Merci du cadeau

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Pourquoi René, après trente ans d’absence et de silence, revient-il soudain du Canada, immensément riche, pour se faire descendre dans l’auberge de sa soeur Pauline, en pleine partie de belote et sous les yeux de ses trois copains, Claude, Gilbert et Maurice… Pourtant habitués à raconter des blagues aux touristes et craignant de tomber dans le plus morne ennui après la fin de la saison estivale, les quatre amis n’en reviennent pas. D’autant que René, avant de s’écrouler sur leur table, leur a fait part de ses craintes d’être abattu et qu’il leur a fait promettre de veiller sur Anaïs, la nièce un tantinet naïve que sa soeur Pauline essaie désespérément de dégourdir, sans succès d’ailleurs, et dont il voulait faire son héritière.
Avoir un macchabée sur les bras et devoir, en prime, servir d’éducateurs et de gardes du corps à Anaïs…” Merci du cadeau ! ”

L’action se déroule de nos jours, au mois de septembre, après la saison estivale, quelque part sur la côte bretonne ou vendéenne. Un petit bar tabac faisant pension de famille.

NB: Un même acteur peut tenir 2 rôles: ceux de René et de Francis (soit 5h-5f)
On peut aussi changer le rôle du gendarme en gendarmette et occuper ainsi une actrice (soit 5h-6f)

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ACTE I

Un petit café bar pension de famille. A l’ouverture du rideau, Gilbert, Claude et Maurice sont assis à une table, près du bar et jouent à la belote en compagnie de Pauline, la patronne du bistrot. Visiblement, Pauline ne suit pas le jeu et se fait rappeler à l'ordre par ses copains.

GILBERT - Eh ben joue Pauline, c'est à toi !

PAULINE (absorbée dans ses pensées) - Hein ? Ah, c'est à moi !

MAURICE (comme une évidence) - Forcément que c'est à toi, puisque tu viens de faire le pli avec ton as de trèfle. (S'énervant.) Mais sois au jeu, bon sang !

PAULINE – Alors là, c'est carrément la poêle qui se moque du chaudron ! Je te rappelle, Maurice, qu'il y a quinze jours, c'est toi qui rêvassais devant ton jeu de cartes...

Elle va poser une carte et la partie va continuer, ponctuée d'arrêts, pendant la discussion.

GILBERT (confirmant) – Elle a raison. Tu rêvassais tellement qu'à cause de toi, on aurait presque pu figurer dans le livre des records.

CLAUDE – Ouais ! La partie de carte la plus longue du monde. Une matinée entière pour se taper un mille à la belote... Faut quand même le faire, c'est pas courant !

PAULINE – Quatre heures de réflexions, d'hésitations, de profondes méditations...

CLAUDE (lyrique et moqueur) – Joue-je ou joue-je pas ?... Dois-je poser une carte ?... Mettre ou ne pas mettre... ah ah, voilà la question !

GILBERT - Du jamais vu ! Même les vieux tremblotants du club du troisième âge, ils te ramassent ça plus vite que toi !

PAULINE – Tout ça parce que ta Gisèle te menait une vie de chien !

GILBERT – Et que monsieur Maurice, perturbé, broyait des idée noires.

MAURICE (se rebiffant) – Peut être, mais n'empêche que maintenant, elle file doux. J'ai bien repris la situation en main.

GILBERT (riant, aux autres) – Vous l'entendez ? Il a repris la situation en main ! (A Maurice, ironiquement.) Ça va, tu ne te sens pas trop gêné ?

CLAUDE – T'as pas l'impression qu'on y est un peu pour quelque chose dans l'apprivoisement de ta femme ?

MAURICE (un peu gêné) – Ben... c'est à dire que...

GILBERT (le coupant) – C'est à dire que si on ne t'avait pas fait passer pour un héros à ses yeux en lui racontant des exploits que tu étais bien incapable d'accomplir d'ailleurs, tu serais sans doute encore à faire la vaisselle ou le ménage chez toi, en ce moment !

PAULINE – Alors que maintenant, elle t'admire, elle te respecte, elle te vénère comme un dieu.

MAURICE (protestant mollement) – Vous exagérez les copains, y a pas que ça quand même...Elle trouve que j'ai une nature de héros, d'artiste, de mâle viril et conquérant...

CLAUDE – Fais gaffe à tes chevilles Superman, tu vas faire péter tes lacets de godasses !

GILBERT – Taratata ! Si on ne lui avait pas fait croire qu'au péril de ta vie, tu avais participé à l'arrestation d'un dangereux trafiquant de drogues...

CLAUDE – Et que tu avais reçu les plus hautes félicitations de la brigade des stupéfiants...

PAULINE – Eh ben tu ne serais pas ici, tranquillement, à taper le carton avec tes potes.

CLAUDE – Parce que ta Gisèle, elle aurait débarqué comme une furie dans l'auberge depuis déjà un bon moment pour t'emmener manu militari à la maison ! Je l'entends encore arriver dans l'auberge comme si c'était hier (Imitant la voix forte de Gisèle en détachant bien les mots.) : « Où il est ce fainéant de Maurice ? »

GILBERT (gentiment moqueur) – Et il était où le fainéant de Maurice, hein ?

CLAUDE (même jeu que Gilbert) – Planqué derrière le bar, par dessus lequel il avait sauté à toute vitesse pour échapper à son dragon de bonne femme...

PAULINE (en rajoutant une louche) – Vautré parmi mes casiers à bouteilles. (Ils éclatent de rire.)

MAURICE (protestant mollement) – Vous n'êtes pas très sympa de me rappeler ce dur moment de mon existence...

GILBERT – N'empêche que c'est une blague qui t'a drôlement rendu service. Tu es quand même redevenu maître chez toi.

CLAUDE (nostalgique) – Qu'est ce qu'on a pu se marrer cet été avec les touristes...

PAULINE (acquiesçant) – Les conneries que vous avez pu leur raconter.. Vous avez fait fort les gars ! Je me demande comment je peux encore avoir des clients après ça !

GILBERT (lui tapant sur le bras) – Oh, tu te souviens du parisien, le féru d'écologie, qu'avait tout vu, qu'avait tout fait...

MAURICE (le coupant) – On lui a fait croire que le taureau du père Basile, c'était la meilleure laitière de l'ouest...

CLAUDE (moqueur) – C'est tout juste s'il ne voulait pas assister à la traite cet innocent!

PAULINE (gentiment, presque avec regret) – Et cette pauvre demoiselle Crampon à qui vous avez conseillé la nouvelle plage des Mines pour y faire sa bronzette tranquille...

GILBERT (continuant l'histoire) – Et qui s'est pointée là-bas sans se douter qu'elle arrivait sur une plage pour nudistes...

MAURICE (revivant la scène) – Comme elle n'a pas osé rebrousser chemin, elle a été contrainte de se mettre à poil, comme tout le monde...

CLAUDE (précisant) – En ne conservant à la main que son journal...

PAULINE (même jeu que Claude) – Qu'elle n'a pas pu lire de tout l'après-midi d'ailleurs, vu qu'elle s'en servait pour cacher l'essentiel de son anatomie...

GILBERT (mimant) – Et sur ce journal qu'elle tenait pudiquement devant elle, tous les nudistes ont pu lire, à la une et en gros caractères : « Découverte d'une grotte préhistorique aux richesses insoupçonnables ! »

Ils rient tous de bon cœur.

MAURICE (nostalgique) – C'était le bon temps quand même !

CLAUDE (gentiment moqueur) – Tu te faisais engueuler à tour de bras par ta femme, mais qu'est ce qu'on se marrait !

PAULINE (amusée) – Maintenant que la Gisèle est calmée et que les touristes sont partis, qu'allez-vous faire en attendant la prochaine saison ?

GILBERT (dépité) – J'en sais rien. Tais-toi, tu me fous le bourdon ! Je sens que je déprime déjà...

MAURICE (espiègle) – A tout hasard, il ne reste pas un touriste égaré dans ta pension de famille... qu'on s'occupe un peu de lui ?

CLAUDE (espiègle lui aussi) – Juste histoire de ne pas perdre la main.

PAULINE (regardant vers l'escalier) – Ben...

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (posant leurs cartes, se levant ensemble et entourant Pauline, radieux) – Il t'en reste un ?

PAULINE (n'osant pas trop parler) – Ben... c'est à dire que...

Ils quittent la table, heureux, en se frottant les mains.

MAURICE (faussement sévère) – Il lui reste un touriste et elle ne voulait pas le dire...

CLAUDE (lui pinçant la joue) – Mais c'est qu'elle deviendrait cachottière notre Pauline...

GILBERT (au pied de l'escalier, tout émoustillé) – Qui c'est ?

CLAUDE (même jeu) – On le connaît ?

MAURICE (rigolard) – On s'est déjà occupé de lui ?

CLAUDE (comme un gamin avec un jouet) – Dis, tu nous le prêtes qu'on s'amuse encore un peu !

PAULINE (faussement sévère) – Non mais, quel âge vous avez les mecs ? Vous ne croyez pas qu'il serait temps d'arrêter de prendre mes clients pour des pokémones ou des playmobils !

CLAUDE ( la suppliant) – Pauline s'il te plaît, tu nous le prêtes ton dernier client de la saison ?

PAULINE (fermement) – Non, je ne vous le prête pas ! Et d'abord, ce n'est pas le dernier client de la saison, c'en est un nouveau qui est arrivé tard, hier soir !

GILBERT (emballé) – Un nouveau ? Chouette, on va le mettre au parfum sans tarder.

PAULINE (pleine de sous entendus) – Celui-là, il a dû en renifler pas mal de parfums et je ne suis pas certaine qu'il apprécierait beaucoup le vôtre...

Entrée d'Anaïs, côté rue. Elle porte un sac cabas rempli de provisions, légumes divers, viandes etc... C'est une jeune fille mignonnette, mais extrêmement naïve.

ANAIS (toute guillerette) – Bonjour tout le monde ! (Elle les regarde tous au pied de l'escalier.) Ah ben tiens, vous attendez tonton pour jouer à la belote ?

Ils se regardent tous sans comprendre.

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble) – Quel tonton ?

ANAIS (toute joyeuse) – Ben tonton René !

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble) – Quel tonton René ?

ANAIS (toute joyeuse, à Pauline) – Tu ne leur as pas dit que mon tonton était revenu ?

CLAUDE (montrant Anaïs) – Je croyais qu'elle n'avait plus d'autre famille que toi !

PAULINE (gênée, hésitante) – Ben oui, moi aussi je croyais...

CLAUDE (à Pauline) – Et que tu l'avais prise en charge à la mort de ta sœur !

MAURICE (confirmant) – Pour la sortir de l'ornière, compte tenu de son retard mental et de son échec scolaire...

PAULINE (gênée, hésitante) – Ben oui, mais...

ANAIS (rectifiant naïvement) – Échec scolaire, échec scolaire, alors là, vous poussez le bouchon un peu loin, monsieur Maurice ! C'est pas de ma faute si j'ai pas pu suivre mes études, elles allaient bien trop vite pour moi. Même les cours de rattrapage, eh ben j'ai jamais réussi à les rattraper alors...

GILBERT (à Pauline, montrant Anaïs) – Eh ben dis donc, t'as encore du pain sur la planche, la taille n'est pas belle !

PAULINE (un peu accablée) – Je crois qu'elle ne se rend pas compte de tout l'argent que je dépense pour ses études.

ANAIS (rectifiant naïvement) – Et encore t'as de la chance parce que je suis de celles qui étudient le moins, alors ça doit pas te coûter bien cher ! De toute façon je m'en fiche puisque mon tonton est de retour, il va m'apprendre plein de choses, lui !

CLAUDE (agacé) – Mais enfin, qui c'est ce tonton ?

ANAIS (naïvement heureuse) – Tonton René !

CLAUDE (essayant de rester calme) – Tonton René, tonton René, on le sait, tu nous l'a déjà dit. Mais d'où il sort ce tonton René ?

ANAIS (toute fière) – Il a une grande cabane au Canada, bien blottie au fond des bois.

MAURICE (parodiant la chanson de Line Renaud) – Ah oui ! Avec des écureuils sur le seuil ?

ANAIS (haussant les épaules) – J'sais pas, il m'a pas dit !

GILBERT (qui vient de comprendre ) – René le Canadien ?! (Pauline acquiesce de la tête.)

MAURICE (comprenant lui aussi) – Non, c'est pas possible !

CLAUDE (même jeu) – Mais je croyais qu'il était mort !

PAULINE (fataliste) – Moi aussi, depuis le temps ! Trente ans que mon frère a quitté la région sur un coup de tête, sans jamais donner de nouvelles...

ANAIS (étonnée) – Vous connaissez mon tonton René tous les trois ?

GILBERT (se remémorant) – Si on le connaît ? Difficile d'oublier un lascar pareil ! C'était même un de mes meilleurs copains d'enfance. On est allé à l'école ensemble et on s'est toujours suivi jusqu'à ce que cette tête brûlée décide de quitter le pays pour aller faire fortune au Canada. Il y a longtemps qu'ici, on a considéré qu'il était disparu corps et biens...

PAULINE (fataliste) – Et le voilà qui débarque hier soir, sans prévenir, tranquille comme Baptiste, comme s'il revenait de la foire de l'Herbergement.(ou autre lieu). (Imitant.) « Et bonjour Pauline, est-ce que tu peux me loger quelques jours, le temps que je décante certaines affaires »

MAURICE (paumé) – Quelles affaires ?

CLAUDE (même jeu) – Qu'est ce qu'il a voulu dire ?

PAULINE (à Gilbert) – Il paraît qu'il a des choses importantes à te communiquer...

GILBERT (étonné) – A moi ? Je ne vois pas ce qu'on pourrait bien se raconter depuis le temps !

René apparaît sur le palier, fringant et visiblement en pleine forme.

RENE (avec accent québécois) – Ah Gilbert, tu es venu ? Tu te souviens encore de moi j'espère ?

ANAIS (tout émoustillée) – Bonjour tonton !

RENE (gentiment) – Bonjour Anaïs, bonjour...

GILBERT (un peu ému) – Si je me souviens ! Tu n'as presque pas changé...

RENE (descendant l'escalier en riant) – Alors toi, t'as pas changé du tout, t'es toujours aussi menteur ! Comme si trente années ne m'avaient pas un peu modifié la façade !

Ils s'embrassent.

ANAIS (tout émoustillée, allant de l'un à l'autre) – C'est lui, c'est mon tonton !

Anaïs va faire plein de choses pour son oncle: lui apporter une chaise, lui préparer un café, lui brosser son vêtement etc... On doit voir qu'elle est heureuse de le retrouver et ne sait pas quoi inventer pour lui faire plaisir. Lui s'en agace un peu...

RENE (les regardant) – Attendez... laissez moi deviner... Claude et Maurice, c'est bien ça ?

CLAUDE et MAURICE (ensemble) – C'est ça !

RENE (à Maurice) – Je me souviens qu'à l'époque, y avait la petite Gisèle Bertin qu'était toujours derrière toi et qui n'arrêtait pas de te courir après.

PAULINE (amusée) – Et ben tu vois, trente ans après, c'est toujours pareil, elle est toujours derrière lui.

ANAIS (en rajoutant une louche) – Même que des fois, elle le cherche tellement qu'il est obligé de se cacher derrière le bar à Pauline.

RENE (moqueur, à Maurice) – C'est beau l'amour... T'as du bol mon vieux.

MAURICE (pas convaincu) – Du bol, du bol... Je te dirais bien que des fois, j'en ai ras le bol... d'avoir du bol !

GILBERT – Alors te voilà revenu au pays ?

RENE (faussement sérieux) – Écoute Gilbert, je vais avoir sacrément besoin de tes services...

GILBERT – Tu n'es pas revenu en France rien que pour ça parce que je te signale quand même que ça fait plus de trente ans que tu t'en passes de mes services !

RENE (s'appuyant à la table) – Oui mais là, ça devient sacrément urgent... Est-ce que je peux compter sur toi et tes copains ?

MAURICE (intervenant rapidement) – Pas de problème. Dès qu'il s'agit de rendre service, nous on est là. Pas vrai Claude ?

CLAUDE (amusé) – Absolument ! On ne compte plus le nombre de services qu'on a rendu cet été aux clients de Pauline. Vas y, on t' écoute...

RENE (presque en confidence) – Eh bien voilà. J'ai gagné pas mal d'argent au Canada et...

ANAIS (tout émoustillée) – Alors, t'es riche tonton ?

PAULINE (la calmant) – Anaïs, laisse parler ton oncle.

ANAIS – C'est toujours pareil avec toi, je peux jamais poser de question. Tu brides mon éveil, voilà ce que tu fais ! Faut pas s'étonner qu'après j'ai un retard mental comme tu dis si bien !

RENE (regardant Anaïs) – Elle est toujours comme ça ou c'est mon retour qui l'a perturbé ?

PAULINE (fataliste) – A ton avis ?

CLAUDE (plaisantant) – Elle a du avoir un accident de poussette quand elle était petite...

ANAIS (accusatrice, à sa tante) – Tu m'avais caché ça ?! (Soupçonneuse.) Et qui c'est qui conduisait le véhicule, hein ? Si ça se trouve, le conducteur était en état d'ivresse et maintenant, eh ben c'est moi qui trinque !

RENE (réalisant) – Alors là, c'est sûr que je vais avoir sacrément besoin de vous, les gars !

GILBERT (inquiet) – Parce que ça concerne Anaïs ?

RENE (toujours en confidence) – Pauline n'ayant pas d'enfant, il semblerait, qu'après elle, ce soit ma nièce la seule héritière possible.

PAULINE (fataliste) – Tu parles comme un vieux en fin de vie. T'es revenu en France uniquement pour faire ton testament ?

RENE (laissant planer un doute) – Quand on a fait fortune comme moi, on ne s'est pas fait non plus que des amis tu sais. Et un accident est si vite arrivé...

GILBERT (inquiet – Qu'est ce que tu veux dire ?

RENE (regard autour de la pièce) – Moins vous en saurez, mieux ça vaudra pour vous les gars...

MAURICE (peureux, en aparté) – Il m'fout les jetons, ce con !

CLAUDE (curieux) – Et tu as vraiment une grosse fortune ?

RENE (faussement modeste) – Oui, je suis très riche...

MAURICE (curieux lui aussi) – T'es riche comment ?... Riche... riche ?

RENE (toujours modeste) – Très très riche même. Plusieurs casinos au Québec...

ANAIS (niaisement) – Ce doit être drôlement pratique pour faire tes courses dis donc !

RENE (même jeu) – Beaucoup d'argent en banque...

ANAIS (niaisement) – Ah ben ça, ça m'arrangerait bien moi, parce que c'est pas avec l'argent que Pauline me donne que je vais faire des folies. T'as vu mes frusques ?

RENE (même jeu) – Et plusieurs maisons que j'ai rachetées, ici, sur le port...

MAURICE (admiratif) – Oh pétard, mais comment tu fais. Moi j'en suis toujours à rembourser ma première et unique baraque depuis bientôt quinze ans !

RENE (même jeu) – Le business Maurice, le business... Si ça se trouve tu as ça dans le sang et tu ne t'en rends même pas compte.

ANAIS (niaisement) – Eh ben, s'il a le bousiness dans le sang... il ne doit pas avoir une bonne circulation alors... parce que le temps que ça lui arrive aux méninges... Une seule maison en quinze ans, ça craint ! Bonjour le bousiness !

CLAUDE et MAURICE (regardant Anaïs, avec commisération) – Quelle misère !

ANAIS (admirative) – Tandis que Tonton avec tous ses casinos, y va bientôt niquer Leclerc !

RENE (voulant l'écarter de la discussion) – Anaïs, pourrais-tu me faire une course s'il te plaît ?

ANAIS (dans son délire, sans l'écouter) – Même que moi aussi, j'ai le sens des affaires...

RENE (voulant abréger) – Tu dois avoir ça dans les gênes...

ANAIS (continuant) – Ah non non, moi ça me gêne pas du tout. (Voulant créer un suspense.) Eh, vous savez ce que j'ai fait à la dernière fête foraine ? (Ils se regardent .) Vous ne savez pas ?

TOUS (ensemble) – Euh, non...

ANAIS (complètement partie) – Eh ben, j'avais gagné des boucles d'oreille dans une pochette surprise. Et vous savez quoi ? (Ils se regardent.) Eh ben je les ai échangées contre un bracelet avec une fille que je connaissais même pas et ensuite, j'ai échangé le bracelet contre un panda en peluche qu'un gars venait de gagner au tir à la carabine. Et après, j'ai troqué le panda contre une superbe pince à cheveux. Et avec la pince à cheveux, qu'est ce que j'ai fait ? (Elle ménage ses effets.) Ah ah, je vous le donne en mille ! Je l'ai vendue et avec l'argent, cerise sur le gâteau, qu'est ce que j'ai fait ? (Ils se regardent encore.) Vous donnez votre langue au chat ?

TOUS (ensemble) – Euh, oui...

ANAIS (comme une apothéose) – J'ai acheté une nouvelle pochette surprise ! Et dans la pochette surprise, vous savez ce qu'il y avait ?

TOUS (ensemble) – Des boucles d'oreille !

ANAIS (déçue) – Comment vous avez deviné ? (Se ressaisissant.) En tous cas, t'as vu tonton, je suis une grande bizunesswo... boussinesswo... basinesswo... enfin une femme d'affaire quoi !

GILBERT (gentiment) – C'est un bon début. Et puis là au moins, t'as pas perdu d'argent ! T'as bouclé la boucle... opération blanche.

ANAIS (montrant ses boucles, moqueuse) – Parce que vous trouvez qu'elles sont blanches mes boucles ? (Elle rit.) Vous devriez consulter un zyeutiste monsieur Gilbert parce que vous m'avez l'air de drôlement confondre les couleurs. Vous seriez à moitié dalmatien que ça m'étonnerait pas.

RENE (prenant de l'argent dans son porte feuille et lui donnant) - Tiens Anaïs, je te donne cinquante euros. Va te promener sur le port et avec cet argent, tu essaies d'en récupérer le double, d'accord ?

ANAIS (prenant le billet, incrédule) – C'est vrai tonton, je peux ?

RENE (confirmant) – Puisque je te le dis !

ANAIS (lui sautant au cou) – Merci tonton ! (Aux autres, tout excitée.) Ma première grosse affaire ! (Sur le pas de la porte.) Vous allez voir ce que vous allez voir ! (Elle sort.)

CLAUDE (abattu) – Cinquante euros de foutu !

MAURICE (avec commisération) – Elle va revenir avec une palette entière de pochettes surprise.

GILBERT (même jeu) – Pleines de boucles d'oreille... forcément...

MAURICE – Qu'on pourra tous s'accrocher aux oreilles pour le restant de nos jours ! On va avoir bonne mine !

CLAUDE et MAURICE (avec commisération) – Quelle misère !

PAULINE (à René) – T'as vraiment de l'argent à foutre en l'air mon pauvre René !

RENE – Je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour l'éloigner. Je ne voulais pas parler devant elle.

PAULINE (un peu agacée) – C'est quoi tout ce mystère ?

RENE (en confidence) – En arrivant hier soir j'ai compris que Pauline était célibataire, sans enfant, comme moi, et que toute la famille se résumait à une nièce. (Hochant la tête.) et quelle nièce !

CLAUDE et MAURICE (avec commisération) – Quelle misère !

RENE – Comme je veux lui léguer la plus grosse partie de ma fortune, je dois m'assurer que quelqu'un puisse veiller sur elle s'il m'arrivait malheur....

GILBERT – Que veux-tu qu'il t'arrive ?

RENE (après avoir vérifié que personne n'écoute) – Je suis en danger les gars, quelqu'un veut ma peau.... j'en suis sûr. D'ailleurs j'ai l'impression d'être suivi depuis mon départ de Montréal...

MAURICE (peureux) – Déconne pas, tu me fous la trouille.

RENE (inquiet) – Moi aussi j'ai la trouille mon vieux. Si je devais disparaître, Pauline pourrait servir de mère à Anaïs... mais il va lui manquer un père à cette petite... et c'est important un père...

CLAUDE (attendri) – Ben oui forcément.

RENE (inquiet) – Elles deviendraient toutes les deux des proies faciles avec tout cet argent, dans ce monde de requins... toutes les deux sans défense... sans homme pour les protéger...

GILBERT – Tu ne crois pas que tu exagères un peu, là ?

RENE (inquiet) – Malheureusement, je sais de quoi je parle. Il faudrait un homme, voire même plusieurs hommes, qui pourraient veiller au grain. Des hommes forts, virils, intelligents, proches d'elles. (Un temps.) C'est pourquoi, j'avais pensé à vous les gars...

Gilbert et Maurice regardent vers Claude.

CLAUDE (battant en retraite) – Ah non non non ! Intelligent, à la rigueur, je veux bien... mais fort et viril, là je ne fais pas l'affaire du tout. Par contre Maurice je le sens bien lui. (Tout le monde regarde Maurice.)

MAURICE – Eh oh, ça va pas ! Moi c'est pareil, j'ai été malade étant petit et depuis je suis toujours resté très fragile. Je fais des dépressions facilement et, en plus, Gisèle ne veut pas d'enfant.

PAULINE (un peu agacée) – On ne te demande pas de l'adopter non plus.

MAURICE – Par contre je verrais bien Gilbert avec son dur tempérament de marin. Il ferait un père idéal, lui. C'est un costaud Gilbert, élevé à la dure loi de la mer !(Tous les regards se tournent vers Gilbert.)

GILBERT (réagissant au quart de tour) – Non mais tu m'as regardé ! Je ne suis pas resté célibataire toute ma vie pour me retrouver père à soixante ans. D'abord j'ai jamais rien compris au fonctionnement des enfants, moi ! Ça crie, ça gueule, c'est jamais content ! Tiens, parle-moi des ouïes d'une belle daurade ou d'un rouget, là d'accord, mais pas des esgourdes d'une môme qui fait encore collection de boucles d'oreille à vingt deux ans !

RENE (avec dédain) – Vous êtes vachement courageux les gars, ça fait plaisir à voir !

GILBERT (réagissant) – Non mais t'es marrant toi. Tu débarques après trente ans d'absence, riche comme Crésus, tu donnes ta fortune à Anaïs et il faudrait que du jour au lendemain, on devienne ses gardes du corps !

CLAUDE (cherchant une excuse) – D'abord c'est ta nièce, c'est pas la nôtre.

RENE (essayant de les convaincre) – Oui, mais vous êtes tellement proches de Pauline...

MAURICE (fermement) – C'est pas une raison.

RENE (argument ultime) – Et s'il m'arrivait un malheur, hein ?

GILBERT – Tu ne serais pas un peu parano des fois .

RENE (mollement, sans conviction) – Et puis, elle est sympa, Anaïs...

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble) – Merci du cadeau !

RENE (montrant la cuisine) – Justement, à propos de cadeau, hier soir, j'ai prévu quelque chose pour vous dédommager... les documents sont prêts. Ils sont dans ma mallette, là, dans la cuisine. Bougez pas, je vais les chercher et je reviens. (Il sort, laissant tous les autres médusés.)

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble) – Pas la peine, on veut pas !

GILBERT (à Pauline) – Il ne s'imagine quand même pas qu'on va s'occuper d'Anaïs ?

PAULINE (gênée) – J'ai bien l'impression que si.

CLAUDE – Il n'a qu'à s'y coller lui

MAURICE – T'as raison Claude. Après tout, il n'est pas encore mort le René. (Il rit, d'abord seul puis suivi des autres.)

Une porte claque brusquement dans la cuisine. Ils se taisent puis on entend la voix de René.

RENE (voix off de douleur) – Ahhhhhh !

Une porte claque à nouveau. Ils sursautent et se resserrent tous en fixant la porte de la cuisine.

PAULINE (doigt tendu vers la porte) – On a crié !

GILBERT (apeuré) – Oui oui, on a crié !

MAURICE (apeuré lui aussi) – Je confirme: on a crié !

CLAUDE (n'en menant pas large) – Faudrait peut être aller voir ce qui se passe ?

MAURICE (mort de trouille) – Normalement, c'est ce qu'il faudrait faire...

GILBERT (fuyant) – D'un autre côté, on n'est pas chez nous...

La porte s'ouvre et René apparaît, au grand soulagement des autres. Il tient un papier dans la main et il s'avance vers eux lentement, en titubant légèrement.

PAULINE (inquiète) – Ça n'a pas l'air d'aller René ?

RENE (parlant lentement) – Si si ça va. Asseyez-vous tous autour de la table, il faut que je vous parle. (Ils obéissent et René avance vers eux.)

PAULINE (toujours un peu inquiète) – Tu veux prendre un café ?

RENE (titubant) – Non merci, je sens que ça ne passerait pas. J'ai comme l'impression d'avoir quelque chose de coincé là-dedans.

Sur cette réplique, il se retourne et le public doit voir le couteau planté dans son dos sans que les autres ne le voient. Il doit rester debout, titubant par instant et faire le tour de la table , sans jamais tourner le dos à ses interlocuteurs.

CLAUDE (un peu rassuré) – Tu nous a fait vachement peur quand tu as crié dans la cuisine.

MAURICE (se remettant lui aussi) – On a tous cru que tu étais mort.

GILBERT (il lui tape dans le dos) - Sacré René va !

RENE (avec un haut le cœur) – Alors toi Gilbert, t 'as vraiment le chic pour remuer le couteau dans la plaie !

GILBERT (aux autres, venant de réaliser) – Oh merde, il a un couteau dans le dos !

PAULINE (se précipitant, apeurée) – Qu'est ce que tu as fait ? Comment c'est arrivé ? (Il tend le bras vers la cuisine, sans parler.)

CLAUDE (voulant se rassurer) – T'es tombé dans le tiroir aux couverts ?

MAURICE (bêtement) – Ça te fait mal ?

RENE (se forçant à sourire) – Juste un p'tit peu... quand j' rigole.

Il s'écroule, tête en avant sur la table, immobile, le couteau fiché entre ses omoplates. Ils sont autour de lui, silencieux, n'osant pas bouger.

GILBERT (le tapotant du bout du doigt) – Ouh ouh, René... tu m'entends ? (Silence.)

MAURICE (commençant à paniquer) – Y... y... y... y t'entend pas, on dirait...

CLAUDE (voulant se rassurer) – Il est peut être évanoui ?

PAULINE (se tenant tout près du corps) – Tu t'évanouis à chaque fois que tu as un couteau de cuisine planté entre les omoplates, toi ? (Elle lui palpe le cou et les regarde.)

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble) – Il est comment... ?

PAULINE (hochant tristement la tête) – Tout ce qu'il y a de plus mort... Il n'a pas dû souffrir bien longtemps. (Attristée.) Pauvre René !

Ils prennent une attitude de recueillement, mains assemblées et bras pendants sur le devant du corps.

PAULINE (hochant tristement la tête) – A peine arrivé, le voilà déjà parti.

MAURICE (fataliste) – C'était un grand voyageur...

PAULINE (même jeu qu'avant) – Déjà tout petit, il ne tenait jamais en place...

CLAUDE (machinalement) – Toujours ce besoin d'aller voir ailleurs...

GILBERT (machinalement) – Eh oui, ça a toujours été un garçon instable.

CLAUDE (machinalement lui aussi) – Enfin là, plus instable, tu meurs. (Ils le regardent tous.) Oh pardon !

PAULINE (retenant ses larmes) – Quand je pense qu'il est venu mourir dans la seule famille qui lui restait... après trente ans d'absence (Elle renifle.)

MAURICE (fataliste) – L'instinct sans doute...

CLAUDE (pris dans le délire) – C'est beau l'instinct quand même...

GILBERT (machinalement) – Heureusement qu'on a ça pour faire les choses instinctivement...

PAULINE (retenant ses larmes) – Encore un qui part trop tôt...

GILBERT (parlant pour lui) – Dans la fleur de l'âge...

PAULINE (retenant ses larmes) – On est peu de choses tout de même. Il y a cinq minutes, on était là, on papotait...

GILBERT (ému) – On parlait de paternité et puis pfffttt, on se retrouve orphelin...

MAURICE (en guise d'éloge funèbre) – C'est toujours les meilleurs qui partent les premiers...

CLAUDE (continuant l'éloge funèbre) – Un type bien ce René...

MAURICE (même jeu) – Et riche en plus...

PAULINE (accablée) – C'est bien pour ça qu'ils l'ont descendu...

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble) – Évidemment ! (Réalisant brusquement.) Qu'est ce que tu viens de dire ?

MAURICE (paniquant) – Pau... Pau... Pau... Pauline a raison. Rappelez-vous... quand... quand... quand il nous disait que sa vie était en danger ! Ahhhhh eh ben nous y voilà... Et si ça se trouve, l'assassin est encore dans la pièce. (Ils se précipitent barricader la porte avec des chaises et tout ce qu'ils trouvent.)

GILBERT (s'affolant) – Oh l'andouille, il est venu se faire buter en Vendée....(ou ailleurs !)

CLAUDE (affolement général) – Il ne pouvait pas faire ça au Canada, ce con !

MAURICE (paniquant) – C'est pas parce qu'on est riche qu'il faut tout se permettre !

GILBERT (s'adressant au corps affalé sur la table) – Tu devrais avoir honte René !

CLAUDE (même jeu) – Quel manque de délicatesse...

MAURICE (même jeu) – Tu nous déçois beaucoup tu sais...

GILBERT (s'adressant toujours au corps affalé sur la table) – Sans parler des emmerdes que tu vas nous attirer !

PAULINE (elle avise un papier dans la main du mort) – Regardez les gars, il tient un papier dans sa main. Ce doit être la surprise pour vous. (Elle essaie de le prendre mais René le tient fermement. Elle le tire mais ça résiste.)

MAURICE (ne voulant pas savoir) – Il a l'air d'y tenir à son papier...

CLAUDE (idem) – A mon avis, il ne veut pas le donner !

GILBERT (fuyant) – Faut pas le brusquer, si y veut pas... y veut pas ! Faut jamais contrarier un défunt !

PAULINE (René se décide enfin à lâcher le papier) C'est un testament écrit de sa main.(Elle le lit.) « Je soussigné René Thébaud, sain de corps et d'esprit, certifie léguer à chacun de mes trois amis Gilbert, Claude et Maurice, une maison située sur la rue du port en dédommagement de l'immense service qu'ils me rendraient - si je devais disparaître de mort brutale - à bien vouloir s'occuper de mon unique nièce Anaïs. A charge pour eux de l'éduquer, d'en faire une jeune fille intelligente du grand monde afin de la préparer à gérer la fortune dont vous trouverez le détail ci-joint. Les biens et valeurs revenant à ma sœur Pauline y figurent également. Le présent document étant établi pour faire valoir etc, etc... Signé René Thébaud

GILBERT (tournant comme un lion en cage) – Il avait tout prévu, le salaud !

MAURICE (affolé) –Qu'est ce qu'on va faire ?

CLAUDE (pragmatique) – Que veux-tu qu'on fasse, les dernières volontés d'un mort, ça se respecte...

GILBERT (fataliste) – Eh ben, on n'est pas dans la merde, les gars !

MAURICE-GILBERT et CLAUDE (ensemble, à René) – Merci du cadeau René !

MAURICE (lorgnant le cadavre, ne se sentant pas bien) – J'me sens pas bien les copains.

Pauline prend une serviette sur la table et enlève le couteau du dos. Elle essuie la lame et tamponne la serviette sur la plaie.

PAULINE (à Maurice) Voilà, ça va mieux comme ça ? (Elle donne le couteau à Gilbert.)

Gilbert prend le couteau par le manche, entre deux doigts, la lame pendant dans le vide.

GILBERT (allant vers Maurice, passant le couteau à Claude) – Tu ne vas pas tourner de l'oeil, dis ?

CLAUDE (donnant le couteau à Maurice, en même temps qu'il le soutient) – N'aie pas peur, on te soutient...

MAURICE (affolé, tenant le couteau entre le pouce et l'index) – Aaahhhhh !

La porte d'entrée s'ouvre et Gisèle, la femme de Maurice, entre. C'est une jolie femme de 30/35 ans, élégamment vêtue. Anciennement autoritaire, elle est devenue toute douce avec son mari et sa voix forte d'autrefois est aujourd'hui très calme. En la voyant entrer, les quatre font un rempart devant le corps après que Pauline ait rabattu la nappe sur le corps de René. Maurice, pantois, tient toujours le couteau à la main...

GISELE (prudemment à son mari) – Excuse-moi de te déranger mon Maurice...

MAURICE-GILBERT PAULINE et CLAUDE (ensemble) – Y a pas de quoi !

GISELE (soumise) – Je voulais te demander la permission d'aller voir maman ce matin.

MAURICE (se passant délicatement le couteau d'une main dans l'autre) – Mais... mais... mais bien sûr, faut... faut... faut aller voir ta maman...

GISELE (timidement) – Seulement voilà... j'ai pas fini le repassage... tu ne vas pas être content...

GILBERT (venant en aide à Maurice) – Pour cette fois il ne dira rien, pas vrai Maurice ?

MAURICE (reprenant timidement le commandement) – Mais faudrait peut être pas que ça se renouvelle trop souvent quand même.

GISELE (soumise à l'excès) – Non mon Maurice... Merci mon Maurice. (Intriguée.) Vous ne jouez pas aux cartes ce matin ?

PAULINE (nonchalamment) – Si si, la petite belote habituelle, mais on vient de se lever cinq minutes pour se dégourdir un peu les pattes. (Ils font tous ensemble quelques flexions des jambes.)

GISELE (étonnée) – Pourquoi tu as un couteau dans les mains ?

MAURICE (réalisant) – Hein... ah. le couteau ?.. C'est pour couper les cartes... (Il le pose très vite sur la table d'à côté.

Elle se rend compte qu'il y a une masse sur la table. Elle écarte les quatre compères et soulève la nappe, découvrant le corps de René. Au lieu de hurler de frayeur, elle se retourne et avance droit vers son mari.

GISELE (enflammée) – Maurice... Maurice... (Très vite.) Maurice, Maurice, Maurice, Maurice ! (Elle se pend à son cou.)

MAURICE (tout péteux, bras ballants, répétant) – Gisèle... Gisèle... Gisèle, Gisèle, Gisèle, Gisèle !

GISELE (admirative) – C'est toi qui l'a buté, dis ? A l'arme blanche ?

MAURICE (tout péteux) – Oui... enfin non... enfin c'est à dire que...

GISELE (encore plus admirative) – Qui c'était ? Encore un trafiquant de drogue, comme cet été ?

MAURICE (ne sachant pas quoi dire) – Non... non... en fait c'est...

GISELE (le coupant) – Un mec qui venait braquer Pauline et que tu as descendu de sang froid ? (Voyant l'amas de chaises devant la porte de la cuisine.) Et tu l'as bloqué ici pour lui faire la peau ?

GILBERT (venant en aide à Maurice) – En fait, c'était René...

GISELE (interrogative) – René le balafré ? (Ils font « non » de la tête.) René le fou ? (Même jeu.) René l'éventreur ?

PAULINE (rectifiant) – L'éventreur, c'était Jack.

MAURICE (voulant lui dire la vérité) – René le canadien... pas dangereux du tout...

GISELE (aux autres, admirative) – Vous entendez comme il est modeste ! (Elle s'accroche à lui, attendrie, aux anges.) Oh Maurice, mon Maurice ! Quand je pense que j'ai vécu tant d'années auprès de toi sans connaître ta véritable nature de héros... de mâle viril et conquérant !

MAURICE (il cherche à l'arrêter) – C'est pas ce que tu crois Gisèle....

GISELE – Et voilà qu'en deux mois, non seulement tu as participé à l'arrestation de dangereux trafiquants, mais en plus, aujourd'hui, tu as carrément refroidi René le canadien !

MAURICE (bégayant) – C'est... c'est... c'est pas moi qui l'ai re... re... refroidi...

GISELE (s'accrochant encore plus à lui) – Tu es fort Maurice, tu es beau, tu es invincible...

MAURICE (dépassé) – Ah non non, là c'est trop...

GISELE (s'accrochant encore plus à lui) – Mon Terminator !

PAULINE (à Maurice) – Oh Schwartzenegger, il serait peut être temps, maintenant, que tu lui expliques la situation à ta groupie.

GISELE (à Maurice qui ouvrait la bouche pour parler) – Non, ne dis rien ! (S'y voyant déjà.) Tu vas avoir ton nom et ta photo dans les journaux, et la mienne aussi forcément. Tu seras peut être décoré... l'ordre du mérite... ou la légion d'honneur...

MAURICE (timidement) – C'est pas un peu beaucoup ça... la légion d'honneur ?

GISELE (scandalisée) – Tu rigoles ! Zidane l'a eue pour un malheureux coup de boule, alors pour toi, t'imagines ? (Soudain directrice.) Ne bougez pas, surveillez le corps, je saute prévenir la police. J'irai voir maman demain. (Elle se précipite pour sortir et sur le pas de la porte, se retourne.) Oh mon Maurice... quel homme ! (Elle sort avant qu'ils aient eu le temps de réagir.)

PAULINE (à Maurice) – Je me demande si je ne préférais pas mieux ta femme quand elle était autoritaire, avant qu'elle ne devienne complètement nunuche !

GILBERT (regardant le corps) – Qu'est ce qu'on fait de lui ?

CLAUDE (inquiet) – Si jamais Anaïs débarque maintenant et qu'elle voit ça...

MAURICE (geste du doigt sur sa tempe) – Ça va lui chambouler le cerveau, la pauvre...

GILBERT (montrant la tête lui aussi) – Déjà que c'est pas très bien rangé chez elle...

PAULINE (énergique) – Vous avez raison. Montez-le dans ma chambre et étendez-le sur mon lit. (Elle va poser le couteau sur son bar et enveloppe René tant bien que mal avec la nappe d'une table voisine.) Laissez-le enveloppé là-dedans, ça fera moins lugubre.

Pauline revient vers son bar et, discrètement, change le couteau par un autre quasiment identique. Claude et Maurice attrapent René et le montent à l'étage. Ils arrivent juste sur le palier quand Anaïs arrive. Gilbert saute au devant d'elle. Ils redescendront discrètement quelques instants après, pendant la discussion d'Anaïs.

ANAIS (toute joyeuse, tenant un seau rempli de pièces dans une main et une pancarte dans l'autre) – Il est où tonton René ?

PAULINE (la ménageant) – Il est parti se reposer un peu...

ANAIS (déçue) – Il va se reposer longtemps ?

GILBERT (très prévenant) – Ça dépend... Tu sais, il y a des repos qui sont quelquefois plus longs les uns que les autres...

ANAIS (rayonnante) – Il va être drôlement content de moi tonton quand il comptera les pièces.

PAULINE (surprise, voyant le seau plein) – Les pièces ? Pourquoi, tu en as combien ?

ANAIS (rayonnante) – Je crois bien que j'ai deux cents euros.

PAULINE et GILBERT (ensemble) – Deux cents euros !

GILBERT (main dans le seau faisant couler les pièces) – Mais comment t'as fait pour avoir tout ça ?

ANAIS (rayonnante) – Eh ben, je suis allée à la pharmacie et avec les cinquante euros de tonton René, j'ai acheté deux cents petites bouteilles vides...

PAULINE et GILBERT (ensemble) – Et alors ?

ANAIS (tout excitée) – Je me suis rappelée qu'aujourd'hui, il y a une très grande marée d'un coefficient de 120. La marée du siècle comme ils disent les pêcheurs...

CLAUDE et MAURICE (ensemble) – Oui et alors ?

ANAIS (tout excitée) – Alors, comme je suis pas si bête que j'en ai l'air et que je réfléchis beaucoup des fois, j'ai rempli toutes mes petites bouteilles d'eau de mer et je me suis installée sur la plage... (Montrant le panneau qu'elle tenait sous son bras.) avec ça !

Sur le panneau on peut lire, au feutre et en gros caractères : Acheté le flaquon d'eau de mère de la marrée du siaicle-1€ la boutaille.

PAULINE (après avoir lu tout haut le texte) – Tu as vendu des flacons d'eau de mer aux touristes ?

ANAIS (ravie) – Ouais ! J'aurais même pu en vendre davantage si j'avais eu plus de bouteilles. Vous auriez vu ça, les gens se bagarraient pour avoir mes derniers flacons. Un vrai succès !

GILBERT (complètement admiratif) – Alors là, elle m'épate, elle m'épate, elle m'épate !

ANAIS (pouffant de rire) – Qu'est ce qu'ils sont bêtes les touristes cette année !

CLAUDE (approuvant) – C'est sûr. Payer un euro pour ça !

ANAIS (re-pouffant de rire) – D'autant plus qu'ils pouvaient l'avoir gratuitement l'eau de la marée du siècle. Ils suffisaient qu'ils récupèrent une canette de bière vide et qu'ils la remplissent bien vite avant que la mer ne remonte..

MAURICE (la testant) – Parce que, forcément, quand la mer remonte, c'est plus la même marée...

ANAIS (sérieusement) – Ben non tiens... et c'est pas la même eau non plus !

GILBERT (complètement abasourdi) – C'aurait été trop beau ! Je me disais aussi...

MAURICE (insistant) – Tu es sûre de ça Anaïs ?

ANAIS (sérieusement) – Réfléchissez un peu. Des fois y a des méduses, des fois y a des algues, des fois y a du pétrole, des fois y a rien... mais là, c'est beaucoup plus rare Alors vous voyez bien que l'eau change tous les jours. (Légèrement moqueuse à l'encontre de Maurice.) Faudrait voir à être un peu observateur de temps en temps, monsieur Maurice !

Pauline, craignant l'arrivée des gendarmes, cherche à l'éloigner.

PAULINE (la poussant vers la porte) – Et si tu essayais de monter une autre affaire aussi bonne que celle-ci ?

ANAIS (incrédule) – Tu crois que tonton sera d'accord ?

PAULINE (la larme à l'œil) – Je crois qu'il aurait été... enfin... qu'il sera très fier de toi... quand il saura ce que tu as fait....

MAURICE (même jeu) – S'il te voit d'où il est...

GILBERT (idem) – Dans son grand repos...

ANAIS (les consolant) – Allez, soyez pas tristes, vous aussi un jour vous deviendrez des bizunesswo... boussinesswo... basinesswo... j'y arriverai jamais ! Mais ne vous inquiétez pas, je vous expliquerai comment faire ! (Voyant les chaises empilées.) En attendant, remettez donc un peu d'ordre dans le bar, c'est carrément le bordel quand j' suis pas là ! (Elle sort, toute joyeuse.)

CLAUDE (réaliste) – Qui s'y colle pour lui expliquer ?

PAULINE (courageuse) – On laisse passer la police et je m'en charge.

CLAUDE – Heureusement que c'est la fin de la saison et que ton auberge est vide. Tu imagines René, affalé sur la table, en plein mois de juillet...

GILBERT (confirmant) – Pendant le repas de midi... ça ferait désordre !

MAURICE (craintif) – Sans compter que le tueur est peut être toujours à côté.... et qu'il va vouloir s'assurer que son travail est bien fait....

CLAUDE (à Gilbert, prenant peur lui aussi) – Il n'a pas tort...

GILBERT (contaminé par la peur des deux autres) – Il a même carrément raison...

PAULINE (apeurée, montrant la porte d'entrée) – Imaginez un instant que la porte s'ouvre brusquement et que...

Au même moment, la porte en question s'ouvre violemment. Les quatre amis se précipitent derrière le bar et s'y cachent tandis que Carlota entre, portant une valise et suivie de sa fille Sabrina. C'est une femme de caractère d'une quarantaine d'années, au fort accent mexicain. Sa fille parle correctement le français mais avec l'accent Québécois.

CARLOTA (voix forte) – Caramba ! Yé croyais yamais trouver la auberge maudite !

SABRINA (à sa mère) – Tu es sûre que c'est ici maman ?

CARLOTA (voix autoritaire) – Ma qué bien sour que yé souis soure ! Y ai noté toutes les renseignements sour le papier...

SABRINA (regardant autour d'elle) – Il n'y a personne on dirait...

CARLOTA (voix autoritaire) – Yé vais té les faire vénir ces faignants dé françaisses. (Elle tape fort sur une table.) Aubergiste ! Aubergiste !

Tout doucement, on voit apparaître quatre paires de mains qui se posent sur le comptoir, puis quatre têtes qui suivent dans un même mouvement synchronisé et qui regardent vers les nouveaux arrivés. Elles se tournent ensuite l'une vers l'autre et s'immobilisent.

PAULINE (apeurée) – Oui... C'est... c'est pourquoi ?

CARLOTA (s'avançant vers eux) – Tou es la patronne de la auberge ? (Pauline hoche affirmativement la tête.) Si ? Bueno ! Yé voudrais oune chambré pour moi et oune chambré pour ma fille por favor !

GILBERT (voulant intervenir) – Ce ne sera pas possible madame, l'auberge est fermée...

CARLOTA (menaçante) – Yé t'ai démandé quèque chose à toi ? (Il fait signe que non.) Tou es le patronne ? (Même signe négatif.) Alors tou mé fou la paix ou yé vais mé fâcher terrible ! (Elle frappe sur le comptoir et les quatre têtes disparaissent.)

SABRINA (excitant sa mère) – Vas-y maman, te laisse pas faire.

CARLOTA (en riant, à sa fille) – Tou a vu lé système ? Yé tape sour lé comptoir et hop, touté les têtes, elles disparaissent ! (Les têtes réapparaissent. Carlota retape sur le comptoir et les quatre têtes disparaissent de nouveau.) Tou as vou, ça marche touyours !

SABRINA (mauvaise) – Alors, vous nous les donnez ces clés de chambre oui ou non ?

PAULINE (réapparaissant, lui donnant 2 clés, de plus en plus apeurée ) – Chambres six et sept, à droite en haut de l'escalier. Ne vous trompez pas de chambre, celle d'à côté est occupée...

CARLOTA (riant) – Ma qué yé lé sais qu'elle est occoupée la chambré et même qué yé sais qui l'occoupe..

PAULINE, CLAUDE, MAURICE et GILBERT (réapparaissant, ensemble) – Ah bon !

CARLOTA (fière) – Si ! Ah, y'ai oublié dé mé présenter. Yé souis: Carlota-Conchita-Carmina Antaminolopez et accessoirement... la femmé dé René Thébaud. Et voici ma fille et aussi la sienne !

SABRINA (se présentant avec fierté) – Sabrina !

CARLOTA (perfide) – Viens ma chérie, allons nous réposer un peu avant de dire bonjour à ton père. Yé crois qu'on va loui faire oune grosse sourprise. (Elles prennent leurs valises et montent l'escalier en ricanant.)

PAULINE (tombant des nues) – Alors là... pour une surprise...

CLAUDE, MAURICE et GILBERT (ensemble) – C'est une sacrée surprise !

RIDEAU

ACTE 2

On reprend la scène là où elle était arrêtée. A l'ouverture du rideau, les quatre amis sortent de derrière le bar de Pauline, un peu déboussolés. Au même moment, la porte d'entrée s'ouvre à nouveau violemment et comme précédemment, ils se précipitent derrière le bar et s'y cachent tandis que Gisèle entre, suivie de Francis Potier le gendarme, suant et soufflant. Gisèle doit parler un peu avant d'entrer de manière à laisser le temps aux autres de plonger derrière le bar.

GISELE (invitant Francis à entrer) – Dépêchez-vous, venez vite ! Remarquez, dans l'état où l'a mis Maurice, il ne risque pas de se sauver bien loin ! (Elle rit, toute fière.)

FRANCIS (il souffle et transpire à grosses gouttes) – Des trafiquants de drogue il y a un mois et un macchabée aujourd'hui, ma parole, c'est pas une auberge ici, c'est le Bronx !

Les quatre amis émergent de derrière le bar.

GISELE (réalisant que le corps a disparu) – Où est le mort ? Où est-ce qu'il est parti ? (Aux autres.) Qu'est ce que vous en avez fait ?

FRANCIS (regardant Gisèle de travers) – Ne me dis pas que tu l'as perdu ! J'ai pas traversé la moitié de la ville en courant comme un dératé pour m'entendre dire que le mort s'est barré !

GISELE (allant à la table et mimant) – Il était là quand je suis parti, je vous jure monsieur Potier, allongé sur la table... comme ça....

FRANCIS (reluquant Gilbert) – C'est ta dernière trouvaille Gilbert, t'as pas autre chose à foutre que de faire des conneries de potaches ! Mais tu seras donc jamais sérieux !

GILBERT (intervenant) – Pour une fois, c'est pas une blague Francis. Gisèle a raison, il y avait bien un mec mort allongé sur la table tout à l'heure...

FRANCIS (bras croisés) – Ben tiens donc ! Et maintenant, il est ressuscité et comme il ne veut pas se laisser abattre, il est parti casser la croûte au restaurant ? C'est ça ?

PAULINE (montrant timidement l'escalier) – Non... il est là-haut... dans ma chambre.

FRANCIS (prenant ça à la rigolade) – Suis-je bête ! Il a du se dire: « Si je suis mort, vaut mieux que je m'allonge, je serai plus présentable...»

GISELE (trépignant d'impatience) – Puisque qu'on vous dit qu'il y avait un cadavre ici ! Même que c'est Maurice qui l'a trucidé. Couic, un coup de couteau !

FRANCIS (moqueur) – Maurice ? Un coup de couteau... Couic ! (Simulant la peur.) Mais c'est que tu deviendrais à moitié violent Maurice !

CLAUDE (timidement) – En fait, c'est nous qui avons monté le corps là-haut...

PAULINE (continuant le récit) – Pour qu' Anaïs ne le voit pas...

MAURICE (timidement) – On avait peur que ça lui foute un choc, elle n'a pas besoin de ça...

PAULINE (continuant le récit) – Et pour la tenir en dehors de cette affaire...

FRANCIS (commençant à y croire) – Mais bougres d'andouilles quand on a un cadavre chez soi, on n'y touche pas, on en prend soin et on ne le laisse pas se balader tout seul dans la maison. On le surveille et on appelle la police

GISELE (toute fière) – C'est ce que j'ai fait !

FRANCIS (presque sûr de la réponse) – Et forcément vous l'avez tous tripoté les uns après les autres ce cadavre ?

MAURICE (avec humour) – Tu sais, dans son état, il avait de la peine à monter l'escalier tout seul. Il a bien fallu qu'on l'aide un peu...

FRANCIS (dépité) – Ce qui fait que pour les empreintes digitales, c'est râpé. (Se rattrapant à autre chose.) Heureusement qu'il reste le couteau.

PAULINE (ennuyée) – Le couteau... je l'ai retiré du corps.

FRANCIS (dépité) – Comment ça tu l'as retiré du corps ? Mais pourquoi faire ? T'en avais besoin pour couper du pain ?

PAULINE (ennuyée) – Ça faisait tort à Maurice. Il ne se sentait pas bien.

FRANCIS (ironique) – Alors comme ça Maurice, tu poignardes d'abord les gens et tu tournes de l'œil ensuite ! (Redevenant sérieux.) Bon alors, il est où ce couteau ?

PAULINE (le prenant sur le bar) – Le voilà.

FRANCIS (hurlant) – Touche pas à ça malheureuse ! (Pauline prend peur et le passe vite fait à Gilbert.) Toi non plus ! (Même jeu que Pauline, il le passe à Claude.) Arrêtez de toucher à ce couteau !

GISELE (prenant le couteau des mains de Claude) – Il a raison, c'est un honneur qui revient à Maurice. (Elle le donne fièrement à Maurice qui, fièrement, le tend à Francis.)

FRANCIS (dépité, prenant le couteau) – Si je fais analyser ce couteau, la brigade criminelle va trouver qu'ils s'y sont mis à cinq pour zigouiller ce pauvre type.

GILBERT (amusé) – A mon avis, si tu continues à le tripoter, tu ne vas tarder à faire le sixième !

FRANCIS (se retenant) – Les indices et les empreintes digitales, ça vous dit quand même quelque chose ?

CLAUDE (confessant) – Euh oui... mais dans la panique... on n'y a plus pensé.

FRANCIS (en colère) – Mais bordel, vous ne regardez jamais Navarro à la télévision ? (Ils font tous signe que non.) Julie Lescaut ? (Idem.) RIS police scientifique ? (Idem.) Les Cordier juge et flic ? (Idem.) Les experts Miami, le commissaire Moulin ?

GILBERT (amusé) – Moi j'regarde Thalassa !

PAULINE (même jeu que Gilbert) – Et moi, Joséphine ange gardien !

FRANCIS (abattu.) - Mais putain alors, à quoi ça sert que TF1 se décarcasse !

GISELE (calmement) – Je ne sais pas pourquoi vous vous prenez le chou puisque c'est Maurice qui l'a dégommé ce mec !

FRANCIS (calmement, mais fermement) – Alors toi Gisèle, si tu continues à débiter tes conneries, je te fais souffler dans le ballon et t'auras droit, en prime, à un test de contrôle pour usage de stupéfiants !

GISELE (se regimbant) – Ah forcément, c'est plus facile de coller des PV que de retrouver des cadavres

FRANCIS (se fâchant) – Attention... alors là attention ! Tu sais comment ça s'appelle ça ? Outrage à un officier de police dans l'exercice de ses fonctions ! (A Maurice.) Oh, le lanceur de couteau, tu lui dis de mettre en veilleuse à ton admiratrice sinon, c'est elle qui va se retrouver à l'autopsie, chez le médecin légiste ! (Tout le monde se calme. Francis se remonte le ceinturon en signe d'autorité et désigne les chambres.) Bon, dans quelle chambre il roupille le macchabée baladeur ?

PAULINE – La cinq ! Mais soit discret, j'ai des clientes juste à côté.

FRANCIS (montant l'escalier) – Pas de problème, tu me connais.

PAULINE (craignant le pire) – Ben justement....

Ils sont tous au pied de l'escalier et attendent fébrilement. Presque aussitôt, Francis réapparaît et les regarde, en posant ses mains sur la balustrade.

TOUS (inquiets) – Alors ?

FRANCIS (sourire forcé, en secouant la tête) – Alors... il a une sacrée santé vot' mort !

TOUS (inquiets) – Pourquoi ?

FRANCIS (hurlant de colère) – Faudrait peut être arrêter de se foutre de ma gueule maintenant !

GISELE (naïvement) – On ne se fout pas de votre gueule monsieur Potier...

FRANCIS (hurlant de colère) – Ah oui ? Expliquez-moi alors où il est passé votre trucidé. Il est parti prendre une douche ?

CLAUDE (paumé) – Maurice et moi, on l'a installé là-haut, bien enveloppé dans une nappe...

FRANCIS (se dominant) – Dans une nappe... (très fort.) Il n'y a rien dans cette chambre, ni nappe, ni cadavre. Le lit est impeccablement fait et on ne voit même pas la forme d'un corps sur le couvre pied !

CLAUDE (grimpant à toute allure, suivi de Maurice) – C'est pas possible, t'as mal regardé ! (Ils disparaissent dans la chambre, tandis que Francis descend.)

Attirées par le bruit des voix, Carlota et sa fille arrivent à leur tour sur le palier.

CARLOTA (très fort) – Ma qué c'est pas possible oune bordel pareil !

SABRINA (à Pauline) – Votre auberge laisse vraiment à désirer madame...

CARLOTA (avisant Francis) – C'est vous lé yendarme qui criez comme ça ?

SABRINA (piquante) – Vous ne resterez pas longtemps sur le guide du routard, vous pouvez nous croire !

FRANCIS (perdu) – Qu'est ce que c'est que ça ? (A Pauline.) D'où elles sortent celles-ci ?

PAULINE (timidement) – Des chambres six et sept. Elles sont arrivées tout à l'heure.

CARLOTA – Si sénör ! Et très fatiguée. Alors yé voudrais bien oune peu dé silence pour récoupérer. Et qué yé voudrais qué ma fille elle sé répose aussi, la pauvre pétite.

SABRINA (perfide) – Et c'est vraiment pas facile de se reposer dans ces conditions.

CARLOTA (en colère) – Si yamais ma pétite elle pète les plombs, moi yé vous préviens, yé vous pète la gueule !

SABRINA (même jeu) – Quel manque de respect pour la clientèle !

FRANCIS (pointant Carlota du doigt) – Vous n'êtes pas de la région, vous ?

SABRINA (à Francis) – Quelle brillante déduction Colombo !

CARLOTA (à Francis qui se domine) – Ca sé voit pas que yé souis pas françaisse ?

SABRINA (ironique, à sa mère) – Ils sont drôlement futés les gendarmes français !

FRANCIS (se radoucissant) – Je me disais bien que vous n'aviez pas l'accent du terroir.

PAULINE (timidement) – Madame est la femme de... (Elle n'ose pas finir sa phrase.)

FRANCIS (attendant la suite) - La femme de qui ?

GILBERT (lui venant en aide) – Ben la femme de... (Il explique par gestes le corps allongé sur la table et la montée dans la chambre.)

Claude et Maurice redescendent des chambres, tout penauds.

GISELE (excitant Maurice) – C'est sa complice Maurice ! Vas-y, descend- la aussi !

CARLOTA (sortant ses griffes) On né mé touché pas Mauricio ! Yé souis parfaitement capable dé descendre touté seule.

FRANCIS (pris dans le jeu) – Yisèle, ça souffit... euh... Gisèle, ça suffit ! (A Claude.) Alors Sherlock Holmes et Watson, vous avez trouvé quelque chose ?

CLAUDE (tout penaud) – J'y comprends rien, il n'y a personne.

MAURICE (idem) – Rien dans les placards, rien sous le lit...

GISELE – Il n'était peut être que blessé...

FRANCIS (moqueur) – Ben tiens donc ! Il aura retapé le lit avant de partir s'acheter des pansements ! (Redevenant sérieux.) Bon, résumons-nous. Si j'ai bien compris madame serait la veuve du défunt ?

CARLOTA (surprise) – Porqué vous mé traitez dé veuve ?

FRANCIS (toujours moqueur) – Ah, visiblement madame n'est pas au courant...

PAULINE (voulant expliquer) – C'est normal parce que son mari est arrivé avant elle!

FRANCIS (ne prenant pas l'affaire au sérieux) – Il est arrivé avant pour se faire descendre par Maurice et la famille arrive juste après ...pour la sépulture. Quelle organisation dîtes donc !

CARLOTA (étonnée) – Ma quelle sépoultoure ? Il y a quelqu'un dé mort ?

FRANCIS (sans ménagement) – A priori, et d'après ces joyeux blagueurs, il s'agirait de votre mari madame! Froidement descendu par la grosse brute que vous voyez là. (Il désigne Maurice qui se fait tout petit.)

CARLOTA (fonçant sur Maurice) – Mauricio ! Assassino ! Yé vais té créver les oeils, t'arracher les oreilles...

SABRINA (s'en mêlant aussi) – Te brûler les orteils...

CARLOTA (face à Maurice) – Té casser les dents oune par oune...

SABRINA (même ton que sa mère) – Te couper la langue...

CARLOTA (portant l'estocade) – Et tous tes attibouts virils !

MAURICE (se protégeant instinctivement) – Oh non, pas ça !

Maurice, complètement apeuré, est ratatiné sur lui même. Gisèle arrive pour le protéger.

FRANCIS (amusé) – A ce train là, il ne va pas te rester grand chose de lui, dis donc ! Ta côte à l'argus va baisser un sacré coup, Maurice !

GISELE (menaçante) – Si jamais vous touchez à un seul de ses cheveux, moi aussi je vous pète la gueule !

CARLOTA (prenant Francis à témoin) – Ma qué c'est qué vous attendez pour l'arrêter au lieu dé rigoler Il a toué mon mari et maintenant, yé souis veuve, (Faussement sanglotante.) seule au monde avec ma pauvre pétite à éléver. Ma qué yé souis triste ! Ma qué cé qué yé vais dévénir ? (Elle prend sa fille dans ses bras.)

SABRINA (faussement triste également) – Papa... il a tué papa !

CARLOTA (prenant Francis à témoin) – Réné... il a toué Réné !

SABRINA (même jeu ) – Sale brute, pourquoi vous avez fait ça ? Pourquoi ?

CARLOTA (aux autres) – Qu'est ce qu'il vous avait fait Réné ?

SABRINA (même jeu) – A cause de vous, me voilà orpheline...

SABRINA et CARLOTA (hurlant ensemble) – Papa ! Réné !

FRANCIS (ému, s'essuyant les yeux) – Ah tu peux être fier de toi Maurice ! T'as fait du beau travail !

MAURICE (se défendant) – Mais j'y suis pour rien moi, là-dedans !

GISELE (fière) – Pas de fausse modestie, Maurice.

FRANCIS (sortant son calepin) – Allez allez, fini de sangloter, maintenant, on me donne l'identité du cher disparu. (Réalisant ce qu'il vient de dire et faisant le geste de quelqu'un qui se sauve.) Du cher disparu... qu'est tellement disparu qu'il est introuvable. C'est marrant, non ? (Il éclate de rire et tout le monde le regarde.) Oh pardon !

SABRINA et CARLOTA (hurlant ensemble) – Papa ! Réné !

PAULINE (tout penaud) – Figure-toi Francis que le gars qui était raide mort sur la table tout à l'heure, eh ben c'était René...

CLAUDE (confirmant) – Le frère de Pauline...

GISELE (à Maurice, ennuyée) – T'as zigouillé le frère de Pauline ! Oh la bavure !

FRANCIS (incrédule) – René le canadien ? Vous auriez pu trouver autre chose les gars, il y a belle lurette qu'il a quitté le pays et qu'il est soit disant mort depuis longtemps au Québec !

GILBERT (fataliste) – Oui et ben du coup, il est mort pour de vrai.

FRANCIS (refermant son calepin, en colère) – Est ce que vous allez continuer à vous foutre de ma gueule encore longtemps comme çà ?

GILBERT (la main sur le cœur) – Francis, jamais on ne se permettrait...

FRANCIS (de plus en plus en colère) – Que les touristes marchent dans vos combines à la noix, ça les regarde, mais faudrait voir à ne pas prendre Francis Potier pour plus bête qu'il n'est ! Parce que si vous voulez jouer au con avec moi les gars, vous n'êtes pas sûr de gagner, je vous préviens ! (Il se dirige vers la sortie.)

CARLOTA (rattrapant Francis) – Ma porqué vous né ménottez pas lé assassin dé Réné ?

FRANCIS (en colère et moquerie) – Porqué porqué.? Parcé qué pour ménotter oune assassin, il mé faut d'abord ouné cadavre ! (Reprenant sa voix normale.) Et le cadavre, il n'y en a pas !

SABRINA (faussement triste) – Il doit bien être quelque part ce corps ?

FRANCIS (sûr d'une plaisanterie) – Vous ne comprenez donc pas que ce cadavre est le fruit de l'imagination de ces quatre tarés de la déconnade !

SABRINA (faussement révoltée) – Je trouve que vous prenez cette situation avec beaucoup de légèreté.

FRANCIS (prenant le parti d'en rire) – A moins que quelqu'un en fasse collection, moi je pense qu'on va vous rapporter le corps bientôt. Sinon, faudra aller voir au bureau des objets trouvés ! (A Carlota.) Mes condoléances madame, et bravo pour votre accent, c'est très bien imité ! Courage mademoiselle... votre numéro est presque au point ! (Ironique, aux autres.) Prévenez moi dès qu'il sera rentré de promenade... René !

Francis s'apprête à sortir.

GILBERT (un peu péteux) – Un p'tit pastis Francis... pour le déplacement...

FRANCIS (lâchant sa colère contenue) – Te fous pas de ma gueule Gilbert, te fous pas de ma gueule ! (Il sort en claquant la porte.)

CLAUDE (secouant la main) – Wouahh ! Il n'a pas l'air content le Francis

GISELE (paumée, à Maurice) – Pourquoi t'as descendu le frère de Pauline ? Qu'est ce qu'il t'avait fait ?

MAURICE (la poussant vers la sortie) – Je t'expliquerai. Essaie plutôt de rattraper Francis pour lui faire passer la pilule.

GISELE (fière, à Maurice) – J'y cours ! Plus rien ne t'arrête toi maintenant... (Admirative.) Tu es comme ces chiens qui ont retrouvé leur instinct de loups ! Primitif et bestial... Ouahhhhhhh ! (Elle sort.)

Aussitôt la sortie de Gisèle, les quatre amis font bloc et se dirigent vers Carlota et sa fille qui sont au pied de l'escalier et sur les marches. C'est l'affrontement verbal.

CLAUDE (accusateur) – Qu'est ce que vous avez fait du corps ?

MAURICE (même jeu) – Où est-ce que vous l'avez planqué ?

GILBERT (idem) – Voleuses de cadavre !

SABRINA (faussement révoltée) – Alors c'est donc vrai, vous l'avez tué... Assassins !

CARLOTA (protégeant sa fille) – Assassino ! Yé té vengerai ma pétite.... Yé té protégerai dans la douceur dé mes bras. Pacé qué yé souis ouné femme douce... (Fort.) quand yé né souis pas en colère, caramba !

SABRINA (faussement triste)Qu'est ce qu'on va devenir maintenant, sans papa ? Sans ressources, comment allons-nous subsister ?

CARLOTA (réalisant et faisant face à Pauline) – Ma qué yé tout compris la sitouatione. Tou es la soeur dé Réné, cé salaud qui mé disait qu'il était seul au monde et il est vénu sé cacher chez toi... Et toi, tou l'a toué pour avoir tout son héritage et nous priver, ma pauvré pétite et moi dé la part qui nous révient. Ma qué ça va pas sé passer comme ça. Tou connais pas Carlota-Conchita-Carmina Antaminolopez et accessoirement la femmé dé René Thébaud, et yé vais té créver les oeils....

GILBERT (moqueur) – Encore ! C'est une vraie manie chez elle !

PAULINE (à Sabrina – Bon, tu lui dis de se taire à l'excitée de l'ophtalmologie ou je lui débranche ses piles de force !

GILBERT (idem) – Tu commences à nous bassiner Carlota !

CLAUDE (venant à la rescousse) – Même si elle ne l'avait pas vu depuis des lustres, notre Pauline est bien incapable de zigouiller son frère...

MAURICE (même jeu) – Elle a déjà bien de la peine à tuer une malheureuse mouche...

PAULINE (émue) – Et puis Anaïs était tellement contente de connaître René...

SABRINA et CARLOTA (ensemble) – Anaïs ?

SABRINA (vivement) – Qui c'est celle-là ? D'où elle sort ?

PAULINE (expliquant) – C'est la seule nièce de René et il voulait en faire son héritière.

CARLOTA (avec vigueur) – Son héritière ! Ma qué c'est pas possible, c'est oune rivale ! Yé vais lui crever les oeils à elle aussi...

CLAUDE (s'interposant, façon Gabin) – T'as pas intérêt à toucher à cette môme, Carlota, c'est moi qui te le dis.

SABRINA (vivement) – Et pourquoi on n'y toucherait pas à cette usurpatrice, hein ?

CLAUDE (même ton) – Pourquoi ? Parce que c'est ma fille, voilà pourquoi !

MAURICE (inquiet, à Pauline) – Oh là là, qu'est ce qu'il est en train de nous faire, le Glaude ?

GILBERT (paumé) – Eh ben, on n'est pas sorti de l'auberge, les copains !

SABRINA (moqueuse, à Claude) – Ah bon, vous êtes son père ?

CLAUDE (avec emphase) – Spirituel... je suis son père spirituel !

SABRINA (à Claude) – Et vous croyez nous faire peur, tout père spirituel que vous êtes, seul contre nous deux?

CLAUDE (même ton) – Le problème, gamine, c'est que je ne suis pas tout seul, parce qu' Anaïs, elle a trois pères ! (Il montre ses copains.) Et voilà les deux autres !

GILBERT (pas très emballé) – T'aurais peut être pu me demander mon avis !

MAURICE (inquiet, à Pauline) – Oh purée, quand Gisèle va savoir que j'ai une fille...

CARLOTA (n'y comprenant rien) – Ma qué cé qué cé qué cé bordel !

PAULINE (émue) – Une promesse que mes trois copains ont fait à René...

CLAUDE (même ton) – Ouais... de s'occuper de sa nièce s'il devait lui arriver malheur...

MAURICE (même ton que Claude) – Parce qu'il se sentait en danger René...

CLAUDE – Il nous l'a dit... (Enfonçant le clou.) juste avant que vous ne le descendiez...

GILBERT (les montrant du doigt)Parce que c'est vous qui l'avez descendu !

SABRINA (les montrant du doigt, elle aussi) - Menteurs, c'est vous ! Et nous allons le prouver ! Nous allons mettre la maison sans dessus dessous, soulever chaque lame de parquet s'il le faut...

CARLOTA (même jeu que ses filles) – Pour rétrouver Réné et après, yé férai révénir Francisco, cet abrouti de yendarme et yé vous férai tous guillotiner. Ah ah, ça vous féra les pieds ! Vous rirez moins après, quand votre tête elle séra dans lé panier, pouf... comme ouné citrouille.

Anaïs arrive par la porte d'entrée, toute joyeuse. Tous se taisent à son arrivée.

ANAIS (avisant Carlota et ses filles) – Tiens, des nouveaux touristes, bonjour ! (Aux autres.) Eh, j'ai pas eu le temps de lancer une nouvelle affaire parce que, vous savez quoi ? Je vous le donne en mille... (En riant aux éclats.) Ca fait une demie heure que je papote avec un maure !

Surprise générale. Ils avancent tous d'un pas vers Anaïs.

TOUS – Un mort ?

ANAIS (plus très sûre d'elle) – Oui, je crois bien que c'est comme ça que ça s'appelle

PAULINE (intriguée) – Et il était où ce mort ?

ANAIS – Dehors... sur le dos d'un dromadaire.

TOUS – Sur le dos d'un dromadaire ?

ANAIS – Parfaitement ! Et j'peux même vous dire qu'il n'y allait pas avec le dos de l'écuyère.

SABRINA (n'y comprenant rien) – Qu'est ce qu'il fichait, grimpé là-dessus ?

CARLOTA (interloquée) – Ma porqué les pompes funèbres elles emmènent les morts sur oune dromadaire ? Y a plou dé chévaux, comme dans lé temps ?

SABRINA (sceptique) – Et vous lui avez parlé au mort ?

ANAIS (avec évidence) – Mais bien sûr que je lui ai parlé ! Il bosse sur son dromadaire...

SABRINA (de plus en plus sceptique) – Et il vous a répondu sans doute ?

ANAIS (amusée) – Vous allez rigoler, mais caché comme il était sous son espèce de drap, je comprenais pas bien ce qu'il disait. (En confidence.) Si vous voulez mon avis, c'était pas un vrai maure...

SABRINA (haussant les épaules) – Mais évidemment que c'est pas un vrai mort !

CARLOTA (croyant comprendre) – Ah lé chameau... il voulait sé sauver sour oune dromadaire

ANAIS (toute contente) – En fait, c'est un gars qu'est déguisé en réverberbère et qui fait la pub du cirque Ponder en promenant son dromadaire sur la place.

Ayant compris la confusion, tout le monde se détend.

SABRINA (avec dédain) – Qu'est ce qu'elle est bête ! (Méchante, à Claude.) Trois pères spirituels, vous ne serez pas de trop ! (Regard dédaigneux vers Anaïs.) Il lui faudra bien au moins ça !

ANAIS (sans s'occuper d'elles) – Et tonton René, il est toujours dans sa chambre ?

CLAUDE-GILBERT-MAURICE et PAULINE (très rapidement) – Oui !

CARLOTA et SABRINA (presque en même temps) – Non !

ANAIS (regardant les deux groupes) – Il est là ou il est pas là ?

CLAUDE-GILBERT-MAURICE et PAULINE (très rapidement) – Il dort !

CARLOTA et SABRINA (presque en même temps) – Il a disparu !

ANAIS (les regardant, amusée) – Chouette, c'est un nouveau jeu ? Comment ça marche, faut trouver la vérité ?

PAULINE (très rapidement) – Oui, en quelque sorte...

CLAUDE (venant à son aide) – Celui qui a trouvé la solution a gagné...

ANAIS (toute fière) – Eh ben alors moi, j'ai déjà gagné parce que, pour tonton René, je sais tout !

PAULINE (inquiète) – Comment ça, tu sais tout ?

ANAIS (toute triste) – Je sais bien qu'il est crevé...

TOUS (choqués) – Oooooh !

ANAIS (toute triste) – Et qu'il est pas en état de redescendre de sa chambre...

CLAUDE (inquiet lui aussi) – Qu'est ce qui te fait dire ça ?

ANAIS (toute triste, les regardant tous) – Vous n'avez donc pas compris qu'il venait d'être victime...

TOUS (ensemble) – Victime de quoi ?

ANAIS (toute triste, les regardant tous) – Du décollage horaire, tiens pardi ! Du décollage horaire !

RIDEAU

ACTE 3

Le lendemain matin. Les chaises on été retirées de devant la porte du restaurant et remises en place dans la salle. Pauline s'affaire derrière son bar. Gilbert, Claude et Maurice arrivent précipitamment. Ils semblent très excités.

GILBERT (entre curiosité et inquiétude) – Alors, il est revenu ?

PAULINE (avec évidence) – T'en as de bonnes toi ! T'as déjà vu un mort faire une fugue une journée entière et rentrer tout seul au bercail, en plein milieu de la nuit ?

MAURICE (voulant détendre l'atmosphère) – Il était peut être en boite... avec une bière. (Il rit.)

CLAUDE (avec commisération) – Alors là, c'est malin Maurice ! Bonjour l'humour !

GILBERT – Tu faisais moins le mariole hier midi. (L'imitant.) «J'me sens pas bien les copains, j'me sens pas bien »

MAURICE (dédramatisant) – Oh là là, vous prenez vite le mors aux dents ce matin.(Il rit, réalisant ce qu'il vient de dire.) Le mort aux dents... (Les autres le regardent en silence.) Bon ça va, j'ai rien dit.

PAULINE (hochant la tête) – Tu tiens la grande forme Maurice ce matin, y a pas à dire !

CLAUDE (réaliste) – Bon, c'est pas le tout. Qu'est ce qu'on fait ?

PAULINE (revenant elle aussi à la réalité) – On attend, que veux-tu faire d'autre ? (Elle montre les chambres.) Si ce sont elles qui ont planqué le corps, elles vont bien finir par faire une boulette...

On entend des bruits à l'étage. Portes qui claquent, bruits de voix.

GILBERT (regardant vers les chambres) – Qu'est ce que c'est que ce cirque ?

CLAUDE – Elles sont en train de démantibuler toutes tes chambres ?

PAULINE (fataliste) – Elles ne font que ça depuis hier.

MAURICE – Si elles le cherchent aussi, ça veut dire qu'elles ne savent pas où il est...

PAULINE (convaincante) – C'est de la mise en scène. C'est ce qu'elles veulent nous faire croire. Si vous voulez mon avis, les gars, Carlota et sa fille ont buté René pour avoir son héritage et elles veulent nous faire endosser le crime.

MAURICE (outré, détachant bien les syllabes) – Oh les salopes !

CLAUDE (en rajoutant) – Si ça se trouve, cette nuit, elles ont balancé son corps dans le port...

GILBERT – T'imagines Francis en homme grenouille, en train de sonder le bassin. Il va en faire une crise d'apoplexie ce gros tétard !

PAULINE (jouant les détectives) – Vous n'y êtes pas les gars. Carlota n'a aucun intérêt à faire disparaître René, au contraire. Elle veut que la police le retrouve, au plus vite... et mort. Ensuite, elle nous accusera du meurtre et la voie sera libre pour elle et sa fille.

MAURICE (même jeu, détachant bien les syllabes) – Oh les salopes !

GILBERT (un peu dépassé) – On fait quoi alors ?

CLAUDE (très solennel) – On respecte d'abord les dernières volontés de René.

PAULINE (émue, la larme à l'œil) – C'est vrai... vous voulez bien vous occuper d'Anaïs ?

GILBERT (vaincu) – Puisqu'il s'y est engagé l'autre là ! (A Claude.) Mais je te préviens, c'est toi qui sera le chef des pères spirituels ! En cas de pépin, tu assumes...

CLAUDE – Si j'ai bien compris, tu refuses d'être un couvre-chef.. et tu me fais porter le chapeau.

MAURICE (inquiet) – A ce propos, je vous signale que Gisèle m'a fait une scène terrible quand elle a su que je voulais être un des pères spirituels d'Anaïs. Elle est persuadée que ça cache quelque chose et que j'ai fricoté avec sa mère... Elle qui s'était calmée depuis un mois...

PAULINE (essuyant une larme) – Merci les copains, je savais que je pouvais compter sur vous. (Se reprenant.) Dans un premier temps, il faut cacher la vérité à Anaïs...

MAURICE (suggérant) – Le mieux serait de la tenir éloignée de l'auberge le plus possible.

CLAUDE (Illuminé) – Y a qu'à lui trouver un professeur qui lui donnerait des leçons particulières à domicile...

MAURICE (ému) – Pour en faire quelqu'un de bien, comme l'aurait souhaité René.

GILBERT (viril) – Et moi, pendant ce temps, je vais surveiller le manège de la tarée du scalpel !

Anaïs, comme la veille, arrive de faire les courses.

ANAIS – Bonjour tout le monde ! (Etonnée) Ben tiens, vous ne faîtes pas votre petite belote ce matin ? (Ils se regardent, étonnés de ne pas y avoir pensé.)

PAULINE (ne sachant comment faire) – Euh non...pas ce matin ! Anaïs... assieds-toi cinq minutes... il faut qu'on te parle. (Elle s'assied, cabas sur ses genoux et les regarde tous qui l'entourent.)

ANAIS (innocemment) – Tonton n'est toujours pas descendu de sa chambre ?

TOUS (ensemble) – Non... enfin... si !

ANAIS (en riant) – Depuis son décollage horaire, il a de la peine à atterrir, tonton René !

CLAUDE (la regardant, avec commisération) – Qu'est ce que je vais bien pouvoir trouver comme professeur, qui soit capable de me remettre tout ça d'équerre, moi !

PAULINE (hésitante) – En fait Anaïs... ton oncle a été obligé de... de... de partir plus tôt que prévu... (Libérée.) Voilà !

ANAIS (troublée) – Tonton René est parti ?

MAURICE (gaffeur) – Oui... enfin non... enfin si... un petit peu quand même qu'il est parti...

GILBERT (rassurant) – Mais il va revenir... ne t'inquiète pas... Y doit pas être bien loin...

PAULINE (prenant le relais)Pour son business, tu comprends ?

CLAUDE (la relayant) – Les affaires, ça n'attend pas... et tu sais comment il est en affaire... tonton René !?

MAURICE (gaffeur) – Pour lui, c'était une question de vie ou de mort...

GILBERT (à Maurice) – Alors toi, pour faire dans la dentelle, t'as vraiment des doigts de fée !

ANAÏS (attristée) – Mais pourquoi il m'a pas dit au revoir ?

MAURICE (rajoutant une louche) – C'est vrai qu'il aurait pu lui dire au revoir quand même... (Gros yeux des copains.)

PAULINE (rapidement)Il est parti très tôt ce matin et il n'a pas voulu te réveiller.

CLAUDE (en profitant) – Par contre, il nous a dit de veiller sur toi jusqu'à son retour.

GILBERT – Oui... parce qu'il compte sur toi pour prendre la suite de ses affaires...

MAURICE – Ton troc sur les pochettes surprises et ton OPA sur la marée du siècle... ça l'a complètement bluffé ! (Gros yeux des autres.)

ANAÏS (souriante) – C'est pas des blagues ? Vous ne dîtes pas ça pour me faire plaisir ?

TOUS (hésitants) – Nooon...

PAULINE (la motivant) – Si tu veux être au top à son retour, il faudrait te mettre tout de suite au travail.

MAURICE (hochant la tête) – C'est sûr que t'as pas de temps à perdre. (Gros yeux des copains.) Faut pas perdre de temps quoi...

GILBERT (incidemment) – Claude avait pensé qu'un professeur particulier... rien que pour toi...ce serait bien...

CLAUDE (s'engouffrant dans la brèche) – Et j'avais justement pensé à...

ANAÏS (le coupant, excitée) – A Julien Drochon ?

TOUS (surpris) – Julien Drochon ?

ANAÏS (tout excitée) – Ouiiii ! C'est un prof qui donne des cours particuliers... et puis... il est tellement beau !

GILBERT (catégorique) – Oui ben justement, il est trop beau Julien Drochon ! Un prof qu'est trop beau, c'est pas normal... Tous les profs que j'ai eu dans le temps, ils étaient tous très efficaces... mais ils étaient tous très moches ! Le physique, c'est un critère d'efficacité chez les profs... (En aparté.) Je sens que je vais me faire un tas de copains, moi !

ANAÏS (plaidant sa cause) – Oui, mais julien Drochon, il plaît bien aux jeunes...

PAULINE (même jeu que Gilbert) – Aux jeunes filles tu veux dire ! Un vrai dragueur ce fils Drochon. En histoire naturelle, il doit en connaître un sacré rayon sur l'anatomie féminine celui-là !

ANAÏS (plaidant sa cause) – Et puis il danse bien aussi... Ça peut servir pour sortir en boite.

MAURICE (intervenant) – Les cours de danse, c'est moi qui te les donnerai. (Anaïs hausse les épaules.) Rigole pas, j'ai reçu les félicitations d'Yvette Horner, au grand bal des pompiers en 70, après avoir dansé « Perles de cristal », son plus grand tube. (Devant l'air dubitatif d'Anaïs.) Eh oui madame, c'est quand même pas rien ça !

ANAÏS (avec pitié) – Yvette Horner, Yvette Horner... j'veux pas vous vexer monsieur Maurice, mais à côté de Mylène Farmer, elle est un peu dépassée de nos jours votre Yvette !

MAURICE (à moitié vexé) – Dépassée, dépassée... Tout ça parce qu'Yvette ne s'habille pas comme ta Vilaine Fermière ! Vous êtes vraiment sectaires, vous les jeunes !

CLAUDE (lui tendant la main) – Allez viens avec moi, je vais te présenter le fils Mary. Tu verras, il est un peu timide mais vachement sympa. (Elle boude, le nez sur son cabas.)

MAURICE (intervenant) – Un prof timide, tu crois que ça va le faire ?

CLAUDE (expliquant) – Il bégaie un peu parce qu'il a quelques complexes...

PAULINE (expliquant) – C'est de la faute à ses parents... ils l'ont prénommé Aubin

MAURICE (comprenant) – Aubin Mary... Oh pétard, le pauvre gars...

CLAUDE (apitoyé) – Depuis, il fait des bulles avec ses phrases. (Anaïs boude toujours.)

PAULINE (malicieusement) – Et dire que René comptait tant sur toi...

ANAÏS (touchée, elle se lève, un peu à regret) – Bon, j'y vais. (A Claude.) Il est comment ?

CLAUDE (lui prenant la main) – Très professionnel...

ANAÏS (se laissant conduire) – Je voulais dire... physiquement ? Il est beau ?

CLAUDE (hésitant) – Ah, physiquement ? Difficile à dire, c'est une affaire de goût. Beau… beau… On ne peux pas dire ça, non . Il a cette beauté sauvage des gens qui vivent seuls. Non, ce qui le dévalorise un peu…c’est qu’il est myope comme une taupe et que ses verres de lunettes sont aussi gros que des fonds de bouteille. Mais, quand il les retire… alors là… tu ne vois que ses yeux !

ANAÏS (déçue) – Il est complètement miro quoi !

CLAUDE (hésitant) – Oui... mais par contre, il a une énorme qualité ce garçon...

ANAÏS (vivement intéressée) – Ah oui, laquelle ?

CLAUDE (l'emmenant vers la sortie) – Il est patient... il est très très patient ! (Ils sortent, côté rue.)

GILBERT (soulagé) – Voilà une bonne chose de faite.

Bruits venant des chambres. Carlota et sa fille descendent l'escalier et commencent à regarder partout dans le bar, sous les tables, dans les coins etc...

MAURICE (moqueur, à Carlota) – Ca se passe bien votre petite entreprise de déménagement ?

CARLOTA – Tou rira moins Mauricio quand y'aurai rétrouvé lé corps !

PAULINE (bras croisés) – Ca vous ennuierait de ne pas foutre le bordel dans mon bistrot ?

GILBERT (même jeu que Maurice)Vous ne voulez pas chercher dans les tiroirs, des fois qu'on l'aurait découpé en morceaux !

Pendant cette réplique, Sabrina ouvre la porte du restaurant, y entre et en ressort aussitôt.

SABRINA (cachant mal sa joie) – Ca y est maman, on le tient ! Il est là, allongé sur une table.

CARLOTA (s'y précipitant) – Caramba ! Ca y est Réné, tou a fini ta proménade ! A nous deux mainténant ! (Elle se frotte les mains et s'apprête à entrer.)

PAULINE (se précipitant à son tour) – C'est pas possible... il n'y avait personne ce matin quand j'ai ouvert le restaurant !

Elle écarte Carlota et sa fille et entre directement dans la salle. Gilbert et Maurice rejoignent les autres et restent sur le seuil, personne n'osant entrer, mais se poussant les uns les autres pour voir ce qui se passe à l'intérieur.

SABRINA (les repoussant) – Eh oh, poussez pas, j'étais arrivée la première !

CARLOTA (aidant sa fille) – Il n'est pas à vous cé corps, il est à nous !

GILBERT (insistant) – On a bien le droit de le voir, nous aussi !

CARLOTA (le repoussant en lui tapant dessus avec une revue) – Porqué vous voulez lé voir ? Vous lé connaissez par coeur Réné ! Récoulez Caramba !

MAURICE (inquiet) – C'est peut être pas lui ...

CARLOTA (le repoussant également) – Ah ah, tou rigoles moins Mauricio mainténant. Ta tête... pouf... dans lé panier, comme oune citrouille. Ah ah ah !

Pauline ressort du restaurant, ferme la porte derrière elle et s'appuie le long pour empêcher quiconque d'entrer.

PAULINE (bouleversée) – C'est bien lui... enroulé dans la nappe... Je n'y comprends plus rien !

SABRINA (à sa mère) – Je surveille la porte maman. Cours prévenir le gendarme, vite !

CARLOTA (excitée, s'apprêtant à partir) – Ma qué bien sour que yé vais courir chercher la youstice. (Sur le pas de la port, à sa fille.) Et si yamais il veut s'enfouir Réné... tou lé zigouille ! Ma qué cé qué yé raconte, il est déya zigoullé ! (Elle sort.)

GILBERT (la suivant) – Maurice, surveille aussi la porte, j'y vais. Calota, est capable de raconter n'importe quoi à Francis. (Il sort.)

Sabrina va chercher une chaise et elle s'installe près de la porte du restaurant. Pauline et Maurice en font autant. Pendant quelques secondes, personne ne parle mais ils se surveillent du coin de l'oeil.

MAURICE (de plus en plus inquiet) – Oh là là, j'aime pas du tout ce genre de situation...

SABRINA (moqueuse, à Maurice) – Vous ne paraissez pas très tranquille, monsieur Maurice.

MAURICE (même jeu) – Hier, il était sur cette table... ensuite, il s'est tapé l'étage... et... et... et maintenant, on le retrouve dans le restaurant. Y tient pas en place, ce con !

PAULINE (inquiète) – Qui peut bien s'amuser à balader le corps d'une pièce dans l'autre !

SABRINA (perfide) – Vous n'allez pas tarder à le savoir...

La porte d'entrée s'ouvre. Croyant voir arriver Francis, ils se relèvent tous d'un bloc. Claude entre , suivie de Anaïs, boudeuse, et de Aubin. C'est un jeune instituteur, très timide qui porte effectivement de grosses lunettes. Il est bien habillé et ne doit pas être vulgaire. Tout au plus, bredouiller un peu sur certains mots. Ils se rassoient tous d'un même ensemble à la vue des arrivants.

CLAUDE (les regardant) – Qu'est ce que vous fichez devant cette porte, vous montez la garde ?

MAURICE (entre les dents et à grands renfort de gestes) – Il est là... il est là !

CLAUDE (à Pauline, ne comprenant pas) – Qu'est ce qu'il raconte le Maurice ?

SABRINA (perfide) – Je crois qu'il veut vous faire comprendre « qu'il est là... » (Tête de Claude qui vient de comprendre.)

PAULINE (coupant court à la conversation) – Pourquoi vous venez ici ? Vous ne deviez pas donner des cours à votre propre domicile ?

Aubin bégaie légèrement à toutes ses phrases et doit être un peu emprunté, mal à l'aise. Il ne doit en aucun cas être vulgaire et ridicule. Son bégaiement ne doit pas être trop prononcé pour ne pas alourdir et allonger le texte.

AUBIN (timidement) – Je m'excuse madame Pauline, mais c'est que justement... mon domicile n'est pas propre en ce moment. Il est en rénovation et j'ai des ouvriers dans toutes les pièces...

PAULINE (affolée) – Ah oui, mais ici, ce ne sera pas possible...

ANAÏS (en profitant) – Et si on demandait à Julien Drochon ?

PAULINE, CLAUDE et MAURICE (ensemble) – Ah non !

AUBIN (timidement, regardant autour de lui) – Il ne me faut pas beaucoup de place, vous savez...

PAULINE (essayant de le raisonner) – Je comprends bien mais en ce moment, on est un peu à l'étroit là-dedans...

MAURICE (venant à son secours) – Y a quasiment du monde dans toutes les pièces...

CLAUDE (idem) – Quand c'est pas dans une, c'est dans l'autre...

AUBIN (osant) – Même en ce moment ? C'est pourtant la morte saison.

CLAUDE (amusé) – La morte saison, vous ne croyez pas si bien dire !

ANAÏS (qui en a marre) – Bon, si faut y aller, faut y aller ! Y a qu'a s'installer sur une table du restaurant. (Elle se dirige vers la porte du restaurant.)

PAULINE (s'interposant) – Ah non, le restaurant, c'est pas possible !

ANAÏS (étonnée) – Et pourquoi, c'est pas possible ?

MAURICE (venant à son secours) – Parce que... parce que... parce qu'il n'est pas nettoyé...

ANAÏS – Le restaurant pas nettoyé ? Vous rigolez, c'est moi qui l'ai fait ce matin avant de partir aux courses. (Elle écarte tout le monde.) Allez, laissez moi passer, j'ai pas de temps à perdre, moi, si je veux prendre la suite de tonton René. (A Aubin.) Vous venez ? Mais j'vous préviens, vous allez avoir un sacré boulot ! (Elle entre dans la pièce sous les regards terrifiés des autres.)

AUBIN (se faufilant au milieu des autres) – Excusez-moi... s'il vous plaît... pardon. (Il entre dans la pièce et referme la porte derrière lui.)

Tous les autres se sont pressés derrière la porte en essayant d'écouter ce qui se passe.

PAULINE (inquiète, se tenant la tête) – Ma pauvre Anaïs, quel choc pour elle...

SABRINA (mauvaise) – Si elle pouvait faire une crise cardiaque, ça m'arrangerait bigrement !

Un temps. Silence. On se regarde et on attend.

MAURICE (interloqué) – C'est bizarre, personne ne crie...

CLAUDE (idem) – C'en est même anormal..

SABRINA (ricanant) – Ils ont peut être fait une syncope tous les deux.

Ils se repositionnent tous derrière la porte. Celle-ci s'ouvre brusquement, les faisant tous sursauter et se jeter en arrière. Aubin apparaît, tenant un crayon à la main. Il s'arrête , surpris, et les regarde.

PAULINE (inquiète, du bout des lèvres) – Ca va ?

AUBIN (triste) – Ca pourrait aller mieux. On commence mal. On ne peut pas travailler avec ça...

CLAUDE (idem Pauline) – Evidemment... Et Anaïs, comment a-t-elle pris la chose ?

AUBIN (fataliste) – Oh elle... ça ne l'a pas étonnée. Elle voyait bien qu'il avait mauvaise mine.

MAURICE (idem Pauline) – C'est tout ce qu'elle a dit ? (Aubin fait signe que oui.)

PAULINE (inquiète, du bout des lèvres) – Est ce qu'elle pleure ?

AUBIN (surpris) – Oh ben non, quand même pas.

SABRINA (entre admiration et méchanceté) – Elle a un sacré tempérament cette gonzesse !

CLAUDE (admiratif) – Elle est forte, ma fille adoptive !

AUBIN (dédramatisant) – En même temps, c'est pas si grave que ça...

MAURICE (outré) – Comment ça, c'est pas si grave ?

PAULINE (outrée elle aussi) – Mais alors, qu'est ce qu'elle fait en ce moment ?

AUBIN (calmement) – Elle m'attend.

PAULINE (ne comprenant pas) – Elle vous attend pour quoi faire ?

AUBIN (montrant le crayon qu'il tenait à la main) – Elle m'a envoyé vous demander si quelqu'un d'entre vous aurait un taille-crayon, on vient de casser la mine...

Ils se regardent tous, personne n'y comprenant plus rien.

ANAÏS (arrivant) – Faut pas deux heures pour tailler un crayon ! Quand est-ce qu'on commence nos devoirs conjugaux ? (Tout le monde la regarde ainsi que Aubin.)

PAULINE – Eh ben bravo, vous ne perdez pas de temps, vous !

AUBIN (se justifiant en bégayant) – Vous vous méprenez, je voulais juste lui parler de la con... de la con... de la conjugaison...

ANAÏS (expliquant) – C'est bien ce que je disais, des devoirs conjugaux !

Sabrina, Claude et Maurice se sont engouffrés dans la salle du restaurant pour fouiller partout.

ANAÏS (s'insurgeant) – Eh oh, sortez de ma salle de classe tout de suite !

PAULINE (la calmant) – Ils aident mademoiselle Sabrina à chercher une boucle d'oreille qu'elle a perdue tout à l'heure... Laisse-leur cinq minutes.

ANAÏS (gentiment) – J'peux la dépanner si elle veut. J'en ai des vrais stocks de boucles d'oreille !

PAULINE (refermant la porte du restaurant) – T'es gentille Anaïs. (A Aubin, pour les occuper.) Mais, ne perdez pas de temps. Posez-lui quelques questions pour tester ses connaissances générales en attendant qu'ils libèrent la salle. (Tout en écoutant, elle surveille la salle d'à côté.)

AUBIN (satisfait) – C'est une bonne idée. Asseyez-vous Anaïs et écoutez-moi bien. Question d'histoire...

ANAÏS (ravie) – Chouette, j'aime bien les histoires.

AUBIN (satisfait) – Anaïs, savez-vous comment est mort Henri IV ?

ANAÏS (du tac au tac) – J'crois bien qu'il a eu un accident de voiture avec un dénommé Cadillac.

AUBIN (rectifiant gentiment) – Ravaillac ! A votre avis, François 1er était le fils de qui ?

ANAÏS (contente) – Trop fastoche. C'était le fils de François zéro !

PAULINE (gentiment) – L'histoire de France, c'est pas trop son truc vous savez...

AUBIN (l'excusant presque) – On ne peut pas être bon partout. On va essayer la géographie. Le Mexique, ça vous inspire ?

ANAÏS (contente) – Ah oui, le Mexique, c'est le pays où y avait autrefois des pastèques.

AUBIN (la reprenant gentiment) – Des aztèques... Vous l'aviez presque... dans le désordre. Savez-vous où se situe la Turquie ?

Anaïs se relève et va examiner une carte du département épinglée le long du mur.

ANAÏS (promenant son doigt sur la carte) – Alors voyons voyons...

PAULINE (surprise) – Attends Anaïs, tu cherches la Turquie sur la carte de Vendée ?

ANAÏS (avec évidence) – Y a une quinzaine de turcs qui travaillent à la conserverie et qui viennent tous les matins en vélo, ils ne doivent pas arriver de bien loin !

PAULINE (accablée, se tenant la tête) - C'est pas vrai !

AUBIN (toujours calmement) – La géo et l'histoire, ça va souvent ensemble. Quand on connaît pas trop l'un, on ne connaît pas trop l'autre. En géométrie peut être ?

ANAÏS – Oh oui, j'aime bien ça ! Comme le polygone, qu'a des côtés un peu partout, l'ovale, qui est un cercle presque rond mais pas tout à fait et le losange, qu' est un carré tordu en biais.

AUBIN (toujours calmement) – On va peut être laisser tomber la géométrie pour l'instant. Est ce que la physique ça vous tente ?

ANAÏS (pas contrariante) – Ouais, pourquoi pas.

AUBIN (sans se départir de son calme) – Le principe d'Archimède et la loi de Newton... vous savez ce que c'est ?

ANAÏS (cherchant) – En principe, Archimède, c'est le mec dans sa baignoire qu'a compris que tout corps plongé dans un liquide en ressortait mouillé. Et Newton, c'est le gus avec une perruque qui s'est pris une pomme sur la tête et qui en a conclu qu'un corps lâché d'une certaine hauteur choisissait toujours de tomber. Ils étaient drôlement intelligents les gars !

AUBIN (devant le désarroi de Pauline) – C'est pas grave, je vais prendre une question plus facile. A quoi sert l'eau de mer ?

ANAÏS (spontanée) – A remplir les océans ! Et même que quand on évapore l'eau de mer, on peut récupérer du sel dedans. Et même qu'on dit des cristaux de sel quand il y a plusieurs cristals.

AUBIN (encourageant Pauline) – Il y a un petit peu de mieux là quand même... (Moue de Pauline.)

ANAÏS (pas gênée) – Vous ne m'avez pas interrogée sur les sciences. C'est dommage, c'est là où je gaze le mieux...

AUBIN (dernière tentative) – Si vous voulez. Parlez-moi du cerveau.

ANAÏS (toute fière) – Le cerveau, c'est l'organe qui donne les ordres et toutes les autres parties du corps sont obligées de lui obéir.

PAULINE (à Aubin) – Vous voulez vraiment continuer ? Vous n'avez pas l'impression que c'est mission impossible ?

AUBIN (sûr de lui) – Non non, je suis sûr qu'il faudrait peu de choses pour qu'il y ait un déclic.

PAULINE (incrédule) – Un déclic ? Comment vous voyez ça ?

AUBIN (sûr de lui) – L'intuition... Je sens qu'elle a un potentiel caché derrière un blocage... Moi, les blocages, je connais bien...

A ce moment, les autres sortent de la salle du restaurant, dépités.

PAULINE (à ses copains) – Alors ?

MAURICE (déboussolé) – Alors rien ! On a fouillé partout...

CLAUDE (montrant Sabrina) – Et l'autre là qui accuse Gilbert de l'avoir dissimulé quelque part...

MAURICE (venant à la rescousse) – Alors que c'est peut être sa mère qui a eu cette idée et qui l'a planqué en passant par la porte de devant...

ANAÏS (en pleine incompréhension) – Vous en faîtes d'un tintouin pour une malheureuse boucle d'oreille.

SABRINA (méchamment) – Une boucle d'oreille ? Mais qu'est ce qu'elle raconte celle là ?

ANAÏS (continuant sur sa lancée) – Vous bilez pas, j'vous en refilerai une paire. J'en ai des pleins tiroirs dans ma chambre!

SABRINA (méchamment) – Mais j'en veux pas de tes boucles d'oreille, moi, pauvre bécasse !

ANAÏS (outrée) – Eh oh, comment elle me parle l'autre là ! Bécasse toi même ! Sachez mademoiselle qu'avec cet excellent professeur qui est très copain avec Archimède et Niouton, je prends actuellement quelques cours pour me remettre à niveau afin de prendre la suite des affaires de mon oncle René...

SABRINA (ironique) – Te remettre à niveau ? Eh ben dis donc, c'est pas des cours qu'il te faut mais des flotteurs pour que ta tête puisse émerger de ton flot de conneries !

ANAÏS (outrée) – Flot de conneries ! Alors là, c'est la goutte d'eau qui fait déborder l'entonnoir ! Jamais mademoiselle, jamais, vous m'entendez, vous n'entrerez dans les casinos de tonton René. Je m'arrangerai pour que ses vigiles vous jettent à la porte. Et tant pis si vous devez mourir de faim ! Encore que, si votre fabrication de calories est en rapport avec votre méchanceté, vous devez avoir des réserves pour un sacré moment !

AUBIN (pris au jeu) – Et vlan ! Ca... ça... ça... ça c'est envoyé.

SABRINA (moqueuse) – Parce que tu te vois déjà propriétaire des casinos de René Thébaud ? Mais t'as rien compris ma pauv'fille.

CLAUDE (faisant diversion) – La salle de classe est libre. (Les poussant vers le restaurant.) Allez allez, les cours reprennent.

AUBIN (s'apprêtant à sortir) – Venez Anaïs, on va faire une dictée.

ANAÏS (sortant à contre coeur, poussée par Pauline) – J'vous préviens, ça va pas être terrible. Elle m'a tout déconcentrée celle-là avec sa boucle d'oreille. Comme si ça valait le coup de se mettre dans des états pareils pour une breloque !

SABRINA (bras croisés, la regardant sortir) – Elle m'énerve... elle m'agace... elle me gonfle !

ANAÏS (sur le pas de la porte, ironique) – En tout cas, c'est pas tout le monde qui peut se vanter d'avoir réussi une O.P.A.

SABRINA (interloquée) – Une O.P.A ?

ANAÏS (sur le pas de la porte, fière) – Parfaitement mademoiselle Une O.P.A ! Une Opération de Prélèvement sur l'Atlantique !

AUBIN (défendant Anaïs) – Et... et... et toc ! (Ils sortent tous les deux , très dignes.)

La porte d'entrée s'ouvre, livrant le passage à Gilbert, suivie de Carlota puis de Francis, aussi suant et soufflant que la première fois. Aussitôt, les autres se sont replacés devant la porte du restaurant.

GILBERT (s'adressant à Francis) – Tu vas voir que c'est pas une blague...

FRANCIS (soufflant) – Je l'espère pour toi Gilbert.

CARLOTA (excitée) – Souivez-moi, yendarme ! Ces assassinos l'ont planqué dans lé restaurant. (Elle avance d'un pas décidé vers la salle.)

GILBERT (se rebiffant) – Ne la crois pas Francis, c'est elle qui a descendu René et elle veut nous accuser du meurtre.

FRANCIS (moqueur) – Alors, c'est plus Maurice... couic... avec son couteau ? Avec vous, l'enquête avance à grands pas... comme le cadavre d'ailleurs. (Montrant la salle.) Alors, il est dans le restaurant cette fois-ci ?

PAULINE (ennuyée) – Oui... mais il y a eu un petit problème... (Tête de Francis.)

MAURICE (à son secours) – C'est pas grave, rassure-toi... juste un petit problème passager... (Francis croise les bras et attend.)

CLAUDE (s'en mêlant) – Voilà... Comment te dire...

SABRINA (assénant le coup) – Ils ont fait disparaître le corps !

FRANCIS (au bord de l'apoplexie) – Quoi ! Qu'est ce que vous avez dit ?

PAULINE (fataliste) – On a encore paumé le corps....

GILBERT (tout péteux) – Avoue que c'est quand même pas de pot...

CARLOTA (énervée, à sa fille) – Ma qué tou pouvais pas faire attention, toi pétite idiote ! Yé commence à en avoir assez dé courir après loui !

Francis se dirige d'autorité vers la salle de restaurant dans laquelle il pénètre en laissant la porte ouverte derrière lui. Tous les autres se pressent à la porte.

GILBERT (à ses copains) – Il s'est encore barré tout seul ?

SABRINA (sournoisement) – Ou alors aidé par quelqu'un...

Francis ressort de la salle, rouge de colère.

FRANCIS (au bord de l'apoplexie) – A défaut de funérarium, c'est une salle de classe, à côté, en ce moment ! Je sais qu'il n'a jamais trop aimé l'école, le René, mais de là à se barrer tout seul, avec un couteau dans le dos, à la vue du premier instituteur venu, y a quand même des limites à franchir sans les dépasser ! Je ne sais pas ce que vous en pensez...

GILBERT (innocemment) – Tu pourrais répéter ta question ?

FRANCIS (menaçant) – Te fous pas de ma gueule Gilbert, te fous pas de ma gueule !

GILBERT (voulant calmer le jeu) – On ne se moque pas de toi Francis... on ne ferait jamais de blagues pareilles à un vieux copain d'école, pas vrai Claude ?

FRANCIS (pétant un câble) – Quarante ans que vous vous payez ma tronche tous les deux ! Déjà, quand on était gamins, il fallait toujours que ce soit moi qui fasse le gendarme et vous les voleurs. Et déjà vous m'en faisiez voir de toutes les couleurs. (Il s'assied et commence à pleurnicher.)

CLAUDE (minimisant les faits) – Enfin Francis, c'était des jeux de gosses...

FRANCIS (pleurant comme un gamin) – Et le soir d'un premier mai quand vous avez bloqué la sonnette de la gendarmerie avec de la colle forte, vous aviez quel âge ?

CLAUDE (ennuyé) – Euh... peut être vingt...

FRANCIS (pleurant de plus en plus) – Et l'autre fois où vous avez voulu que je vous montre une cellule de la gendarmerie et que vous avez refermé la porte derrière moi en me laissant poireauter dedans jusqu'à ce que le collègue me délivre le lendemain matin... vous aviez quel âge ?

GILBERT (gêné lui aussi) – J'sais plus... peut être trente...

FRANCIS (pleurant de plus en plus) – Vous m'avez toujours pris pour un con... alors c'est pas aujourd'hui que ça va changer...

CLAUDE et GILBERT (sans conviction) – Mais non...mais si... mais non...

FRANCIS (se levant et se mouchant) – J'hésite encore...

PAULINE (inquiète) – Tu hésites entre quoi ?

FRANCIS (s'apprêtant à partir) – Ma démission... une retraite anticipée... ou ma demande de mutation à St Pierre et Miquelon, le plus loin possible de vous...

SABRINA (inquiète) – Et votre enquête ? Vous ne pouvez pas partir comme ça !

CARLOTA (à Francis) – Ma qué c'est vrai, vous n'avez pas rétrouvé lé cadavre dé Réné. Et on né sait touyours pas qui la toué !

FRANCIS (très sérieux, jouant au Cluedo) – A mon avis... c'est peut être le colonel Moutarde, avec un chandelier, dans la cuisine... ou alors le docteur Olive, avec un révolver, sous la véranda... En tous cas, vous continuerez le jeu sans moi. (Il porte deux doigts à son képi et sort, très digne.)

SABRINA (ironique) – Elle est jolie la police française.

CARLOTA (indignée) – Ma qué c'est pas possible, on né peut pas rester comme ça.

GILBERT (à Carlota) – Et si nous allions procéder à une petite vérification dans vos chambres

CLAUDE (en renfort) – Très bonne idée, qu'en pensez-vous ?

SABRINA (à l'attention de Pauline) – J'en pense qu'une fois là-haut, nous en profiterons pour vérifier aussi la vôtre... madame !

PAULINE (piquée au vif) – Eh bien dans ce cas, allons-y tout de suite.

Ils se précipitent tous dans l'escalier.

CLAUDE (à Maurice qui arrivait en dernier) – Reste ici Maurice, au cas où Anaïs arriverait.

CARLOTA (à Sabrina ) – Toi aussi tou reste ici à surveiller lé Mauricio. Ma qué yé pas dou tout confiance en loui !

Ils disparaissent tous sur le palier et on les entend discuter fort là-haut. Maurice revient dans le bar, tout penaud sous le regard soutenu de Sabrina. Anaïs sort de la salle de restaurant.

ANAÏS (voyant Maurice) – C'est l'heure de la récré, il corrige ma dictée. (Regardant vers les chambres.) Heureusement que tonton René est parti, il aurait pas pu dormir dans ce bazar.

SABRINA – T'inquiète pas pour lui, il avait le sommeil très profond, ces derniers jours...

ANAÏS (rancunière, lui faisant signe de se taire) – Alors vous.... cacahouète !

MAURICE (faisant diversion) – Et si on en profitait pour faire quelques exercices de danse ?

ANAÏS (pas très intéressée) – Bof ! J'ai pas très envie de danser sur les airs de votre Vévette...

MAURICE (convaincant) – Quand tu seras une femme d'affaire, il faudra que tu sortes dans le grand monde et que tu assistes à des soirées où l'on danse autre chose que tes danses de sauvages et de débraillés.

ANAÏS (indécise) – Vous croyez que ça se passe comme ça ?

MAURICE (lui prenant la main) – Mais bien sûr. Allez viens que je t'apprenne la valse. (Il la prend dans ses bras et commence sa démonstration en chantonnant un air de valse et en marquant bien les pas.) Etoile des neiges... papapoum, papapoum, mon coeur amoureux... papapoum, papapoum, s'est pris au piège... papapoum, papapoum, de tes grands yeux... papapoum papapoum etc.. (Tant bien que mal, ils arrivent à exécuter quelques tours de valse sous le regard moqueur de Sabrina.)

ANAÏS (s'emmêlant un peu les pinceaux) – Vous direz ce que vous voudrez monsieur Maurice, mais ça fait quand même moins d'jeun que le hip hop.

MAURICE (moralisateur) – Peut être mais on ne danse pas de hip hop dans les soirées mondaines. (L'encourageant.) En tout cas, pour une débutante, tu te débrouilles très bien

SABRINA (mauvaise) – Avec une dinde pareille, moi à votre place, je lui apprendrais plutôt la danse des canards ! Elle serait plus dans son élément.

ANAÏS (lâchant Maurice, à Sabrina) – Moi, une dinde ? Alors là, c'est la plume qui fait éclater l'édredon ! Allez-y donc si vous êtes si maligne, montrez-nous ce que vous savez faire.

SABRINA (la prenant au mot) – Je vais me gêner, tu vas voir. (Elle attrape Maurice, se colle à lui et commence, en chantonnant, un slow langoureux avec lui.)

Maurice complètement surpris, essaie de se dégager sans y arriver tant Sabrina se colle à lui et le cramponne, sous le regard éberlué de Anaïs. Il finit par danser, fesses en arrière.

ANAÏS (outrée) – Mais c'est qu'elle m'emballerait mon professeur de danse !

La porte d'entrée s'ouvre et Gisèle entre, un sac à provisions à la main, ne voyant pas Maurice qui lui tourne le dos en dansant.

GISELE (à la cantonade) – Je viens de croiser Francis qui m'a dit de vous dire que ce doit être mademoiselle Rose, avec un poignard, dans la salle à manger. Vous avez fait une partie de Cluédo ensemble ou quoi ?

Fort adroitement, Sabrina, qui a décidé de semer la zizanie, fait pivoter Maurice qui, affolé, se retrouve face à sa femme. Gisèle en reste clouée sur place.

GISELE (retrouvant son autorité perdue) – Maurice, qu'est ce que tu fais dans les bras de cette fille

Maurice veut lâcher Sabrina qui s'accroche à lui tout en faisant croire le contraire.

SABRINA (faussement affolée) – Lâchez-moi, monsieur Maurice, lâchez-moi, ne profitez pas de ma faiblesse avec à la sensualité que vous dégagez en dansant. Votre femme pourrait s'imaginer des choses... (Elle le repousse après sa phrase assassine.)

GISELE (tapant sur la tête de Maurice avec un poireau qu'elle a sorti de son sac et qu'elle tient à la main) – Et comment qu'elle va s'en imaginer des choses, sa femme ! Ah le salopard !

MAURICE (se protégeant ) – Arrête Gisèle, tu me fais mal...

Normalement, à chaque coup donné, le poireau doit perdre quelques brins qui s'éparpillent autour de la tête de Maurice.

GISELE (lui redonnant un autre coup) – Tu t'imagines quand même pas que je te tapes dessus pour te faire du bien ! (Nouveau coup.) Alors comme ça, monsieur à de la sensualité sous ses semelles de godasses ? C'est nouveau ça !

MAURICE (se protégeant ) – Attends Gisèle, je vais t'expliquer...

GISELE (lui redonnant un autre coup) – Mais c'est que monsieur se prendrait pour OSS117. Il descend un petit truand et il s'octroie une James Bond girl en récompense ! (Nouveau coup.)

ANAÏS (à Gisèle) – Arrêtez de taper dessus, vous allez tout le cabosser !

SABRINA (perfide) – T'es pas qu'un peu cabossée toi...

ANAÏS – D'abord, il dansait avec moi monsieur Maurice quand l'autre bêcheuse me l'a piqué.

GISELE (lui donnant un autre coup) – Mais t'es insatiable. Il t'en faut combien de petites jeunettes pour assouvir tes bas instincts lubriques, hein ? Et avec ta fille adoptive, en plus, c'est du propre !

ANAÏS (se grattant la tête) – Quelle fille adoptive ? Alors là, j'suis complètement paumée moi !

Aubin sort du restaurant, tenant une copie à la main.

AUBIN (toujours bégayant) – Venez Anaïs, j'ai corrigé votre copie.

ANAÏS (allant vers lui) – Y avait beaucoup de fautes ?

AUBIN (toujours bégayant) – Quarante sept... mais rassurez-vous, ce ne sont presque que des fautes d'étourderie.

Ils entrent tous les deux dans la salle de restaurant. A l'étage, les autres sortent des chambres et redescendent en grommelant. Sabrina jubile dans son coin.

PAULINE (voyant Gisèle) – Ah Gisèle, tu tombes bien.

GISELE (redonnant un autre coup à Maurice) – Pour sûr que je tombe bien ! Je viens de surprendre Maurice dansant un slow langoureux avec cette... cette... cette créature !

CARLOTA (à Maurice, menaçante) – Ma qué tou est pourri yousqu'à la moëlle Mauricio ! (Prenant sa fille dans ses bras.) Il né t'a pas fait dé mal au moins, ma pauvré pétite ?

SABRINA (faussement effarouchée) – Oh maman... il a absolument voulu danser avec moi... et puis après, il m'a serré très fort contre lui... et puis après... et puis après...et puis sa femme est arrivée... Et heureusement... parce que je ne sais pas ce qui se serait passé autrement.

GISELE (redonnant un coup à Maurice) – Vous entendez ça ? Le chien docile était devenu loup et maintenant le loup est en rut ! (Nouveau coup.) Mais je vais te faire piquer moi, ça va pas être long !

MAURICE (à deux doigts de péter un plomb) – J'en peux plus les copains, je sens que je vais péter un plomb...

Anaïs et Aubin sortent en courant de la salle de restaurant

ANAÏS (toute joyeuse) – Cherchez plus, ça y est, on l'a retrouvée !

TOUS (ensemble) – Où ça ?

AUBIN (toujours bégayant) – Dans le restaurant, derrière le meuble aux couverts...

Toujours préoccupé par leur recherche, ils se précipitent tous dans la salle de restaurant, se bousculant pour passer la porte, sans s'occuper d'Anaïs et de Aubin.

ANAÏS (à Aubin, haussant les épaules) – Ils sont bizarres, hein ?

AUBIN (toujours bégayant) – C'est bien la première fois que je vois autant d'empressement pour retrouver une boucle d'oreille, moi !

RIDEAU

ACTE 4

Le même jour, quelques 7 à 8 heures plus tard. A l'ouverture du rideau, Anaïs est assise à une table et fait des devoirs sous la surveillance de Aubin tout en grignotant un sandwich. Tous les autres sont dans la salle de restaurant dont ils ont fermé la porte. On entend leurs bruits de voix.

ANAÏS (montrant le restaurant) – Je ne sais pas ce qu'ils fabriquent là-dedans, depuis midi qu'ils se sont enfermés...

AUBIN (toujours bégayant) – On a l'impression qu'ils se surveillent les uns les autres...

ANAÏS (regardant son sandwich) – Sandwich à midi, même chose ce soir, c'est pas dans les habitudes de la tantine ça !

AUBIN (regardant sa montre)Déjà vingt heures ! Vous devez en avoir marre...

ANAÏS (sincère) – J'ai pas vu le temps passer...

AUBIN (la reprenant gentiment) – En français, il faut dire : « Je n'ai pas vu le temps passer et non « j'ai pas vu le temps passer ». D'ailleurs, ce n'est pas le temps qui passe, mais c'est nous qui passons...

ANAÏS (soufflée) – C'est nous qui passons... Ouh là là ! Comme vous êtes intelligent pour dire des choses comme ça.

AUBIN (l'encourageant gentiment) – Mais vous aussi, vous êtes intelligente Anaïs... seulement vous ne le savez pas...

ANAÏS (se confiant) – Je parle toujours sans réfléchir alors, je ne sors que des âneries et je vois bien que ça fait rire tout le monde. (Regard vers le public.) En fait, vous savez quoi ? Je crois bien que j'ai un cerveau lent... (Ils rient tous les deux.) et comme il est lent, mon cerveau, eh bien, il me faut beaucoup de temps pour comprendre. Du coup, forcément, ça énerve les gens et plus personne ne veut s'occuper de moi.

AUBIN (bégayant encore plus) – Moi, c'est pareil, mais dans un autre genre. Comme je bégaie beaucoup, les gens n'ont pas la patience d'attendre la fin de mes phrases et ils se barrent avant que j'aie fini de parler. C'est gênant parfois...

ANAÏS (gentiment) – Vous ne bégayez presque pas.

AUBIN (bégayant encore plus) – Oh si si si si...I

ANAÏS (gentiment) – Mais non !

AUBIN (bégayant encore plus) – Mais si si si si si !

ANAÏS (terre à terre) – Bon si voulez. En tout cas, moi, ça m'arrange drôlement parce que ça me laisse grandement le temps de répondre à votre question avant que vous m'en posiez une autre. (Ils rient.)

AUBIN (soudain sérieux) – C'est la faute à mes parents... ils m'ont prénommé Aubin...

ANAÏS (compatissante) – Aubin Mary, oui je sais. C'est pas très malin de leur part. Un truc comme ça, moi, ça me fait bouillir ! (Réalisant ce qu'elle vient de dire.) Oh pardon !

AUBIN (riant) – On me l'a déjà faite plusieurs fois celle-là mais vous, vous ne le dîtes pas méchamment. Il y a tellement de gens qui se moquent de moi...

ANAÏS (émue) – C'est injuste parce que vous êtes drôlement gentil et drôlement patient.

AUBIN (avec humour) – Il vaut mieux être patient quand on bégaie parce que... le temps que ça vienne... on s'énerve moins.

ANAÏS (reconnaissante) – N'empêche que depuis ce matin, grâce à vous, j'ai appris plein de choses....

AUBIN (renvoyant le compliment) – Faut dire aussi que vous avez une sacrée bonne mémoire.

ANAÏS (riant) – Quand je pense que je croyais qu' Astérix était le chef des gaulois... que Jules César avait tapé une belote à Marseille avec Panisse et Escartefigue... qu' Hollywood était uniquement une marque de chewing gum... et que c'était un pasteur protestant qui avait inventé le vaccin contre la rage ! (Se tapant sur le front.) Faut y être bête quand même !

AUBIN (enthousiaste) – Et ce n'est que le début, vous allez voir tout ce que vous allez apprendre.

ANAÏS (à moitié incrédule) – Vous voulez bien continuer à vous occuper de moi ? (Signe affirmatif de la tête de Aubin.) Vous n'êtes pas découragé ?

AUBIN (aux anges, il ne bégaye plus) – Découragé ? Pour la première fois, j'ai l'impression d'être utile à quelqu'un...

ANAÏS – Et moi, pour la première fois, j'ai l'impression qu'on ne me prend pas pour une godiche. (Doucement, elle lui enlève ses lunettes.)

AUBIN (se laissant faire) – Si vous m'enlevez mes lunettes, je ne vais plus rien voir, je suis myope comme une taupe.

ANAÏS (tenant ses lunettes à la main et le regardant) – Monsieur Claude avait raison, vos lunettes, sont des vrais culs de bouteille mais alors.. vous avez de très jolis yeux...

AUBIN (modeste) – C'est bien à peu près tout ce que j'ai de beau...

ANAÏS (en souriant) – Avec votre voix... quand vous ne bégayez pas... ce que vous faîtes depuis deux minutes déjà....

AUBIN (étonné, portant ses mains à sa gorge) – C'est vrai, je ne bégaie plus ! Mais alors, je suis gué... je suis gué... je suis gué...

ANAÏS (en souriant) – Oui oui, vous êtes guéri d'accord, mais faut pas recommencer maintenant.

AUBIN (riant) – Non, je suis gai... je suis gai... je suis content quoi !...

La porte du restaurant s'ouvre et Pauline paraît, étonnée de voir Aubin encore dans les lieux.

PAULINE (surprise) – Aubin, vous n'êtes pas encore parti ? Il ne fallait pas nous attendre.

AUBIN (il ne bégaie plus du tout) – Je ne voulais pas partir sans vous avoir salué, madame Pauline...

ANAÏS (avec emphase) – Et pour qu'il te saluât, encore eut-il fallu que vous eussiez terminé votre réunion !

PAULINE (béate d'admiration, regardant Aubin) – Alors là ! Comment elle me parle maintenant...

AUBIN (naturel) – Imparfait du subjonctif, passé antérieur de l'indicatif et plus-que-parfait du subjonctif.

PAULINE (n'en revenant pas) – Tu parles tout ça en même temps... toi ?

ANAÏS (jouant les modestes) – Oui, j'ai appris ça cet après-midi... entre le baptême de Clovis... (Tête de Pauline.).. et la sépulture de Louis XVI...

AUBIN (ravi) – Je vous l'avais dit... le potentiel derrière le blocage... et puis le déclic !

PAULINE (réalisant brusquement) – Mais Aubin... mais vous ne bégayez plus !

AUBIN (souriant, ramassant ses affaires) – C'est l'effet deux en un du double déclic. Ca vous ravigote la mémoire d'un côté et ça vous discipline l'élocution de l'autre. (Prenant congé.) Bonsoir madame Pauline, bonsoir Anaïs... à demain...

Il sort côté rue et Anaïs le regarde partir.

PAULINE (n'en revenant pas) – Eh ben dis donc !

ANAÏS (sortant de sa rêverie et baillant) – Je crois bien que je vais aller mettre ma tête au repos... (Riant.) comme Louis XVI tiens ! Ca m'a tellement chauffé cet après-midi que j'ai l'impression d'avoir de la fumée qui me sort des oreilles. (Elle ramasse tous ses cahiers.) Il sera écoeuré tonton René quand il reviendra... (Elle monte l'escalier.) Bonne nuit Pauline !

PAULINE (gentiment) – Bonne nuit Anaïs ! Ah, il y aura peut être un peu de bruit ce soir, ne t'inquiète surtout pas...

ANAÏS (sur le palier) – Risque pas, je vais me mettre des boules Quiès ! (Elle disparaît dans sa chambre.)

Sitôt son départ, tous les autres sortent de la salle de restaurant en grommelant. Gisèle serre Maurice de près.

GISELE (donnant un coup de journal, à Maurice) – Quel sacré menteur ! Oser me faire croire que tu avais descendu René le Canadien ! (Nouveau coup.) Mais qu'est ce que tu n'irais pas inventer pour te rendre intéressant ! (Aux autres.) En tous cas, il est hors de question que nous couchions à l'auberge ce soir !

MAURICE (timidement) – On n'a pas nos pyjamas... !

CLAUDE (s'énervant) – On s'en fout de ton pyjama, Maurice ! Vous ferez comme tout le monde. Je vous rappelle qu'il y a un assassin parmi nous et qu'il joue avec nos nerfs...

GILBERT (appuyant Claude) – Alors, personne ne quitte cette maison et on continue à se surveiller les uns les autres jusqu'à ce qu'on retrouve le corps de René.

CARLOTA (ricanant) – Ma qué bien sour qué yé vais té sourveiller, toi, lé capitaine Némo et tous les réquins qui t'entourent.

SABRINA (à Claude) – Et vous aussi, le père spirituel, je ne vais pas vous quitter des yeux. (Moqueuse, montrant Maurice.) Le troisième père spirituel étant à priori sous contrôle.

PAULINE (autoritaire) – Puisqu'il en est ainsi... (Montrant l'escalier.) tout le monde dans sa chambre ! Gisèle et Maurice dans la 8, Claude et Gilbert dans la 9. Et ne faîtes pas de bruit, Anaïs dort dans la 5 et elle a eu une journée épuisante, la pauvre.

Activé par un nouveau coup de journal sur la tête, Maurice s'engage dans l' escalier suivie de Gisèle. Gilbert, faussement galant, invite Carlota à monter.

GILBERT (moqueur) – Après vous, chère madame...

CARLOTA (s'engageant) – Si yamais tou mé touches ou tou mé réluques lé postérieur...

GILBERT (continuant) – Yé té crève les oeils, je sais. Vous ne risquez rien, j'suis pas attiré par les antiquités !

SABRINA (s'engageant à son tour) – Quel mufle !

Gilbert et Claude montent à leur tour et Pauline ferme la marche.

PAULINE (éteignant la lumière du bar) – J'applique le couvre-feu. Extinction des lumières !

NOIR

Un faisceau lumineux éclaire la pendule placée au-dessus du bar. La grande aiguille se déplace d'une heure, tandis que dans la pénombre, sur le palier, on voit des ombres qui se déplacent et qui s'épient.

Puis, les aiguilles de la pendule avancent jusqu'à minuit, marquant le temps qui passe. Silence complet.

Une silhouette apparaît, puis descend l'escalier et se dirige vers la cuisine. On ne doit pas reconnaître cette silhouette. Elle ressort de la cuisine en traînant un corps qu'elle pose en travers de la même table sur laquelle René s'est effondré. Elle repose la nappe sur lui et, doucement et sans bruit, elle remonte vers les chambres. Presque aussitôt, Pauline apparaît, en peignoir, allume la lumière du palier, certaine d'avoir entendu du bruit. Elle descend prudemment.

PAULINE (à mi-escalier) – Il y a quelqu'un ? Hou hou, il y a quelqu'un ?

Aussitôt, derrière elle, tout le monde s'agite et arrive à sa suite dans l'escalier. Certains sont en pyjamas, d'autres enveloppés dans des couvertures etc... Seule Anaïs est absente.

GILBERT (cheveux en broussaille) – Que se passe-t-il ?

PAULINE (inquiète) – Du bruit. Vous n'avez pas entendu l'escalier craquer il y a un instant ? (Elle allume la lumière du bar et découvre le corps allongé sur la table.) Là... regardez... sur la table...

Ils descendent tous l'escalier et restent pétrifiés au bas des marches. Seules Carlota et Sabrina s'avancent vers la table.

CARLOTA (près du corps) – Alors ça y est Réné Thébaud, tou a enfin fini dé té proméner mainténant ! (A sa fille.) Sabrina, viens dire adieu à ton père ! (Elles éclatent de rire.)

CLAUDE (paumé) – Qu'est ce que ça veut dire ?

GIBERT (outré) – Vous pourriez avoir un peu de respect pour votre mari...

PAULINE (idem) – Et pour votre père...

SABRINA (ironique) – Quel père... Lui ? (Elle rit en regardant sa mère.) On leur dit tout ?

CARLOTA (tout excitée) – Ma qué bien sour qué yé vais tou leur dire mainténant qué lé corps il est rétrouvé. Yé né sais pas léquel dé vous l'a toué, mais peu importe...

SABRINA (ironique) – Vous venez de nous rendre un fichu service !

CARLOTA (expliquant) – Y ai rencontré Réné, un soir, dans un bar où y'étais entraineuse. Yé loui ai plou tout dé souite et nous avons eu oune aventoure ensemble. Y ai ensouite très vite compris qu'il était seul... et riche. Alors, un soir, yé l'ai fait beaucoup boire et quand il a été complètement saoul, yé loui ai fait signer oune lettre sour laquelle il réconnaissait être le père dé Sabrina et qu'il la désignait comme ounique héritière.

MAURICE (outré) – Oh la salope !

CARLOTA (victorieuse) – Tou peut dire tout ça qué tou veux Mauricio. En attendant, vous avez oune cadavre sour les bras et nous, nous sommes riches !

PAULINE (essayant de comprendre) – Mais alors, vous n'êtes pas sa femme et Sabrina n'est pas sa fille ?

SABRINA (activant son doigt sur sa tempe) – Ah, ça y est ! Il vous en faut du temps pour comprendre. La tante est aussi futée que la nièce !

CARLOTA (victorieuse) – Yé mé souis servi dé loui. Ma qué lé Réné, quand il a été déssoulé, il a voulu récoupérer lé papier pour lé déchirer...

SABRINA (prenant la suite) – Mais il ne l'a pas trouvé. Alors il a décidé de revenir en France. Pourquoi ? Pour qui ? Nous avons retrouvé votre adresse, bien en évidence chez lui et nous avons décidé de le suivre jusqu'ici...

CARLOTA (se frottant les mains) – Pour constater que aviez fait du bon travail (Se dirigeant vers le téléphone.) Yé n'ai plous qu'à appéler la police et vous laisser vous débrouiller avec eux...

SABRINA (prenant la suite) – Parce que René Thébaud étant mort avant notre arrivée, vous êtes forcément les seuls suspects possibles.

CARLOTA (même jeu) – Nous né vous rémercierons yamais assez, Sabrina et moi, dé nous avoir débarrassé dé cé tocard dé Réné qui né nous était rien dou tout.

CARLOTA et SABRINA (ensemble, joyeuses, tournant le dos au cadavre) – Merci dou cadeau !

A ce moment, le cadavre se relève lentement de la table, retire la nappe qui le couvre et se place derrière les deux femmes. En face, Gisèle qui assiste à la scène, s'évanouit dans les bras de Maurice qui lui refile des baffes pour la ranimer. Claude, Gilbert et Pauline sont médusés. Carlota et Sabrina s'imaginent que ce sont elles qui sont à l'origine de leur désarroi. Elles ricanent.

RENE (calmement dans le dos des deux femmes) – Le tocard vous salue bien !

Elles se retournent et restent paralysées de peur.

CARLOTA (jouant sa dernière carte) – Oh Réné, Me Amore ! Tou n'est pas mort, tou est encore vivant !... Yé parlais youstément dé toi...

SABRINA (même jeu) – Oh papa, comme tu nous as fait peur...

RENE (calmement, montrant un petit magnéto qu'il tient dans la main) – Voulez-vous que l'on écoute l'enregistrement de vos aveux ici, ensemble, ou bien au poste de police, en présence ce bon Francis ?

CARLOTA (démasquée) – Caramba ! Tou es oune ordoure, oune salopérie Réné Thébaud et yé né sais pas cé qui mé rétient dé té crever les oeils...

RENE (calmement, montrant le magnéto) – Ca Carlota... uniquement ça ! Tous tes aveux rassemblés en quelques minutes dans cette ridicule petite boite. (Hochant la tête.) Tu parles trop Carlota... beaucoup trop ! Je te l'ai toujours dit... ça te perdra...

SABRINA (en colère après sa mère) – Crétine, pourquoi es-tu allée leur déballer tout ça ?

CARLOTA (désolée) – Ma qué yé croyais qu'il était mort, cé salaud...

RENE (toujours calmement) – Et c'est bien pour ça que j'ai accepté de mourir... temporairement. Je te savais assez stupide Carlota, pour croire que ma soeur et ses amis m'avaient descendu pour mon argent. (Moqueur.) A partir de là, tu les faisais accuser tous en bloc et plus personne ne pouvait ensuite contrecarrer tes plans.

CLAUDE-GILBERT-MAURICE (ensemble) – C'est quoi ce cirque ?

CARLOTA (ultime tentative) – Il mé reste ta réconnaissance dé paternité...

RENE (triomphant) – Aucun poids à côté de ma petite boite, du témoignage de mes amis et d'un bon test ADN !

CARLOTA (rageant) – Yé mé vengérai !

RENE (faussement étonné) – En prison ?

SABRINA (suppliant) – Oh non, pas la prison ! Pas moi ! (Doigt accusateur pointé vers sa mère.) C'est elle qui a tout manigancé, moi j'voulais pas... Elle m'a obligée à la suivre...

CARLOTA (hors d'elle) – Tou vas té taire, pétite peste !

PAULINE (moqueuse) – C'est quand même beau l'esprit de famille.

RENE (montrant l'escalier) – Je vous donne cinq minutes pour boucler vos valises et quitter l'auberge.

SABRINA (suppliant) – On ne peut pas attendre demain matin ?

RENE (regardant sa montre) – Cinq minutes et j'appelle Francis. Il va retrouver le moral le pauvre Francis, d'avoir enfin quelqu'un à se mettre sous la main.

SABRINA (suppliant) – Il fait très noir dehors...

CARLOTA (même jeu) – Où vé-tu qu'on aille, en pleine nouit ?

RENE (regardant sa montre) – Plus que quatre minutes...

Voyant qu'elles n'obtiendront rien, elles filent rapidement vers les chambres.

PAULINE (quand Sabrina passe devant elle) – Il n'y a pas que la tantine qui n'est pas très futée !

CARLOTA (pestant) – Tou peux rigoler, mais né crois pas qué yé vais té payer mon séyour dans ta auberge maudite ! (Elles disparaissent sur le palier.)

PAULINE (grand seigneur) – Cadeau Carlota ! Tu m'as trop amusée pendant ces deux jours !

CLAUDE-GILBERT-MAURICE (ensemble) – Quoi ?!

CLAUDE (tombant des nues) – Tu peux répéter ce que tu viens de dire ?

GILBERT (même jeu) – J'ai peur d'avoir mal compris...

MAURICE (tenant toujours Gisèle évanouie) – Elle t'a amusée pendant deux jours ?

CLAUDE-GILBERT-MAURICE (ensemble) – C'est quoi ce cirque ?

PAULINE (expliquant) – Le cirque a commencé quand René m'a appelé, la semaine dernière, pour me faire part de ses ennuis. Trente ans sans me donner de nouvelles et voilà que monsieur, brusquement, a besoin des services de sa soeur. Enfin bref, harcelé par Carlota, il veut lui tendre un piège...

RENE (continuant) – Mais pour ça, j'avais besoin de l'aide de Pauline et de la vôtre. Alors, j'ai rappliqué en France, en ayant soin de laisser traîner chez moi une adresse pour que Carlota puisse me retrouver facilement...

PAULINE (dévoilant l'histoire) – Dès l'arrivée de René, nous avons mis au point le scénario. Après vous avoir fait part de ses craintes, il est allé s'assassiner lui même dans la salle de restaurant, avec un couteau à lame rentrante. Quand il s'est écroulé ensuite sur la table, profitant du malaise de Maurice, je n'ai eu aucune peine à subtiliser le faux couteau et à le remplacer par un vrai...

MAURICE (n'en revenant pas) – Mais on l'a tous eu en main ce couteau...

PAULINE (mimant) – Eh oui, mais vous aviez tellement la trouille tous les trois, qu'en le tenant entre le pouce et l'index, vous ne risquiez pas de vous rendre compte de la supercherie. Seulement voilà, il a fallu que ton idiote de Gisèle s'en mêle et se précipite chercher Francis.

RENE (continuant) – Alors, il a fallu que je me balade de pièce en pièce pour éviter que Francis ne me trouve. Il fallait impérativement que ce soit Carlota et sa fille qui me découvrent et qui lâchent le morceau sur mon cadavre.

CLAUDE (estomaqué) – Comment t'as fait pour nous échapper ?

RENE (amusé) – Je connais un peu la maison quand même. De la chambre, je me suis vite éclipsé dans le petit grenier que vous avez oublié de fouiller, puis ensuite le vasistas, le toit en pente, la vigne vierge jusqu'au sol et je suis revenu dans le restaurant par la porte de devant.

MAURICE (paumé) – Et le lendemain, comment t'as fait pour te barrer alors qu'on montait la garde devant la porte du restau ?

RENE (amusé) – Je suis ressorti par la porte de devant que Pauline a déverrouillée quand elle est entrée constater ma présence sur la table. Je me suis ensuite planqué dans les cuisines où elle est venue me chercher tout à l'heure pour mettre enfin un terme à cette mascarade.

GILBERT (ahuri) – Tu étais au courant depuis le début alors ? (Pauline acquiesce de la tête.)

CLAUDE (entre colère et soulagement) – Mais alors... tu nous a baladé comme des bleus ?

MAURICE (idem Claude) – Tu devrais avoir honte Pauline...

PAULINE (moralisatrice) – Eh oh, vous êtes un peu mal placés pour me donner des leçons; les gars avec tous les canulars que vous racontez à mes clients chaque été... (Toute fière.) Mais là où je suis la plus fière, c'est d'avoir fait d'une pierre deux coups et de vous avoir rendus responsable d'Anaïs. (Ils se regardent d'un air convenu.)

TOUS (pour la forme) – Oui eh ben, c'est dégueulasse !

PAULINE (contente d'elle) – Peut être, mais ça fonctionne à merveille. Claude lui a trouvé un petit prof qui a l'air de bien lui plaire et j'ai l'impression qu'ils sont sur le point de se décoincer tous les deux !

MAURICE (un peu fier) – Et moi, j'avais commencé à lui apprendre les bonnes manières avant que Gisèle ne me retombe dessus...

PAULINE (contente d'elle) – Et comme vous allez tenir votre promesse, avec l'aide du petit Aubin, vous allez réussir à la sortir de l'ornière la Anaïs. Ce que je n'aurais jamais pu faire toute seule...

Carlota et Sabrina descendent l'escalier, portant leurs valises et jetant des regards noirs à l'assistance.

RENE (regardant sa montre) – Pile à l'heure Carlota. Félicitations ! Toujours aussi respectueuse des convenances.

PAULINE (ouvrant la porte d'entrée) – Couvrez-vous bien, la nuit est fraîche.

TOUS (en riant) – Au revoir mesdames ! (Elles sortent en claquant la porte.)

Au bruit de la porte, Gisèle sort de son évanouissement.

GISELE (voyant René debout) – Ah, le mort ! (Autour d'elle.) Où sont passées les deux folles ?

MAURICE (gonflé à bloc) – Si t'arrêtais de me taper dessus sans arrêt, j'aurais pu t'expliquer que tout ça, c'est un coup monté avec les gars et Pauline pour débarrasser René de ces deux aventurières qui voulaient l'arnaquer...

GISELE (incrédule, regardant les autres) – C'est vrai ?

TOUS (d'un même ensemble) – Bien sûr !

MAURICE (gonflé à bloc) – Chacun avait son rôle et moi, je devais occuper la petite pendant l'absence de sa mère...

GISELE (même jeu) – C'est vrai ?

TOUS (même jeu) – Bien sûr !

RENE (avec reconnaissance) – Et même que pour leur service rendu, je leur donne, à chacun, comme je l'avais promis, un maison sur la rue du port.

GISELE (entre joie et confusion) – Une maison sur le port ? Oh que j'ai honte ! Pardonne moi mon Maurice...

MAURICE (se remontant le pantalon) – Bon, ça va encore aller pour cette fois, mais va falloir qu'une bonne fois pour toute, t'arrêtes de me prendre pour un con ! (Gisèle acquiesce humblement.)

Anaïs, en pyjama ou chemise de nuit, descend l'escalier en baillant. Apercevant son oncle, elle dévale les dernières marches à toute allure.

ANAIS (embrassant son oncle) – Tonton René, t'es déjà de retour ?

RENE (brodant) – Oui, j'arrive juste à l'instant...

PAULINE (pour meubler) – Je ne t'ai rien dit hier soir pour te faire la surprise.

Anaïs qui n'entend plus rien, s'affole et va de gauche à droite.

ANAIS (gesticulant) – J'entends plus rien... J'suis devenue sourde... J'ai du emmagasiner trop de choses, hier, entre mes deux oreilles, ça m'a pété les tympans... (Elle hurle.) J'suis sourde !

PAULINE (lui enlevant d'énormes boules qui sortent de ses oreilles) – Et maintenant, ça va mieux ?

ANAÏS (rassurée) – Oh les boules ! (Les voyant tous en tenue de nuit.) Qu'est ce que vous faîtes tous dans cette tenue ?

Choix de deux fins possibles si le Cluédo ne vous inspire pas...

Choix 1

Le téléphone sonne. Ils se regardent, étonnés et Pauline décroche l'appareil.

PAULINE (mollement) – Auberge de Pauline, j'écoute... Oui... oui oui, nous sommes tous là... Comment ?... Tu crois vraiment que c'est une heure pour ça ?... Ah... tu penses que ça te ferait du bien... Bon eh bien... avance, on t'attend. (Elle raccroche.)

TOUS – Qui c' était ?

PAULINE (amusée) – Je vous le donne en mille. C'est Francis en faisant sa ronde de nuit, qui nous a vus. Et vous savez quoi ?

TOUS – Non !

PAULINE (pliée de rire) – Il veut absolument finir la partie de Cluédo avec nous !

FIN

Choix 2

PAULINE (cherchant une explication) – On a tous décidé de dormir à l'auberge ce soir, pour être là au retour de ton oncle...

ANAÏS (illuminée) – Eh bien moi, je dormais tranquillement quand, soudain, j'ai eu une illumination...

TOUS (incrédules) – Pas possible !

ANAÏS (à son oncle) – En attendant de prendre ta suite tonton, tu sais ce que je vais faire ?

TOUS (curieux) – Non !

ANAÏS (fière) – Quand je vois avec quelle rapidité j'ai guéri Aubin, cet après-midi, y a pas à hésiter une seconde... Je serai bégayologue ! Et si un jour vous avez des difficultés d'élocution, pas de problème, je vous ferai une consultation gratuite. (Ils se regardent tous.) Alors... qu'est ce qu'on dit à Anaïs ?

TOUS (ensemble, comme des gosses, découpant bien les syllabes) – Mer-ci du ca-deau !

FIN


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