prologue
Le prologue peut se passer en voix off, ou sur scène avec une lumière n’éclairant que la table de la voyante autour de laquelle sont assis Paul et la voyante, ou en avant-scène devant le rideau.
Pétrouchka - Je vois que la chance va tourner en votre faveur… Une fois de plus…
Paul - Si vous voyez aussi juste que les dernières fois… J’ai bluffé mes amis.
Pétrouchka - Je vous l’avais dit, je l’avais vu… Et côté cœur ?…
Paul - Comme vous me l’aviez prédit. À la fin de notre dîner, mitonné avec des petits plats surgelés de toute première qualité, elle m’a largué ! Mais elle ne sait pas que je sais pour qui ! Et ce grâce à vous ! Là aussi, vous aviez vu juste ! Quand je vous avais dit qu’il tournait autour d’elle, je ne m’étais pas trompé ! Mais enfin maintenant je me sens libre… C’est incroyable ! Et dire qu’au début j’étais sceptique…
Pétrouchka - Vous avez confiance maintenant ?
Paul - Plus que jamais… Donc là, pour l’Euro Millions, vous êtes certaine ?
Pétrouchka - Puisque je vous le dis… Tous les chiffres que vous avez joués dégagent des ondes positives extraordinaires… C’est dans la poche. Vous êtes un millionnaire en puissance !… Quelque chose ne va pas ?
Paul - Je ne sais pas si je dois vous le dire…
Pétrouchka - Je suis prête à tout entendre. Mais vous êtes libre. Je ne vous oblige à rien. Tout ce qui est dit ici, reste ici…
Paul - Vous avez raison… Eh bien voilà… Cela fait dix ans que nous sommes quatre à parier la même grille, et la perspective de gagner et de devoir partager…
Pétrouchka - Ah ! je vois…
Paul - Vous aviez vu ?
Pétrouchka - Euh… oui… Mais je ne voulais pas vous en parler, pour ne pas vous influencer…
Paul - Vous avez vu ce que je pensais ?
Pétrouchka - Oui… Je vois que vous songez à éliminer vos partenaires de jeu…
Paul - C’est terrible ! Je ne peux rien vous cacher… L’idée n’a fait que m’effleurer !
Pétrouchka - Mais elle est restée accrochée !
Paul - Je ne peux pas faire ça…
Pétrouchka - Vous, non…
Paul (après un court silence) - Que voulez-vous dire ?
Pétrouchka - La réponse est dans votre question. Je vois bien que vous m’avez parfaitement comprise !
Paul - À supposer que je vous aie comprise… Mais vraiment « à supposer »… Qui ?
Pétrouchka - Moi…
Paul - Qui ?
Pétrouchka - Moi !…
rideau
L’action se déroule dans la pièce principale d’un gîte perdu dans le Cotentin… Le décor est rustique. Il y a une porte-fenêtre au fond, une cheminée à gauche, une armoire normande à droite. Une entrée côté cour et jardin. Un escalier mène aux chambres. La porte donnant dans la cuisine est ouverte. On entend une voiture se garer.
Adrien (des coulisses) - Merci monsieur, ça ira très bien comme ça… C’est ça, à demain soir… (La voiture repart.) Il est bavard comme une pie ! Tiens, la porte est ouverte…
Adrien, Léa et Clémence entrent en scène par la porte-fenêtre.
Léa - À part ses chèvres et ses vaches, il ne doit pas avoir grand monde à qui parler ! (Regardant la déco.) Oh là là ! Mais on est tombé où ?
Adrien - On n’aurait jamais dû laisser Paul s’occuper de l’organisation.
Léa - Confier quelque chose à Paul, c’est toujours risqué.
Clémence - Vous êtes mauvaise langue… Je trouve ça sympa, ça change.
Léa - Pour changer, ça change…
Clémence - C’est bien le but de nos week-ends ?
Léa - Il n’a jamais été précisé qu’il fallait avoir une vocation d’ermite…
Adrien - Ce qui est agréable avec toi Clémence, c’est que tu trouves toujours quelque chose de bien dans n’importe quoi.
Clémence - C’est un reproche ?
Adrien - Pourquoi un reproche ?
Clémence - Parce que côté compliments, tu es plutôt avare.
Adrien - Tu es injuste… C’est ton petit côté parano qui ressort…
Clémence - Et voilà ! Injuste et parano… Si ça, ce sont des compliments…
Adrien (prenant visiblement sur lui) - Ce n’est pas ce que je voulais dire…
Clémence - Mais tu l’as dit…
Léa - C’est fini ?
Adrien et Clémence ensemble :
Adrien - C’est elle qui a commencée !
Clémence - C’est lui qui a commencé !
Léa - À qui je donne la fessée en premier ?
Adrien - À moi !…
Léa - Le contraire m’aurait étonnée ! Si vous pouviez éviter de vous chamailler pour un oui ou pour un non, ça reposerait tout le monde.
Adrien - Tu as raison. D’autant que c’était un compliment quand je te disais que tu trouvais toujours quelque chose de bien dans n’importe quoi !
Clémence - Là, il va falloir que tu développes.
Adrien - Je développe. Mercredi dernier, au vernissage de ce peintre tchèque…
Léa - Encore une brillante idée de Paul !
Adrien - Le gars n’a peint que des tableaux en gris et noir… Pas un personnage, pas un paysage, que des carrés, des losanges… Des taches… Bref, du grand n’importe quoi, eh bien toi tu as trouvé son œuvre, parce qu’il paraît qu’on appelle ça une œuvre, tu l’as trouvée intéressante, qu’il y avait de la recherche, une perspective, et tout plein de trucs super ! Tu nous as sorti le lexique du parfait petit amateur d’art contemporain. Je ne te savais pas aussi férue.
Clémence - Moi non plus… J’étais dans l’improvisation la plus totale.
Adrien - Ben chapeau !… Tu étais très convaincante.
Clémence - Je te remercie.
Adrien - C’est sincère… J’en veux pour preuve le type qui était à côté de toi. Il buvait littéralement tes paroles !
Léa - Moi, j’ai essayé de les boire, mais ça m’a vite saoulée ! Pour moi, un gris est un gris. Une tache est une tache et une tache grise est une tache grise ! Quant à savoir ce que l’artiste a voulu exprimer là-dedans ? Un fond de nuage radioactif ou un fond marin après un tsunami ? Franchement c’est le cadet de mes soucis ! Pour moi, ce genre de toile reste un fond perdu !… Enfin, pas perdu pour tout le monde ! Vous avez vu combien il vendait ses taches le Tchèque ?
Adrien - Le pire c’est qu’il a pratiquement tout vendu ! Je suis sûr que le type qui t’écoutait en a acheté…
Clémence - Ça m’étonnerait.
Adrien - Je suis prêt à parier !
Clémence - Tenu !
Adrien - Tenu !
Clémence - Vingt euros, comme d’habitude ? Ou tu te risques à plus ?
Adrien - On reste sur la mise habituelle.
Clémence - Tope là ! (Ils topent.) Perdu !
Adrien - Pourquoi ?
Clémence - C’était le peintre !
Adrien - Je l’ai échappé belle ! J’étais à deux doigts de doubler la mise !
Clémence - Ah zut !
Adrien - Il y a quelque chose d’excitant de savoir que je suis passé à deux doigts de perdre plus !
Léa - Et puis il y a quelque chose de moins excitant, c’est de savoir que l’on est dans un trou paumé !
Adrien - Un trou normand !
Clémence - Recommandé par « Le guide du routard » !
Léa - Il a dû en écluser des trous normands, le routard ! Parce qu’il faut être bien bourré pour atterrir ici !
Adrien - Ce qui est agréable avec toi, Léa, c’est que tu trouves toujours quelque chose à redire à tout !
Léa - Il faut regarder les choses en face ! Pour habiter là, il faut aimer parler à son ombre !… Il n’y a pas une seule âme qui vive à moins de cinq kilomètres, et encore !…
Clémence - Et alors ? Ce n’est pas le bout du monde !
Léa - Le bout du monde n’existe pas, puisque la terre est ronde !
Clémence - Le monde ne se résume pas qu’à la terre !
Léa - Tu as raison. À cent mètres aux pieds des falaises, il y a la mer…
Clémence - Et après la mer, il y a l’Angleterre…
Adrien - … que tu peux voir quand l’horizon est dégagé.
Léa - Ça me fait une belle jambe !… (Désignant la télévision.) Avec un peu de chance, on ne va capter que la BBC !
Clémence - Ce serait marrant, je ne connais pas les programmes anglais.
Léa - Ce n’est pas ce que l’on est venu voir, surtout ce soir !
Adrien - Léa a raison… On ferait peut-être bien de vérifier.
Clémence - Paul n’aurait pas réservé ce gîte si la télévision ne recevait que les chaînes anglaises !
Adrien - Ce ne serait pas la première fois que Paul zappe quelque chose d’important !
Léa - À commencer par l’heure du train !
Adrien - On ne le refera pas. Je vais l’appeler pour savoir où il en est. (Il sort son portable, le regarde.) Ah !… (Il cherche une orientation.)
Léa - On parie que tu ne captes rien ?
Adrien - Non, tu as gagné !… (Marchant dans la pièce pour tenter de capter des bornes.) Il n’y a rien à faire !
Léa - Merci Paul !
Clémence - Un week-end sans portable, ce n’est pas la mer à boire !
Adrien (près de la cheminée) - Ah ! une borne !… (Il dirige le portable dans l’âtre de la cheminée.) C’est bon ! Ici ça capte ! (Il s’assoit dans l’âtre.)
Léa - Je te déconseille d’appeler de là.
Adrien - Pourquoi ?
Léa - Tu vas griller ton forfait !
Adrien - Pourquoi ?
Léa - Laisse tomber…
Clémence - Tu es dans la cheminée !
Adrien - Et alors ?
Clémence - Holà !…
Léa - Il n’a rien capté !
Adrien - Mais si, là, je capte ! (Léa et Clémence se regardent, consternées.) J’appelle Paul. Quand je vais lui dire que je lui téléphone d’une cheminée, il ne va rien comprendre… Il est parfois un peu long à la détente…
Léa - On verra pour la télévision plus tard. Je vais ranger mes affaires…
Clémence - Bonne idée… (Elles quittent la scène en prenant l’escalier qui mène aux chambres.)
Adrien - Paul !… Oui, c’est moi… Où en es-tu ?… Je t’entends mal… Ah bon ! Ça alors ! Tu ne vas pas tarder donc… La surprise ? Quelle surprise ?… Je t’entends mal, c’est hyper mauvais ! Au fait, tu sais d’où je t’appelle ?… Oui, j’entends bien… Mais non, je n’entends pas mieux… Oui, mais d’où du gîte ? Je te parie que tu ne devineras jamais !… Je ne sais pas, moi. Comme d’habitude… Tenu ! Alors ?… Comment as-tu deviné ?… Paul !… Paul, je te perds !… Et merde !
Clémence (revenant de sa chambre) - Un problème ?
Adrien (s’extirpant de la cheminée) - J’ai perdu vingt euros !…
Clémence - Ils ne doivent pas être bien loin…
Adrien (désignant son téléphone) - À l’autre bout du fil…
Clémence - Certainement pas !
Adrien - J’étais avec Paul, on a parié, j’ai perdu…
Clémence - Je n’en doute pas, sauf que ce n’était pas Paul au bout du fil…
Adrien - La liaison était mauvaise, mais… (Il regarde son téléphone pour s’assurer d’avoir eu Paul.)
Clémence (surprise) - Tu vérifies ?
Adrien - Tu me fais douter… En plus il m’a parlé de surprise et ce n’est pas le genre du bonhomme…
Clémence - Adrien…
Adrien - Oui.
Clémence - Je m’amusais seulement avec l’expression « au bout du fil ». On utilise toujours cette expression alors que nos portables sont sans fil… C’est uniquement pour cela que je disais que tu ne pouvais pas avoir Paul « au bout du fil ».
Adrien - Tu semblais tellement convaincue…
Clémence - Adrien ?
Adrien - Oui…
Clémence - Ne me dis plus que tu n’es pas surmené.
Adrien - Ça se voit tant que ça ?
Clémence - Un chouïa… Un gros chouïa !
Adrien - En fait, je suis plus stressé que surmené… C’est par rapport à ce soir. Je ne sais pas pourquoi, j’ai comme un pressentiment…
Clémence - C’est parce que ça fait dix ans.
Adrien - Et si cela arrivait au bout de dix ans ?
Clémence - Il n’y a pas plus de raison que cela arrive au bout de dix ans qu’au bout de quinze ou vingt !
Adrien - Tu n’y crois pas ?
Clémence - Je n’y ai jamais cru…
Adrien - Ça alors !… Pourquoi tu continues ?
Clémence - Parce que je trouve ça ludique !… Pas toi ?
Adrien - Si, bien sûr… Mais il n’y a pas que ça…
Clémence - Parce que tu penses vraiment qu’un jour…
Adrien - J’espère !
Clémence - Ça, on espère tous… Avec plus ou moins de conviction…
Adrien - Eh bien moi, je suis convaincu d’espérer ! À fond !… Et puis on est tout de même là pour fêter les dix ans !
Clémence - C’est une coïncidence. Il se trouve que notre week-end correspond aux dix ans…
Adrien - Je trouve que tout cela met du piment à l’affaire !
Léa (en haut des escaliers) - Les chambres sont glauques !
Clémence - Tu es sévère. Elles sont vastes, bien entretenues… La déco est un peu kitsch, je te l’accorde.
Léa - Tu verrais ma tapisserie ! J’ai d’énormes fleurs partout ! Ce n’est pas une chambre, c’est un massif !
Adrien - Toi qui es allergique au pollen…
Léa - Paul nous a gâtés ! On va de surprise en surprise.
Adrien - À propos de surprise, il m’a demandé si on avait découvert la sienne…
Léa - Il y en a d’autres ?
Clémence - Je ne serais pas étonnée que son retard soit prémédité…
Léa - Mais qu’est-ce qu’il a mijoté ?
Adrien - Si la surprise est à la hauteur de ses talents culinaires, elle va être fade !
Clémence - Il fait bien la cuisine !
Léa - Surgelée…
Clémence - Il fait bien les surgelés…
Léa - Quand il ne se trompe pas avec le thermostat ! Il est souvent fâché avec les thermostats…
Adrien - Avec tout ce qui est culinaire et électroménager…
Clémence - Il m’a toujours très bien reçue…
Adrien - Il t’a souvent invitée ?
Léa - Sans nous ?
Clémence - De temps en temps…
Adrien - De temps en temps… de temps en temps ? Ou de temps en temps…
Clémence - À l’occasion…
Adrien - Ah… De temps en temps…
Clémence - C’est ça…
Adrien - Vous ne nous l’avez jamais dit.
Clémence - Pourquoi ? Tu n’as jamais passé une soirée seul avec Paul ?
Adrien - Ben si…
Clémence - Et tu ne nous le dis pas à chaque fois…
Adrien - On est entre mecs…
Clémence - Parce que vous êtes entre mecs, on ne peut pas le dire ?
Adrien - Il nous arrive de vous le dire.
Clémence - Mais pas tout le temps, et c’est normal ! On ne vit pas ensemble… Et c’est parce qu’on ne vit pas ensemble que je ne vous dis pas quand je dîne, de temps en temps, à l’occasion, par hasard, avec Paul.
Léa - En fait Adrien, tu es curieux comme une vieille chouette !
Adrien - Mais pas du tout ! C’est venu dans la conversation. Et comme on a l’habitude de se dire plein de choses, voire des confidences, je trouvais étonnant qu’ils nous aient caché ça…
Clémence - On ne vous a rien caché ! D’ailleurs, on n’a rien à vous cacher, si cela peut vous rassurer.
Léa - Je n’étais pas franchement inquiète…
Clémence - Pourquoi ?
Léa (court silence, ton un peu sec) - Parce que je ne me suis jamais posé de questions !
Adrien - Moi non plus !
Clémence - Pourtant, tu n’as cessé de m’en poser…
Adrien - Tu es un peu chiante, là, tout de même !
Clémence - Je te renvoie le compliment !
Léa - Vous n’allez pas recommencer !
Clémence - Mais je n’ai rien recommencé ! Je vous dis, comme ça, que j’ai eu l’occasion de dîner seule avec Paul, et j’ai l’impression d’avoir fait un crime de lèse-majesté ! Je peux tout de même faire ce que je veux de ma vie, sans avoir à vous en rendre compte ! Et si nous avions quelque chose à cacher, croyez-vous que je vous en aurais parlé ?
Adrien (hésitant) - Tu es au courant de sa surprise ?
Clémence - Je ne suis pas sa confidente !
Léa - Tu nous l’as énervée…
On entend de la vaisselle se briser en cuisine.
Pétrouchka (de la cuisine, avec un accent russe) - Cyka !!! (Traduction : « merde » en Russe, se prononce « souka ».)
Léa (silence, les trois s’observent) - C’est quoi ça ?
Clémence - C’est déjà loué !
Adrien - La porte d’entrée était ouverte !
Clémence - Ça se complique…
Léa - Merci Paul ! Je sens que ça va être un week-end d’enfer…
Adrien - Ou en enfer… Je vais aller négocier…
Pétrouchka (de la cuisine, avec un fort accent russe) - C’est rangé n’importe comment ! Je vais tout casser, ça ira plus vite !
Adrien (craintif) - Et si on appelait le proprio ?
Pétrouchka (entre énergiquement sur scène) - C’est toujours la même… (Elle voit les trois qui la dévisagent. Silence, puis…) Bonjour… (Aucune réponse. Sur un ton chantant.) Bonjour !…
Adrien - On va vous expliquer…
Clémence - Je vais vous expliquer, ce sera plus simple.
Adrien - Pourquoi ce sera plus simple ?
Clémence - Parce que ta dernière négociation s’est terminée en pugilat !
Adrien - N’importe quoi ! Le vendeur m’avait insulté !
Clémence - Tu l’avais traité d’escroc !
Voyant la tournure des évènements, Léa engage une conversation à voix basse avec Pétrouchka.
Adrien - Évidemment ! La veille, Paul avait obtenu vingt pour cent sur le même costume, et le lendemain il n’y a plus de rabais !… Faut pas prendre les clients pour des pigeons !…
Clémence - C’est bien ce que je dis : Paul a su négocier, pas toi… Donc, il est préférable que ce soit moi qui parle à la dame.
Adrien - Ben voyons !… Et depuis quand es-tu compétente en négociation ?
Clémence - J’ai négocié le prix de mon appart ! J’ai négocié les frais d’agence ! J’ai négocié mon prêt !
Adrien - C’est l’espace, la déco et la sonorisation que tu aurais dû négocier ! Ça devait faire trois générations d’agents immobiliers qu’ils avaient cette boîte à chaussures en portefeuille ! Ils t’ont prise pour une extraterrestre quand tu t’es intéressée à ce cagibi ! Tu n’as rien négocié du tout ! Ils te l’auraient donné s’ils avaient pu ! C’est parce qu’ils reconnaissent en toi leur mère que tu as autant de pigeons sur ton balcon ! (Il rit, imité par Léa et Pétrouchka, mais pour une toute autre raison.)
Clémence - Ça vous fait rire ?
Léa (en riant) - C’est la surprise !
Clémence - Je me serais bien passée de cette surprise ! Parce que les pigeons au début ça va, mais ça prend vite la tête ! Ça roucoule tout le temps ces bestioles !
Léa - C’est la surprise !
Clémence - Tu m’agaces avec ta surprise !
Léa - Pétrouchka est la surprise de Paul !
Clémence - Pardon ?
Adrien - La surprise ! La surprise ?
Clémence - Il y a quelque chose qui m’échappe…
Adrien - Ce ne serait pas la première fois…
Clémence - Toi, tu as décidé de me pourrir mon week-end !
Adrien - Mais non, je rigolais !
Clémence - Préviens, parce que ça ne saute pas aux yeux !
Léa - Je disais donc que Pétrouchka était la surprise de Paul.
Adrien - Tu étais au courant ?
Léa - Pas plus que vous… Je lui ai simplement parlé pendant votre altercation… Pétrouchka sera notre intendante pendant notre séjour. Elle fera tout pour nous : vaisselle, cuisine, ménage !
Pétrouchka - Surtout le ménage, j’adore faire le ménage…
Clémence - On reste un week-end… Côté ménage, vous n’aurez pas grand-chose à faire…
Pétrouchka (pour elle-même) - C’est ce qu’on verra…
Clémence - Quelle drôle d’idée, tout de même !
Adrien - Quelle belle idée…
Clémence - Évidemment, toi !
Adrien - Quoi ?
Clémence - Ne fais pas l’innocent ! Tout ne m’échappe pas ! Tu ne la regardes pas, tu la bouffes du regard !
Adrien - Mais pas du tout !
Clémence - Une paille !
Léa - Tant que c’est du regard…
Clémence - Avec lui ça commence toujours comme ça !
Léa - Tu as l’air bien au courant ?
Clémence - Il y a des réputations qui ne sont plus à faire !
Léa - Alors, comme ça, tu es un gourmand du regard ?
Adrien - Un vorace, un morfale ! Je zieute ! Je mate ! Je bouffe ! Je croque tout ce qui bouge à portée de vue ! (S’approchant de Clémence.) Et comme je suis myope, faut que je me colle, voire que je tâte !…
Clémence - Arrête ! Tu me fais peur !
Léa - Ne vous en faites pas Pétrouchka, entre eux c’est l’amour vache !
Clémence - Vache surtout !
Adrien - Il faut que je vous explique, Pétrouchka. Chez nous, en France, la vache n’est pas sacrée, c’est une sorte d’icône amoureuse qui regarde le temps passer plus ou moins vite, s’en va paître dans des champs sentimentaux où la terre peut être aussi fertile qu’en jachère, et puis une fois repue, d’une herbe plus ou moins tendre, plus ou moins grasse, elle part ruminer peines et frustrations, qu’il lui arrive d’extérioriser dans des jeux « vachards » : tu me mords, je te mords, tu m’épingles, je t’épingle, etc. ! Et je passe sur la traite des vaches, symbole de l’esclavagisme amoureux quotidien !
Léa - Arrête tout de suite ce que tu fumes ! (À Pétrouchka.) Il n’est pas méchant, mais parfois il part un peu en vrille.
Pétrouchka (sans accent) - En effet…
Adrien - Vous pouvez répéter ?
Pétrouchka (surprise) - En effet ?
Adrien - Oui.
Pétrouchka - En effet… (Devant l’étonnement des trois.) J’ai dit une bêtise ?
Léa - L’accent ? Vous avez fait quoi de l’accent ?
Pétrouchka - Il va, il vient, surtout quand je suis énervée.
Adrien - Vous n’êtes pas Russe ?
Pétrouchka - Par mon père, mais ma mère est Normande. Je ne parle pratiquement pas le russe. J’ai toujours préféré le calva à la vodka !…
Adrien - La France a des atouts redoutables !
Pétrouchka - Je vais aller terminer de préparer votre dîner. (Elle retourne à la cuisine.)
Adrien - Vous voulez un coup de main ?
Pétrouchka - Je vous remercie, ça ira…
Adrien - Non, parce que…
Clémence - Elle a dit : « ça ira » !
Adrien - J’irai pas…
Léa - Je me demande bien pourquoi il est allé chercher une intendante !
Adrien - Pour que l’on n’ait rien à faire…
Clémence - Ça ne te changera pas beaucoup !
Léa - Vous n’allez pas remettre le couvert ! Vous êtes intenables tous les deux !
Adrien - Tu remarqueras que je n’ai rien répondu.
Clémence - Parce qu’elle t’en a empêché, sinon…
Adrien - Sinon quoi ?
Léa (prenant la parole d’autorité) - Sinon, rien ! Voilà ! Rien !… Ça vous arrive de vous parler sans vous crêper le chignon ? Ça ne fait pas une demi-heure que nous sommes arrivés, et c’est déjà Verdun entre vous ! Ça fait plus d’un mois que vous n’arrêtez pas de vous chercher des poux ! Mais qu’est-ce que vous vous êtes fait pour en arriver là ?… (Silence.) Ben répondez !… (Clémence et Adrien baissent les yeux.) Vous êtes mignons tous les deux ! J’ai l’impression d’avoir puni deux élèves de maternelle !… Allez, au coin !… (Les deux y vont. Léa est stupéfaite.) Et ils y vont !… C’est surréaliste !… Restez là où vous êtes, je vais bouquiner dans ma piaule !… (Quittant la scène.) La prochaine fois, je vous mets un bonnet d’âne !…
Adrien et Clémence restent au coin.
Adrien - Il va falloir être très vigilant.
Clémence - Elle se rend compte de quelque chose ?
Adrien - Non, mais j’ai crains le pire depuis ton intervention avec Pétrouchka.
Clémence - Excuse-moi, c’était plus fort que moi…
Adrien - C’est un avertissement sans frais. Les « dîners surgelés » chez Paul l’ont bien mystifiée… (Pétrouchka traverse la pièce. Voyant Adrien et Clémence au coin, elle est quelque peu surprise, les observe puis, dubitative, continue son chemin. Elle sort.) Tu lui as annoncé ?
Clémence - Oui.
Adrien - Comment a-t-il réagi ?
Clémence - Comme quelqu’un qui se fait plaquer, ou plus exactement comme quelqu’un qui soi-disant s’attendait à être plaqué. Tu connais la mauvaise foi de Paul.
Adrien - Il ne t’a pas posé de questions ?
Clémence - Aucune… Il a voulu la jouer grand seigneur !
Adrien - C’est louche. Il faudra redoubler de prudence à son arrivée…
Clémence - J’espère que je vais tenir…
Adrien - On n’a pas le choix…
Clémence - J’ai envie de t’embrasser…
Adrien - Ça tombe mal !
Clémence - Ça tombe comme ça vient…
Adrien - C’est risqué.
Clémence - C’est excitant…
Adrien - C’est vrai…
Pétrouchka revient, traverse la pièce pour se rendre à la cuisine… S’arrête, observe les deux.
Pétrouchka - Vous n’avez besoin de rien ?
Adrien et Clémence - Non, non !
Pétrouchka - Tout va bien ?
Adrien et Clémence - Oui, oui…
Pétrouchka (pour elle-même) - J’en ai vu des bizarres, mais des comme ça… (Elle va dans la cuisine.)
Clémence (après un silence) - J’ai toujours envie de t’embrasser…
Adrien - Moi aussi… Si elle revient ?
Clémence - On improvisera…
Adrien - On ne pourra pas dire grand-chose…
Clémence - Je te parie qu’on trouvera…
Adrien - Quoi ?
Clémence - Je ne sais pas puisqu’on improvisera…
Adrien - Non, on parie quoi ?
Clémence - Comme d’hab’… On y va ?
Adrien - À deux…
Clémence - Généralement, c’est à trois…
Adrien - Comme tu veux… Attention… Trois !
L’action de la scène se déroule au ralenti. Clémence et Adrien se précipitent l’un vers l’autre. Au bout de trois pas, entre Pétrouchka. Adrien, qui est face à elle, est surpris et se baisse comme pour ramasser quelque chose, au moment où il allait prendre dans ses bras Clémence, qui tombe par terre en se cognant la tête contre le sol et perd connaissance. Dans l’action, Adrien se relève et se retourne, sans regarder Pétrouchka qui, voulant se précipiter vers Clémence, se prend les pieds dans le tapis et tombe dans les bras d’Adrien. À ce moment entre Léa et la scène retrouve une vitesse normale.
Léa - Je peux savoir ce qui se passe ?
Adrien - Ce n’est pas ce que tu crois !
Léa - Donc tu ne tiens pas Pétrouchka dans tes bras, et Clémence n’est pas inanimée par terre…
Adrien - Voilà… Enfin presque…
Léa - Tu peux la lâcher ?
Adrien - En effet…
Léa - Ben lâche-la !
Adrien - Voilà… Ce qui est arrivé est assez renversant…
Léa - Je n’en doute pas !
Adrien - N’est-ce pas Pétrouchka ?
Pétrouchka - Oui… Oui, oui !
Adrien - Clémence s’est pris les pieds dans le tapis, et dans sa chute elle s’est assommée ! Là-dessus arrive Pétrouchka qui, voyant Clémence inerte, a été prise d’un malaise… et…
Léa - Tu ne sais pas quoi inventer pour justifier le séjour d’une femme dans tes bras !
Adrien - Mais je te jure…
Léa - Ne jure de rien !
Adrien (se dirigeant vers Clémence) - Je ne sais plus quoi inventer ! (S’agenouillant près de Clémence, la prend dans ses bras pour la réanimer.) Je ne vois pas pourquoi tu dis une chose pareille !
Léa - Et ça continue !… Fais-lui un bouche-à-bouche pendant que tu y es !
Adrien - Pourquoi pas !
Pétrouchka - Mademoiselle est jalouse !
Léa - Vous parlerez quand on vous sonnera !
Adrien - Pétrouchka a raison. Tu es jalouse !
Léa - N’importe quoi ! Tu ne vas pas croire une bonniche !
Adrien (reposant Clémence par terre et se dirigeant vers Pétrouchka) - Je vous prie de bien vouloir l’excuser, Léa est parfois un peu soupe au lait.
Léa - Mais je ne te permets pas !
Adrien (près de Pétrouchka, ignorant Léa) - Avant de la connaître, il y a toujours une phase d’adaptation, et puis une fois qu’elle est passée, elle peut être charmante…
Pétrouchka - « Peut être » ?
Adrien - Avec les vieilles filles, c’est jamais gagné…
Léa - Mais tu te prends pour qui ? Depuis quand t’autorises-tu à parler de moi ainsi ? Jalouse ! Non, mais tu t’es regardé mon pauvre garçon ?
Adrien - Il n’y a pas de quoi se fâcher comme ça !
Léa - Je ne supporte pas que l’on dise des inepties sur moi !
Pétrouchka - Il y a des évidences qui sautent aux yeux… Il suffit juste de connaître un peu la vie, c’est tout…
Léa - Je me cogne de ce qui vous saute aux yeux ! Et puis d’abord, la vie elle nous apprend ce que l’on veut bien retenir d’elle !
Adrien - C’est pas faux.
Léa - Et quelque chose me dit que vous n’avez pas voulu en retenir grand-chose !
Adrien - C’est salaud !
Léa - Défends-la pendant que tu y es !
Adrien - Je ne la défends pas ! Arrête de te sentir toujours agressée !
Léa - Dis tout de suite que je suis parano !
Adrien - Tu es parano… et jalouse !
Pétrouchka - Ça va souvent de paire !
Léa - Elle me cherche ! Je vais vous dire une bonne chose la petite « Freudette » du dimanche ! Pour être jalouse, il faudrait que je sois amoureuse de ce monsieur, et que ce monsieur soit amoureux d’une autre, ce qui dans un sens comme dans l’autre, n’est pas le cas !
Pétrouchka - Sans être amoureux d’une autre, ce monsieur peut très bien ne pas être du tout amoureux de vous… Tout simplement…
Léa - Il y a du meurtre dans l’air !
Adrien - Il est vrai, Pétrouchka, que si votre raisonnement n’est pas erroné, vous…
Léa - … dépassez les bornes ! C’est pas compliqué à dire ! Pourquoi tu tournes toujours autour du pot ? Je parie qu’elle t’a tapé dans l’œil ! Parce qu’il faut que vous sachiez quelque chose, mademoiselle : il les lui faut toutes ! La libido de monsieur ne connaît pas la crise ! Elle tourne à plein régime, matin, midi et soir ! Les chutes du Niagara sont un modeste ruisselet à côté du débit de libido de cet obsédé sexuel ! Je ne sais pas qui monsieur n’a pas dragué !
Adrien - Toi…
Léa - Tu mens ! Depuis des années tu me tournes autour ! Si tu crois que je n’ai pas remarqué ton petit manège ! Ah oui, ça c’est sûr, ce n’est pas de la drague rentre dedans ! Elle n’est pas subtile, elle est sournoise ! Tu rôdes autour de tes victimes avec ton air de ne pas y toucher ! Tu les laisses s’attendrir, tu prends le temps, tu n’es jamais pressé. Tu es un prédateur patient, redoutable, sans scrupule, froid et cynique ! La seule chose qui compte pour toi, c’est le résultat : qu’elles terminent sous tes draps ! Peu importe quand et comment ! Tu ne doutes jamais ! Qui que ce soit, ta proie doit craquer, va craquer et craquera ! Tu ne les lâches jamais, tu les tiens sans les serrer pour qu’elles ne sentent rien ! Et au moindre accès de faiblesse, de pseudo-tendresse pour toi, tu les croques ! Je ne tomberai pas dans ton piège ! Tu es l’incarnation de l’esprit du mâle en plusieurs maux !… Tu es ce qu’il y a de plus vil dans le mâle !
Pétrouchka - C’est excitant tout ça !
Léa - Comment ça, ça vous excite ? Ne me dites pas que cet énergumène vous plaît ?
Pétrouchka - Il y a une différence entre plaire et exciter…
Léa - Vous jouez sur les mots !
Pétrouchka - Avec ceux-là, c’est pas désagréable…
Adrien - Pétrouchka, vous gagnez à être connue !
Pétrouchka - Vous me gênez…
Léa - Il dit ça à toutes les filles !
Pétrouchka - Il vous l’a déjà dit ?
Léa - Il me l’a laissé entendre !
Pétrouchka - Ce n’est pas la même chose !
Léa - C’est du pareil au même !
Pétrouchka - Comment vous l’a-t-il laissé entendre ?
Léa - Par des silences, des regards, des non-dits…
Pétrouchka - Ce qui laisse libre court à toutes les interprétations !
Léa - C’est faux ! Il y a des silences, des regards, des non-dits, qui parlent plus que des mots !
Pétrouchka - C’est vrai que le silence d’un regard, et les mots d’un non-dits, en disent plus long que n’importe quelle déclaration !
Léa (pensant que Pétrouchka cautionne son raisonnement) - Parfaitement ! C’est plus fort, plus profond, plus intense !
Pétrouchka - Et plus libre !
Léa (convaincue que Pétrouchka cautionne son raisonnement) - C’est ça ! Plus libre !
Pétrouchka - Libre de penser n’importe quoi ! De penser à l’impensable ! D’interpréter tout, comme bon vous semble ! De vous convaincre de l’impossible ! Libre, sur un menuet de subjectivité, de vous bercer d’utopie !… (Silence.)
Adrien (entre les deux, très mal à l’aise, après s’être gratté la gorge) - Paul a un réel talent pour recruter !
Léa (sans prêter attention à la réplique d’Adrien, elle repart de plus belle, saisissant Pétrouchka par le col) - Que diriez-vous si je vous berçais d’un menuet de coups de boule ?
Pétrouchka (très calme) - Qu’il n’y a vraiment pas de quoi se prendre la tête ! (Léa relâche Pétrouchka.)
Léa - Frapper la merde, c’est risquer de s’éclabousser…
Pétrouchka (avec l’accent russe) - Ça peut porter bonheur !
Léa - Vous avez de la chance que je sois au-dessus de tout ça ! (À Adrien.) Et si Paul a du talent pour recruter, tu ne me feras pas croire que mademoiselle est bonne !
Adrien (déshabillant Pétrouchka du regard) - Euh…
Pétrouchka - Votre silence me flatte, monsieur. Je peux simplement vous affirmer qu’aucun de mes clients n’a eu à se plaindre de mes services !
Adrien (pour lui-même) - Tu m’étonnes !…
Léa (voulant changer de sujet, regardant Clémence) - On la laisse agoniser ?
Adrien (se dirigeant vers Clémence d’un pas alerte) - Je l’avais oubliée !
Léa - Pour oublier une femme, il faut que tu sois bien perturbé !
Pétrouchka reste en scène à passer le chiffon, plus intéressée par la conversation que d’épousseter. Léa et Adrien ne lui prêtent pas attention.
Adrien (s’agenouillant près de Clémence) - Clémence !… Oh !… Tu m’entends ?
Clémence - Je vous ai entendus ! (Elle se relève sans aide.) Alors comme ça, tu es jalouse ?
Pendant l’échange entre Clémence et Léa, Adrien se tient légèrement en retrait entre les deux femmes, et à chaque réplique tourne la tête vers celle qui parle, comme un spectateur d’un match de tennis.
Léa (entrant dans une forte colère) - Tu ne vas pas t’y mettre non plus ! Quand on a perdu connaissance, on n’écoute pas la conversation des autres !
Clémence - Ne t’énerve pas !
Léa - Je ne m’énerve pas ! Mais vous m’énervez à la fin ! À croire que ça vous arrangerait que je sois jalouse !
Clémence - Si tu l’étais, cela nous permettrait de savoir si tu as des sentiments pour Adrien.
Léa - La question ne se pose pas, puisque je n’en ai pas !
Clémence - En revanche, la question qui se pose est de savoir si tu mens.
Léa - Mais c’est du harcèlement !
Clémence - Pas du tout !… Mais comme visiblement tu fais preuve d’une évidente mauvaise foi, on est curieux de connaître la vérité…
Léa - C’est la vérité !
Clémence - Très bien… C’est nous qui fantasmions.
Léa - C’est ça, vous fantasmiez !
Clémence - N’en parlons plus…
Léa - C’est ça, n’en parlons plus !
Clémence (à Adrien, avec insistance) - Tu viens, mon amour ?
Léa (mécaniquement) - C’est ça, mon amour… (Réalisant.) Comment ça, mon amour ?
Clémence - Je ne vais tout de même pas siffler l’homme de ma vie !
Léa - Comment ça, l’homme de ta vie ?
Clémence - On ne savait pas comment te l’annoncer, parce que nous pensions bêtement que tu avais des sentiments pour Adrien… Tu viens de nous avouer que tout cela n’était qu’une lubie, et j’en suis vraiment soulagée… Alors voilà, Adrien et moi…
Léa - Comment ça, Adrien et toi ?
Clémence - Tu fais exprès ? Je suis en train de te dire qu’Adrien et moi, on est ensemble !
Léa - J’ai compris ! Je te remercie, je ne suis pas totalement demeurée !
Clémence - J’avais des doutes.
Léa - Seulement il y a quelque chose que je ne comprends pas.
Clémence - Je n’ai plus de doutes…
Léa - Il y a un truc qui cloche… Vous n’allez pas du tout ensemble !
Clémence - Ah bon ? À quoi vois-tu ça ?
Léa - Ça saute aux yeux !
Pétrouchka - Il n’y a pas qu’à moi !
Léa - Je ne vous ai pas sonnée ! (À Clémence.) Ensemble, vous ressemblez aux toiles de ce peintre tchèque ! Vous formez un truc informe qui fait tache !
Clémence - Ne t’embarque pas dans la métaphore artistique, tu vas être incompréhensible !
Léa (menaçante) - Et si je parle avec les mains, tu comprendras mieux ?
Clémence - Tu fais dans le langage des signes maintenant ?
Léa - Parfaitement ! (Léa veut baffer Clémence, qui se baisse pour l’éviter, et c’est Adrien qui prend la baffe.)
Clémence et Léa (se précipitant sur Adrien) - Mon pauvre chéri ! (Silence. Elles se regardent.)
Clémence - Comment ça, « mon pauvre chéri » ? Salope ! Poufiasse ! Gros tas !
Elles se jettent dessus et partent dans une bagarre terrible. Insultes et cris volent. Adrien, estomaqué dans un premier temps, tente de les séparer.
Adrien - Stop !… Mais regardez-vous ! Vous êtes ridicules ! Qu’est-ce que c’est que ce comportement d’ados pré-pubères ? Regardez-moi quand je vous parle !… (Clémence et Léa relèvent la tête.) Quelle honte ! Vous mériteriez d’aller au coin ! (Sans attendre, elles se dirigent vers « le coin ». Stupéfaction d’Adrien.) Qu’est-ce que vous me faites ? (Clémence et Léa s’arrêtent. Adrien les observe, puis…) Et puis, allez-y ! (Elles y vont, têtes basses.) J’hallucine… (Discrètement, Pétrouchka rentre dans la cuisine. Adrien observe, amusé, Léa et Clémence, puis sur un ton professoral.) Et que je n’entende pas une mouche voler !…
Il s’en va dans la cuisine. Silence. Paul arrive sans voir Clémence et Léa. Il est surpris du silence.
Paul - Vous êtes là ?… (Clémence et Léa, ayant les mains dans le dos, les bougent pour lui dire bonjour, mais Paul ne voit rien.) C’est étrange… (Clémence et Léa s’apprêtent à quitter leur « coin », mais se ravisent quand Paul dit :) Elle a déjà tout nettoyé ?
Pétrouchka (sortant précipitamment de la cuisine) - Enfin monsieur !… (N’ayant pas vu Paul, elle se heurte à lui. Paul, par réflexe, la serre dans ses bras. Adrien sort de la cuisine, étonné du comportement de Pétrouchka.) Ah !… Je…
Paul (comme pour éviter à Pétrouchka de parler) - J’adore qu’une femme se jette dans mes bras pour m’accueillir !
Adrien (à Paul) - On parlait, et je ne sais pas ce qui lui a pris, elle est partie en courant comme une folle… Qu’est-ce que tu fais là ?
Paul - La même chose que toi !… Tu cours après… (Jetant un œil sur Pétrouchka.)… et moi j’attrape… Tu te souviens de…
Adrien - Oui, bon, ça va… Et puis je ne lui courais pas après…
Paul (à Pétrouchka) - Vous allez pouvoir tenir debout toute seule ?
Pétrouchka - Oui, bien sûr…
Paul (à Adrien) - Où sont Clémence et Léa ?
Adrien - Au coin !
Paul - Pardon ?
Pétrouchka - C’est une coutume chez vous ?
Paul (à Pétrouchka) - On vous a parlé ?
Silence. Échange de regards assassins entre les deux. Adrien reste sans voix.
Pétrouchka (avec l’accent russe) - Excusez-moi monsieur !… (Elle va dans la cuisine.)
Adrien - C’est ce qui s’appelle se faire moucher !
Léa (quittant son coin) - Faut dire que tu l’as bien enrhumée !
Adrien - Quel vent !…
Léa - Tu nous l’as énervée. Elle a repris son accent.
Paul (désireux de changer de conversation) - Pourquoi tu restes au coin, Clémence ?
Clémence (se retournant, hilare) - « C’est une coutume chez vous ? » Elle doit nous prendre pour des fous cette brave fille ! Je n’en pouvais plus !
Adrien - Tu as vu ses yeux quand tu lui as dit : « On vous a parlé ? » Elle t’a lancé un regard assassin !
Clémence (à Adrien) - Qu’est-ce que tu faisais à courir après la bonne ? Alors ?
Silence.
Adrien - Je ne courais pas après elle ! C’est elle qui s’est mise à courir comme si elle voulait faire croire que je lui courais après…
Léa - Quand je disais qu’il les lui fallait toutes !
Clémence - Ta gueule !
Léa - Tu es jalouse…
Clémence - Encore un mot et je te pends à la crémaillère ! (À Adrien.) Quant à toi, arrête de me prendre pour une quiche !
Paul - J’ai assisté à la scène, et je peux t’assurer qu’Adrien ne lui courait pas après… Cela dit, je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans tous ces états pour si peu ?
Léa - Tu n’es pas au courant ?
Paul - Au courant de quoi ?
Silence.
Léa - J’ai fait une gaffe ?
Paul - Tu en as trop dit ou pas assez, mais il va falloir que tu développes.
Clémence (dans un débit de paroles très rapide) - Je suis avec Adrien ! C’est mieux que ce soit par moi que tu l’apprennes. Maintenant les choses sont claires. C’est la vie, c’est comme ça ! Je comprends que tu sois choqué. Je suis désolée. C’est la vie, c’est comme ça ! Tu vas avoir mal, mais ça passera ! Une autre te rendra certainement plus heureux ! Bon, bref, voilà ! C’est la vie, c’est comme ça !
Silence.
Pétrouchka (arrivant timidement de la cuisine) - Voulez-vous que je vous prépare l’apéritif ?
Paul - C’est la vie, c’est comme ça !
Pétrouchka - Je vous demande pardon ?
Paul - Faites, c’est une bonne idée et une idée qui s’impose… (Pétrouchka se dirige vers le meuble où se trouve l’apéritif. Adrien, Clémence et Léa la suivent discrètement du regard. Après un court silence, Paul prend l’initiative de reprendre la conversation, désireux aussi de détourner l’attention de Clémence, Léa et Adrien. Pendant la conversation, Pétrouchka prépare l’apéritif sur un plateau.) Donc tu m’as plaqué pour lui ?
Léa (à Paul) - Parce que tu sortais avec Clémence ?
Paul - Eh oui ! C’est la vie, c’est comme ça !
Léa - Vous auriez pu me tenir au courant !
Paul - Tu l’es !
Léa - Un peu beaucoup après la bataille.
Paul (pour lui-même) - L’armistice n’est pas encore signé…
Léa - Pourquoi autant de cachotteries ?
Paul - On ne va pas passer la soirée à faire dans la série Arlequin !
Adrien - Je cautionne !
Clémence - Moi aussi !
Léa - Pas moi ! J’ai des wagons de retard, et j’aimerais les rattraper !
Adrien (ne tenant pas compte de la remarque de Léa) - À propos de wagons, comment as-tu fait pour louper ton train ?
Léa - Pourquoi ne m’avoir rien dit ? Généralement on me confie tout !
Paul (ostensiblement à Adrien) - Tu n’as pas compris ce que je t’ai dit. Je ne l’ai pas loupé !
Léa - Vous avez d’autres cachotteries comme ça ?
Clémence et Adrien - Tu ne l’as pas loupé !
Léa - Je n’ai rien loupé, je n’ai rien loupé, je vous demande bien pardon !
Paul - En fait, je l’ai attrapé « in extremis » ! Et comme il était blindé, je suis resté à l’arrière.
Léa - Un peu comme moi…
Paul - C’est la gare que j’ai loupée ! Je n’ai pas pu descendre à la bonne, mais celle juste après ! Le temps de prendre un taxi, et me voilà !
Léa - Alors comme ça tu sortais avec Clémence… J’en reviens pas !
Adrien - L’essentiel c’est que nous soyons tous réunis…
Léa - Séparés mais réunis…
Paul (à Pétrouchka) - Merci Pétrouchka, vous pouvez poser le plateau sur la petite table, nous nous servirons.
Pétrouchka - Bien monsieur…
Elle pose le plateau sur la table basse, dans le silence et sous le regard de Paul, Adrien et Clémence. Léa, encore dans ses pensées, ne prête pas attention à la scène. Pétrouchka part à la cuisine.
Léa - Mais vous êtes sortis combien de temps ensemble ?
Paul - Merci Pétrouchka. (Se dirigeant vers le plateau apéritif.) Passons aux choses sérieuses !
Léa - J’attends que ça ! Alors ?
Paul (à Léa) - Alors… Qu’est-ce que tu prends ?
Léa (résignée) - D’accord !… Visiblement tu ne veux pas me répondre.
Paul - Porto, whisky, pommeau ?
Léa - Un whisky-orange, autrement appelé « un hypocrite » !
Paul - Pourquoi ?
Léa (faisant exprès de ne pas répondre à Paul) - Passons aux choses sérieuses !
Paul - Tout ce qui tourne autour de la bibine est sérieux. Alors ?
Léa - Il serait peut-être temps de régler nos comptes ?
Clémence - Quels comptes ?
Léa - Ceux de nos paris ! Les autres, on aura tout le temps de les solder ! (Ils se regardent tous dans un grand silence.)
Paul - D’accord !
Clémence - On peut peut-être les faire après…
Paul - Après quoi ?
Clémence - Le tirage… Et puis comme ça, si l’on gagne, on pourra effacer nos dettes !
Paul - Ah non ! Un pari est un pari, il doit être honoré ! Pas de dette de jeu entre nous !
Adrien - Clémence a raison, attendons le tirage.
Léa - Faudrait savoir !
Adrien - Il faudrait surtout savoir si l’on pourra voir le tirage.
Paul - Pourquoi veux-tu qu’on ne le puisse pas ?
Adrien - Parce que dans cette pampa nos portables captent à peine ! Il est donc légitime d’émettre des doutes sur la qualité de retransmission de la télévision qui, entre nous, doit dater de la préhistoire !
Paul - Le propriétaire m’a garanti qu’il n’y avait aucun problème de réception.
Léa - À la bonne heure ! La question va te paraître idiote, mais ça va mieux en la posant. Tu as bien validé la grille ?
Paul (silence) - Ben non…
Adrien - Tu plaisantes ?
Paul - Pas avec ça !
Léa - C’est pas vrai !
Adrien - Je n’ose pas le croire ! Ça fait dix ans que c’est à celui qui organise le week-end de valider le bulletin !
Léa - Tu n’as pas pu faire une chose pareille !
Paul - J’ai demandé à Clémence de le faire.
Clémence - Quoi ?
Paul - Je t’ai laissé un message pour te demander de le faire parce que j’étais à la bourre.
Clémence - Jamais de la vie !
Paul - Tu as consulté ta messagerie ?
Clémence - Non…
Paul - Eh bien vas-y…
Clémence (très embarrassée) - Je ne le retrouve plus…
Adrien - Quoi ?
Clémence - Mon portable.
Adrien - Tu plaisantes ?
Léa (agacée) - Ben oui, tu vois bien, aujourd’hui tout le monde plaisante !
Adrien (sur les nerfs) - Ça suffit Léa, merde !
Paul - Ne vous énervez pas, ça ne sert rien !
Adrien - T’en as de bonnes, toi !
Paul - On va le retrouver ton portable. (Il sort son portable.) C’est quoi ta sonnerie ?
Clémence - « La marche turque »…
Paul (se dirigeant vers la cheminée) - « La marche turque » ?
Clémence - De Mozart…
Paul - Il a écrit pour les Turcs ? (De la cheminée.) Je ne savais pas.
Adrien - Comment sais-tu qu’il faut appeler de la cheminée ?
Paul - Le propriétaire m’avait prévenu… Silence, j’appelle Mozart !
Clémence - Je ne suis pas venue avec…
Léa - Je savais que ce week-end allait être pourri !… Tu pourrais faire attention à tes affaires !
Clémence - Ça va être de ma faute bientôt !
Paul - Ce ne sera pas la mienne !
Clémence - Tu ne manques pas d’air !… (Furieuse.) C’est à toi de valider notre grille, et comme tu es à la bourre, parce que tu as un tout petit peu plus de choses à faire que d’habitude, c’est-à-dire trois fois rien, et entre nous, je ne voudrais pas que ce « trois fois rien » nous coûte trop cher, tu me charges de valider notre bulletin, sans prendre le soin de vérifier que j’aie bien reçu ton message ! Non, mais je rêve !
Paul - Tu vis ton portable greffé à l’oreille ! Comment veux-tu que j’imagine une seconde que tu puisses l’avoir perdu ?
Clémence - C’est ça, culpabilise-moi ! (À Adrien.) Tu pourrais dire quelque chose, toi !
Adrien (les trois le regardent) - C’est ballot !
Clémence - Tu es consternant !
Paul - On est à deux doigts de perdre des millions, et l’autre n’a rien d’autre à dire que « c’est ballot » !
Adrien - À deux doigts de perdre des millions ! Il ne faut pas exagérer ! Ça fait dix ans que l’on joue la même combinaison, et en dix ans on n’a pas été foutus de remporter une seule fois notre mise !
Clémence - Tu étais plus optimiste tout à l’heure.
Adrien - Oui, mais entre temps, certaines données ont changé !… Quelque chose ne répond plus au bout du fil, si tu vois ce que je veux dire ! (Il quitte la scène.)
Clémence - Je vais prendre l’air, j’étouffe !
Elle sort. Paul et Léa restent.
Léa (vérifiant que Clémence et Adrien soient bien sortis) - Tu n’as pas fait ça !
Paul - Tu me prends pour qui ? J’avais juste un petit compte à régler…
Léa - C’est malin !
Paul - Oui, mais ça fait du bien ! Qu’elle me plaque c’est une chose, mais pour l’autre escogriffe et après le dîner que je lui ai mijoté, y’a des limites !
Léa - Comme quoi réchauffer des surgelés, ça peut refroidir !
Paul - Tu l’as en stock depuis longtemps celle-ci ? Parce qu’un trait d’esprit de ta part, ça mérite d’être souligné !
Léa - Tu es d’une susceptibilité ! Pour une fois que ce n’est pas toi qu’en fais un !… Je vais chercher les autres… ça va bientôt être l’heure…
Elle quitte la scène. Paul vérifie qu’elle soit bien partie.
Paul - Pétrouchka ?
Pétrouchka (apparaissant timidement) - Oui ?
Paul - Vous avez entendu ? (Pétrouchka n’ose pas parler.) Ils sont tous dehors, on ne risque rien !
Pétrouchka - Depuis leur arrivée, je ne loupe aucune bribe de conversation !
Paul - Tout se déroule comme vous l’aviez prévu ! Vous aviez vu juste comme d’habitude… Je n’ai pas été trop dur tout à l’heure ?
Pétrouchka - Pas du tout, c’est exactement ce qu’il fallait faire ! Je vous avais dit qu’il n’y aurait aucun problème. Et pour votre grille, plus l’heure du tirage approche, plus je sens les ondes hyper positives… Tous les astres sont parfaitement…
Paul - … bien lunés !!!
Pétrouchka - En quelque sorte…
Paul - Si elle tombe, ça va être grandiose !… De votre côté, tout est prêt ?
Pétrouchka - Elle va tomber, ne vous faites aucun souci pour cela…
Paul - Vous êtes d’un calme ! Je ne sais pas comment vous faites, moi je tracouille à mort !
Pétrouchka - Question d’habitude. Et puis le sang russe qui coule dans mes veines est froid.
Paul (impressionné) - Évidemment…
Pétrouchka - Je vais peaufiner mon matériel… (Elle retourne à la cuisine.)
Paul (seul) - C’est qu’elle me foutrait les jetons !
Arrivent du jardin Léa, Adrien et Clémence.
Léa - Ils étaient dans un tel état que j’ai préféré leur avouer la vérité.
Clémence - Ton sens de l’humour est nul !
Adrien - Tu es un grand malade !… J’ai failli crever !
Paul - Chaque chose en son temps…
Adrien - Pardon ?
Paul - Il y a un temps pour la vengeance et un temps pour les réconciliations… Voilà… Je comprends que tu m’en veuilles, Clémence, mais j’éprouvais un besoin irrésistible de te faire du mal après celui que tu m’avais fait. Je sais, c’est ridicule et puérile, je te demande pardon…
Clémence - Tu ne changeras pas. Je te pardonne, mais tu ne recommenceras plus…
Léa - Sinon, c’est au coin !
Paul - Merci… En plus j’étais à dix mille de penser que tu avais oublié ton portable !…
Clémence (regardant Adrien) - Faut dire que j’ai un peu la tête ailleurs en ce moment…
Paul - Bon, eh bien moi, je l’ai bien vissée, et il va être temps de voir si nous sommes en instance de devenir millionnaires ! (Il va pour allumer la télévision. Pétrouchka apparaît dans l’entrebâillement de la porte.) Il va être l’heure !
Léa - Ça me fait la même chose à chaque fois… Je reviens…
Paul - Bon… Comment tu marches, toi ? (Il veut mettre en marche la télévision qui ne s’allume pas. Il réessaye à plusieurs reprises sans succès.) Qui a une vengeance en stock ?
Clémence - Paul, côté plaisanteries, on a eu notre dose…
Paul - Je préférerais que ce soit une plaisanterie… Vraiment.
Léa (revenant) - Alors ?
Clémence - La télévision ne marche pas…
Léa - Quoi ?!
Clémence - Organisation made in Paul !
Paul - J’appelle le proprio, ça ne se passera pas comme ça ! (Il se dirige vers la cheminée.) Ça va chauffer !
Léa - On ne peut vraiment pas te faire confiance, Paul ! C’est pas vrai ! Tu nous trouves un truc paumé dans la pampa normande ! Il pleut, ça caille, et pour couronner le tout la télévision est HS !
Paul - Léa la grincheuse, tu vas être mignonne et la mettre en veilleuse !
Léa - Ben voyons ! Tu organises un week-end de merde et il faudrait t’applaudir !
Paul - Fais bien attention ! Je pourrais t’applaudir façon baffes !
Léa - Touche-moi, je t’étripe !
Paul - T’as pas toujours dit ça !
Clémence - Ça veut dire quoi ?
Léa - Que monsieur, pendant qu’il te faisait le joli cœur, se dandinait avec moi entre deux rendez-vous !
Clémence - Je ne le crois pas !
Léa - Continue si ça peut t’aider à vivre…
Clémence - Tout à l’heure tu n’étais pas au courant que je sortais avec Paul !
Léa - Oui, mais entre-temps, certaines données ont changé ! Il était encore nécessaire de garder le secret ! (Fixant Paul.) Plus maintenant !
Clémence - Alors pendant que tu étais avec moi, tu t’enfilais la pouffe grincheuse !
Léa - Retire ça immédiatement !
Clémence - Plutôt crever !
Léa - Je ne voudrais pas te décevoir !
Léa se jette sur Clémence qui esquive. Elles se poursuivent sur scène, proférant des insultes.
Adrien - Mais c’est quoi ce cirque ?! Arrêtez, vous êtes ridicules !… Paul, enfin, fais quelque chose !
Paul - C’est ta nana, plus la mienne !
Adrien - T’es une raclure !
Paul - La raclure va te mettre une raclée si tu continues !
Adrien - C’est bien parce que t’es un pote !
Léa et Clémence arrêtent soudain de se battre.
Clémence - Mais t’as pas de…
Léa - … d’estomac !
Clémence - Ce n’est pas à cette partie de l’anatomie que je pensais… Mais ça revient au même… (À Adrien.) Tu me déçois…
Paul (à Adrien) - Courageux, mais pas téméraire !
Adrien - Vous commencez à me les briser menu !
Paul - Parle pas des absentes !
Adrien (silence, puis il renifle) - Il y a comme une odeur de cadavres…
Le propriétaire arrive essoufflé, un radio CD sous le bras. Il bégaye.
Jacques - Je… je… je… je…
Paul (surpris) - Vous ?
Jacques (inspirant fortement, puis parlant vite) - … dérange pas ?
Tous, excepté Pétrouchka, regardent, étonnés, le propriétaire.
Paul - Pas du tout, j’allais vous appeler.
Jacques (embarrassé) - Ah !…
Paul - Comme disait mon général d’oncle : « C’est toujours mieux de devancer l’appel. »
Jacques - C’est la télévision ?
Clémence, Adrien et Léa - Oui !
Jacques - Il y a un problème d’antenne…
Clémence, Adrien et Léa - Sans blague !
Paul (voyant que le propriétaire est terrorisé) - Arrêtez ! Vous terrorisez ce brave homme ! (Au propriétaire.) Vous nous amenez ce radio CD pour pallier la télévision ?
Jacques - Ah non ! Il n’y a pas de télévision sur le palier ! (Devant l’air consterné de Paul, Adrien, Léa et Clémence.) Voulez-vous que je vous l’installe ?
Paul (prenant la radio) - Si vous l’installez aussi rapidement que vous parlez, on risque de louper le tirage. On va s’en occuper, merci.
Jacques - Bonne soirée alors !
Léa - Ah ! mais non ! Je ne suis pas d’accord ! Monsieur reste tant que nous ne sommes pas certains que la radio fonctionne correctement !
Jacques - Je vous assure…
Léa - On va prendre le temps de s’en assurer…
Paul (branchant la radio) - On va voir cela tout de suite.
Adrien - J’espère qu’elle marche !
Paul - Il n’y a aucune raison… (Il allume la radio.)
La radio - Après la pause, nous passerons au tirage de l’Euro Millions dont, faut-il vous le rappeler, le montant est de soixante-dix millions d’euros !… À tout de suite.
Paul (éteignant) - Ça marche, et pile sur la bonne station !
Clémence - Soixante-dix millions !
Adrien - Rallume immédiatement !
Léa (partant précipitamment) - Ça recommence !
Paul - Il n’y a pas le feu, c’est la pub !
Jacques - Maintenant que tout est en ordre, je vais vous laisser.
Paul - C’est ça ! Bonne soirée…
Jacques (s’en allant) - M’sieur-dames…
Adrien - Rallume !
Paul - Attendons que Léa revienne.
Clémence - Ça ne tombe pas juste !
Paul - Qu’est-ce qui ne tombe pas juste ?
Clémence - Soixante-dix ! Soixante-dix par quatre ça fait… Ça ne tombe pas juste !
Paul - Ce n’est pas le plus grave.
Clémence - Pour partager, on va se prendre la tête !
Adrien - Pour quelqu’un qu’est persuadé qu’on ne gagnera jamais !
Clémence - Oui, mais entre-temps, certaines données ont changé !
Adrien - Rallume !
Paul - Attendons Léa !
Clémence - Mais on s’en fout de Léa ! Qu’elle soit là ou pas ça ne changera rien !
Paul - Tu n’es pas très sympa !
Clémence - Après ce qu’elle m’a fait, je ne vois pas pourquoi je le serais !
Paul - Il y a prescription !
Léa - Voilà !
Paul - Tu as un gros stress !
Léa - Ne m’en parle pas ! (Regardant la radio.) Elle ne marche plus !
Paul - Elle vient de nous lâcher !
Léa - C’est pas vrai !
Clémence - C’est pas vrai… (Devant l’air dubitatif de Léa.) C’est vrai que ce n’est pas vrai…
Adrien - Allume, Paul, elle va mieux comprendre !
Léa - C’est bon, j’ai compris !… Paul, arrête avec tes blagues vaseuses, ce n’est vraiment pas le moment !
Paul - C’était pour détendre… Chut !
Il allume la radio. Ils sont tous face au public. Léa, Adrien et Clémence sont sur le canapé, Paul debout derrière. La radio est posée devant eux sur la table basse. Pétrouchka tend l’oreille derrière la porte de la cuisine. Elle ne peut pas voir les quatre amis.
La radio - Chers amis, bonsoir. Nous allons procéder au tirage…
Adrien - Il était temps !
Léa - Tu as le ticket ?
Paul - Oui.
Clémence - On connaît tous la combinaison…
La radio - La première boule… Je vous rappelle que la cagnotte est de soixante-dix millions d’euros… Le premier chiffre gagnant est le 16 ! (À chaque numéro annoncé, chacun des quatre prend une expression de plus en plus marquée.) Le second gagnant, le 45… Le troisième numéro gagnant, le 17… Le quatrième, le 30… Le cinquième numéro gagnant est le 11… Enfin les deux étoiles : le 6 et le 9 !… Le tirage gagnant pour gagner les soixante-dix millions est le 16, 45, 17, 30, 11 et les deux étoiles le 6 et le 9. En espérant que la chance vous ait souri, à vendredi prochain pour un nouveau tirage…
Paul éteint la radio.
Un long silence suit. Pétrouchka, derrière la porte, semble pétrifiée. Elle la referme discrètement avec un large sourire de tueuse. Paul, Adrien, Léa et Clémence se regardent. Léa se lève, fonce aux toilettes. Adrien se lève, marche comme s’il était télécommandé, se sert un verre au plateau sur lequel les apéritifs sont préparés. Il boit cul sec. Clémence se lève, sort son mouchoir, essuie une larme, se dirige en avant-scène, fixe l’horizon. Paul blêmit, va s’assoir sur le canapé. Léa revient, va directement se servir un verre et l’avale aussi cul sec. Adrien l’imite.
Adrien - Je vais être bourré !
Léa (hurlant, totalement déjantée) - De thunes !!!
Adrien - Putain, j’y crois pas !
Léa - Soixante-dix millions !
Clémence - Par quatre !
Adrien - Même par quatre, ça fait une somme !
Clémence - Je vais pouvoir rembourser mon appartement.
Adrien - C’est l’immeuble que tu vas pouvoir acheter !
Clémence - Ça fera peut-être un peu grand du coup !
Adrien - C’est terrible ! Tu as déjà ton premier problème de millionnaire !
Léa (se précipitant vers Paul) - Montre-moi le ticket, je veux le voir !… Et puis évite toute plaisanterie du style : « Je ne sais plus où je l’ai mis… »
Paul - Le voilà…
Léa - Tu en fais une tête… Je comprends, ce doit être dur de s’en séparer !… Il faudra que l’on en ait tous un exemplaire !… (Elle regarde le ticket et se décompose lentement.)
Clémence - On a gagné ! Je pensais que j’allais m’évanouir, péter un câble… Même pas… (Léa s’effondre. Clémence reste insensible.) La maison pourrait s’effondrer, ça ne ferait rien, je suis d’une sérénité à toute épreuve… Soixante-dix millions !
Adrien - Par quatre…
Clémence - Par trois… On est ensemble…
Paul - Pour le cul, pas pour le fric…
Clémence (à Adrien) - N’est-ce pas ?
Adrien - Certes… Enfin… Nous ne sommes pas mariés…
Clémence - Ta réponse hésitante laisse présager un avenir radieux entre nous…
Adrien - Ce n’est pas ce que je voulais dire…
Clémence - Dis-moi ce que tu veux dire, ça changera.
Paul (pour tenter de changer de conversation) - Léa s’est évanouie.
Clémence - Elle s’en remettra ! (À Adrien.) Alors ?… (Changeant de ton.) Je t’embête ! Je faisais exprès de te taquiner ! Bien sûr chacun sa part, ça évitera bien des problèmes !… Je t’ai bien eu, hein !
Adrien - Disons que… Oui…
Clémence - J’adore quand tu es déstabilisé ! Tu es craquant !… Moi aussi je veux voir le ticket ! Je n’y croirai vraiment que lorsque je lirai moi-même la grille…
Adrien - Moi aussi ! C’est mon côté saint Thomas !
Paul - C’est bien la seule chose que tu aies de sain…
Adrien et Clémence s’approchent de Léa sans lui prêter la moindre attention, la bougeant comme un vulgaire sac.
Clémence - Où est-il ? Maladroite comme elle est, avec un peu de chance, elle est tombée dessus !… Ah ! il est là ! Soulève-la Bichon, elle fait son poids !
Paul - Bichon…
Clémence (retirant le ticket méticuleusement) - Viens voir maman… Allez… Le voilà… Il se faisait désirer le bandit…
Adrien - Je m’achèterai une toile du peintre tchèque, juste pour me dire que j’ai les moyens de m’offrir une tache hors de prix ! Et je m’offrirai le luxe de l’exposer dans mes chiottes, sous réserve que sa vision ne porte pas préjudice à la bonne marche des opérations !
Clémence et Adrien regardent tendrement le ticket, puis leurs visages se crispent.
Clémence - T’as pas fait ça, Paul ! C’est pas vrai ! Dis-moi que je rêve !
Adrien - Que nous rêvons !
Clémence (à Adrien) - Ta gueule ! (À Paul.) Alors ! Parle avant que je m’énerve !
Paul - Je suis désolé…
Clémence - On s’en fout ! Mais encore !!!
Paul - Dix ans à jouer la même combinaison, sans jamais avoir réussi à gagner une seule fois notre mise, alors j’ai craqué, convaincu que cela allait nous porter chance !… J’ai perdu !
Clémence (se ruant sur Paul) - Je vais le tuer !
Adrien - Moi aussi ! (Il se jette sur Paul.)
rideau
Épilogue
Le rideau se lève. Pétrouchka et Paul sont assis l’un en face de l’autre. Pétrouchka faisant dos à la cheminée dans laquelle se trouve Clémence, pendue à la crémaillère. Léa n’a pas bougé. Adrien est sur le canapé, un couteau planté dans le dos. Silence de mort. Pétrouchka et Paul sirotent un alcool.
Paul - Je ne pensais pas que ce serait si simple !
Pétrouchka - À qui le dites-vous ! Je n’ai rien eu à faire !
Paul - Ce n’était pas prévu qu’ils veuillent me tuer à ce point. Et puis ils n’étaient que deux, en fait Léa nous a fait un infarctus… Ça aussi, ce n’était pas prévu.
Pétrouchka - Ça fait beaucoup de choses imprévues.
Paul - Que vous n’avez pas vues !
Pétrouchka (prenant l’accent russe) - Que vous ne m’avez pas demandé de voir.
Paul - C’est sûr !… (Regardant Clémence.) Pour quelqu’un qui n’avait pas encore fait sa pendaison de crémaillère ! (Il ricane.)
Pétrouchka - Vous auriez pu m’en laisser un. Je me serais bien fait Adrien !
Paul - Ne soyez pas chafouin ! Sans vous, je n’y serais jamais arrivé ! Me voilà riche !
Pétrouchka - Nous !
Paul - Nous ?
Pétrouchka - Nous voilà riches !
Paul - Nous !… Bien sûr…
Pétrouchka - Vous avez bien le bon ticket ?
Paul - Bien entendu ! (Montrant celui vu par Léa, Clémence et Adrien.) Celui-là est mortel. J’y pense, vous avez tout de même Léa à votre tableau de chasse, parce que c’est la grille que vous m’avez préconisée qui l’a foudroyée !
Pétrouchka - C’est vrai… Mais cette seconde grille avait pour but de provoquer le clash final ! Je ne l’ai jamais vue comme gagnante.
Paul - Je vous l’accorde… (Sortant l’autre de sa poche.) Celui-ci c’est la fortune ! La renaissance ! Le 16, 45, 17, 30, 11 et les étoiles le 6 et le 9 ! Dix ans qu’on la joue ! Et c’est aujourd’hui qu’elle tombe !
Pétrouchka - Quand je vous disais que vos chiffres dégageaient de bonnes ondes… J’avais bien vu !
Paul - Vous avez été remarquable ! D’ailleurs vous êtes remarquable ! Et le premier qui me dit qu’il ne croit pas en la voyance, j’aurai quelques preuves à lui montrer !
Pétrouchka - À propos de preuves, moi aussi il faut que je le touche ! Je peux ?
Paul - Je vous dois bien ça. (Il le lui tend. Au moment où elle s’apprête à la saisir, il retire son bras.) Ça fait quoi de voir soixante-dix millions passer sous le nez ?… Mais non, je plaisante ! J’adore plaisanter ! (Il lui tend le ticket, qu’elle saisit.)
Pétrouchka - Vos amis ont raison…
Paul - Avaient raison !
Pétrouchka - Oui, avaient raison… Votre humour…
Paul - … dépote ?
Pétrouchka (joignant le geste à la parole, en déchirant le ticket) - Déchire !…
Paul - Qu’est-ce que vous faites ?!
Pétrouchka - De l’humour !… Vous comprenez bien qu’il est hors de question de partager une telle somme. (Sortant une arme de son sac.) Votre naïveté vous perdra. Comment avez-vous pu imaginer un seul instant que je vous laisserais empocher une telle somme ? Vous êtes le premier pour lequel je prends le risque de miser sur un gain au loto ! Heureusement que j’ai une confiance absolue en mes dons et en moi ! Mes autres clients, paix à leurs âmes, avaient des espoirs de s’enrichir plus rationnels ! Héritages, legs, vieille tante alcoolique fortunée, vieux maris en fin de parcours… C’était assez simple ! Une fois leur fortune faite, il y avait toujours ce malheureux accident ! Vous n’avez pas idée comme la voyance inspire la confiance et les confidences… Les espèces et les bons au porteur ont fait ma fortune ! Maintenant c’est l’Euro Millions ! Moi qui n’y jouais jamais… (Sortant son ticket.) Pour une première, j’ai…
Paul - … perdu !
Le propriétaire entre, une arme à la main.
Jacques - Plus un geste ! (Bégayant.) T’es faite comme…
Paul - … un rat !
Pétrouchka (reprenant son accent russe et bégayant pour se moquer) - Encore un pas et je le butte !
Après avoir jeté un regard à Paul qui lui fait signe de la tête de s’avancer, le propriétaire avance. Pétrouchka tire mais aucun coup ne part. À ce moment, Léa se lève et désarme Pétrouchka. Adrien se précipite pour la neutraliser et Clémence éprouve toutes les difficultés à se détacher de la crémaillère.
Clémence - Je t’avais dit de ne pas autant serrer, Paul, je loupe tout !
Paul (au propriétaire) - Tu es arrivé pile-poil, Jacques !
Jacques - Je m’excuse pour tout à l’heure, mais quand mon portable a sonné j’ai cru que c’était le signal, alors je me suis précipité !
Paul - Tu devais décrocher et attendre que je te dise que la télé ne fonctionnait pas !… C’était ça le signal !
Adrien - Tu as bien failli nous mettre dedans !
Paul - N’en parlons plus puisque notre mission est réussie ! (À Pétrouchka.) Tu nous auras donné du fil à retordre ! Côté face, Pétrouchka l’illustre voyante. Côté pile, la Madame Irma du milieu ! Celle qui, à ses heures perdues, use et abuse de ses talents pour manipuler ses plus riches ou futurs plus riches clients… avant d’enfiler sa panoplie de croqueuse d’héritage et de tueuse en série ! Tu aurais dû vérifier que ta dernière victime était bien liquidée, cela lui aurait évité de porter plainte et de nous mettre à tes basques ! Ça fait des mois qu’on mitonne notre flag ! Pour te faire mordre à l’hameçon, il fallait t’appâter avec du gros, du lourd… du pognon ! Énormément de pognon ! L’appât du gain nourrit ton appétit, c’est ta raison d’être, et ce qui paradoxalement t’a fait perdre un peu la raison. Tu n’as pas vu venir l’indigestion ! Le fric, c’est ton point fort et ta faiblesse ! Tu le sens à cent lieues à la ronde ! À toi toute seule tu illustres ce vieil adage… (Il s’arrête, visiblement il ne veut pas citer l’adage.)
Clémence - Lequel ?
Paul - Pour tout te dire, je ne m’en souviens plus…
Clémence - Tu n’es pas crédible sur ce coup-là.
Léa - Alors ?
Paul - C’est un adage… Pas ce que je pense…
Léa - On verra après ! Alors ? Pourquoi Pétrouchka illustre si bien l’adage qui dit… ?
Paul (rapidement, articulant mal) - … si l’argent n’a pas d’odeur, les femmes ont du flair !
Léa - Articule, on n’a rien compris !
Pétrouchka (avec l’accent russe) - Si l’argent n’a pas d’odeur, les femmes ont du flair !
Clémence - On ne relèvera même pas !
Léa - Venant de toi cela ne m’étonne pas, Paul ! Tu as un petit côté macho réac parfois… (À Pétrouchka.) En revanche, s’il y a quelqu’un qui m’étonne, c’est bien toi ! Je ne pensais pas que tu allais mordre à un hameçon aussi gros !
Adrien - Tu me déçois… Parce que là, tout de même !
Clémence - On aurait dû parier !
Paul - On aurait gagné gros ! Une fois t’avoir convaincue de ma profonde naïveté, et persuadée que tes dons de voyances influençaient, voire régentaient le cours de ma vie, il ne restait plus qu’à te ferrer, quelque part au milieu de nulle part ! On n’est pas bien là ? Avec tous ces bons amis dont les histoires sentimentales se chevauchent ! Qui doucement mais sûrement finissent par se haïr ! Ça tu as bien aimé ! Plus on se crêpait le chignon, plus tu te régalais, et plus on endormait ta méfiance !
Adrien - On s’en est donné du mal pour être crédibles !
Pétrouchka - Je ne le crois pas ça ! Vous êtes de la police ?
Paul - Oui et non… Oui quand ça marche, non quand ça capote !
Clémence - Une sorte d’équipe « Mission impossible », spécialisée dans les coups tordus !
Paul (retirant le CD du radio CD) - On s’adapte à notre clientèle ! Tiens, tu pourras t’écouter le tirage en boucle ! (Lui mettant le ticket de loto dans sa poche.) Et méditer cette grille derrière les barreaux !
Léa - Tenez, patron, les munitions…
Paul - Ben oui, à chaque fois qu’elle avait une envie pressante c’était pour vider ton arme…
Léa - Le temps de le trouver, de le décharger, il m’a bien fallu trois gros stress !
Paul - Tu ne m’en voudras pas de t’avoir mise en chômage technique, mais j’ai préféré descendre mon équipe moi-même… (Regardant sa montre.) Ça alors ! Si j’avais voulu le faire, je n’y serais jamais arrivé !
Adrien - À quoi ?
Paul - À voir le tirage !
Léa - Tu ne vas pas me dire…
Paul - Ben si, je vais te le dire… Depuis des semaines que l’on prépare notre coup, j’ai pensé que cela valait bien la peine d’essayer au moins une fois ! J’ai joué les chiffres que m’a conseillé Pétrouchka, pour la seconde grille… (À Léa.) Celle qui t’a foudroyée !
Léa - Je parie vingt euros qu’elle t’a donné la bonne combinaison !
Clémence - Tenu !
Pétrouchka - Vous pourriez parier plus !
Clémence - On est fonctionnaires, nous, pas truands !… Tu suis, Adrien ?
Adrien - Franchement, les paris, ce n’est pas mon truc.
Léa - Tu n’es pas drôle ! Jacques ?
Jacques - Je… je…
Léa - Tu suis ?
Jacques - Oui…
Léa - Paul ?
Paul - Je suis… Adrien. Et puis j’ai déjà validé la grille, ça suffit comme ça ! (À Pétrouchka.) On va voir si tu vois aussi bien quand tu n’as rien à gagner ! (Il allume la télévision qui fonctionne. À Pétrouchka.) Tu as vu, elle marche ! C’est dingue !
La télévision - Le numéro des deux étoiles : le 2 et le 3 ! Je répète le tirage gagnant…
Paul - Il était temps ! (Il jette un œil sur son ticket.) Tiens, j’ai les deux étoiles !
Léa, Adrien et Clémence s’approchent d’un seul homme près de Paul, de façon à voir le ticket qu’il tient. Jacques reste près de Pétrouchka.
La télévision - Le 18, 1, 49, 19, 44. Et les deux étoiles le 2 et le 3 !…
Machinalement, Paul éteint la télévision. Silence.
Léa (prenant le ticket des mains de Paul) - La vache !
Adrien - Je ne le crois pas !
Clémence - Et pourtant !
Paul - Pour une première fois…
Clémence - Tu as bien fait d’écouter Pétrouchka…
Les cinq regardent Pétrouchka.
Pétrouchka (sûre d’elle) - Vous avez gagné ?
Paul - Oui…
Pétrouchka - Vous êtes millionnaires, et c’est tout l’effet que ça vous fait !… Vous êtes vraiment spéciaux dans la police ! (Changeant de ton.) Et ça ne vous gêne pas d’enfermer celle qui vous a permis de faire votre fortune ?
Paul - Presque…
Pétrouchka - Ah !… Je me disais aussi !
Paul (posant le ticket sur les genoux de Pétrouchka) - À cinq chiffres près tu étais la meilleure voyante de la planète ! Seulement les numéros des étoiles ne rapportent rien ! Allez, embarquez-moi cette voyante du dimanche !
Adrien - J’étais sûr qu’elle n’avait rien vu ! La prochaine fois, je tiendrai les paris.
Paul - Ah non ! Les petits paris entre amis, c’est terminé !
rideau
fin