ACTE I
Le rideau est fermé. Par l'entrebâillement à gauche apparaît la tête de Donatienne.
DONATIENNE : Psst ! Psst ! Clémentine ! Clémentine ! T'es là ? Clémentine !
(Par l'entrebâillement central apparaît Clémentine.)
CLEMENTINE : Maman ! Qu'est-ce que tu fais là ? Va-t'en, tu vas tout faire rater !
DONATIENNE : Il t'a parlé ?
CLEMENTINE : Evidemment qu'il m'a parlé ! Fous le camp, il est parti chercher sa voiture, il va revenir, tu vas tout faire rater, j'te dis !
DONATIENNE : Il t'emmène chez lui ?
CLEMENTINE : Ben où tu voudrais qu'il m'emmène ? Chez le dentiste ?
DONATIENNE : Et c'est loin chez lui ?
CLEMENTINE : A Paris, c'est tout c'que je sais !
DONATIENNE : C'est que j'ai p'us trop d'essence...
CLEMENTINE : Tu pouvais pas y penser avant, et faire le plein ?
DONATIENNE : Faire le plein ! T'as des sous, toi ?
CLEMENTINE : Si j'avais des sous, on serait pas obligées de...
(Bruit de moteur. Deux petits coups de klaxon.)
(derrière elle) Oui, j'arrive ! (A sa mère.) Bon, le pigeon s'impatiente, j'y vais ! Tu nous suis discrètement, pas en échappement libre comme la dernière fois ! T'as bien l'appareil photo ? (klaxon) Ouais, ça vient ! (A sa mère.) Pis tu m'laisses pas des plombes avec lui, il m'a l'air sacrement sous pression ! Au fait, et Bébé ?
DONATIENNE : T'en fais pas, il est chez Mado. Allez, j'y vais. Pis tâche voir quand même, que ça soye un peu compromettant pour la photo. La dernière fois, avec l'autre, z'aviez l'air aussi intimes que deux divorcés à la conciliation ! Tu parles si c'est facile, après, pour négocier ! Et t'inquiète pas, j'vous file le train...
(Donatienne disparaît. Klaxon.)
CLEMENTINE : (disparaissant à son tour) J'arrive, me v'là ! (Voix off.) Je téléphonais à ma mère pour lui dire qu'elle m'attende pas pour manger.
(Claquement de portière, ronflement d'une auto qui démarre et s'éloigne. Puis bruit d'un moteur qui refuse de démarrer.)
Voix off de DONATIENNE : Merde ! Merde ! C'est pas vrai ! La panne sèche ! Saloperie de bagnole ! (Criant) Clémentine, ma chérie ! Ça risque d'être plus long que prévu !
(Le rideau s'ouvre sur un intérieur cossu. Table, chaises, deux fauteuils. Au mur, quantité de photos encadrées d'un danseur de ballet et du même, en danseur mondain. Dans un coin un buste d'éphèbe. Près de la porte à droite une haute plante d'intérieur dans un bac.)
Entrée de Fred (élégant et maniéré à l'excès), précédant Clémentine (blouson en jean, minijupe et bustier qui lui découvre le ventre.)
FRED : Voilà, c'est ici.
CLEMENTINE : Ah ben, c'est pas mal chez vous ! Cool Raoul, comme qui dirait ! Une propriété comme ça à Neuilly, ça doit salement taxer ! Nous, on vit dans une vieille caravane. Mais, c'est parce qu'on veut bien, attention ! Ma mère elle dit comme ça qu'en caravane c'est mieux qu'en appartement, où c'est qu'on entend les voisins se moucher ou tirer un coup... un coup de pied au chien, ou au chat !
FRED : (empressé, prenant son blouson au col et à l'épaule) Je vous débarrasse ?
CLEMENTINE : (se dégageant) Oui ben calmos, ça urge pas à ce point-là...
FRED : (effarouché) Je... Pardon, installez-vous. Je... j'avais préparé un rafraîchissement. (Il sort, gêné.)
(Dès qu'il est sorti, elle fonce vers la porte, l'entrebâille.)
CLEMENTINE : (d'une voix étouffée) Maman, t'es là ? Maman ?
(Retour de Fred, elle sursaute, et s'éloigne de la porte en s'efforçant de paraî-tre naturelle.)
FRED : (ridiculement maniéré) Vous prendrez de la glace avec votre Maracuja ?
CLEMENTINE : (encore troublée) Ben... avec de la glace, ça doit se fumer moins bien, non ?
FRED : C'est un cocktail...
CLEMENTINE : Oui bon, ben oui, de la glace, évidemment de la glace, quelle question ! Je prends toujours de la glace avec mes cocktails, ça coule de soi !
(Il sort, ondulant. Elle retourne à la porte.)
Maman, Maman, t'es là ?... Mais qu'est-ce qu'elle fout encore !
(Elle laisse la porte entrouverte, va vers le fauteuil, prend des poses, ôte son blouson, pose encore. Au retour de Fred portant plateau et verres, elle a trouvé l'attitude exagérément alanguie qu'elle cherchait.)
FRED : Je... Bon, bien voilà.
(Il dépose le plateau, lui tend un verre, prend le sien, et s'assoit à l'écart, sur l'autre fauteuil.)
FRED : (visiblement mal à l'aise) C'est... c'est un cocktail sans alcool, j'ai pensé que... pour une jeune fille, c'était... c'était mieux... n'est-ce pas ?
CLEMENTINE : Oh ben oui, hein, l'alcool ça brouille le teint, et puis ça chauffe le sang, n'est-ce pas ? (Elle exagère encore sa pose aguichante.)
FRED : Et, vous vous... vous vous appelez comment ?
CLEMENTINE : Clémentine.
FRED : Vous êtes d'ici ?
CLEMENTINE : Non, d'Orange. Mais après on est venu ici.
FRED : Ah ?... Clémentine, c'est... c'est gentil comme nom.
CLEMENTINE : N'est-ce pas ? (Elle se lève et avec un déhanchement provocant marche jusqu'aux photos.) C'est vous là, sur les photos ?
FRED : Ah non, pensez-vous, c'est... c'est Monsieur Félix !
CLEMENTINE : (le singeant) Ah, c'est Monsieur Félix ?... Ben, dommage, moi je trouve ça beau, un danseur. Dis donc, là, le Félix, c'est pas avec la princesse Mélanie de Stéfano qu'il est en train de danser la marche ?
FRED : En effet. (Pouffant) Mais c'est une valse... Il a d'abord été premier danseur à l'opéra, puis ensuite Maître à danser dans la très haute société.
CLEMENTINE : Ben mon cochon, doit être plein aux as le Félix ! Il n'est pas ici ?
FRED : Non.
CLEMENTINE : Tant pis... (Ayant fait un détour vers la porte pour s'assurer qu'elle est entrouverte, elle revient s'asseoir, rapprochant son fauteuil de celui de Fred, très aguicheuse.) Et vous, c'est quoi votre petit nom ?
FRED : (comme effrayé) Fred.
CLEMENTINE : (câline) Frédéric ?
FRED : Alfred.
CLEMENTINE : (se rapprochant de plus en plus) Ah, c'est joli aussi. Et il fait quoi Alfred, dans la vie ?
FRED : (effrayé) Je... je suis le secrétaire particulier de Monsieur Félix. Vous... vous ne finissez pas votre verre ?
CLEMENTINE : (tout contre lui) Si. (Elle tend le bras, siffle son verre d'un trait, revient à Fred.) Et c'est bien payé, ça, secrétaire particulier ?
FRED : (à la torture) Oui, ça va. Vous... Je vous en sers un autre ? (Il veut s'esquiver.)
CLEMENTINE : (venant s'asseoir sur ses genoux) Reste-là ! C'est moi qu'il faut serrer. Ça se serre une Clémentine, ça se presse - Maman ! -, ça se comprime - Maman ! -, puis ça s'épluche lentement, ça se goûte, ça se lape, ça se déguste - Maman ! Mais qu'est-ce qu'elle fout ? -, ça se... Mais t'es en sueur, t'as trop chaud Fredo, faut ouvrir ta chemise...
FRED : (se dégageant et se levant) Je... j'ai oublié quelque chose dans la cuisine ! Restez-là, je... (Il se lève précipitamment. En aparté.) Elle est folle, cette fille ! (Il sort.)
CLEMENTINE : (trépignant de colère, puis se levant à son tour) Qu'est-ce qu'il fabrique ? Il s'est barricadé dans la huche à pain ou quoi ? Clémentine, ma fille, ton honneur est enjeu ! (Elle sort, côté cuisine.)
(Donatienne bondit sauvagement dans la pièce, ébouriffée, de la paille dans les cheveux, brandissant son appareil photo.)
DONATIENNE : Aah ! J'arrive ma chérie, c'est Maman ! Alors, saleté de racaille, surpris, hein ? Avec une mineure, ça va taxer ça, mon saligaud, ça va salement taxer ! (Eberluée, elle réalise alors que la pièce est vide.) Ben, où c'est-y qu'y sont-y ?
Voix off de CLEMENTINE : (en provenance de la cuisine) Non, non, pas ça ! J'vous interdis ! Non ! Tout, mais pas ça ! Non ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Je vous en prie, je vous en prie, non, non...
DONATIENNE : (réglant fébrilement son appareil photo) Le salopard, il est fait ! Attends que j'te règle cette saloperie de machin, et tu vas voir !
Voix off de CLEMENTINE : Non, par pitié, Monsieur Fred, non...
DONATIENNE : (poussant brutalement la porte du pied et flashant) Alors, racaille, avec une mineure ! T'es fait comme un rat ! Va s'agir de raquer ! Parce que, j'te l'dis, moi, pour être mouillé, eh ben là, t'es... (Elle prend alors le contenu d'un seau d'eau en pleine face*) ... salement mouillé !
(* Il pourra s'agir d'un fond de seau d'eau, d'un jet de siphon, ou simplement d'un verre d'eau, selon la tolérance aquatique de l'actrice, étant entendu que trop peu d'eau réduira évidemment l'effet comique.)
CLEMENTINE : (jaillissant de la cuisine) Ah, Maman ! Tu tombes bien !
DONATIENNE : (trempée, piteuse) Tu trouves ?
CLEMENTINE : Not' truc, c'est tombé à l'eau !
DONATIENNE : (revêche) C'est ce que j'ai cru comprendre...
CLEMENTINE : (montrant Fred qui apparaît, seau (ou siphon, ou verre) à la main) Ce malade voulait m'asperger, tu t'rends compte ?
DONATIENNE : Vaguement.
FRED : (d'une voix aiguë) C'est le seul moyen que j'avais trouvé pour éteindre ses ardeurs, à cette pétroleuse ! Désolé... A part ça, on peut savoir ce que vous faites ici, vous ?
DONATIENNE : Je dégouline. Ça se voit, non ?
FRED : Et l'appareil photo, le flash, ça rime à quoi ?
DONATIENNE : Tourisme, je travaille pour Cousteau.
FRED : (en colère) En eau trouble ! Quelque chose comme l'arnaque au chantage, c'est ça ? Vous me prenez pour qui ?
DONATIENNE : (récupérant) Mais pour c'que t'es, bougre de saligaud ! Un satyre qu'attire des jeunes filles mineures dans son repaire, pour assouvir ses instincts bestiaux !
FRED : En fait de bestiaux, vous m'avez l'air d'en faire une belle paire toutes les deux ! Et pas vraiment francs du collier !
DONATIENNE : Ho, hé, faudrait voir à pas trop faire de l'esprit de sel avec moi, hein ! Pa'c que n'empêche que ma fille, elle était seule ici avec toi, dans ce trou à rats où c'que c'est que tu l'avais amenée ! Une mineure pure jus ! Une vraie jeune fille !
CLEMENTINE : Maman...
DONATIENNE : Enfin, une jeune fille... Et le seau d'eau*, c'était pour quoi ? Pour que quand elle aurait été trempée, tu lui aurais proposé de faire sécher sa jupe et son tricot, hein ?
FRED : En tout cas, c'était pas pour les faire rétrécir. Pourraient pas plus.
CLEMENTINE : Maman, il...
DONATIENNE : Ah, provoque pas, p'tit gars, provoque pas ! Tu pourrais bien essuyer un gros orage !
FRED : Oui, bien en attendant, je ferais mieux d'essuyer par terre, avant que ça fasse gonfler le parquet. (Il sort.)
DONATIENNE : Et alors ? Ça f'ra jamais que d'noyer la vermine ! Non mais des fois !
CLEMENTINE : Maman, arrête, j'te dis, ça a pas marché, il a rien voulu savoir. Il m'a même pas fait du plat, rien !
DONATIENNE : Quoi ? Alors non seulement il amène ma fille chez lui, mais en plus il la drague pas ?! Il en serait pas un peu, des fois ?
CLEMENTINE : De quoi ?... Tu trouves pas que ça sent bizarre ?
(Retour de Fred armé d'un balai et d'une serpillière. Il entreprend d'éponger le sol.)
FRED : (balayant dans les pieds de Donatienne) Pardon. (Reniflant) Ça sent drôle, non ?
DONATIENNE : (s'écartant) Dis voir un peu le spongieux, elle te plaît pas ma fille, que tu lui fais le coup du mépris comme si que c'était un vulgaire boudin ? Hein, elle te plaît pas ?
FRED : Non.
DONATIENNE : Il a dit quoi, là, il a dit quoi ?
FRED : (s'arrêtant un instant) J'ai dit non. Non, elle ne me plaît pas. C'est tout. Et j'ajouterai que vous non plus vous ne me plaisez pas, encore moins qu'elle, vu qu'elle au moins, elle n'a pas de moustache et qu'elle n'a pas l'air d'un cheval de labour prêt à faire péter ses harnais.
DONATIENNE : Quoi ?! Quécécé qu'il dit, là ? Ah mais...
FRED : (hurlant) Ah mais rien du tout ! Estimez-vous heureuse que j'n'appelle pas la police ! Ce que j'aurais déjà fait, si ce n'était que Monsieur Félix m'a chargé de... Et puis allez vous changer, vous dégoulinez pire qu'une baleine dans un sauna ! Sans compter que... (Il se pince le nez.)
DONATIENNE : Ça y est ! J'en étais sûre ! Il nous veut ! Mais on me le fait pas, à moi, le coup du déshabillage à la...