Poisson d’avril

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Paulette et Joseph s’apprêtent à fêter leurs noces d’argent. Chacun prépare une surprise à l’autre. C’est sans compter sur Clémence, mère et belle-mère acariâtre qui parvient, par des révélations douteuses à semer la zizanie dans le ménage…

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Décor (1)

Chez Paulette et JosephUne pièce de séjour comprenant un salon et une salle à manger. Les meubles doivent être modestes mais de bon goût. Sur l’un d’entre eux sera posé un buste de Beethoven, assez grand pour pouvoir supporter le casque de moto de Michel. Côté jardin, une porte suppose l’entrée de la cuisine; une autre porte doit être prévue côté cour. Au fond, une arcade s’ouvre sur le vestibule et on aperçoit la porte d’entrée. N.B. : La porte d’entrée ainsi que l’arcade doivent être assez larges pour permettre le passage d’un fauteuil roulant.

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 ACTE 1

Scène 1

(Joseph – Clémence)

(Le rideau s’ouvre et dévoile Joseph en tenue de pêcheur. Il serre contre lui son épuisette comme s’il tenait une partenaire de danse. La radio diffuse un air de danse connu – tango – et Joseph danse avec son épuisette. Alors qu’il a traversé la scène à plusieurs reprises en dansant d’une manière sophistiquée, Clémence apparaît dans l’encadrement de la porte du fond, en peignoir et en bigoudis. Comme une furie, elle se précipite sur la radio et coupe la musique. Joseph, surpris, s’arrête net.)

Clémence              (de mauvaise humeur) Mais cette fois, vous êtes devenu fou ! Fou à lier même ! Vous allez réveiller toute la maison !

Joseph                   Oh ! Je ne dérange que les flemmards ! Ceux qui aiment rester dans leur lit jusqu’à onze heures ou midi !

Clémence              C’est pour moi que vous dites ça ? Je vous ferais remarquer, mon gendre, qu’il y aura bientôt 70 ans que je me lève tous les jours en même temps que le soleil !

Joseph                   Eh bien ! Certains jours, le soleil se lève bien tard, il me semble ! Enfin, aujourd’hui, vous avez eu un réveil en musique ! Vous ne pourrez plus vous plaindre !

Clémence              Fou à lier, ai-je dit ! Mais vous ne vous rendez sûrement  pas compte du boucan que vous faites ! Bientôt, la police va débarquer dans cette maison !

Joseph                   La police ? Mais elle ne se dérange pas pour si peu ! Et pourquoi pas l’armée et ses hélicoptères, tant que vous y êtes ! Vous n’avez vraiment pas le sens de la mesure, vous savez, belle-maman !

Clémence              Parce que vous, vous l’avez le sens de la mesure, sans doute ?! Laissez-moi rire ! La preuve, il n’y a qu’à vous regarder ! Il n’y a qu’une épuisette qui est assez bête pour se plier à danser avec vous ! Quand je pense que ma fille a été reine du bal en 1961 et encore « Miss Twist » en 1965 et qu’elle a été se marié avec un individu qui est encore plus empoté qu’une brosse de toilettes !

Joseph                   Merci pour la comparaison ! Je reconnais bien là votre goût pour la poésie !

Clémence              Et pour vous le prouver, je vais encore vous dire autre chose ! Vous êtes fainéant comme une couleuvre ! Je n’ai jamais pu deviner ce que m’a fille avait bien pu vous trouver !

Joseph                   Et ça fait bientôt 25 ans que vous cherchez ! Il faut croire que Paulette a été plus habile que vous pour découvrir mes trésors cachés !

Clémence              (qui s’est assise dans un des fauteuils du salon) C’est plutôt le contraire… Elle a été trop cruche pour voir clair…

Joseph                   C’est pourtant bien vous qui avez fait son éducation ! Vous auriez dû lui transmettre votre grande intelligence aussi !

Clémence              Vous retombez toujours sur vos pattes, n’est-ce pas, mon gendre !

Joseph                   Comme les chats que vous affectionnez tant, belle-maman ! Et maintenant, si ça ne vous dérange pas… Levez-vous !

Clémence              Comment ? Vous pensez que ça va se passer comme ça ? Vous pensez que vous allez me donner des ordres ? Vous à moi ? Mais qu’est-ce que vous croyez ! Je vous rappelle qu’ici, c’est moi qui commande !

Joseph                   Oh ! Je ne risque pas de l’oublier ! Vous me le rappelez tous les jours depuis 25 ans !

Clémence              Il faut parfois quelqu’un pour remettre l’église au milieu du village !

Joseph                   Pour le moment, je vous ferai remarquer que l’église est plutôt royalement installée sur ma boîte d’asticots !

Clémence              (qui se lève d’un bond) Quoi ? ! Oh ! Dégoûtant personnage ! Retirez ça sur-le-champ ! Je ne veux plus voir ces immondes bêtes dans mes fauteuils ! Ah ! Ca me rend malade !

Joseph                   Attention, belle-maman ! Si des immondes bêtes ne peuvent plus s’asseoir dans vos fauteuils, vous risquez bien de devoir rester debout toute la soirée pour regarder la télévision !

Clémence              Ca, c’est trop fort ! Vous ne savez que vous moquer des gens ! Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour être traitée de la sorte ? N’avoir qu’une seule fille et l’avoir marié à un bon a rien comme vous qui lui a fait un môme qui ne vaut pas mieux !

Joseph                   Hé doucement, maintenant ! Crachez votre venin sur moi si vous voulez, mais laissez mon garçon en dehors de tout ça ! De toute façon, je me demande bien pourquoi je perds mon temps à vous écouter raconter tous vos boniments alors qu’il y a quelqu’un de beaucoup plus intéressant que vous qui m’attend…

Clémence              (soudain intéressée) Quelqu’un de beaucoup plus intéressant que moi, vous dites ? Je pensais que vous y alliez seul, moi, à la pêche… Pour avoir la tranquillité… sans personne !

Joseph                   (qui semble déjà regretter ce qu’il vient de dire)  Bien… On peut avoir la tranquillité au milieu des autres, vous savez… Du moment que les autres ne vous ressemblent pas !

Clémence              Oh ! Ca doit sûrement être quelqu’un de très important pour qu’un fainéant comme vous fasse l’effort d’être à l’heure !

Joseph                   Ne perdez pas votre temps… Vous ne saurez rien !

Clémence              (à elle-même) On ne pourra pas dire que je n’ai pas essayé, pourtant !

Joseph                   Ça ne vous regarde pas !

Clémence              Mais vous oubliez que vous êtes mon gendre ! Et par respect pour ma fille, je m’intéresse à ce que son vaurien d’homme fait pendant son temps libre ! Alors ? Qui vous attend ?

Joseph                   (hésitant) Euh… C’est… C’est Honoré ! Oui, c’est ça… Bien sûr que c’est Honoré, c’est mon vieux camarade Honoré qui m’attend …

Clémence              Ah ? C’est avec ce soûlard-la que vous allez à la pêche ? Eh bien, je comprends maintenant ! C’est pour ça que depuis cinq semaines que vous y allez, vous n’avez pas encore rapporté ne fût-ce qu’un têtard ! Il est beaucoup plus vigoureux pour ouvrir une bouteille d’alcool que pour tenir une ligne au bord de l’eau !

Joseph                   Et c’est reparti pour un tour ! Je m’en vais ! Je m’en vais avant de devenir méchant ! (Il rassemble prestement ses affaires et se dirige vers le hall.) Vous direz à Paulette que je ne rentrerai pas avant le déjeuner !

Clémence              Enfin, une bonne nouvelle pour commencer la journée ! Tiens, à propos, où est-elle Paulette ?

Joseph                   Elle est partie à la ferme, ici à côté, chercher du beurre et du lait !

Clémence              Tant mieux parce que s’il n’y a pas de beurre pour le petit déjeuner, j’aime encore mieux remonter dans ma chambre et me recoucher !

Joseph                   Ça, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, vous savez !

Clémence              Oh, vous ! Allez jouer ailleurs et foutez-moi la paix !

Joseph                   (moqueur) Mais avec plaisir, belle-maman. A tout l’heure, belle-maman ! Je ne vous embrasse pas parce que je n’ai pas le temps…

Clémence              Allez au diable, mal élevé !

(Joseph sort en riant.)

Scène 2

(Clémence - Paulette)

Clémence              (jetant un coup d’œil dans la cuisine) Ah ! Elle a fait du café… C’est déjà ça ! (En revenant vers la table, elle aperçoit le casque posé sur le buste de Beethoven et l’enlève nerveusement.) Ça, c’est bien le fils de son père ! Bon-à-rien et désordonné ! Heureusement que mon pauvre mari n’est plus là pour voir ça !

(Tandis qu’elle se lamente, Paulette fait son entrée dans la pièce.)

Paulette                 (surprise) Tiens, tu es déjà debout, maman ?

Clémence              (vexée) Oui ! Pourquoi ? Ça dérange quelqu’un ?

Paulette                 Bien sûr que non. C’est qu’on n’a pas l’habitude de te voir debout avant dix heures…

Clémence              Tu vas t’y mettre, toi aussi ?! C’est mon droit, me semble-t-il ! J’ai travaillé toute ma vie, moi ! Et maintenant, j’ai bien le droit de me reposer !

Paulette                 Oh ! Mais je ne voulais pas te blesser, maman ! Je disais ça comme ça…

Clémence              Eh bien, la prochaine fois, tu tourneras ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler ! Et au lieu de raconter des bêtises, tu ferais mieux de mettre la table ! Et en vitesse encore !

Paulette                 Il me semble que tu es bien pressée, ce matin ?

Clémence              Maintenant qu’on m’a extirpée de mon lit, je vais en profiter pour aller faire un petit tour sur le marché… Ça m’occupera !

Paulette                 Ca, c’est une bonne idée… Tiens, je vais me changer et comme ça je pourrai aller avec toi …

Clémence              Ah non, non ! Toi, tu restes ici ! Tu as une tonne de repassage à faire !

Paulette                 Ça ne fait rien, maman… Je ferai ça demain…

Clémence              Arrête de remettre à demain ce que tu peux faire aujourd’hui ! Quand on a quelque chose à faire, on le fait ! Et de toute façon, ça te fera du bien ! Tu commences à avoir l’habitude de tout laisser aller ici !

Paulette                 (déçue) Tu as sûrement raison après tout !

Clémence              J’ai toujours raison ! Tu le sais très bien ! Et maintenant, dépêches-toi un peu, j’ai faim et si ça continue, je ne serai pas prête quand l’autobus viendra me chercher !

Paulette                 (amusée) Dis, maman… un autobus, ce n’est pas un taxi, tu sais : c’est toi qui le prends, ce n’est pas lui qui vient te chercher…

Clémence              (avec suffisance) Quand c’est un autobus ordinaire qui prend des personnes ordinaires, je ne dis pas…

Paulette                 Qu’est-ce que c’est que ça pour une histoire ?

Clémence              Dison plutôt que quand c’est Léon qui conduit l’autobus, je suis une privilégiée, comme on dit…

Paulette                 Léon ? Mais il n’a jamais pu te supporter ? Qu’est-ce qui l’a rendu si serviable avec toi subitement ?

Clémence              C’est un arrangement que nous avons pris tous les deux !

Paulette                 Un arrangement ? Mais quel arrangement ? Tu m‘inquiètes, maman…

Clémence              Disons que c’est une affaire privée …

Paulette                 Maintenant, tu ne m’inquiètes plus… tu me fais peur !

Clémence              Oh ! Tu en fais des chichis pour un petit service que Léon veut bien me rendre !

Paulette                 C’est que je sais trop bien de quoi tu es capable pour qu’on te rende un petit service, justement…

Clémence              Alors comme ça, c’est Léon qui se comporte comme une fripouille et c’est moi qui passe pour une mauvaise personne !

Paulette                 ll t’a fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? Il a été incorrect avec toi ?

Clémence              C’est-à-dire que la dernière fois que j’ai pris l’autobus, il m’a secouée dans tous les sens ! Je lui ai fait remarquer, bien gentiment, comme d’habitude… Tu me connais, n’est-ce pas… Et il m’a répondu comme à un chien ! Comme nous n’étions que nous deux dans l’autobus, je lui ai dit ses quatre vérités !

Paulette                 Qu’est-ce que tu as été lui raconté, maman ?

Clémence              Qu’il trompe sa femme depuis des mois !

Paulette                 (surprise) Ce n’est pas possible !

Clémence              Comme je te le dis ! Tu ne le savais pas ? Je peux même te dire qu’il l’a trompe avec Marie, la femme de Charles !

Paulette                 Je suis stupéfaite ! Si jamais sa femme venait à le savoir, ça lui ferait un choc ! Elle qui tient à lui comme à la prunelle de ses yeux !

Clémence              C’est bien ce que je lui ai dit !

Paulette                 Ça la rendrait tellement malheureuse…

Clémence              Oh ! Malheureuse, malheureuse… Elle n’avait qu’à ouvrir les yeux ! Si elle n’avait pas été aussi stupide !

Paulette                 Si je comprends bien, tu as menacé Léon de tout raconter à sa femme ?

Clémence              Il l’avait bien mérité !

Paulette                 Tu sais comment on appelle ça, maman ? Du chantage !

Clémence              Oh ! Tout de suite les grands mots !

Paulette                 On n’appelle pas ça autrement, tu sais !

Clémence              Ça lui apprendra à être aimable avec moi !

Paulette                 Moi, à ta place, je ne serais pas très fière d’avoir fait ça.

Clémence              Mais tu n’es pas à ma place, justement ! Et maintenant, si ça ne te dérange pas trop, j’aimerais manger…

Paulette                 Oui, maman, je vais te servir… tout de suite… Mais permets-moi de te dire que je ne t’approuve pas ! (Elle entame sa série de va-et-vient entre la cuisine et la salle à manger afin de dresser la table.)

Clémence              En attendant, quand il a compris qu’il avait tout intérêt à m’être agréable, il a filé doux ! C’est alors qu’il m’a proposé de venir me chercher ici quand il le fallait.

Paulette                 Enfin… On ne te changera pas, maman ! (Elle a terminé de dresser la table et Clémence commence à se beurrer une tartine.) Dis, maman, est-ce que je pourrais te demander de me rapporter quelques commissions du marché ?

Clémence              (contrariée) S’il le faut, pourquoi pas…

Paulette                 Je vais te faire une petite liste d’abord… (Elle prend un papier et un crayon dans un tiroir et va dresser sa liste.)

Clémence              Tu as oublié la confiture !

Paulette                 (qui se lève immédiatement et va vers la cuisine) Oui, tu as raison. Excuse-moi… (Elle dépose le pot sur la table et reprend sa liste.)

Clémence              Il n’y a plus de sucre ?

Paulette                 (s’interrompt encore une fois et se lève vivement) Si, bien sûr… Il est ici, dans l’armoire. (Elle donne le sucrier à sa mère et termine sa liste tandis que Clémence déjeune.)

Clémence              Je ne sais pas où tu as la tête en ce moment mais tu oublies tout ! Heureusement que je suis là pour veiller au grain !

Paulette                 Voilà, ma liste est faite.

Clémence              Lis un peu, pour voir…

Paulette                 Ah…  Il me faudrait… un kilo de pommes…

Clémence              Ah non ! Pas de pommes ! Tu sais très bien que ça me donne mal à l’estomac !

Paulette                 Bon… pas de pommes alors… Un kilo d’oranges…

Clémence              Des oranges ? Maintenant ? Elles n’ont pas de goût !

Paulette                 Ah ?... Je barre les oranges aussi alors… Des bananes…

Clémence              Comment ? Tu vas manger des bananes ? Toi qui es toujours en train de dire que tu fais attention à ta ligne… Ce n’est pas fort malin de manger des bananes !

Paulette                 (énervée) Bon ! Pas de bananes non plus alors ! (Elle barre les bananes d’un geste rageur.)

Clémence              C’est tout ?

Paulette                 J’aurais besoin de thym et de laurier…

Clémence              Pas de problème !

Paulette                 Merci, maman !

Clémence              Il n’y a pas de quoi, ma fille… Tu sais bien que quand je peux te faire plaisir, je n’hésite pas ! Bon… maintenant je vais me changer. Je te laisse desservir… Je ne voudrais pas faire attendre Léon !

Paulette                 (avec ironie) Ta bonté te perdra, maman !

(Clémence quitte la pièce et Paulette commence à débarrasser la table. Tandis qu’elle se trouve à la cuisine, un jeune homme fait son entrée. Il est vêtu assez comiquement d’un pyjama et de grosses bottes de moto.)

Scène 3

(Paulette - Michel)

Paulette                 (revenant, surprise en le voyant) Déjà levé, Michel ? Le bon dieu avait un miracle à faire aujourd’hui ?

Michel                    C’est plutôt le diable qui faisait tellement de bruit dans la chambre d’à côté qu’il aurait fallu que je sois sourd comme un pot pour continuer à dormir !

Paulette                 C’est Bonne-maman qui se change pour aller au marché…

Michel                    C’est bien ce que je disais : le diable !

Paulette                 Michel ! N’oublie pas que tu parles de ta grand-mère ! (Elle remarque ses bottes et s’étonne.) Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ?

Michel                    Oh… Hier soir, je n’ai pas trouvé mes pantoufles… Comme je ne voulais pas déranger en allumant, j’ai gardé mes bottes ! Je n’allais tout de même pas marcher pieds nus…

Paulette                 C’était hier soir ou… ce matin ?

Michel                    Plutôt ce matin…

Paulette                 Tu as de la chance que ton père ne t’ait pas entendu rentrer.

Michel                    A propos… il est là papa ?

Paulette                 Non, il est parti à la pêche…

Michel                    Encore ? Il devient un obsédé de la pêche !

Paulette                 Plutôt un obstiné parce que jusqu’à présent, on ne peut pas l’accuser d’avoir vidé l’étang des 4 chemins !

(Ils rient et Michel prend place à la table.)

Paulette                 Tu veux déjeuner maintenant ?

Michel                    Oh… en cherchant bien, j’aurais bien un petit creux !

Paulette                 Bon… je remets la table alors… Tu étais de sortie avec ton copain Fabrice ?

Michel                    Oui… lui et deux trois autres…

Paulette                 Il y avait des filles ? Combien ?  Elles étaient jolies ?

Michel                    Oh, maman ! Ne commence pas encore ! Tu devrais ouvrir une agence matrimoniale !

Paulette                 C’est juste que je m’intéresse à tes fréquentations, c’est tout !

Michel                    C’est ça ! Chaque fois que je rentre aux petites heures, j’ai droit à un interrogatoire digne de la police ! « Est-ce qu’il y avait des filles ? Elles étaient jolies ? Est-ce que la fille de madame Machin était là ? Est-ce que c’est une gentille fille ? Et patati et patata… »

Paulette                 C’est tout de même normal pour une maman de s’intéresser aux gens que son fils rencontre, non ?

Michel                    Peut-être ! Mais ce n’est pas normal d’être passé aux rayons X après chaque sortie !

Paulette                 C’est bon ! Je ne demanderai plus rien !

Michel                    Ce serait trop beau !

Paulette                 Tu n’es pas gentil avec moi !

Michel                    Enfin maman ! Tu sais bien que je ne voudrais jamais te faire de peine mais j’ai 23 ans, tu sais, et tu me traites toujours comme si j’étais un gamin !

Paulette                 Mais pour moi, tu es toujours mon petit garçon…

Michel                    Et c’est reparti !

Paulette                 Je voudrais tellement que tu rencontres une gentille fille …

Michel                    Et je la marierais et nous aurions un tas d’enfants… Tu me l’as déjà dit plus de cent fois ! Tu ne vas pas devenir casse-pieds comme ta mère, non ?

(Clémence entre à ce moment-là. Elle est vêtue avec une certaine élégance et porte un petit sac à main.)

Scène 4

(Paulette – Michel – Clémence)

Clémence             (avisant Michel) Déjà dans les pieds des gens ?

Michel                   Grâce à toi, Bonne-maman ! Tu as été si discrète pour te préparer !

Paulette                Dis maman, tu crois que ton sac n’est pas trop petit pour ramener les courses du marché ?

Michel                   Un sac à main, c’est bien suffisant pour ramener les cancans du village, tu sais maman !

Clémence             Tais-toi ! Mal élevé !

Michel                   Ah ! C’est toi qui as fait toute mon éducation, Bonne-maman !

Clémence             Tu as de la chance que je n’aie pas le temps sinon… (Elle lève son sac, prête à frapper.)

Paulette                 Dépêche-toi, maman… Tu vas rater Léon !

Clémence              (qui s’est ravisée) C’est vrai ! Nous réglerons nos comptes plus tard, mon ami ! (Elle se dirige vers la sortie et se retourne une dernière fois vers Paulette.) Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ?

Paulette                 En principe… du poisson !

Clémence              Ca va, j’ai compris… Je m’achèterai un beefsteak parce que, si c’est comme d’habitude, on finira par manger des œufs pour dîner !

Paulette                 Comme tu veux, maman !

(On entend un coup de sonnette ; Clémence s’arrête net. Au bout d’un court instant, elle invective Paulette.)

Clémence              Eh bien quoi ? Qu’est-ce que tu attends pour aller ouvrir ?

(Paulette s’exécute vivement et introduit un agent de police.)

Scène 5

(Paulette – Michel – Clémence – Jacques)

Paulette                 Et bien Jacques ! En voilà une surprise ?

Jacques                 Bonjour Paulette, comment ça va ? (Il aperçoit Clémence.) Tiens… déjà levée, madame Clémence ?

Clémence              (énervée) Mais c’est un complot ?! Oui, je suis déjà levée et si ça ne vous plaît pas, on ne vous retient pas ! Enfin, de toutes façons, moi je m’en vais ! (Elle sort, l’air hautain.)

Scène 6

(Paulette – Michel – Jacques)

Jacques                 Et bien,  votre maman est encore de bonne humeur ce matin...

Paulette                 Je pense qu’elle s’est levée du pied gauche aujourd’hui...

Jacques                 Paulette... J’ai dans l’idée que votre maman est venue au monde avec deux pieds gauches ?!

Michel                    Ah ça ! On peut dire que vous voyez clair, monsieur l’agent...

Paulette                 Tais-toi, Michel ! Va t’habiller plutôt que de raconter des bêtises... On ne traîne pas ainsi en pyjama !

(Michel se lève et Jacques découvre ses bottes.)

Jacques                 Ouh... Je vois que c’est un pyjama de choc !

Michel                    (un peu gêné) Euh... oui... je vais me changer... Mais avant ça, je voudrais lire le journal ! (Il s’assied dans le fauteuil et commence à lire le journal.)

Paulette                 Mais... asseyez-vous, Jacques ! Vous voulez une tasse de café ? Il est tout nouveau.

Jacques                 Je veux bien, Paulette ! Je n’ai pas eu le temps de prendre mon petit déjeuner et mon estomac commence à rouspéter !

Paulette                 Ah mais si vous voulez manger quelque chose, ne vous gênez pas ! Vous voyez bien que la table est toujours mise, Michel vient juste de terminer de manger...

Jacques                 Non merci, Paulette ! C’est bien gentil mais je n’ai pas le temps, j’ai beaucoup de travail qui m’attend.

Paulette                 Comme vous voulez Jacques mais... je vais ajouter un petit biscuit au café alors ! (Elle va à la cuisine et revient avec tasse, sous-tasse et biscuits. Elle les dépose sur un coin de table.)

Jacques                 Merci Paulette ! Vous êtes vraiment gentille ! C’est à se demander si vous êtes vraiment la fille de votre mère...

Paulette                 Ne soyez pas trop dure avec elle, Jacques. Sa vie n’a pas toujours été facile, vous savez...

Jacques                 Depuis que je la connais, elle mène une vie de patachon ici !

Paulette                 Oui mais avant cela, elle a connu bien des malheurs... Sa maman est morte et son père buvait du matin au soir...

Jacques                 Ah oui, ça c’est bien vrai !

Paulette                 Vous avez bien connu mon grand-père ?

Jacques                 Non... mais j’ai toujours pensé qu’il fallait boire comme un trou de terre pour avoir l’idée d’appeler votre maman «  Clémence » ! C’est plutôt « Calamité » ou « Fléau » qu’il aurait choisi s’il avait eu les idées claires !

Paulette                 Je m’en doutais ! Vous n’êtes pas sérieux deus minutes, Jacques !

Jacques                 Pourtant je suis ici pour une affaire sérieuse, fort sérieuse même !

Paulette                 Michel a encore ramassé un procès avec sa moto, bien sûr ?

(Michel sort la tête de derrière le journal et fait un signe de dénégation.)

Jacques                 Non, pas cette fois...

Paulette                 Quoi ? Joseph n’aurait pas de permis de pêche ?

Jacques                 Ah ça, je ne sais pas... Dans tous les cas, ce n’est pas pour ça non plus...

Paulette                 Mon dieu ! Est-ce que j’aurais oublié de payer le boulanger ce mois-ci ?

Jacques                 Rassurez-vous, Paulette, vous n’avez pas d’ardoise. C’est à cause de votre maman que je suis là...

Paulette                 Maman ?! Mais, c’est la première fois qu’elle quitte la maison aujourd’hui... Pendant tout l’hiver, elle n’a pas dépassé le bout du jardin !

Jacques                 Justement ! C’est une affaire qui s’est passée dans le jardin qui m’amène...

Paulette                 Comment ça ?

Jacques                 Oui... C’est une affaire qui s’est passée entre votre maman, son chat et... le chien de la voisine.

Michel                    Si j’ai bien compris, c’est une histoire de bêtes quoi !

Paulette                 Elle m’a bien dit qu’elle avait eu une altercation avec la voisine mais...

Jacques                 Vous a-t-elle dit qu’elle avait été mordue ?

Paulette                 Mordue !? Oh, mon dieu, ma pauvre maman ! Non, elle ne m’a rien dit... Elle ne voulait pas que je me tracasse bien sûr ! Mais j’espère bien que vous allez faire quelque chose contre cette bique de chien, Jacques ?

Jacques                 Mais ce n’est pas le chien qui a mordu votre maman, Paulette... C’est votre maman qui a mordu la voisine !

(Michel s’esclaffe dans son fauteuil.)

Paulette                 Mais ce n’est pas possible ! Qu’est-ce qui lui a pris ?

Jacques                 Ah ça, je n’en sais rien ! Elle a eu un différent avec la voisine parce que le chien avait voulu attraper le chat de votre maman, le ton a monté et votre maman a fini par mordre la main de la voisine !

Paulette                 Vous ne pensez pas que la voisine exagère ?

Jacques                 Ah pour ça, non ! Nous avons un témoin : le vieil Auguste Piron qui repiquait des poireaux dans son jardin. Et puis... je reviens de chez la voisine, j’ai vu sa main et... on peut dire que votre maman a encore un bon coup de dent !

Michel                    (très amusé) Dites, monsieur l’agent… il faudrait prévenir la voisine, n’est-ce pas...

Jacques                 C’est inutile puisque c’est elle qui a porté plainte !

Michel                    Il faut lui dire que Bonne-maman n’est pas vaccinée contre la rage !

Paulette                 (fâchée) C’est bien le moment de rire, grand benêt !

Jacques                 Voilà ! Je vous remets la convocation pour votre maman, elle doit se présenter au commissariat demain matin.

Paulette                 Vous auriez dû lui expliquer ça tout à l’heure, avant qu’elle ne parte !

Jacques                 Ah non ! Ca jamais ! Si je suis venu aussi tôt, c’est parce que j’espérais que votre mère serait toujours au lit ! Si j’avais pensé la rencontrer, j’aurais prévu ma tenue de combat : casque et bouclier !

Michel                    Vous avez raison ! On ne sait jamais... maintenant qu’elle connaît le goût du sang ! (Il rit toujours et communique sa bonne humeur au policier qui rit bruyamment.)

Paulette                 (en colère) Facile de rire, maintenant que vous avez trouvé une victime pour faire le sale boulot à votre place ! Et moi, je n’ai ni casque ni bouclier pour lui annoncer la bonne nouvelle !

Michel                    Ne t’inquiète pas maman ! Pour le casque, j’ai ce qu’il faut et... je cours jusqu’au « Beau Toutou » pour acheter une muselière pour Bonne-maman !

Jacques                 Vous avez là un garçon qui sait rire, Paulette ! C’est un plaisir de le rencontrer !

Paulette                 Surtout quand c’est pour rire des autres !

Jacques                 Bon, je m’en vais, j’ai du travail qui m’attend... Allez ! Au revoir jeune homme ! Bonne journée Paulette et surtout... bon courage !

(Il se dirige vers la sortie puis, jetant un œil par la fenêtre, s’adresse, étonné, à Paulette.)

Jacques                 Dites Paulette... Quelqu’un serait mort dans le quartier ?

Paulette                 Ah non... Enfin... je ne suis pas au courant… Pourquoi ?

Jacques                 Parce qu’il y a un corbillard qui vient de stationner juste en face d’ici.

Michel                    Ah ça ? Ce n’est rien... c’est le fiancé de Bonne-maman !

Jacques                 Votre grand-mère a un fiancé ? En voilà une nouvelle ! Il y en a qui n’ont vraiment peur de rien !

Paulette                 Mais non ! C’est encore Michel qui raconte n’importe quoi !

Jacques                 Ah... il descend de la voiture... il vient par ici ! (Il retourne prestement à la table.) Je reste ! JE ne veux pas manquer un phénomène pareil !

Paulette                 Je croyais que vous aviez beaucoup de travail ?!

Jacques                 Ce n’est pas grave ! Ca attendra... comme d’habitude !

Scène 7

(Paulette – Michel – Jacques – Félicien)

(Félicien frappe discrètement et entre dans la pièce ; il porte un uniforme des pompes funèbres et dissimule maladroitement un encombrant colis.)

Félicien                  (qui a un énorme cheveu sur la langue) Bonjour Paulette, bonjour Michel et encore bonjour monsieur l’agent... Je me suis permis d’entrer parce que la porte était ouverte... (Il semble très timide et très mal à l’aise.)

Paulette                 Vous avez bien fait, Félicien ! Asseyez-vous près nous... Comment ça va ?

Félicien                  Ca va… Ca va… (Il reste planté au même endroit avec embarras.)

Paulette                 (insistant) Asseyez-vous ! Est-ce que je peux vous offrir quelque chose ?

Félicien                  (qui s’assied difficilement à cause de son colis qu’il pose sur ses genoux, dissimulant complètement son visage) Oh... une petite tasse de café, je veux bien... Si vous en avez et si ça ne vous dérange pas, n’est-ce pas, Paulette ?

Paulette                 Mais c’est avec plaisir, Félicien. (Elle va à la cuisine, chercher une tasse. Lorsqu’elle l’a servie, elle s’assied à la table.)

(Personne ne parle, le silence est un peu embarrassant.)

Félicien                  (se jetant à l’eau) Votre maman n’est pas encore debout, Paulette ?

Michel                    Ah... Voilà pourquoi vous êtes la ! C’est le baiser du Prince Charmant qui éveillera la Belle au Bois Dormant...

Paulette                 Tais-toi, Michel ! C’est honteux ! Et c’est la dernière fois que je te dis d’aller t’habiller !

Michel                    Oui, oui... j’y vais ! Surtout que le « Beau Toutou » ferme à midi ! (Il quitte la pièce en riant.)

Scène 8

(Paulette –  Jacques – Félicien)

Félicien                  Au « Beau Toutou » ? Vous avez un chien, Paulette ?

Paulette                 Non, non... Ne faites pas attention à ce que dit Michel.

Félicien                  Ah, tant mieux ! Parce que je sais que votre maman n’aime pas beaucoup les chiens.

Jacques                 Ah ? Il me semble pourtant qu’elle a des points communs avec eux !

Paulette                 (perfide) Jacques... je vous offrirais bien une autre tasse de café mais... je sais que vous n’avez pas le temps...

Jacques                 Oh, ça ne fait rien ! Vous pouvez franchement m’en servir une autre… Je mettrai le turbo quand je rentrerai au bureau...

(Paulette lui ressert rageusement une tasse.)

Jacques                 (s’adressant à Félicien) Ca fait qu’ainsi, vous venez voir madame Clémence ?

Félicien                  Et bien... c’est-à-dire que... j’aimerais bien, oui. Mais si elle dort encore, je repasserai tout à l’heure...

Paulette                 Il y a bien longtemps qu’elle est debout, elle est partie au marché !

Jacques                 Vous l’avez ratée d’une demi-heure !

Félicien                  Oh... ça, c’est pas de chance !

Jacques                 Si on veut !!

Félicien                  Mais j’y pense... C’est la première fois que vois la police ici…Rien de grave, j’espère ?

Jacques                 Non… C’est juste que votre dulcinée a quelques problèmes avec ses voisins !

Paulette                 Bravo pour la discrétion, Jacques ! Et le secret professionnel ?!

Jacques                 Quel secret professionnel ? Avant d’arriver au bureau de police, l’affaire avait déjà fait le tour du village !

Paulette                 J’aurais tout de même préféré expliquer moi-même ce qui était arrivé à Félicien !

Félicien                  (alarmé) Mais que se passe-t-il ? Il est arrivé quelque chose à votre maman ?

Paulette                 Non... ne vous en faites pas. A elle, il n’est rien arrivé.

Félicien                  Tant mieux ! Parce que... si on lui fait du mal, je ne réponds plus de moi !

Jacques                 Du calme, du calme, Don Juan ! Gardez vos forces ! Si vous voulez passer toute une vie avec madame Clémence, vous en aurez besoin ! Bon... je m’en vais... Je vous laisse « en famille » !

Paulette                 C’est ça... Je vous laisse aller, vous connaissez le chemin, n’est-ce pas ?

Jacques                 Oui, ne vous en faites pas. (Il se dirige vers la porte, l’entrouvre puis se retourne vers Paulette.) Paulette ! Je vois une grosse voiture noire qui est mal garée... Je sens que je vais lui coller un petit PV...

Félicien                  (qui se lève d’un bond) Excusez-moi, monsieur l’agent ! C’est ma voiture mais je pensais ne faire qu’entrer et sortir... Je m’en vais... Je m’en vais tout de suite ! (Et il se précipite vers la sortie, son encombrant colis toujours dans ses mains.)

Jacques                 (qui s’amuse beaucoup) Pas d’affolement, monsieur Félicien ! Je plaisantais ! Terminez tranquillement votre café... Au revoir Paulette… Et... comme on a dit, n’est-ce pas ?

Paulette                 C’est ça... au revoir !

(Jacques sort en riant.)

Scène 9

(Paulette –  Félicien)

Félicien                  Tout de même ! C’est quelque chose qui ne se fait pas !

Paulette                 De quoi parlez-vous, Félicien ?

Félicien                  Un agent de police qui fait des plaisanteries ! C’est comme si moi, je chantais toute la journée en faisant mon travail… Ce ne serait pas sérieux !

Paulette                 Notre agent de quartier a toujours été un joyeux plaisantin !

Félicien                  C’est possible... mais il y a des choses dont on ne peut pas rire !

Paulette                 Est-ce que je peux vous débarrasser de votre colis ?

Félicien                  Oh ! Si je pouvais le déposer quelque part... C’est un petit cadeau pour votre maman !

(Paulette prend le paquet et le dépose sur la table du salon.)

Félicien                  Vous pouvez y jeter un coup d’œil, Paulette ! Ainsi, vous me donnerez votre avis...

Paulette                 Vous croyez ?

Félicien                  Oui, oui... Allez... Vous pouvez le déballer !

(Paulette s’exécute et découvre une énorme potée de chrysanthèmes.)

Paulette                 Mon dieu, seigneur !

Félicien                  Vous pensez que ça pourrait plaire à votre maman ?

Paulette                 Pourquoi pas ? Elle dit toujours qu’elle n’aime pas ce que tout le monde a...

Félicien                  Vous pensez qu’il faut que je laisse ma carte dans les fleurs ?

Paulette                 Non... non... Je pense qu’elle devinera tout de suite de qui ça vient...

(A ce moment, entre Michel, vêtu de la parfaite tenue du motard. Il va prendre son casque quand il tombe en arrêt devant les fleurs.)

 

Scène 10

(Paulette –  Félicien – Michel)

Michel                    Je n’ai jamais été fort calé dans les dates mais il me semble que la Toussaint c’est en novembre !

Paulette                 (vivement) C’est un cadeau de Félicien pour Bonne-maman !

Michel                    Eh bien ! On peut dire qu’entre eux, c’est « à la vie, à la mort » !!

Paulette                 N’en remets pas plus qu’il n’en faut, Michel !

Michel                    Pas de soucis ! Je m’en vais...

Paulette                 Où ça ?

Michel                    Chez mon copain Fabrice. J’ai un problème avec mon ordinateur...

Paulette                 Ne traîne pas, tu dois être rentré pour le déjeuner ! Et ne roule pas trop vite !

Michel                    Si je comprends bien, je dois faire vite en allant lentement...

Paulette                 C’est ça ! Ne te fiche pas encore de moi !

(Michel sort en riant.)

Scène 11

(Paulette –  Félicien)

Félicien                  Quelle histoire avec les jeunes ! Toujours prêts à se moquer des plus vieux...

Paulette                 Bah !... Michel n’est pas méchant... Au contraire, c’est un brave garçon. S’il n’y avait que des pareils à lui, le monde tournerait autrement...

Félicien                  En parlant du monde, vous voudrez bien prévenir votre maman que Gaston Bouillette est mort...

Paulette                 Je lui dirai... Mais, qui est-ce ? C’est un nom qui ne me dit rien...

Félicien                  Ah oui, c’est vrai ! J’aurais dû vous donner son sobriquet... « Le gros ».

Paulette                 Ah, c’est lui qui est mort ? Un homme si gentil... C’est bizarre qu’on lui ait toujours donné ce surnom !

Félicien                  Que voulez-vous ? C’est vrai qu’il était gros... Et encore, il a eu de la chance : il louchait ! Un œil sur l’église, un autre sur le café d’en face... On aurait pu le surnommer « Le gros bigleux » !

Paulette                 C’est vrai ! Quelle difficulté de trouver un surnom à quelqu’un qui cumule les particularités ! C’est si simple quand il n’a qu’un seul défaut et qu’il saute aux yeux !

Scène 12

(Paulette –  Félicien – Michel)

Michel                    (qui est entré sur la dernière tirade et qui imite le défaut de prononciation de Félicien) … Ou aux oreilles !!

Paulette                 Tu es toujours là, toi !?

Michel                    Oui ! Ma moto ne veut pas démarrer !

Paulette                 Encore en panne ?

Michel                    On dirait bien ! Je vais chercher quelques outils dans le garage et je m’occupe de ça !

Paulette                 Ah non ! Tu sais très bien que ton père ne veut pas qu’on mette les mains sur ses outils !

Michel                    Ben tiens ! On me répète tous les jours que je ne suis pas très courageux mais, quand je veux me mettre au travail, on me lie les mains !

Paulette                 Tu attendras qu’il rentre ! Ce n’est pas si urgent de voir ton copain Fabrice !

Michel                    (qui a l’air très ennuyé) Non mais...

Félicien                  Si je peux me permettre... Pour l’instant je n’ai pas le temps de vous conduire au village mais, d’ici un petit quart d’heure, je peux passer vous prendre si vous voulez...

Paulette                 Il ne faut pas vous déranger pour lui, Félicien.

Félicien                  Ca ne me dérange pas, au contraire !

Michel                    C’est gentil, monsieur Félicien…

Félicien                  Bon... j’y vais maintenant... A tout à l’heure donc ! (Prêt à sortir.) Paulette... N’oubliez pas de faire la commission à votre maman, concernant Gaston Bouillette...

Paulette                 Je n’oublierai pas mais je ne pense pas que ca l’intéresse vraiment...

Félicien                  Ah mais si ! Vous savez que votre maman ne manque pas un enterrement... Elle tient toujours à être l) quand les gens sont dans le malheur et dans la peine !

Michel                    Un vrai témoin de Jéhovah !

Félicien                  Ce n’est pas très gentil ce que vous dites là, jeune homme ! C’est sa gentillesse et ses mots de consolation que votre Bonne-maman apporte à ces gens dans la peine.

Michel                    Dites plutôt qu’elle est attirée par les cancans et les odeurs d’héritage !

Paulette                 Michel ! Laisse Félicien tranquille !

Félicien                  (gêné) C’est en la voyant à tous les enterrements que j’ai fait sa connaissance... Elle a fait entrer la lumière et la chaleur dans ma vie !

Michel                    Voilà qu’il prend ma grand-mère pour EDF maintenant !

Félicien                  J’y vais ! Inutile de perdre mon temps à discuter avec vous, jeune homme ! Vous êtes bien trop jeune pour comprendre et surtout, vous n’avez pas d’expérience en amour ! Nous reparlerons de cela plus tard, quand vous saurez ce que c’est...

Paulette                 Beaucoup plus tard qu’il n’est alors ! Parce que, l’amour, il n’est pas très pressé de le rencontrer !

Michel                    « Retour à la case départ » !

Paulette                 « Et sans toucher les 100 euros » ! Tu ne les mérites pas, canaille !

Félicien                  Cette fois, je ne le dis plus, j’y vais ! Je reviendrai dans un quart d’heure !

Paulette                 Encore merci, Félicien...

Félicien                  Oh, mais de rien ! A tout à l’heure ! (Et il sort.)

Scène 13

(Paulette –  Michel)

Michel                    Bon ! En attendant qu’il revienne, je vais donner un petit coup de cirage sur mes bottes !

Paulette                 Ca ne sera pas du luxe !

(Michel va dans le hall et revient avec le nécessaire pour cirer ses bottes. Il s’assied dans un fauteuil et commence son travail sans enlever ses bottes.)

Paulette                 Quelle technique !

Michel                    Ca va plus vite ainsi !

(Paulette est allée à la cuisine et revient avec des pois. Elle s’assied à la table et commence à les écosser.)

Paulette                 J’espère que tu apprécies la gentillesse de Félicien… Lui qui a tant à faire sur sa journée.

Michel                    L’amour lui donne des ailes !

Paulette                 Ne te moque pas de lui !

Michel                    Je ne peux pas prendre au sérieux un homme qui est fou de Bonne-maman !

Paulette                 Que veux-tu... Il la voit comme personne d’autre ne la voit...

Michel                    Dis plutôt qu’il porte des lunettes de bois !

Paulette                 De toute façon, ça ne nous regarde pas ! Ils sont assez vieux pour savoir ce qu’ils font tous les deux.

Michel                    Ceci dit, ça m’arrangerait que Bonne-maman l’aime aussi...

Paulette                 Ah bon ?

Michel                    Mais oui !... Imagine : ils se marient, partent en voyage de noces à Venise et… avec un peu de chance, l’avion est détourné, la gondole coule et… adieu Bonne-maman !

Paulette                 (outrée) Quelle horreur !

Michel                    Je plaisante, maman ! Mais avoue quand même que, certains jours, on a envie de la jeter par la fenêtre ! A cause d’elle, c’est l’enfer ici, pour papa et toi…

Paulette                 Elle n’est pas toujours aimable, c’est vrai mais…

Michel                    Elle mange mon pauvre papa à toutes les sauces ! Elle le traite de mal élevé, de fainéant... Alors qu’il est la gentillesse incarnée !

Paulette                 C’est tellement vrai qu’il est gentil. Je l’aime comme au premier jour…

Michel                    Et lui aussi, j’en suis certain. Qu’as-tu déjà prévu pour fêter vos 25 ans de mariage ? La date approche…

Paulette                 Je sais ! Je ne pense plus qu’à ça… Pour des noces d’argent, je me disais qu’une belle montre ferait un chouette cadeau. Qu’en penses-tu ?

Michel                    Pas mal mais… pas très original.

Paulette                 Ou alors… un petit voyage ?

Michel                    C’est déjà mieux !

Paulette                 Oui mais, où aller ? Je ne sais pas ce qui lui ferait plaisir…

Michel                    Ah ça, c’est facile ! Papa sera heureux d’aller n’importe où… où Bonne-maman ne sera pas !

Paulette                 (riant) Ca c’est bien vrai ! OK, la semaine prochaine, j’irai faire un tour à l’agence de voyage.

Michel                    Il est grand temps ! La fête, c’est dans 15 jours…

Paulette                 Oui, oui… je sais !

Michel                    Et papa ? Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir te faire comme cadeau ?

Paulette                 J’imagine qu’il n’y pense même pas ! Depuis quelques temps, il n’a plus que sa canne à pêche qui compte !

Michel                    Mais qui lui a fourré cette idée dans la tête ?

Paulette                 Il paraît que c’est Honoré...

Michel                    Ah ! … Honoré ! L’homme des bonnes idées !

Paulette                 Il a raison ! Ton père a l’air tellement heureux quand il part avec tout son attirail…

Michel                    Aussi frétillant qu’un amoureux à son premier rendez-vous !

Paulette                 Ca lui change les idées, ça ne peut pas lui faire du tort.

Michel                    Et, tant qu’il taquine le goujon, il n’est pas taquiné par la vieille... truite !

Paulette                 Voilà encore ta grand-mère sur le tapis !

Michel                    J’en connais qui feraient des cauchemars avec une grand-mère pareille sur le dos.

Paulette                 Stop ! Va te changer maintenant. Félicien sera bientôt de retour et tu n’es pas prêt.

Michel                    Mais il sera heureux de m’attendre ! Ca lui fait un prétexte en or au cas où « Clémence chérie » rentrerait… (Finissant de cirer ses chaussures.) Voilà, je suis prêt… Quoique... (Il s’est levé et se regarde dans le miroir.) Dis maman, tu ne penses pas que je devrais changer de chemise ?

Paulette                 Pourquoi ? Elle te va très bien.

Michel                    Je la portais déjà la semaine dernière.

Paulette                 Elle est passée à la lessive depuis !

Michel                    Je m’en doute mais… j’ai l’impression d’avoir toujours la même chose sur le dos !

Paulette                 (avec ironie) Oh la la ! « Marie-Chantal » devant sa garde-robe ! Incroyable ! Dans un passé proche, je devais me battre avec toi pour que tu changes de chaussettes !

Michel                    Maman !

Paulette                 Tu cires tes bottes, tu changes de chemise sans raison… Ca sent le rendez-vous galant…

Michel                    Rien à voir ! Je vais chez Fabrice !

Paulette                 En tous cas, si c’est bien à un rendez-vous amoureux que tu te rends, tu vas faire une fameuse impression à ta petite amie !

Michel                    Parce que j’ai changé de chemise ?

Paulette                 Non ! Je pense plutôt à ton arrivée... en corbillard !

Michel                    Ca ne fait rire que toi ça !

Paulette                 Chacun son tour ! Bon !... Si tu veux vraiment te changer, fais-le vite ! Ton chauffeur sera bientôt là !

(A ce moment-là, Jacques frappe à la porte et entre aussitôt.)

Scène 14

(Paulette –  Michel – Jacques)

Paulette                 Encore vous ?

Jacques                 Oui ! J’ai pensé à quelque chose…

Paulette                 Ah !... Des remords ?! Vous vous êtes décidé à prendre vos responsabilités et à parler vous-même à ma mère ?

Jacques                 Non ! Rien de changé ! Ce qui est dit, est dit !

Paulette                 Le courage ne risque pas de vous étouffer !

Jacques                 Je suis revenu parce que vous m’avez fait penser à quelque chose… à quoi je n’aurais pas pensé tout seul !

Paulette                 Heureuse d’avoir pu rendre service ! De quoi s’agit-il ?

Jacques                 Et bien voilà : il faudra prévenir Joseph que, demain, quand il accompagnera votre mère au bureau de police, j’aimerais qu’il me présente son permis de pêche, histoire de voir s’il est en ordre !

Paulette                 (suffoquée) Ah ça !... Vous ne manquez pas de culot !

Jacques                 Et ce n’est pas tout ! J’aimerais aussi que votre fils déplace sa moto, elle encombre le trottoir…

Paulette                 (à Michel) Fait vite Michel ! Sans quoi, demain, c’est « en famille » que nous visiterons le commissariat !

Jacques                 (jetant un œil vers l’extérieur) Tiens ! « L’homme à la voiture noire est de retour » !

Paulette                 Ah ! Michel, voilà Félicien ! Vite... ta moto au garage !

(Michel sort précipitamment, croisant Félicien qui entre.)

 

Scène 15

(Paulette –  Jacques – Félicien)

Félicien                  (surpris de voir Michel sortir) Que se passe-t-il ?

Paulette                 (ironique) Rien de grave, Félicien... Nous sommes tombés sur le Zorro du procès-verbal ! Alors, nous prenons nos précautions !

Félicien                  (effrayé) Je sais... je suis mal garé monsieur l’agent mais je ne fais que passer...

Jacques                 (amusé) Attention ! Je vous tiens à l’œil !

Félicien                  Il est sérieux, Paulette ?

Paulette                 Ah oui !... Vous avez devant vous le « Navarro » du quartier !

Jacques                 (qui surveille toujours la rue) Tiens ! J’ignorais qu’il y avait un arrêt de bus ici…

Paulette                 Ah non… c’est maman qui rentre du marché.

(Les deux hommes la regardent étonnés.)

Paulette                 Ce serait trop long à vous expliquer !

Jacques                 L’humeur ne s’est pas arrangé… Madame Clémence est rouge comme une pivoine et on la dirait prête à étrangler quelqu’un ! Je sens que je ne vais pas faire de vieux os ici !

(Il fait mine de sortir mais c’est Clémence qui entre, visiblement en furie.)

Scène 16

(Paulette –  Jacques – Félicien – Clémence – Michel)

Jacques                 (qui se réfugie contre un mur) Trop tard !

Paulette                 Maman !?... Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as l’air si énervée…

(Michel qui est entre lui-aussi, faisant suite à Clémence.)

Clémence              (enragée) Enervée ? Enragée oui ! Dégoûtée !!

Paulette                 Le chauffeur de bus s’est mal conduite avec toi ?

Félicien                  N’ayez pas peur de le dire Clémence ! Si quelqu’un vous a fait du mal, je ne réponds plus de moi !

Jacques                 Que c’est beau l’amour !

Clémence              (à Félicien) Ca suffit ! Je me défends très bien toute seule !

Félicien                  Comme vous coudrez Clémence...

Paulette                 Et alors, maman ? Tu vas nous expliquer ce qui te met dans un état pareil ?

Clémence              C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé ! Pire qu’une calamité, plus grave qu’une maladie honteuse, plus humiliante qu’une infamie... Je ne sais même si j’oserais vous le dire !

Tous                      (impatienté) Il faut parler, Clémence !

Clémence              (mélodramatique) Et bien voilà ma fille… Tu es tout ce qu’il y a de plus cocue !

Tous                      Quoi ?!?

(RIDEAU)

 

ACTE 2

PREMIER TABLEAU

Scène 1

(Paulette –  Jacques – Félicien – Clémence – Michel)

(Suite du premier acte.)

Michel                    Qu’est-ce que tu as dit Bonne-maman ?

Clémence              Je dis que ta mère porte des cornes et que tout le village est au courant !

Jacques                 Tout le village est au courant et la police ne sait rien ?

Clémence              Si vous faisiez votre boulot correctement, vous seriez les premiers avertis mais vous passez votre temps à poursuivre les gens pour des pets de chats !!

Jacques                 Justement… à propos de chat…

Michel                    (avec autorité) Ah ! Ce n’est pas le moment ! J’attends des explications, Bonne-maman ! Et pour te faire pardonner d’une accusation pareille…

Paulette                 Il a raison, maman ! Cette fois, tu dépasses les bornes !

Clémence              Je n’ai rien inventé ! Je tiens tout ça de source sûre !

Michel                    Ca suffit ! Des explications ! Tout de suite !

Félicien                  Si vous voulez bien m’excuser… Je crois que ma place n’est pas ici... (Il fait mine de s’en aller.)

Clémence              Restez-là ! Vous n’êtes pas si pressé ? Vous craignez que vos clients refroidissent ?!

Félicien                  Non... je crains plutôt qu’ils ne se réchauffent !

Jacques                 Elle est fine, celle-là !

Michel                    Vous croyez que c’est le moment de rire, vous !

Jacques                 (penaud) Je vous prie de m’excuser…

Félicien                  Je vous prie de m’excuser aussi et... je reste.

(Ils prennent tous les deux une attitude apitoyée, tête basse et mains jointes sous la ceinture.)

Michel                    Bonne-maman ! J’attends que tu rettrapes tes mensonges !

Clémence              Mes mensonges ? Avant de me manquer de respect, attends de savoir tout ce que je sais !

Michel                    Mais qu’est-ce que tu sais à la fin ? Tu vas parler nom de… !!

Paulette                 Michel !! Reste poli tout de même !

Clémence              Et bien voilà... J’étais sur le marché, très occupée à acheter tout ce que tu m’as demandé… A propos : je n’ai pas trouvé de laurier !

Michel                    ON s’en fout ! Au fait, Bonne-maman, au fait !

Clémence              Eh doucement, hein ! Sinon je te renvoie au lit, moit !

Paulette                 Maman !... S’il te plaît !

Clémence              Bon ! Donc, j’étais face au marchand de légumes et, juste à côté, il y avait le marchand de nappes, serviettes, essuies… Tu vois quoi ? Un petit gros, avec une moustache...

Acques                  Le témoin se perd en détails inutiles !

Clémence              (avec un regard insistant sur lui) Si on supprimait tout ce qui est inutile...

Paulette                 Continue, maman ! Je t’en prie...

Félicien                  Oh oui, Clémence ! Maintenant que vous nous avez mis l’eau à la bouche...

Clémence              Ce n’est pas ça qui vous rendra moins bavard !!

Félicien                  Si vous le prenez ainsi, je sors ! Je vois bien que je dérange !

Clémence              Je vous ordonne de rester ! Je veux que tout le monde entende les mensonges de mon beau-fils !

Jacques                 On ne va pas y passer toute la journée, madame Clémence !

Clémence              Pourquoi ? Vous avez mieux à faire ?!... Bon... devant le marchand de nappes, je vois la grosse Fanny qui s’achetait des petites culottes. Enfin, quand je dis des petites culottes, c’est façon de parler, parce que, quand on voit les fesses de la grosse Fanny... (Elle s’esclaffe.)

Michel                    Tu ne vas pas recommencer !!

Clémence              Oh ça va... Donc, je vois la grosse Fanny, je lui dis bonjour. Je lui demande des nouvelles de sa petite famille...

Jacques                 Il y a un rapport avec l’affaire qui nous intéresse ?

Clémence              Tout à fait, monsieur l’agent ! Elle me répond que sa petite dernière a eu la varicelle et que son aîné a raté ses examens, à l’université ! Ca, je l’avais prédit qu’il était trop bête pou aller à l’acole si loin...

Michel                    (menaçant) Bonne-maman !!

Clémence              Je continue... J’en arrive à lui demander des nouvelles de son bon à rien de mari et, là !... Si vous saviez ce qu’elle m’a répondu !

Félicien                  Il n’est pas mort tout de même ?

Clémence              Oh vous ! Vous voyez des morts partout !

Jacques                 Normal ! Dans son métier...

Paulette                 Maman, je t’en prie, aie pitié de nous… Finis ton histoire !

Clémence              Elle m’apprend que son mari était tellement ivre un soir en rentrant, qu’il est tombé dans le trou du téléphone !

Jacques                 Le trou du téléphone ?

Clémence              Celui qu’on a creusé devant chez elle ! Des travaux sur la ligne...

Michel                    Je ne vois toujours par le rapport avec papa !

Clémence              J’y arrive justement ! On l’a relevé au matin avec une bonne bronchite ! Il était resté là toute la nuit, le derrière dans l’eau avec une jambe cassée ! Voilà toute l’histoire !

Michel                    Mais tu te moques de nous ? Qu’est-ce que la jambe cassée d’Honoré a à voir avec les soi-disant cornes de maman ?

Clémence              Mais je rêve ! Ne me dites pas qu’il n’y en a pas un qui a compris ?!

Jacques                 On ne s’y retrouve pas dans votre histoire ! J’ai pourtant l’habitude de démêler des affaires bien plus compliquées...

Clémence              Ah... Elle est belle la police ! Il ne faut rien lui demander de plus que de compter les verres au café d’en face !

Jacques                 Attention, madame Clémence ! Ma patience a des limites !

Paulette                 Tu ne t’en tireras pas comme ça, maman ! Je veux une explicationclaire et nette !

Clémence              Décidément, il n’y en a pas un plus malin que les autres ! Bon... je vous donne un indice... Qui va à la pêche avec Joseph depuis que cette folie lui a pris ?

Paulette                 Honoré justement !

Clémence              C’est bien ce qu’il me disait ce matin...

Michel                    Et alors ? Je ne comprends toujours pas.

Clémence              Alors toi ! ON peut dire que tu n’as pas inventé l’eau chaude !

Jacques                 Ne tournez pas autour du pot « Sherlock Holmès »…

Clémence              Comme vous voudrez « mon cher Watson » !... Joseph nous a menti à tous ! Comment voulez-vous qu’il aille à la pêche avec un homme à moitié estropié ?

Michel                    Mais... si l’accident a eu lieu cette nuit, papa n’était pas encore au courant, ce matin !

Clémence              Oui mais voilà : cela fait 15 jours qu’Honoré a valsé dans le trou ! Depuis, il se traine du lit au fauteuil, exaspérant toute sa famille !

Michel                    Bon, d’accord ! Papa ne va pas à la pêche avec Honoré... Mais ça ne prouve pas qu’il trompe maman !

Clémence              Peut-être ! Mais... cette histoire m’a intriguée et... j’ai fait ma petite enquête personnelle !

Félicien                  Quelle éloquence, ma chère Clémence !

Jacques                 Tout le monde ne peut pas en dire autant !

Paulette                 Qu’est-ce que tu as fait ?

Clémence              Je suis allée déguster un merveilleux à la pâtisserie Legrain. C’est là qu’on trouve les merveilleux les plus savoureux...

Jacques                 Vous ne reculez devant aucun sacrifice, madame Clémence !

Clémence              Riez, riez !... N’empêche, j’ai découvert là-bas des choses très intéressantes !

Félicien                  Quelle intelligence, ma chère Clémence !

Clémence              N’est-ce pas, mon ami... Tout d’abord, j’ai aperçu le vieux Michaux. Il chinait des croûtes de pain pour appâter les poissons... Vous n’êtes pas sans savoir que le vieux Michaux passe ses journées, peut-être même ses nuits, à l’étang des 4 Chemins...

Félicien                  Ah ça, c’est bien vrai !

Clémence              Il m’a certifié n’y avoir jamais rencontré ton menteur d’homme ! Et ce n’est pas tout ! Eva Dufour, qui a surpris ma conversation avec le vieux Michaux, m’a dit qu’elle, elle l’avait vu Joseph !... Il parait qu’il rend visite à la jolie voisine d’Eva tous les mardi et jeudi matin !

Paulette                 (sursautant) La jolie voisine ?

Clémence              Oui, une belle jeune fille ! Et pas des des plus catholiques paraît-il !

Michel                    Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Clémence              Ce ne sont pas des histoires ! C’est sûr comme deux et deux font quatre ! Cette fille-la fait paraître de drôles d’annonces dans les journaux et elle reçoit des hommes... toute la semaine !

Michel                    Mais ça ne veut rien dire, Bonne-Maman !

Clémence              Que te faut-il de plus ? Ton père nous ment depuis des semaines, il se rend deux fois par semaine chez une jeune fille qui ressemble davantage à une roulure qu’à une sainte…

Jacques                 Il y a sans doute une explication à tout ça…

Félicien                  La jeune fille est peut-être une marchandes d’amorce ?!...

Clémence              C’est ça ! Pour attirer les gros poissons comme vous !

Paulette                 Ils ont raison, maman ! Je suis certaine que Joseph pourra justifer tout ça…

Clémence              Ce n’est pas possible que ce soit ma fille ! On lui ferait avaler des couleuvres et des caillous en plus !!

Michel                    Je pense comme maman. Quand papa rentrera, il éclaircira ce mystère…

Paulette                 Cette jeune fille-là n’est sans doute qu’une amie...

Clémence              Et moi je suis la reine d’Angleterre ! Quand vous aurez lu une de ses petites annonces, vous comprendrez qu’elle n’a rien d’une fille de Marie !

Michel                    Comment ? Tu as découpé une de ses annonces ?

Clémence              Oui ! Nous l’avons découpée, Eva et moi, dans le journal d’aujourd’hui !

(Michel prend la coupure de journal que lui tend Clémence et lit à voix haute.)

Michel                    « Envie d’exotisme ? De romantisme ? Messaline vous accueille du lundi au vendredi. Rythmes lents ou rapides. Venez au rendez-vous des fangos et de la java ! »

Jacques                 Je ne comprends rien mais ça ne doit pas être si terrible que ça !

Clémence              C’est un code ! Comme dans les messages secrets ! Vous allez voir… Relis l’annonce, Michel !

Michel                    « Envie d’exotisme ? De romantisme ?… »

Clémence              Et bien ! Ca, c’est clair ! Ca fait référence à tous ces faux touristes qui visitent la Thaïlande,  Bangkok… Vous vouyez de quoi je parle ? Le tourisme sexuel, les massages et tout le tintouin… Allez ! Continue, Michel !

Michel                    « Messaline vous accueille du lundi au vendredi… »

Clémence              Vous savez qui était Messaline ?

(Tous secouent la tête en signe de dénégation.)

Clémence              C’était la plus grande courtisane de l’Antiquité romaine ! Une cocotte ! Vous imaginez bien qu’on ne se choisit pas un nom comme celui-là si on envisage de raccommoder des chaussettes !? Allez ! La suite…

Michel                    « Rythmes lents ou rapides… »

Clémence              Alors là, chapeau ! C’est d’une finesse !... Ca veut dire que l’annonce s’adresse à des clients de tous les âges, les jeunes comme les vieux !

Félicien                  Alors là ! Il fallait le trouver...

Clémence              (fièrement) Je suis une grande spécialiste des petites annonces !

Michel                    Ca date de l’époque où elle cherchait un homme via les petites annocnes !

Félicien                  Vous avez fait ça, madame Clémence ?

Clémence              Ca ne vous regarde pas ! Et toi, continue ta lecture plutôt que de raconter des bêtises !

Michel                    « Venez au rendez-vous des fangos et de la java ! »

Clémence              Cette fois, si vous ne comprenez pas, c’est que vous êtes vraiement stupides !

Jacques                 Eh bien dans ce cas, j’avoue : je suis vraiment stupide !

Félicien                  Moi aussi !

Clémence              Inutile de le dire ! Enfin... c’est vrai que certains étaient derrière la porte quand on a distribué l’intelligence... Vous ne savez pas ce que c’est qu’un fango ?

Paulette                 Ce n’est pas un remède au mal de dos ?

Clémence              Si on veut… Disons que c’est un genre de massage qu’on pratique avec de la boue... C’est dégoûtant ! Et cela nous ramène toujours à la Thaïlande... les machins sexuels ! Quant à « faire la java », inutile de vous faire un dessin ! Tout le monde sait ce que ça veut dire !

Jacques                 Ca me paraît un peu tiré par les cheveux...

Félicien                  Mais, je dois reconnaître qu’il y a quelque chose de louche dans cette histoire...

Paulette                 Oui, il faut bien admettre que mon mari m’a menti…

Michel                    Je suis certain qu’il avait une bonne raison pour agir ainsi.

Clémence              On n’a jamais de bonne raison pour mentir à sa femme !

Michel                    Oh toi ! Ca t’arrange bien de semer la zizanie entre papa et maman !

Clémence              C’est possible... Mais ce n’est tout de même pas ma faute si ton père va voir ailleurs !

Paulette                 Sur ce point-là, elle a raison, Michel…

Michel                    Je suis sûr qu’il y a une bonne explication à tout ça !

Scène 2

(Paulette –  Jacques – Félicien – Clémence – Michel – Joseph)

(A ce moment-là, la porte s’ouvre et Joseph entre dans le couloir. Il prend soin de déposer son attirail contre le mur avant d’entrer dans la pièce où se trouvent les autres.)

Clémence              Nous allons en avoir, des explications ! Laissez-moi lui tirer les vers du nez ! Vous allez voir...

Joseph                   Et bien, en voilà une de réunion ! Quelque chose à fêter ?

Clémence              (faussement douce) Tiens... mon beau-fils ! Vous êtes allé à la pêche ?

Joseph                   Oui ! Je vous l’avais dit, me semble-t-il...

Clémence              Oui, oui... La pêche a été bonne ?

Joseph                   (un peu gêné) Chou blanc ! Je n’ai rien pris !

Clémence              Comme c’est dommage !... N’est-ce pas, Paulette ?

Michel                    Papa n’a pas eu de chance, voilà tout !

Clémence              (l’ignorant) Et... il y avait du monde autour de l’étang ?

Joseph                   Comme d’habitude...

Clémence              Vous avez certainement dû y rencontrer le vieux Michaux ?

Joseph                   Evidemment ! Vous savez bien qu’il passe toutes ses journées là-bas.

Clémence              Et votre vieux camarade, Honoré ? Est-ce qu’il a eu plus de chance ? Est-ce qu’il a pu ramener une bonne fricassée à sa petite famille ?

Joseph                   (très embarrassé) Euh... Honoré a fait une belle prise : une grosse carpe.

Clémence              Et bien... nous sommes très contents pour lui ! N’est-ce pas, mes amis ?

Félicien                  Ah oui ! Vraiment content pour lui !

Joseph                   Dites-donc belle-mère... On peut savoir ce qui vous prend ? D’habitude le seul nom de mon copain vous file des boutons et aujourd’hui, vous prenez de ses nouvelles ?

Clémence             C’est que... jusqu’à présent, je le prenais pour un vaurien qui avait des œufs sous les bras – comme vous d’ailleurs – mais, après ce que je viens d’apprendre, maintenant que je sais qu’au mépris de son handicap, il s’est trainé jusqu’au bord de l’eau pour nourrir sa famille... Je suis bouleversée !

Joseph                   Quel handicap ? Dites, je sais qu’Honoré est un peu porté sur la bouteille mais ça ne le rend pas invalide pour autant !

Paulette                 Ce n’est pas de cet handicap-là dont maman veut parler !

Joseph                   Je ne vous suis plus !

Paulette                 Honoré a la jambe dans le plâtre depuis quinze jours et il n’a pas quitté sa maison depuis l’accident !

Joseph                   (quelque peu décontenancé) Paulette… Oh ! Je ne sais pas quoi te dire !

Clémence              Taisez-vous, ça vaudra mieux ! Nous savons tout, beau-fils, et nous avons déjà fait le compte de tous vos mensonges !

Félicien                  Bien répondu, ma chère !

Joseph                   Et qui êtes-vous, monsieur, pour vous mêler ainsi de mes affaires ? Nous n’avons pas été présentés !

Félicien                  Félicien Lechien, des pompes funèbres « Post Mortem » !

Michel                    C’est le fiancé de Bonne-maman !

Joseph                   Vous recevez des hommes chez moi, dans mon dos ? Bravo ! Surtout, ne vous gênez pas !

Clémence              Je suis ici chez moi ! J’y fais ce qu’il me plaît ! Et après tout... je crois que vous êtes mal placé pour me faire la leçon !

Joseph                   Ca commence à bien faire, vos insinuations !

Clémence              Mais ce ne sont pas des insinuations, mon ami ! Nous sommes au courant de toute votre comédie ! Inutile de nier !

Joseph                   Quelqu’un peut me dire ce qui se passe ici ?!

Jacques                 Je vous fais un résumé, si vous voulez : Voilà... votre belle-mère pense que vous mentiez quand vous disiez aller à la pêche ! Vous mentez parce que vous avez une maîtresse, une cocotte, voisine d’Eva Dufour, qui est le témoin numéro un dans l’affaire qui nous intéresse !

Joseph                   (pas très convaincant) Mais... il n’y a rien de vrai là-dedans, Paulette !

Clémence              Nous avons des témoins et aussi des preuves !

Jacques                 Des preuves, c’est beaucoup dire, madame Clémence. On peut dire que Joseph est suspect mais on ne peut pas l’inculper, n’est-ce pas...

Clémence              Vous, ça va ! Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! D’ailleurs, vous n’avez plus rien à faire ici ! Ouste ! Je vous ai assez vu !

Jacques                 Doucement, madame Clémence ! Nous avons un compte à régler, tous les deux !

Clémence              Dehors ! Et vite !

Jacques                 Bon ! J’y vais... mais vous ne perdez rien pour attendre !

Clémence              (très menaçante) De-hors !!

Jacques                 (fuyant vers la sortie) Rira bien qui rira le dernier !

Scène 3

(Paulette –  Félicien – Clémence – Michel – Joseph)

Clémence              (se tournant vers Joseph) Et maintenant, à nous deux, camarade !

Joseph                   Mais c’est une histoire de fous ! Enfin Paulette… tu vois bien que je rentre de la pêche... Ca se voit tout de même !

Michel                    Enfin, Bonne-maman... Papa a raison : on ne va pas à un rendez-vous galant dans une tenue pareille !

Félicien                  A moins qu’ils ne jouent à « maso-maso »…

Clémence              Vous connaissez ça, vous ?!

Joseph                   Il ne connaît rien ! Et vous non plus ! Paulette... je t’en prie... écoute-moi ! Est-ce que tu penses que je courrais les filles attifé comme ça ? Avec des bottes en caoutchouc ?!

Paulette                 Il a raison, maman ! On ne joue pas les Casanova habillé ainsi.

(Clémence se fige puis va se placer tout près de Joseph, le regardant droit dans les yeux.)

Clémence              Déshabillez-vous !

Joseph                   Comment  ?!

Clémence              Dé-sha-billez-vous !

Joseph                   Cette fois, elle est vraiment folle ! Ta mère est folle à lier, ma pauvre Paulette ! Il faut la faire soigner… le plus vite possible !

Clémence              Déshabillez-vous !... Ou je le fais moi-même !!

(Elle se précipite sur lui, Joseph se dégage et entame une course autour de la table et des personnes présentes.)

Joseph                   Au secours ! Appelez la police !

Paulette                 Maman ! Ca suffit maintenant !

Michel                    Bonne-maman ! Laisse mon père tranquille !

Félicien                  Clémence ! Un peu de tenue tout de même !

(Clémence et Joseph n’ont pas arrêté de courir à travers la pièce, s’invectivant de noms d’oiseaux. Soudain, Joseph s’arrête tout net.)

Joseph                   C’est bon ! C’est bon ! Puisqu’il faut en arriver là, je préfère le faire moi-même !

(Il se place alors au centre de la scène et, théâtralement, il enlève sa veste et son pantalon sous lesquels il apparaît en smoking ; il reste ensuite penaud, les yeux baissés.)

Paulette                 Oh mon dieu, Joseph !! C’était donc vrai !

Michel                    Papa ! Ce n’est pas possible !... Dis quelque chose !

Clémence              Mais il n’y a rien à dire ! La preuve est là, sous nos yeux. Et s’il lui reste un peu de dignité, il n’ajoutera pas de mensonges à tout ce qu’il a déjà dit !

Paulette                 Je n’arrive pas à le croire ! Dis-moi que maman se trompe... que tu vas bien à la pêche, avec Honoré ou qui que ce soit d’autre, ça n’a pas d’importance...

Joseph                   Non Paulette, ça je ne peux pas te le dire... Je t’ai menti, c’est vrai... mais j’avais une bonne raison de le faire !

Clémence              La raison c’est que vous êtes un homme sans honneur qui trompe sa femme à tout venant avec une moins que rien ! Et tout le village est au courant !

Joseph                   Taisez-vous, vielle rosse ! C’est de votre faute si j’en suis arrivé là ! C’est parce que j’étais sûr que vous ne tiendriez pas le secret que j’ai été améné à jouer cette comédie ! Avec votre sale habitude de vous mêler de tout !

Clémence              Parce que vous imaginez que j’aurais pu être complice d’une affaire pareille ?! Et vous m’insultez par-dessus le marché !

Joseph                   Votre mauvaise langue a fait de notre vie un enfer ! Je ne sais pas ce qui me retient de vous étrangler !

(Comme il semble s’élancer vers Clémence, Michel et Félicien s’interposent.)

Michel                    Du calme, papa ! Ne la laisse pas te pousser à bout !

Félicien                  Soyez prudente, ma chère Clémence !

Clémence              Oh mais... je n’ai pas peur de cet idiot-là !

Joseph                   Vieille bique !

Clémence              Bon à rien ! Malhonnête !

Joseph                   Vieille canaille !

Clémence              Fainéant !

Paulette                 (au bord des larmes) Maman !! Joseph !! Ca suffit maintenant !  J’en ai assez de vous deux ! Je ne veux plus vous voir !!

(Elle sort précipitamment de la pièce.)

Scène 4

(Félicien – Clémence – Michel – Joseph)

Joseph                   (qui tente de la retenir) Paulette, ma chérie... Reste, je vais tout t’expliquer...

Clémence              Laissez-la tranquille ! Vous lui avez fait assez de mal comme ça ! Sortez ! Je suis chez moi ici et vous n’avez plus rien à y faire ! Prenez vos cliques et vos claques et quittez ma maison !!

Joseph                   Mais enfin, belle-mère…

Michel                    Allez papa !... Je pense que ça vaut mieux pour le moment...

(Joseph hésite puis saisit sont attirail et sort.)

Félicien                  Que dieu ait son âme !!

(NOIR – fin du premier tableau)

 

DEUXIEME TABLEAU

Scène 1

(Paulette –  Michel)

(Lorsque la lumère revient, Paulette est effondrée dans un des fauteuils du salon ; elle semble négligée et est vêtue d’un peignoir. Michel entre par la porte du fond.)

Michel                    Et alors, maman ? Pas encore habillée ?

Paulette                 Je ne compte pas sortir aujourd’hui. Donc... pas besoin de m’habiller !

Michel                    Moi, c’est plutôt quand je suis trop sorti que je n’ai plus l’envie de m’habiller ! Cest drôle, non ?

(Paulette ne réagit pas du tout à ce qu’il raconte et semble se tasser encore plus dans le fauteuil.)

Michel                    Ecoute, maman ! Il faut te reprendre un peu ! Change-toi les idées ! Pourquoi tu ne regarderais pas un peu la télé ? C’est l’heure de ton feuilleton préféré : « Les feux de l’amour »…

Paulette                 Oyi, je sais... J’ai regardé le début mais... (Elle fond comiquement en larmes.)

Michel                    Mais quoi ? La télé est en panne ? La chaîne est en grève ?

Paulette                 (toujours larmoyante) Non mais... Si tu savais ce que Victor a fait...

Michel                    (très étonné) Victor ?

Paulette                 Oui, Victor, c’est la vedette... Celui que je préfère depuis le premier épisode !

Michel                    Il est mort peut-être ?

Paulette                 Oh ça va ! Tu te prends pour Félicien ?

Michel                    Qu’est-ce qui lui est arrivé alors ?

Paulette                 Il a quitté Nicky pour Morgane, qui est plus jeune et plus jolie !

Michel                    Oh, le salaud !

Paulette                 Je ne te le fais pas dire !

Michel                    Bon c’est vrai, ce n’est pas l’idéal pour te changer les idées... Ecoute plutôt la radio alors...

Paulette                 C’est ça... pou entendre des chansons d’amour à longueur de journée ?

Michel                    C’est vré aussi... Mais tu ne peux pas rester ainsi ! Il faut tirer cette affaire au clair !

Paulette                 Il n’y a rien à tirer au clair ! Ton père m’a trompée avec une jeune et jolie fille et tout le monde est au courant !

Michel                    Ca, c’est Bonne-maman qui le dit !

Paulette                 Mais quand ton père est rentré, il n’a rien démenti et puis... on ne va pas tripoter les asticots en smoking !

Michel                    Tu ne l’as pas vraiment écouté ! Et puis, Bonne-maman l’a mis dehors avant qu’il puisse se défendre ! Crois-moi, maman : tu dois aller le voir et t’expliquer avec lui.

Paulette                 Allez le voir, moi !? Non mais, ça ne va pas la tête ? Je ne vais tout de même pas m’abaisser à lui rendre visitez chez sa maîtresse !

Michel                    Mins il n’est pas chez « sa maîtresse » comme tu dis !

Paulette                 Ah non ? Et il serait où alors ? Tu sais très bien que depuis que sa sœur est allée vivre dans les Ardennes, il n’a plus personne ici.

Michel                    C’est chez son ami Honoré qu’il vit depuis trois jours !

Paulette                 Ah bon ? Tu crois ?

Michel                    C’est le fils d’Honoré qui me l’a dit… Allez ! Habille-toi… Donne-lui une chance… Je suis certain que tout va s’arranger.

Paulette                 Après tout... tu as sans doute raison. Je vais lui parler !

Michel                    A la bonne heure !

(Paulette se lève et embrasse son fils.)

Paulette                 Tu es vraiment un gentil garçon !

Michel                    Je sais... Ne traîne pas et... ramène papa à la maison.

Paulette                 J’y vais !

(Elle quitte la pièce. Après s’être assuré qu’elle était partie, Michel décroche le téléphone et compose un numéro.)

Michel                    (au téléphone) Allo, Fabrice ? C’est moi… Oui, ça va... Enfin, ça va... Manière de parler... Non, je ne suis pas venu mardi parce que, pour commencer, ma moto est tombée en panne donc je devais arriver en corbillard mais une bombe est tombée sur la maison ! Non, pas une vraie bombe... Je t’expliquerai ça plus tard... Mais dis-moi, est-ce qu’elle est allée au marché ? A midi, comme d’habitude ? Elle portait sa petite robe jaune ? Et ses cheveux ? Relevés en chignon ou des tresses ?... Oh, ne te fiche pas de moi, tu sais que j’en suis fou amoureux ! Bon, c’est raté pour cette fois mais on reporte le plan à la semaine prochaine. D’ici là, j’espère qu’ici tout sera rentré dans l’ordre… Je t’ai dit que je t’expliquerais ! En attendant, je vais rêver en pensant à elle… Ah, c’est bon l’amour… Mais ça fét mal au cœur… Allez, à tout à l’heure ! Je te donne des nouvelles dès que je peux… Salut !

(Il raccroche. Paulette est entrée doucement, sur les dernières phrases de Michel. Elle porte maintenant un manteau.)

Paullet                   Pour gagner du temps, j’ai enfilé un manteau sur ma chemise de nuit... Et j’ai bien fait puisque ça m’a permis de t’entendre, au téléphone... Petit cachottier, va ! Tu as une petite amie et tu ne m’as rien dit !

Michel                    Tu as mal compris !

Paulette                 Tutut’, mon ami ! « J’en suis fou amoureux »… « Je vais rêver en pensant à elle »… « C’est bon l’amour ! »... Tu me prends pour une idiote ?

Michel                    Bon, d’accord ! Je suis amoureux d’une jeune fille mais ce n’est pas ma petite amie, je ne connais même pas son nom !

Paulette                 Comment ça ?

Michel                    Et bien oui, c’est une jeune fille que je vois chaque mardi au marché. Toutes les semaines, elle y achète des fleurs, sur le coup de midi. Avec Fabrice, on avait imaginé une petite comédie qu’on lui jouerait devant le fleuriste pour que je puisse faire sa connaissance mais... suite à ce qui s’est passé ici, j’ai manqué le rendez-vous !

Paulette                 Mon pauvre petit chou !

Michel                    Oh ! Ce n’est pas grave ! C’est remis à la semaine prochaine... Ce qui compte, c’est ton histoire ave papa ! Vas-y maintenant ! Avant que Bonne-maman ne rentre !

Paulette                 Mais c’est vrai, ça ! Où est-elle passée ?

Michel                    Elle est allée s’acheter une coupe de tissu noir, avec Félicien !

Paulette                 Du tissu noir ? Pour faire quoi ?

Michel                    Des robes, sans doute !

Paulette                 Des robes ?!

Michel                    Elle estime que, vu qu’elle assiste à tous les enterrements avec son « fiancé », elle se doit de se refaire une garde-robe... Elle veut paraître à son avantage en toutes circonstances !

Paulette                 Elle ne changera jamais !

Michel                    Elle a prévenu qu’il ne fallait pas l’attendre, ils déjeuneront en ville...

Paulette                 Ils déjeuneront au restaurant ?

Michel                    Non, ils mangeront au « drive-in ».

Paulette                 Au quoi ?!

Michel                    Au drive-in… Tu peux manger frites et hamburgers sans descendre de la voiture. Félicien lui en a parlé, il faut qu’elle essaie ça !

Paulette                 C’est bien elle ça !

Michel                    En tous cas, j’aurais donné cher pour être au drive-in moi aussi aujourd’hui ! Rien que pour les voir faire la queue dans le corbillard ! (Ils rient tous les deux.)

Paulette                 Il faut du goût pour manger de la viande dans cette voiture-là !

Michel                    Allez, maman ! Ne perds pas de temps ! Dommage que ma moto soit toujours en panne, je t’aurais emmené au village avec plaisir !

Paulette                 Ce n’est pas grave ! Je vais prendre le bus et, avec un peu de chance, je profiterai du chauffeur de Bonne-maman !

(Elle prend sont sac et sort.)

Scène 2

(Michel – Jacques)

Michel                    Voilà une bonne affaire de faite ! Maintenant, repos !

(Il prend un journal et s’installe dans un fauteuil en sifflotant. A ce moment, la porte d’entrée s’ouvre tout doucement et jacques, l’agent de police, entre précautionneusement.)

Michel                    (l’apercevant) Monsieur l’agent ?

Jacques                 (à voix basse) Votre grand-mère est à la maison ?

Michel                    (qui s’est levé) Non, non ! Elle fait des courses avec son fiance !

Jacques                 (entre carrément) Dans ce cas, c’est bon !

Michel                    Vous faites une de ces têtes ! Quelque chose ne va pas ?

Jacques                 C’est que... je suis en mission ! Une mission dangereuse !

Michel                    Ah bon ?

Jacques                 Vous savez que votre grand-mère a reçu une convocation au commissariat ?

Michel                    Ah oui... pour l’affaire des « dents de la grand-mère » !

Jacques                 Exact ! Et bien... elle ne s’est pas présentée au commissariat...

Michel                    Maman lui a pourtant donné la convocation mardi soir mais, avec tout ce qui s’est passé ici...

Jacques                 Oyi mais... le commissaire n’est pas très content ! Il m’envoie avec une nouvelle convocation pour demain... Je dois la remettre à votre grand-mère pour qu’elle la signe… Puis je dois la ramener au poste de police !

Michel                    Ma grand-mère ?

Jacques                 Non, la convocation !

Michel                    Aïe, aïe, aïe !

Jacques                 Vous avez tout compris ! Après la discussion que nous avons eue l’autre jour, elle ne sera sûrement pas contente de me voir !

Michel                    Ceci dit, elle n’est pas prête à rentrer, après les courses, ils déjeunent en ville.

Jacques                 C’est toujours ça de gagné !

Michel                    Oui mais ça ne résout pas votre problème. Vous devrez seulement revenir plus tard pour lui donner le fameux papier…

Jacques                 Oui mais, ce qui me dérangeait, c’était de l’affronter à jeun !

Michel                    Vos n’avez pas pris votre petit déjeuner ?

Jacques                 Si mais je n’ai encore bu que du café et, pour les grandes batailles, une petite bière ou deux, ça ne fait pas de tort !

Michel                    Je vous offre une petite blonde ?

Jacques                 Non, c’est gentil mais je dois, de toutes maniêres, passer au café de la place. La patron a porté plainte.

Michel                    Une bagarre ?

Jacques                 Pa du tout !… « Hold-up répétés » !

Michel                    Hold-u répétés ?

Jacques                 Oui, quelqu’un vole les craies du billard ! On ne peut pas laisser faire ça !

Michel                    Effectivement ! On ne peut pas laisser passer une affaire pareille !

Jacques                 C’est bien ce qu’il me semble ! Je me suis donc proposé pour pousser une petite pointe jusque là.

Michel                    Je vous reconnais bien là ! Mais il fallait commencer par là alors, histoire de vous mettre en forme avant d’affronter le dragon !

Jacques                 C’est bien ce que je comptais faire mais je me suis fait avoir par mon chef ! Pour s’assurer que je viendrais ici, il m’a déposé devant la porte !

Michel                    Ah ! C’est vraiment pas de chance !

Jacques                 Oui, c’est ce que je pensais... Mais puisque votre grand-mère n’est pas là, ça change tout !

Michel                    Eh oui... Quelle chance que son fiancé l’ait kidnappée !

Jacques                 Je ne m’habituerai jamais à ce que votre grand-mère ait un fiancé !

Michel                    Vous verrez... on se fait à tout ! Même à ça...

Jacques                 Tout de même ! C’est, comme qui dirait, contre nature... Ca me rappelle ces illuminés qui achètent les nouveaux animaux de compagnie comme on dit : des serpents, des araignées… Enfin... Les goûts et les couleurs…

Michel                    … ne se discutent pas !

Jacques                 Un jour, j’ai lu qu’un quidam avait adopté un crocodile ! Vous vous rendez compte ?

Michel                    C’est original…

Jacques                 Tant que le crocodile était petit, ça ne posait pas de problème, il le gardait dans la baignoire mais quand il est devenu trop grand, vous savez ce qu’il en a fait ?

Michel                    Je serais curieux de l’apprendre !

Jacques                 Il l’a jeté dans les égoûts !

Michel                    C’est pas vrai ?

Jacques                 Si, si, je vous le dis ! Vous vous rendez compte : si une histoire pareille arrivait à votre grand-mère ?

Michel                    Ca ne risque pas d’arriver !

Jacques                 Vous en êtes sûr ?

Michel                    Tout d’abord, on est sûr que ma grand-mère ne grandira plus et puis, elle ne se laisserait pas faire comme ça !

Jacques                 On ne sait jamais ! Si son fiancé se lasse d’elle... Enfin... On serait vite au courant !

Michel                    C'est-à-dire ?

Jacques                 (riant) C’est simple ! A l’instant où votre grand-mère gagnera les égoûts, les rats fuieront !

Michel                    Vous ne perdez pas une occasion de vous payer sa tête !

Jacques                 Il faut en profiter quand elle n’est pas là !

Michel                    Vous rirez moins tout à l’heure quand il faudra vous présenter devant elle pour lui faire signe la convocation !

Jacques                 C’est malin ! Je n’y pensais plus moi ! Bon ! Je vais faire mon enquête sur le voleur de craies...

Michel                    C’est ça !... Et n’oubliez pas votre fortifiant !

Jacques                 Pas de danger ! A tout à l’heure !

Michel                    C’est ça... Au revoir.

(Jacques sort et Michel se réinstalle dans le fauteuil. Il reprend son journal. A ce moment, on sonne.)

Scène 3

(Michel – Messaline)

Michel                    Il est écrit qu’aujourd’hui, je ne lirai pas le journal !

(Il se lève et va ouvrir la porte. On découvre une jeune fille dans l’entrée.)

Michel                    Oh, c’est pas vrai ? Pour une surprise... Ca, c’est un coup de Fabrice ! C’est lui qui vous envoie, n’est-ce pas ?

Messaline              Je ne comprends pas ce que vous dites... Je me suis sans doute trompée d’adresse.

Michel                    J’espère bien que non ! Entrez mademoiselle...

Messaline              Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je me suis sans doute trompée de porte : je cherche monsieur Joseph...

Michel                    C’est ici ! C’est bien ici ! C’est mon père !

Messaline              Votre père ?... Dans ce cas, est-ce que je pourrais lui parler ?

Michel                    Il n’est pas ici pour l’instant mais vous pouvez me laisser un message pour lui, si vous voulez…

Messaline              C’est que… c’est assez personnel...

Michel                    Oh ! mon père n’a pas de secret pour moi !

Messaline              C’est possible mais... ça me gêne un peu de vous parler de ça...

Michel                    Il n’y a pas de raison ! Mon père et moi, nous sommes comme les doigts de la main...

Messaline              Ah bon ? Eh bien... c’est pour une question d’argent que je dois le voir !

Michel                    Ah ? C’est pour ça ? Vous devez de l’argent à mon père et vous n’osez pas m’en parler ?

Messaline              (choquée) Pas du tout ! C’est votre père qui me doit de l’argent !

Michel                    Comment ?!

Messaline              Voilà plusieurs jours qu’il n’est pas venu à la maison et puis, il me doit encore le mois dernier...

Michel                    Mon père vous doit de l’argent !? Mais pourquoi ?

Messaline              Ah ça, je ne peux pas vous le dire ! Votre père m’a fait jurer que ce serait un secret entre lui et moi ! « Surtout, ma femme ne doit rien savoir ! » qu’il m’a dit... Et si je n’avais pas quelques difficultés d’argent en ce moment, je ne me serais jamais permis de venir jusqu’ici !

Michel                    Est-ce que vous ne seriez pas la jeune fille qui vit en face de la maison d’Eva Dufour ?

Messaline              Si ! Pourquoi ? On vous a parlér de moi ?

Michel                    Ainsi c’est vous ! Et vous avez le toupet de venir jusqu’ici, pour voir mon père !

Messaline              Je vous l’ai dit, ce n’est pas dans mes habitudes mais, j’ai vraiment besoin de cet argent...

Michel                    Bonne-maman avait raison ! Et c’est avec vous qu’il... C’est pas possible ! Et moi qui commençais à être amoureux de vous comme je ne l’ai jamais été…

Messaline              Mais qu’est-ce que vous racontez ? On ne se connait même pas !

Michel                    C’est vrai ! Et ça ne risque pas d’arriver ! Vous allez me faire le plaisir de partir et de laisser mon père en paix !

Messaline              Doucement ! Ce n’est pas moi qui suis allée le chercher, c’est lui qui a voulu que je...

Michel                    Taisez-vous !

Messaline              Ca ne se passera pas comme ça ! Votre papa me doit de l’argent et il me le paiera !

Michel                    Allez-vous en ! Partez ou je fais un malheur !

Messaline              J’y vais !... Mais nous en reparlerons !

(Elle sort et Michel claque la porte derrière elle.)

Scène 4

(Michel – Clémence – Félicien)

Michel                    Oh mon dieu ! Pourquoi elle ? Justement elle !?

(Il s’effondre dans le fauteuil et prend exactement la même position qu’avait sa maman au début du tableau. Presqu’au même moment, Clémence et Félicien entrent dans la maison.)

Clémence              (découvrant Michel) Eh bien ! Tu fais l’intérim de ta mère ?

Félicien                  Mon dieu ! Qu’est-ce qui lui arrive ?

Clémence              Rien du tout ! Ils sont ainsi dans cette famille... Tous des grands comiques ! A propos... elle est passée où, la madone des sept douleurs ?

Félicien                  Qui ça ?

Clémence              Paulette, ma fille ! Depuis trois jours, on dirait qu’elle a perdu son honneur !

Félicien                  Enfin, Bijou ! Elle a tout de même perdu son mari !

Clémence              Perdu... perdu... Il n’est tout de même pas mort ! Et je vous ai déjà dit de ne pas m’appeler « Bijou » !

Félicien                  Oui, mon trésor !

Clémence              De toute façon, ce ne serait pas une grande perte pour l’humanité ! Ce n’était qu’un parasite, un champignon qui grandissait en profitant des autres… Où est passée ta mère ?

Michel                    Elle est allée parler au champignon !

Clémence              Ce n’est pas vrai ! Elle est devenue folle ?

Michel                    Oui, je pense aussi que j’ai fait une fameuse boulette en l’envoyant là-bas !

Clémence              Ah ! Parce que c’est une idée à toi ?

Michel                    Oui... une mauvaise idée, je l’admets !

Félicien                  Je ne trouve pas...

Clémence              Taisez-vous ! (A Michel.) Et toi ? Qu’est-ce qui te pousse à dire ça maintenant ? Toi qui défendais toujours ton idiot de père ?

Michel                    Ca me fait du mal de te le dire mais je dois avouer que tu avais raison. Mon père a bien une maîtresse et elle est beaucoup plus jeune que lui !

Félicien                  Comme c’est triste !

Clémence              Silence, vous ! (A Michel.) Tu as eu une révélation mystique ?

Michel                    Non ! Sa maîtresse est venue jusqu’ici pour lui réclamer de l’argent !

Félicien                  Quelle horreur !

Clémence              Quoi ? Elle a osé ? Et tu l’as laissé partir ? Elle a eu de la chance que je ne sois pas là, la garce !

Michel                    Je n’allais tout de même pas la prendre en otage !

Clémence              Mais tu aurais dû la retenir jusqu’à ce qu’on arrive !

Félicien                  Pour faire quoi ?

Clémence              Pour la faire parler, bien sûr ! Pour avoir des détails !

Félicien                  Oh, Clémence ! Est-ce que vous ne seriez pas un peu curieuse ?

Clémence              Juste ce qu’il faut ! Bon… et elle ressemble à quoi ?

Michel                    C’est sans intérêt !

Félicien                  Elle est jolie ?

Clémence              Pourquoi ? Vous voulez vous inscrire sur les listes ?

Félicien                  Jamais de la vie, Bijou ! Vous savez bien que vous êtes mon paradis, l’air que je respire… la plus belle fleur de mon cimetière !

Michel                    Amis de la poésie, bonjour !!

Clémence              Quand vous aurez fini avec vos bêtises, on pourra peut-être revenir à ce qui nous intéresse ?

Michel                    Il n’y a rien à ajouter Bonne-maman ! C’est toi qui avais raison ! Et moi, imbécile, j’ai envoyé maman rechercher papa !

Clémence              Oh mais ça, ne t’inquiète pas : moi vivante, ton père ne remettra pas les pieds dans cette maison !

Scène 5

(Michel – Clémence – Félicien – Joseph)

(A ce moment, Joseph entre d’un air décidé. Il porte tojours son costume de pêcheur.)

Joseph                   Bonjour à vous tous !

Clémence              Lui !? Ici ?

Félicien                  Monsieur ! Vous devriez avoir honte !

Joseph                   Vous, le croque-mort, on ne vous a pas sonné ! Je veux parler à Paulette !

Clémence              Elle n’est pas ici !

Joseph                   Où est-elle ?

Clémence              Ca ne vous regarde pas !

Félicien                  Si j’ai bien compris, elle est allée cueillir des champignons !

Clémence              Taisez-vous, Judas !

Joseph                   Je veux parler à ma femme !

Clémence              Elle n’est plus votre femme, vous l’avez trompée ! Et vous n’avez plus rien à faire ici ! Je vous l’ai déjà dit !

Félicien                  Oui, oui, Bijou ! Vous lui avez déjà dit, je m’en souviens !

Joseph                   Finalement, vous êtes qui vous ici ? Le croque-mort, le fiancé ou… le greffier ?

Clémence              Laissez mon fiancé tranquille ! C’est un homme convenable, lui !

Félicien                  Oh! Merci, Bijou…

Joseph                   « Mon fiancé », « Bijou »… On est en plein délire ici !

Michel                    Je pense que tu ne mérites pas de juger les autres, papa !

Clémence              Même votre fils a ouvert les yeux !

Joseph                   Comment ?! Ils ont réussi à te faire passer dans leur camp ?

Michel                    Je n’ai pas eu besoin d’eux pour ça. C’est ta maîtresse, Messaline, qui m’a aidé à y voir clair...

Joseph                   Messaline est venue ici ?

Clémence              Oui ! Réclamer de l’argent ! Si ce n’est pas malheureux !

Joseph                   Mon dieu, c’est vrai ! J’ai oublié de la payer ! Il faut que je pense à lui envoyer un chèque...

Michel                    Si je comprends bien, tu ne te défends même pas ?

Joseph                   Me défendre de quoi ? C’est vrai, je luis dois de l’argent pour...

Félicien                  Silence, monsieur ! Vous oubliez qu’il y a ici de chastes oreilles ?

Joseph                   Où ça « de chastes oreilles » ? Si vous parlez de votre vieille pouliche, il faut croire qu’elle ne vous a pas tout raconté de sa vie !

Clémence              Vieille pouliche ! Vous vous êtes déjà bien regardé, Don Juan à la noix !

Joseph                   Veille toupie !

Clémence              Vieux beau !

Joseph                   Espèce de... vieille peau ! Empoissonneuse !

Clémence              Cette fois, c’est trop fort ! Félicien, apportez-moi le fusil qui est caché sous mon lit !

Félicien                  A vos-ordres, mon général ! (Et il quitte la pièce un court instant.)

Michel                    Tout de même, Bonne-maman ! Tu ne vas pas...

Clémence              Je vais me gêner ! Un jour, même toi, tu me remercieras de t’avoir délivré d’un poids pareil !

Joseph                   Parce que vous croyez que je vais vous laisser faire ! Vous ne me faites pas peur... même avec un fusil ! Ce n’est pas une vieille pétoire qui me fera reculer !

(A ce moment arrive Félicien avec une carabine.)

Félicien                  Pétoire, mon général !

(Il donne l’arme à Clémence qui s’en empare et met Josephe en joue.)

Clémence              Vous pouvez dire adieu à ceux qui vous ont trainé comme un boulet !

(Elle épaule et vise.)

Clémence              Une... deux...

Michel                    Bonne-maman ! Ne fais pas ça !

Félicien                  Clémence ! Soyez raisonnable !

Joseph                   (hurlant) A moi, la cavalerie !

 

Scène 6

(Michel – Clémence – Félicien – Joseph – Honoré)

(A ce moment, Honoré fait une entrée tonitruante en chaise roulante, jambe plâtrée. Il arrive au milieu des autres en jouant du clairon – ou +/- l’air qui annonce habituellement la cavalerie.)

Honoré                  Me voilà, camarade ! A qui faut-il régler son compte ? Au croque-mort ? A la vieille sorcière ?

Clémence              Tout ce qui manquait ! L’idiot du village ! La bouteille de bière sur pattes !

Joseph                   Je vous défends d’insulter mon vieil ami !

Clémence              Vous n’avez rien à me défendre ! Vous avez juste le droit de vous taire !

Honoré                  Ne te laisse pas faire, camarade ! L’ennemi est enragé mais nous sommes plus forts et plus malins !

(Honoré doit impérativement être placé entre Joseph et Clémence, tournant le dos à Joseph.)

Clémence              Oui, mais l’ennemi a un fusil et vous, vous n’avez que votre langue !

(Elle vise maintenant les deux hommes. Michel et Félicien tentent de la raisonner.)

Clémence              Adieu aux deux clowns du village !

Scène 7

(Michel – Clémence – Félicien – Joseph – Honoré – Paulette – Jacques)

(Au moment où Clémence va tirer, Paulette et Jacques entrent dans la pièce.)

Paulette                 (voyant la scène) Maman !!

Jacques                 (visiblement saoul et hoquetant) Au nom de la loi, madame Clémence, baissez votre fusil tout de suite !

Clémence              Allez au diable !

Jacques                 « Outrage à agent », madame Clémence ! Ca va vous coûter cher !

Clémence              Taisez-vous ou je fais un carton sur vous aussi !

Jacques                 Oui mais, avant ça, il faut signer votre papier ou alors moi, je suis un homme mort !

Clémence              Vous allez voir le trou que je vais y faire moi, dans votre papier !

Jacques                 « Destruction de papiers importants ! » Je sens que vous allez dormir à l’amigo, madame Clémence !

Clémence              Et vous, au « jardin des allongés » avec les deux autres comiques !

Paulette                 Maman ! Ne fais pas ça pour l’amour de dieu !

Clémence              Pour l’honneur et pour mon plaisir !!

(Elle épaule de nouveau l’arme. Jacques dégaine alors son pistolet et s’apprête à tirer en l’air.)

Honoré                  A nous deux Joseph, la botte secrète !

Joseph                   Bien vu, camarade ! A l’assaut !

(Et il pousse la chaise roulante vers Clémence. Noir puis rideau. On entend alors 2 détonations et des cris divers.)

 

ACTE 3

Scène 1

(Clémence – Félicien)

(Quand le rideau s’ouvre, on découvre Clémence assise dans un fauteuil, la jambe droite plâtrée, posée sur un tabouret. Elle semble furieuse. Félicien est occupé a arroser le chrysanthème.)

Clémence              Quand vous aurez fini d’arroser vos pissenlits, vous aurez peut-être un peu de temps pour moi ?

Félicien                  (posant subitement l’arrosoir) Du temps pour vous ? Toute l’éternité s’il le faut, mon amour ! Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Une tasse de café ? Un morceau de tarte ? Ou alors, vous voulez que je vous ramène quelque chose du village ?

Clémence              Ah ça, c’est une bonne nouvelle !

Félicien                  Qu’est-ce que je pourrais vous rapporter ?

Clémence              La tête de mon beau-fils !!

Félicien                  Clémence !... Ce n’est pas sérieux ! Il faut oublier tout ça, ma chérie, vous changer les idées… C’est le médecin qui l’a conseillé !

Clémence              Comment voulez-vous que j’oublie un homme qui a brisé le cœur de ma fille et m’a rendue infirme pour le reste de mes jours !

Félicien                  Pas pour le reste de vos jours, Bijou… Le médecin a parlé d’enlever le plâtre dans un mois. Et puis, vous avez un peu cherché ce qui est arrivé...

Clémence              Non mais dites donc ! Vous êtes passé à l’ennemi ?

Félicien                  Mais non, mon petit cœur ! Je suis de votre côté à Paulette et à vous...

Clémence              Elle est où, Paulette ?

Félicien                  Elle fait quelques courses pour moi.

Clémence              Vous en êtes sûr ? J’espère qu’elle n’est pas allée voir son bandit de mari...

Félicien                  Pas de danger ! Maintenant que Michel lui a expliqué ce qui s’est passé avec Messaline, elle ne veut plus entendre parler de Joseph !

Clémence              Et mon petit-fils ? Je ne l’ai pas encore vu non plus aujourd’hui... Il n’y a pas à dire, je me sens bien entourée comme malade !

Félicien                  Il paraît qu’il travaille sur son ordinateur depuis qu’il est levé.

Clémence              Travailler ? Lui ? Jouer oui, comme les enfants ! N’oubliez pas qu’il est le fils de son père ! De la graine de bon à rien !

Scène 2

(Clémence – Félicien – Michel)

(A ce moment, Michel entre dans la pièce. Il est vêtu d’un pyjama.)

Michel                    J’ai entendu tous tes compliments, Bonne-maman !

Clémence              Tiens... encore en tenue de soirée !

Michel                    J’ai beaucoup trop à faire pour prendre le temps de m’habiller.

(Sur la table se trouve une coupe de fruits. Il y prend plusieurs fruits qu’il fourre dans ses poches.)

Clémence              Tu fais des provisions, comme les écureuils ?

Michel                    Tu ne crois pas si bien dire ! Je ne prendrai pas le temps de descendre pour le déjeuner...

Clémence              Pas le temps de t’habiller, pas le temps de déjeuner… Qu’est-ce qui t’accapare autant ? Si tu ranges ta chambre, emporte aussi de l’eau et du pain, ça risque de durer plusieurs jours !

Michel                    Je travaille, Bonne-maman, je travaille !

Clémence              N’utilise pas des mots que tu ne comprends pas !

Michel                    Je travaille sur une enquête et je suis sur le point de trouver quelque chose d’important ! A propos, si le téléphone sonne, c’est pour moi ! Je décrocherai dans ma chambre...

Clémence              Je suis chez moi et je décrocherai si ça me plaît !

Félicien                  Mais vous ne sauriez pas décrocher, Bijou, avec votre jambe dans le plâtre !

Michel                    Bien fait !

Clémence              Nom d’un tonnerre ! Il fallait bien que ça m’arrive ! Mais je te garantis que ton père me paiera tout ce qu’il m’a fait !

Michel                    Mais tu étais prêtes à le massacrer à coups de fusil !

Clémence              Il l’avait bien cherché !

Félicien                  Vous n’allez pas recommencer tous les deux ! Le médecin a conseillé de la tranquillité...

Clémence              Pour avoir la paix, il ne faut pas rester dans une maison de fous comme celle-ci !

Félicien                  Si vous voulez vraiment vous reposer, je peux vous emmener dans ma maison de campagne...

Clémence              Vous avez une maison de campagne !? Vous ?

Félicien                  Oui... attention : une petite maison de campagne.

Clémence              Qui se trouve où ?

Félicien                  Bèh... à la campagne !

Michel                    Sacré Félicien ! Toujours le mot pour rire !

Clémence              Et ça ressemble à quoi ? A une ferme ?

Félicien                  Non, Bijou… c’est plus petit…

Clémence              A un chalet alors ?

Félicien                  Oui, plutôt... Enfin, ça y ressemble...

Clémence              Une petite maison en bois alors ?

Félicien                  Ah non ! C’est en marbre, avec de la pierre bleue aussi.

Michel                    C’est original…

Félicien                  Oui, n’est-ce pas ? C’est un ami qui l’a construite... Il travaille aussi dans les pompes funèbres « Post Mortem ». C’est le meilleur de nos tailleurs de pierre. Et au-dessus de la porte, en cadeau, il a fait poser une plaque : « Ici se trouve la maison de Félicien Lechien ».

Michel                    Ca, pour un cadeau !

Clémence              (horrifiée) Mais... c’est dans un caveau que vous voulez m’emmener !

Félicien                  Mais non ! Juste une petite maison où vous pourrez vous reposer...

Michel                    (hilare) Tu t’y reposeras... éternellement !!

Clémence              Retourne à tes jeux idiots, toi ! Et fiche-moi la paix !

Michel                    C’est bien ce que je comptais faire ! (Il quitte la pièce en rigolant.)

Scène 3

(Clémence – Félicien)

Félicien                  Quelle honte ! Les jeunes ne respectent plus rien !

Clémence              C’est surtout qu’il a été bien mal élevé !

Félicien                  En tous cas, si mon petit palais vous intéresse, vous n’avez qu’un mot à dire et je vous y emmène !

Clémence              J’y réfléchirai...

(A ce moment, une sonnerie se fait entendre. Félicien prend un cartable noir qu’il avait déposé contre un mur et en sort un téléphone portable.)

Félicien                  (au téléphone) Allo !… Ici « Post Mortem »… Vous parlez à Félicien Lechien… Bonjour madame… Oh… toutes mes condoléances, madame !... Oui... oui... Nous sommes une maison très sérieuse. Notre devise est : « In bocca chiusa non entro mai mosca »... Ce qui veut dire ? « En bouche fermée, jamais n’entra mouche »... C’est tout dire, n’est-ce pas, madame… Oui, bien sûr… Je comprends… Ah… c’est en autocar… avec télévision et tout le reste… Et bien, je ferai le plus vite possible, madame… A tout à l’heure, madame… (Il range son téléphone.)

Clémence              Qu’est-ce qui se passe ?

Félicien                  Je vous prie de m’excuser mon trésor, je dois vous laisser... une affaire urgente !

Clémence              Un client pressé ? Ne me faites pas rire !

Félicien                  Non, le client n’a plus rien à perdre... c’est sa femme qui est pressée.

Clémence              Elle a peut que son mari change d’avis et qu’il ressuscite ?

Félicien                  Ne riez pas, Clémence, cette pauvre femme n’a pas de chance.

Clémence              Je le pense bien... perdre son mari, c’est le pire de tout !

Félicien                  Vous ne savez pas tout ! Cette femme, qui n’a jamais rien gagné de sa vie, a gagné un voyage en Espagne à la tombola de « L’oiseu bleu ».

Clémence              Et vous trouvez qu’elle n’a pas de chance ?

Félicien                  Si mais... trois jours avant le départ, voilà son mari qui tombe mort !

Clémence              Vu comme ça...

Félicien                  Donc, elle me demande de faire les choses le plus vite possible... pour pouvoir profiter de son voyage malgré tout !

Clémence              Elle a choisi d’enterrer son mari en autocar, avec la télévision ?!

Félicien                  Mais non, Clémence… L’autocar, c’est pour elle ! Pour aller à Torrémolinos !

Clémence              Oui... je comprends maintenant.

Félicien                  Bon ! Je ne traîne pas, elle m’attend déjà au magasin.

Clémence              Et vous allez me laisser toute seule ?

Félicien                  Vous voulez m’accompagner ?

Clémence              Non, merci !

Scène 4

(Clémence – Félicien – Paulette)

(Paulette fait alors son entrée.)

Félicien                  Voilà quelqu’un qui vous tiendra compagnie...

Paulette                 Tu as besoin de quelque chose, maman ?

Clémence              D’une tasse de café et... d’une nouvelle jambe !

Paulette                 Pour ça, il faudra encore un peu de patience !

Félicien                  Bon... ma petite crotte de beurre… à tout à l’heure !

Paulette                 Vous partez déjà, Félicien ?

Félicien                  Le devoir m’appelle.

Clémence              C’est une veuve espagnole qui l’attend dans un autocar devant la télévision !

Paulette                 Et bien Félicien... quelle histoire !

Félicien                  Ne prêtez pas attention à ce que raconte votre maman, elle adore me taquiner...

Clémence              J’y pense... Si j’ai bien compris, votre cliente a une place vacante pour Torrémolinos ?

Félicien                  C’est bien possible...

Clémence              Dites-lui que ça m’intéresse... On ne sait jamais, elle cherche peut-être une compagnie pour le voyage.

Félicien                  Je ne manquerai pas de lui dire, Bijou... Au revoir. (Et il sort.)

Scène 5

(Clémence – Paulette)

(A ce moment, Michel entre dans la pièce. Il est vêtu de son pyjama.)

Paulette                 Il est gentil, ce Félicien… Vous vous entendez bien tous les deux.

Clémence              Il me fait passer le temps jusqu’à ce que je sois remise sur pied. Après, on verra… Tu viens d’où ?

Paulette                 Je suis allée chez le cordonnier, déposer les chaussures de Michel.

Clémence              Encore un grand mystère…

Paulette                 De quoi parles-tu ?

Clémence              De ton fils ! Il ne fait rien de ses journées, s’il le pouvait il prendrait sa moto pour aller aux toilettes et il use ses chaussures comme un témoin de Jéhovah !

Paulette                 Laisse-la respirer un peu, maman !

Clémence              Je ne dis que ce que je vois !

Paulette                 Bon ! Tu veux une tasse de café oui ou non ?

Clémence              Quelle heure est-il ?

Paulette                 Bientôt onze heures et demie.

Clémence              Dans ce cas, je préférerais un petit Pastis !

Paulette                 Tut te mets à l’alcool maintenant ?

Clémence              Ca m’aide à supporter toutes mes souffrances, tous mes malheurs !

Paulette                 Alors, je vais boire avec toi.

Clémence              Ah non ! Tu ne verras plus clair pour éplucher les pommes de terre !

Paulette                 On mangera des croquettes surgelées !!

(Elle sert deux verres de pastis qu’elles sirotent ensemble. On sonne. Paulette va ouvrir et introduit Jacques qui semble très mal à l’aise.)

Scène 6

(Clémence – Paulette – Jacques)

Jacques                 Bonjour, Paulette… Je ne dérange pas ?

Clémence              Tiens ! Lucky Luke... l’homme qui tire plus vite que son ombre !

Jacques                 Bonjour... Calamity Jane !

Paulette                 Jacques... Si vous êtes venu pour tourmenter maman, faites demi-tour ! Le médecin a recommandé le plus grand calme...

Jacques                 Si je suis ici, c’est parce que j’y suis bien obligé Paulette !

Clémence              Vous êtes passé pour payer la réparation du trou que vous avez fait dans le plafond ?

Jacques                 Riez madame Clémence ! Heureusement que j’étais là sans quoi, c’était un vrai carnage ici ! Criminelle que vous êtes !

Paulette                 Jacques, je vous ai prévenu...

Jacques                 Oui, je sais ! Mais je suis en mission aujourd’hui...

Scène 7

(Clémence – Paulette – Jacques – Michel)

Michel                    (qui fait irruption dans la pièce) Encore ? (Il porte un blouson sur son pyjama et ses bottes. Il a un casque sur la tête.)

Paulette                 C’est quoi ? Le carnaval ?

Clémence              C’est « la guerre des étoiles » ! J’ai toujours dit qu’il regardait trop la télévision quand il était petit !

Paulette                 Enfin Michel ! Tu ne vas pas sortir comme ça ?

Michel                    Je n’ai pas le temps de faire des fantaisies !

Clémence              Encore heureux !

Michel                    Je suis sur une affaire importante pour toi et pour moi... Je fais un saut chez mon copain Fabrice et j’espère revenir avec de bonnes nouvelles !

Clémence              Ca serait bien la première fois !

Paulette                 Ta moto est réparée ?

Michel                    Pas de problèmes de ce côté-là ! Allez... salut tout le monde ! (Il passe à côté de Jacques, s’arrête et le dévisage.) Dites, monsieur l’agent… il faudra me donner votre truc pour être aussi frais le lendemain d’une cuite !

Jacques                 Je ne vous permets pas, jeune homme !

Michel                    Dites, à propos... Vous avez démasqué le voleur de craies ?

Jacques                 Je dois dire que j’ai brillamment mené mon enquête ! Je n’avais pas encore vidé trois chopes que j’avais déjà trouvé le coupable !

Michel                    Alors là... vous m’épatez, monsieur l’agent !

Jacques                 Quand le patron du café m’a dit que, non seulement, on volait les craies mais qu’en plus on sabotait les wc... l’euro est tombé !

Michel                    Faut m’expliquer là !

Jacques                 Je demande au patron : « Qui est-ce qui fait le ménage ici ? » Il me répond : « La vieille Augustine… » Là… j’ai tout compris !

Paulette                 Nous, on ne comprend rien !

Jacques                 Je passe dans les toilettes et là, je trouve toutes les preuves !

Michel                    Quelle preuves ?

Jacques                 La vieille Augustine est myope comme une taupe ! Elle confond les craies du billard avec les blocs bleus, désodorisant, qu’on dépose dans les urinoirs !

Michel                    Il fallait y penser !

Clémence              Vous avez trouvé ça tout seul ?

Jacques                 Oui, madame ! Le patron était si content qu’il n’y ait pas de voleurs dans son café qu’il a payé une tournée générale !

Clémence              Ca n’a pas dû être la seule !

Jacques                 C'est-à-dire... Les clients étaient si contents aussi qu’il n’y ait pas de voleurs parmi eux… Ils ont payé quelques verres...

Clémence              Et vous, boire sur le compte des autres, ça ne vous gêne pas !

Jacques                 J’étais content aussi, madame ! J’ai aussi payé ma tournée...

Clémence              Ceci explique cela ! Et c’est pour nous raconter vos beuveries que vous êtes là ?

Jacques                 Non, madame ! Je suis en mission officielle !

Michel                    J’ai compris... vous venez pour le bouledogue !

Jacques                 Exact, jeune homme !

Michel                    Dans ce cas, j’y vais, je ne supporte pas la vue du sang !

Paulette                 Qu’est-ce que vous racontez tous les deux ?

Michel                    Rien, rien ! C’est entre monsieur l’agent et moi... (Il prend un air sinistre et pose la main sur l’épaule de Jacques.) Monsieur Jacques... je suis fier de vous avoir connu… Adieu ! (Et il sort.)

Scène 8

(Clémence – Paulette – Jacques)

Clémence              En voilà une de comédie !

Paulette                 Si c’est à propos du trou dans le plafond, ne vous en faites pas, Jacques... Ma mère a fait bien pire avec sa chevrotine : nous avons perdu Beethoven ! (En effet, le buste de Beethoven a disparu.)

Jacques                 Ah, mon dieu !

Clémence              Il était déjà mort depuis presque deux cents ans tout de même !

Jacques                 Enfin… si j’ai occasionné des dégâts, la police paiera, bien entendu !

Paulette                 Ce n’est qu’un petit trou dans le plafond, vous savez, Jacques...

Clémence              Un petit trou ! Un petit trou ! Quand il pleuvra dans la maison, on en reparlera !

Paulette                 Je me demande plutôt quelle affaire si importante vous amène ici...

Jacques                 Ma visite fait suite à la plainte déposée par votre voisine Germaine Van Hamme, contre madame Clémence.

Clémence              C’est encore cette affaire-là ?

Jacques                 Je vous ferai remarquer, madame Clémence, que c’est la deuxième fois que vous deviez vous présenter au bureau de police et que nous vous attendons toujours !

Clémence              Ce n’est tout de même pas ma faute si mon beau-fils m’a cassé la jambe !

Jacques                 Soyez bien contente qu’il ne porte pas plainte lui aussi ! Vous l’avez menacé avec un fusil... vous avez même tiré !

Paulette                 C’est vrai, maman ! Cette fois, tu as dépassé les bornes…

Clémence              J’ai défendu ton honneur, ma fille !

Jacques                 Soit ! Je vais devoir vous interroger ici puisque vous ne pouvez plus vous déplacer.

Paulette                 Oui, Jacques. Qu’on en finisse une fois pour toutes avec cette histoire.

(Jacques s’assied sur une chaise juste à côte du fauteuil dans lequel Clémence est assise.)

Jacques                 Donc... votre voisine, Germaine Van Hamme, a porté plainte contre vous parce que, dans le courant d’une discussion, vous l’avez mordue à la main.

Clémence              Elle a menti !

Jacques                 Ah non, madame Clémence ! Je regrette : madame Germaine a montré sa main au médecin qui a constaté : (Il lit.) « les traces d’une morsure humaine à la main droite de sa patiente ».

Clémence              Elle se sera mordue elle-même, elle est assez bête pour le faire !

Jacques                 Ne mentez pas, je vous prie ! N’oubliez pas qu’il y a un témoin : le vieil Auguste Piron qui repiquait ses poireaux et qui a tout vu !

Clémence              Lui justement, qui n’y voit pas plus clair le jour que la nuit !

Paulette                 Maman ! Ce serait plus honnête de dire la vérité !

Clémence              Mêle-toi de tes affaires !

Jacques                 Paulette a raison ! Si vous reconnaissez vos torts, la justice sera plus clémente avec vous… « Justice clémente pour Clémence », c’est pas beau ça ?

Clémence              Qu’est-ce que ça veut dire ? Huit ans de prison plutôt que dix ?!

Jacques                 Allons, madame Clémence... Si vous trouvez un terrain d’entente avec madame Germaine, ce ne sera sûrement qu’un petit dédommagement à lui payer.

Clémence              Moi, donner de l’argent à cette vieille rosse ?! Plutôt mourir en prison !

Jacques                 On n’en sortira jamais ! Bon... je reprends l’histoire de la voisine et vous me dites jusqu’à quel point vous êtes d’accord avec elle !

Paulette                 C’est ça, Jacques... on gagnera du temps.

Jacques                 Donc... vendredi dernier, Germaine Van Hamme était dans son jardin, mettant son linge à sécher, quand vous avez entamé une discussion avec elle, à cause de votre chat...

Clémence              Pas à cause de mon chat ! A cause de son chien… Il retenait mon petit chat en otage dans la pelouse.

Jacques                 Si je comprends bien, votre chat se trouvait sur la propriété de Germaine ?

Clémence              Sa propriété… sa propriété… Dans son jardin, quoi !

Jacques                 Il y avait donc violation de la propriété privée… (Il notet.)

Clémence              (riant) Qui aurait l’idée de violer Germaine ?

Paulette                 Il n’y a pas de quoi rire, maman !

Jacques                 Vous reconnaissez que votre chat était chez elle ?

Clémence              Oui ! Comme tous les chats, il passe par tous les jardins, comme ses envies le poussent... Pauvre petite bête !... Il avait grimpé sur un poteau et n’osait plus descendre à cause du bête chien de Germaine qui aboyait comme un déchaîné au pied du poteau. J’ai demandé à Germaine de me rendre mon petit chat, je craignais que son chien finisse par l’avaler ! Vous savez ce qu’elle m’a répondu ?

Jacques et Paulette     Non…

Clémence              Que ça tombait bien vu que son chien n’avait encore rien mangé !

Jacques et Paulette      Oooh !

Clémence              Je suis montée dans une rage ! Je lui ai dit que si son chien mangeait mon chat, je donnerais de boulettes empoisonnées à son cannibale !

Jacques                 Que s’est-il passé ensuite ?

Clémence             A ce moment-là, elle s’est approchée du mur pour m’insulter. Elle s’agitait comme une folle ! Ses mains passaient là, près de mon visage… A un moment, elle m’a dit que j’étais une veille dégoutante… à moi ! Vous vous rendez compte ! Alors, j’ai vu rouge et… j’ai mordu sa main qui passait !

Jacques                 Nous y voilà ! Attendez... je prends note de tout ça… « Madame Clémence a alors mordu… mordu… »

Clémence              … mordu Germaine, la vieille rosse !

Jacques                 Je cherche un mot qui explique comment vous avez mordu votre voisine.

Clémence              Bèh… je l’ai mordue… avec mes dents, bien sûr !

Jacques                 Non... je veux expliquer avec quelle force vous l’avez mordue...

Clémence              Oh !... Il n’y a pas 36 manières de mordre quelqu’un !

Jacques                 Ah si fait ! Ainsi, moi, quand j’étais jeune, j’avais une petite amie qui adorait me mordiller l’oreille… Ca me faisait un effet !

Clémence              Non ! Ce n’est pas comme ça que je l’ai mordue !

Jacques                 Justement… il faut trouver le mot qui explique avec précision…

Scène 9

(Clémence – Paulette – Jacques – Honoré – Joseph)

(A ce moment, la porte s’ouvre et Honoré, toujours en chaise roulante, entre avec circonspection.)

Honoré                  Tu peux entrer, camarâde ! L’ennemi est neutralisé par la police !

(Joseph entre à son tour.)

Clémence              Vous osez remettre les pieds ici ?

Joseph                   Jusqu’à preuve du contraire, je suis toujours chez moi ! Et puisque la police a saisi le fusil je n’ai plus de souci à me faire...

Honoré                  Bien répondu, camarade !

Joseph                   Je suis venu parler à Paulette et ni vous ni personne ne m’en empêchera.

Clémence              C’est ce que nous allons voir !

Honoré                  C’est tout vu !

Clémence              Et celui-là, qu’est-ce qu’il fait ici ? Il vient se mêler des affaires des autres ! Qu’il aille voir chez lui si…

Joseph                   Honoré a le droit de savoir ce qui se passe ! C’est chez lui que je vis depuis quelques jours, c’est lui qui m’a prêté des vêtements pour que je puisse me changer... Je ne pouvais pas rester habillé en pêcheur pour tout le restant de mes jours !

Clémence              Ca vous allait pourtant bien d’être habillé en pêcheur... On voyait tout de suite à qui on avait à faire !

Joseph                   Je n’écouterai pas vos insinuations une minute de plus ! Paulette, est-ce qu’on peut se parler en tête à tête ?

Clémence              Ne lui réponds pas, ma fille !

Honoré                  N’écoute pas ta mère, Paulette ! Joseph a quelque chose d’important à te dire…

Clémence              (à Jacques) Mais qu’est-ce que vous attendez pour jeter cet ivrogne sur le trottoir ?

Honoré                  Quel ivrogne ? Je n’ai bu que 3 bières et un apéritif depuis ce matin...

Jacques                 Oh... Ce n’est rien de ça, n’est-ce pas !

Clémence              Ce n’est pas vous qui direz le contraire ! Le deuxième ivrogne du village !!

Jacques                 Attention, madame Clémence ! Ma patience a des limites !

Honoré                  Mettez-le au violon, monsieur l’agent ! Vous rendrez service à tout le monde ! Si c’était ma belle-mère, je lui aurais donné le bouillon d’onze heures depuis longtemps, moi !  Joseph est bien brave de la supporter depuis 25 ans !!

Jacques                 Si vous saviez combien de fois on l’a déjà dit !

Clémence              C’est ça ! Vous êtes complice maintenant… Paulette, met tout ce beau monde dehors !

Jacques                 Doucement ! On n’a pas encore fini tous les deux ! N’oubliez pas que je suis venu ici pour mener votre interrogatoire.

Honoré                  Qu’est-ce qu’elle a fait ?

Jacques                 Elle a mordu sa voisine !

(Joseph et Honoré s’esclaffent.)

Paulette                 Enfin, Joseph ! Il n’y a rien de comique !!

Joseph                   Pauvre Germaine ! On a prévenu le centre antipoison au moins ?

Clémence              Toujours là pour faire le malin !!

Honoré                  S’il faut désinfecter à l’alcool, j’ai ce qu’il faut ! (Il sort un petit flacon de sa poche.)

Clémence              Vous voyez  bien que c’est un ivrogne ! C’est lui qu’il faut enfermer !

Honoré                  Mais je n’ai rien fait de mal ! On ne sait jamais ce qui peut arriver en chemin, n’est-ce pas monsieur l’agent ?

Jacques                 Ca, c’est bien vrai.

Clémence              Vous n’êtes… qu’une lavette !

Paulette                 Du calme, maman !

Joseph                   Paulette, je t’en prie... Passons dans la pièce à côté, j’ai tant de choses à te dire.

Paulette                 Tu n’as plus rien à me dire ! Ta maîtresse est venue ici réclamer de l’argent ! Il n’y a plus rien à dire après ça !

Joseph                   C’est un malentendu ! Je pourrais tout t’expliquer si on pouvait être tranquilles quelques minutes...

Paulette                 J’ai promis à maman de ne plus te revoir, Joseph !

Joseph                   Mains tu n’as plus quinze ans ! Nous sommes mariés depuis vingt-cinq ans et jusqu'à présent, tu n’as jamais rien eu à me reprocher… pas vrai ?

Honoré                  Joseph est un homme comme il n’y en a pas deux ! Ma femme le dit toujours... Ecoute-le Paulette ! Il mérite bien ça.

Paulette                 Mais rien ne pourra t’excuser, Joseph !

Clémence              Justement ! Ne perds pas ton temps à l’écouter !

Joseph                   Paulette… je ne te demande qu’une minute ou deux...

Clémence              Flanque-le dehors, je te dis ! Et vous, l’agent de police, vous laissez faire ça ?

Jacques                 Joseph est chez lui et Paulette est toujours sa femme... Rien d’illégal dans tout ça.

Clémence              Vendu !!

Jacques                 Mais vous n’avez pas de cœur, madame Clémence… Vous n’êtes pas sensible aux belles histoires d’amour ?

Clémence              Oh vous, ça va ! D’ailleurs, vous n’avez plus rien à faire ici !

Jacques                 Je vous demande pardon ! Vous n’avez pas terminé votre déclaration. Vous savez que je trébuchais sur un mot pour finir le procès-verbal. (Il explique aux autres.) Je cherche le mot qui pourrait expliquer comment votre maman a mordu Germaine. Elle l’a mordue...

Paulette                 Par accident !

Joseph                   Méchamment !

Honoré                  Comme une sale bête !

Clémence              Cette fois, j’en ai assez ! Voilà comment je l’ai mordue ! (Elle saisit la main de Jacques et la mort férocement. Jacques pousse un grand cri de douleur et se lève rapidement.)

Jacques                 Férocement ! Elle l’a mordue férocement !! C’est une folle ! Une femme dangereuse !! C’est ça... un vrai danger public ! Oh mais... ça ne se passera pas ainsi... Agression contre la force publique ! Ca va vous coûter cher ! Je vais chercher du renfort et ça va être votre fête, madame Clémence ! (Et il sort rapidement.)

Scène 10

(Clémence – Paulette – Honoré – Joseph)

Honoré                  Enfin, une bonne nouvelle !

Paulette                 Mais maman... tu as perdu la tête ?!

Honoré                  Ne t’occupe pas d’elle ! Va parler sérieusement avec ton mari... Moi, je surveille et je peux vous jurer que personne ne franchira cette porte !

(Joseph entraîne Paulette dans la pièce d’à côté. Ils referment la porte derrière eux. Honoré se poste devant la porte.)

Scène 11

(Clémence – Honoré)

Clémence              Vous ne perdez rien pour attendre ! Quand je serai à nouveau sur mes deux jambes, vous aurez à faire à  moi !

Honoré                  Hou... j’ai peur... je tremble...

Clémence              Riez, riez... Vous ne l’emporterez pas au paradis !

Honoré                  Vous savez bien que les ivrognes vont en enfer, madame Clémence ! On se retrouvera là-bas... en enfer !

Scène 12

(Clémence – Honoré – Félicien)

(A ce moment, Félicien fait alors son entrée.)

Félicien                  L’enfer... c’est mon affaire ! Qui a besoin de moi, ici ?

Clémence              Félicien ! Moi... moi, j’ai besoiin de vous ! Vous tombez à pic !

Félicien                  Je peux faire quelque chose pour vous ?

Clémence              Oui ! Mon beau-fils est ici ! Il a entraîné ma fille par la force dans la pièce à côté ! Dieut sait ce qu’il est en train de lui faire...

Félicien                  Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?

Clémence              Ouvrez la porte, imbécile !! Et jetez mon beau-fils sur le trottoir !

Honoré                  Il faudra d’abord me passer sur le corps et... sur celui de mon fauteuil...

Félicien                  C’est que... je suis contre les conflits, moi...

Clémence              Un lâche, voilà ce que vous êtes ! Placez-vous au moins près de la porte pour écouter ce qu’ils disent !

(Félicien s’approche de la porte mais Honoré le tient à la bonne distance en défendant la porte.)

Félicien                  Je n’entends pas grand-chose, vous savez, Clémence.

Clémence              Qui parle ? Lui ?

Félicien                  Il me semble que j’entends une voix d’homme...

Clémence              Il vous semble !... Vous n’entendez pas la différence entre une voix d’homme et une voix de femme ?! Vous êtes encore plus bête que je ne le pensais !

Honoré                  Y’a pas à dire, elle en connait des mots d’amours, votre dulcinée !

Clémence              Taisez-vous ! Et vous, écoutez ce qu’il dit !

Félicien                  Mais on ne comprend pas grand’chose... Et de toutes maniêres, il ne dit plus rien maintenant !

Clémence              Et elle ? Qu’est-ce qu’elle dit ?

Félicien                  Elle ne dit rien non plus...

Clémence              Ils ne parlent plus !! Ni l’un ni l’autre !?... Ca, c’est dangereux ! Défoncez la porte ! Défoncez-la que je vous dis !

(Félicien hésite puis avance sur Honoré.)

Honoré                  Vade retro satanas !

Félicien                  Eh... mais je ne peux pas faire ça, moi ! Ce ne sont pas mes affaires !

Clémence              Si vous ne défoncez pas cette porte tout de suite, vous n’avez plus rien à faire ici !

Félicien                  Et bien tant pis ! De toutes maniêres, il faut que je vous parle.

Clémence              Je n’ai pas le temps de vous écouter ! Ca ne saurait de toutes façons pas être quelque chose d’intéressant !

Félicien                  Pourquoi dites-vous ça ?

Clémence              Vous ne racontez jamais que des bêtises !!

Honoré                  (à Félicien) C’est votre fête, dites-moi ! On peut dire que vous en prenez pour votre matricule ! Et c’est avec ça que vous voulez finir votre vie ?

Félicien                  Justement, c’est à ce propos que je voudrais bien l’entretenir !

Clémence              Ce n’est pas le moment !

Honoré                  Dites, madame Clémence, vous comptez vous marier en blanc ? C’est pour prévenir les copains... On viendra à la sortie de l’église, on lancera du riz... Et vous comptez mettre votre jarretière aux enchères comme les jeunes mariés ? Il faut que je prévienne les copains... Certains sont fort sensibles, ils ne supporteraient pas la vue de vos cuisses !

Clémence              Je n’avais pas l’intention de vous inviter !

Honoré                  Ah, c’est dommage ! Je suis un vrai boute en train, je saurais mettre de l’ambiance ! Parce qu’il faut bien pense que, quand le marié est un croque-mort, ca jette un froid sur la noce !

Clémence              On ne vous demande pas votre avis !

Honoré                  Je le donne quand même ! Ce qui serait vraiment chic, ce serait de décorer le corbillard pour aller jusqu’à l’église. C’est quelque chose qu’on ne voit pas tous les jours... N’est-ce pas, monsieur Félicien ?

Clémence              Mon dieu, Félicien ! Faites-le taire et défoncez la porte !

Félicien                  Non, Clémence ! Je ne ferai pas ce que vous voulez ! Et je ne le dirai pas deux fois !!

Honoré                  Houlà ! Rebellion, mon ami !

Clémence              Félicien ! C’est moi qui commande ici !

Félicien                  Apprenez, madame, que Lechien n’a pas de maître !

Clémence              Ne me parlez pas sur ce ton-là ! Sans quoi, ce n’est pas demain que vous me mènerez à l’église !

Félicien                  Ca tombe bien ! Je ne veux plus vous épouser !

Honoré                  Alleluia !

Clémence              Qu’est-ce que vous dites ?

Félicien                  Je dis que... que j’en aime une autre !

Clémence              Qu’est-ce que c’est que ce conte ?

Honoré                  Un conte de fée, bien sûr !

Félicien                  Pardon, Clémence ! Je ne pouvais pas vous mentir plus longtemps...

Clémence              Plus longtemps ? Ca fait combien de temps que vous me trompez ?

Félicien                  (contraint) Une heure !

Honoré                  C’est du tout frais !

Clémence              Et avec qui me trompez-vous ?

Félicien                  Avec Marguerite…

Clémence              Qui ?

Félicien                  La veuve espagnole !

Clémence              C’est du propre ! Une femme que vous ne connaissiez pas il y a une heure !

Honoré                  Ca s’appelle le coup de foudre !

Félicien                  Je ne la connaissais pas mais je l’ai reconnue !

Honoré                  Attention Félicien… même moi, je ne vous suis plus !

Félicien                  C’est une ancienne camarade de classe. Quand j’avais dix ans, j’étais amoureux d’elle… Elle m’a reconnu tout de suite...Elle m’a dit que je n’avais pas changé...

Clémence              La preuve que vous n’étiez déjà pas très beau étant petit !

Félicien                  Elle est si douce, si tendre... et elle porte un nom de fleur : « Marguerite »…

Honoré                  « Quand je te vois, mon cœur s’effrite ! »

Félicien                  Ca, je vais le retenir, Honoré !

Honoré                  C’est qu’il commence à m’être sympathique, celui-là !

Clémence              Vous ne pensez tout de même pas vous en tirer comme ça !

Félicien                  Ecoutez, Clémence… A mon âge, on n’a plus de temps à perdre ! J’aime Marguerite, Marguerite m’aime depuis toujours... On part ensemble à Torrémolinos !

Honoré                  Olé !!

Clémence              Sortez ! Sortez ou je fais un malheur ! Je ne veux plus jamais vous revoir ! Espèce de... faux cul !

Félicien                  Je m’en vais, Bijou, je m’en vais... Au revoir monsieur Honoré, au revoir Clémence...

Honoré                  Vous avez vu clair à temps, vous ! Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Allez... toutes sortes de bonheur !

Félicien                  Merci infiniment !

Clémence              Je ne vous salue pas, monsieur !

(Félicien semble sortir puis revient sur ses pas et reprend le chrysanthème.)

Félicien                  Je vous prie de m’excuser mais... Marguerite m’a dit qu’elle aimait les fleurs !

Clémence              Allez au diable !

(Félicien s’en va en emportant son chrysanthème.)

Scène 13

(Clémence – Honoré)

Honoré                  C’est une laide à avaler, celle-là, n’est-ce pas, madame Clémence !

Clémence              Je m’en fous ! Il n’était pas digne de moi ! Ce qui me tracasse, c’est ce qui se passe derrière la porte, là !

Honoré                  Ils sont peut-être en train de vous faire grand-mère pour la deuxième fois...

Clémence              Ca, jamais ! Paulette ! Paulette ! C’est ta maman qui te parle... Réponds ! Je te donne deux minutes pour sortir de là !

Scène 14

(Clémence – Honoré – Joseph – Paulette)

(A ce moment, Joseph et Paulette reviennent dans la pièce. Ils semblent très amoureux et se tiennent par la main.)

Honoré                  A la bonne heure ! Voilà les amoureux de Peynet !

Clémence              Il ne manquait plus que ça !

Paulette                 Maman, nous nous sommes trompés sur le compte de Joseph ! Il va tout t’expliquer...

Clémence              Sotte que tu es ! Tu as avalé tout ce qu’il t’a raconté évidemment !

Joseph                   Je ne lui ai dit que la vérité, Belle-maman !

Clémence              C’est ça, c’est ça... Racontez ça à un cheval de bois, il ruera !

Paulette                 Je t’en prie, laisse-le parler, maman !

Joseph                   Messaline, ce n’est pas une cocotte ! C’est une jeune fille qui donne des cours de danse à ceux qui, comme moi, ont deux pieds gauche. Elle est gentille et pleine de patience ! Je voulais apprendre à danser parce qu’en avril, c’est notre anniversaire de mariage... Je voulais faire une surprise à Paulette.

Clémence              C’est réussi !

Joseph                   Je voulais faire une grande fête et, pour la première fois, l’inviter à danser devant tout le monde...

Paulette                 Tu es un homme si gentil.

Joseph                   Il fallait bien que je trouve un prétexte pour aller à mes leçons le mardi et le jeudi... Alors, je me suis inventé une passion pour la pêche !

Honoré                  Quelle belle histoire !

Clémenc                Des mensonges, toujours des mensonges !

Scène 15

(Clémence – Honoré – Joseph – Paulette – Michel – Messaline)

Honoré                  (qui est entré sur les dernières tirades de son père) Non, Bonne-maman ! Papa dit la vérité !

Clémence              Aussi naïf que sa mère, celui-là !

Michel                    J’ai amené quelqu’un qui raconte la même histoire... (Il fait entrer Messaline qu’il tient par la main.) Je vous présente, Messaline, le professeur de danse de papa et j’espère bien vite une très bonne amie...

Messaline              Bonjour !

Paulette                 Bonjour mademoiselle.

Clémence              Vous n’avez pas compris que c’est une complice ?

Michel                    Non, Bonne-maman ! J’ai fini mon enquête : grâce à mon ordinateur et à mon copain Fabrice, nous avons piraté les fichiers de la mairie et Messaline Gilbert est vraiment professeur de danse. Je suis allé la voir et nous nous sommes expliqués.

Messaline              C’est vrai que votre mari venait chez moi deux fois par semaine mais... c’était pour apprendre la valse et le tango...

Joseph                   Tu vois, ma chérie ?

Paulette                 Oui, mon amour... Je te demande pardon d’avoir pu douter de toi.

Clémence              Et sa petite annonce alors ?

Messaline              C’est vrai, j’ai fait paraître une petite annonce en guise de publicité... Il n’y a rien de mal à ça !

Clémence              Et les fangos ?! Ce ne sont pas des massages, sans doute ?

Messaline              Des tangos ! Il y avait une coquille dans le journal.

Clémence              Une coquille !?! Si ce n’est pas du vice, ça !

Michel                    Une coquille, c’est une erreur d’impression dans le journal, Bonne-maman !

Honoré                  Voilà !... Tout est bien qui finit bien !

Clémence              Rien n’est terminé, justement ! Je ne suis pas si naïve, moi ! Je prouverai que mon beau-fils a menti, je prouverai que cette fille est une moins que rien, je prouverai que ma fille est mon petit-fils sont deux iditos ! Quant à vous, le char d’assaut...

Scène 16

(Clémence – Honoré – Joseph – Paulette – Michel – Messaline – Jacques – deux policiers)

(A ce moment, la porte s’ouvre. Jacques et deux autres policiers se précipitent sur Clémence.)

Jacques                A l’assaut, camarades ! Neutralisez l’ennemi public numéro un ! Passez-lui les menottes et emmenez-la dans le combi ! Attention, elle est dangereuse ! Extrêmement dangereuse !!

(Ils s’emparent de Clémence et l’entraînent dehors dans un grand brouhaha de cris et de commentaires divers émanant de chacun.)

Scène 17

(Honoré – Joseph – Paulette – Michel – Messaline)

Honoré                  Enfins seuls !

Paulette                 Ma pauvre maman... Il faudra s’occuper d’elle...

Michel                    Plus tard, maman... plus tard...

Joseph                   Oui, plus tard, ma chérie... On a mieux à faire pour le moment... (Il met la radio en marche qui diffuse une valse ou un tango.) Bon anniversaire, mon amour !

(Il l’entraîne dans la danse et Michel fait de même avec Messaline.)

 

(RIDEAU)


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