On Liquide !

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Les affaires de Paul vont mal : sa société a été mise en liquidation. Pour se sortir de cette mauvaise passe, il a eu l’idée d’inviter à une soirée bridge les Duplantier, une famille fortunée et vieille France. Il sait qu’Edgar, le fils Duplantier, brillant polytechnicien coincé au possible, est épris de sa fille Colline, charmante et nature, et il compte bien en tirer parti !
Paul pense avoir tout prévu… Sauf que le même jour débarquent Leeloo, une nymphomane avec qui il a eu une brève liaison, Bernard, austère liquidateur judiciaire et Mattéi, un homme de main venu récupérer la dette de jeu qu’a contractée Denise, l’épouse ô combien distraite de Paul.
Si ce n’était que cela : ce serait oublier Micheline, la bonne un brin sans-gêne et qui se mêle de tout !
On liquide ! est un vaudeville pétillant, sans temps mort, avec des personnages hauts en couleur et aux répliques qui font mouche, où les jeux de mots sont omniprésents et où les portes s’ouvrent et se ferment à un rythme endiablé, avec une mécanique imparable.
Bref, une comédie dans la plus pure tradition.

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ACTE 1

 

 

SCENE 1

MICHELINE

 

Micheline est allongée sur le canapé, un polar en main. Elle porte un tablier.

MICHELINE (lisant) – Paulo avait un air cynique, un visage sombre et patibulaire, avec une large balafre sur le front, souvenir indélébile d’une lutte fratricide au couteau dans les bas-fonds ou sur les docks. (Interrompant sa lecture.) Ouais, pas le genre de type à fréquenter… Quoique c’est mieux que rien… Et rien, je connais… (Micheline s’avance sur le devant de la scène et s’adresse à un homme du public.) Vous aussi je parie ?... En vous voyant, avouez que je ne prends pas de gros risques… On pourrait peut-être s’entendre… Je ne suis pas difficile… Vous non plus ?... Charmant !... Bon, c’est pas tout ça, mais j’en connais un qui m’attend, avec un long manche et des poils…

Micheline gagne la cuisine.

SCENE 2

PAUL puis MICHELINE

 

Paul descend l’escalier, en bras de chemise. Il sort son portable et compose un numéro.

PAUL (assez bas, comme s’il craignait qu’on l’entende) – Allô ?… C’est Paul Seguin… Vous allez bien ?… Oui, effectivement, ça pourrait être pire… Tant mieux pour vous !… Non non, il ne s’est pas encore pointé… Si ça se trouve, il ne viendra pas… Ouais, faut pas trop y compter… Les  liquidateurs, c’est comme les croque-morts, on se passe de leur visite…

Micheline est de retour, un balai en main. Paul, qui ne l’a pas vue, poursuit sa conversation téléphonique.

PAUL – Oui, j’ai compris : la seule possibilité pour arrêter la procédure, c’est de trouver l’argent… Oui, je sais, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval… (Avec un rictus.) Mais d’un âne, c’est possible… Oui, j’ai ma petite idée… Je vous tiendrai au courant… Si tout se déroule comme je l’ai prévu, je devrais conclure ce soir

MICHELINE (soufflant) – Ca, c’est que je me dis tous les jours depuis quarante ans : Micheline, faut conclure… Mais j’ai même pas l’introduction… Façon de parler hein...

PAUL (qui a raccroché) – Vous étiez là ?

MICHELINE (tragédienne) – Là et lasse, hélas !

PAUL – Toujours vos problèmes de dos ?

MICHELINE – Eh oui ! Le pire, c’est quand je suis allongée

PAUL (sentencieux) – Pour vivre heureux, ne vivons pas couchés !

MICHELINE – Comme vous dites. Et vous, toujours vos ennuis financiers à ce que j’ai compris

PAUL (faussement choqué) – Dites-donc ! Ca ne vous dérange pas d’écouter aux portes

MICHELINE (naturelle) – Pas plus que ça. Et puis, je n’écoutais pas, j’ai entendu, vous saisissez la nuance ?

PAUL – Vaguement… Très vaguement… De toutes façons, je ne vois pas en quoi ça vous regarde

MICHELINE – Un peu quand même… Je vous rappelle que je n’ai pas touché ma paie du mois dernier

PAUL (faussement étonné) – Ah ?...

MICHELINE – Bon, j’ai peut-être tort, mais je ne m’inquiète pas trop : une fois de plus, vous allez vous en sortir, n’est-ce pas ?

PAUL (sceptique) – Ouais… Mon expert-comptable est nettement moins optimiste

MICHELINE – C’est dans leurs gênes. C’était lui au téléphone ?

PAUL – On ne peut rien vous cacher

MICHELINE – Difficilement

PAUL – Lui, il est pénard : il est en vacances sur Maurice

MICHELINE – Moi, ce serait plutôt les vacances pépères chez Maurice

PAUL – C’est cela, oui

MICHELINE – Maurice, mon cousin qui habite à Tourcoing

PAUL – Tout un programme

MICHELINE – Je ne vous en ai jamais causé ?

PAUL – Vous dites tellement de choses que...

MICHELINE – C’est celui qui a épousé ma cousine Suzanne… Oh, c’est pas un cadeau… Ma cousine comme Maurice d’ailleurs

PAUL (amusé) – Ils se sont bien trouvés alors

MICHELINE – Ouais… Faut dire qu’ils ont cherché longtemps… Ils en ont écumé des foires aux célibataires, les deux bestiaux !… Au début, c’était tout beau… Et je te compte fleurette, et je te caresse le visage

PAUL – Et aujourd’hui ?

MICHELINE – Elle a deux fois plus de taf, vu qu’il a pris un double menton

PAUL – C’est plaisant

MICHELINE – Entre nous, je me demande comment ils font pour rester encore ensemble. C’est bien simple : Suzanne, c’est comme une invention française, c’est Maurice qui l’a trouvée et ce sont les autres qui en profitent !

PAUL – Bah dites donc !

MICHELINE – Ce doit être le boulot qui les lie, je ne vois que ça

PAUL – Ils bossent ensemble ?

MICHELINE – Non. Elle travaille dans l’administration et lui ne fait rien non plus

PAUL – C’est parlant

MICHELINE – Je ne sais d’ailleurs pas comment elle fait : elle termine son travail à cinq heures et elle est chez elle à quatre !

PAUL (toujours amusé) – Un véritable exploit

MICHELINE – Comme il dit, Maurice, pour être heureux dans la vie, il faut une bonne santé et un bon travail. Il est en pleine forme et sa femme a un bon boulot

PAUL – Vous n’avez pas suivi la même voie que votre cousine

MICHELINE – D’un côté, c’est pas plus mal… Vous verriez la belle-mère de Suzanne ! Comme on dit, le mariage, c’est pas la mer à boire, c’est la belle-mère à avaler

PAUL – C’est imagé

MICHELINE – Bon… Faut reconnaître que j’ai pas trouvé de mari… Pourtant, tous les soirs, je regarde sous mon lit pour voir s’il y a un homme… Rien ! Nada ! Nothing ! Nib de nib !

PAUL – Là, je crois que vous avez fait le tour

MICHELINE – Ah ?

PAUL – Vous devriez acheter un lit XXL, ça augmenterait vos chances

MICHELINE – Faudrait que j’essaie… (Après un temps.) Et il vous manque ?

PAUL – Mon expert-comptable ? Pour les maigres conseils qu’il me donne et ce qu’il me coûte, il peut rester sur son île

MICHELINE (rectifiant) – Je voulais dire : il vous manque beaucoup d’argent ?

PAUL – Ah ! Pardon, je n’y étais pas

MICHELINE – J’avais remarqué, mais faut suivre, voyons, faut suivre… Alors ?

PAUL – 200 000 euros

MICHELINE – Ah ?... Quand même… On est dans la mouise, Louise !

PAUL (théâtral) – Un rien, une bricole, que dis-je, une paille !

MICHELINE – Pour moi, c’est plutôt une paie… Naturellement, votre femme n’est pas au courant

PAUL – Naturellement… Mais j’ai bon espoir de trouver cette somme

MICHELINE – Si vous le dites

PAUL – Et pas plus tard qu’aujourd’hui

MICHELINE – Si vous le croyez

PAUL – Seulement, pour y arriver, il va falloir mettre les petits plats dans les grands

MICHELINE – J’aurais plutôt tendance à mettre les pieds dans le plat

PAUL – Vous n’avez pas oublié que nous avons des invités ?

MICHELINE (rectifiant)Vous avez des invités ; moi, je n’ai rien demandé

PAUL – Si vous voulez

MICHELINE – Oh, moi, je ne veux rien… (Rectifiant.) Si ! Deux choses : ce que vous me devez et un casse-croûte, enfin vous voyez de quoi je parle

PAUL – Pour la première, ça doit pouvoir se faire… Pour la deuxième…

MICHELINE – Merci pour vos encouragements… Si je me rappelle bien, vos invités, ce sont les...

PAUL (embrayant) – Les Duplantier

MICHELINE – Voilà

PAUL – Le père et le fis

MICHELINE – Il ne manque que le Saint-Esprit

PAUL – J’allais ajouter la mère, mais ce n’est pas avec elle qu’on va trouver l’esprit

MICHELINE – Le fils s’appelle Edgar : c’est ça ?

PAUL – Quelle mémoire !

MICHELINE – Un prénom pareil, ça ne s’oublie pas

PAUL (avec exagération) – Edgar est un jeune homme plein de qualités

MICHELINE – Et plein aux as je parie

PAUL – Euh… Oui, aussi… C’est vrai que sa famille peut sans souci jeter l’argent par les fenêtres

MICHELINE – Si encore ils sont au rez-de-chaussée

PAUL – C’est simple : ils ne savent pas quoi faire de leur argent

MICHELINE – Ils n’ont qu’à m’en donner, et à vous aussi par la même occasion

PAUL – Je compte bien là-dessus

MICHELINE (fine mouche) – Je le subodorais…

PAUL (reniflant) – A propos, vous ne trouvez pas qu’il y a une drôle d’odeur ?

MICHELINE – Ah ?... (Réfléchissant.) C’est sûrement mon nouveau parfum… On m’a dit qu’avec, les hommes allaient courir après moi comme des mouches… Finalement, je me demande si ce ne sont pas les mouches qui vont courir après moi comme des hommes

PAUL – Vous exagérez !

MICHELINE – Ouais… Tout ça ne vaut pas une bonne bouteille de sent-bon ou d’eau de Cologne

PAUL – Pour revenir à nos invités, aucun faux pas n’est permis

MICHELINE (rigolant) – Ouais, je suis au parfum… Heureusement, non assistante ne devrait plus tarder

PAUL – Votre ?

MICHELINE – Celle qui va me prêter main forte pour le service

PAUL (réalisant) – Ah oui ! Je l’avais oubliée celle-là

MICHELINE – Moi pas… Avec mes problèmes de coiffe, je compte vraiment sur elle pour m’épauler

PAUL – Ce n’est plus le dos qui vous fait tant souffrir ?

MICHELINE (un brin gênée) – Euh… Si. (A la Audiard.) Mais ça monte, ça se propage, ça se diffuse, ça irradie !

PAUL – Quand j’y pense, mon épouse aurait très bien pu vous aider

MICHELINE – N’y pensez pas

PAUL (amusé) – Vous avez raison : ce n’était pas raisonnable

MICHELINE – Remarquez, elle qui rêve que vous l’emmeniez dans un lieu dépaysant, elle aurait pu comme ça découvrir la cuisine

PAUL – Il y a du vrai

MICHELINE – J’espère vraiment que la personne qui va m’aider sera débrouillarde

PAUL – Ceci dit, avec une gourde ou une cruche, on ne manquerait pas d’eau

MICHELINE – Pas faux

PAUL – Et vous avez prévu quoi pour le dîner ?

MICHELINE – Devinez

PAUL – Comme d’habitude : votre succulente blanquette

MICHELINE – La blanquette de Monsieur Seguin, ça s’impose, non ?… Pour l’entrée, ce sera une salade de poireaux et noix et pour le dessert, une crème renversée

PAUL – Je ne doute pas du résultat… Micheline, j’ai toujours été admirateur de vos talents culinaires

MICHELINE – Mais j’en ai d’autres !

PAUL – Oh, certainement

MICHELINE – Bien cachés diront certains, n’est-ce pas ?

PAUL – Je… En tous les cas, vous savez comme nulle autre faire du bon avec du peu

MICHELINE – On fait avec ce qu’on a… Finalement, j’aurais dû travailler aux pompes funèbres

PAUL – Pourquoi ?

MICHELINE – J’ai l’art d’accommoder les restes !

Paul gagne le bureau et Micheline la cuisine ; elle a laissé son polar sur le canapé.

 

SCENE 3

DENISE, LEELOO puis PAUL

 

Denise descend l’escalier. On sonne. Denise finit par aller ouvrir.

DENISE – Il faut vraiment tout faire dans cette maison !

Une jeune femme blonde est sur le pas de la porte. Plutôt court-vêtue, elle a en main un casque de scooter (qu’elle finira par poser sur un meuble).

DENISE – Bonjour

LEELOO (très nature) – Bonjour… Je suis bien chez les Seguin ?… Remarquez oui : c’est écrit sur la boîte aux lettres… Je suis bête des fois

DENISE (un brin moqueuse) – Si ce n’est que passager

LEELOO – Je me présente

DENISE – Si vous voulez

LEELOO – Je suis Leeloo. (Epelant.) l e e l o o

DENISE – Heureuse de l’apprendre

LEELOO – J’aime bien mon prénom. Pas vous ?

DENISE (coupant court) – Oui… Bon : venons-en au fait

LEELOO (enjouée) – Moi, j’adore quand viennent les fêtes, Noël surtout, pour les cadeaux qu’on m’offre… L’an dernier, Max m’a acheté un magnifique caraco en soie

DENISE – J’en suis persuadée mais…

LEELOO (réfléchissant) – Non, c’était Armand… Ou Bruno… A force, j’arrive à tous les confondre

DENISE – Si vous me disiez plutôt ce que vous venez faire ici

LEELOO – Je suis envoyée par l’agence pour aider au service

DENISE – Ah oui ! J’y suis !

LEELOO – Ce qui compte, c’est d’y rester, pas vrai ?… Sauf sur le carreau bien sûr

DENISE – Hum… Vous avez de solides références je suppose ?

LEELOO – Oui oui, mais vous savez, je n’aime pas trop mettre ma personne en avant

DENISE (regardant le décolleté très prononcé de Leeloo) – La personne, peut-être pas… On ne vous demande pas non plus d’avoir travaillé chez Savoy

LEELOO – Les Alpes, j’avoue que je ne connais pas trop, mais rassurez-vous : j’ai déjà servi

DENISE (avec un rictus) – J’en ai l’impression… Quoi qu’il en soit, il va falloir assurer

LEELOO – Mais j’assure, je vous rassure

DENISE – Je vous le souhaite. Nous attendons, surtout mon mari, des invités importants

LEELOO – Importants, c’est mieux qu’importuns, non ?

DENISE (un peu sèche) – L’humour n’est pas exigé pour votre travail

LEELOO – Il consiste en quoi exactement ?

DENISE – Micheline vous expliquera

LEELOO – Micheline ? Vous faites dans la brocante dites-donc !

DENISE – C’est notre employée de maison

LEELOO – En plus court, la bonniche

DENISE (regardant cette fois la jupe très courte de Leeloo) – En plus court, comme vous dites

LEELOO – Je serai ravie de faire sa connaissance

DENISE – Puisse la réciproque être vraie

LEELOO – Ca, c’est joliment dit

Paul sort du bureau.

DENISE – Ah, voilà mon mari… (Désignant Leeloo.) C’est Lilas

LEELOO (rectifiant) – Leeloo

DENISE – C’est pareil

LEELOO – Pas tout à fait

DENISE – Loulou est envoyée par l’agence pour le service

PAUL (décontenancé) – Ah bon ?

DENISE (à Paul) – Je te laisse t’occuper d’elle et l’introduire auprès de Micheline… (A Leeloo.) Je m’en serais bien chargée, mais je dois me préparer pour nos invités et, comme dirait mon mari, il y a encore du travail !

Denise grimpe l’escalier.

SCENE 4

LEELOO, PAUL

LEELOO (aguicheuse) – Hello toi !

PAUL (sidéré) – Ah bah ça !

LEELOO – Surpris ?

PAUL – Le mot est faible

LEELOO (allusive) – Comme la chair

PAUL – Qu’est-ce que tu fais là ?

LEELOO – J’attends que tu t’occupes de moi

PAUL – Mais…

LEELOO – Ou que tu m’introduises

PAUL – Oh là là !... C’est pas possible !

LEELOO (lascive) – Si si : c’est tout à fait envisageable

PAUL – Mais comment… ?

LEELOO (pas sur le même registre) – Tu n’as quand même pas besoin d’un dessin ?

PAUL – Je voulais dire : comment es-tu arrivée là ?

LEELOO – Le hasard des missions

PAUL – Tu ne vas pas me dire que tu ne savais pas que…

LEELOO – Que j’allais passer le week-end chez toi ?... Non… Finalement, je pense que j’ai  bien fait d’accepter

PAUL – Je me le demande

LEELOO – Sur le coup, je n’ai pas tilté… Faut dire que tu ne m’as jamais donné ton adresse… Et des Seguin, il doit y en avoir des tas et des tas dans les Deux-Sèvres

PAUL (sarcastique) – C’est vrai que les gros tas, ce n’est pas ce qui manque dans le département

LEELOO (séductrice) – En revanche, toi, tu m’as manqué… Moi aussi j’espère ?

PAUL – Bah…

LEELOO – Quel enthousiasme !

PAUL – Tu sais bien que ça ne pouvait pas durer entre nous

LEELOO – Une passade comme tu dis

PAUL – Voilà. Quand on s’est rencontrés, j’étais au plus bas

LEELOO – Ton couple va donc mieux maintenant ?

PAUL – Oui. Ca s’est redressé

LEELOO (lascive, se collant à lui) – Je ne demande qu’à voir...

PAUL – Toujours tes allusions douteuses

LEELOO – Si ma mémoire est bonne, tu n’y étais pas insensible

PAUL – Désolé, mais notre relation, c’est une vieille histoire

LEELOO (narquoise) – Tu préfères les histoires de vieilles ?

PAUL – Dis donc ! Denise a mon âge

LEELOO – Denise ? Micheline ? (Ironique.) Ouais, c’est vraiment le marché aux antiquités ici !

PAUL – Tu ne travailles plus dans les trains ?

LEELOO – Si. Tu sais que j’ai toujours adoré les wagons

PAUL (allusif) – Oui, surtout les wagons de queue

LEELOO – Si toi aussi tu t’y mets ! Mais c’est parlant : je prends… A l’occasion, faudra que tu me la ressortes… Ta blagounette, hein… Quoique je ne dise pas non pour autre chose...

PAUL – Alors là, n’y pense pas !

LEELOO – Si, j’y pense, et je suis sûre que toi aussi !

PAUL – Décidément, cet esprit mal tourné ne te quitte pas

LEELOO – Peu importe la position… Mais pour répondre à la question qui te turlupine

PAUL – Tu sais vraiment choisir tes mots

LEELOO – Là, je n’y avais même pas pensé… C’est sorti comme ça, comme…

PAUL (coupant court) – Oui oui

LEELOO – Eh bien je fais des extras le week-end… Baritsa, ça ne rapporte pas des masses… Mais ça permet de faire des rencontres, n’est-ce pas ?... Faut bien gagner sa vie… Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un mari ou un amant qui vous offrent des cadeaux, surtout ceux qu’il vous a promis… (Allusive.) Une semaine à Chamonix par exemple, ou un week-end à Venise...

PAUL (moqueur) – Là, ce sera plutôt un week-end chez Denise

LEELOO – C’est d’un fin. A propos, elle n’a jamais rien su de notre brève liaison ?

PAUL – Non, même pas de notre liaison ferroviaire

LEELOO – Il n’y a pas d’âge pour apprendre…

PAUL – Je compte sur toi pour tenir ta langue

LEELOO – Ca dépend pour quoi

PAUL – Et pour ne pas m’habiller pour l’hiver

LEELOO – Et sur toi pour m’habiller pour l’été… J’ai vu en vitrine une mini robe à un maxi prix, je ne dis que ça

PAUL – Ca me suffit. Ecoute : en ce moment, les temps sont durs

LEELOO – Et les hommes sont mous, et les femmes s’en plaignent : je connais la chanson…

PAUL – Et il ne faut pas trop compter sur moi pour renouveler ta garde-robe

LEELOO – Quelques billets, ce n’est pas grand-chose

PAUL – Si je pouvais, je t’en filerai

LEELOO (l’étreignant) – Je suis preneuse ! Pourquoi pas tout de suite sur la table ?

PAUL – Ce n’était pas dans ce sens-là

LEELOO – Moi, dans un sens ou dans l’autre...

PAUL (repoussant gentiment Leeloo) – Je ne t’ai même pas demandé : tu as quelqu’un dans ta vie en ce moment ?

LEELOO – Tu te doutes bien que je ne suis pas seule, mais c’est du provisoire

PAUL – Un intérimaire quoi ?

LEELOO – Un en-cas … Oh ! Il est mignon et bien bâti mais le gros souci, c’est qu’il court après l’argent

PAUL – Il roule des mécaniques mais pas sur l’or

LEELOO – Et ça ne m’arrange pas...

PAUL – Je m’en doute… Bon : il est grand temps de rejoindre Micheline

LEELOO – Finalement, avec elle, on ne quitte pas le monde ferroviaire

PAUL (montrant à Leeloo la porte de la cuisine) – La cuisine est par là

LEELOO (allusive) – En attendant de voir les chambres

PAUL – On n’est pas au Cluedo

LEELOO – Micheline dans la cuisine avec le chandelier, Paul dans sa chambre avec sa matraque

PAUL (essayant d’être ferme) – Le jeu s’arrête là !

LEELOO (taquine) – Pas sûr, pas sûr

PAUL – Et je t’en prie : pas un mot de notre ancienne aventure à qui que ce soit

LEELOO – Promis : je ne piperai rien… (Toujours lascive.) Enfin, ça dépend quoi…

Leeloo et Paul se dirigent vers la cuisine.

PAUL – Oh là là ! Là, on est partis pour dérailler !

Leeloo et Paul entrent dans la cuisine.

 

SCENE 5

DENISE, MICHELINE

Denise descend l’escalier, élégamment habillée. Elle a son portable à l’oreille.

DENISE – Non non, c’est comme si c’était fait… Vous pensez… Non, pas souvent. Ah! C’est dommage ! C’est bien de penser, au moins de temps en temps… Vous agissez plutôt. Remarquez, c’est bien aussi. Mais n’ayez pas d’inquiétude : vous me connaissez !... Pas trop, et c’est ça qui vous inquiète… Entre nous, je peux le comprendre… Moi, je serais vous…  Vous voulez… Mais ce n’est pas la peine de vous déranger pour si peu… Enfin, quand je dis si peu… Allô ? Allô ?... Fichtre, il a raccroché ! Le mufle !

Micheline est entrée au cours de la conversation téléphonique, sans que Denise s’en aperçoive.

MICHELINE (amusée) – J’ai toujours adoré vos expressions vieillottes… Elles vous correspondent si bien !

DENISE – Merci du compliment

MICHELINE – Dites : ça n’a pas l’air d’aller fort

DENISE – Si : je nage dans le bonheur

MICHELINE – Tant que vous ne vous noyez pas dans le désespoir

DENISE (un peu ironique) – Vous flirtez avec la poésie dites donc !

MICHELINE – On flirte avec qui on peut. Au fait, c’était qui au téléphone ?

DENISE – Ca ne vous regarde pas

MICHELINE – Non, mais ça m’intéresse… C’est marrant : j’ai l’impression que j’ai déjà dit presque la même phrase il n’y a pas si longtemps… Allez : vous savez bien que vous finissez toujours par tout me raconter

DENISE (fataliste) – Hélas !

MICHELINE – Alors, c’était qui ?

DENISE – Francky

MICHELINE – Oh là ! Un vrai prénom de gangster !

DENISE – Vous ne croyez pas si bien dire

MICHELINE (visiblement intéressée) – Ah bon ?

DENISE – Un bonhomme bien peu recommandable

MICHELINE – Vous fréquentez ce genre de types ?

DENISE – Bah…

MICHELINE – Pas moi

DENISE – Normal : vous ne fréquentez personne

MICHELINE – Ce n’est pas faute d’avoir essayé… Mais il faut garder espoir en tout

DENISE – Il est pourtant des causes perdues

MICHELINE – Alors, ce Francky ?

DENISE – J’ai fait sa connaissance avant-hier à un cercle de jeu

MICHELINE – Moi, le jeu, à part la belote de comptoir

DENISE – Plutôt comptoir que belote, non ?

MICHELINE – Je l’admets… Dites : je croyais que le jeu et vous, c’était fini

DENISE – Une addiction, vous savez ce que c’est… On s’en débarrasse moins facilement que d’un homme

MICHELINE – J’suis pas experte en la matière. Je sais qu’il y en a qui sont accros au tabac, à l’alcool ou au sexe

DENISE – Et parfois aux trois en même temps

MICHELINE – Oh ! J’en demande pas tant. Vu que je ne fume pas et que je ne bois pas...

DENISE – Quand j’y pense : j’étais pourtant bien partie ! A un moment, j’avais 5 000 euros et des poussières sur le tapis

MICHELINE – Moi, la poussière, je la mets sous le tapis

DENISE (sur sa lancée) – J’aurais dû m’arrêter… Mais j’étais grisée et je me suis emballée

MICHELINE – Et là, vous déballez

DENISE – Ouais, c’est ballot… Pourtant, à la dernière partie, j’avais une belle combinaison

MICHELINE – Moi aussi, avec des froufrous partout… Je me la suis achetée pendant les soldes… Parce que si j’attendais que quelqu’un le fasse...

DENISE – Une couleur, c’est pas moche quand même

MICHELINE – Oui, si le coiffeur est bon… D’ailleurs, vous avez fait quelque chose à votre brushing ?

DENISE (se passant la main dans les cheveux) – Non, pourquoi ?

MICHELINE – Eh bien vous devriez

DENISE – Hum… Pour revenir à ma partie de poker, j’avais beau avoir une couleur, Francky était plus verni que moi

MICHELINE (ailleurs) – Ca me fait penser qu’il faudra que j’aille chez ma manucure

DENISE – Il avait une quinte flush… C’est rare, non ?

MICHELINE – Je n’en sais trop rien… Moi, à part les quintes de toux

DENISE – Résultat des courses…

MICHELINE – Le tiercé, j’aime pas non plus… Même si les bourrins, c’est pas ce qui manque… (Au public.) Surtout ce soir, il me semble

DENISE – J’ai fini avec une ardoise de 10 000 euros

MICHELINE – Aïe ! Remarquez : c’est quand même moins que 200 000

DENISE – Pardon ?

MICHELINE – Rien. Je divaguais

DENISE – Et maintenant Francky réclame son dû

MICHELINE – Je serais à sa place, je ferais pareil

DENISE – Il m’a laissé jusqu’à ce soir pour le payer

MICHELINE – Sympa ce petit délai

DENISE – Reste juste à savoir comment… Oh ! Mais je vais me refaire

MICHELINE – Comme dirait votre esthéticienne, y’a du boulot

DENISE (se regardant dans le miroir) – Vous trouvez ?

MICHELINE – Si j’avais cette somme, je vous aurais volontiers aidée, enfin...

DENISE – Micheline, vous êtes trop bonne

MICHELINE – C’est le cas de le dire… Evidemment, votre mari ne sait rien

DENISE – Non, malheureuse !

MICHELINE – C’est pas le bonheur qui m’étouffe mais faut pas exagérer quand même !

DENISE – Ma hantise, c’est qu’il vienne récupérer son pognon

MICHELINE (faussement choquée) – Oh !

DENISE (faisant un devoir de se reprendre) – Pardon, sa thune

MICHELINE – Il a votre adresse ?

DENISE – Oui, je la lui ai donnée

MICHELINE – C’est fâcheux ça. Ouais, très fâcheux. (Avec un ton de réprimande.) Fallait pas

DENISE – Sur le coup, je n’y ai pas pensé

MICHELINE – Moi, heureusement que je pense à tout, et pas qu’un peu… Et même pour les autres, c’est dire le boulot

DENISE – Ce genre de personne est prête à tout pour récupérer son argent

MICHELINE – A tout ?

DENISE – Hélas !

MICHELINE (tragédienne) – C’est horrible ! Mourir si jeune !

DENISE – Faut pas exagérer quand même

MICHELINE – C’est vrai que vous n’êtes plus de la première fraîcheur… Dites, si jamais il se pointait…

DENISE – Je préfère ne pas envisager cette éventualité

MICHELINE – D’accord mais supposons que…

DENISE – Alors je compterais sur vous

MICHELINE (prudente) – Eh oh doucement, je ne veux pas être mêlée à vos magouilles

DENISE – Je ne vous demande pas grand-chose

MICHELINE – J’ai peur que ce soit déjà trop

DENISE – Il faudrait simplement éviter à tout prix qu’il croise mon mari

MICHELINE – Oui, ce serait bête. Et il ressemble à quoi ?

DENISE – Mon mari ? Vous le voyez tous les jours !

MICHELINE – Non, Francky

DENISE – Je ne pense pas qu’il se déplace lui-même pour si peu

MICHELINE (faisant la moue) – Si peu, si peu

DENISE – Si j’ai bien compris ce qu’il m’a dit au téléphone, il risque plutôt d’envoyer un de ses sbires

MICHELINE – Remarquez, pas la peine de me le décrire, Francky ou un des alcooliques… Je vois très bien le personnage : haut en couleur et sombre à la fois… Tout un paradoxe !

DENISE – Je vous laisse à votre imagination…

MICHELINE – Et je n’en manque pas… C’est d’aide dont j’ai le plus besoin

DENISE – A ce propos, vous avez fait la connaissance de Lola ?

MICHELINE – De Leeloo ?

DENISE – C’est ça

MICHELINE – Brièvement… Votre mari me l’a emmenée en cuisine il y a quelques minutes

DENISE – Et qu’est-ce que vous en pensez ?

MICHELINE – Qu’il fait ce qu’il veut

DENISE – D’accord, mais de cette fille ?

MICHELINE – Qu’il ne faut pas qu’il y ait une coupure de courant, parce qu’à mon avis, c’est pas elle qui doit briller en société !

Denise grimpe l’escalier. Micheline va chercher son polar sur le canapé.

MICHELINE – Eh ben voilà ! J’étais sûre de l’avoir laissé ici. Lui ; au moins, il ne risque pas de me filer entre les doigts et de partir avec une autre !

Micheline reprend la lecture de son polar.

MICHELINE – Paulo portait un imper beige foncé. (Interrompant sa lecture.) Ouais, ça me va, même si j’aimerais bien savoir ce qu’il y a dessous le Paulo… (Reprenant sa lecture.) Il ne quittait jamais son chapeau de feutre mou… (Interrompant sa lecture.) Tant que c’est le chapeau... (Reprenant sa lecture.) Il avait son arme en bandoulière, toujours prêt à l’exhiber… (Elle s’adresse à l’homme du public qu’elle avait apostrophé.) Vous aussi je parie… Je parle du flingue, hein… Quoique…

 

SCENE 6

MICHELINE, COLLINE

 

Arrivée de Colline par la porte d’entrée. Sa tenue allie simplicité et bon goût.

COLLINE (enjouée) – Tiens ! Bonjour Micheline

MICHELINE – Bonjour Colline

COLLINE – Désolée si je vous ai dérangée

MICHELINE – Si peu. Je me cultivais

COLLINE – Ca peut servir

MICHELINE – Surtout quand on reste trop longtemps en friche

COLLINE – C’est comme la terre : faut la retourner et la biner de temps en temps

MICHELINE (allusive) – Pas que la terre, pas que la terre… Mais laissez-moi vous regarder

COLLINE (tournant sur elle-même) – Ca vous plaît ?

MICHELINE – Vous êtes ravissante

COLLINE – Merci

MICHELINE – Vous avez quand même de la chance : un rien vous va alors que moi, tout ne me va pas

COLLINE – N’exagérez pas

MICHELINE – Vous vous êtes mise sur votre 31 pour les invités ?

COLLINE – En partie

MICHELINE – Vous les connaissez bien, les Duplantier ?

COLLINE – Pas trop non… C’est surtout papa… Ils font partie d’un même cercle d’entrepreneurs

MICHELINE – Décidément, nous sommes entourés de cercles !

COLLINE – Ils sont aussi passionnés de bridge. Et comme madame Duplantier et maman y jouent aussi, papa a eu l’idée de cette invitation pour le week-end

MICHELINE – Et Edgar ?

COLLINE – On s’est vus deux ou trois fois à des cocktails

MICHELINE – Je suis mal placée pour le dire, mais ça fait quand même ringard comme prénom

COLLINE – Quand vous le verrez, vous comprendrez que ça correspond parfaitement au personnage

MICHELINE – Ah… Vous n’avez pas l’air très proche de lui ou je me trompe ?

COLLINE – C’est vrai qu’il habite assez près… Mais notre proximité s’arrête là

MICHELINE – Ah ?

COLLINE – Disons qu’Edgar n’est pas vraiment mon type d’homme

MICHELINE – Moi, je n’ai ni type, ni homme, alors… Et ce serait quoi votre genre ?

COLLINE – J’avoue que j’ai un faible pour les mauvais garçons

MICHELINE – Comme Paulo ?

COLLINE – Un ami à vous ?

MICHELINE – J’aimerais bien, mais c’est seulement un des personnages du polar que j’essaie de lire en ce moment

COLLINE – Ah… Je reconnais aussi que j’ai un penchant pour les mecs bien typés… J’aurais du mal à expliquer pourquoi. Ca ne se commande pas

MICHELINE – Moi, je voudrais bien passer commande, mais il n’y a que le marché de l’occasion qui s’offre à moi… Même le neuf avec défaut d’aspect, c’est par pour bibi

COLLINE – Je vous dirais même que j’ai une attirance toute particulière pour les latinos

MICHELINE – Comme on dit, un Mexicain, c’est mieux qu’un mec si con

COLLINE – Vous ne croyez pas si bien dire

MICHELINE (fine mouche) – Là, vous faites référence à Edgar ?

COLLINE (gênée) – Je…

MICHELINE – C’est pourtant un très bon parti à ce que j’ai compris

COLLINE – Oui, mais la fortune, ça va ça vient, alors que le physique...

MICHELINE – Ca va ou ça va pas

COLLINE – Exactement

MICHELINE – Je parie que votre père verrait d’un bon œil si…

COLLINE – Oh, sûrement !

MICHELINE – Si vous voulez mon avis

COLLINE – Non, mais vous allez me le donner quand même, alors faites

MICHELINE – Il compte beaucoup sur cette visite pour se refaire la cerise

COLLINE – Et pour que je fasse la bonne poire !

Le rideau est tiré sur le refrain de « Salade de fruits » de Bourvil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE 2

 

 

SCENE 1

MICHELINE, PRUDENCE, EDGAR

Micheline est sur scène. Son polar toujours en main, elle donne un rapide coup de balai et met la poussière… sous le  canapé !

MICHELINE (théâtrale) – Poussière, tu n’es que poussière… Oh là ! Il y a un sacré troupeau de moutons là-dessous ! Dommage qu’il n’y ait pas le berger !

On sonne. Micheline va ouvrir, en traînant les pieds.

MICHELINE –  Voilà voilà ! J’arrive ! Il n’y a pas le feu aux fesses !

Une dame en tenue stricte est devant l’entrée. Derrière elle se tient un jeune homme mal fagoté, engoncé dans son costume ; il a des lunettes aussi larges qu’épaisses. Il porte des bagages.

MICHELINE – M’sieur dame

PRUDENCE (avec solennité) – Prudence Duplantier. Et voici mon fils Edgar

MICHELINE – Ah ! C’est vous ! (Les dévisageant de la tête aux pieds.) Ouais, en vous voyant, c’est plausible… Dites, si vous aviez une fille, vous l’auriez appelé Sûreté, non ? (Déclamant.) Prudence est mère de sûreté

PRUDENCE – Hum…

MICHELINE – On vous l’a déjà faite, je parie ?

PRUDENCE – Non, personne n’a osé

MICHELINE (un peu décontenancée) – Ah… En tout cas, je suis contente de vous connaître… Ouais, ravie de faire votre plein d’essence, comme dirait mon garagiste

PRUDENCE – Très bien

MICHELINE  – Allez : déshabillez-vous !

PRUDENCE (interloquée) – Pardon ?

MICHELINE (rigolant) – Enfin, pas complètement !

EDGAR (pouffant niaisement) – Oh bah non quand même

PRUDENCE (sèche) – Edgar !

EDGAR – Passez-moi vos pelures… (Prudence et Edgar s’exécutent ; à Prudence.) Moi, j’ai un peu la même que la vôtre, en moins classe… Je l’enfile doucement, parce que son poil est usé… (Allusive.) Un peu comme… enfin vous voyez…

Prudence « range » très vite et sans ménagement les vestes dans la penderie.

PRUDENCE – Faites attention tout de même !

MICHELINE – Ne craignez rien : c’est une porte anti pince-doigts !

 

SCENE 2

Les mêmes, PAUL

Paul descend l’escalier. Il est très élégamment vêtu.

PAUL (avec emphase.) Ah, mes chers amis !

MICHELINE (à Paul) – Alors vous ! Toujours le sens de l’adjectif

PAUL – Prudence… Vous permettez que je vous appelle par votre prénom ?

PRUDENCE – Je… Oui… C’est déjà fait

MICHELINE – Vous bilez pas : il fait pareil avec moi… Hein Paul !

PAUL – Oui oui… (A Prudence, cherchant ses mots.) Toujours aussi… élégante

MICHELINE – Ca, en revanche, il ne me l’a jamais dit

PRUDENCE – Tiens donc !

PAUL – Et vous Edgar, toujours aussi… Enfin, le portrait de votre père

MICHELINE – Ca promet

PAUL – Edouard n’est pas avec vous ?

PRUDENCE – Il nous rejoindra

PAUL – Je compte sur lui

MICHELINE – Ah ça, on compte sur lui !

PRUDENCE – Pour tout vous dire, il a une nouvelle attachée de direction et il a beaucoup de choses à lui montrer

PAUL – Ah ?… Evidemment : le travail, on sait ce que c’est

MICHELINE – Ca dépend qui

PAUL – Tenez : moi, en ce moment, je ne sais pas où donner de la tête

MICHELINE – Moi pareil

PRUDENCE – Vos affaires se portent donc bien ?

MICHELINE – Moi, mes affaires, j’ai du mal à les porter : elles me boudinent

PAUL – Oui oui : tout va à merveille

MICHELINE (circonspecte) – Ah ?

PRUDENCE – C’est plutôt rare par les temps qui courent

MICHELINE – Et moi je cours après le temps

PAUL – J’aurai d’ailleurs une affaire en or à proposer à votre mari

MICHELINE – Oh là !

PAUL – Une entrée dans le capital

MICHELINE – C’est des fois plus problématique qu’une entrée dans la capitale

PAUL (agacé) – Micheline, nous nous passerons volontiers de vos commentaires

MICHELINE – C’était pour mettre de l’ambiance

PAUL (bas) – Mais chut ! Je ne vous en dis pas plus  ! Les murs ont des oreilles

MICHELINE (se désignant) – Les mûres aussi

PAUL – Quand Edouard sera là, j’aurai l’occasion d’en discuter avec lui… (A Edgar, qu’il prend par l’épaule.) Et naturellement avec vous, Edgar, puisque je me suis laissé dire que vous êtes déjà associé aux affaires familiales

PRUDENCE (modératrice) – Un tantinet

MICHELINE – Une expression comme ça, ça ne nous rajeunit pas ! (A Paul.) On croirait entendre votre épouse !

PAUL – Il faut un début à tout, n’est-ce pas ?

MICHELINE – Paris ne s’est pas fait en un jour

PAUL (du tac au tac) – Et la cuisine en cinq minutes… Micheline, je crois que votre four vous attend

MICHELINE – Bon… Tout compte fait, un pigeonneau farci, c’était pas mal non plus pour le menu

Micheline gagne la cuisine en traînant des pieds.

 

SCENE 3

PRUDENCE, EDGAR, PAUL puis LEELOO

PAUL – Excusez sa familiarité

PRUDENCE – C’est en effet… comment dire… déroutant

PAUL – Oh ! On finit par s’habituer

PRUDENCE – Chez nous, il y a longtemps qu’elle aurait pris la porte

Leeloo ouvre soudainement la porte de la cuisine, qui vient heurter le visage d’Edgar.

LEELOO – Oh pardon !

EDGAR (sous le charme) – Ce n’est rien…

LEELOO (se rapprochant ostensiblement d’Edgar) – Faites voir quand même

PRUDENCE – Laissez : il a la tête dure

PAUL (flagorneur) – Et bien pleine !

LEELOO – Vous devriez vous rincer l’œil

PRUDENCE (sèche et allusive) – C’est déjà fait il me semble

LEELOO – Micheline m’a envoyée chercher vos bagages

PAUL – Parfait

EDGAR (les yeux rivés sur Leeloo) – Ah oui : parfait ! Merci beaucu… (Se reprenant..) Euh… beaucoup

LEELOO (prenant les bagages) – Oh là là ! C’est pas léger !

PAUL – Ca, il y a du lourd

EDGAR (se précipitant vers Leeloo) – Je peux vous aider si vous voulez

PRUDENCE (directe) – Edgar ! Laisse faire mademoiselle

EDGAR – Ah ?... Dommage… L’entraide, ça me connaît : j’ai été scout pendant vingt ans

LEELOO – Les scoots, j’adore les chevaucher !

PAUL – Oh là !

LEELOO – Et les faire rugir

PAUL – Hum…

LEELOO (montrant son casque) – D’ailleurs, je suis venue avec… (Allusive.) C’est important d’être bien équipé, non ?

Leeloo grimpe l’escalier, les bagages dans ses mains ; maladroitement, elle en laisse tomber un.

EDGAR – Ce n’est pas grave : ils sont très solides

LEELOO – Comme vous j’espère...

PAUL – Dans la vie, ça sert toujours d’avoir de bons bagages

LEELOO – Et de bonnes sacoches plutôt que de mauvais sacs moches

PAUL – C’est joli, ça

EDGAR (toujours le regard rivé sur Leeloo) – Ah, ça, pour être joli !

PRUDENCE – Edgar !

PAUL – Si vous saviez comme nous nous désespérions de vous voir arriver

LEELOO – Enfin, pas tout le monde : ça donne du boulot en plus ces petites sauteries

PAUL (avec exagération) – Et j’en connais une qui va être ravie !

LEELOO – Moi ? Pas plus que ça… (Réfléchissant.) Quoique...

PAUL – Colline ! C’est elle qui a insisté pour que vous veniez… Si si ! Edgar par ci, Edgar par là !

EDGAR– Ah ?

PAUL – C’est simple : il n’y en avait que pour vous

 

SCENE 4

Les mêmes, COLLINE, puis DENISE

Colline sort de la bibliothèque.

LEELOO – Quand on parle du loup, on en voit la queue… (Elle donne un coup de coude à Paul.) Hein, Paulo !

PRUDENCE (choquée) – Paulo ? Bah dites donc !

PAUL (gêné) – Elle est très taquine, n’est-ce pas  ?… (A Leeloo.) Bon : si vous grimpiez les escaliers ? Vous pourriez déposer les bagages et en profiter pour vérifier que toutes les chambres sont prêtes

LEELOO – Ok, mais entre nous, je préfère grimper aux échelles… (Toujours allusive.) Rapport aux barreaux !

Leeloo a quitté la pièce, en emportant les bagages.

PAUL – Colline, regarde qui est arrivé ! Enfin !

EDGAR (ravi) – Bonjour Colline

COLLINE – Bonjour Edgar. Heureuse de vous revoir

PAUL (donnant un coup de coude à Edgar) – Je vous l’avais dit

EDGAR – Et moi donc !

Denise descend l’escalier.

PAUL – Et voici Denise ! De notre côté, nous sommes au complet

EDGAR (rigolant) – Et moi, je suis en complet !

PAUL (riant avec excès) – En complet !… Et après ça, on dit que les jeunes n’ont pas le sens de l’humour

PRUDENCE – L’humour doit être manié avec retenue

DENISE – Je dirais même avec prudence

PAUL – Hum… (A Colline.) En tout cas, je connais quelqu’un qui n’y est pas insensible, n’est-ce pas ?

COLLINE – Moi ? Euh… Oui oui

PAUL – Jeune homme, vous me plaisez ! Si si ! Et mon petit doigt me dit que je ne suis pas le seul !

DENISE – Vous avez fait bon voyage ?

PRUDENCE – Nous habitons à trois kilomètres

DENISE – Où avais-je la tête ?... (A Edgar.) Alors Edmond, ces études ?

PAUL (rectifiant) – Edgar

DENISE – Oui, aussi…

PRUDENCE – Il termine Polytechnique

DENISE – C’est bien ça, de terminer quelque chose qu’on a commencé… Moi, il m’arrive d’oublier la fin de mes… Mais je croyais que vous étiez en école d’ingénieur ?

PAUL – Bon… Denise, je propose que vous alliez visiter la roseraie avec Prudence

DENISE – Oh, mais ne t’inquiète pas : on fera attention !

PAUL (un peu machiste) – Comme ça, vous pourrez papoter

DENISE – Tu ne nous accompagnes pas ?

PAUL – C’aurait été avec plaisir, mais je vais retourner dans mon bureau ; j’ai du travail à finir… Le temps qu’Edouard nous rejoigne

DENISE – Qui ça ?

PAUL – Edouard Duplantier… Denise est souvent brouillée avec les prénoms

PRUDENCE (envoyant une pique) – D’autres le sont moins

PAUL – Comme ça, nous laisserons les jeunes ensemble

DENISE – Et les vieilles avec les vieilles !

COLLINE – Oh, ce n’est pas obligatoire

EDGAR (visiblement enchanté) – Moi, je veux bien

PAUL – Ils doivent avoir des tas de choses à se raconter

COLLINE (à elle-même) – Oh ! Sûrement… Reste juste à trouver lesquelles !

Denise et Prudence gagnent la terrasse et Paul le bureau.

 

SCENE 5

EDGAR, COLLINE

Colline et Edgar finissent par s’asseoir sur le canapé. Colline cherche à garder ses distances, alors qu’Edgar essaie de s’approcher peu à peu d’elle.

EDGAR (aux anges) – Ah ! Colline, comme je suis content de vous revoir ! Si vous saviez…

COLLINE – Je sais… Enfin, j’imagine

EDGAR – Et d’après ce qu’a dit votre père, vous aussi…

COLLINE – Euh… Oui, bien sûr… (Fuyante.) Alors, Polytechnique ?

EDGAR – Il y en aurait tant à dire !

COLLINE – A coup sûr !

EDGAR – Les plus passionnants, ce sont les professeurs de l’école… Parmi eux, il y a de vraies pointures !

COLLINE – Moi qui chausse du 36, ça ne m’irait pas !

EDGAR – Small is beautiful !

COLLINE – Les devises ne sont pas toujours vérité

EDGAR – Au fait, savez-vous quelle est celle de Polytechnique ?

COLLINE – Absolument pas

EDGAR – Mais je parie que ça vous intéresserait de la connaître

COLLINE (fausse) – Bah… Oui, naturellement

EDGAR (déclamant) – « Pour la patrie, les sciences et la gloire »

COLLINE – Ca sonne bien

EDGAR – N’est-ce pas ?

COLLINE – Et vous êtes en dernière année, c’est ça ?

EDGAR – C’est cela : last but not least !

COLLINE – Of course

EDGAR – Pour valider mon cursus, il me restera à terminer mon mémoire

COLLINE – Tiens donc !

EDGAR – Vous ne devinerez jamais sur quoi il porte

COLLINE – Difficilement, je l’avoue

EDGAR – Je vous le donne en mille : sur la géométrie riemannienne

COLLINE – Vous m’en direz tant

EDGAR – Ca je pourrais… Mais nous en aurions pour des heures

COLLINE – Un résumé me suffira

EDGAR – Ah ?... De prime abord, la géométrie riemannienne peut paraître absconse, sinon abstruse

COLLINE – Si vous le dites

EDGAR – Mais détrompez-vous !… Pour ne pas complexifier le sujet, la géométrie riemannienne est tout simplement la branche de la géométrie différentielle qui introduit les concepts fondateurs de variété géométrique et de courbure

COLLINE – Dis comme ça…

EDGAR – En fait, la géométrie riemannienne étend les méthodes de la géométrie analytique en utilisant des coordonnées locales pour effectuer les calculs dans des domaines spatiaux limités

COLLINE (fausse) – Dites donc !

EDGAR – Mais attention : elle recourt fréquemment aux outils de la topologie pour passer à l’échelle de l’espace entier

COLLINE – Forcément

EDGAR – Pour synthétiser, si tant est qu’on puisse le faire tant le champ des possibles est vaste, la géométrie riemannienne s’est fixé pour objectif l’étude locale et globale des variétés riemanniennes, c’est-à-dire les variétés différentielles munies d’une métrique, voire des fibrés vectoriels

COLLINE – Effectivement, vu sous cet angle

EDGAR – Vous ne croyez pas si bien dire : l’aspect angulaire est primordial

COLLINE – Sûrement

EDGAR (exalté) – Que dis-je : fondamental !

COLLINE – Bien entendu

EDGAR – Désolé Colline, je me laisse emporter

COLLINE – Ca arrive

EDGAR – Mais cet univers est tellement jouissif

COLLINE – A chacun ses petits plaisirs

EDGAR – Dites : je ne vous ennuie quand même pas trop avec toutes mes théories ?

COLLINE – Ah ? Oh ! Non non

EDGAR – Tant mieux… Souvent, j’ai l’impression que je fais trop sérieux

COLLINE – Si ce n’est qu’une impression

EDGAR – Ce doit être à cause de mes lunettes

COLLINE – Ca peut jouer en effet

EDGAR – Mais si vous voulez, je peux les enlever

COLLINE – Quoi donc ?

EDGAR (rigolant dans sa barbe) – Mes lunettes, pas mes vêtements

COLLINE – Ce n'est peut-être pas la peine

EDGAR – Vous verriez ainsi une autre personne

COLLINE – Et vous, vous ne verriez plus rien du tout

EDGAR – Allez : je me lance

COLLINE – Pas trop loin quand même

EDGAR (retirant ses lunettes plusieurs fois de suite) – Et hop ! Et hop !

COLLINE – C’est étonnant en effet

EDGAR – Hein ? Ca vous change un homme

COLLINE – Il ne faut pas exagérer non plus

EDGAR – Un grain de folie, cela ne fait pas de mal

COLLINE – Là, je vous rejoins

EDGAR (allusif) – Je ne demande que ça…

COLLINE – Il est vrai que l’univers dans lequel nous vivons ne prête ni aux pauvres ni à la rigolade

EDGAR – A qui le dites-vous !

COLLINE (avec évidence) – A vous

EDGAR – Pour corroborer vos propos, vous savez que chaque fois que je respire un homme meurt dans le monde ?

COLLINE – Et ce n’est jamais le même

EDGAR – Mais que peut-on y faire ?

COLLINE – Il faudrait peut-être que vous changiez de dentifrice

EDGAR (amusé) – Oh, Colline !

COLLINE (se dirigeant vers le bar) – En attendant, vous voulez un apéritif ?

EDGAR – Ma foi, je ne dis pas non…

COLLINE – Et moi je dis oui

EDGAR – In vino veritas ! Comme le déclamait Pline l’Ancien

COLLINE – Le latin et moi, on a toujours fait chambre à part

EDGAR – Ah ?…

COLLINE – Edgar, est-ce que vous avez envie de la même chose que moi ?

EDGAR (émoustillé) – Oh que oui !

COLLINE – Alors c’est parti pour deux Martini, deux !

EDGAR – Vous savez que l’alcool tue cent Français par jour ?

COLLINE – Alors il vaut mieux être Belge !

EDGAR – Oh, Colline, vraiment, votre esprit m’enchante

COLLINE – Tant mieux

EDGAR (bas) – Pas que l’esprit d’ailleurs…

COLLINE – Vous voulez des glaçons ?

EDGAR – Je préférerais des filles

COLLINE – Hum… (Cherchant à changer de sujet.) Et pour revenir à vos études, qu’envisagez-vous après Polytechnique ?

EDGAR – Je me tâte… Façon de parler évidemment

COLLINE – Evidemment

EDGAR – Se tâter sans se hâter, si vous me pardonnez l’expression… Eh bien, pour répondre à votre curiosité, je vise Ponts et Chaussées

COLLINE – C’est ambitieux

EDGAR – Quand je suis lancé, rien ne m’arrête ! Pas que pour les études d’ailleurs…

Colline apporte son verre à Edgar.

COLLINE – Ponts et Chaussées vous dites ?

EDGAR – Oui…. Je vais vous faire une confidence

COLLINE – Si vous y tenez

EDGAR – Voilà : la construction d’ouvrages, notamment des ponts, m’a toujours fasciné, sinon excité !

COLLINE – Oh là !

EDGAR – Grâce à eux, on a pu faire tant de choses : traverser des rivières

COLLINE – Franchir des montagnes

EDGAR (sur sa lancée) – Grimper des collines

COLLINE – Hum…

EDGAR (confus) – Pardon : ça m’a échappé

COLLINE – N’en parlons plus. Et après toutes vos études, vous envisagez de vous diriger vers une carrière d’entrepreneur, comme votre père  ?

EDGAR – Oui… Mais je sais être aussi entreprenant…

COLLINE (fuyante) – Oui oui… Et si nous trinquions ?

EDGAR – Boire ou séduire, j’ai pas choisi

COLLINE – Vous disiez ?

EDGAR – Je soliloquais… Et vous, toujours attirée par une carrière juridique ?

COLLINE – Plus que jamais… J’avoue que j’hésite encore entre les métiers de magistrat et d’avocat… Je ne sais lequel embrasser

EDGAR – Qui ne rêverait pas d’être embrassé par vous ?

COLLINE (faisant comme si elle n’avait rien entendu) – Et sans trop m’avancer…

EDGAR – Mais au contraire, avancez-vous !

COLLINE (un peu sèche) – Parfois, il est plus prudent de reculer

EDGAR – Reculer pour mieux sauter…  Ah Colline ! Avec vos deux ailes, qui ne songerait pas à s’envoler avec vous ?

Edgar s’est inexorablement rapproché de Colline et cherche à l’enlacer.

COLLINE – Oui, mais attention à l’atterrissage ! (Elle renverse « malencontreusement » son verre sur la chemise d’Edgar.) Oh pardon ! Ca m’a échappé…

EDGAR – Ce n’est rien

COLLINE – Je suis confuse…

EDGAR – Faut pas

COLLINE – Pour un faux pas, c’en est un…

EDGAR – Heureusement : j’ai une autre chemise dans ma valise

COLLINE – Tant mieux !

EDGAR – Et une nouvelle tenue, ça vous change un homme !

COLLINE – Comme les lunettes !

EDGAR – Voilà !

COLLINE – Je suis heureuse que vous le preniez avec philosophie

EDGAR – Moi, vous savez, avec elle ou une autre…

COLLINE – Votre chambre est à l’étage, tout au bout du couloir, sur la droite

EDGAR – Alors que vous avez été gauche… Mais ne dit-on pas que les  contraires s’attirent ?

COLLINE – Ou se repoussent

EDGAR – Euh… Oui, aussi

COLLINE – Si nécessaire, il y a une salle de bains en face de votre chambre

EDGAR – Bonne idée !  Surtout, ne bougez pas ! Je suis de retour et de nouveau avec vous dès que possible…

COLLINE – Oh ! Ne vous pressez pas !

EDGAR – Et nous pourrons reprendre là où nous nous sommes arrêtés

Edgar grimpe l’escalier.

COLLINE – Bon : c’est ça de gagné, mais c’est pas encore gagné !

Colline gagne la bibliothèque.

 

SCENE 6

MICHELINE, BERNARD

 

Retour de Micheline. Elle s’allonge à nouveau sur le canapé et reprend sa lecture.

MICHELINE – Il fallait faire disparaître au plus vite ce corps si encombrant. Quelle solution choisir : le brûler ? Le dissoudre dans l’acide ?… Ouh là là ! J’aimerais pas être à la place du mort !

On sonne.

MICHELINE – Pas moyen d’être tranquille !… (Micheline se dirige sans entrain vers la porte et jette un œil à travers le judas.) Ouais, pas de doute possible… C’est notre homme… Micheline, il va falloir jouer serré… Très serré !... (Elle ouvre.) Monsieur…

Un homme en costume très sombre et avec un chapeau noir est à l’entrée ; il porte un attaché-case.

BERNARD – Madame

MICHELINE – Mademoiselle, ça suffira… Enfin pour l’instant

BERNARD – Si vous voulez

MICHELINE – C’est pas que je veuille mais bon… Ceci dit, je garde espoir… (A l’homme du public.) Toujours là ? Ouais, je ne vois pas avec qui vous seriez parti

BERNARD – Je me présente… Je suis…

MICHELINE (le coupant) – Inutile ! Nous savons très bien qui vous êtes

BERNARD – Ah ?

MICHELINE – Et pourquoi vous pointez votre museau

BERNARD – Mais qu’est-ce qui… ?

MICHELINE (tapotant son index sur sa tempe) – Oh ! Mais il y en a à revendre là-dedans !

BERNARD (un peu sarcastique) – Reste à savoir s’il y a des acheteurs

MICHELINE – Vous vous demandez pourquoi j’ai tout de suite su avec qui j’avais affaire ?La physiologie, ça vous dit quelque chose ?

BERNARD – Vous voulez dire la physionomie ?

MICHELINE – Voilà, aussi. Je m’emmêle toujours les cerceaux. Vous voulez la vérité ? Eh ben c’est votre tronche ! Elle m’a beaucoup aidée

BERNARD – C’est agréable

MICHELINE – La gueule de l’emploi, quoi… Avouez qu’elle correspond… Et puis votre tenue

BERNARD – Eh bien ?

MICHELINE – Il y en a qui ont le strict minimum, et j’en connais une, eh ben vous, vous êtes au maximum du strict

BERNARD – Vous, vous aimez jouer avec les mots

MICHELINE (fataliste) – Ouais, faute de jouer avec les mecs

BERNARD – On ne peut pas être doué pour tout

MICHELINE – Et non ! Bon, pour être franche, on s’attendait à votre visite, à un moment ou à un autre

BERNARD – Euh… Oui, bien sûr… Croyez bien que ce n’est de gaieté de cœur que je me présente ici

MICHELINE – Il faut bien que vous récupériez votre pognon

BERNARD – Enfin, mon pognon… Ce n’est pas le mien… J’agis pour d’autres

MICHELINE – C’est ce que j’ai cru comprendre

BERNARD – Je suis mandaté pour cela

MICHELINE – Vous êtes comme qui dirait un homme de main

BERNARD – C’est très imagé. Vous, on sent que vous aimez les polars

MICHELINE – Comment le savez-vous ?

BERNARD (taquin) – La physionomie

MICHELINE – Ah ?

BERNARD (lui montrant le polar qu’elle a encore en main) – Et votre livre aussi

MICHELINE – C’est pour passer le temps

BERNARD – Et le mien est compté. Pour être dans le ton…

MICHELINE (allusive) – Le ton, ça me connaît

BERNARD – Alors, pour vous faire plaisir, mettons plutôt que je suis un porte-flingue

MICHELINE – J’en étais sûre… (Lui montrant son attaché-case.) Tout est dans votre mallette je suppose ?

BERNARD – Je… Oui, j’ai ce qu’il faut où il faut

MICHELINE – Oh là là !

BERNARD – Vous me croirez si vous voulez, mais ce n’est pas avec joie qu’on est amené à liquider

MICHELINE – Rassurez-moi : c’est quand même la solution extrême ?

BERNARD – Oui, quand on a éliminé les autres avant

MICHELINE – Eliminer les autres… Oui, ce sont les bons mots… Et c’est fréquent ?

BERNARD – Oh là, vous ne pouvez pas vous imaginer ma bonne dame !

MICHELINE – Bonne, je ne dis pas, dame, c’est autre chose

BERNARD – En ce moment, je fais au moins une dizaine de liquidations par mois

MICHELINE – Tant que ça ?

BERNARD – Eh oui

MICHELINE – Un vrai carnage

BERNARD – Il faut dire que nous ne sommes pas très nombreux dans le milieu

MICHELINE – Le milieu, oui, c’est ça

BERNARD – Entre nous, si chacun était plus prudent et moins ambitieux dans ses affaires, on éviterait nombre de situations dramatiques. Mais que voulez-vous, quand on se laisse prendre au jeu, on en subit les conséquences

MICHELINE – Alors là, c’est exactement ce que je dis souvent à Madame : le jeu, c’est jamais bon… (Fort.) Mais on ne m’écoute jamais dans cette baraque !

BERNARD – En revanche, on doit vous entendre !

MICHELINE – Et c’est toujours vous qui vous chargez de ces basses besognes ?

BERNARD – Je pourrais à nouveau mal prendre vos propos mais j’y suis habitué… C’est le métier qui veut ça

MICHELINE (sceptique) – Le métier, le métier

BERNARD – Pour moi, c’est même une vocation

MICHELINE – Ah bon ?

BERNARD – Mais pour répondre à votre question, c’est parfois un confrère qui peut intervenir, même si, en général, chacun a son secteur

MICHELINE – Les loups ne se mangent pas entre eux

BERNARD – Mais ne pensez pas que nous n’ayons pas d’états d’âme

MICHELINE – Je vous le souhaite

BERNARD – Et nous avons notre déontologie

MICHELINE – Votre code d’honneur quoi

BERNARD – Si vous voulez. Et au cas où vous en douteriez, je suis assermenté

MICHELINE – Et parfois assez remonté aussi ?

BERNARD – En toutes circonstances, j’essaie de rester stoïque

MICHELINE – Oui, comme vous dites

BERNARD – Et sachez qu’il y a parfois des fins heureuses

MICHELINE – Vous avez le sens des mots

BERNARD – Il suffit que le débiteur trouve l’argent pour arrêter la procédure de liquidation

MICHELINE – Ca laisse de l’espoir

BERNARD – C’est assez rare mais ça peut arriver, même si je reconnais que la dissolution est très souvent l’aboutissement du processus

MICHELINE – C’est sûr qu’une dissolution, ça ne laisse pas de traces

BERNARD – Au final, retenez qu’il ne faut jamais se laisser abattre

MICHELINE – Vous en avez de bonnes vous !

BERNARD (consultant sa montre) – Bien. Désolé, mais je ne suis pas là pour tuer le temps

MICHELINE – Le temps, non

PAUL (off)  – Micheline !

MICHELINE (paniquée) – Oh là là !... (Elle ouvre la porte de la penderie.) Ecoutez : vous allez m’attendre sagement ici

BERNARD – Mais…

PAUL (off) – Micheline !

MICHELINE – Allez !... Une dernière question : vous n’auriez pas une balafre ?

BERNARD – J’ai une cicatrice sur le haut du front

MICHELINE – Je l’aurais parié !

BERNARD – Elle est cachée par mes cheveux… Je suis tombé petit

MICHELINE – Allons : pas à moi !

BERNARD – Mais pourquoi vous me demandez ça ?

MICHELINE – Pour rien, pour rien

Micheline a poussé Bernard dans la penderie, juste à temps avant que Paul ne sorte du bureau.

 

SCENE 7

PAUL, MICHELINE

 

PAUL – Ah, Micheline, depuis le temps que je vous appelle, vous tombez bien !

MICHELINE – Pas vous… Enfin, vous, au moins, ça n’a pas laissé de traces sur le front… Pas comme l’autre

PAUL – Qu’est-ce que vous racontez ?

MICHELINE – Oh ! Rien… e causais à moi-même… Comme ça, je suis sûre d’être écoutée

PAUL – Je pense qu’il serait grand temps de servir les petits fours

MICHELINE – Vous croyez ?

PAUL – J’en suis même persuadé

MICHELINE – C’est que…

PAUL (reniflant) – Vous ne sentez pas cette odeur de brûlé ?

MICHELINE (réalisant) – Ma blanquette ! Je vous le dis, Monsieur Seguin : vous allez me rendre chèvre !

Micheline se précipite dans la cuisine. Paul regagne le bureau.

 

SCENE 8

PRUDENCE, BERNARD

Retour de Prudence. Elle cherche quelque chose au sol. On entend frapper à la porte de la penderie.

BERNARD (off) – Il y a quelqu’un ? Ouh ouh !

Prudence finit par aller ouvrir la penderie.

BERNARD (sortant de la penderie) – Madame

PRUDENCE – Monsieur

BERNARD – Grand merci de m’avoir ouvert… Je commençais à étouffer là-dedans

PRUDENCE – Vous n’aviez qu’à sortir

BERNARD – J’y ai bien pensé mais on ne peut ouvrir que de l’extérieur

PRUDENCE – C’est bête. Aussi, quelle drôle d’idée de s’enfermer dans une penderie !

BERNARD – Comme on dirait en Floride, c’est qu’on m’y a mis

PRUDENCE – Qui donc  ?

BERNARD – La bonne

PRUDENCE – Laquelle ?

BERNARD – Parce qu’il y en a plusieurs ?

PRUDENCE – Au moins deux… Sans qu’il y en ait une pour rattraper l’autre… Reste à savoir sur laquelle vous êtes tombé

BERNARD – C’est plutôt elle qui m’est tombée dessus

PRUDENCE – Il y en a une plutôt mature et une autre plutôt nature

BERNARD – Pas de doute : j’ai eu affaire à la première

PRUDENCE – Et pourquoi vous a-t-elle fourré là-dedans ?

BERNARD – Je n’en sais fichtre rien

PRUDENCE (bas) – Oui, vraiment spéciale cette maison… Et je pèse mes mots

BERNARD – Je ne vous ai pas demandé : vous êtes madame Seguin je suppose ?

PRUDENCE – Non, et heureusement d’ailleurs. Mettons que je suis une relation… Et vous ?... Laissez-moi deviner… Si nous étions au théâtre, vous pourriez être un amant qu’on a caché dans la penderie… Mais vous n’avez pas le physique de l’emploi

BERNARD – Ah ?

PRUDENCE – Et nous ne sommes pas au théâtre que je sache… Quoique…

BERNARD (avec solennité) – Maître Bernard Maurois, liquidateur judiciaire

PRUDENCE – Oh là ! Ca en jette

BERNARD – En général, ça jette surtout un froid

PRUDENCE – Je suppose que vous n’êtes pas un invité de la maison ?

BERNARD – Pas vraiment. Disons plutôt que je me suis invité

PRUDENCE – Ca laisse moins de regrets. Sans être indiscrète, je parie que vous êtes là pour les affaires de Monsieur Seguin

BERNARD – Je peux difficilement vous dire le contraire

PRUDENCE – Et on peut penser qu’elles sont en position délicate, je me trompe ?

BERNARD – Vous comprendrez que je ne puisse vous répondre : je suis tenu au secret professionnel

PRUDENCE – Bien sûr

Le portable de Bernard sonne.

BERNARD – Excusez-moi… (Au téléphone.) Non, je ne l’ai pas avec moi… Je l’ai laissé dans le coffre de la voiture… Je suis garé un peu loin mais je peux y aller et je vous rappelle… (A Prudence.) Désolé, mais je vais devoir vous laisser un petit moment

PRUDENCE (haussant les épaules) – Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

BERNARD – Je… Un dossier urgent à traiter

Bernard quitte la maison, en laissant la porte ouverte.

PRUDENCE (qu’on sent énervée) – Une affaire en or, ben voyons ! Une entrée dans le capital, mais bien sûr ! J’avais des doutes, mais là… Bon… Pour l’heure, il faut absolument que je retrouve ma boucle d’oreille

Prudence cherche sa boucle d’oreille derrière le canapé, de sorte que personne ne la verra. Elle va ainsi écouter les conversations sans que nul ne s’en aperçoive.

Retour discret de Micheline. Elle va ouvrir la penderie.

MICHELINE – Ah bah ça ! Où il est passé le serial killer ? (Au public.) Pas mal l’accent, non ? (Micheline ouvre d’autres portes… en vain.) Là, il y a aiguille sous cloche et je n’aime pas ça, mais vraiment pas… Ca sentait le brûlé et maintenant ça sent le roussi !

Micheline regagne la cuisine.

 

 

SCENE 9

LEELOO, PAUL puis PRUDENCE

Leeloo descend l’escalier et tombe nez-à-nez avec Paul, qui sort du bureau.

LEELOO – Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ?

PAUL – De quoi ?

LEELOO (avec évidence) – Bah : de moi ?

PAUL – Ca va

LEELOO – Tant mieux si ça te plaît

PAUL – Pour l’instant, je reconnais que ta tenue ne laisse pas trop à désirer

LEELOO – Moi, je dirais que ma tenue se laisse désirer ! L’autre binoclard n’a pas arrêté de me déshabiller du regard

PAUL – Ca ne m’étonne pas de la part de ce grand dadais… Tel père tel fils !

LEELOO – Au fait, toi, tu ne veux pas me déshabiller tout court ?

PAUL – Tu n’y songes pas ?

LEELOO (aguicheuse) – Si… Et je peux t’aider si tu veux

PAUL – Ce n’est vraiment pas le moment

LEELOO – C’est toujours le moment… (Elle commence à déboutonner son chemisier.) J’enlève, un peu, beaucoup…

PAUL – Stop ! Pas la peine d’aller jusqu’au bout

LEELOO (se collant à lui) – Oh si : jusqu’au bout !

Leeloo a enlevé son chemisier ; elle le fait tournoyer et l’envoie derrière le canapé.

PAUL – Quand c’est non, c’est pas oui !

Paul va ramasser le chemisier et le donne à Leeloo. (Pour un effet comique, ce pourra être Prudence qui le lui tend et il pourra lui dire machinalement « merci »…).

LEELOO (se rhabillant) – Oh là là ! T’es vraiment pas drôle !

PAUL – Je n’ai pas la tête à ça

LEELOO – La tête, c’est pas ça qui compte le plus...

PAUL – Je ne rigole pas !

LEELOO – Moi non plus

PAUL – Mais bien sûr !

LEELOO – C’est dommage : personne ne me prend jamais au sérieux !

PAUL – Tu plaisantes !

LEELOO – Bon… Mais ce n’est que partie remise… Bonne un jour, bonne toujours !

PAUL – Ecoute : je te promets que si tu remplis bien ton rôle ce week-end, tu seras largement récompensée

LEELOO (très intéressée) – La semaine à Chamonix ?

PAUL (évasif) – Je… On verra

LEELOO – C’est tout vu !

PAUL – Je te l’ai dit : en ce moment, c’est tendu

LEELOO – Ca me va !

PAUL – Mais j’ai bon espoir que tout s’arrange

LEELOO – Grâce à tes invités ?

PAUL – Tu comprends vite quand tu veux

LEELOO – Même quand je ne veux pas, c’est dire. Et comment tu vas t’y prendre ?

PAUL – J’ai un cheval de Troie… Ou plutôt un baudet de Niort

LEELOO – Edgar je parie ?

PAUL – Exactement. Figure-toi qu’il en pince pour Colline

LEELOO – Alors autant en profiter, c’est ça ?

PAUL – S’il faut passer par le fils pour convaincre le père de mettre la main au portefeuille, je ne vais pas me gêner !

LEELOO – Et toi, si tu veux me mettre la main au panier, te gêne pas non plus !

PAUL – Inutile de me le rappeler

LEELOO – Si je te suis bien, tu vas remonter la pente grâce à Colline

PAUL – C’est joliment dit

LEELOO – Ils sont si riches que ça les Duplantier ?

PAUL – A un point que tu ne peux imaginer

LEELOO – Si si : j’imagine très bien… (Réfléchissant.) Intéressant, très intéressant… Et la mère dans tout ça ?

PAUL – Elle ? Sans intérêt

LEELOO – Sympa

PAUL – Je ne porte aucune attention aux gens insignifiants

LEELOO – Et moi, je retiens toujours ton attention ?

PAUL – File donc en cuisine ! Micheline a sûrement besoin de toi

LEELOO – Dommage que ce ne soit pas ton cas… Ouais, dommage ! Mais la nature n’aime pas le vide

PAUL – Qu’est-ce que tu veux dire ?

LEELOO – Moi ? Rien… Ou si peu...

Leeloo gagne la cuisine et Paul le bureau.

PRUDENCE (sortant de sa « cachette ») – Ah bah ça ! Le goujat ! Il ne perd rien pour attendre… L’insignifiante va lui signifier quelque chose ! (Au public.) Bougez pas ! Vous n’allez pas être déçus !

Le rideau est tiré sur le refrain de « Fallait pas commencer » de Lio.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE 3

 

SCENE 1

PRUDENCE, MAT 

On retrouve Prudence sur scène, comme on l’a quittée à la fin de l’acte 2.

PRUDENCE (au public) – Vous êtes toujours là ? Parfait !

Un homme d’une trentaine d’années fait son apparition par la porte d’entrée ; il porte un blouson noir et joue les gros bras.

MAT – M’dame

PRUDENCE – Monsieur

MAT – Je m’suis permis d’entrer, vu que la porte était ouverte

PRUDENCE – Oui oui…

MAT – Ca m’évitera de la défoncer… J’vous cause de la porte, hein ?

PRUDENCE – Bien sûr bien sûr

MAT – Parce que des fois, j’démolis autre chose, si vous voyez ce que j’veux dire

PRUDENCE – J’imagine assez bien

MAT – J’suis envoyé par Francky

PRUDENCE – Tiens donc !

MAT – Ouais… Il tient à récupérer son blé

PRUDENCE – Son… blé ?

MAT – Son grisbi, son flouze si vous préférez

PRUDENCE – Pas vraiment : l’argot et moi, on n’est pas trop potes

MAT – Ses 10 000 euros quoi… J’suis pas clair p’t’être ?

PRUDENCE – Si si

MAT – Alors va falloir abouler ma p’tite dame !

PRUDENCE – Abouler ?

MAT – Ouais… et fissa !

PRUDENCE – Si vous le dites

MAT (menaçant) – Parce que sinon, ça risque de mal finir

PRUDENCE – Oh là !

MAT – Ouais : très mal

PRUDENCE – Je n’ai nulle raison d’en douter mais…

Le portable de Mat sonne.

MAT – Permettez !

PRUDENCE – Décidément ! C’est contagieux

MAT – Ah, salut ! Heureusement que tu m’appelles parce que j’allais le faire sous peu… Ta daronne va mieux ?... Bon, parfait… Ouais, de partout aussi… A lundi ! (A Prudence.) C’était ma meuf

PRUDENCE – Votre compagne ?

MAT – Ouais, ma gonzesse… Elle est partie chez sa vieille à Lille pour le week-end… Elle est malade… Sa mère, pas Leeloo

PRUDENCE (interloquée) – Leeloo vous dites ?

MAT – Ouais, c’est comme ça qu’elle s’appelle… Cool comme prénom, non ?

PRUDENCE – Et rare

MAT – Ca ! Moi, j’en connais qu’une, mais ça suffit à mon bonheur

PRUDENCE – A tout hasard, elle ne serait pas blonde, avec deux larges fossettes sur les joues

MAT – Oui ! Et pas que sur les joues d’ailleurs !Vous la connaissez ?

PRUDENCE – Peut-être… (Prudence va chercher le casque de Leeloo et le montre à Prudence.) Ce ne serait pas à elle ce casque ?

Mat examine le casque.

MAT (éberlué) – Ah bah oui : pas de doute ! C’est moi qui le lui ai offert

PRUDENCE (cynique) – J’espère qu’il ne vous a pas coûté trop cher

MAT – Ah bah ça ! Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

PRUDENCE – C’est assez compréhensible, non ?

MAT – Vous voulez dire que…

PRUDENCE – Que Leeloo est ici ? Affirmatif

MAT (dont l’énervement va aller crescendo) – Ah ! J’aurais dû me méfier ! Sa mère malade, tu parles !

PRUDENCE – Sans vouloir m’immiscer dans votre vie privée, vous êtes ensemble depuis longtemps ?

MAT – Depuis une semaine…

PRUDENCE – C’est peu

MAT – Je pensais que c’était suffisant

PRUDENCE – Il semble que non

MAT – On s’est rencontrés dans le train

PRUDENCE – Une erreur d’aiguillage

MAT – Il y a un gars là-dessous je parie ?

PRUDENCE – Ce n’est pas dans mon genre de dénoncer, mais je ne peux hélas que confirmer

MAT – Toutes les mêmes !

PRUDENCE – Ne généralisons pas ! Regardez, moi

MAT – Mais je m’en fous de vous !

PRUDENCE – Charmant

MAT – Mais ça ne va pas se passer comme ça ! Ils vont m’entendre !

PRUDENCE – Je me demande si ce n’est pas déjà fait

MAT – Au fait, c’est avec qui qu’elle prend son pied ?

PRUDENCE (avec évidence) – Bah, avec Monsieur Seguin

MAT – Et ça ne vous dérange pas ?

PRUDENCE – Comme vous le dites si bien, je m’en fous

MAT – Vous avez l’esprit large

PRUDENCE – J’ai comme l’impression que vous me prenez vous aussi pour Madame Seguin

MAT – Parce que ce n’est pas vous ?

PRUDENCE – Vous m’avez bien regardée ?

MAT (direct) – Non

PRUDENCE – Je suis bien mieux qu’elle

MAT – Bah dites donc : elle ne doit pas ressembler à grand-chose alors

PRUDENCE – Toujours aussi délicat

MAT – Désolé mais je suis à cran…  Faut me comprendre

PRUDENCE – Je ne cherche pas à le faire

MAT – Mais ils m’ont cherché et je vais les trouver !

PRUDENCE – Qu’est-ce que vous comptez faire ?

MAT – D’abord, taper celui qui se l’est tapée. Croyez-moi : il va payer !

PRUDENCE – Décidément, c’est une obsession chez vous

MAT – Il faut qu’il casque

PRUDENCE – Le mot est de circonstance

MAT – Et où ils sont ?

PRUDENCE – Même si la maison est grande, pas très loin

MAT – Parfait parfait

PRUDENCE – Vous voulez mon avis ?

MAT – Dites toujours

PRUDENCE – Eh bien attendez tranquillement ici

MAT (trépignant) – Tranquillement, tranquillement… C’est pas vous qu’on a baisée !

PRUDENCE – Détrompez-vous ! Monsieur Seguin s’y est aussi employé

MAT – Ah ?… (Dévisageant Prudence.) Pour Leeloo, ça ce conçoit, pour vous…

PRUDENCE – Quand je dis baiser, ce n’est pas dans le même sens

MAT – Dans un sens ou dans l’autre, c’est votre problème. Le mien, c’est de…

PRUDENCE (le coupant) – De casser la figure à Monsieur Seguin, j’ai compris. Et je vous répète qu’il va finir par passer dans cette pièce : c’est un vrai hall de gare

MAT – Ah non ! Ne me parlez plus de train !

PRUDENCE – Avec toutes ces allées et venues, c’est à se demander si on n’est pas dans un vaudeville… Mais rassurez-vous : il ne devrait pas tarder

MAT – Croyez-moi : va y avoir du sport !

PRUDENCE – Je vous crois sur parole !

MAT – Les paroles, ça s’envole, les coups, ça règle tout !

PRUDENCE – Alors vous, vous aimez les maximes !

MAT – Eh oh, doucement ! J’suis pas de la jaquette, moi !

PRUDENCE – N’y allez pas trop fort quand même

MAT – Ils se sont pas gênés eux !

PRUDENCE – Remarquez si : vous avez raison… Lâchez-vous ! Après tout, ça leur fera les pieds !

MAT – Et moi, ça me fera la main !

Prudence gagne la terrasse.

 

SCENE 2

MAT, EDGAR

Edgar descend l’escalier. Il a changé de tenue, mais celle-ci est toujours aussi ringarde.

MAT – Eh ben voilà ! J’ai pas eu à attendre bien longtemps ! Et comme j’aime pas attendre, ça tombe bien… (Il tape avec le poing d’une main dans la paume de l’autre.) Ouais, ça va tomber !

EDGAR – Monsieur

MAT – Mat…

EDGAR – Mat, ne serait-ce pas un diminutif ?

MAT – Ce serait, ce serait…

EDGAR – Matthieu peut-être ?

MAT – Perdu ! Mattéi

EDGAR – Admettez que ça pouvait prêter à confusion

MAT– Moi, je prête à personne… L’argent comme les femmes

EDGAR – Soit dit en passant, je n’ai jamais trop prisé les raccourcis avec les prénoms

MAT – Et une prise à bras raccourci, ça t’irait ?

EDGAR – Alors vous, vous avez le tutoiement facile

MAT – Et le poing aussi

EDGAR – J’en ai l’impression… Remarquez, cette familiarité soudaine, cette franche camaraderie,  ne sont pas pour me déplaire

MAT – Je connais autre chose qui va te déplaire

EDGAR (temporisant) – Avant d’aller plus loin…

MAT– Ttt ttt ttt ! Tu n’iras pas plus loin : pas question que tu te casses

EDGAR – C’est une expression

MAT – Moi, je ne m’exprime pas : je cogne

EDGAR – C’est une autre forme de communication

MAT – C’est la plus efficace que je connaisse

EDGAR – Ecoutez : je ne comprends rien à vos galimatias, Mathias

MAT – Mattéi ! T’es bouché ou quoi !

EDGAR – Non, ingénieur, enfin presque

MAT – Arrête de  faire le mariole !

EDGAR – Avant toute confrontation inutile, je pense qu’il y a erreur sur la personne et…

MAT – C’est ça !

EDGAR – Je vous assure

MAT – Ben voyons ! Mat, ça ne te dit rien, mais Leeloo ?

EDGAR – Leeloo ? Ah là oui !

MAT– Eh ben voilà !

EDGAR – Leeloo, avec deux e, c’est ça ?

MAT – Ouais, de quoi faire une omelette

EDGAR – Ou des œufs pochés

MAT – Avec moi, ce sera plutôt des yeux pochés, si tu vois ce que je veux dire

EDGAR – Je cerne, je cerne

MAT – Profites-en, parce que dans deux minutes, tu ne verras plus rien du tout

EDGAR – Il y encore un tout peu de temps alors

MAT – Donc on connaît Leeloo

EDGAR – Vous ne me tutoyez plus ?  Ca ne me dérangeait pas… Le pronom on ne m’a jamais plu, a contrario

MAT – Moi, j’aime pas être contrarié

EDGAR (sentencieux) – On, pronom imbécile qui qualifie celui qui l’emploie

MAT – C’est ça ! Et tu la connais depuis combien de temps ?

EDGAR – Leeloo ? Oh, c’est tout récent

MAT – Mais bien sûr !

EDGAR – A dire vrai, je ne sais pas grand-chose sur elle

MAT – Tu ne la connais pas en profondeur, c’est ça ?

EDGAR – Voilà. Je sais juste qu’elle est bonne

MAT (évidemment pas sur la même longueur d’onde) – Tiens donc !

EDGAR – Sauf naturellement si elle joue un rôle

MAT – Il se fout vraiment de ma gueule !

EDGAR (sur sa lancée) – Si c’est le cas, elle simule bien !

MAT – Stop ! Il y a des limites à ne pas franchir

EDGAR – Alea jacta est

MAT – C’est ça : assez jacté ! Il est temps de laisser parler les mains

Mat empoigne Edgar.

EDGAR – Sachez que la violence ne résout rien

MAT – Ouais, mais elle soulage

EDGAR – Est-ce que je peux enlever mes lunettes ? Je ne voudrais pas les casser

MAT – C’est toi qui me les brise, t’entends !

EDGAR – Mais enfin lâchez-moi !

MAT – Toi qui n’aimes pas les raccourcis, voilà mon direct !

Mat assène un coup de poing à Edgar, qui tombe sur le canapé. Leeloo est entrée sans bruit et assomme Mat avec un rouleau à pâtisserie ; il s’écroule derrière le canapé.

 

SCENE 3

EDGAR, LEELOO

 

LEELOO (dont le jeu de séduction va aller crescendo) – Ca va ?

EDGAR – Je… Je crois…

LEELOO – Tant mieux !

EDGAR – Qu’est-ce qui s’est passé ?

LEELOO – Désolée, je n’ai pas vu le début

EDGAR – Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

LEELOO – Moi, je sais surtout ce qui va vous arriver...

EDGAR – Ah ?…

LEELOO – Oh que oui !

EDGAR – Merci pour votre aide madame

LEELOO – Pas de madame entre nous, Leeloo, voyons ! Avec deux e et deux o

EDGAR – Comme dirait l’autre, avec les œufs, on peut faire une omelette

LEELOO – Et les o une histoire… (Allusive.) Vous connaissez l’histoire d’O ?

EDGAR – Vous parlez des grands bassins à Versailles ?

LEELOO – Pas vraiment...

EDGAR (désignant Mat) – Et vous, vous connaissez ce sombre individu ?

LEELOO – Oh, vaguement

EDGAR – Jamais vu un rustre pareil

LEELOO (qui n’a pas compris) – Non non : il est français

EDGAR – Hum…  Il avait pourtant l’air de vous connaître...

LEELOO (fuyante) – Ah ?… Ne pensez plus à lui… Il n’en vaut pas la peine…  En tout cas, il ne vous a pas manqué

EDGAR (bravache) – Oh ! Une simple égratignure

LEELOO (lui passant la main sur le visage) – Quand même

EDGAR – La partie ne faisait que commencer… Et je pense raisonnablement que j’allais mettre Mat en échec… (Rigolant.) Mat en échec… Vous m’avez saisi ?

LEELOO – Non, mais je ne demande qu’à...

EDGAR – Vous êtes peut-être plus dames qu’échecs ?

LEELOO – Et plus mecs que dames

EDGAR – Ceci étant, merci pour votre immixtion

LEELOO (qui n’a visiblement ps compris) – Mon… Oui

EDGAR – Sans vous, je ne sais pas comment j’allais me défiler tellement j’avais maille à partir avec lui

LEELOO (amusée) – C’est drôle ce que vous venez de dire

EDGAR – Ah bon ?

LEELOO – Oui : moi, c’est une maille de mon collant qui a filé

EDGAR – Oui, j’avais remarqué… (Se reprenant.) Enfin...

LEELOO – Vous voulez voir de plus près l’ampleur des dégâts ?

Leeloo a carrément mis ses jambes sur les genoux et sous les yeux d’Edgar.

EDGAR (totalement perturbé) – Je… Effectivement

LEELOO – Il y a un joli trou, non ?

EDGAR – Ca m’en a tout l’air

LEELOO (séductrice) – Entre nous, je préfère les bas aux collants… Pas vous ?

EDGAR – Je… Vaste débat !

LEELOO – Ca revient moins cher à l’usage

EDGAR – Et à l’usure

LEELOO – Aussi... Alors comme ça, on poursuit de brillantes études ?

EDGAR – Qui vous l’a dit ?

LEELOO – Rien qu’en vous voyant, on le devine

EDGAR – Je fais trop sérieux, c’est ça ?

LEELOO – Ca a son charme

EDGAR (décontenancé) – Ah bon ?

LEELOO – Moi, les études, j’ai essayé de les poursuivre, mais je les ai jamais rattrapées

EDGAR – Vous êtes drôle

LEELOO – C’est pas ce qu’on dit de moi en premier

EDGAR – J’avoue que j’ai beaucoup travaillé pour y arriver… C’était dur et ça m’a semblé assez long

LEELOO – Oh là ! Tout un programme !

EDGAR – Là, il me reste un an à tirer

LEELOO – Ca laisse plein de possibilités...

EDGAR – Je termine Polytechnique

LEELOO – Alors là, je vous arrête tout de suite : les hôpitaux et moi, il y a incomptabilité

EDGAR (amusé) – Moins on les fréquente, mieux on se porte, n’est-ce pas ?

LEELOO – Tout le contraire des hommes… Au fait, vous voulez que je vous montre où j’ai été opérée de l’appendicite ?

EDGAR – Si ça peut vous faire plaisir

LEELOO – Et comment !

Leeloo commence à déboutonner son chemisier.

EDGAR – C’était dans un hôpital parisien ?… Je dois avoir un plan...

LEELOO – Mais moi aussi j’ai un plan, et même un très bon

EDGAR – C’est comme pour une thèse : rien de tel qu’un bon plan ! A propos, je vous ai parlé de ma thèse ?

LEELOO – Euh… Non… Mais je suis tout ouïe

EDGAR – Elle porte sur la géométrie riemannienne

LEELOO – Moi, je suis plutôt portée sur autre chose, mais je vous écoute volontiers

EDGAR – Je vous précise d’emblée que c’est quand même théorique

LEELOO – Moi, c’est la pratique qui m’intéresse...

EDGAR – J’essaie de présenter sous un angle nouveau la position de Riemann

LEELOO (fronçant les sourcils) – La position de Riemann ? Je ne connais pas, mais je suis prête à l’expérimenter

EDGAR – Par certains aspects, elle est renversante !

LEELOO – C’est… alléchant

EDGAR – Mais attention : elle n’est pas évidente à soutenir

LEELOO – Ca va : j’ai la forme

EDGAR (sur sa lancée) – Pour ma part, je l’aborde avec un regard tout particulier sur les courbes

LEELOO – C’est bien, ça

EDGAR – N’est-ce pas ?

LEELOO – Et qu’est-ce que vous en pensez ?

EDGAR – De quoi donc ?

LEELOO – De mes courbes… Vous pouvez les regarder, si ce n’est déjà fait

EDGAR – Hem

LEELOO – Avoir la forme, c’est bien, avoir les formes, c’est pas mal non plus, hein ?

EDGAR – Euh… Oui… Je reconnais en toute humidité, pardon en toute humilité, que je suis un pro de la thèse

LEELOO – Pro de la thèse, oui, prothèse, non !

EDGAR – C’est un joli slogan ! Je le retiens

LEELOO – Moi aussi je me retiens… A propos de prothèse, j’ai ma meilleure amie qui s’est fait poser deux implants mammaires… Moi, tout le monde me dit que je n’en ai pas besoin, et vous ?

EDGAR – Oui ?

LEELOO – Vous les trouvez comment mes seins ?

EDGAR – Je…  Parfait… Pour revenir à ma thèse, il me reste encore la soutenance… C’est important la soutenance

LEELOO – Comme pour un soutien-gorge !

EDGAR – Euh… Oui… Les deux ont besoin d’une armature solide

LEELOO – Je vais vous faire une confidence… Je n’en porte pas tous les jours

EDGAR – Ah ?

LEELOO – Aujourd’hui, j’en ai un… Noir et très échancré...

EDGAR – J’avais remarqué… (Se reprenant.) Enfin… Mais on parle de moi et je ne sais pas trop de choses sur vous…

LEELOO – Vous savez déjà que j’ai filé mon collant et la couleur de ma lingerie… C’est un bon début , non ?… Entre nous, on ne dirait pas comme ça, mais je suis très pudique

EDGAR – Vous n’aimez pas qu’on s’étende sur vous

LEELOO – Voilà ! Enfin, ça dépend qui… Mais c’est vrai que je n’aime pas me mettre en avant… Enfin, ça dépend quoi…

EDGAR – Souvent, on se trompe sur les gens… Tenez : si vous me prenez, moi

LEELOO – Mais je vous le répète : je ne demande qu’à !

EDGAR – Eh bien ceux qui me connaissent disent qu’il y a deux hommes en moi

LEELOO (allusive) – Pour certaines femmes, ce n’est pas toujours suffisant

EDGAR – Et vous travaillez tous les jours chez les Seguin ?

LEELOO – Non non : seulement pour ce week-end. Je fais souvent des extras...

EDGAR – Et la semaine ?

LEELOO – Je suis baritsa dans les trains… Barmaid si vous préférez

EDGAR – Vous devez en rencontrer du monde !

LEELOO – Pour ça oui ! Et pas toujours des gens fréquentables… Tenez, pas plus tard qu’hier, dans le TGV entre Paris et Tours, y’a un type qui a commencé à me mettre la main sur le genou, comme ça ! (Elle prend la main d’Edgar et la met sur son genou.) Et il a commencé à la remonter, comme ça ! (Ajoutant le geste à la parole.) Moi, je lui ai dit qu’il ne devait pas aller plus loin, eh bien vous savez quoi ?

EDGAR (tout émoustillé) – Non, mais j’ai hâte

LEELOO – Il est allé jusqu’à Bordeaux ! Et je ne vous parle pas de ceux qui se saoulent au bar ! La semaine dernière, y’en a un qui s’est mis à chanter : « la maritsa c’est par derrière ! » (sur l’air de La Maritza de Sylvie Vartan)

EDGAR – Oh là !

LEELOO – On vit dans un monde de sans-gêne, vous ne trouvez pas ?

EDGAR – Et je ne sais pas où nous allons

LEELOO (allusive) – J’ai ma petite idée… Mais vous avez l’air tout chose… J’espère que ce n’est pas moi qui…

EDGAR (suant) – Je… Ce doit être le coup que j’ai reçu

LEELOO – Vous devriez vous allonger

EDGAR – Vous croyez ?

LEELOO – Ca vous ferait le plus grand bien

EDGAR – Si vous insistez… Remarquez, c’est quand même mieux que de se retrouver au lit avec un lumbago

LEELOO – Ca, je ne sais pas trop : les Espagnols, c’est pas mon truc

EDGAR (désignant Mat) – Et lui ?

LEELOO – Ce minable ?

EDGAR – C’est un tantinet exagéré, même s’il est vrai qu’il n’a pas vraiment fait le poids face à moi

LEELOO – Laissons-le où il est

EDGAR – C’est gênant

LEELOO – Placé où il est,  pas tellement

EDGAR – Bon… Si vous le dites

LEELOO – Nous avons plein d’autres choses tellement plus intéressantes à faire

EDGAR – Mais…

LEELOO – Vous connaissez Chamonix ?

EDGAR – J’y suis allé enfant. Je n’ai que de vagues souvenirs de ses pics enneigés

LEELOO – Moi, j’ai deux autres sommets à vous faire découvrir

EDGAR – Ah ?

LEELOO – Allez, mon mignon !

Leeloo entraîne Edgar dans l’escalier.

 

SCENE 4

MAT, PRUDENCE

Mat se relève péniblement. Il se passe la main sur son crâne endolori.

Retour de Prudence.

PRUDENCE (curieuse) – Alors ?

MAT – Bah… Franchement, ça aurait pu être mieux

PRUDENCE – Vous l’avez vu ?

MAT – Je me le demande… Il ressemble à quoi au juste Seguin?

PRUDENCE – La cinquantaine, bedonnant… Là, c’est un pléonasme

MAT (qui n’a pas compris) – Un quoi ?

PRUDENCE – Laissez tomber !

MAT – Sûrement pas ! Je ne partirai pas d’ici avant de l’avoir dézingué !

PRUDENCE – J’allais oublié : il a un bouc… Vous me direz, s’appeler Seguin et avoir un bouc, ce n’est pas incongru

MAT – Pourquoi ?

PRUDENCE – Laissez courir

MAT– Y’en a un que je ne vais pas laisser courir longtemps !

PRUDENCE – J’y compte bien

MAT – Moi, on ne m’a pas deux fois

PRUDENCE – Je vous laisse régler vos comptes… et les miens par la même occasion

MAT – Comment ça ?

PRUDENCE – Une nouvelle fois, laissez courir

MAT – Ouais, mais j’aime pas qu’on me fasse marcher

PRUDENCE – J’ai des petits fours à finir… Et les fours, au théâtre, c’est pas ce qui manque, pas vrai ?

MAT – J’sais pas : j’y vais jamais

PRUDENCE – Les trois coups, ce n’est pas votre truc ?

MAT – En général, un seul suffit !

Prudence regagne la terrasse.

 

SCENE 5

MAT, BERNARD

Retour de Bernard.

MAT – Eh ben voilà ! Là, y’a plus d’erreurs possible !… Je vais pouvoir redorer mon blouson

BERNARD – Bonjour. Comme la porte était restée ouverte, je me suis permis d’entrer

MAT – J’ai fait pareil

BERNARD – Ce n’est pas dans mes habitudes de ne pas frapper

MAT (donnant un coup de poing contre le canapé) – Alors que moi, j’ai l’habitude de frapper

BERNARD – Vous êtes monsieur… ?

MAT – Mat ! Connais pas non plus je parie !

BERNARD – Ma foi non… Votre tête ne me dit rien… Pourtant, elle est expressive !

MAT – Et Leeloo ? Rien non plus ?

BERNARD – Charmant mais non, pas davantage

MAT – Au moins, ton pote, lui, il connaissait

BERNARD – Mon pote ?… (Un peu agacé.) Ecoutez mon brave

MAT – Mon brave ? Alors l’autre !

BERNARD – Je n’aime guère vos manières

MAT – Et moi les maniérés !

BERNARD – Et d’abord cette façon de tutoyer… Nous n’avons pas élevé les cochons ensemble que je sache

MAT – C’est sûr qu’on préfère les cochonnes

BERNARD – Pardon ?

MAT – On se comprend

BERNARD – Je ne crois pas, non

MAT – Je vais t’aider à y voir plus clair

BERNARD – Si vous étiez une lumière, je ne dis pas, mais je doute que ce soit le cas

MAT – Te fous pas de moi !

BERNARD – Je ne m’en donne pas cette peine… Mais je pense que vous faites erreur sur la personne

MAT – Une fois, ok, mais pas deux !

BERNARD – Ecoutez

MAT – La ferme !

BERNARD – Avant que vous ne fassiez une bêtise, sachez que…

MAT – Rien du tout !

Mat empoigne Bernard, mais celui-ci lui fait une clé anglaise ; Mat se retrouve au sol, avec un genou de Bernard sur le dos.

BERNARD – Si vous m’aviez laissé finir ma phrase, vous auriez appris que j’ai été champion de lutte… Départemental, mais tout de même… Ca peut servir dans mon métier !

 

SCENE 6

MAT, COLLINE

Colline est entrée sans bruit. Elle ramasse le rouleau à pâtisserie que Leeloo avait oublié et assomme Bernard avec ; il titube et finit par s’écrouler, lui aussi derrière le canapé.

COLLINE – Ca va ?

MAT – Je… Je crois…

COLLINE – Il était moins une

MAT (consultant sa montre) – Moins dix pour être précis… (Un brin arrogant.) Oh, j’allais avoir le dessus

COLLINE – Ah bon ?

MAT – C’était juste une question de temps

COLLINE – Je n’en avais pas l’impression

MAT – Ce traître m’a pris par surprise

COLLINE – Si vous le dites

MAT – Un sale coup tordu

COLLINE (le sourire aux lèvres) – C’est plutôt votre bras qui l’était

MAT – Euh… Oui. (Non sans effort.) Merci quand même

COLLINE – Normal ! J’ai toujours défendu les causes perdues

MAT (vexé) – Perdues, perdues, faut pas exagérer non plus

COLLINE – Vous êtes qui ?

MAT – Mattéi, mais on m’appelle Mat

COLLINE – Sympa. Moi, c’est Colline

MAT – C’est mignon ! (La dévisageant.) Ah oui, très mignon

COLLINE – Mattéi… Vous êtes d’origine italienne ?

MAT – Non, argentine

COLLINE (très agréablement surprise) – Vrai de vrai ?

MAT – Oui, même si ça remonte un peu quand même

COLLINE (enthousiasmée) – L’Argentine ! Le pays où je rêve d’aller… Les grands espaces

MAT (en écho) – Les stades immenses

COLLINE – La pampa

MAT – Maradona

COLLINE – Les gauchos

MAT – Les sombreros

COLLINE (un brin étonnée) – Ah bon ?

MAT (comme cherchant à se rattraper) – Euh… Oui… Enfin de temps en temps, quand il fait très très chaud

COLLINE – Le tango !

MAT – Voilà, aussi

COLLINE – Quelle sensualité !

MAT (flatté, pensant que Colline s’adresse à lui) – Merci du compliment

COLLINE – Vous le dansez ?

MAT – Je… Je me défends

COLLINE – Mieux qu’en bagarre j’espère

MAT (à nouveau vexé) – Je vous répète que j’allais lui faire voir du pays

COLLINE – Mais oui… Ne vous fâchez pas !

MAT – Je ne me fâche pas : je rétablis une vérité

COLLINE – Oh ! Mais vous avez une belle bosse

MAT (fanfaron) – Ce n’est rien

COLLINE – Entre nous, je préfère la bosse de Mat à la bosse des maths

MAT – Hein ?

COLLINE – Ne cherchez pas

MAT – Moi, c’est sûr qu’il faut pas me chercher !

COLLINE – Quelle impétuosité !

MAT – On ne se refait pas

COLLINE – En ce qui vous concerne, ce serait dommage… Venez : je vais m’occuper de vous

MAT (désignant Bernard) – Je veux bien mais et lui ?

COLLINE – Laissez-le où il est… (Réfléchissant.) C’est marrant, cette phrase, il me semble qu’elle a déjà été prononcée… Par qui, c’est une autre histoire… Dites : si je vous soigne, vous me montrerez quelques pas de tango ?

MAT (toujours fier-à-bras) – Je n’ai pas besoin de soins

COLLINE – Allez : laissez aller, c’est pas une valse ! (Chantonnant.) Moi je suis tango tango, j’en fais jamais trop…

Colline et Mat grimpent l’escalier.

 

SCENE 7

PRUDENCE, MICHELINE

Retour de Prudence.

PRUDENCE (appelant) – Ouh ouh ! Vous êtes là ?… Bizarre… (Son portable sonne.) Ah, c’est toi… Alors, tu arrives bientôt ?… Parce que c’est folko ici…  Tu vas voir… Comment non ?... Quoi ?… Mais enfin Edouard… Tu ne peux pas faire ça !… Allons… Ce n’est pas possible… Allô ?... Allô ?… Ah bah ça !

Prudence va se servir un verre au bar, puis deux, puis trois. Micheline sort de la cuisine.

MICHELINE – Excusez-moi de vous déranger en pleine boisson

PRUDENCE – Je n’en suis qu’au débit… euh au début

MICHELINE – Ah ?

PRUDENCE – Quand on en jette une, on s’en jette trois !

MICHELINE – Oh là !… Enfin, ça vous regarde

PRUDENCE – Comme vous dites

MICHELINE – Je voulais vous demander : il vient bientôt ?

PRUDENCE – Qui donc ?

MICHELINE (avec évidence) – Bah, votre mari

PRUDENCE – Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

MICHELINE (avec un accent anglais exagéré) – C’est pour le timing. Je viens de sortir un gros poireau

PRUDENCE – Lui aussi

MICHELINE – Pour le faire dégorger

PRUDENCE – Tout comme lui

MICHELINE – Votre mari cuisine ?

PRUDENCE – On va dire qu’il a fait monter la sauce

MICHELINE – Je croyais qu’il était à son bureau

PRUDENCE – Moi aussi

MICHELINE – Il avait des choses à montrer à sa nouvelle secrétaire, c’est ça ?

PRUDENCE – Des choses, comme vous dites… Des choses très personnelles

MICHELINE – C’est bien, ça, d’avoir une personne de confiance sur laquelle on peut se décharger

PRUDENCE – Se décharger comme vous dites

MICHELINE – Moi, je n’ai personne

PRUDENCE – Vous le faites exprès ou vous n’avez pas compris ?

MICHELINE – Quoi donc ?

PRUDENCE – Ce qui m’arrive

MICHELINE – A part  que vous risquez d’être soûle, non

PRUDENCE – Soûle et seule ! Mon mari vient de me quitter pour son assistante de direction

MICHELINE – Moi, j’ai une direction assistée à ma voiture et croyez-moi, c’est bien utile pour les manœuvres

PRUDENCE – J’en connais une autre qui a su manœuvrer

MICHELINE – Ah ?… Remarquez, je peux comprendre votre mari, si elle est jeune

PRUDENCE – Vingt ans !

MICHELINE – Effectivement, ça fait une sacrée différence avec vous

PRUDENCE – Oui, vingt ans qu’on est ensemble ! Vous vous rendez compte ?

MICHELINE – Pas trop… J’ai jamais été mariée…

PRUDENCE – Me faire ça, à moi !

MICHELINE – A qui d’autre vouliez-vous qu’il le fasse ? Après tout, c’est vous son épouse

PRUDENCE – Jamais je n’aurais pensé

MICHELINE – On connaît mal les hommes. Je suis bien placée pour le savoir

PRUDENCE – Qui l’aurait cru ?

MICHELINE – Pas moi en tout cas. Enfin, je dis ça pour dire quelque chose, vu que je le connais pas, votre mari

PRUDENCE – Un vrai coup de massue

MICHELINE – Ca doit être dur à encaisser, c’est sûr

PRUDENCE – Qu’est-ce que je vais devenir ?

MICHELINE – Vous l’avez dit : une femme seule !

PRUDENCE – Ouais...

MICHELINE – Bienvenue au club !

PRUDENCE (se reprenant) – Et puis non !

MICHELINE – Oh là !

PRUDENCE – Non : ça ne va pas se passer comme ça !

MICHELINE – Pour quelqu’un qui a une bonne descente, vous êtes remontée !

PRUDENCE – Il me connaît mal

MICHELINE – Depuis vingt ans, c’est regrettable

PRUDENCE (ferme) – Je sais ce que je vais faire

MICHELINE – Quoi donc ?

PRUDENCE – Suivre les conseils de Marie-Claire

MICHELINE (faisant la moue) – Vous savez, les amies… Enfin, je dis ça, j’en ai pas

PRUDENCE – Marie-Claire, le magazine

MICHELINE – La culture et moi, ça fait deux

PRUDENCE – Dans la page horoscope de la semaine, il était écrit que les Verseaux devaient rattraper le temps perdu

MICHELINE – Et pour les Poissons ?

PRUDENCE – On s’en balance

MICHELINE – Balance, c’est mon ascendant

PRUDENCE – Pourquoi y’en aurait que certains qui ont le droit de se taper du bon temps ?

MICHELINE – Alors là, entièrement d’accord

PRUDENCE – Et pas que du bon temps !

MICHELINE – Parfaitement !

PRUDENCE – Mais c’est fini !

MICHELINE – Pour vous peut-être

PRUDENCE – Une nouvelle femme est née !

MICHELINE – Bah dites donc !

PRUDENCE – Fini la prudence !

MICHELINE – Qu’est-ce que vous comptez faire ?

PRUDENCE – Sauter sur le premier mec que je vois !

Le rideau est tiré sur le refrain de « Femme, femme, femme » de Serge Lama.

 

 

 

 

EPILOGUE

Tout le monde, ou presque...

Paul sort du bureau et Denise arrive de la terrasse.

PAUL – Ah, Denise !

DENISE – C’est moi !

PAUL – Tout se passe bien avec Prudence ?

DENISE – Avec ?… Ah oui… On va dire ça. Elle n’a pas arrêté de faire des allers-retours entre la terrasse et cette pièce… Elle m’a dit qu’elle cherchait une boucle d’oreille égarée

PAUL – Et elle l’a retrouvée ?

DENISE – Je ne sais pas trop… Maintenant, c’est elle qui a disparu

PAUL – Elle ne peut pas être bien loin

DENISE – Et Edmond qui n’est toujours pas arrivé

PAUL (rectifiant) – Edouard

DENISE – Ah oui ! Maintenant que tu me le dis

PAUL – Et Edgar ?

DENISE – Le fils ? Bah depuis qu’il est arrivé, on ne l’a pas revu

PAUL – C’est qu’il avait mieux à faire avec Colline

DENISE – Tu crois ?

PAUL – Mais oui

DENISE – Je me demande quand même s’ils sont faits l’un pour l’autre

PAUL – L’amour est aveugle

DENISE – Oui, mais Colline n’est pas myope

Edgar descend l’escalier.

PAUL – Mon cher Edgar ! Nous nous demandions à l’instant où vous étiez passé !

EDGAR (gêné) – Je… J’étais à l’étage

PAUL – Parfait parfait… En bonne compagnie, j’espère ?

EDGAR – Ou en compagnie de la bonne…

PAUL – Ah, mon cher Edgar, je retrouve là votre sens de l’humour. Vous êtes impayable !

DENISE (à Paul) – Tu trouves ?

PAUL – Toujours le bon mot au bon moment… The right word at the right moment !

Micheline sort de la cuisine.

MICHELINE – Welldone mister Seguin !

EDGAR – Monsieur Seguin, je voulais vous remercier

PAUL – Pas de monsieur entre nous… Paul, voyons !

MICHELINE – Mais oui, lâchez-vous !

EDGAR – C’est un peu grâce à vous si…

PAUL – Si ?

EDGAR – Si j’ai rencontré celle qui risque de devenir la femme de ma vie

PAUL – Voilà une bonne nouvelle ! (A Denise.) Tu vois !

EDGAR – Oui, sans votre invitation...

PAUL – Oh, je n’y suis pour pas grand-chose… Quand deux destins ont à se croiser...

MICHELINE – Faudra me donner la recette

A son tour, Colline descend l’escalier.

PAUL – Ah ! Ma chérie ! Te voilà ! Nous parlions justement de toi

COLLINE – Ah ?

EDGAR – C’est-à-dire que…

PAUL – Si tu savais comme je suis heureux

COLLINE – A quel propos ?

PAUL – De ta nouvelle relation

COLLINE – Parce que tu sais ?

PAUL – Eh oui !

COLLINE – Comment ?…

PAUL – Un  père sait tout, un point c’est tout… (Réfléchissant.) Tiens, je me mets à faire de l’esprit maintenant

DENISE – C’est assez rare pour être souligné

PAUL (à Colline) – Finalement, je constate que les maths ne t’ont pas rebutée  ?

COLLINE – Au contraire : avec Mat, c’est une belle histoire qui commence

PAUL – Il faut dire que tu as un bon professeur, hein Edgar ?

EDGAR – Je…

COLLINE – Mais...

PAUL – Et si nous poursuivions notre discussion sur la terrasse ?

EDGAR – Je… Ecoutez Monsieur Paul… (Se lançant.) Il est temps que je me jette à l’eau !

PAUL – Allez-y ! Je connais une sirène qui vous repêchera avec plaisir

EDGAR – Voilà : je ne vais pas rester chez vous

PAUL – Ah bon ?

DENISE – Ah bon ?

MICHELINE – Ah bon ?

PAUL – Merci pour l’écho !

EDGAR – Oui : nous partons à Chamonix

PAUL – Ah ? Maintenant ?

EDGAR – Oui

PAUL – Vous ne pouvez pas attendre demain ?

EDGAR – Non

PAUL – Quel empressement !

MICHELINE – Ca ne m’arrange pas des masses, rapport au dîner

PAUL – C’est vrai. Ceci dit, Colline doit être ravie, elle qui adore le ski

EDGAR – Ce sera sans elle

PAUL – Comment ça sans elle ? Vous avez dit « nous»

EDGAR (appelant en direction de l’escalier) – Leeloo, tu viens ?

Leeloo descend l’escalier.

LEELOO – J’arrive Ed

EDGAR – C’est le diminutif d’Edgar

PAUL – J’avais compris

DENISE – Pas moi

MICHELINE – Moi non plus

EDGAR – Je regrette vraiment de vous avoir créé de fausses joies

PAUL – Mais enfin Edgar, ce n’est pas possible

LEELOO – Si si !

PAUL – Vous avez pensé à Colline ?

EDGAR – Oui,  avant de venir chez vous… Mais maintenant, plus du tout !

LEELOO (aguicheuse) – J’ai su bien vite la lui faire oublier

PAUL – J’en suis convaincu

EDGAR – Colline n’était pas faite pour moi

LEELOO – Alors que moi, je m’adapte à tout le monde

EDGAR – Il faut voir les choses en fesses… en face !

PAUL – Là, tout va de travers

EDGAR – Vous l’avez dit : on ne contredit pas les destins

LEELOO – Et non ! Hein, Paulo ! Et en plus, la nature a horreur du vide

EDGAR – Ce ne sera peut-être pas facile pour Colline de retrouver quelqu’un comme moi, mais avec de la patience, qui sait, elle finira peut-être par y arriver

COLLINE – Pas d’inquiétude : c’est déjà fait… (Appelant en direction de l’escalier.) Mat, tu peux descendre

A son tour, Mat descend l’escalier.

MAT – Bonjour

PAUL – Qui c’est ce type ? Vous le connaissez ?

MICHELINE – Moi non

DENISE – Jamais vu

MICHELINE – Plutôt pas mal !

DENISE – Oui

COLLINE – Je confirme

EDGAR – Pour ma part, nous avons fait connaissance tantôt

MAT – Je confirme

EDGAR (se passant la main sur le visage) – Ca m’a marqué d’ailleurs

COLLINE – Vous ne craignez plus rien : Mat est devenu doux comme un agneau

MAT – Grâce à Colline… Elle a eu des arguments très persuasifs

COLLINE (allusive, à Leeloo) – Il a lui aussi compris à qui il avait affaire

MAT – Et Colline a réalisé qu’un latino, ça valait mieux qu’un latiniste

PAUL – Alors là, je suis perdu

DENISE – Moi pareil

MICHELINE – J’en perds mon lapin

COLLINE (à Denise) – Maman, pour ce que tu dois, j’ai obtenu un délai

PAUL – Qu’est-ce qu’il raconte ?

DENISE – Oh ! Une vieille histoire

Prudence sort de la bibliothèque. Elle a les cheveux en bataille ; elle porte la cravate de Bernard autour de la tête.

PAUL – Ah, Prudence ! C’est une catastrophe !

PRUDENCE (qu’on sent éméchée) – Les nouvelles vont vite à ce que je vois

PAUL – Vous vous rendez compte de ce qui arrive ?

PRUDENCE – Je ne vois pas en quoi ma vie de couple vous concerne

PAUL – Mais… Je vous parle d’Edgard

PRUDENCE – Eh bien ?

PAUL – Partir avec la bonne, ça ne se fait pas !

PRUDENCE – Avec une assistante de direction non plus !

PAUL – Mais enfin dites quelque chose !

PRUDENCE – J’m’en fous !

PAUL – Mais…

PRUDENCE (appelant en direction de la bibliothèque) – Allez, Nanard, amène-toi !

Bernard sort de la bibliothèque. Tout dépenaillé, il a une bouteille à la main.

BERNARD (visiblement éméché lui aussi) – Me voilà !

PAUL – Qui c’est encore que cet énergumène ?

MICHELINE – Hum…

DENISE – Un poivrot, à n’en pas douter

BERNARD – Bernard Maurois

PRUDENCE (rectifiant) – Maître Maurois

BERNARD (bas) – Parfaitement ! Maître Bernard Maurois, liquidateur judiciaire

PAUL – Ah bah ça ! Manquait plus que lui !

BERNARD (qui a fini par trouver et présenter une carte de visite) – Voici ma carte

LEELOO (brandissant une carte bleue) – Et voici celle d’Edgar !

PRUDENCE – Nanard est accessoirement l’époux de la nouvelle attachée de direction de mon mari

BERNARD – Plus pour longtemps !

DENISE – Vous y comprenez quelque chose ?

MICHELINE – J’essaie d’analyser

PAUL – Un liquidateur bourré, on aura tout vu !

MICHELINE – Qu’est-ce que vous voulez : un soul est un soul (Allusive, à Paul.) Vu vos arriérés, ce n’est pas vous qui allez me contredire, hein ?

PRUDENCE – Allez Nanard, on y va : on n’a plus rien à faire dans cette bicoque de cinglés

PAUL – C’est peut-être exagéré

PRUDENCE – Si peu ! Monsieur Seguin, chez vous, ce n’est plus les Deux-Sèvres, mais les deux chèvres ! Vous voyez naturellement de qui je parle ?

PAUL – Je...

MICHELINE – Pour l’une j’ai ma petite idée, mais pour l’autre…

Prudence et Bernard quittent la pièce, mais Bernard revient sur ses pas.

BERNARD – N’ayez crainte : je reviendrai sous peu !

PRUDENCE – Et il ne vous fera pas de cadeaux !

DENISE – Qu’est-ce qu’ils racontent ?

PAUL – Oh ! Une vieille histoire !

Prudence et Bernard sortent.

COLLINE – Je pense qu’il est préférable qu’on s’éclipse

MAT – Nous avons prévu d’assister à un spectacle de tango

LEELOO – Moi, je suis plus tanga que tango

EDGAR (émoustillé) – Je ne demande qu’à voir

LEELOO – Allons-y nous aussi (Leeloo prend son casque.) Scoot toujours !

EDGAR – Quand on ne gravit pas des collines, on s’attaque à la montagne ! Chamonix, à nous trois !

Colline, Mat, Leeloo et Edgar sortent.

DENISE (s’affalant sur le canapé) – Je ne sais pas vous, mais moi, je suis abattue !

MICHELINE – Faut jamais dire ces choses-là !

Micheline s’avance sur le devant de la scène.

MICHELINE – Finalement, si j’ai bien compris, et c’est pas sûr une fois de plus, y’a que moi qui me retrouve seule dans cette pièce !… Ah mais non ! (A l’homme du public qu’elle a apostrophé.) On s’attend à la sortie ! Je vous ferai goûter mon entrée !

 

RIDEAU

Le rideau est tiré sur le refrain de « Siffler sur la colline » de Joe Dassin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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