Miroirs de nos angoisses

MIROIRS DE NOS ANGOISSES traite des ambiguïtés que la société des adultes entretient avec les jeunes
Trois comédiennes endossent les personnages de mères, de pédagogues, de psys, de conseillères d’éducation, de sous-ministres, dans une société où la compétition est de mise, illustrant les stéréotypes d’adultes en proie à la peur de cette jeunesse qui leur échappe.
Procédant par vignettes entrecoupées de paroles de sociologues, philosophes, psychologues, le spectacle traite de crise d’adolescence, de notion d’engagement, d’orientation, d’autonomie, d’éducation, de lecture…
Avec humour et tendresse, le texte nous incite à la réflexion. C’est l’occasion de se demander ce que nous voulons faire avec et pour notre jeunesse.
Miroirs de nos angoisses concerne toutes les générations et amène à rire et échanger avec nos ados, à prendre du recul.

🔥 Ajouter aux favoris

Soyez le premier à donner votre avis !

Connectez-vous pour laisser un avis !

A TABLE !

TANIA est là, un ustensile de cuisine en main

TANIA. - A table !

Musique …

TANIA sort et revient

TANIA. - A table ! … Mon chéri tu vas te régaler!…

Musique plus forte …

TANIA sort et revient

TANIA.. - A table ! C’est prêt-c’est bon-c’est chaud!

Musique très forte …

TANIA sort et revient

TANIA. - Mon chéri! Ça va être froid! À table!

Musique très, très forte …

TANIA sort et revient

TANIA. - Mon chéri, tu fermes ton ordi et tu viens à table!

Musique très, très, très forte …

TANIA, très contrariée, sort définitivement

LIRE C’EST LIRE

TANIA lit un manga - CHRISTELLE scrolle …

Un temps de réflexion…

TANIA. - Ta fille, elle lit ?

CHRISTELLE. - Non elle lit pas.

TANIA. - Elle lit-pas ?

CHRISTELLE - Un peu si mais des mangas.

TANIA.. - Donc elle lit.

CHRISTELLE. - Oui mais des mangas.

TANIA.. - C’est déjà ça.

CHRISTELLE. - Enfin, des mangas !

TANIA. - Eh ben quoi ?

CHRISTELLE. - C’est-pas lire, ça.

TANIA. - Si c’est-pas lire, c’est quoi ?

CHRISTELLE. - C’est des mangas

TANIA. - C’est des livres, ça.

CHRISTELLE. - On voit bien que tu connais-pas !

TANIA. - Si, j’en lis aussi.

CHRISTELLE. - Alors tu vois ?

TANIA. - Je vois quoi ?

CHRISTELLE. - Tu lis-pas non plus toi

TANIA. - Si, je lis.

CHRISTELLE. – Non, je crois-pas !

TANIA. - Et c’est quoi, ça ?

CHRISTELLE. - Un livre pourquoi ?

TANIA. - Et là je fais quoi, là ?

CHRISTELLE. - Tu lis,

TANIA. - Et je lis tu sais quoi ?

CHRISTELLE. - Non je sais-pas c’est quoi ?

TANIA. - Un manga.

CHRISTELLE. - Oui mais c’est toi.

TANIA. - Moi quoi ?

CHRISTELLE. - T’es pas ma fille, t’es toi.

TANIA. - Evidemment.

Temps

TANIA. - Sinon ta fille elle fait quoi ?

CHRISTELLE. - Rien, elle fait-rien.

TANIA. - Rien ? On fait-pas rien.

CHRISTELLE. - Elle est geek elle sort-pas.

TANIA. - Sort pas ?

CHRISTELLE. - Toujours dans sa chambre

TANIA. - A faire quoi ?

CHRISTELLE. - Toujours sur son ordi.

TANIA. - Ah oui ?

CHRISTELLE. - Oui, à lire je sais-pas quoi.

TANIA. - Alors elle lit.

CHRISTELLE. - Oui mais c’est l’ordi ça vaut-pas.

TANIA. - Lire c’est lire.

CHRISTELLE - Oh toi, ça va.

Temps

TANIA. - Sinon toi tu lis quoi ?

CHRISTELLE. - Des BD

TANIA. - C’est bien ?

CHRISTELLE. - Y a des dessins

TANIA. - Comme les mangas, quoi.

CHRISTELLE. - Oui… Mais au moins ça se lit à l’endroit !

CHRISTELLE jette le manga de TANIA en coulisses et sort …

TANIA reste seule, interloquée…

PRONOTE

DELPHINE est là, dossier en main - Elle était en classe. Elle semble dépassée.

Je fais l’appel dans Pronote - Le travail de classe dans Pronote- Les devoirs à faire dans Pronote - Maintenant c’est ça mon travail

Temps

Je ne suis pas contre la technologie - Je suis sur Facebook bien sûr mais quand même - Avant on remplissait les bulletins en salle des profs - On échangeait avec les collègues on parlait des élèves - Maintenant c’est chacun chez soi y a plus que des relations de merde - On ne se voit plus on ne se touche plus - Y a des profs principaux ils-ont-jamais vu leurs élèves - Mais bon, il faut positivera ça évite de s’attacher et d’hésiter quand on met les notes

Temps

Je ne suis pas contre la technologie - Mais toutes ces heures de colle tous ces retards ces mots d’excuse affichés sur mon site Pronote moi ça me déprime - Morceaux de vie tombés au champ d’honneur de l’école - Un monument aux morts - En plus, entre l’ado de l’automne et celui du printemps il y a un gouffre - C’est plus du tout la même personne - Et elle devrait traîner ses vieilles peaux toute sa vie ? - Comme des pièces à conviction que le moindre petit chef pourra ressortir plus tard dans son job - Moi je serais pour le droit à l’oubli

Temps

Je ne suis pas contre la technologie - Mais où est la part de secret ? - Un élève en retard de deux minutes ses parents sont prévenus instantanément - Deux minutes, c’est quoi ? - Le temps d’un baiser - Moi je trouve que des élèves qui s’embrassent dans la cour c’est de la vie - Mais bon il faut positiver - Maintenant au moins ils arrivent à l’heure en classe

Temps

L’intérêt de l’école pour l’ado c’est de couper avec sa famille – On est bien d’accord - Avec Pronote c’est plus possible - Tout ce qui se passe à l’école est transmis aux parents dans la seconde - Ils peuvent connaître la note de leur gamin avant qu’il rentre de l’école - Moi je pense qu’annoncer une mauvaise note aux parents c’est aussi un apprentissage - Avant les élèves apprenaient leurs notes en classe - Maintenant elles s’affichent à tout moment sur leur téléphone - Du coup quand je rends les copies ils n’en ont plus-rien à foutre de mes commentaires

Temps

Je ne suis pas contre la technologie mais tout ça, ça augmente la pression ça génère du stress - Une obsession de la performance et de la compétition - Des notes des notes des notes des notes! - Rien que des obstacles à l’épanouissement - Mais bon il faut positiver - Quand ils auront un job la pression ils connaîtront - Pas question de bienveillance - Autant s’habituer

Temps

Au confinement j’ai tout essayé Viber, Skype, Zoom, Messenger, Hangouts, Google-meet, Face-time, Wesh bien - Fallait garder le contact ça je comprends mais maintenant ? - J’ai vu j’ai des collègues ils continuent « Coucou, tu rentres du collège bien crevé on va passer une belle soirée ensemble salut les Kikous c’est parti pour une heure de SVT ! » - J’ai même un collègue qui a fait son cours en parachute

Temps

Finalement je vais peut-être m’y mettre aussi Je ne suis pas contre la technologie - Après tout il faut jouer le jeu il faut être de son temps - Mais j’ai fait des essais - J’ai vraiment-pas une tronche de youtubeuse

Elle prend sur elle pour retourner en classe

LA COMPETITION

Entretien Jacques LACARRIERE – Albert JACQUARD

Dans le noir - Voix off

ALBERT JACQUARD : « On est en train de courir le plus vite possible dans la pire des directions, la direction de la compétition, la direction de la destruction des uns par les autres. Ce qui est monstrueux c’est qu’on a pris comme moteur de notre société occidentale la compétition : il faut être meilleur que l’autre, il faut passer devant l’autre. Mais pour devenir moi j’ai besoin du regard de l’autre, j’ai besoin de tisser des liens avec lui. Dès que je suis en compétition avec lui, je ne tisse plus de liens et par conséquent je suis en train de me suicider.

C’est ça qu’on devrait nous dire : toute compétition est un suicide. Qu’est-ce que ça signifie « être le meilleur » ? ça signifie être capable de consacrer toute son intelligence à étudier des choses qui ne vous intéressent pas mais qui sont au programme. C’est faire vraiment acte de soumission, c’est faire preuve de conformisme. Plus on est conformiste plus on est dangereux. On est en train de sélectionner les plus dangereux, ceux qui ne sont pas capables d’imagination. On est en train de se fourvoyer complètement. »

LE COMPLEXE DU COMPTOIR DES COTONNIERS

TANIA est devant la porte de la salle de bains.

Ma chérie ! Laisse-moi entrer deux minutes il faut que je retire mon peeling ! … Tu mets quoi toi pour le shopping ?… J’ai piqué ton sweat, ah qu’est-ce que je me sens bien, qu’est-ce que je me sens jeune ! Je regrette pas mon Néoness, j’ai une de ces pêches ! … Ouvre- moi que j’enlève ce masque et hop ! Peau neuve, on va faire les magasins j’ai plein d’envies ...Tu sais ce que m’a dit Valentin, tu veux savoir, mon chou ? … Bon, je te le dis : samedi en boîte il me dit on sait pas qui est la mère qui est la fille ! ...T’as entendu ? Hé oui, rester jeune ça se mérite… Je l’aime bien Valentin… Tu me laisses entrer steup’ ça commence à coller, là ! Tu peux m’aider ? … Et même ton père y me dit ça j’te jure ! Bon là je lui dis hé ho, hé ho ta fille c’est ta fille, ta femme c’est ta femme ! Hein attention ! Si, si qu’il me dit, on s’y tromperait non mais j’te jure ! ... Ouvre-moi, please ma chantilly d’amour, fais pas ta pimbèche, ça commence à piquer, … Promis je dirai plus rien sur ton poids ! … Ma chérie ça brûle, ouvre cette porte que j’enlève ce putain de masque, je vais avoir la peau toute cramée ! (Elle supplie) S’il te plaiît, s’il te plaît ! Arrête de faire l’enfant mon bébé !

A TABLE !

LAURA entre, un ustensile de cuisine en main

LAURA. - A table ! …

Musique

LAURA. - Je sais il faut maîtriser les outils numériques mais je te signale que là t’es sur ta console ! … A table !

Musique + …

LAURA. - Et alors c’est moi qui te l’ai offerte ! Mais y a quand même un moment c’est l’heure de passer à table, non ?  …

Musique ++ …

LAURA. - Je sais, tu as besoin d’un sas de décompression après l’école, mais ça t’empêche pas de venir manger !

Musique +++ …

LAURA.- Bon ! Là ce serait bien de la jouer collectif, on est une famille, d’accord ?

Musique ++++ …

LAURA. - A-table-j’ai-dit-à-table ! D’abord c’est moi qui commande !

Musique +++++ …

LAURA. - Bon ! Puisque c’est comme ça, si tu veux jouer au plus con tu vas perdre!

Elle sort… très remontée

SOUTIF OR NOT SOUTIF

TANIA et CHRISTELLE scrollent

Après réflexion…

CHRISTELLE. - Ta fille elle vote ?

TANIA. - Non elle vote-pas.

CHRISTELLE. - Elle a des idées ?

TANIA. - Des idées mais elle vote-pas.

CHRISTELLE. - Engagée ?

TANIA. - Elle appelle ça comme ça.

CHRISTELLE. - Engagée comment ?

TANIA.- Mange-pas de viande.

CHRISTELLE.- Végan ?

TANIA. - Végan – écolo – bio – antiraciste – antispéciste

CHRISTELLE. - Engagée pour la planète, c’est super, ça !

TANIA. - Super de quoi ? Elle vote-pas !

CHRISTELLE. – Y-a pas que le vote dans la vie.

TANIA. - Y-a quoi aussi alors ?

CHRISTELLE. - Lever le nez.Balayer devant sa porte

Temps

CHRISTELLE. - Sinon ta fille elle est féministe ?

TANIA. - Non elle lest-pas.

CHRISTELLE. - Elle l’est-pas ?

TANIA. - Un peu si mais juste « no bra ».

CHRISTELLE. - C’est quoi « No bra » ?

TANIA. - Plus de soutif, disposer de son corps et tout ça.

CHRISTELLE. - Donc elle est féministe.

TANIA. – Ha non, pour ça y a du taf !

CHRISTELLE. - Fait rien pour les meufs?

TANIA. - Coller des messages dans la rue sur les murs.

CHRISTELLE.- C’est bien, je trouve.

TANIA. - C’est-pas organisé c’est le bazar.

CHRISTELLE. - Organisé c’est quoi pour toi ?

TANIA. - MLF, FCI, FMR. Des organisations quoi.

CHRISTELLE. - Et coller sur les murs c’est quoi, pour toi ? ?

TANIA. - Attirer la police et chercher les emmerdes.

Temps

TANIA. - Ferait mieux de mettre un bulletin dans l’urne que d’enlever son soutif.

CHRISTELLE. - Enfin c’est déjà ça.

TANIA. - Tu parles. Pas de soutif, du coup plein d’embrouilles avec les mecs.

CHRISTELLE. - Ben faut les éduquer les mecs. C’est-pas aux filles de se planquer.

TANIA. - Tout le monde à poil aussi tant qu’on y-est. Vas-y enlève ta chemise, toi.

CHRISTELLE. - Nan là j’ai froid.

TANIA. - Et t’as un soutif ?

CHRISTELLE. – Oui.

TANIA. - Alors?

CHRISTELLE. - Alors quoi ?

TANIA. - Balaye devant ta porte !

Temps. 

TANIA trépigne.

TANIA. - Ça m’énerve, foutent rien les jeunes, sont mous, se bougent pas le cul.

CHRISTELLE. - T’aimes pas la jeunesse, dis plutôt ça!

TANIA. - Si j’aime la jeunesse ! … Mais pas les jeunes ! Sont fainéants ils se droguent ils dealent sont toujours sur internet les jeux vidéo les sites pornos les réseaux ils mangent mal ils boivent trop respectent-pas les adultes sont irresponsables ils baisent avec n’importe qui ils se protègent pas z’écoutent pas les conseils sont égoïstes comme pas deux foutent la musique à fond lisent rien z’aiment que les marques sont mal polis fument nos clopes piquent dans nos porte monnaie et s’assoient à nos places. … Tiens voilà, c’est ça qu’ils veulent … prendre nos places !

 

PENDANT CE TEMPS AU MINISTERE

Une invention diabolique

PIPO ministre et MIMILE sous-ministre, font leur Footing habituel dans les jardins du ministère

PIPO. - Comme ça ils vont se décourager !

MIMILE. - Quoi ?

PIPO. - Je dis ils vont se décourager avec mon invention … Pff Ils sont trop nombreux

MIMILE. - Ah ouais t’as raison ça suffit ... c’est un tsunami d’adolescents qui déferle ! Y a plus de places ! Y a plus de sous !

Ils s’arrêtent … PIPO explique

PIPO.- Alors tu vois : on met tout sur une plateforme, avec diplôme ou sans diplôme : tout sur plateforme !

MIMILE. - Oui, ! Comme ça ils vont se décourager.

PIPO. - C’est ce que je dis. Et on fait durer le plaisir.

MIMILE. - Ouais, trois semaines...

PIPO. - Plus : un mois, un mois et demi, deux mois, plus encore !

MIMILE. - Jusqu’à la rentrée ?

PIPO. - Ouais ! Une longue liste d’attente. Une procession ! Tout le monde attend le Graal, comme à Lourdes, comme à La Mecque !

MIMILE. - Pour attendre quoi ?

PIPO. - Rien. Le droit d’attendre.

MIMILE. - Vont demander des écoles et les auront pas ?

PIPO. - C’est ça le truc.

MIMILE. - Mais vont rien comprendre.

PIPO. - C’est ça le truc !

MIMILE. - Génial !

PIPO. - C’est moi le chef.

Ils repartent

MIMILE. - Et moi je fais quoi dans ça ?

PIPO. - Toi qui fait passer la pilule, toi qui les embrouilles !

MIMILE. - Ça me plaît. C’est qui qui rentre alors, qui qu’a une place ?

PIPO. - Les premiers.

MIMILE. - Les premiers de quoi ?

PIPO. - On s’en fout : les premiers de la classe, du tournoi de ping-pong, du loto, les premiers de n’importe quoi.

MIMILE. - Et ceux qu’ont bien bossé ?

PIPO. - On s’en fout ça vaut-pas !

MIMILE. - Ils vont se décourager.

Elles s’arrêtent

PIPO. - Voilà !

MIMILE. - Ah ! Et comme ça y aura des places !

PIPO. - Trop. Trop de places. Du coup, l’an prochain on en supprime encore, t’as pigé ?

MIMILE. - Génial!

PIPO. - Je suis le chef.

Ils repartent

MIMILE. - Et ceux qu’ont rien y vont attendre encore ?

PIPO. - Ben oui. Entrer dans une école ça se mérite.

MIMILE. - Mais après, ceux qu’ont rien de rien ?

PIPO.- Y vont bosser.

MIMILE. - Où ?

PIPO.- Un petit boulot.

MIMILE.- Y vont trouver ?

PIPO. - Des petits boulots pas cher y en a plein.

MIMILE. - Et le bac ? Si tu mets ta plateforme avant, ils vont pas bosser pour !

PIPO. - Tout le monde l’a, le bac. L’important c’est de les occuper avant.

MIMILE. - À choisir leurs écoles qu’ils auront pas, j’ai compris. Mais pourquoi pas après le bac ?

Ils s’arrêtent

PIPO. - Tu me déçois des fois Mimile.

MIMILE. - De quoi ?

PIPO. - Tu crois qu’ils bossent au printemps les jeunes ? Tu crois qu’ils révisent le bac ? Ben non ! Ils sont dans la rue à brailler contre je sais pas quoi, pour je sais pas quoi. Même eux ils savent pas. Z’ont besoin de brailler c’est tout.

MIMILE. - Ça c’est vrai, pour un oui pour un non ils gueulent.

PIPO. - Et ça fout le bordel, on peut pas tolérer ça. T’imagines si ça explose ?

MIMILE. - Ouais, pour nous, foutues les vacances.

PIPO. - Alors tu vois. Donc tu fais comme je te dis. Tu nous balances le loto dès fin avril, ça leur prend bien la tête, ils ont trop peur de rater le coche, et comme ça ils restent tranquilles.

MIMILE. - Et ils gueulent plus avec leurs pancartes.

PIPO. - C’est ça. T’as tout compris, Mimile.

Satisfaction de PIPO. Ils sortent en footing

FAUT PAS REVER

L’ascenseur social, un mirage

Salle des professeurs. DELPHINE professeure et MADAME PICHARD, conseillère d’orientation

Elles sont face à un.e élève fictif dans le public

DELPHINE. - Bonjour, assied-toi, je t’en prie… Ça va ?

Temps

DELPHINE. - Bien, tant-mieux. Alors… parle-nous de tes projets

Temps

DELPHINE. - Oui, tes projets, c’est-à-dire tu te vois comment et où, l’année prochaine ou plus tard ?

Temps -

DELPHINE. - Tu ne sais pas ? Madame PICHARD est là pour t’aider à te poser les bonnes questions. Si j’avais la chance, comme toi, d’avoir une conseillère d’orientation qui vienne dans ma classe, j’en profiterais pour lui demander si elle a des propositions pour des stages ou des visites d’entreprises, je lui poserais des questions sur le marché du travail, je lui demanderais de m’accompagner dans mes démarches. Personnellement, je t’invite à découvrir l’information dans l’action : visiter par exemple un centre de formation professionnelle permet de découvrir qu’il existe... des formations professionnelles. Tu apprendras qu’il y a des BTS par exemple, et si tu veux des précisions, tu peux aller sur des sites internet, ou alors consulter ... la conseillère d’orientation, c’est-à-dire Madame PICHARD …. Alors, tu peux parler en toute liberté...

Temps -

DELPHINE. - Tu as un rêve ? Eh bien voilà ! C’est formidable, ça ! C’est positif et proactif ! Dis-moi tout

Temps

DELPHINE. - Coach ? Tu veux être coach ? Tu ne veux pas être youtubeur ou footballeur ? … Je plaisante

Temps

DELPHINE. - Oui, oui, j’ai compris : coach. Non, vraiment, c’est très bien, coach, c’est un beau projet ambitieux, n’est-ce pas Mme PICHARD ?

Mme PICHARD. - Mmmm.

DELPHINE. - Et alors, dis-moi, tu veux coacher quoi ? Enfin je veux dire qui ?

Temps

DELPHINE. - Comment ?

Temps

DELPHINE. - Coach de star ? (à Mme PICHARD) Ah, je me disais aussi… Et pourquoi coach de star?

Temps

DELPHINE. - Y-a de l’action et on est avec les stars ? Heu, Oui, pourquoi-pas. Et quelles stars ? Je te demande ça comme ça.

Temps

DELPHINE. - Kim Kardashian, Kanye West, Jennifer Lopez ? Rien que ça ? Et, heu, tu les connais ?

Temps

DELPHINE. - Par les réseaux, évidemment… Mais il faut-pas trop rêver, je veux dire si, il faut rêver bien sûr mais il faut aussi être réaliste. Il y a peu d’élus, ce sera dur. Tu vas arriver à Hollywood et hop-là, qui c’est qui veut que je le coache ? Non, il faut d’abord assurer ton avenir, il te faut un plan « B. ». Tu sais, y-a pas besoin de prendre l’avion pour trouver un bon job… Comment ?

Temps

DELPHINE. - Prof de sport ? Alors là je te dis oui tout de suite, c’est un bon plan B. Ce sera dur mais c’est plus raisonnable

Temps

DELPHINE. - Oui, bien sûr je peux t’aider à trouver une école

Temps

DELPHINE. - Combien de temps ? Heu ... (à Mme PICHARD) iI faut compter quatre ans à la fac, hein, c’est ça ?

Mme PICHARD. - cinq

DELPHINE.- Cinq pour être prof de sport...

Mme PICHARD. - DELPHINE) Ils font quoi ses parents ?

DELPHINE. - Ils font quoi tes parents?

Temps

DELPHINE. - Agriculteur et la maman à Auchan ? … Sont tous les deux aux champs alors ! (Elle rit) Je plaisante… C’est bien, ça, c’est courageux. Mais mine de rien ça coûte, la fac, il faut se loger, il faut se nourrir et là on est battus .

Temps

DELPHINE. - Quoi d’autre ? Heu ... si on veut rester sur le sport, t’as éducateur sportif, c’est deux ans, c’est dans tes cordes et celles de tes parents. Ce sera dur mais c’est un beau métier éducateur sportif .

Temps

DELPHINE. - On est d’accord ? Très bien.

Mme PICHARD. - (à DELPHINE.) Les notes ?

DELPHINE. - Ah oui, les notes, voyons comment on s’en sort.

DELPHINE et Mme PICHARD consultent la tablette

DELPHINE et Mme PICHARD. - (Ensemble) SSSHHHHH ! …

Temps

DELPHINE. - Comment ? … Non, non, si, si, oui, oui, onze de moyenne ça va, mais je vois, heu… tu n’as pas choisi Sciences.

Temps

DELPHINE. - Oui, je sais « putains de spécialités » comme tu dis, on est bien d’accord.

Temps

DELPHINE. - Grave ? Non, mais ce sera dur.

Temps

DELPHINE. - Une remise à niveau ? Ah ça non, trop compliqué, tu sors du cursus tu reviens plus, là je-peux-rien pour toi. Non, des trucs en deux ans ça-manque-pas dans ton bassin d’emploi

Temps

DELPHINE. - Quoi ? Ben là on serait plutôt sur du BTS, BTS vente par exemple, si je regarde sur mon machin (elle consulte sa tablette) je vois BTS MUC, BTS VPT, BTS TC. Tu vois y-a le choix et c’est-pas loin de chez toi. (A Mme PICHARD) Vous mettriez quoi, vous, dans son Parcoursup?

Mme PICHARD. - MUC

DELPHINE. - MUC ?

Mme PICHARD. - MUC

DELPHINE. - Parfait, on va mettre BTS MUC, Management des Unités Commerciales. Management c’est comme coach. Dans ton Parcoursup, tu coches MUC, c’est un bon plan « C », MUC. Il faut savoir être flexible. Ça recrute MUC. C’est bien pour un mec, MUC

Temps

DELPHINE. - Pardon ?

Temps

DELPHINE. - Et le sport ? … Ah on est têtu, hein! Tu ne me facilite pas la tâche.

Mme PICHARD. - (Lui souffle à l’oreille) Agent de sécurité.

DELPHINE.  - Ah mais voilà ! Agent de sécurité ! C’est un bon plan « D » agent de sécurité, et on reste dans le cœur de métier

Temps

DELPHINE. - Comment ?

Temps

DELPHINE. - Pourquoi pas vigile pendant qu’on y est ? Ben voilà, si tu veux ! Tu as raison ! Bonne idée vigile. ! C’est un bon plan « E » vigile c’est un métier qui recrute et il faut savoir courir. Hein ?

Temps

DELPHINE. - Pardon ?

Temps

DELPHINE. - (Pète les plombs) Quoi encore le sport ? Tu vas me lâcher avec ton sport ! T’as rien dans la tête ou quoi ? Monsieur a un rêve, mais putain, rêver c’est-pas un métier ! Tu crois que je peux quoi, moi ? Tu crois qu’on peut quoi ? Rien je te dis, y a pas de moyens, y a rien ! L’école de la république c’est mort mon petit gars. Je fais comment pour te caser ? Je fais comment pour le caser ? ...

Mme PICHARD. - (affolée, sort chercher de l’aide) Paul !

DELPHINE. - Parcoursup c’est le loto ! Tu coches des cases y-a pas de places ! T’as vu où on est, c’est la cambrousse ici. L’égalité des chances, mon cul. Oui je suis violente mais j’en peux plus de vous faire espérer ! T’aimes le sport ? Bah tiens, retourne courir après tes vaches et me fais- plus chier !

Elle craque

CLAQUE LA PORTE ! - BEA

Vivement la crise

A la maison. BEA, hors d’elle, s’adresse à sa fille, vers les coulisses ou vers le public.

Mais claque la porte merde !

Traite-moi de connasse !

Fais quelque chose, ouvre-toi les veines !

Y a des filles de ton âge elles sont déjà allées trois fois chez les flics !

Assa elle a des croûtes comme ça sur les avant-bras

Alors qu’est-ce que tu fous ?

Esteban il a frappé son père !

Et toi tu nous fais des cookies et tu nous organises des soirées films !

Je-sais-pas, brûle les rideaux de ta chambre, saoule-toi la gueule !

Les comprimés dans la salle de bain c’est-pas fait pour les chiens !

Bouffe-les merde !

Qu’on appelle les pompiers, le SAMU

Qu’il se passe enfin quelque chose de prévu !

Ça nous a servi à quoi les séances chez la psy ?

Putain, ton père et moi on s’était préparés !

Et toi à peine tu nous dis merde pour aller au footing!

Tu peux-pas nous faire ça!

Toute cette énergie pour quoi ?

Pour rien !

Madame reste jusqu’à deux heures du mat à la cuisine.

A discuter sur le sens du monde et la politique !

Mais on a autre chose à foutre bordel !

On en a marre de tes cookies, de ta Amy Winehouse et de ton Nirvana.

Ça c’est à nous ! Tu veux nous dire quoi ?

Que tu nous aimes ?

Mais fuck, putain merde ! On s’en fout !

Toi tu dois nous détester, un point c’est tout !

C’est maintenant, t’entends, c’est maintenant !

C’est-pas à trente piges que tu crameras des bagnoles !

T’auras l’air fine !

Tu commences à nous faire peur avec ta gentillesse !

On est nuls t’as compris ?

On – est – nuls !

Alors claque-la, cette putain de porte !

BENOIT CLOTTEAU, psychothérapeute -

Crise d’ados ou crise de parents ?

Voix off dans le noir

BENOIT CLOTTEAU. - « L’idée de crise d’adolescence ça exprime une grosse difficulté des parents. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’adolescence est une période de transformation. Tout se transforme chez l’adolescent, mais ce qu’on ne voit pas c’est que le parent aussi se transforme. Généralement, l’adolescence correspond à l’âge du milieu de la vie pour le parent. Donc les parents qui sont au milieu de leur vie, eux aussi ils vivent des choses importantes, un petit peu comme vit leur adolescent. »

IELS NE RENTRENT PAS

Tragédie

Un parc citadin, la nuit. BEA fait les cent pas (à la manière de Quad de Becket) ... LAURA la rejoint et fait aussi les cent pas. Elles s’arrêtent, se regardent et repartent…

LAURA. - On avait dit 19H ! Et ses devoirs à faire, merde ! Mais où il est ? Trois fois j’ai appelé ! Pas de réponse ! Il commence à faire nuit.

BEA. - On a un petit rituel avec ma fille : texto quand elle arrive chez ses potes, texto si elle bouge, puis un ou deux textos pour dire que tout va bien. Que je puisse m’endormir. Là, rien !

LAURA. - Il m’a dit je vais faire mes devoirs chez Momo. J’ai appelé la mère de son pote, il y-était pas ! Vingt-deux heures ! Je l’ai-jamais vu rater un repas. Je commence à paniquer.

BEA. - Vingt-deux heures! ! Je commence à me faire des films.

LAURA. - Le téléphone de son père l’a tracé au centre commercial, j’ai rappelé : personne ! Il a fait une connerie, c’est sûr. Ils sont toujours sur leur téléphone et quand t’appelles, pas de réponse ! Mais pourquoi au centre commercial ?

BEA. - Elle est-pas toujours sociable. Peut-être qu’elle a voulu rentrer toute seule. Mais sur Bolt, pas de trajet. C’est-pas son genre de pas donner de nouvelles. Avant elle me répondait.

LAURA. - Momo est chez sa copine d’après sa mère ! Putain, il a menti ! Ou alors il fait une fugue ! En ce moment ça va-pas je le vois bien ! Il parle-pas, on peut pas lui parler, il s’énerve pour rien.

BEA. - Toujours pas de texto ! Elle est peut-être en plein un coma éthylique chez ses amis. Personne ne s’aperçoit qu’elle est dans les toilettes en train de mourir dans son vomi !

LAURA. - Mais pourquoi au centre commercial ? Je ferais une fugue, moi j’irais à la gare … Ou alors il y a une fille là dessous, tant pis, si seulement c’était ça !

On entend la voix alarmiste d’un journaliste relatant les exactions commises par des jeunes de banlieue. Cette voix va progressivement être recouverte par leurs propres voix angoissées.

LE JOURNALISTE (voix off). - « Paris est le théâtre d’importantes violences et agressions ces derniers mois. Les faits divers les plus effrayants se succèdent. Mardi soir des voyous de cité sont venus détrousser des touristes, leur volant des effets personnels, téléphones portables, portefeuilles. Beaucoup de vols ont également eu lieu dans des véhicules stationnés dans les alentours du stade de France. Parmi les assaillants on indique la présence de beaucoup de mineurs provenant de banlieue. Au Trocadero un homme raconte que plusieurs jeunes l’ont attaqué pour s’emparer de sa sacoche, il a résisté, les malfaiteurs lui ont porté des coups de tessons de bouteilles. Peu après ce sont deux touristes …

Puis les voix off de BEA ET LAURA se mêlent à celle du journaliste

LAURA (voix off). - Le jeune de banlieue, jean, capuche, peau noire, grise, il se regroupe en bande, il vole, il vend de la drogue, il trafique des armes...

BEA (voix off). - Noir, Arabe, Gitan, il hait la France, il nous hait tous...

LAURA (voix off). - Le jeune de banlieue...

BEA (voix off). - Il est monstrueux, c’est un dragon rouge à cinq têtes qui crache un feu mortel, il fait ses courses à Auchan…

LAURA (voix off). - Dans sa cave il fait des tournantes, il viole des filles avec ses potes, il porte des Nike, il est violent, ses yeux sont injectés de sang, il va droguer vos enfants !...

BEA. - (voix off) Le soleil noircit, la lune est en sang, les étoiles tombent sur la terre…

LAURA (voix off). - Les habitants ont peur, se cachent dans les bouches de métro, dans les caves

BEA (voix off). - Portés par une grande vague noire, le jeune de banlieue arrive à nos portes, il vient égorger nos fils et nos compagnes

LAURA (voix off). - Les mers se déchaînent, vomissent des cadavres. Malheur sur nous ! Malédiction !

BEA (voix off). - Il va passer le périphérique et entrer dans Paris ! Au secours ! Il va brûler mon Audi !

On devine encore un moment la voix du journaliste

BEA. - Peut-être qu’elle a été agressée par des jeunes de banlieue ! D’habitude elle appelle « maman viens me chercher ! » et j’envoie son père ! Là rien, pas d’appel !

LAURA .. - Il y a eu une bagarre au centre commercial ! J’ai appelé l’hôpital, savoir s’il y avait un grand garçon d’un mètre quatre-vingts avec un sweat à capuche noir. Ya que ça des capuches noires, ils m’ont dit.

BEA. - Ou elle a pris de la drogue ! Ils ont tous pris du crack ! Je connais-pas ses nouveaux amis, c’est plus ceux du collège. En plus elle a les cheveux bleus, je sais-pas comment elle va trouver du boulot plus tard !

LAURA. - Si ça se trouve la bagarre c’est lui.

BEA. - J’appelle-pas, les flics ça sert-à rien. Ils vont me dire qu’elle n’a pas disparu depuis assez longtemps.

LAURA.- Il est en train de perdre son sang, c’est sûr ! Il connaît même-pas son groupe sanguin, comment ils vont faire pour le transfuser ?

BEA. - J’arrive-pas à joindre son père. Qu’est-ce qu’il fout, merde ? Il dort ou quoi ?

LAURA. - Il a plus de batterie sur son-putain d’I phone de merde ! A quoi ça sert les téléphones si on peut-pas savoir où ils sont ?

BEA. - Je lui ai même-pas demandé où elle était. Même-pas demandé, quoi ! Je sais même-pas si elle a pris des capotes !

LAURA. - C’est comme si on m’arrachait le ventre ! Il est quelque part, il m’appelle, maman ! maman ! viens me chercher ! Et moi je sais-pas où il est !

BEA. - Si ça se trouve, on lui a mis du GHB dans son verre, on l’a déshabillée, frappée et jetée dans la Seine ! Il y a tellement de crimes, tellement de viols !

LAURA. - Mais pourquoi le centre commercial ?

BEA.- Si ça se trouve elle est dans un coin de rue, le crâne fracassé.

LAURA. - Si ça se trouve il est mort !

THOMAS GUENOLE - politologue

Les jeunes de banlieue mangent-ils nos enfants ?

Voix off dans le noir

THOMAS GUENOLE. - « Ça c’est le monstrueux jeune de banlieue. Maintenant, intéressons-nous au vrai jeune de banlieue. Y a-t’il des criminels, des délinquants ou des bandes de jeunes enfermés dehors à rien foutre ou a faire beaucoup de bruit le soir ? Oui, je ne dis pas que ça n’existe pas, j’invite simplement à quantifier les problèmes. Selon la façon de compter, il y a à peu près un million, un million et demi de jeunes de banlieue en France. Si c’étaient tous des criminels et des délinquants, ce seraient des effectifs supérieurs à ceux de l’armée rouge. En réalité, criminels, délinquants et bandes en train de glander dehors, ça représente moins de deux pour cent des vrais jeunes de banlieue. »

TOILETTES ET CONTRAT SOCIAL

TANIA et CHRISTELLE sont au café

TANIA. - « Maman, au collège on n’a pas le droit d’aller aux toilettes pendant les cours », elle me dit

CHRISTELLE. - Non !

TANIA. - Si ! Je lui fais « Ah bon ? Tu as demandé l’autorisation ?  Elle me dit “Ben oui”. Moi : “Mais s’il y a urgence, comment vous faites ? »

CHRISTELLE. - Oui, comment elles font ?

TANIA. - Elle me dit « Faut attendre l’intercours ou la récréation. »

CHRISTELLE. - Incroyable !

TANIA. - C’est marrant ça, au primaire c’était possible et t’arrives en sixième, terminé, tu peux-pas pisser, tu peux-pas chier ?

CHRISTELLE. - Inadmissible.

TANIA. - Ni changer ta serviette ou ton tampon !

CHRISTELLE. - Faut faire quelque chose !

TANIA. - Tous les ans on se bat !

CHRISTELLE. - Et alors ?

TANIA. - Tu sais ce qu’on nous répond ?

CHRISTELLE. - Non.

TANIA. - « Ah mais c’est-pas possible, ah mais c’est-pas gérable. »

CHRISTELLE. - Et qui dit ça, qui ? C’est qui « on » ?

TANIA. - Le proviseur, l’intendante. « Il faut du personnel et ça coûte, en plus ils cassent tout, ils bouchent les tuyaux et laissent les robinets couler ».

CHRISTELLE. - Remarque si je me mets à la place des profs, j’aimerais-pas avoir à gérer tout ça.

TANIA. - C’est-pas question de profs, c’est question de moyens, mais ça c’est un gros mot.

Temps

TANIA. - Ils soupçonnent toujours les ados d’aller aux toilettes pour de mauvaises raisons !

CHRISTELLE. - Lesquelles ?

TANIA. - Je sais-pas, pour se retrouver entre eux ou entre elles pour…enfin tu vois.

CHRISTELLE. - Oui, ça, ça va, mais ils pourraient aussi boire de l’alcool, sniffer de la coke, s’ouvrir les veines, préparer un attentat ! Et là je comprends.

TANIA. - T’es sérieuse ?

CHRISTELLE. - Oui. En plus, moi je dis, apprendre à se retenir ça peut servir pour plus tard dans la vie. Les files d’attente, les magasins, ou même à France travail, tiens.

TANIA. - Qu’est-ce que tu racontes, s’ils veulent y aller c’est-pas par plaisir ! Dans l’état où elles sont, en plus, les toilettes, il faut avoir envie ! Ça fouette, je te dis-pas, j’y mettrais pas mon N+1. Et bonjour l’intimité, les bruits, tout ça. Il y a un moment il faut leur faire confiance à nos ados. La confiance ça rend intelligent. Si dès le collège on méprise la présomption d’innocence, où on va ? Moi je dis la confiance, c’est un contrat social, mais ça on sait plus ce que c’est.

CHRISTELLE. - Ouais. Quelle société ça nous prépare !

Temps

TANIA. - (Repart pour un tour) Non mais ils veulent peut-être que ma fille se trimballe tout l’après-midi avec une tache rouge au cul ?

CHRISTELLE. - Bonjour la confiance en soi !

TANIA. - Ils oublient que ces gamines et ces gamins viennent à l’école avec un corps. C’est-pas comme ça qu’on va les responsabiliser. Et l’autonomie, là-dedans ? Moi je trouve ça hyper grave ! L’autonomie c’est-pas pour les chiens ! Comment veux-tu qu’ils prennent des décisions plus tard ? Bientôt ils demanderont l’autorisation de respirer si ça continue ! … (Son de notification au téléphone)Attend !...

CHRISTELLE. - Quoi ?

TANIA. - (Regarde son tel … cri d’horreur) Aaaah !

CHRISTELLE. - Y’a quoi ?

TANIA. - La petite conne !

CHRISTELLE. - C’est grave ?

TANIA. - (Montre son tel) Regarde !

ACHRISTELLE. -. - Heu, je vois-pas…

TANIA. - Douze en math !

CHRISTELLE. - Super.

TANIA. - Mais non, pas super ! Elle fout-rien cette gosse !

CHRISTELLE. - Douze, c’est-pas-rien.

TANIA. -- Si c’est zéro ! C’est nulle-part 12 ! T’as quoi avec ça ? Un boulot de merde ou rien. Elle va comprendre, dans la file de France Travail, pourquoi c’est important de se retenir de pisser ! A 12 t’es personne, t’es juste anonyme, t’es perdu dans la masse, un inconnu en queue de peloton qui surnage. On se décarcasse H24 et voilà comment ils nous remercient !

CHRISTELLE. - C’est au-dessus de la moyenne quand-même.

TANIA. - On s’en fout ça vaut-pas ! La moyenne de la classe c’est 15 ! Regarde. (Montre son tel) Je vais lui foutre la pression, elle va comprendre ! Pour une fois que je la laisse travailler toute seule ! Je m’en doutais, j’aurais dû le faire moi-même, ce devoir! Les fonctions affines, j’aurais eu 20…Mais 12, putain ! On va redoubler ! Je sors plus de chez moi !

CHRISTELLE. - Calme toi…

TANIA. - Laisse-moi, t’as pas de fierté. Me touche-pas !

Elle reregarde son téléphone

TANIA. - Aaaaah !

CHRISTELLE. - Encore !

TANIA. - Regarde ! Regardeu !

CHRISTELLE. - J’ai-pas mes lu…

TANIA. - “Absence non justifiée !” Elle est absente ! … Absente ! … Ma fille est absente !!! Après tout ce qu’on a fait pour Elle ! (Elle montre son tel) Là ! Là ! En ce moment, ma fille devrait être en cours de math ...et… et… et elle n’y est pas ! Où elle est cette petite conne … Je l’ai mise sur Glympse et là je vois-rien ! Elle est où ? Elle est où ? Putain, Elle a ôté l’appli ! Je suis morte ! … Apoplexie.

PENDANT CE TEMPS AU MINISTERE

Pédagogie du stress

PIPO ministre et MIMILE sous-ministre terminent leur footing et font quelques petits exercices rituels d’assouplissement.

MIMILE. - Et comme ça ils nous feront plus chier à brailler que y a ça ou ça qui cloche. Hein, c’est ça Pipo?

PIPO. - T’as tout compris, Mimile. Et mi-juin toi t’es peinard. Tu prends tes billets pour Ibiza.

MIMILE. - Y sont pris déjà.

PIPO. - Tu vois, t’es l’homme de la situation. Des fois je me dis que j’ai bien fait de te choisir Mimile. T’as la gueule de l’emploi, une bonne tête à baffes…

MIMILE. - Heu moi c’est la Chantilly sur la tête, les baffes c’est toi, Pipo.

PIPO. - On a dit plus un mot là-dessus, les journalistes la bouclent, c’est pas toi qui vas l’ouvrir.

MIMILE. - Non, non, j’avais oublié.

PIPO. - Cette fois ça ira mais fais gaffe.

MIMILE. - Oui je te promets.

PIPO. - Alors d’accord ? La plateforme en décembre ?

MIMILE. - Et cloture des dossiers en avril, promis.

PIPO. - Et tu sais quoi, l’an prochain dès la seconde.

MIMILE. - Oh!

PIPO. - On les tient pour un moment mon bon Mimile. On va les broyer, eux et leurs parents. Et leurs profs avec.

MIMILE. - Mais du coup, le bac ?

PIPO. - Quoi le bac ?

MIMILE. - Ben le bac, on supprime ? Je fais quoi ?

PIPO. - Ben non, tu gardes, c’est sacré, le bac, on touche pas.

MIMILE. - Y z’auront pas le temps de réviser.

PIPO. - Tout le monde l’a, je te dis, le bac. Il faudrait vraiment être trop con pour pas l’avoir.

MIMILE. - Y en a qui l’ont-pas.

PIPO. - Normal, faut rester un minimum crédible.

MIMILE. - Du coup ceux qui ratent y font quoi ? Y vont où à faire quoi ?

PIPO. - Y vont bosser.

MIMILE. - Trouveront pas, t’as vu les courbes ?

PIPO. - Des petits boulots y en a, je t’en trouve dans la minute.

MIMILE. - Non, moi ça va, mais eux ?

PIPO. - Y en a je te dis des boulots y’en a. Suffit de traverser.

MIMILE. - Si tu le dis.

PIPO. - Et à pas cher.

MIMILE. - Et les études ? Fini ?

PIPO. - Ben oui Mimile. Tu veux qu’ils fassent quoi ?

MIMILE. - Chais pas … recommencer.

PIPO. - Je t’ai connu plus pervers, Mimile. On a besoin de ceux qui ratent. Les petits boulots pas chers ce sera pour qui sinon ?

MIMILE. - Ouais… vaut mieux pas.

PIPO. - Merci. Comme ça on a les bons qui flippent et les pas bons qui bossent. (En sortant) On les tient pour un moment mon bon Mimile. On va les broyer, eux et leurs parents.

MIMILE. - Du coup pour Ibiza…

PIPO. - (off) T’as quartier libre.

MIMILE. - Super.

PIPO. - (Off) Mimile !

MIMILE. - T’as dit quoi ?

Retour de PIPO

PIPO. - Pas de tralala, là-bas à Ibiza, hein, pas de fiestas ! Je veux-rien voir dans les canards ou la télé.

MIMILE. - Tu me connais.

PIPO. - Justement, c’est pour ça.

MIMILE sort, content d’aller à Ibiza. PIPO, perplexe, le regarde sortir

MENOPAUSE

LAURA est en sueur, assise sur une chaise. Elle s’adresse à son fils (public)

Ouvre cette fenêtre s’il te plaît mon fils j’étouffe

Ouvre cette fenêtre

Et apporte-moi un verre d’eau je suis crevée

Bouge-toi s’il te plaît.

Lève le cul de cette chaise !

Quinze heures que je suis debout,

J’en peux plus ouvre cette fenêtre

Donne-moi un verre d’eau

La bouteille donne-moi la bouteille

Pourquoi tu restes là assis ?

Penché sur ton téléphone ?

A envier espérer quoi ?

Si tu veux du miel affronte les abeilles

Mais pour l’instant vas au robinet

Et rapporte moi un verre

Ouvre la fenêtre s’il te plaît

J’ai des bouffées, j’étouffe

La fenêtre s’il te plaît mon fils

Et lève le nez et ton cul et va au robinet

Pourquoi tu restes là sur ta chaise

Pendant que ta mère étouffe ?

La journée à courir

Dans les open spaces

Vas tirer une bouteille d’eau

Pour ta mère qui se met en quatre

Et retourne à ton téléphone

Merci mon fils

Fais voir, tourne toi montre ton jean

C’est quoi ce couteau dans ta poche ?

T’avais ça toi ?

C’est quoi ces traces sur ton jean

C’est quoi ces rougeurs sur tes bras et ton cou ?

C’est quoi ce couteau mon fils ?

C’est quoi ce sang sur ton jean et tes bras

Sur ton couteau 

T’étais passé où hier soir ?

T’étais où dans la nuit ?

Ouvre les fenêtres, ouvre les portes

J’ai chaud, j’étouffe, je vais exploser

J’ai si chaud, bouge de ta chaise

Et donne encore de l’eau

FAUT REVER

Et prendre son temps

DELPHINE s’adresse à la classe

DELPHINE. - Bon. Alors, en tant que professeure principale je suis là pour vous aider à vous poser les bonnes questions. Vous demandez, je réponds et qui sait, je peux réaliser vos souhaits. Parlez-moi de vos projets ...

Oui vos projets. Vous-vous voyez comment et où, l’année prochaine ? Qu’est-ce que vous avez envie de faire plus tard ? Comme métier par exemple...

Vous ne savez pas. L’école, ça vous plaît ? Vous vous éclatez ? ...

Cest super. Vous adorez vos  potes? Génial. Et les notes dans l’ensemble ça va ? Les notes, vous savez, ça ne veut rien dire, il n’y a pas d’élèves plus intelligents que les autres. Ça n’a pas de sens. Vous n’avez jamais rêvé à un métier ? Rêvé, seulement...

Comment ? « Ah mais c’est-pas pour moi Madame, personne n’a fait d’études dans ma famille ? » Et alors ? Il faut bien commencer. Bon vous verrez plus tard ! Vous avez raison, on n’est pas pressé. Souvent ceux qui vont vite c’est du bluff. Prenez votre temps. Vous avez tout – vo – tre – temps !

On vous dit « Il faut travailler plus pour préparer sa vie active ? »  Si jai un truc à vous dire, vous n’êtes pas à l’école pour préparer votre vie active, mais pour la vivre. La période la plus active c’est justement celle que vous êtes en train de vivre. C’est important parce qu’en même temps, vous vous construisez, vous devenez quelqu’un. Si on vous dit que vous êtes là pour préparer le bac ou préparer je ne sais pas quoi, vous êtes complètement hors sujet.

On ne va pas à l’école pour passer des examens ou pour avoir de bonnes notes. On va à l’école pour rencontrer les autres. C’est ce qu’on devrait inscrire sur les murs : « ici on apprend l’art de la rencontre. » Votre nourriture c’est - la – ren - contre !

PENDANT CE TEMPS AU MINISTERE

L’encouragement à la violence

PIPO ministre et Mimile sous-ministre consultent une sociologue

PIPO. - Merci d’avoir participé à cette commission.

LA SOCIOLOGUE. - Si je peux être utile.

PIPO. - Les violences entre bandes ça part en flêche, non?

LA SOCIOLOGUE : Difficile de compter. Pour les médias c’est la cata mais ce phénomène a toujours existé.

MIMILE. - Enfin je sais pas mais c’est nouveau toutes ces bastons.

PIPO. - Attends Mimile, c’est la dame qui sait, on la paye pour.

LA SOCIOLOGUE: Merci. Le phénomène est vieux comme les bandes. Les bandes ça remonte aux blousons noirs, les années 50. Après il y a les loubards, les années 70, aujourd'hui c’est les cités. Le même phénomène qui se répète et qui attire plus ou moins l'attention.

MIMILE. - Rien compris

PIPO. - Mimile! … (à la sociologue) Comment vous définissez une bande ?

LA SOCIOLOGUE. - Toujours la même histoire : pauvreté, échec scolaire, ça donne des mômes incontrôlables, même quartier, même collège, ils ont tout ça en commun. Proximité sociale, proximité géographique, ils se regroupent. Classique.

MIMILE. - Et ils font des conneries.

PIPO. - Ecoute, Mimile, concentre toi. (à la sociologue) Et qu’est-ce qu’ils font?

LA SOCIOLOGUE. - Ils cultivent leurs valeurs.

PIPO. - Vois pas.

LA SOCIOLOGUE. - En gros force physique, virilité, c’est ça leurs valeurs. Comme les blousons noirs, comme les loubards. C'est une constante. J’appelle ça "le capital agonistique", agon ... combat en grec ancien.

PIPO. - Oui ça va, je sais.

LA SOCIOLOGUE. - Pardon... ça se bagarre au sein de la bande, mais surtout avec la bande d'à côté. Toujours les mêmes prétextes : "il m'a regardé de travers""il a dragué ma sœur ou ma copine"... c'est la guerre de Troie. L'objectif principal c'est de savoir qui est le plus fort.

MILE. - Heu moi je suis pas sûr pour les grecs.

PIPO. - C’est une image, Mimile.

MIMILE. - Et les affrontements avec la police ?

LA SOCIOLOGUE. - Même chose. Juste une bande rivale comme les autres : mêmes valeurs : force, virilité. C'est de l’histoire ancienne. C’est Guignol contre le gendarme.

MIMILE. - Elle nous traite de guignol?

PIPO. - Reste assis Mimile, c’est eux les guignols… Pardon madame, vous voulez dire que rien ne change ?

LA SOCIOLOGUE: Pas tout à fait.!

PIPO. - Ah quand-même!

MIMILE . - Ah! Quand même!

PIPO. - Quelles évolutions alors?

LA SOCIOLOGUE. - Première évolution, les blousons noirs des années 50 et les loubards des années 70 travaillaient. Des métiers de force. Ça valait encore quelque chose sur le marché. Aujourd'hui, sans diplôme, sans capital scolaire et quand on n'a que ses bras, impossible de trouver. Donc c’est chômage, stages débiles ou petits boulots de merde, pardon. Et donc pas un rond.

PIPO. - Comment ils s’en sortent alors?

LA SOCIOLOGUE. - Là c’est la deuxième évolution : pour manger ils s’investissent dans le "business", la drogue surtout. Et là, changement majeur : connexion avec la délinquance professionnelle. Il y a une troisième évolution, plus récente.

PIPO. - Ah oui, laquelle ?

LA SOCIOLOGUE. - D’après vous ?

PIPO. - Mimile, c’est quoi qu’est nouveau?

MIMILE. - Heu

PIPO. - Les réseaux.

LA SOCIOLOGUE. - Facile. Longtemps, dans ces bagarres, l'arbitre c'était le journal. Un titre dans le journal c'était la gloire. Aujourd'hui c’est les réseaux. Ils se mettent en scène eux-mêmes et font tourner leurs exploits pour être connus. Et là ça accélère.

PIPO. - Oui, et c’est beaucoup plus violent qu’avant.

LA SOCIOLOGUE. - Je n'en sais rien. Pour l’instant les Kalach c'est pour les plus grands. Ce qu'on voit surtout dans les bandes c’est des armes blanches. C’est pas nouveau. Les blousons noirs étaient connus pour leurs chaînes de vélo ou de mobylette, ce n’étaient pas des tendres non-plus.

PIPO. - Et donc, dans les médias ?

LA SOCIOLOGUE. - Ils sont mis en scène je vous l’ai dit. Ils étaient disqualifiés et les voilà qualifiés dans leur spécialité. Diplôme de violence avec encouragements des médias.

PIPO. - Comment éradiquer ça?

LA SOCIOLOGUE. - Banal : lutter contre l'échec scolaire, le chômage, la paupérisation. Qu’ils aient une vie de jeunes normaux quoi : un boulot, se marier, avoir des en fants. Se ranger, c'était l'avenir des blousons noirs. Classique.

MIMILE. - A la télé, je vois, ils sont de plus en plus jeunes, c’est des branleurs.

LA SOCIOLOGUE. - Archi faux. Encore les médias. Au contraire ils sont de plus en plus vieux, faute d’avenir ils stationnent dans les bandes.

MIMILE . - Faut les mettre au boulot. Hein t’avais pas dit ça Pipo?

PIPO. Attends. La dame a des idées.

LA SOCIOLOGUE. - Si vous permettez, oui.

MIMILE – Donc ?

LA SOCIOLOGUE. - Détourner, canaliser, valoriser

MIMILE. - Rien compris.

PIPO. - Le sport?

LA SOCIOLOGUE. - Pourquoi pas.

MIMILE. - Ah ouais pas con.

LA SOCIOLOGUE. - Comme en 80, l’"anti-été chaud" par exemple: des stages de moto, de la boxe, du judo, marrant, non ?

PIPO. - C’est ça “valorisé”?

LA SOCIOLOGUE. - Classique: plus des cancres, plus des bons à rien.

PIPO. - Y a de l’idée… Mais un peu compliqué. T’en dis quoi Mimile?

MIMILE. - Faut simplifier.

PIPO. - Et … heu… renforcer les effectifs de police ? Ça dirait quoi?

LA SOCIOLOGUE. - Rien. Aggraver les choses, déclencher des rixes avec les flics. Totalement inutile. Le remède est pire que le mal. Bon courage.

PIPO. - Merci pour votre contribution. Au revoir Madame(Elle sort).

Un temps

PIPO. - Intéressant hein Mimile?

MIMILE. - Oui. Compliqué.

PIPO. - Compliqué, c’est ça… Opération “Place Nette”?

MIMILE . - Opération “Place nette”.

A TABLE ! - LAURA

LAURA, couteau de cuisine en main appelle vers les coulisses ou vers le public.

LAURA. - À table! ...

Musique …

LAURA. - Bon, c’est pas un self service ici ! ...

Musique +

LAURA. - Si t’es pas là dans quinze secondes, je coupe le wi fi et je balance tous tes écrans par la fenêtre!

Musique ++

LAURA. - Un, deux, trois, quatre … cinq

Musique +++

LAURA. - Bon, Ça suffit maintenant ! Arrête de te masturber et sors de ta tanière.

Musique ++++

LAURA. - C’est-pas parce que t’es une bombe hormonale que tu-peux-pas venir manger! …

Musique +++++

LAURA. - A table ou je me fais hara-kiri !

MIROIRS DE NOS ANGOISSES – LAURA - BEA

Grands soucis

Elles sont en pleine activité professionnelle ou domestique.

LAURA. – Eh ben moi, mes fils, ils font du krav-maga, ils peuvent tuer à mains nues.

BEA. – Ah bon ?

LAURA.– Oui. Mais comme ils se croient fort, j’ai peur qu’ils se prennent un mauvais coup de couteau. Et j’ai peur qu’ils se droguent comme leur père. Et j’ai peur qu’ils se suicident, c’est de famille. Et j’ai peur de survivre à leur mort.

BEA. – Moi aussi, ce serait horrible ... En même temps je ne voudrais pas mourir trop tôt, je me sens encore indispensable. J’ai envie de la protéger, ma fille, et en même temps j’ai envie qu’elle soit forte. J’ai envie qu’elle ne subisse pas la société et en même temps je voudrais qu’elle s’adapte à cette société. Du coup j’ai peur qu’elle ne sache plus décider et qu’elle ne trouve pas sa place.

LAURA. - Si ça se trouve elle s’en sortirait mieux sans toi.

BEA. – Merci …

Activité

LAURA. – Moi, comme je les couve beaucoup, j’ai peur qu’ils pensent que les femmes sont à leur service, et comme j’ai plusieurs amoureux…

BEA. – Ah oui ?

LAURA. – Oui. J’ai peur de leur donner une image négative de la femme.

BEA. – Moi, avec toutes mes préoccupations de peau, de rides, de ménopause…

LAURA. – De poids..

BEA. – De poids, j’ai l’impression de lui donner une image de la femme trop difficile à porter.

LAURA. - Je dis souvent à mes fils que j’aimerais avoir leurs beaux cheveux. Mais j’ai peur qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas si beaux que ça.

BEA. – Un jour ils deviendront chauves.

LAURA. – Tu crois ?

BEA. – Bah oui !

Activité

BEA. – J’angoisse

LAURA. - Pourquoi ?

BEA. - J’ai peur qu’elle soit déscolarisée

LAURA. – Ah oui ! ...Au chômage…

BEA. – RSA !...

LAURA. – SDF

Activité

BEA. – Je voudrais pas qu’elle soit addict : drogue, alcool ... ou cigarette comme moi. J’ai très peur de lui refiler mon angoisse…

LAURA. – Heu, je crois que c’est trop tard, c’est déjà fait.

BEA. – Merci.

LAURA. – Moi c’est bien simple : j’ai peur qu’ils aient peur, comme ça c’est réglé.

BEA. – J’essaie de lui montrer qu’on peut réussir dans ses rêves.

LAURA. – Ah oui ?

EBEA. – Elle m’a demandé si ça valait le coup, tous les sacrifices que je fais pour ça. Je savais pas quoi répondre.

LAURA. – Je comprends … Sont beaucoup sur les réseaux, j’ai peur qu’ils se fassent manipuler. J’ai eu des discussions avec eux au sujet du racisme anti blanc, heu ... je te dis pas, waow ! J’ai peur qu’ils soient de droite.

BEA. –Ah bon ? Moi c’est à gauche toute et LGBTQIA+ à fond. Je sais pas ce qu’elle regarde mais c’est radical.

LAURA. - J’ai peur qu’il voit du porno sur internet. Une fois mon grand il me dit maman j’ai vu du porno, je lui dis ah bon c’était quoi ? Il me dit une femme avec un sexe dans la bouche.

BEA. – Ah bon. Et t’as dit quoi ?

LAURA. – J’ai dit « Ah ben ça va alors ! ».

BEA. – Question sexualité, je la comprends pas, elle veut être un garçon, elle aime les garçons et il faut lui dire « Il »…ça fait beaucoup.

LAURA.– Elle est gay ?

BEA.– Trans.

LAURA. – Bi ?

EVA. – Trans-bi, oui ...Pan !

LAURA. – Quoi, pan ?

BEA.– Pan : tout quoi … Normalement il n’y a pas de sujet tabou à la maison mais je vois bien qu’elle n’ose pas me dire des choses. J’ai peur de ses silences.

Activité

LAURA. – Moi j’ai peur que mon grand soit manipulable dans ses sentiments, qu’il soit trop émotif et pas armé dans la vie. Il en a déjà beaucoup bavé.

BEA. – Ça me rappelle quelqu’un.

LAURA.– Qui ?

BEA. – Je vais chez le psy pour calmer mes angoisses et je parle souvent de ma fille, que j’aimerais qu’elle se confie. Il m’a arrêté tout net : attention, votre fille et vous ce n’est pas la même personne.

FLORA. – Ah ça non c’est pas la même. Moi j’ai peur que mes enfants aient pitié de moi. En même temps ils m’appellent toujours « La Reine ».

BEA. – La reine de quoi ?

LAURA. – La Reine.

BEA. – Eh ben moi, longtemps ma fille m’a prise pour une Wonder Woman

LAURA.– Ah oui ?

BEA.– Oui. J’étais de toutes les luttes et pour elle je gagnais toujours, c’était assez flatteur...

Pause dans l’activité. Vaporettes

EVA. - Aujourd’hui j’ai l’impression que je suis tombée de ses yeux.

LAURA. – Quand ils seront plus grands, j’ai peur qu’ils s’éloignent de moi... J’ai nourri pendant longtemps l’espoir d’avoir un fils homosexuel.

BEA.– Pourquoi ?

LAURA. - Pour qu’il m’emmène le dimanche au restaurant.

BEA. – Moi j’ai peur qu’elle s’en aille très loin. Elle me dit « dès que j’ai 18 ans je pars au Canada ». Je lui dis « super ! » mais ça me brise le cœur.

LAURA.– J’ai l’impression que mes enfants ne veulent pas d’enfants. Peut-être qu’on ne leur en a pas pas donné l’envie.

BEA. – Ma fille aussi déteste les enfants. Elle a dû voir que c’était dur d’être parent. Je ne sais pas ce qu’on lui a transmis mais elle déteste les enfants.

LAURA. - Quand je m’entends leur parler maintenant j’ai l’impression d’entendre ma mère : « Range ta chambre ! Allez à table ! »...

BEA. - Moi c’est pareil : « Et fais pas çà ! Et t’es rentrée trop tard, et est-ce que t’as fumé ? Est-ce que t’as bu ? »

LAURA. - Ma mère tout craché.

Temps

BEA. - On oublie tout ça. Pourtant, ado, on en a fait des conneries !

LAURA. - Oui, et des pires !

A TABLEU ! - Choeur

BEA, LAURA, TANIA, CHRISTELLE, se parodient et parodient leurs ados.

BEA . - A tableu !

LAURA. - J’arriveu !

TANIA. - A tableu !

CHRISTELLE. - A tableu !

BEA. - A tableu !

LAURA.- J’arriveu !

TANIA. - A tableu !

CHRISTELLE. - A tableu !

BEA. - A tableu !

LAURA. - J’arriveu !

TANIA. - A tableu !

CHRISTELLE. - A tableu !

BEA . - A tableu !

LAURA. - J’arriveu !

TANIA. - A tableu !

CHRISTELLE. - A tableu !

FIN


Retour en haut
Retour haut de page