parle-t-il/elle ? Marcel ?

 

Marcel                        Sortant du placard, Madame ?

 

Madame         Il  vient de partir, il a monté mes emplettes. Pourquoi n’êtes-vous pas sorti du placard ?

 

Marcel                        Pour ne rien vous cacher, Gilles/Mona n’apprécie pas beaucoup ma présence.

 

Madame         Ah oui, il m’a bien semblé que sa réaction était un peu particulière. Tout de même… Cela ne se fait pas de parler ainsi de ses collègues avec les clients. Ça n'est pas professionnel. Il/elle mériterait une remarque…

 

Marcel                        Non, je vous en prie, Madame, ne dites rien. Il/elle se vexerait et je ne veux pas qu’il/elle soit mal à l’aise vis-à-vis d’une cliente de l’hôtel. Je réglerai ça un jour avec lui/elle.

 

Madame         Soit… Bien, Marcel, il est tard et je pense qu’il est temps pour moi de prendre un peu de repos.

 

Marcel                        Bien, Madame. Il part en direction du placard.

 

Madame         J’espère que vous ne serez pas trop inconfortable dans votre placard.

 

Marcel                        Pour lui, toujours mieux qu’à la belle étoile.

 

Madame         Qu’avez-vous dit ?

 

Marcel                        Se retournant, nous sommes dans un cinq étoiles.

 

Madame         C'est vrai… Bonne nuit, Marcel.

 

Marcel                        Douce nuit, Madame. Il entre dans son placard.

 

Madame reste un instant à regarder le placard fermé, puis se dirige vers la salle de bain où elle entre. NOIR.

ACTE I – Scène 10

Pénombre sur la scène, une lumière bleutée filtrant par une fenêtre nous fait comprendre que c’est la nuit. Des ronflements sonores retentissent. Légère lumière ambiante, on doit tout de même voir ce qui se passe sur scène. Les ronflements durent un temps, puis on entend des petits bruits, quelqu’un essaye de faire cesser les ronflements. Le bruit se mue petit à petit en « psschht ! » et finalement, on entend la porte du placard s’ouvrir et on voit Marcel y passer la tête. On comprend que c’est Madame qui ronfle. Il hésite, puis s’aventure hors du placard. Il se rapproche un peu du lit et recommence à faire le bruit. Madame cesse de ronfler un instant. Marcel sourit et fait mine de retourner dans son placard. En chemin, Madame se remet à ronfler. L’opération est répétée deux fois, jeu de mimiques de Marcel durant ses allers-retours. Finalement, lorsqu’il est tout près de son placard, il décide de frapper dans ses mains d’un coup et de fermer rapidement la porte. Madame sursaute avec un petit cri et s’assied dans son lit. Elle retire le masque qu’elle a sur les yeux. Elle regarde autour d’elle, tout est calme et silencieux. Elle regarde encore un instant, puis remet son masque et se recouche. Un temps. On entend à nouveau des ronflements. Rien ne bouge. Encore des ronflements, Madame s’assied dans son lit et enlève son masque. Elle regarde en direction du placard et comprend que Marcel ronfle. Elle commence par de pudiques « hum. Hum ». Puis elle fait un petit bruit pour faire cesser les ronflements. Au bout d’un moment, elle passe aux « psschht ! ». Ne voyant aucun résultat, elle se lève délicatement et marche lentement vers le placard. Elle hésite, puis continue d’avancer. Elle pose une oreille contre le placard et recule quand elle entend un ronflement, amplifié par la porte en bois. Elle pose une main sur la poignée et ouvre la porte, elle s’écarte soudainement, car Marcel étant appuyé contre la porte, le battant s’ouvre à toute allure et Marcel tombe en arrière. Madame pousse un cri et recule. Marcel pousse aussi un cri, se relève vite et va allumer la lumière.

 

Marcel                        Balbutiant, que… que… se passe-t-il ? Heu… Madame ?

 

Madame         Bien hum, vous êtes soudain tombé !

Marcel                        Tombé ? Mais tombé de « où » ?

 

Madame         Tombé de votre placard… Un mauvais rêve sûrement.

 

Marcel                        Un mauvais rêve… un mauvais rêve… carrément de la lévitation si je suis « tombé »… Excusez-moi de vous avoir réveillée Madame.

 

Madame         Pour être sincère, je ne dormais plus.

 

Marcel                        Ah non ?

 

Madame         Non, car vous… hum… vous ronfliez…

 

Marcel                        Moi ? Moi, je ronflais ? Alors ça, c’est la meilleure !

 

Madame         Puisque je vous le dis… Vous ne ronflez pas, à l’accoutumée ?

 

Marcel                        Heu… ben… en fait, ça fait longtemps que je n’ai plus dormi avec quiconque… donc un peu difficile à savoir.

 

Madame         Et les clients de l’hôtel n’ont jamais rien mentionné à ce sujet ?

 

Marcel                        Vous allez rire… en général, c’est plutôt moi qui les entend ronfler !

 

Madame         Oh non, c’est vrai ? Que cela doit être gênant…

 

Marcel                        Ne vous en faites pas, j’ai la délicatesse de ne pas leur en parler.

 

Madame         Riant, vous faites bien, je pense !

 

Marcel                        Je tâcherai de ne plus ronfler Madame et de vous laisser dormir paisiblement…

 

Madame         A vrai dire… je n’ai plus vraiment sommeil… et vous ?

 

Marcel            Je suis à votre service Madame. Si vous n’êtes plus fatiguée, alors moi non plus.

 

Madame         Allons nous assoir, voulez-vous ?

 

Marcel            Ma place est debout, Madame.

 

Madame         Ne venez-vous pas de dire être à mon service ?

 

Marcel            Heu... si...

 

Madame         Bien, alors asseyez-vous !

 

Marcel            Comme vous voudrez, Madame.

 

Madame         Je préfère cela. Et puis je préfère ne pas lever la tête pour vous parler… j’ai une migraine épouvantable…

 

Marcel                        Le vin « Chôblanc » certainement…

 

Madame         Certainement…

 

Ils s'asseyent.

 

Madame         Oh mon Dieu, Marcel !

 

Marcel            Quoi?

 

Madame         Quelle horreur !

 

Marcel            De quoi ?

 

Madame         Mais c’est abominable !

 

Marcel                        Mais où ça ?

 

Madame         Là! Montrant son pied, à lui.

 

Marcel            Pardon ?

 

Madame         Vous avez un trou à votre chaussette !

 

Marcel            Aaaah... vous m'avez fait peur...

 

Madame         Mais... c'est qu'il y a de quoi!

 

Marcel            De quoi...? Heu oui... oui... je... suis navré Madame... J'aurais dû remettre mes chaussures. Je les ai enlevées pour dormir.

 

Madame         Mais... même avec des souliers, le trou serait toujours là !

 

Marcel            Hem... oui... je... je les changerai dès que possible, Madame.

 

Madame         Vous n'en avez pas dans votre placard?

 

Marcel            Non Madame, le placard est réservé aux vêtements des clients.

 

Madame         Dès que nous vivrons une heure plus convenable, je ferai envoyer quelqu'un pour vous en acheter une nouvelle paire. Vous chaussez du combien ?

 

Marcel            Oh ce n'est pas nécessaire...

 

Madame         Si, si, j'insiste. Je ne serai pas tranquille, si je sais que vous avez un trou.

 

Marcel            Bien... du 43 Madame.

 

Madame         Entendu. Je vous prendrai du 42. Il y a toujours une taille d'écart chez Zadig & Voltaire.

 

Marcel                        Ah oui… chez Zadig & Voltaire… moi, j'ai l'habitude des 5 balles les 10 paires…

 

Madame         Si j'avais su, je vous en aurais acheté moi-même hier soir...

 

Marcel            Ah oui, c'est vrai que vous avez tous vos paquets à défaire. Vous avez trouvé votre bonheur ?

 

Madame         Oh, Marcel, j'ai fini par comprendre que le bonheur ne se trouvait pas en vitrine... Mais je me suis tout de même offert de petits plaisirs.

 

Marcel            Ah... parce que... tout ce que vous avez acheté hier est... pour vous ?

 

Madame         Bien oui... pour qui voulez-vous que ce soit ?

 

Marcel            Hem... je ne sais pas... pour des amies... pour votre mari...

 

Madame         Mes amies ont appris à s'offrir leurs propres cadeaux. Et mon mari... il a bien suffisamment de cravates.

 

Marcel            Bien Madame. Et qu'avez-vous acheté de beau ?

 

Madame         Oh, je ne sais même plus en fait...

 

Marcel sourit.

 

Madame         Pourquoi souriez-vous ?

 

Marcel            Pardonnez-moi, Madame. Mais je ne suis tellement pas habitué à cela...

 

Madame         Les clients de l'hôtel font bien du shopping en général, non ?

 

Marcel            Oui, bien sûr... Madame. Mais... disons que je ne m'y ferai jamais.

 

Madame         A quoi ?

 

Marcel            A vouloir posséder tant de choses. A dépenser sans compter... Et à ne même pas y accorder d'importance...

 

Madame         Mais... sur le moment... cela m'a fait plaisir...

 

Marcel            Encore heureux...

 

Madame         Oh et puis, ça suffit, je n'ai pas à vous donner d'explication. Je fais ce que je veux avec mon argent !

 

Marcel            Ah… l'argent...

 

Madame         Oui, eh bien, sans cet argent,  vous ne seriez pas là!

 

Marcel            C'est vrai... C'est bien ça qui me désole.

 

Madame         Marcel, pourquoi êtes-vous si amer tout-à-coup ?

 

Marcel            Parce que quand on n'a pas un sou, on rêve d'en avoir à foison... Et quand on en a plein les poches, on n'y accorde plus d'intérêt finalement... Je n’y comprends plus rien…

 

Madame         Mais ne cherchez pas à comprendre… C'est ainsi depuis la nuit des temps. Chaque être humain doit accepter sa place et vivre avec.

 

Marcel            Ne dit-on pas que les hommes naissent égaux en droit ?

 

Madame         Droit n’est pas pouvoir, hélas. C’est de la théorie… et l’on ne vit pas « en théorie »…

 

Marcel                        Dommage, puisqu’en théorie, tout se passe bien.

 

Madame         Que voulez-vous… l'herbe est toujours plus verte dans le pré d'à côté.

 

Marcel            Vous... vous croyez qu'il y a plus verte que votre herbe, à vous ?

 

Madame         Oh certainement... même si je ne manque de rien… mais j’y suis bien seule sur mon herbe... il me manque du soleil, pour l'apprécier à sa juste valeur.

 

Marcel            Vous parlez de votre mari ?

 

Madame         Vous êtes perspicace... et curieux...

 

Marcel            Pardon, Madame...

 

Madame         Bon… après tout, c'est moi qui vous ai demandé de me faire la conversation.

 

Marcel            Vous venez ici avec lui, habituellement ?

 

Madame         Oui...

 

Marcel            Et vous dites que vous vous sentez seule parce qu'il n'est pas là ?

 

Madame         Je me sens bien moins seule aujourd'hui, que lorsqu'il est avec moi.

 

Marcel            Ah...

 

Madame         Mon mari m'a voulu, il m'a eue... et voilà !

 

Marcel            Mais... Madame, on ne peut pas « avoir » quelqu’un… vous n’êtes pas une paire de chaussures ou un parapluie…

 

Madame         Vous êtes gentil Marcel. Pour mon mari, je suis un peu comme un porte-clefs… Petit objet qu’on veut toujours avoir avec soi pour se rassurer et être certain qu’on a bien ses clefs, mais auquel on n’accorde aucune importance finalement.

 

Marcel            Vous me faites marcher!

 

Madame         Pas le moins du monde.

 

Marcel            Pardonnez-moi, mais vous vous êtes tout même mariée avec cet homme…

 

Madame         Oui... mon père me l'a présenté dans le but que je l'épouse...

 

Marcel            Un mariage arrangé ? A notre époque ?

 

Madame         Oh croyez-moi, cela se produit encore bien plus qu'on ne le pense. Et pas uniquement au Moyen Orient... Mon père n’a jamais accepté que son business ne soit plus aussi flamboyant que par le passé. Et il a vécu le drame de n’avoir aucun fils. Juste une fille… Il a continué à faire semblant pendant des années… jusqu’à ce que nous soyons ruinés. A ce moment-là, le seul atout qu’il avait encore, c’était un fabuleux carnet d’adresses. On peut donc dire qu’il m’a plus ou moins vendue avec lui. Mais je ne m’en plains pas, Baptiste m’offre un train de vie des plus agréables…

Et puis il a su être charmeur, plein d'humour et de verve. J'étais jeune et il m'a plu. On a tous envie de croire au bonheur et pourquoi pas, à l'amour.

 

Marcel            Sur ce point-là, je ne peux pas vous contredire, Madame.

 

Madame         Vous êtes marié Marcel ?

 

Marcel            Je l'ai été. Mais nous avons divorcé il y a 3 ans.

 

Madame         Oh, je suis navrée. Vous avez des enfants ?

 

Marcel            Et qui est-ce qui est curieux maintenant ?

 

Madame         Souriant, je crois bien que c'est moi...

 

Marcel            Oui, une fille. Elle a 9 ans maintenant. Elle s'appelle Isaline.

 

Madame         Oh, c'est ravissant.

 

Marcel            Merci.

 

Madame         Vous avez une photo avec vous?

 

Marcel            Oui, sortant son portefeuille. Il lui tend la photo. Mais elle date... Cela va faire presque deux ans que je ne l'ai pas vue...

 

Madame         Ah bon, pourquoi?

 

Marcel            Parce que mon ex-femme en a décidé ainsi. Voilà tout...

 

Madame         C’est cruel… Bon, si je vous montrais mes achats ? Pour faire une pause avec les sujets déprimants ?

 

Marcel                        Avec plaisir, Madame.

 

Madame         N’ayant pas l’habitude de ce genre de réaction, c’est vrai ?

 

Marcel                        Heu… oui… volontiers… Madame.

 

Madame         Souriant, bien, bien… prenez les paquets s’il vous plaît.

 

Marcel                        amène les paquets vers la table. Madame se lève et prend une boîte à chapeau.

 

Madame         ça, Marcel c’est…

 

Marcel                        Un chapeau !

 

Madame         Eh bien non ! J’étais sûre que vous alliez tomber dans le piège !

 

Marcel                        Ah bon ? Alors qu’est-ce que c’est ?

 

Madame         Une boîte à chapeau !

 

Marcel                        C’est juste une boîte ?

 

Madame         Oui…

 

Marcel                        C’est une boîte à chapeau et il n’y a pas de chapeau dedans ?

 

Madame         Non…

 

Marcel                        Elle est vide ?

 

Madame         Oui…

 

Marcel                        Et vous l’avez achetée ?

 

Madame         Oui, cher Marcel, je ne l’ai pas volée.

 

Marcel                        Non… je voulais dire, vous avez tenu à acheter une boîte à chapeau, sans chapeau dedans ?

 

Madame         Oui, cela vous étonne ?

 

Marcel                        Eh bien… c’est un peu comme si j’achetais un carton à chaussures. Mais sans les chaussures !

 

Madame         Cela n’a rien de similaire !

 

Marcel                        Une boîte reste une boîte…

 

Madame         Pas celle-ci…

 

Marcel                        C’est-à-dire ?

 

Madame         Vous avez vu comme elle est somptueuse ?

 

Marcel                        « Somptueuse »… c’est le mot !

 

Madame         Vous détestez ?

 

Marcel                        Non, je n’irais pas jusque-là… disons que c’est un peu… fleuri pour moi… Et qu’allez-vous en faire ?

 

Madame         Oh… eh bien… y mettre des choses.…

 

Marcel                        Ah bon… tant que vous êtes au clair… c’est le principal ! Et ça, qu’est-ce que c’est, en montrant un crochet pour suspendre un sac à main.

 

Madame         C’est une boucle en argent pour suspendre un sac à main à une table, lors d’un dîner au restaurant, par exemple. Il m’en manquait un clair, lorsque j’ai un sac beige ou crème, justement. Heureusement, Vuitton en a sorti dans sa nouvelle collection!

 

Marcel                        Ah… mesdames, mesdames… déjà qu’on n’arrive pas à vous séparer de votre sac à main, vous avez encore besoin d’un crochet pour être sûr qu’on ne vous le prenne pas !

 

Madame         Taquine, vous n’avez rien compris mon cher Marcel, il s’agit avant tout de ne pas devoir le poser parterre, au risque de l’abîmer ou de le salir ! De plus, le sac à main est un accessoire de mode incontournable. Même vide, une femme se doit d’en avoir un pour compléter sa toilette.

 

Marcel                        Vide ? Alors ça, c’est impossible de toute manière !

 

Madame         C’est vrai… car nous avons toujours le nécessaire en cas d’ennui ! Combien de fois vous, messieurs, êtes soulagés, car Madame a justement avec elle un mouchoir pour votre rhume ou un bout de papier pour noter en vitesse le cours de la bourse ?

 

Marcel                        Silence, cela me fait mal de l’admettre… mais vous marquez un point !

 

Madame         Un seul ?

 

Marcel                        Oui, un seul. C’est déjà un commencement ! Chi va piano va sano !

 

Madame         Oh, vous parlez italien?

 

Marcel                        Non… c’était le slogan d’une marque d’escargots surgelés…

 

Madame         Quelle horreur…

 

Marcel                        Vous n’aimez pas les escargots Madame ?

 

Madame         Si, beaucoup. Dans un jardin, lorsqu’ils vaquent à leurs occupations… je n’ai jamais compris ce qu’ils avaient à faire dans une assiette !

 

Marcel                        Ils seront certainement une alternative à la consommation de viande, quand il n’y en aura plus assez pour nourrir la population mondiale. Comme les criquets, les larves, les araignées géantes, les insectes qui n’ont pas de nom, tellement ils sont moches…

 

Madame         Riant, arrêtez Marcel, vous allez me donner des cauchemars !

 

Marcel                        Regardant la pendule, il est 5 heures du matin Madame. Vous n’avez toujours pas sommeil ?

 

Madame         Moins que jamais… Et j’ai terriblement envie de manger un croissant frais dans un petit café, de regarder la ville se réveiller lentement et d'attendre le lever du soleil.

 

Marcel                        Le lever du… mais on est en plein hiver ! Vous allez devoir attendre au minimum trois heures pour le voir, le lever du soleil !

 

Madame         Peu importe… J’ai la permission de minuit.

Marcel                        Eh bien profitez de ce beau spectacle alors.

 

Madame         Oh, j’ai une idée ! Venez avec moi !

 

Marcel                        Pardon, Madame ?

 

Madame         Accompagnez-moi ! Allez, je n’ai aucune envie d’être seule !

 

Marcel                        Mais… mais… je dois rester… je dois rester à mon poste !

 

Madame         Allons, personne n’aura besoin de vous ici, si je suis partie.

 

Marcel                        C’est… c’est le règlement de l’hôtel… un valet de placard doit rester au placard !

 

Madame         Eh bien le règlement est stupide.

 

Marcel                        Machinalement, dites-le au directeur…

 

Madame         Mais je vais le lui dire !

 

Marcel                        Non, non, non ! Je disais ça comme ça. N’en faites rien. Il ne doit pas savoir que…

 

Madame         Soit… alors accompagnez-moi dehors… et je ne dirais pas au directeur que vous trouvez son règlement… stupide !

 

Marcel                        Mais… ce n’est pas moi qui ai dit ça…

 

Madame         Que vous dites…

 

Marcel                        Souriant, vous… vous êtes diabolique… Madame.

 

Madame         Alors, c’est un oui ?

 

Marcel                        Timidement, oui…

 

Madame         Oh, c’est un petit « oui », ça.

 

Marcel                        Ecoutez Madame, on ne peut pas décemment passer d’un grand « NON » à un grand « OUI ». Il y a des paliers à respecter… comme en plongée. Bien, d’accord, je viens. Mais je ne dois pas être vu.

 

Madame         Eh bien mettez un manteau et un chapeau!

 

Marcel                        Je n'ai rien de tout cela ici, Madame. Et vous, vous avez une boîte à chapeau, sans chapeau… vous voyez bien qu'elle est inutile, votre boîte à chapeau, sans chapeau.

 

Madame         Alors nous serons discrets ! Je vais m’habiller, je ne serais pas longue. Elle part à la salle de bain.

 

Marcel fait mine d’aller en direction du placard. Il entend un bruit et s’aperçoit qu’on a glissé un mot sous la porte. Il va ouvrir la porte et regarde à gauche et à droite, il n’y a personne. Il referme la porte et examine la lettre.

 

Madame         Sortant de la salle de bain. Marcel, vous êtes prêt ?

 

Marcel                        Oui, Madame… Madame ?

 

Madame         Oui ?

 

Marcel                        Quelqu’un a glissé ça sous la porte.

 

Madame         Toute pimpante, c’est pour moi ?

 

Marcel                        Oui, je reçois rarement mon courrier ici, Madame.

 

Madame         Souriant, ah oui, évidemment… Elle ouvre et sa mine se fige. Elle semble mal à l’aise.

 

Marcel                        Tout va bien, Madame ?

 

Madame         Se reprenant et pliant la lettre, parfaitement… oui, oui, tout va bien.

 

Marcel                        Bien Madame…

 

Madame         Allons-y! Si je n’ai pas un croissant dans 10 minutes, je commets un crime !

 

Rapidement, Marcel lui ouvre la porte, elle sort, il s’arrête quelques secondes pour regarder la boîte.

 

Marcel                        Songeur, mmmmh-mmmh…

 

Il sort.

 

NOIR

 

ENTRACTE

 

 

ACTE II – Scène 1

Lumière sur le plateau, la chambre est faite, Marcel est assis sur une chaise vers la table et cire ses grandes chaussures. Il jette de temps en temps des coups d’œil en direction du grand carton. Le téléphone sonne. Marcel le regarde et hésite. Il se lève et répond.

 

Marcel                        Chambre de Madame de Saint-Vincent ?

 

Voix off           Qui êtes-vous ?

 

Marcel                        Heu… le garde du corps de Madame…

 

Voix off           Le coupant, passez-la moi !

 

Marcel                        Impossible, elle… prend un bain… Puis-je passer un message ?

 

Voix off           Dites-lui qu’elle n’a plus le temps d’hésiter. C’est oui ou c’est non. Mon client a besoin d’une réponse aujourd’hui ! Si elle se décide à livrer la marchandise, alors la valise l’attendra à l’endroit prévu. Mais elle a jusqu’à minuit pour me rappeler.

 

Marcel                        Bien Monsieur, je transmettrai ce mess… il a raccroché… et la politesse, c’était en option ? Il prend un petit papier et un stylo. Bon, comment je résume ça, moi… ?

 

On entend des bruits derrière la porte, Marcel jette un rapide coup d’œil dans sa direction et ne bouge pas.

 

François          Off, attendez, laissez-moi faire.

 

Marcel se redresse.

 

Gilles/Mona   Off, mais non, laissez, juste le temps de sortir mon pass.

 

Marcel se lève et court se cacher dans le placard. La porte s’ouvre. On aperçoit François qui maintient Gilles/Mona par la taille/les épaules.

 

ACTE II – Scène 2

François          Il parle fort pour avertir Marcel. Mais enfin Gilles/Mona, pourquoi ne voulez-vous pas me laisser m’en occuper ?

 

Gilles/Mona   Avez-vous fini de me casser les oreilles, oui ? J’ai dit que je venais déposer le thé, alors je viens déposer le thé ! Et vous savez… pour porter un plateau, je n’avais pas besoin d’un garde du corps…

 

François          Regardant dans la chambre s’il voit Marcel, je… je voulais juste vous tenir la porte…

Gilles/Mona   Alors tenez-la, la porte ! Mais laissez-moi passer au moins !

 

François          Oui, oui, pardon… Il lâche Gilles/Mona et passe sa main le long du battant pour tenir la porte ouverte. Gilles/Mona entre et François le/la suit en fermant la porte. Êtes-vous sûr/e que Madame de Saint-Vincent n’est pas là ?

 

Gilles/Mona   Sûr/e. Elle a commandé un taxi il y a deux heures environ et elle m’a demandé que le thé soit prêt dans sa chambre à son retour.

 

François          Visiblement anxieux, oh… d’où le plateau de… thé…

 

Gilles/Mona   Oui… d’où le plateau… de thé…Tout va bien François ?

 

François          Hein ? Quoi ? Moi ? Oui…

 

Gilles/Mona   Je vous trouve bien étrange depuis quelque temps…

 

François          Moi, étrange ? Mais non…

 

Gilles/Mona   Si… vous cherchez toujours à vous occuper de monter les plateaux de thé… Je vous ai vu piquer le linge propre chez la blanchisseuse pour venir l’amener ici vous-même… Vous changez d’uniforme visiblement plus souvent qu’avant…

 

François          Méfiant, et donc… ? Quelle est votre conclusion ?

 

Gilles/Mona   Madame de Saint-Vincent vous plaît et vous faites tout ce que vous pouvez pour lui être agréable et la voir autant que possible… Mais…

 

François          Mais ?

 

Gilles/Mona   Mais, soyons réalistes, vous avez autant de chance avec elle que d’arriver jusqu’à la lune avec un trampoline… et franchement, je ne vous crois pas si bête que ça…

 

François          Merci… vous me flattez…

 

Gilles/Mona   Ou… vous faites du zèle et vous cherchez à vous faire remarquer par la direction, pour avoir une promotion !

 

François          Gilles…/Mona…

 

Gilles/Mona   François ?

 

François          Gilles/Mona, mon petit Gilles/ma petite Mona… je vous ai toujours trouvé fin/e, intelligent/e et perspicace…

 

Gilles/Mona   Merci, merci… on me l’a souvent dit…

François          Et là, encore une fois… vous avez mis dans le mille…

 

Gilles/Mona   Ah oui ? Avec la quelle des deux possibilités ?

 

François          Je vous laisse le deviner… puisque vous êtes si brillant/e …

 

Gilles/Mona   Pfff… c’est malin ça…

 

François          Au fait… vous vous êtes trompé/e, vous avez monté deux tasses de thé.

 

Gilles/Mona   Non, mon cher, je ne me suis pas trompé/e ! Madame a demandé deux tasses. Une pour elle et… une pour Marcel.

 

François          S’étouffant, Marcel ?!

 

Gilles/Mona   Oui… il adore le thé et surtout les biscuits à la confiture d’abricot !

 

François          Parce que… vous le connaissez… ? Vous l’avez déjà vu ?

 

Gilles/Mona   Oh non… et je n’ai aucune envie de le voir ! Sale bestiole va !

 

François          Hé, dites donc ! Tâchons de rester poli/e !

 

Gilles/Mona   Poli/e ? Avec cette espèce de gueulard hystérique ?

 

François          Ah bon ? On l’entend comme ça fort ?

 

Gilles/Mona   Et comment… je ne l’ai jamais vu, mais qu’est-ce que je l’ai entendu… je suis sûr que c’est un esprit fourbe, prêt à bondir dès qu’on a le dos tourné… un instant d’inattention et hop ! Ça vous croque une fesse !

 

François          Heu… vous… vous devez vous tromper… ce n’est pas du tout le genre de Marcel…

 

Gilles/Mona   Oh et le pire… il fait signe à François de se rapprocher. Le pire, c’est ses poils !

 

François          Fort, ses poils ?!

 

Gilles/Mona   A l’arrivée de Madame, quand je suis entré dans la chambre, j’ai tout de suite su qu’il y avait quelque chose de louche… Et mon nez n’a pas failli… Je suis arrière-petit/e-fils/fille de parfumeur, moi, monsieur. Quand je repère quelque chose à l’odeur, je ne me trompe jamais !

 

François          Vous m’en voyez ravi…

 

Gilles/Mona   Et là, ça sentait le trottoir et le caniveau… pile la hauteur de ces compagnons odorants.

François          A lui-même, mais Marcel avait pourtant pris une douche…

 

Gilles/Mona   Pardon ?

 

François          Je dis : « Vous avez raison, c’était louche ! »

 

Gilles/Mona   Un peu !

 

François          Et… vous n’en avez parlé à personne ?

 

Gilles/Mona   Pffff… et à qui donc en aurais-je parlé ?

 

François          Ben… je… je ne sais pas… vous auriez pu trouver ça bizarre… et vous poser des questions.

 

Gilles/Mona   Oh les mœurs des clients… il y a longtemps que ce n’est plus un sujet de questionnement pour moi ! Entre ceux qui ont fait un méchoui sur le parquet de leur chambre et la vieille chouette qui ne fermait l’œil que si l’on diffusait des chants de hiboux la nuit dans sa chambre… on se demande si on est dans un hôtel ou une maison de fous !

 

François          Ah mais quand on est riche, on n’est pas fou… on est excentrique ! Toute la différence est là !

 

Gilles/Mona   Oui, bien là, je ne sais pas si c’est être excentrique, mais j’ai quand même du mal à comprendre pourquoi elle l’enferme dans le placard…

 

François          Elle ne vous a pas donné d’explication ?

 

Gilles/Mona   Non… elle m’a juste dit que lui et moi… on était au même niveau ! Alors là, j’ai trouvé ça un peu fort de café quand même !

 

François          Ben, pourquoi ?

 

Gilles/Mona   Pourquoi ? Parce que pour vous, je suis au même rang que l’espèce de caniche à sa mémère qui doit suffoquer dans cette armoire ? Impossible de faire mon travail tranquillement…

 

François          Surpris, pa… parce qu'il y a un chien dans le placard? Vous êtes sûr??

 

Gilles/Mona   Mais bien sûr, que j’en suis sûr ! Et après avoir appris qu’elle était là, cette bestiole, j’ai voulu aller voir à quoi elle ressemblait. Je n’avais pas posé la main sur la poignée du placard qu’elle s’est mise à aboyer… un bruit incroyable… on aurait dit Chewbacca…

 

François          Riant, oh mon/ma pauvre Gilles/Mona… elle vous aurait fait peur cette petite bou-boule de poi-poils ?

Gilles/Mona   Ah, ça vous fait rire ! Eh bien écoutez ! Il se dirige vers la porte du placard et tend la main vers la poignée.

 

François          Gilles/Mona, non !

 

Marcel se met à aboyer très fort dans le placard. Gilles/Mona et François plaquent leurs mains sur leurs oreilles.

 

François          Fort, pour couvrir le bruit des aboiements. C’est malin ! Allez, venez, il va ameuter tout l’hôtel. Les deux hommes sortent rapidement et ferment la porte.

 

ACTE II – Scène 3

Les aboiements continuent un temps, puis se calment et enfin cessent. Entrée de Madame chargée de sacs. Elle ferme la porte du coude et la fait claquer. Les aboiements reprennent et la font sursauter. Elle pose ses paquets en vitesse et file en direction du placard. Après un instant d'hésitation, elle l'ouvre et on voit Marcel les yeux fermés qui aboie. Il aboie encore quelques fois, puis ouvre les yeux. Il crie en apercevant Madame, qui crie à son tour.

 

Marcel            Ma… ma… Madame… c'est vous?

 

Madame         Eh bien oui, c'est moi… qui voulez vous que cela soit?

 

Marcel            Je… hem…

 

Madame         Qu'est-ce qui vous prend d'aboyer ainsi?

 

Marcel            Moi?

 

Madame         Oui… Vous !

 

Marcel            Faisant mine de ne pas comprendre, d'aboyer? Moi?

 

Madame         Enfin, Marcel! Je viens de vous surprendre dans votre placard, en train de          hurler à la mort! Je n'ai pas la berlue!

 

Marcel            Alors là…

 

Madame         Là…?

 

Marcel            Je suis extrêmement gêné… je… il m'avait prévenu que cela pourrait       recommencer…

 

Madame         De qui parlez-vous?

 

Marcel            De mon médecin… il m'avait dit que je n'étais pas totalement guéri…

 

Madame         Mais enfin, qu'avez-vous donc?

 

Marcel            Je suis somniloque…

 

Madame         Vous êtes… quoi?

 

Marcel            Je parle en dormant…

 

Madame         Mais là… vous aboyiez… en dormant!

 

Marcel            C'est pareil, ça n'est juste pas la même langue. Je suis "caniloque"…

 

Madame         Mon Dieu… et cela vous arrive souvent?

 

Marcel            Heureusement non, seulement à la pleine lune…

 

Madame         Mais ça n'est pas la pleine lune… elle décroît…

 

Marcel            Ah… alors ça s'aggrave…

 

Madame le regarde, incrédule.

 

Marcel            Je plaisante!

 

Madame         Riant, ah, vous m'avez inquiétée tout-à-coup! Eh bien… entre la phobie du téléphone et le somni… lo… qui… sme (?), vous n’êtes pas gâté !

 

Marcel            En effet… Je vois que vous avez à nouveau couru les boutiques…

 

Madame         Oh oui, quelques petites emplettes.

 

Marcel            Vous êtes partie tôt faire votre shopping ce matin.

 

Madame         Oui… j’ai un rendez-vous ce soir. Je ne voulais pas risquer de le manquer… Et puis j’avais besoin de me changer les idées.

 

Marcel            Et cela a fonctionné, Madame?

 

Madame         En réalité… non…

 

Marcel            Navré, Madame.

 

Madame         Lorsque je suis passée à la réception, en rentrant, on m'a encore dit que mon    mari avait laissé 5 messages à mon attention.

 

Marcel            Il s'inquiète… cela fait trois semaines que vous êtes ici, maintenant.

 

Madame         Je sais qu'il se fait du mouron… mais mon absence de réponse devrait lui faire comprendre que… que je ne souhaite pas lui donner de nouvelles!

 

Marcel            Vous êtes bien optimiste de penser qu'un homme pourrait comprendre cela       de lui-même…

 

Madame         Tout de même! Je suis partie !

 

Marcel            Sauf votre respect, Madame, vous n'êtes pas partie bien loin…

 

Madame         Mais j'habite à des centaines de kilomètres d'ici!

 

Marcel            Oui, "géographiquement parlant"… vous êtes loin. Mais vous êtes allée dans     un hôtel que vous connaissez bien tous les deux, un hôtel dans lequel vous   avez pour habitude de descendre ensemble. C'est un terrain connu pour lui.            Vous êtes encore un peu chez vous, chez lui.

 

Madame         Et où vouliez-vous que j'aille?

 

Marcel            Madame, si j'ose… il y a des milliers d'autres hôtels sur terre… vous auriez pu   choisir n'importe lequel…

 

Madame         Marcel, je… je suis complètement perdue…

 

Marcel            Tendrement, mais non, vous êtes à des centaines de kilomètres de chez vous…

 

Madame         Souriant, c'est vrai… "géographiquement parlant", comme vous dites… je sais    où je suis… Mais je ne sais plus "où j'en suis".

 

Marcel            Il y a quelqu’un qui sait où vous êtes en tous cas…

 

Madame         Pardon ? Qui ça ?

 

Marcel            Un homme qui ne s’est pas présenté… qui a téléphoné peu avant votre retour. Je me suis permis de répondre, comme il vous est arrivé de m’appeler pour me demander de commander un thé…

 

Madame         Sur ses gardes, et… c’était qui ?

 

Marcel            Visiblement quelqu’un qui attend une réponse… il m’a demandé de vous dire que vous aviez jusqu’à minuit pour livrer la marchandise…

 

Madame         Et évidemment… vous vous êtes posé des questions…

 

Marcel            Je ne suis pas là pour me poser des questions, Madame.

 

Madame         Précipitamment, Marcel, je vais vous mettre dans la confidence…

Marcel            Est-ce bien nécessaire, Madame ?

 

Madame         Oui ! Comme cela, vous pourrez m’aider !

 

Marcel            Vous aider ?

 

Madame         Oh n’allez pas imaginer qu’il s’agit d’un meurtre, hein ! Je compte juste… vendre… deux ou trois informations concernant le travail de mon mari…

 

Marcel            Ironique, ah ! Seulement de l’espionnage industriel, alors ça va…

 

Madame         Ne soyez pas désagréable. Je veux juste me mettre à l’abri du besoin… une fois que j’aurai quitté mon mari.

 

Marcel reste silencieux.

 

Madame         Si vous m’aidez, je saurai me montrer généreuse…

 

Marcel            Avec de l’argent volé ?

 

Madame         Il ne s’agit pas de dévaliser une banque… je me lance dans les affaires…

 

Marcel            Je vous remercie, mais non…

 

Madame         Réfléchissez-y Marcel… ce que je vous propose sera nettement supérieur au salaire de misère que vous devez toucher ici…

 

Marcel            Malgré tout le respect que je vous dois, Madame, mon salaire c’est déjà d’être au chaud durant l’hiver et de manger tous les jours.

 

Madame         ça n’est pas un salaire ça, c’est une évidence…

 

Marcel            Pas pour tout le monde…

 

Madame         Alors ?

 

Marcel            Alors non, mais merci Madame…

 

Madame         Bien… alors je vais rappeler cet homme… et lui donner rendez-vous tard dans la nuit… dans une petite ruelle sombre… complètement isolée…

 

Marcel            Vous ne le faites pas venir ici ?

 

Madame         Trop risqué… trop de témoins…

 

Marcel            Mais… mais… et s’il vous arrivait quelque chose… ?

 

Madame         Ah oui tiens… s’il m’arrivait quelque chose… Ah, si seulement un homme… grand… fort, courageux pouvait veiller sur moi…

 

Marcel est gêné.

 

Madame         Mais tant pis… je serai prudente… et advienne que pourra !

 

Marcel            Madame, je suis navré, mais… vous ne m’aurez pas à ce jeu-là.

 

Madame         Un peu vexée, bon bon… comme vous voudrez… Alors laissez-moi… si vous ne voulez rien entendre !

 

Marcel            Vous savez où me trouver. Il retourne dans son placard.

 

Madame se dirige vers le téléphone. Elle pose sa main sur le combiné, hésite, puis la retire. Elle s'assied sur son lit. Fait mine de réfléchir. Puis se lève et retourne vers le téléphone. Elle pose sa main sur le combiné et au moment de décrocher, il sonne. Elle hésite et décroche.

 

Madame         Madame de Saint-Vincent ? […] Souriant, oh bonjour Monsieur Noisetier. […] Je vais très bien, merci. Et vous? […] Allons tant mieux. […] C'est très aimable de vous en soucier. Mon séjour se passe à merveille. […] La période? […] Oui… mais j'avais justement besoin de calme durant les Fêtes de fin d'année. Et les passer dans votre hôtel m'a fait du bien. Le repas du 31 était délicieux. Tout le personnel a été très chaleureux! Et Marcel également. […] Eh bien Marcel… Oh, mais j'imagine que vous ne connaissez pas les prénoms de tous vos employés, il y en a tellement. Je vous parle de Marcel, mon valet de placard.[…] Oui, mon valet de placard… Le valet qui demeure dans mon pl… dans mon placard pour être à ma disposition nuit et jour… et qui… qui s’appelle Marcel… Sur cette phrase, Madame commence à comprendre que c'est faux, ses mots deviennent hésitants, elle peine à continuer. […] Vous n'avez jamais mis en place un tel service…? Oui, oui, bien sûr… […] Non, non, non, je plaisantais… Pardon Monsieur Noisetier, j'ai… j'ai eu une journée particulièrement éprouvante… Tout se passe à merveille… il n'y… il n'y a personne dans mon placard et je suis très bien dans votre établissement. […] Oui, merci, bonne soirée à vous. Madame raccroche et regarde le placard. Elle fait un pas, puis se ravise. Elle ouvre la bouche, puis la referme. Finalement, elle appelle.

 

Madame         Marcel?

 

Marcel            Sortant du placard, oui Madame?

 

Madame         Je viens de raccrocher.

 

Marcel            Cela s'est passé comme vous le souhaitiez?

 

Madame         Je… je n'ai pas eu le temps de composer le numéro. Le téléphone a sonné.

Marcel            Ah…? Et c'était lui?

 

Madame         Non… c'était Monsieur Noisetier… un des directeurs de l’hôtel.

 

Marcel            Ah…

 

Madame         Figurez-vous qu'il voulait savoir comment se passait mon séjour dans son          hôtel.

 

Marcel            C'est… c'est très aimable à lui.

 

Madame         En effet… très…

 

Marcel            Oui… très…

 

Madame         Marcel?

 

Marcel            Madame…?

 

Madame         Vous… vous n'avez rien à me dire, Marcel?

 

Marcel            A vous dire, Madame…? Silence, que pourrais-je bien avoir à vous dire?

 

Madame         Vous n'avez rien à me dire, vraiment? Vous serez donc surpris d'apprendre         que Monsieur Noisetier ne compte aucun "Marcel" dans ses employés… Vous              serez donc surpris qu'il m'ait dit ne pas connaître le concept même du valet             de placard, qu'il a trouvé être une brillante idée, entre parenthèses… et qu'il                 m'a littéralement prise pour une folle (le ton monte) quand je lui ai dit que        dans le placard de ma chambre, il y avait bel et bien un "Marcel" qui se disait                     "valet de placard" et que je trouvais chaleureux de surcroît!

 

Marcel            Madame…

 

Madame         Oh, vous pouvez arrêter de m'appeler Madame… Il n'y a pas de formule de        politesse pour les squatteurs de placard…

 

Marcel            Laissez-moi une chance de vous expliquer…

 

Madame         Qui êtes-vous Marcel? D'ailleurs, Marcel… est-ce bien votre nom?

 

Marcel            Oui… je m'appelle Marcel Clément… je suis un sans abri… L'hiver était froid…

 

Madame         Insolente, forcément, Monsieur… nous ne sommes pas aux Bahamas!

 

Marcel            Vous n'avez pas besoin d'être méchante… laissez-moi…

 

Madame         Ne me dites pas ce dont j'ai besoin ou non! Vous êtes un intrus dans ma            chambre d'hôtel! Cela fait trois semaines que je cohabite avec un parfait     inconnu et… bon sang, je vous ai laissé dormir dans la même pièce que moi toutes ces nuits!

 

Marcel            Et alors? Vous ai-je fait du mal?

 

Madame         La question n'est pas là!

 

Marcel            Si, bien sûr qu'elle est là! Jugez-moi sur mes actes et non sur ce qui n'est pas    arrivé! Madame, durant trois semaines, vous avez fait confiance à "Marcel,                      le valet de placard ». Pourquoi? Simplement parce qu'il avait un travail? Parce         qu'il occupait une place dite respectable?

 

Madame         Tout cela était faux, vous n'êtes qu'un sans-abri!

 

Marcel            Et alors? Durant tout le temps passé ici, ne vous ai-je pas aidée chaque fois      que je le pouvais? Lorsque vous êtes arrivée, j'ai été pris de court. J'ai inventé                    cette histoire de placard de peur de finir entre les mains de la police ou de    retourner mourir de froid sur le trottoir.

 

Madame         C'est pourtant là qu'est votre place, sur le trottoir!

 

Marcel            Oh Madame… ne m'entraînez pas sur ce terrain-là!

 

Madame         Pourquoi? Mais si, au contraire! Puisque tout jusqu'ici n'était que mensonge…   Passons à la vérité! Je suis sûre qu'elle doit être passionnante! Avez-vous        vraiment une fille? Où n'était-ce qu'une photo découpée dans un           catalogue qui servait à vous tenir chaud, dans la rue?

 

Marcel            Oui, c'est ma fille! Et si vous tombez dans le fameux cliché du "le clochard au   coin de la rue, il a mérité ce qui lui arrive, qu'il y reste et qu'il crève…", c'est                       que je me suis trompé sur vous!

 

Madame         N'inversez pas les rôles!

 

Marcel            Cela vous paraîtra sûrement impossible, vous, pour qui la chance est un pain quotidien… Mais moi, je n'ai fait qu'empiler les tuiles! La déveine, la guigne, la scoumoune, si vous préférez… J'ai été viré du jour au lendemain… Délocalisation de l'entreprise… on coûte trop cher ici, alors bam! Allons exploiter les chinois… C'est moi qui entretenais ma petite famille… Ensuite, avec le marché du travail actuel… je n'ai pas réussi à retrouver du boulot… et est-ce que ma femme se serait décidée à m'aider? A réduire son train de vie et à, pourquoi pas? chercher du travail, elle aussi? NON! Non… ça n'aurait pas été "amusant"… Donc petit à petit, j'ai vendu des affaires auxquelles je tenais, pour payer les factures… Ensuite, il a fallu renoncer à la maison que nous avions achetée… impossible de rembourser le prêt. Et là, ma femme a voulu déménager… mais sans moi. Elle est partie habiter ailleurs, me laissant seul dans une maison presque vide… et à vendre qui plus est… chaque fois que je montais les escaliers et que je passais devant la chambre vide de ma fille, un éclat de verre supplémentaire venait me meurtrir le cœur … Après, il a fallu payer une pension à ma femme… elle a pleuré devant le juge… elle a dit qu'elle avait sacrifié une brillante carrière dans le marketing pour élever notre fille! C'est elle qui voulait un enfant! Je l'ai désiré aussi… mais… bref! Elle a parfaitement su écrire SA version de notre vie pour en faire une spéciale dédicace au juge et "gagner" le divorce… comme elle se plaît à le dire… Entre sa pension à elle, celle de ma fille, les dettes qui se sont accumulées… je me suis trouvé pressé comme un citron… Moi qui avais un poste de cadre dans une usine qui fabrique des machines pour plier les cartons… je me suis retrouvé à la rue… dans un carton. Vous noterez l'ironie du sort…

 

Madame         Mais il y a des moyens, des aides, des…

 

Marcel            Madame… avez-vous seulement une fois… une seule petite fois… manqué de    quelque chose?

 

Madame         Non…

 

Marcel            J'espère que vous comprendrez maintenant, pourquoi je ne mérite pas    totalement la situation qui est la mienne.

 

Madame         J'ai… j'ai eu votre version des faits. Et vous avez beau avoir des explications, ce            ne sont pas des excuses au fait que vous m'ayez menti durant 3 semaines! Je           vous ai laissé seul dans ma chambre à maintes reprises, vous auriez pu voler          tout ce qui vous plaisait.

 

Marcel            L'ai-je fait ? Madame le regarde, sans mot dire. Et pour autant, ai-je pris ne serait-ce qu'un morceau de sucre sur votre      plateau de thé? Ai-je mangé un seul biscuit sans que vous m'y invitiez?

 

Madame         Au diable les biscuits et le sucre! Je vous ai parlé de mes états d'âme et… de    ma vie privée…

 

Marcel            Je vous ai aussi parlé de la mienne.

 

Madame         Oui, mais la vôtre… c'est… c'est… différent…

 

Marcel            C'est moins important, c'est ça? Parce que je ne suis pas de sang royal? Parce que je n'ai pas un compte en banque rempli à ras-bords, qui me permet de    m'acheter un nombre incalculable de conneries dont je n'ai même pas            besoin ? Comme une boîte à chapeau, sans chapeau ? Je n'ai même pas de

casquette, Madame!

 

Madame         Je vous ai fait confiance ! Et vous n’avez fait que de me mentir !

Marcel            Moi aussi, je vous ai fait confiance ! J’ai fait confiance à une gamine de quoi, 35 ans ? Qui n’a rien d’autre à foutre de ses journées que de dépenser l’argent de son mari ? Qui, comme mon ex-femme, est bien heureuse d’avoir ce train de vie, mais si elle pouvait se débarrasser du boulet, ça ne serait pas un mal ! Vous avez TOUT Madame, TOUT ! Imaginez ce que c’est, pour moi, qui n’ai RIEN, de vous écouter vous plaindre parce que les biscuits qu’on vous sert ne sont pas parfumés au safran !

 

Madame         Et quoi ? C’est à moi de payer, parce que vous n’avez pas eu de chance ?

 

Marcel            Pourquoi pas ? En général, on appelle ça de la solidarité… mais j’imagine que c’est un gros mot dans votre dictionnaire de la parfaite petite bourgeoise !

 

Madame         Sortez!

 

Marcel            Laissez-moi au moins rester jusqu'au matin, il gèle deh…

 

Madame         Sortez!

 

Marcel            Mais…

 

Madame         Si vous sortez sans faire d'histoire… je ne dirai rien à l'hôtel… et je laisserai       votre ami François en dehors de ça… car j'imagine qu'il est votre complice,    François…

 

Marcel            Oui, il a commis le crime de me venir en aide… Oh, le diable ait son âme!

 

Madame         Epargnez-moi vos petits pics cinglants… ils ne m'atteignent pas…

 

Marcel            Mais y a-t-il vraiment quelque chose qui vous atteigne… ? Madame…

 

Madame         Adieu, Monsieur.

 

Marcel            Adieu… Madame… Marcel sort et ferme la porte derrière lui.

 

NOIR

 

ACTE II – Scène 4

La scène est plongée dans la nuit, légère lueur pour que l’on distingue le décor, on aperçoit juste de la lumière par l’entrebâillement de la porte de la salle de bain. On entend des bruits d’eau, de mouvements à la salle de bain. Madame chantonne. La porte de la chambre s’ouvre lentement. Une silhouette se glisse dans la chambre, tout de noir vêtue. Elle avance lentement en direction de la salle de bain et jette un œil par l’entrebâillement. Elle tend la main délicatement vers la poignée et ferme la porte doucement. Elle avance en direction des boîtes à chapeaux empilées, il y en a 4 maintenant. La silhouette les prend délicatement, mais elles sont hautes et la colonne se déstabilise rapidement. Après avoir essayé de les garder empilées, elles finissent par tomber, faisant du bruit. La silhouette se précipite hors de la chambre. Madame sort rapidement de la salle de bain.

 

Madame         Allumant la lumière, qui est là ? Marcel ? Elle aperçoit les boîtes à chapeaux parterre. Mais… ? Elle va vers la porte d’entrée de la chambre et hésite à l’ouvrir. Finalement, elle tourne le verrou. Un simple courant d’air… on va dire…

 

NOIR

ACTE II – Scène 5

Lumière il y a une valise ouverte et très pleine sur le lit. On toque à la porte de la chambre. Pas de réponse. On toque une seconde fois, puis Gilles/Mona entre, avec un plateau. Il/elle jette un coup d’œil, il n’y a personne dans la chambre. Il/elle pose rapidement le plateau sur la table.

 

Gilles/Mona   A nous deux mon gaillard…

 

Il avance à pas feutrés en direction du placard et s’arrête pour sortir un gros os de sa veste.

 

Gilles/Mona   Hé hé hé, on verra si tu aboies toujours autant quand tu auras vu ça ! Et moi, je verrai enfin à quoi tu ressembles !

 

Il/elle pose la main sur la poignée et s’étonne de ne rien entendre. Il/elle ose un petit « Ouaf ». Puis un plus gros « Ouaf ». Toujours rien.

 

Gilles/Mona   Oh non… ne me dites pas qu’il est… il/elle ouvre le placard. Il est vide. Mais… ? Mais où est-il ? Et Madame ne l’a pas pris avec elle, je l’ai vu partir seule.

A moins que… mais oui… s’il s’agit d’un chien qu’on peut rouler en boule, elle l’a mis dans son sac à main !

 

On entend le pass et la porte s’ouvre. Madame entre avec un tout petit sac.

 

Madame         Etonnée, Will/Mia ?

 

Gilles/Mona   Je… je… suis… ah oui, le thé, bien sûr le thé ! Je suis venu amener le thé. Voilà, donc… le… hem… le thé.

 

Madame         Je vous remercie mon/ma petit/e Will/Lia. Sa chaleur me fera du bien, il fait un vrai froid de canard dehors…

 

Il/elle essaie de loucher dans son sac pour voir s’il y a un chien. Madame ne remarque pas tout de suite. Gilles/Mona lui tourne autour pendant qu’elle parle et enlève son manteau.

 

Madame         Bill/Léa?

 

Gilles/Mona   Oui, Madame?

 

Madame         Pourriez-vous prévenir la réception que mon séjour prendra fin demain matin ?

 

Gilles/Mona   Oh non, vous nous quittez déjà ? Après 6 semaines ?

 

Madame         Eh bien oui… mais ne vous inquiétez pas, je reviendrai !

 

Gilles/Mona   Avec joie, Madame. Il/elle a la tête complètement de travers pour voir dans son sac  à main.

 

Madame         Phil/Luna, vous allez bien ?

 

Gilles/Mona   Hem… oui, Mad… Madame… parfaitement… Juste un problème d’oreille interne…

 

Madame         Navrant… j’espère que votre service est bientôt terminé, que vous puissiez vous reposer.

 

Gilles/Mona   Oui Madame, ma dernière tâche était de venir vous amener le thé.

 

Madame         Bien, alors rentrez donc chez vous.

 

Gilles/Mona   Oui, Madame. Ah et Madame, avez-vous besoin d’aide pour vos bagages ? Je peux peut-être descendre déjà ce gros paquet à l’office… il/elle fait mine de prendre le gros carton.

 

Madame         Non ! Plus calme, non merci… je préfère qu’il reste là. Vous direz à François de le descendre demain, au moment où je partirai.

 

Gilles/Mona   A votre service, Madame. Il/elle va pour partir.

 

Madame         Ah, Gilles/Mona ?

 

Gilles/Mona   Ne réalise pas tout de suite, hein ? Ah, Gilles/Mona ! C’est moi ! Oui, Madame ?

 

Madame         Demandez à François de monter, s’il vous plaît.

 

Gilles/Mona   Bien Madame. Il/elle se retourne, à lui/elle-même, j’étais sûr qu’il y avait anguille sous roche ! Il/elle sort.

 

Madame va vers le lit et ferme le rabat de la valise. Elle tente de la fermer, sans succès. Elle est délicate dans ses mouvements, on voit qu’elle n’a pas l’habitude de faire les choses de ses propres mains.

 

Madame         Oh mais ça n’est pas vrai ! Marcel ? Marcel ? Elle prend conscience, suis-je bête… Elle s’assied sur le lit, il n’y a plus de Marcel… C’est fou la vitesse à laquelle on prend des habitudes. Ce qui est encore plus fou, c’est qu’il ne me manque pas que pour fermer ma valise… non… ça, n’importe quel employé de l’hôtel peut le faire. Et qui plus est, sans me dire si telle ou telle chose que je mets dans ma valise est purement inutile. Alors ça! Voilà bien une chose qui ne manque pas ! Non mais… si j’ai envie de m’acheter quelque chose, je n’ai pas à me justifier auprès du premier sans-abri qui passe ! Depuis qu’il est parti… je ne l’ai jamais recroisé. J’ai pourtant fait le tour des zones connues pour abriter ces pauvres bougres. Mais rien… pas de trace de Marcel. En fait, je le cherche  pour lui réclamer la paire de chaussettes que je lui ai achetée. Non, parce que… après tout, c’est MA paire de chaussettes… il faut bien que je la récupère… c’est lui qui avait un trou à SA chaussette et j’ai « dû » lui  acheter des chaussettes… je ne pouvais décemment pas lui en acheter une seule, donc j’ai pris une paire. Ce qui fait, qu’il me doit deux chaussettes !

 

On toque à la porte. Madame va ouvrir, François entre sur le pas de porte.

 

ACTE II – Scène 6

François          N’osant la regarder dans les yeux, vous… vous vouliez me voir, Madame ?

 

Madame         Oui, entrez François.

 

Il entre et reste près de la table. Il garde la tête baissée.

 

Madame         François, c’est étrange… depuis quelques temps, je ne vous vois plus. Quand je commande un thé, ça n’est plus jamais vous qui me l’amenez… pareil pour le linge de la blanchisserie… et quand je traverse le hall de l’hôtel, vous vous cachez derrière le comptoir de la réception…

 

François          Moi, Madame ? Oh non… il ne doit s’agir que de… de… d’une coïncidence… Il y a beaucoup de clients dans l’aile ouest… j’y suis donc plus souvent qu’ici…

 

Madame         Et votre soudaine manie de fermer les portes de l’ascenseur quand vous me voyez arriver ?

 

François          Il lève la tête. Nooon ? J’ai fait ça ? Oh mais alors, là, je suis désolé… vraiment désol…

 

Madame         L’interrompant, arrêtez de vous moquer de moi !

 

François          Bien Madame, il rebaisse la tête.

 

Madame         Vous n’êtes pas en position d’être insolent ! Vous avez commis une faute grave. Et vous pouvez vous estimer heureux que je n’en aie pas référé au directeur… pour l’instant. Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ?

 

François          Tout s’est joué à quelques minutes près… et une fois que vous étiez dans la chambre, je ne savais plus comment en faire sortir Marcel… Il a eu l’idée de se faire passer pour votre valet et… nous avons tous les deux espéré que l’histoire se terminerait bien. C’était optimiste, je vous l’accorde…

 

Madame reste silencieuse.

 

François          Vous… vous ne dites rien, Madame ?

 

Madame         Je suis partagée…

 

François          Entre quoi et quoi, Madame ?

 

Madame         Entre l’envie de vous tordre le cou, pour m’avoir délibérément fait cohabiter avec un clochard que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam… et mon inquiétude pour lui… pour Marcel. Depuis qu’il est reparti d’où il venait… je me demande comment il survit, où il dort… est-ce qu’il mange ? Et ça m’énerve ! Je n’ai aucune raison de m’en faire pour lui… Il m’a dit des mots odieux, il m’a menti et a profité de la situation pendant des semaines… il veut toujours avoir raison… il avait un trou à sa chaussette… il… il… il…

 

François          Il va bien.

 

Madame         C’est vrai ???

 

François          Oui, Madame.

 

Madame         Mais il… je veux dire… il va « vraiment » bien ?

 

François          Il a connu mieux… Mais c’est un battant Marcel… il s’en sortira.

 

Madame         Est-ce qu’il… il aurait besoin de quelque chose ?

 

François          Il dort sous les ponts, donc non, de rien… ah si, un couvre-théière lui serait utile…

 

Madame         Stop François, stop ! Nous n’en sommes toujours pas au point où c’est à vous de me donner des leçons ! J’ai été gentille jusqu’à présent, mais n’oublions pas quelle est notre place. Alors s’il vous plaît, sachez tenir votre langue et appréciez la chance que vous avez. Je n’ai rien dit, mais j’en ai le pouvoir. J’ai été compréhensive, mais j’ai mes limites.

 

François          Vexé, bien… Madame…

 

Madame         Veuillez donc me répondre… est-ce que Marcel a besoin de quelque chose ?

 

François          En ouvrant la porte, demandez-le lui vous-même. Marcel est derrière la porte.

 

Madame reste bouche bée, François sourit discrètement et sort.

ACTE II – Scène 7

Marcel            Madame…

 

Madame         Marcel… entrez…

 

Il entre et ferme la porte derrière lui. Il est habillé en clochard et porte un sac plastique troué dans sa main.

 

Marcel            J’ai appris que vous partiez. Il dépose son chapeau sur la table.

 

Madame         Oui… je quitte l’hôtel demain matin.

 

Marcel            Ah… c’est bien…

 

Madame         Oui… c’est… c’est bien…

 

Un temps, ils sont un peu gênés tous les deux.

 

Marcel            Je suis venu pour…

 

Madame         L’interrompant, oui ?

 

Marcel            Pour vous rendre ceci, Madame. Il lui tend le sachet plastique.

 

Madame         Visiblement surprise, elle prend le sachet du bout des doigts. Qu’est-ce que c’est ?

 

Marcel            La paire de chaussettes que vous aviez achetée, Madame. Et elles sont propres.

 

Madame         Vous plaisantez ?

 

Marcel            Jamais avec les chaussettes…

 

Madame         Pourquoi tenez-vous à me rendre ceci ?

 

Marcel            Eh bien parce que ce sont les vôtres.

 

Madame         C’est vrai que j’aurais une allure sensationnelle si je portais ces chaussettes ! Que voulez-vous que j’en fasse ?

 

Marcel            Vous pouvez transformer votre boîte à chapeau sans chapeau, en boîte à chaussettes, avec des chaussettes !

 

Madame         Oh, arrêtons de tourner autour du pot, voulez-vous ?

 

Marcel            Autour de la boîte… s’il vous plaît…

Madame         Pourquoi êtes-vous venu ?

 

Marcel            Pourquoi vouliez-vous savoir si j’avais besoin de quelque chose ?

 

Madame         Vous écoutez aux portes ?

 

Marcel            Vous parlez toujours aussi fort !

 

Madame         Aaaah ! Vous m’énervez !

 

Marcel            Tant que je ne vous ennuie pas…

 

Madame le foudroie du regard.

 

Marcel            Qu’est-ce qu’il y a, Madame ?

 

Madame         Et arrêtez avec votre « Madame » ! Dans votre bouche, c’est aussi ridicule que… que… que je-ne-sais-quoi, mais c’est ridicule !

 

Marcel            ça fait plaisir… Je suis venu parce que François m’a dit que vous partiez.

 

Madame         Et alors ?

 

Marcel            Et alors, je voulais vous rendre vos chaussettes et c’est chose faite.

 

Madame         C’est le caniveau qui vous donne envie de faire des rimes ?

 

Marcel            En matière de poésie, j’en connais une qui aurait besoin de quelques leçons… Au revoir… Il se retourne en direction de la porte.

 

Madame         Non ! Restez…

 

Marcel            Il se tourne à nouveau en direction de Madame. Vous êtes quand même une petite gamine capricieuse…

 

Madame         Si c’est pour me traiter comme cela, vous pouvez vous en aller, en effet.

 

Marcel            Ok, temps mort ! Rangeons un instant nos fusils et essayons de discuter calmement…

 

Madame         Soit…

 

Marcel            J’ai appris que vous partiez et… et j’avais envie de vous revoir. Nous avons partagé des moments forts, ça n’a pas duré longtemps… mais ça a compté, pour moi. Peut-être bien que nous ne serons plus jamais amenés à nous revoir, mais je ne voulais pas que nous en restions sur une dispute aussi absurde.

Madame         C’est vrai que… vous êtes parti sans même me présenter vos excuses.

 

Marcel            Et les vôtres, d’excuses… je les attends aussi !

 

Madame         Ah ! Alors là, c’est fort !

 

Marcel            Vous n’avez pas été aimable… et pas très polie… c’est indigne de votre « rang ».

 

Madame         C’est vrai que c’est plutôt digne du vôtre, de rang !

 

Marcel            Attention, vous recommencez !

 

Madame         Alors, ces excuses ?

 

Marcel            Je vous les présenterai…

 

Madame         Ah !

 

Marcel            Mais vous d’abord…

 

Madame         Comment ?

 

Marcel            Bien oui, les dames d’abord…

 

Madame         Mmmmh ! Bien… Marcel… veuillez m’excuser si les mots ont dépassés ma pensée l’autre jour… je n’aurais pas dû vous parler comme cela, pour elle, même si vous le méritiez…

 

Marcel            Je vous ai entendue…

 

Madame         Grand sourire hypocrite, à vous !

 

Marcel            Pardon Madame… de vous avoir menti et d’avoir abusé de votre confiance.

 

Madame         Je vous pardonne…

 

Marcel            Merci… ma chère… Bien… voilà une bonne chose de faite. Alors je vous souhaite une bonne suite… que l’avenir rayonne pour vous, Madame…

 

Madame         Merci…

 

Marcel va pour partir, il ouvre la porte.

 

Madame         Marcel ?!

 

Marcel            Oui, Madame ?

Madame         Hem… à une prochaine ?

 

Marcel            Peut-être… nous n’étions déjà pas censés nous rencontrer mais c’est arrivé… alors qui sait ? Il va pour sortir.

 

On toque à la porte, Marcel sursaute et court se cacher dans le placard.

 

Madame         Mais… ? Qu’est-ce que vous faites ? Vous n’avez plus besoin de vous cacher… Elle peste et va ouvrir.

 

ACTE II – Scène 8

Une fois la porte ouverte, elle lève les mains au ciel et recule. Un individu vêtu de noir et masqué lui fait face et la fait reculer avec un pistolet à la main.

 

Madame         Que… qu’est-ce que vous voulez ?

 

Individu          Avec un accent corse, Les documents !

 

Madame         Non ! J’ai prévenu votre, heu… chef ? Je ne veux pas les donner ! J’ai changé d’avis ! Laissez-moi !

 

Individu          Trop tard ! Donnez-les-moi !

 

Madame         Non, votre patron a dit que c’était réglé ! Que je n’entendrai plus jamais parler de lui !

 

Individu          De lui, peut-être bien, mais moi, je ne travaille pour personne ! Alors donnez-les-moi ou je vous fais exploser le caisson !

 

Madame         S’il vous plaît… laissez-moi…

 

Individu          La ferme ! Et obéissez…

 

En faisant reculer Madame en fond de scène, en direction des boîtes à chapeau, l’individu tourne le dos au placard. Marcel, qui a tout entendu, l’ouvre discrètement. Il fait signe « chut » à Madame. Il sort du placard.

 

Individu          Vous allez sortir vos documents des boîtes et les mettre dans ce sac !

 

Madame         Mais… mais comment savez-vous qu’ils sont là-dedans ?

 

Individu          … Discutez pas ! Exécutions, doucement… sans geste brusque, sinon… « poum poum »

 

Madame s’exécute et commence à ouvrir une boîte. Elle fait exprès beaucoup de bruit.

Marcel avance et attrape un plateau (ou un vase, ou un autre objet) au passage, il le lève au-dessus de la tête de l’individu et l’assomme de toutes ses forces. Il tombe par terre.

Madame         Oh mon Dieu, merci… elle se précipite dans les bras de Marcel.

 

Marcel            Appelez-moi Marcel…

 

Madame         J’ai eu tellement peur !

 

Marcel            Calmez-vous… c’est terminé…

 

Madame         Mais… c’est qui ???

 

Madame s’écarte de Marcel, il s’accroupit et enlève le masque de l’individu qui gît par terre.

 

Madame & Marcel    Gilles/Mona ?

 

Marcel                        Mais… qu’est-ce qui lui a pris à celui-là/celle-là ?

 

Madame         Il faut appeler la police…

 

Marcel                        Oui, mais appelez François d’abord…

 

Madame prend le téléphone et appelle la réception.

 

Madame         Oui, demandez à François de monter en chambre 516, je vous prie. Ah parfait ! Elle raccroche. Elle le bipe, il est déjà sur notre étage. Bien et maintenant, la police.

 

Marcel                        regarde Gilles/Mona par terre en secouant la tête.

Un temps, François frappe à la porte.

Marcel va ouvrir, on entend Madame au téléphone.

 

ACTE II – Scène 9

François          Oui ?

 

Marcel                        Devine qui vient de faire irruption dans la chambre… armé… menaçant Madame avec son flingue pour voler les documents confidentiels !

 

François          Gilles/Mona ? C’est pas vrai !

 

Marcel                        Eh si…

 

François          Mais qu’il est con…/qu’elle est tarte pourquoi il/elle a fait ça ?

 

Marcel                        Le « pourquoi » est facilement déductible… mais le « comment » il/elle sait qu’il y a des documents à voler… c’est ça qui m’intéresse !

 

François          Gêné, ouais… hem… il se peut que je lui en aie parlé à une pause-café…

 

Marcel                        Raaaaa… François !

 

François          Comment voulais-tu que je me doute qu’il/elle allait faire une connerie pareille ?

 

Marcel                        Chuchotant, tu dis ça, alors que toi aussi, tu as suggéré d’en piquer, de ces papiers ?

 

François          Arrête, j’ai dit ça en l’air, en plaisantant… c’était pas sérieux… tu me  connais, enfin ! Et puis j’ai jamais eu l’idée de menacer qui que ce soit avec un flingue !

 

Madame         Les rejoignant, la police arrive.

 

François          En les attendant, je vais aller attacher Gilles/Mona quelque part… histoire qu’il/elle ne nous file pas entre les pattes…

 

Marcel                        Bonne idée…

 

François          Mais au fait… Marcel, si ce/tte brave Gilles/Mona nous quitte… ça veut dire qu’il/elle y aurait un poste à repourvoir à l’hôtel… plus comme valet de placard, mais de chambre, bêtement…

 

Marcel                        Ha ha, tu rigoles ! Mais ils ne voudront jamais m’engager !

 

Madame         Ah, moi, je parie que oui… si je suis votre référence… on va dire vous avez été à mon service des années durant, vous êtes quelqu’un de très qualifié… de parfaitement recommandable ! Faire un faux certificat… je commence ma carrière de faussaire !

 

Marcel                        Ok, ok, on verra ça…

 

Madame         C’est tout vu ! Comme ça, vous savez ce que vous allez faire, maintenant !

 

Marcel                        Peut-être… et vous, Madame, qu’allez-vous faire ?

 

Madame         Marcel… j’ai décidé de rentrer chez moi demain.

 

Marcel                        Ah…

 

Madame         Oui… pour affronter Baptiste… et lui dire que c’est fini.

 

Marcel                        Ah ?

 

François          Souriant, je vous laisse… je vais attacher Gilles/Mona solidement au radiateur de la salle de bain. Il s’arrête, jamais je n’aurais cru dire ça un jour…

 

Madame         Je vais lui rendre ses papiers. Vous m’avez convaincue… ça n’est pas la solution…

 

Marcel                        Heureux de vous l’entendre dire.

 

Madame         J’ai tout de même quelques petites économies… alors j’ai loué un appartement, pas loin d’ici.

 

Marcel                        Ah oui ? Vous venez vous installer dans le coin ?

 

Madame         Oui… et j’aimerais beaucoup que vous acceptiez une nouvelle colocation avec moi.

 

Marcel                        Pas de problème ! Montrez-moi où est le placard !

 

Madame         Riant, je suis sérieuse… Vous avez besoin d’un toit et j’en ai un à partager.

Je pense que j’ai plus de chance d’être heureuse dans votre vie que vous dans la mienne.

 

Marcel                        Il la regarde intensément, Madame…

 

Madame         Marcel, depuis votre départ… je n’ai fait que de penser à vous… je ne dormais plus de ne pas savoir où vous aviez pu aller… ce qui vous était arrivé… Nous nous connaissons très peu, c’est évident. Mais… je sens que nous ferions une énorme erreur de laisser nos deux chemins se séparer… alors que nous avons de la chance, s’ils se sont croisés…

 

Marcel                        Heu… et vous proposez de faire connaissance… en habitant sous le même toit ?

 

Madame         Dans notre cas c’est purement et simplement une question de logistique… alors mêlons l’utile à l’agréable…

 

Marcel                        D’accord alors… mais en tout bien, tout honneur… au début au moins ! Il s’approche d’elle, lui retire une mèche de cheveux du visage. J’ai encore beaucoup à apprendre sur vous… Madame… mais je sais au moins déjà que je devrai veiller à ce qu’il y ait toujours du sucre pour votre thé… !

 

Madame         Marcel, je… ne mets jamais de sucre dans mon thé… elle sourit.

NOIR

FIN


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